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7 juillet 2024

Amos, notre Jiminy Cricket

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Amos, notre Jiminy Cricket 

 

Homélie pour le 15° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

14/07/24

 

Cf. également :

Obligation de moyens, pas de résultat
Deux par deux, sans rien pour la route
Le polythéisme des valeurs
Plus on possède, moins on est libre
Secouez la poussière de vos pieds
Medium is message
Briefer et débriefer à la manière du Christ
Zachée : le juste, l’incisé et la figue


Jiminy Cricket, la conscience de Pinocchio

Vous souvenez-vous de cet adorable personnage du dessin animé de Walt Disney ? Ce petit criquet si élégant avec son parapluie, sa canne et son chapeau rapiécé incarnait la conscience de Pinocchio, pour l’avertir avant que son nez ne s’allonge…

Nous avons tous en nous cette petite voix, telle la stridulation du grillon dans nos pelouses les soirs d’été… Comme Jiminy Cricket [1] à Pinocchio, cette voix intérieure nous murmure : « Fais ceci, évite cela ».

« Évite le mal, fais ce qui est bien, et tu auras une habitation pour toujours » (Ps 36,27).

« Évite le mal, fais ce qui est bien, poursuis la paix, recherche-la » (Ps 34,15).


Le concile Vatican II parle de la conscience comme d’un sanctuaire intime inviolable devant lequel même l’autorité de l’Église doit s’incliner :
« Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal, au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur. Car c’est une loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme; sa dignité est de lui obéir, et c’est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. C’est d’une manière admirable que se découvre à la conscience cette loi qui s’accomplit dans l’amour de Dieu et du prochain » (Gaudium et Spes n° 16).

Le héros de la première lecture de ce dimanche est un peu le Jiminy Cricket d’Israël, la conscience des rois de Juda et des prêtres de Béthel. Quand les puissants ont étouffé en eux la petite voix, quand ils ont muré la porte du sanctuaire de leur conscience, il faut bien qu’alors une voix extérieure les alerte, les réveille, fasse tomber les murailles de leur forteresse intime.

Amos a été choisi par Dieu pour cela : secouer le trône des puissants afin qu’ils écoutent YHWH, empêcher les riches de dormir tranquilles sur leur fortune, déstabiliser les exploiteurs en leur donnant littéralement une mauvaise conscience.

Jiminy Cricket multiplie les astuces pour avertir Pinocchio et le détourner de ses mauvais choix ; Amos multiplie ses avertissements et les prises de parole pour dénoncer la corruption des prêtres et des riches dans les règnes de Jéroboam II en Israël et de Josias en Juda, vers 750 av. J.-C.

Notre Amos intérieur continue ce travail en nous aujourd’hui.

Comment entendre cette petite voix ?

Essayons de nous approprier quatre caractéristiques de la mission d’Amos, afin que Jiminy Cricket ne cesse de striduler à nos oreilles : Amos est l’homme des visions / du fardeau / des sycomores / qui dérange.

 

1. L’homme-aux-visions

Amos, notre Jiminy Cricket dans Communauté spirituelle Three-VisionsOn connaissait « l’homme-aux-songes » qu’était Joseph pour ses frères et Pharaon (Gn 37,19). Voilà maintenant « l’homme-aux-visions » qu’est Amos pour les prêtres de Béthel ! Notre lecture fait bien la distinction entre voyant et prophète : « Le prêtre Amatsia dit à Amos : Homme-aux-visions, va-t’en, fuis dans le pays de Juda; manges-y ton pain, et là tu prophétiseras » (Am 7,12). Une chose est d’avoir des visions, une autre est de prophétiser. La vision désigne une représentation mentale et spirituelle, une sorte de reconstitution virtuelle en 3D de ce qui est en train de se tramer dans le royaume. Comme s’il était coiffé d’un casque de réalité virtuelle, Amos voit clairement ce qui est en jeu dans le dérèglement actuel du pays : les effrayantes inégalités sociales et l’oppression des plus pauvres sont en train de miner la cohésion sociale et de contredire l’Alliance avec YHWH.

Dans le langage imagé de la Bible, cela donne un nuage de sauterelles qui dévastent les récoltes (Am 7,1–2), de gigantesques incendies de forêt (7,4), une épée au fil de laquelle passeront les sanctuaires royaux (7,7–9), ou encore une corbeille de fruits de fin d’été indiquant la fin d’Israël…

 

Retrouvons la puissance de ce langage imagé en nous, en écoutant tous nos sens, en laissant se former en nous des représentations inconscientes, en visualisant dans la méditation et la prière ce qui nous arrive. L’Esprit de notre baptême est celui d’Amos traduisant la réalité en symboles pour que le peuple comprenne, écoute, et change.

Nous sommes nous aussi cet homme-aux-visions, et nous pouvons laisser monter en nous les évocations puissantes décrivant le réel mieux qu’un documentaire sur Arte !

 

Être prophète s’appuie sur ces visions du monde – que Max Weber appelait WeltAnschauung – qui peuvent encoder les grandes caractéristiques de notre époque.

Le visionnaire symbolise, le prophète interprète. C’est l’interprétation de la vision qui devient prophétique, lorsqu’elle produit une parole de Dieu pour notre temps.

 

On ne le répétera jamais assez : le prophète dans la Bible ne prédit pas l’avenir, mais déchiffre le présent pour en déduire des avertissements nécessaires.

Face aux sauterelles, ou au feu dévorant (7,5), Amos plaide la petitesse de Jacob–Israël, qui ne pourra pas tenir face à ce fléau (7,2). Cette intercession d’Amos nous fait penser à celle d’Abraham pour Sodome et Gomorrhe, ou celle de Moïse pour obtenir le pardon du peuple au Veau d’Or…

Les deux premières fois, ses visions suffisent à éloigner le danger : « Le Seigneur s’en repentit. “Cela n’arrivera pas”, dit le Seigneur. Le Seigneur Dieu me donna cette vision : voici que le Seigneur Dieu en appelait au procès par le feu ; celui-ci avait dévoré les eaux profondes et déjà il dévorait la campagne. Je dis : “Seigneur Dieu, je t’en prie, arrête ! Jacob est si petit ! Qui le relèverait ?” Le Seigneur s’en repentit. “Cela non plus n’arrivera pas”, dit le Seigneur » (Am 7,3–6). Ce sont donc des visions auto-immunisantes en quelque sorte : il suffit de prendre conscience de ce qui se passe (la corruption à l’œuvre) pour en être guéri. Une guérison auto-réalisatrice, où il suffit de nommer le mal/le traumatisme pour qu’ils s’éloignent.

Nous pouvons/devons être ces visionnaires qui, en nommant le malheur de notre monde, l’aident à en guérir.

 

Visualiser le mal et le nommer ne suffit pas toujours, hélas ! Les visions de la corbeille des fruits de fin d’été (8,1–3) et du sanctuaire ébranlé (9,1–4) auront malheureusement pour épilogue la ruine d’Israël et sa déportation à Babylone dans les larmes et le deuil…

« Je vis le Seigneur debout près de l’autel. Il dit : Frappe les chapiteaux, et que tremblent les seuils ! Brise tous ceux qui sont en tête, et les suivants, je les tuerai par l’épée ; pas un d’entre eux ne pourra s’enfuir, pas un d’entre eux ne pourra s’échapper. S’ils forcent le séjour des morts, de là, ma main les extirpera ; s’ils escaladent les cieux, de là, je les ferai descendre ; s’ils se cachent au sommet du Carmel, là, je les chercherai et les prendrai ; s’ils se dérobent à mes yeux au fond de la mer, là, je commanderai au Serpent de les mordre ; s’ils s’en vont en captivité, poussés par l’ennemi, là-bas, je commanderai à l’épée de les tuer ; j’aurai l’œil sur eux, pour le malheur, non pour le bonheur » (Am 9,1–4).

