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5 mai 2024

La case vide de l’Ascension

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La case vide de l’Ascension

 

Homélie pour la fête de l’Ascension / Année B 

09/05/24

 

Cf. également :

Ascension : sur la terre comme au ciel
Ascension : apprivoiser la disparition
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : les pleins pouvoirs
Désormais notre chair se trouve au ciel !
Jésus : l’homme qui monte
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : l’ascenseur christique
Une Ascension un peu taquine : le temps de l’autonomie
Les vases communicants de l’Ascension
Ton absence
Le messianisme du trône vide
Se réjouir d’un départ

 

La circoncision et l’icône

Des amis m’ont raconté récemment la circoncision de leur petit-fils, car leur fille a épousé un juif américain. Belle fête familiale le 8e jour, avec un symbolisme religieux très fort tournant autour de l’Alliance (la circoncision se dit « brit milah » en hébreu = coupure d’alliance). Un détail les a intrigué et amusé : pendant tout le repas, une place est restée vide, avec sa chaise et ses couverts mis, sans que personne n’ose s’y asseoir ni encore moins l’enlever. La case vide de l’Ascension dans Communauté spirituelle icone_pentecote_novgorodOn a demandé pourquoi, et le rabbin a répondu : « c’est la chaise du prophète Élie, qui doit rester vide jusqu’à son retour à la fin des temps ».

Cette histoire d’Élie emporté au ciel par un chariot de feu (2R 2,11) fait irrésistiblement penser à notre récit de l’Ascension (Ac 1,1-11). Les supporters anglais qui chantent à tue-tête : « swing low, sweet chariot », sur les gradins du temple du rugby qu’est Twickenham ne savent pas tous qu’ils chantent pour être eux aussi enlevés au ciel grâce à ce chariot doux et bringuebalant, « coming for to carry me home »…

Comme Élie, Jésus ressuscité est élevé au plus haut ; comme lui il reviendra à la fin des temps ; comme pour lui, sa place à la table de l’Église depuis lors doit rester vide. Il s’agit de ne pas occulter le manque fondamental qui nous constitue comme êtres de désir et d’attente (du retour d‘Élie/du Christ ici).

 

Contemplez l’icône de la Pentecôte. Les Douze sont en arc de cercle autour du vieillard couronné enfermé dans le noir qui représente l’humanité captive. L’Esprit est posé sur chacun des Douze, faisant ainsi de l’Église l’accomplissement des promesses faites à cette humanité.

Le plus curieux est ce trou béant au sommet. 

Il y a comme un passage de cheminée qui coupe l’arc de cercle en deux, en l’empêchant d’être complet. 

Il y a une chaise vide entre les 6 de droite et les 6 de gauche. 

Il y a une brèche, une ouverture par laquelle l’Esprit va se diffuser à toute l’humanité à travers les Douze. 

Ce vide spirituel est celui de l’Ascension, car la place du Christ élevé au plus haut des cieux doit rester inoccupée ici-bas. Il n’est plus ici devant nos yeux, et personne ne doit prendre sa place. L’Église pratique la politique de la chaise vide, jusqu’à la fin des temps !

 

Explorons quelques-unes des significations de cette place vide de l’Ascension pour nous aujourd’hui.

 

1. Une histoire ouverte

71vKtn8quCL._SL1318_ absence dans Communauté spirituelleL’icône est ouverte : grâce à ce vide, l’Église ne forme pas un cercle fermé. Le vieillard captif peut entrevoir le ciel à travers cette ouverture. Et l’Esprit peut descendre sur tous sans que les Douze fassent obstacle.

À l’image du cercle des Douze, notre histoire elle aussi est ouverte. 

En topologie, on dit d’un espace qu’il est ouvert s’il existe en lui une suite convergente dont la limite n’appartient pas à cet espace [1]. Notre histoire est topologiquement ouverte, car la suite de nos moments avec Dieu converge vers un avenir au-delà de l’histoire. 

À l’inverse, une société se ferme lorsqu’elle ne connaît pas d’autres limites que celles qu’elle se choisit [2]. Les idoles individualistes et libérales de l’Occident réduisent leurs citoyens à leur liberté et leur intérêt individuels, sans autre horizon qu’eux-mêmes. Les idoles communistes, nationalistes, ethniques ou musulmanes ne font pas mieux, avec leurs sociétés totalitaires où seules comptent la masse, la nation, l’ethnie, l’Oumma.

 

Depuis l’Ascension, notre histoire est ouverte. Elle est parcourue par un souffle de transcendance qui nous appelle à lever la tête, à regarder au-delà de l’horizon, à discerner les trouées par lesquels l’Esprit du Christ vient en nous. La mort de Jésus a déchiré le rideau du Temple, et les cieux se sont ouverts. Voilà pourquoi nous sommes partisans d’une société ouverte, qui ne boucle pas sur elle-même. La liturgie, l’art, l’émerveillement, la beauté de la nature, l’humilité, la communion amoureuse etc. sont des ouvertures où soudain le ciel se déchire et laisse entrevoir un au-delà de nous-mêmes.

 

Fêter l’Ascension, c’est donc pratiquer des brèches pour nous ouvrir à l’Esprit du Christ ; c’est construire une société ouverte qui ne boucle pas sur elle-même.

 

2. La réserve eschatologique

9782227486041 AscensionUne première conséquence de l’ouverture historique est de ne jamais établir de jugement définitif, ni de savoir éternel. L’histoire n’est pas finie. Il peut arriver tant d’autres choses encore… Ne croyez pas ceux qui vous disent que la monarchie/la république/l’empire/la démocratie/le parti sont indépassables. Ne croyez pas que quelque chose est écrit dans le marbre pour toujours ! Il n’y a rien d’éternel ici-bas. Ce qui a été fait par les hommes aujourd’hui sera défait par eux demain. Ce qui paraît solide va s’écrouler. Ce qui devait durer s’achèvera. Les règnes de 1000 ans sont des cauchemars…

« Elle passe la figure de ce monde » (1Co 7,31). On l’a déjà dit : une vérité est provisoire, en attendant que d’autres vérités l’englobent ou l’effacent. Une vérité est négative, car elle ne peut dire ce qui est vrai, seulement ce qui est faux ; elle reconnaît ne pas savoir encore en plénitude : ce sera seulement ‘à la fin’…

 

En théologie, on appelle cela la réserve eschatologique. Puisque l’histoire n’est pas fermée, bien malin qui pourrait prétendre avoir le dernier mot, le mot final, le mot ultime ! Les chrétiens ont un devoir de réserve qui les empêche d’adhérer totalement aux idéologies de leur temps, car elles ne sont que passagères. Puisque l’Ascension a ouvert une brèche dans les systèmes fermés, nous avons toujours une réserve à émettre dans les obéissances que réclame notre époque. Nous ne sommes jamais libéraux à 100 %, ni démocrates à 100 %, ni partisans à 100 %. Nous avons toujours une double appartenance : l’une, loyale, à la conduite de ce siècle la moins mauvaise possible, et l’autre, fondamentale, au royaume de Dieu qui transcende toute réalisation partielle.

« Ils croyaient leur maison éternelle, leur demeure établie pour les siècles ; sur des terres ils avaient mis leur nom » dit le psaume (Ps 49,12) : n’imitons pas ces hommes comblés de leurs possessions, car « l’homme comblé ne dure pas, il ressemble au bétail qu’on abat ».

 

L'hétimasie représentée dans les fresques de Giotto à Assise

L’hétimasie représentée dans les fresques
de Giotto à Assise

3. La dénonciation de toute usurpation du pouvoir « au nom de… »
La place du Christ demeure vide depuis son départ vers le Père. Celui qui voudrait s’asseoir à sa place serait donc un usurpateur ! Même le vicaire du Christ ne devrait pas – en théorie – se substituer à lui. On voit que cette place vide sur l’icône est une puissante contestation de toute usurpation du pouvoir « au nom de »…
Au nom du peuple, que de crimes n’a-t-on pas commis !
Au nom de Dieu, que de croisades et d’inquisitions n’a-t-on pas légitimé !
Au nom de la justice, que de vengeances et de représailles !

Un rite liturgique symbolise cette contestation avec force : dans une basilique orthodoxe, le trône du patriarche est toujours au-dessous d’un autre trône, qui reste vide celui-là. C’est le trône du Christ parti auprès du Père, et ce vide préside à toute célébration.
Si quelqu’un prend sa place, comment se laisser guider par le Christ ? Belle contestation de l’usurpation du pouvoir « au nom de… » !
Ainsi, même avec leurs incroyables chasubles d’or et d’argent, leurs couronnes rutilantes, leur air grave et important, les patriarches reconnaissent qu’ils ne sont pas au centre. Car le centre de l’Église est vide depuis l’Ascension, comme était vide le Saint des Saints du Temple de Jérusalem. Ceux qui prétendent parler au nom du Christ en son absence doivent vérifier constamment qu’ils ne prennent pas sa place, qu’ils n’usurpent pas son trône, qu’ils ne lui volent pas la vedette.

Pour nous, citoyens ordinaires, fidèles sans habit chamarré, sa place vide est notre légitimité pour contester toute tyrannie dans la société ou dans l’Église. Elle fonde notre égale dignité, car par elle l’Esprit est répandu sur chacun, et pas sur quelques-uns seulement.