 

2. L’homme-au-fardeau

En hébreu, le nom עָמַס (Amos) signifie : fardeau, charge. N’imaginons donc pas que c’est une mission facile de donner du poids à la petite voix de notre conscience : c’est une lourde responsabilité, qui peut nous attirer bien des ennuis. D’ailleurs, Amos proteste devant le prêtre royal Amatsia : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et j’incisais les sycomores » (Am 7,14). Autrement dit : ‘je n’ai jamais voulu être prophète de moi-même ! C’est Dieu qui est venu me chercher, qui m’a appelé, et qui m’a presque forcé à prendre la parole en son nom pour dénoncer ce que mes visions me révélaient des dérives royales’.

 Amos dans Communauté spirituelleSi l’Esprit de notre baptême fait de nous des prophètes comme Amos, difficile de ne pas sentir l’écrasante responsabilité d’une parole publique courageuse ! Même Jonas qui voulait fuir cette responsabilité a été rattrapé dans sa fuite par la fameuse baleine !


Pas d’inquiétude cependant : Jésus nous a promis que son fardeau serait léger et facile à porter (Mt 11,30). Il a assumé la charge symbolique de ce nom dans sa généalogie : Jésus est en effet fils d’un certain Amos « fils de Mattathias, fils d’Amos, fils de Nahoum, fils de Hesli, fils de Naggaï » (Lc 3,25). Nous pouvons donc porter ce fardeau avec le Christ.

De fait, nous sommes « comme portés sur les ailes d’un aigle » (Ex 19,4) lorsque nous nous engageons dans ces combats-là. De fait, même les martyrs chantaient devant les fauves, les croix ou le feu, animés d’un courage qui leur était donné d’en-haut.

Alors, ne pas s’atteler au joug du Christ serait une désertion indigne de l’Esprit prophétique d’Amos, une lâcheté qui ferait honte à Jérémie, Isaïe, Ézéchiel, Osée, Daniel et autres Macchabées…

 

3. L’homme-aux-sycomores

Sycamore_fruits prophèteOn a entendu la protestation d’Amos : sa mission prophétique n’est pas une ambition personnelle : “Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais (litt. : j’incisais) les sycomores. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : “Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël.” » (Am 7,14–15).

Bouvier, on voit à peu près ce que c’est. Mais « inciseur de sycomores » ? On peut penser aux pins des Landes : pour recueillir la sève qui deviendra de la laque, de la résine ou de la peinture, il faut entailler le tronc du pin qui se met alors à saigner à blanc, laissant s’écouler de l’incision la sève précieuse.

 

Drôle d’arbre que ce sycomore dont les feuilles rappellent celles du mûrier (syco-morus = ressemblant au mûrier). Il est grand, avec des branches basses assez horizontales (c’est pourquoi le petit Zachée l’a choisi pour s’élever). Il a des fruits bizarres, qui poussent sur le tronc et non sur les rameaux des branches. Mais surtout, ces fruits ne sont pas comestibles à l’état naturel. Il faut y pratiquer une incision, à l’aide d’un petit outil tranchant, pour laisser s’écouler un suc laiteux inconsommable. Ensuite, avec le temps, ils mûrissent en une sorte de grosses prunes / figues comestibles et goûteuses.

Zachée, en montant dans un sycomore, va en devenir l‘un de ses fruits, assis à même le tronc, au plus près du Christ. Il va se laisser « inciser », « transpercer » par son appel à venir manger chez lui. Du coup, comme le suc laiteux, il laisse s’écouler la richesse accumulée injustement et qui lui devient insupportable (il rend quatre fois ce qu’il a volé). Et avec le temps, il mûrira en disciple et apôtre du Christ.


Quel « coup tranchant » vient dans mon existence accomplir ce que l’appel du Christ a fait pour Zachée, ce que le couteau d’Amos faisait pour les figues de sycomore ? Les crises qui nous déstabilisent ne peuvent-elles pas devenir ce geste chirurgical où le scalpel des évènements nous pousse à produire du fruit autrement (et du meilleur !) ? Sans faire l’éloge du malheur, peut-on au moins le subvertir en y faisant résonner un appel à revenir à l’essentiel : « descends vite » et à tisser d’autres liens : « il faut que j’aille demeurer chez toi » ?

De la catastrophe personnelle à la crise économique, en passant par tant de faillites collectives ou privées, Amos-aux-sycomores ou Zachée sur ses branches ne figurent-t-ils pas la possibilité de porter du fruit autrement, à travers le scalpel de la parole de Dieu, acérée et à double tranchant (Ap 1,16 ; He 4,12) ?


Nous sommes des inciseurs de sycomores qui entaillons les certitudes de nos contemporains – ce que Jésus appellera la circoncision du cœur – pour qu’ils s’ouvrent à plus grand qu’eux, en se détournant du mal commis. Cela demande de tailler, de trancher, de couper, avec le scalpel de la Parole de Dieu. Amos n’a pas hésité à blesser l’orgueil des puissants qui menaient le peuple à sa perte, afin qu’ils comprennent l’impasse où les menait leur inconduite. N’hésitons pas à faire de même, avant que les désastres se reproduisent !

 

4. L’homme qui dérange

amos-and-amazia-205581_9 sycomoreÉvidemment, une parole aussi incisive ne plaît pas à tout le monde ! Elle choque, elle dérange, elle menace des intérêts puissants. Amos est l’empêcheur de profiter en rond qui insupporte les prêtres de Béthel : « Puis Amatsia dit à Amos : Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda ; c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète » (Am 7,12).

Les « voyants » en Israël ont toujours été persécutés : « “C’est un peuple rebelle, ce sont des fils menteurs, des fils qui n’acceptent pas d’écouter la loi du Seigneur, eux qui disent aux voyants : “Ne voyez pas !” et aux prophètes : “Ne prophétisez pas pour nous des choses vraies, dites-nous des choses agréables, prophétisez des chimères » (Is 30,9-10).

Jésus ne fera pas exception à loi d’exclusion : « Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous, il témoigne de ce qu’il a vu et entendu, et personne ne reçoit son témoignage » (Jn 3,32).

‘Va prophétiser ailleurs ! Ici tu nous déranges !’ : combien de chrétiens se font ainsi mettre à la porte d’un pays, d’une mafia, d’une entreprise, voire même d’une Église !

Jésus nous a prévenus : le serviteur n’est pas au-dessus de son maître. Si les marchands du Temple, les vendeurs d’idoles, sont dérangés dans leur trafic, ils réagiront violemment. Les narcotrafiquants d’aujourd’hui ne font que mettre leurs pas dans les criminels d’hier…

Ne pas déranger serait presque inquiétant pour un chrétien dans son entreprise, sa famille, son pays : si le sel s’affadit, on le jette dehors et il sera foulé aux pieds (Mt 5,13).

Et Jésus nous ordonnait de ne pas nous taire, en disant de ses disciples : « S’ils se taisent, les pierres crieront ! » (Lc 19,40)

Comme Amos, on nous priera souvent d’aller prophétiser ailleurs, nous et nos visions d’apocalypse ! Réjouissons-nous alors : « heureux êtes-vous si on vous insulte… » (Mt 5,11).