 

4. L’acceptation joyeuse de l’absence

Parle-moi de ton absenceC’est donc une bonne nouvelle que cette place vide !

C’est donc une joyeuse absence que l’absence du Christ ! 

Il avait reproché à ses disciples d’être trop possessifs dans leur attachement à lui : « si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je pars vers le Père ». « Il est bon pour vous que je m’en aille ». Lorsque vous accepterez l’absence comme cette ouverture vers le ciel, alors « votre joie sera parfaite ».

Depuis l’Ascension, il nous est offert de vivre les absences qui nous marquent comme de joyeuses promesses. La plupart des gens pleurent sur eux-mêmes en pleurant leurs morts. Si nous les aimions vraiment pour eux-mêmes, nous nous réjouirions de les espérer en Dieu.

 

Ce parti-pris d’espérance ne vaut pas que pour les êtres qui nous manquent. Il joue aussi dans les situations apparemment sans issue, dans les souffrances insupportables, dans les tyrannies qui n’en finissent pas. L’espérance en un au-delà de l’histoire nous dit que ni les tyrans, ni la souffrance, ni les impasses ne seront éternels. Le mal n’aura pas le dernier mot. Avec cette espérance chevillée au corps, qu’avons-nous à craindre ?

À la mesure des 3,8 milliards d’années de notre Terre et des 4,6 milliards d’années du système solaire, quelle folie d’appeler éternelles des aventures de quelques décennies, siècles ou millénaires ?

 

Le rite orthodoxe évoqué plus haut, qui laisse vide le trône du Christ dans la cathédrale au-dessus de celui de l’évêque, s’appelle hétymasie, du grec ἑτοιμασία = etoimasia = préparer, selon les termes de Jésus dans l’Évangile de Jean : « Je pars vous préparer une place. Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi » (Jn 14,2-3). La chaise vide nous rappelle que le Christ est parti nous préparer une place auprès de son Père, et que personne ne doit prendre sa place d’ici là…

 

La place vide de l’Ascension garantit notre place personnelle avec le Christ en Dieu. Si un ami véritable me promet une place gratuite avec lui le long de la Seine pour la cérémonie d’ouverture des JO, je n’irai certainement pas prendre d’autres rendez-vous ce jour-là : je laisserai mon agenda vide et disponible pour profiter de l’aubaine…

L’espérance maintient ouverte notre histoire, notre société.

La désespérance nous replie, nous recroqueville sur nous-mêmes.

Depuis l’Ascension, toutes les absences qui nous taraudent deviennent sources de joie et d’espérance.

 

5. La part du pauvre

Une forme ‘dégradée’ de l’Ascension est la place laissée vide à la table des repas familiaux.

Quand j’étais enfant, j’ai souvent vu la table de mes grands-parents comporter une assiette de plus que le nombre de membres de la famille réunis autour du repas. Ma grand-mère disait : « il faut toujours garder la part du pauvre. Si quelqu’un arrive à l’improviste, un mendiant ou un employé qui n’a rien prévu, l’assiette en plus est pour lui ». Laisser une place vide au repas familial empêche la famille de croire qu’elle est au complet : il lui manque toujours quelqu’un. Le pauvre qui a là sa part figure le Christ qui arrivera à la fin des temps à l’improviste et s’invitera à notre table.

 

Café Suspendu : le plaisir du partageCette belle coutume de la part du pauvre a disparu depuis l’individualisation à outrance de la prise de nos repas : sur le pouce, tout seul, sans conversation avec les autres, trop souvent vissé devant un écran. Pas tout à fait cependant, comme en témoigne la pratique généreuse des « cafés suspendus », où des clients payent un café ou plat en plus que ce qu’ils ont consommé, afin que le restaurateur l’offre aux plus démunis ensuite…

De manière émouvante, la communauté juive de Tel-Aviv a célébré le shabbat du vendredi 20 octobre 2023 en dressant une immense table de shabbat devant le Musée d’Art avec 203 chaises vides. Ces vides garantissaient à chacun des otages enlevés par le Hamas le 7 octobre qu’ils ont toujours leur place au milieu des leurs.

 

Inventons d’autres « parts du pauvre » à laisser vides, comme doit rester vide le trône du Christ élevé au ciel, que les puissants n’ont pas le droit d’occuper. 

Dans l’atelier, l’open-space, à l’hypermarché, au restaurant… : comment pourrions-nous continuer à garder la part du pauvre pour ne pas oublier ceux qui nous manquent ? Pour ne pas oublier le Christ qui nous manque encore davantage ? Inviter ceux qui sont seuls à Pâques, à Noël ou autre fête commune est une façon de prolonger cette tradition.