 

Conclusion

Amos est donc notre Jiminy Cricket intérieur. Il est l’incarnation de l’Esprit de notre baptême qui nous fait voir les choses autrement (l’homme-aux-visions), porter bien haut la lourde responsabilité chrétienne (l’homme-au-fardeau), tailler dans le vif des certitudes ambiantes (l’homme-aux-sycomores), sans avoir peur de secouer le désordre établi (l’homme qui dérange)…

_____________________________

[1]. Le nom du personnage a été choisi par Walt Disney mais était, d’après l’Oxford English Dictionary, en usage depuis 1848 sous la forme d’une exclamation remplaçant « Jésus-Christ » pour éviter le blasphème. Cette expression provient elle-même probablement d’une déformation de Geminy Christmas (ou Jeminy), attesté depuis au moins 1664 par euphémisation de Jesu domini.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Va, tu seras prophète pour mon peuple » (Am 7, 12-15)

Lecture du livre du prophète Amos
En ces jours-là, Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos : « Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda; c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète. Mais ici, à Béthel, arrête de prophétiser; car c’est un sanctuaire royal, un temple du royaume. » Amos répondit à Amazias : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les sycomores. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël.’ »

Psaume
(Ps 84 (85), 9ab.10, 11-12, 13-14)
R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut.
(Ps 84, 8)

J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin.

Deuxième lecture
« Il nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde » (Ep 1,3-14)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. Ainsi l’a voulu sa bonté, à la louange de gloire de sa grâce, la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé. En lui, par son sang, nous avons la rédemption, le pardon de nos fautes. C’est la richesse de la grâce que Dieu a fait déborder jusqu’à nous en toute sagesse et intelligence. Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté, selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ : pour mener les temps à leur plénitude, récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre. En lui, nous sommes devenus le domaine particulier de Dieu, nous y avons été prédestinés selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé : il a voulu que nous vivions à la louange de sa gloire, nous qui avons d’avance espéré dans le Christ. En lui, vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit promis par Dieu est une première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous obtiendrons, à la louange de sa gloire.

Évangile
« Il commença à les envoyer » (Mc 6,7-13) Alléluia. Alléluia. Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia. (cf. Ep 1, 17-18)

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs, et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. » Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage » Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
Patrick BRAUD

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30 juin 2024

À côté de leurs pompes !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

À côté de leurs pompes !

 

Homélie pour le 14° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

07/07/24

 

Cf. également :

Je t’envoie vers les nations rebelles
Nul n’est prophète en son pays
Quelle est votre écharde dans la chair ?
Le Capharnaüm de la mémoire : droit à l’oubli, devoir d’oubli
La grâce étonne ; c’est détonant !
Un nuage d’inconnaissance
La parresia, ou l’audace de la foi
Secouez la poussière de vos pieds
Avez-vous la nuque raide ?


De l’art de contraposer

« Nul n’est prophète en son pays » : la célèbre maxime citée par Jésus ce dimanche (Mc 6,1-6) nous est familière. Peut-être trop. Alors, pour la voir sous un nouveau jour, attachons-nous à la proposition équivalente obtenue par contraposition.

En logique, on montre en effet que si « A implique B », alors « non B implique non A ». Cette seconde  proposition s’appelle la contraposée de la première. Par exemple, la contraposée de : « tout homme est mortel » est : « si quelqu’un est immortel, alors ce n’est pas un homme ».

Le formalisme mathématique de la contraposition s’écrit :

Contraposée

Notre proverbe évangélique peut ainsi subir cette transformation : la contraposée de Mc 6,1 doit être vraie ! « Nul n’est prophète en son pays » implique que « si quelqu’un est prophète, c’est un étranger ».

Prophète pas Patrie

Nul n'est prophète en son paysVue sous cet angle, la contraposée appliquée à Jésus nous donne :

« Jésus est prophète, donc il passe pour étranger aux yeux de ses compatriotes de Nazareth ».

Comme s’il fallait que le Christ reste un étranger pour que notre foi se réveille !

À Nazareth, son village natal, Jésus n’est pas reconnu comme prophète. Mais à Capharnaüm, la ville cosmopolite d’à côté, où il élira domicile à cause peut-être de ce rejet par Nazareth, là il sera reconnu et on aura foi en lui ! Être un familier de Jésus (de sa famille, son village, sa terre, son Église) est donc un handicap, car le manque d’étrangeté de sa parole et de sa personne nous empêchera de le reconnaître tel qu’il est…

On devine que l’avertissement est sévère pour les frères et sœurs de Jésus (et même sa mère), pour ses voisins d’enfance, comme il est sévère pour les vieux chrétiens baptisés depuis longtemps qui ont l’impression de connaître Jésus par cœur !

À nous de l’entendre…


Vous avez dit bizarre… comme c’est bizarre !

À côté de leurs pompes ! dans Communauté spirituelleSi rien ne nous choque en Jésus, nous passons à côté.

Si rien ne nous dérange chez lui, nous l’assimilerons à ce que nous en avons déjà découvert, c’est-à-dire bien peu.

Si rien ne nous heurte dans sa parole, c’est que nous avons transformé l’Évangile en un petit  système bien-pensant enclos sur nos propres convictions.

La plupart du temps, ce manque d’étonnement vient du fait que nous sélectionnons les seuls passages qui nous plaisent dans sa vie, dans les textes, si bien que nous pratiquons déjà ce que les réseaux sociaux ont érigé en machine de guerre pour capter notre attention : l’enfermement algorithmique. Sur une page Facebook par exemple, on vous suggérera d’autres pages qui vont dans le même sens, et un peu plus loin même. Si vous êtes complotistes, on vous suggérera des pages antivax. Si vous êtes sur un tweet dénonçant le massacre à Gaza, on vous proposera d’autres tweets vantant la « résistance » du Hamas ou dénonçant le « génocide sioniste » etc.

Eh bien, certains lisent la Bible de la même manière, en s’enfermant mutuellement dans des passages et des interprétations qui vont toujours dans leur sens, en sélectionnant certains versets et en fermant les yeux sur d’autres. Ce type de lecture s’enferme dans des opinions préétablies. Le texte devient un pré-texte.

En réalité, exercez-vous non pas à chercher dans la Bible les passages qui vous plaisent, mais au contraire ceux qui vous choquent. N’allez pas y sélectionner ce que vous aimez déjà, ce que vous aimez bien : affrontez-vous à ce qui vous y pose question, ce que vous ne comprenez pas. De même que l’argumentation rationnelle demande de penser contre soi-même, en s’obligeant à examiner sérieusement les objections à notre opinion première (comme Saint Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique : sed, a contra…), la Bible demande de la lire contre elle-même.

S’il n’y a rien de bizarre pour moi dans l’Évangile, comment Jésus pourrait-il se manifester à moi comme prophète ?

Si je ne me laisse pas surprendre par sa parole et ses actes, je suis de Nazareth et pas de Capharnaüm.

Si je ne me bats pas avec les passages obscurs, avec les versets qui me déplaisent, comment la Bible pourrait-elle devenir parole de Dieu pour moi ? Elle ne sera qu’un écho de mon système de pensée. Un peu comme le miroir magique de la méchante reine de Blanche Neige : « Miroir, mon gentil miroir, qui est la plus belle du royaume ? »…

Saint Augustin osait affirmer : « Si tu comprends, ce n’est pas Dieu » (Sermon 117).

Denys l’Aréopagite enfonçait le clou : « Et si, en voyant Dieu, on comprend ce que l’on voit, ce n’est pas Dieu qu’on a contemplé, mais bien quelqu’une des choses qui sont de lui, et que nous pouvons connaître. Pour lui, supérieur à tout entendement, à toute existence, il subsiste suréminemment, et il est connu d’une manière transcendante, par cela même qu’il ne subsiste pas, et qu’on ne le connaît pas. Et cette absolue et heureuse ignorance constitue précisément la science de celui qui surpasse tous les objets de la science humaine » (Lettre première. À Caïus, thérapeute).

Les voisins de Jésus de Nazareth croyaient le connaître, c’est pourquoi ils n’ont pas cru en lui. Prenons garde de ne pas tomber dans ce piège de la familiarité trompeuse…


La paroisse d’à côté

À fréquenter cet étrange prophète, nous en deviendrons nous-même étranger pour les autres. À nous laisser conduire ailleurs à cause de la parole surprenante du prophète de Capharnaüm, nous en viendrons nous-même à habiter ailleurs, à quitter Nazareth pour Capharnaüm. Autrement dit, nous serons toujours en léger décalage avec la moyenne sociale. C’est pour cela que la paroisse s’appelle ainsi ! Le mot paroisse vient de l’étymologie : la maison d’à côté, la résidence en pays étranger (παροικια = παρα, à côté +  οικια, maison). La maison (oikia) d’un paroissien (paroikos) ne sera jamais que « voisine »  sans jamais être complètement intégrée dans la cité. Celui qui séjourne dans un peuple (dèmos)  sans en faire partie restera un parepidèmos = à côté du peuple : son séjour, fût-il long, ne lui permettra jamais de se fondre dans la communauté de ses habitants. Il  sera toujours à côté (par-oikios et par-epi-dèmos).

Capharnaüm à côté de Nazareth Les paroissiens ne sont pas donc des citoyens comme les autres. Ils sont à côté, ils ne se fondent pas dans la masse, mais gardent une différence, une altérité qui les rend étrangers, voire étranges, aux yeux des gens normaux. Pierre encourageait sa communauté à tenir bon dans cette différence : « Bien-aimés, puisque vous êtes comme des étrangers (paroikos) résidents ou de passage (parepidēmos), je vous exhorte à vous abstenir des convoitises nées de la chair, qui combattent contre l’âme. » (1P 2,11). Nous appartenons à notre milieu social et professionnel, et en même temps nous sommes à côté. Notre patrie de cœur est ailleurs (« Mon royaume n’est pas de ce monde… »). Nous sommes comme en séjour en pays étranger. Et la paroisse est l’assemblée de tous ces disciples qui sont à côté, non pas de leurs pompes, mais des pompes de ce siècle ! Ils ne suivent pas les modes et les idoles, les « pompes » mondaines. Si bien que les autres ont vraiment l’impression que les paroissiens sont à côté de leurs pompes à eux…

C’est ce que Dieu avait annoncé à Abraham : « Va vers toi… Mais sache que tes descendants seront étrangers dans un pays qui ne sera pas le leur » (Gn 15,13). Même lorsqu’Israël se sera installé sur une terre, YHWH n’aura de cesse de lui rappeler qu’il est un étranger de passage : « La terre ne sera pas vendue sans retour, car la terre est à moi et vous n’êtes pour moi que des immigrés, des hôtes » (Lv 25,23).

« Nous ne sommes devant toi que des immigrés, des hôtes comme tous nos pères » (1Ch 29,15).

« Je suis un étranger sur la terre ; ne me cache pas tes volontés » (Ps 118,19).

« Entends ma prière, Seigneur, écoute mon cri ; ne reste pas sourd à mes pleurs. Je ne suis qu’un hôte chez toi, un passant, comme tous mes pères » (Ps 38,13).

Et Paul rappelle aux Hébreux que leur foi les rend citoyens d’une autre patrie que leur terre natale : « C’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses, qu’ils sont tous morts ; mais ils l’avaient vue et saluée de loin, affirmant que, sur la terre, ils étaient des étrangers et des voyageurs. Or, parler ainsi, c’est montrer clairement qu’on est à la recherche d’une patrie » (He 11,13–14).

Maintenir vivante la flamme de l’étrangeté du Christ afin de le reconnaître comme prophète : c’est là un trait fondamental de la paroisse, cette maison d’à côté qui joue le rôle de Capharnaüm pour Nazareth.

Les paroissiens ne se choisissent pas s’ils viennent à l’église de la paroisse géographique, en répondant à l’appel qui les fait sortir de chez eux (en grec, Église se dit ekklesia [ek/kaleo] = l’assemblée des appelés au-dehors). Le critère géographique fait que normalement on ne choisit pas son voisin de banc à l’église paroissiale, qui du coup est le relativement étrange m’empêchant de faire de l’Église un club, un parti, un syndicat ou un lobby, ou de faire du Christ le prétexte pour me conforter dans ce que je crois déjà.

Car l’entre-soi rend sourd aux paroles prophétiques. Une paroisse qui brasse tous les âges, toutes les catégories socioprofessionnelles, les handicaps, les votes et les cultures aura plus de chance d’écouter Jésus comme le prophète de Capharnaüm que celle où tout le monde pense pareil, s’habille dans les mêmes boutiques, et dont les enfants vont dans les mêmes écoles…


Nul n’est prophète en son pays

– Quelle est la part d’étrange que je cultive dans ma foi, afin qu’elle reconnaisse la nouveauté prophétique du Christ aujourd’hui ?

– Quelle est ma part d’étranger en ce monde, me faisant demeurer à côté et non comme tous les autres ?

Car pour être prophète, il nous faut accepter d’être un peu étranger, et donc de passer sans cesse de Nazareth à Capharnaüm…



LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« C’est une engeance de rebelles ! Qu’ils sachent qu’il y a un prophète au milieu d’eux ! » (Ez 2, 2-5)

Lecture du livre du prophète Ézékiel
En ces jours-là, l’esprit vint en moi et me fit tenir debout. J’écoutai celui qui me parlait. Il me dit : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers une nation rebelle qui s’est révoltée contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi. Les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné ; c’est à eux que je t’envoie. Tu leur diras : ‘Ainsi parle le Seigneur Dieu…’ Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas – c’est une engeance de rebelles ! – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »

PSAUME
(Ps 122 (123), 1-2ab, 2cdef, 3-4)
R/ Nos yeux, levés vers le Seigneur, attendent sa pitié. (cf. Ps 122, 2)

Vers toi j’ai les yeux levés,
vers toi qui es au ciel,
comme les yeux de l’esclave
vers la main de son maître.


Comme les yeux de la servante
vers la main de sa maîtresse,
nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu,
attendent sa pitié.


Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous :
notre âme est rassasiée de mépris.
C’en est trop, nous sommes rassasiés
du rire des satisfaits, du mépris des orgueilleux !

DEUXIÈME LECTURE
« Je mettrai ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure » (2 Co 12,7-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, les révélations que j’ai reçues sont tellement extraordinaires que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. Par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.

ÉVANGILE
« Un prophète n’est méprisé que dans son pays » (Mc 6, 1-6)
Alléluia. Alléluia. L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (Lc 4,18ac)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet. Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi. Alors, Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.
Patrick Braud

 

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23 juin 2024

Où est la maman ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Où est la maman ?

 

Homélie pour le 13° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

30/06/24

 

Cf. également :

Toucher les tsitsits de Jésus

La générosité de Dieu est la nôtre
Les matriochkas du 12

 

1. « Où est la maman ? »

Elle est où mamanCe tweet un brin provocateur de Marion Maréchal réagissait à la publication le 22 avril dernier sur les réseaux sociaux de photos de deux bébés jumeaux obtenus par GPA pour un couple homosexuel de personnalités françaises (le célèbre couturier Simon Porte Jacquemus et son époux Marco Maestri). Évidemment, une belle polémique a aussitôt enflé…

 

Quitte à choquer, il faut peut-être se poser la même question en écoutant le récit double des deux guérisons enchâssées l’une dans l’autre de l’Évangile de ce dimanche (Mc 5,21-43) ! En effet, un père arrive pour supplier Jésus de guérir sa petite fille. Mais où est sa femme ? Pourquoi ne vient-il pas avec la mère de l’enfant ? Pourquoi n’en parle-t-il même pas ? Il dit : « ma petite fille », mais sans la mère ce possessif sonne comme un symptôme, ou une cause possible. Il aurait au moins pu supplier : « notre fille est à toutes extrémités ». Et à 12 ans, ce n’est plus tout à fait la fillette à son papa…

Fin psychologue, Jésus a remarqué tout de suite ce lien malsain entre un père et sa fille qui ne veut plus grandir, comme si elle ne voulait pas devenir femme… L’allusion à la nourriture en finale pourrait laisser penser d’ailleurs que l’enfant se laissait peut-être mourir d’anorexie… ? En tout cas, c’est lui Jésus qui réintroduira la mère à la fin du récit pour que les parents soient tous les deux ensemble afin que la fillette se relève et devienne une femme (il n’y a pas d’adolescence dans les sociétés anciennes : on passait directement de l’enfance à l’âge adulte par les rites de l’initiation traditionnelle, la Bar-mitsva par exemple pour les juifs).


Il faut donc les deux parents pour que Jésus puisse ressusciter l’enfant. Pourquoi ? Sans doute parce que l’image de la mère était tellement dégradée ou absente chez la fillette qu’elle ne voulait pas accéder à ce stade de croissance, et se bloquait sur l’âge de 12 ans. Un indice de ce déficit d’image maternelle chez la fillette est le récit central de la guérison de la femme hémorroïsse. Voilà une femme qui a l’âge d’être sa mère et qui ne peut pas à cause de son impureté religieuse. Elle pourrait prendre sa place dans la société, mais en est exclue à cause de sa maladie honteuse. Elle est aux yeux de tous une femme déréglée, dans tous les sens du terme, incapable de donner la vie, incapable de s’unir, incapable d’être aimée par un homme, socialement marginalisée à cause de tout cela. Tant que cette image féminine et maternelle n’est pas restaurée dans toute sa dignité, comment la petite fille pourrait-elle avoir envie de devenir femme ? Sa mère est absente, transparente. Elle vit dans une société où les femmes sont fétichisées sur la base de leur sexualité, comme le montre le cas de l’hémorroïsse. D’ailleurs on ne connaît pas son nom, ni celle de la femme. Alors qu’on sait que Jaïre était brillant en société, comme son nom l’indique (en hébreu : Jaïre = 
אִיר = brille). L’homme brille en société, la femme est invisibilisée, anonyme, confinée à l’intérieur de la maison : triste constat social qui n’a guère changé dans bien des pays !

Bref : mieux vaut s’endormir dans la mort – se dit la petite fille inconsciemment – que d’affronter ce monde d’adultes où le statut des femmes est si peu enviable !

Si on ajoute à cela la relation possessive et étouffante que Jaïre semble entretenir avec sa fille, on comprend qu’elle dépérisse sous la double tutelle paternelle et sociale.

 

Où est la maman ? dans Communauté spirituelleLa révolution opérée par Jésus rétablit une juste relation père–fille en y réintroduisant la mère absente, et la reconnaissance sociale des femmes (guérison de l’hémorroïsse, un peu à l’insu de son plein gré il est vrai !). 

« Lève-toi ! » : sa parole d’autorité relève la fille de son sommeil mortifère. En latin, cette autorité qui vient du verbe augere = augmenter, qui a donné auctor = auteur = celui qui augmente : la véritable autorité fait grandir l’autre.

« Faites-la manger » marque la réintroduction des parents dans leur responsabilité d’éducation, en donnant à leur enfant la nourriture pour devenir capable de les quitter un jour, autrement que par la mort.

 

Voilà donc quelques pistes intéressantes de cet Évangile pour devenir des parents « acceptables » : ne pas posséder ni étouffer nos enfants, les éduquer à deux, homme et femme, restaurer la dignité féminine et masculine menacée par les dérèglements de tous ordres, assumer une parole d’autorité qui fait grandir l’autre, le nourrir de toutes les nourritures dont il a besoin pour devenir lui-même.

Ajoutons au passage – pour ne pas trop malmener Jaïre ! – que ce père brillant, et qui plus est chef de synagogue, a quand même consenti à se prosterner aux pieds de Jésus pour le supplier, et ce en public. Il a donc mis son orgueil dans sa poche de chef (de famille, de synagogue etc.) qu’il était, et il a reconnu avoir besoin de Jésus pour sa fille.

Que tous les petits chefs en tous genres entendent cet appel à l’humilité… !

 

2. Unir la liturgie communautaire et l’intimité avec le Christ

Une autre lecture de ce récit double est possible. Le fait que Jaïre soit chef de synagogue nous met la puce à l’oreille : ce n’est pas un détail. Autre précision intrigante : pourquoi Marc prend-il soin de nous dire que seuls Pierre, Jacques et Jean ont été associés à cette résurrection dans la maison de Jaïre ? Autre détail : les 12 ans de la fillette et de pertes de sang de la femme renvoient bien sûr aux 12 tribus d’Israël, et aux 12 Apôtres piliers de l’Église.

L'ÉGLISE ET LA SYNAGOGUEVous avez deviné : Marc nous parle en filigrane du passage de la synagogue à l’Église, qui commence à s’effectuer dans les années 70–80 où il écrit. L’enjeu est de passer de la synagogue à la maison, de Jaïre à Jésus, de la foule à l’intimité de 7 personnes dans une chambre, des 12 d’Israël aux Douze de l’Église. Selon cette grille de lecture – que les Pères de l’Église ont développée à l’envi ! – la fillette qui se lève femme est l’Église, fille de la synagogue (Jaïre), qui devient adulte par rapport à elle, et qui ira vers les païens.

 

Jaïre en cours de récit doit faire une entorse à ses principes religieux dont il est pourtant le représentant. Lui, le chef de la petite communauté juive locale, sait pertinemment que la Loi déclare impurs ceux qui ont touché des impurs comme des lépreux, des pendus, des femmes ayant des pertes de sang pendant leurs règles. Normalement, il ne devrait plus laisser Jésus s’approcher de lui ni de sa maison ni de sa fille après qu’il ait été touché par l’hémorroïsse : car Jésus est devenu impur par contact ! Tous ceux qui s’engagent auprès des impurs de ce siècle savent que, par capillarité, ils subiront le même opprobre, le même rejet que ceux dont ils sont les compagnons d’infortune.

Jaïre ose désobéir à cet interdit de la Torah sur la pureté rituelle, car la vie de sa fille est en jeu. Voilà une condition pour bénéficier de la résurrection offerte par le Christ : se libérer des interdits religieux qui sont contre la vie. Interdits alimentaires, vestimentaires, sexuels, sociaux, rituels, liturgiques… : tant de prescriptions purement humaines – présentées comme divines – continuent d’étouffer la liberté des peuples plus qu’un père possessif n’opprime son enfant !

 

Dans ce passage de la synagogue à l’Église, que viennent faire Pierre, Jacques et Jean ? À l’évidence, ils sont là tous les trois parce qu’ils sont là à la Transfiguration sur le mont Thabor et qu’ils seront là à l’agonie sur le Mont des Oliviers. Autrement dit : passer par la Transfiguration–Passion–Résurrection est le chemin de tout membre de l’Église. Marc a voulu montrer que la puissance de l’Église est celle du Christ défiguré dans sa Passion, transfiguré dans sa Résurrection. Hors de cette voie, l’Église s’égare à chercher une domination politique, une puissance législative, culturelle, politique, morale ou même spirituelle. La seule arme de l’Église pour relever l’humanité blessée est la participation à la Passion–Résurrection du Christ.

 

Ces relevailles de la fillette se font dans l’intimité de sa chambre, à la maison, et non en public devant l’assemblée de la synagogue. On peut y voir une critique du ritualisme juif lorsqu’il est trop obsédé par la pratique scrupuleuse et ostentatoire des 613 commandements, par les rites à faire et la liturgie à suivre.

 

 Eglise dans Communauté spirituelleÊtre ressuscité demande une intimité avec le Christ, dans la chambre, avec quelques témoins choisis. Liturgie communautaire (synagogue) et intimité avec le Christ (chambre de la maison) : sans négliger la première, expérimenter la seconde est indispensable pour devenir chrétien, debout, en marche.

 

Dernier détail enfin : Jésus demande en finale aux parents de faire manger leur fille. Il faut en effet nourrir les catéchumènes adultes (ou enfants) après leur baptême. Notre responsabilité en Église est de ne pas les laisser tomber, mais de les accompagner, en les nourrissant du pain de la Parole, de l’amitié partagée dans la communauté locale, de la solidarité vécue avec les plus démunis. Tant de paroisses baptisent sans nourrir après ! « Faites-la manger » : on y entend également un écho du célèbre « Donnez-leur vous-mêmes à manger » de la multiplication des pains. Si nous n’offrons pas en Église une nourriture solide (sur tous les plans) à ceux qui entendent l’appel du Christ, nous ne nous rendrons même pas compte qu’ils repartent sur la pointe des pieds, en silence…

 

Les étapes du passage de la synagogue à l’Église sont claires : se prosterner aux pieds de Jésus en reconnaissant en lui celui qui peut nous ressusciter ; abandonner les interdits religieux qui empêchent de guérir l’humanité blessée ; unir la liturgie communautaire et l’intimité avec le Christ ; vivre la Passion–Résurrection–Transfiguration avec Pierre, Jacques et Jean ; nourrir du pain de la parole et de l’amour fraternel ceux qui se lèveront en entendant l’appel du Christ.

 

Conclusion

Une fillette devient femme, une femme exsangue redevient pure, la synagogue devient Église : méditons notre Évangile cette semaine à partir de ces quelques pistes.

Comment devenir des parents acceptables ?
Comment unir la liturgie et l’intimité, la foule des chemins et la chambre de la maison ?

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 1, 13-15 ; 2, 23-24)

 

Lecture du livre de la Sagesse

Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il les a tous créés pour qu’ils subsistent ; ce qui naît dans le monde est porteur de vie : on n’y trouve pas de poison qui fasse mourir. La puissance de la Mort ne règne pas sur la terre, car la justice est immortelle.
Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il a fait de lui une image de sa propre identité. C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde ; ils en font l’expérience, ceux qui prennent parti pour lui.

 

PSAUME
(29 (30), 2.4, 5-6ab, 6cd.12, 13)
R/ Je t’exalte, Seigneur : tu m’as relevé. (29, 2a)

 

Je t’exalte, Seigneur : tu m’as relevé,
tu m’épargnes les rires de l’ennemi.
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.

 

Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu’un instant,
sa bonté, toute la vie.

 

Avec le soir, viennent les larmes,
mais au matin, les cris de joie.
Tu as changé mon deuil en une danse,
mes habits funèbres en parure de joie.

 

Que mon cœur ne se taise pas,
qu’il soit en fête pour toi,
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu,
je te rende grâce !

 

DEUXIÈME LECTURE
« Ce que vous avez en abondance comblera les besoins des frères pauvres » (2Co 8, 7.9.13-15)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, puisque vous avez tout en abondance, la foi, la Parole, la connaissance de Dieu, toute sorte d’empressement et l’amour qui vous vient de nous, qu’il y ait aussi abondance dans votre don généreux ! Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. Il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres, il s’agit d’égalité. Dans la circonstance présente, ce que vous avez en abondance comblera leurs besoins, afin que, réciproquement, ce qu’ils ont en abondance puisse combler vos besoins, et cela fera l’égalité, comme dit l’Écriture à propos de la manne : Celui qui en avait ramassé beaucoup n’eut rien de trop, celui qui en avait ramassé peu ne manqua de rien.

 

ÉVANGILE
« Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! » (Mc 5, 21-43)
Alléluia. Alléluia. Notre Sauveur, le Christ Jésus, a détruit la mort ; il a fait resplendir la vie par l’Évangile. Alléluia. (2 Tm 1, 10)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus regagna en barque l’autre rive, et une grande foule s’assembla autour de lui. Il était au bord de la mer. Arrive un des chefs de synagogue, nommé Jaïre. Voyant Jésus, il tombe à ses pieds et le supplie instamment : « Ma fille, encore si jeune, est à la dernière extrémité. Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. » Jésus partit avec lui, et la foule qui le suivait était si nombreuse qu’elle l’écrasait.

Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans… – elle avait beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins, et elle avait dépensé tous ses biens sans avoir la moindre amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré – … cette femme donc, ayant appris ce qu’on disait de Jésus, vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement. Elle se disait en effet : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. » À l’instant, l’hémorragie s’arrêta, et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal. Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule, et il demandait : « Qui a touché mes vêtements ? » Ses disciples lui répondirent : « Tu vois bien la foule qui t’écrase, et tu demandes : “Qui m’a touché ?” » Mais lui regardait tout autour pour voir celle qui avait fait cela. Alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. Jésus lui dit alors : « Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal. »

Comme il parlait encore, des gens arrivent de la maison de Jaïre, le chef de synagogue, pour dire à celui-ci : « Ta fille vient de mourir. À quoi bon déranger encore le Maître ? » Jésus, surprenant ces mots, dit au chef de synagogue : « Ne crains pas, crois seulement. » Il ne laissa personne l’accompagner, sauf Pierre, Jacques, et Jean, le frère de Jacques. Ils arrivent à la maison du chef de synagogue. Jésus voit l’agitation, et des gens qui pleurent et poussent de grands cris. Il entre et leur dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort. » Mais on se moquait de lui. Alors il met tout le monde dehors, prend avec lui le père et la mère de l’enfant, et ceux qui étaient avec lui ; puis il pénètre là où reposait l’enfant. Il saisit la main de l’enfant, et lui dit : « Talitha koum », ce qui signifie : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi! » Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher – elle avait en effet douze ans. Ils furent frappés d’une grande stupeur. Et Jésus leur ordonna fermement de ne le faire savoir à personne ; puis il leur dit de la faire manger.
.Patrick Braud

 

 

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16 juin 2024

Meunier, tu dors ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Meunier, tu dors ?

 

Homélie pour le 12° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

24/06/24

 

Cf. également :

Jesus, don’t you care ?

Passage obligé 

Le dedans vous attend dehors

Le pourquoi et le comment

Qui a piqué mon fromage ?
L’amour du prochain et le « care »
La croissance illucide


Meunier, tu dors ?

Les enfants d’aujourd’hui chantent-ils encore la comptine que des générations avant eux connaissaient par cœur ?

Meunier tu dorsR/ Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop vite

Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop fort

 

Meunier tu dors, et le vent souffle souffle

Meunier tu dors, et le vent souffle fort

Les nuages, les nuages viennent vite,

Et l’orage et l’orage gronde fort !

Les nuages, les nuages viennent vite,

Et l’orage et l’orage gronde fort !

Le vent du Nord a déchiré la toile

Meunier, tu dors, ton moulin est bien mort

Dans notre Évangile de ce dimanche (Mc 4,35-41), Jésus est un peu le meunier de la comptine.
Pourquoi dort-il alors que la barque menace de chavirer ?
Le reproche des disciples n’est-il pas également le nôtre : où es-tu pendant que nous sombrons ?


1. Erreur de casting

Meunier, tu dors ? dans Communauté spirituelle image%2F1484046%2F20210626%2Fob_9dadd0_jesus-apaise-la-tempete-1Un premier élément de réponse vient de la place occupée par Jésus dans la barque. On se serait attendu à ce que les disciples le mettent à l’avant, en figure de proue, pour les avertir des dangers lors de la traversée du lac en furie. Ou bien ils auraient pu lui confier le gouvernail : avec Jésus à la barre, rien à craindre ! Eh bien non : ils l’ont cantonné dans la cabine arrière, sous le gouvernail. On a retrouvé une grande barque de pêcheurs de Tibériade où effectivement il y a un espace protégé, comme une cabine arrière, ne gênant pas les manœuvres, sous la grande barre manœuvrant le gouvernail. Les disciples ont donc fait une erreur de casting : ils n’ont pas attribué à Jésus le rôle de vigie ou de pilote, mais de fret en soute…

L’erreur est manifeste lorsqu’ils l’appellent pour le réveiller : « Maître (cela ne te fait rien que nous périssions ?) ». « Maître », (διδσκαλος, didaskalos, qui a donné didascalie =  enseignement supérieur) c’est un titre de respect certes, mais à distance, qualifiant Jésus sous l’angle du savoir. Or le savoir ne suffit pas pour accéder à Jésus, comme l’avait montré l’épisode du possédé de Capharnaüm : « je sais qui tu es » (Mc 1,24). Les démons savent, mais ne sauvent pas. Les disciples se sont mis eux-mêmes dans la peau d’élèves studieux voulant appliquer les leçons de leur maître sans leur maître.

Au moins l’épisode de la tempête aura fait chavirer leur point de vue ! Car, à la fin, ils ne sont plus sûrs du tout de connaître la véritable identité de celui qu’ils appelaient Maître : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

Cette erreur de casting des piètres marins de Tibériade, nous la faisons souvent ! Nous acceptons peut-être Jésus comme passager, mais plus comme un poids mort que comme vigie ou pilote, plus comme un colis à trimbaler qu’un compas à consulter régulièrement, plus comme une leçon apprise qu’un GPS ou un sonar…

À quelle place se trouve Jésus dans notre barque ?

Pour mieux apprécier le sommeil de Jésus, regardons maintenant de plus près le verbe employé par Marc : καθεδω (katheudō), dormir. Il a des harmoniques très signifiantes dans l’Ancien Testament. Examinons deux ou trois d’entre elles.

 

2. Chez les marins : le syndrome Jonas

Jonas dort dans la cale du bateau en pleine tempêteLe verbe καθεδω (dormir) est employé dans la LXX (traduction grecque de l’Ancien Testament) pour le prophète Jonas, lui aussi dans un bateau, lui aussi dans la tempête. Tiens, ce n’est sûrement pas un hasard !

« Les matelots prirent peur ; ils crièrent chacun vers son dieu et, pour s’alléger, lancèrent la cargaison à la mer. Or, Jonas était descendu dans la cale du navire, il s’était couché et dormait d’un sommeil mystérieux » (Jon 1,5).

L’histoire est connue, et rappelle furieusement notre épisode de Tibériade : une embarcation est chahutée par les flots ; l’équipage a peur. Ils se demandent pourquoi l’orage les malmène, et commencent à chercher un coupable. Le juif Jonas embarqué pour fuir Ninive la païenne leur apparaît comme un coupable tout désigné (par le truchement d’un tirage au sort). Désigner un juif coupable du malheur ambiant, c’est vieux comme les juifs eux-mêmes hélas…

Le reproche fait à Jonas rejoint celui fait à Jésus : ‘Pourquoi dors-tu ? C’est de ta faute si nous coulons’.

 

Faire des reproches au dieu absent est un marronnier de la littérature. L’homme ne voit en Dieu que l’aide qu’il peut lui apporter, comme un maquignon ne voit que le lait et la viande, pas la vache. Il nous faut inverser cette logique pour guérir du syndrome Jonas (la désignation d’un coupable) : c’est nous qui pouvons et devons aider Dieu, pas l’inverse ! La jeune juive hollandaise Etty Hillesum – si proche du christianisme – l’avait compris au milieu des jours sombres du ghetto de Varsovie :

une-vie-bouleversee-lettres-de-westerbork barque dans Communauté spirituelle« Je vais T’aider, mon Dieu, à ne pas T’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas Toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons T’aider – et, ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de Toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à Te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres. 

Oui, mon Dieu, Tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne T’en demande pas compte, c’est à Toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un Jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement, presque à chaque pulsation de mon cœur, que Tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de T’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui T’abrite en nous ».

Prière du Dimanche matin 12 juillet 1942 composée par Etty Hillesum (1914-1943), morte au camp de concentration d’Auschwitz le 30 novembre 1943.

 

Dieu serait peut-être en droit de nous faire des reproches : lui, pas nous. 

Dieu ne peut guère nous aider de manière magique, c’est à nous de l’aider, par notre foi, à apaiser la tempête qui nous déstabilise.

 

Le syndrome Jonas frappe les disciples de plein fouet. La ressemblance avec Jonas est accentuée par la destination de la traversée du lac : Gérasa (Mc 5,1), en plein territoire païen (Transjordanie actuelle), comme Ninive la grande ville païenne. On ne va pas chez les païens avec un maître d’université, fut-il prestigieux. On y va avec l’autorité du Christ sur les forces du mal. Le troupeau de porcs qui se précipitera du haut de la falaise dans le lac symbolisera cette libération du mal que le Christ apporte en plénitude à tous les peuples (Mc 5,13).

Et, comme pour Jésus, les marins du navire de Jonas s’interrogent alors sur sa véritable identité : « Quel est ton métier ? D’où viens-tu ? Quel est ton pays ? De quel peuple es-tu ? » (Jon 1,8).

 

Reconnaître ne pas connaître le Christ en vérité est le début du salut, notamment pour ceux qui sont « tombés dans la marmite quand ils étaient petits ». 

« Non sum » (je ne suis pas le Messie) avait humblement avoué Jean-Baptiste à ceux qui le prenaient pour le Christ. « Non cognosco » (je ne connais pas) est l’humble confession de non-savoir du vrai disciple qui refuse d’instrumentaliser le Christ comme maître, magicien, guérisseur etc.

 

3. Le coussin de Jésus

il_794xN.2579871073_lgft CantiqueLe texte grec dit que Jésus dormait, sur un coussin ou un oreiller : προσκεφλαιον (proskefalaion) ; littéralement : pour la tête. Ce terme est un hapax (usage unique) du Nouveau Testament. Il n’y a que deux autres usages dans la Bible, et c’est dans la traduction grecque du livre d’Ézéchiel. Le terme hébreu (mal) traduit par oreiller ou coussin est en réalité une amulette magique : סֶת (ke.set), faite de cordelettes autour du poignet : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : Quel malheur pour celles qui cousent des cordelettes à tous les poignets, qui fabriquent des voiles pour les têtes de diverses tailles, afin de capturer des vies ! Vous capturez la vie des gens de mon peuple, et voulez conserver la vôtre ? » (Ez 13,18). Cela fait sans doute allusion à d’obscures pratiques magiques, où des ‘sorcières’ attachaient des cordelettes aux poignets pour prendre possession des âmes de certains : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici, je m’en prends à vos cordelettes, avec lesquelles vous capturez les vies comme des oiseaux. Je les déchirerai sur vos bras, et je libérerai les vies que vous avez capturées comme des oiseaux » (Ez 13,20.) Une sorte de filtre d’amour ou de haine, de possession…

 

Faire allusion à ce passage d’Ézéchiel avec notre mot grec προσκεφλαιον si rare n’est pas une coïncidence. On peut y lire la dénonciation de tout usage magique du nom de Jésus. En laissant Jésus reposer sur ce coussin / lié par ces cordelettes, les disciples retombaient en quelque sorte dans le péché d’idolâtrie. Ils faisaient de Jésus une chose pour conjurer la tempête, un savoir magistral pour dominer les païens, un talisman pour éviter les naufrages. La tête sur ce coussin, Jésus reste un point mort, une chose qu’on manipule, une religion qu’on instrumentalise pour le pouvoir. Libéré de cet oreiller / cordelette, réveillé / ressuscité, Jésus devient une interrogation plus qu’un maître à penser, un compagnon plus qu’un bagage, un libérateur plus qu’une doctrine.

 

Et nous : quand avons-nous la tentation d’instrumentaliser le nom de Jésus ? Ou de le faire fonctionner comme une amulette ?

 

4. Chez Jésus, le syndrome Samuel

Samuel était couché dans le temple du Seigneur, où se trouvait l’arche de Dieu.Le verbe καθεδω (être couché, dormir) est utilisé cinq fois pour Samuel dans le célèbre passage de sa vocation nocturne (1S 3,3-10). Trois fois, le jeune Samuel couché dans le Temple entend dans son sommeil une voix l’appeler. Trois fois il se lève pour aller demander à Eli si c’est lui qui a parlé, et trois fois Eli lui répond : « non sum », ce n’est pas moi. Si bien que la dernière fois sera la bonne : « Parle Seigneur, ton serviteur écoute ».

En reprenant ce verbe, Marc trace – consciemment ou non – un parallèle entre Jésus et Samuel. Tous deux dorment à un moment crucial de leur existence où il leur faudra prendre une décision : accepter d’être le prophète de YHWH et aller oindre David roi (pour Samuel) ; aller libérer les païens du mal (pour Jésus ; cf. le possédé de Gérasa) juste après son débarquement sur l’autre rive. Il est bien question de vocation, d’appel dans les deux  cas. Comment servir YHWH (Samuel) ? Comment servir la volonté du Père (Jésus) ?

Car le succès remporté en Galilée a littéralement vidé Jésus : il est crevé, au point que ses disciples l’emportent « tel qu’l est », en vrac, épuisé et au creux de la vague (!) : « Et maintenant, que vais-je faire ? Continuer à prêcher et guérir en territoire juif, ou me risquer à annoncer l’Évangile aux païens ? »

Le sommeil de Jésus est sa façon de se reconnecter à YHWH au-delà de la griserie des premiers succès, en laissant les forces de son inconscient spirituel recomposer en lui son désir le plus fort pendant son sommeil.

Souvenez-vous : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort » (Ps 126,2)…

« Dans tes démarches, les préceptes de ton père te guideront, dans ton sommeil, ils te garderont, à ton réveil, ils te tiendront compagnie » (Pr 6,22).

 

Le syndrome Samuel est pour Jésus le retour à l‘écoute après la prédication, le laisser-faire au lieu du calcul, le choix de demeurer serviteur plus que Maître.

 

Que cet heureux syndrome de Samuel devienne nôtre, lorsque les succès nous auront tourné la tête, lorsque nous nous n’écouterons plus qu’une seule voix, la nôtre !

 

5. Je dors, mais mon cœur veille
Gustav Klimt : Le baiser 1907-1908Avec Jonas et Samuel, le verbe dormir fait encore irrésistiblement penser au Cantique des cantiques : « je dors, mais mon cœur veille » (Ct 5,2). La bien-aimée est assoiffée du désir du bien-aimé, et le sommeil est pour elle une autre façon de veiller : celle où, justement parce que les barrières de surmoi sont levées, le cœur peut discerner celui qui vient « de nuit ». Jésus dort comme la bien-aimée du Cantique des cantiques : il est en quête de son Père, il désire son désir, il se laisse façonner par l’accomplissement de ce désir, « sur l’autre rive ». Si la tempête ne le réveille pas, c’est que sa veille est d’un autre ordre : veiller à rester fidèle à l’ouverture universelle de sa mission (Gérasa), sans se laisser accaparer ni instrumentaliser par ses disciples.

Et ce n’est pas une tempête qui le distraira de cette veille-là ! Par pitié pour le manque de foi de son équipage, il consent à faire un geste pour les rassurer. Mais son but est ailleurs : à Gérasa, sur l’autre rive, où l’attend parmi les tombeaux une humanité enchaînée qui s’automutile…

 

Alors, ce coup de vent Force 4 ou 5 Beaufort, ce n’est pas ça qui va le détourner de son but dont il vient de renforcer la prise de conscience pendant son sommeil !

« Je dors, mais mon cœur veille… » : si nous ne faisions qu’un avec Jésus / la bien-aimée, nous resterions alignés sur le cap vrai de notre combat intérieur, sans laisser le bruit et la fureur du monde nous détourner de notre vocation.…

 

Il y a encore d’autres usages bibliques du verbe dormir de ce dimanche. Mais Jonas, Samuel et la Bien-aimée du Cantique des cantiques nous en disent assez pour pratiquer nous aussi ce sommeil réparateur, où la vision intérieure de notre mission se construit en nous, illucide, sans que nous sachions comment (Mc 4,27)…

Souvenez-vous : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort » (Ps 126,2)…

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots ! » (Jb 38, 1.8-11)

 

Lecture du livre de Job

Le Seigneur s’adressa à Job du milieu de la tempête et dit : « Qui donc a retenu la mer avec des portes, quand elle jaillit du sein primordial ; quand je lui mis pour vêtement la nuée, en guise de langes le
nuage sombre ; quand je lui imposai ma limite, et que je disposai verrou et portes ? Et je dis : “Tu viendras jusqu’ici ! tu n’iras pas plus loin, ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots !” »

 

PSAUME
(106 (107), 21a.22a.24, 25-26a.27b, 28-29, 30-31)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !Éternel est son amour !ou : Alléluia ! (106, 1)

 

Qu’ils rendent grâce au Seigneur de son amour,
qu’ils offrent des sacrifices d’action de grâce,
ceux qui ont vu les œuvres du Seigneur
et ses merveilles parmi les océans.

 

Il parle, et provoque la tempête,
un vent qui soulève les vagues :
portés jusqu’au ciel, retombant aux abîmes,
leur sagesse était engloutie.

 

Dans leur angoisse, ils ont crié vers le Seigneur,
et lui les a tirés de la détresse,
réduisant la tempête au silence,
faisant taire les vagues.

 

Ils se réjouissent de les voir s’apaiser,
d’être conduits au port qu’ils désiraient.
Qu’ils rendent grâce au Seigneur de son amour,
de ses merveilles pour les hommes.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Un monde nouveau est déjà né » (2 Co 5, 14-17)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, l’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous, et qu’ainsi tous ont passé par la mort. Car le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. Désormais nous ne regardons plus personne d’une manière simplement humaine : si nous avons connu le Christ de cette manière, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. Si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né.

 

ÉVANGILE
« Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? » (Mc 4, 35-41)
Alléluia. Alléluia. Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. Alléluia. (Lc 7, 16)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Toute la journée, Jésus avait parlé à la foule. Le soir venu, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. » Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d’autres barques l’accompagnaient. Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait. Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme. Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »
.Patrick Braud

 

 

 

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