Si l’affamé est une figure du Christ, ne pas lui faire de la place à notre table serait le renier aux yeux de tous. Le Christ de l’Ascension n’est pas localisé ici ou là, il peut surgir à l’improviste où il veut. S’il n’y a pas d’espace libre pour l’accueillir, comment pourra-t-il nous nourrir comme il a fait pour les disciples d’Emmaüs ? La part du pauvre nous appelle à garder du temps, de l’attention, de l’amour pour l’imprévu, pour l’événement. Un agenda rempli à ras bord ne saura pas nous rendre disponibles. Une vie sans vide est un espace fermé sur lui-même, fermé à Dieu. Offrez « un café suspendu », laissez une part du pauvre à votre table, une case vide dans votre agenda, une disponibilité à l’événement.…

 

L’Ascension du Christ possède toutes ces harmoniques et bien plus encore : une histoire ouverte, avec un devoir de réserve qui nous rend libres face aux puissants ; une acceptation joyeuse de l’absence, dans l’espérance ; une part du pauvre qui ouvre le cercle familial, amical ou social.

Pour une fois, faisons l’éloge de cette case vide, et ne la remplissons avec rien ! 

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[1]. Espace ouvert

[2]. Cf. Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis (2 tomes).

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva » (Ac 1, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis. C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu.
Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. Il déclara : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs, qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »
 
PSAUME
(46 (47), 2-3, 6-7,8-9)

R/ Dieu s’élève parmi les ovations, le Seigneur, aux éclats du cor. ou : Alléluia ! (46, 6)
Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.

Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !

Car Dieu est le roi de la terre,
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.
 
DEUXIÈME LECTURE
« Parvenir à la stature du Christ dans sa plénitude » (Ep 4, 1-13)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous exhorte donc à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. À chacun d’entre nous, la grâce a été donnée selon la mesure du don fait par le Christ. C’est pourquoi l’Écriture dit : Il est monté sur la hauteur, il a capturé des captifs,il a fait des dons aux hommes. Que veut dire : Il est monté ? – Cela veut dire qu’il était d’abord descendu dans les régions inférieures de la terre. Et celui qui était descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux pour remplir l’univers. Et les dons qu’il a faits, ce sont les Apôtres, et aussi les prophètes, les évangélisateurs, les pasteurs et ceux qui enseignent. De cette manière, les fidèles sont organisés pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude.
 
ÉVANGILE
« Jésus fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (Mc 16, 15-20)

Alléluia. Alléluia. Allez ! De toutes les nations faites des disciples, dit le Seigneur. Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Alléluia. (Mt 28, 19a.20b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus ressuscité se manifesta aux onze Apôtres et leur dit : « Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils expulseront les démons ; ils parleront en langues nouvelles ; ils prendront des serpents dans leurs mains et, s’ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s’en trouveront bien. »

Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. Quant à eux, ils s’en allèrent proclamer partout l’Évangile. Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient.
Patrick Braud

 

 

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28 avril 2024

Dieu premier Aimant

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu premier Aimant

 

Homélie du 6° Dimanche de Pâques / Année B 

05/05/24

 

Cf. également :

Êtes-vous entourés d’amis ou des serviteurs ?
L’Esprit nous précède
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif
Le communautarisme fait sa cuisine
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Les chrétiens sont tous des demeurés
Jésus que leur joie demeure
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
« Passons aux barbares »…


La puce et l’éléphant

Dieu premier Aimant dans Communauté spirituelle dessin_de_mila_cpcUne puce voyageait avec une de ses amies dans l’oreille d’un éléphant. L’éléphant passe sur une passerelle en bois qui tremble sous le poids de l’animal. Arrivé à l’autre bout de la passerelle, la puce dit à son amie : « Tu as vu comme on a fait trembler le pont ! »

 

Nous sommes souvent cette puce enivrée d’exploits qui ne sont pas les siens. Et le risque est grand d’être excité comme une puce en entendant le commandement central du christianisme en ce dimanche (Jn 15,9-17) : « aimez-vous les uns les autres ». Nous croyons un peu trop vite que c’est un à nous d’abord d’aimer en premier. Nous faisons de ce commandement une morale d’injonction, alors que c’est une morale de réponse. Pour les chrétiens, aimer n’est pas un préalable (au salut, au pardon, à la communion) mais une conséquence. La preuve ? Notre Évangile commence par rappeler que le Christ nous a aimés d’abord, sans aucun mérite de notre part : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ». Et notre deuxième lecture (1Jn 4,7-10) enfonce le clou : « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés ».

Jean insiste avec force sur l’antériorité divine : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ».

 

On ne le répétera jamais assez, surtout dans notre culture occidentale volontariste et pélagienne : aimer pour la Bible est un passif, car nous sommes aimés avant que de pouvoir aimer en retour. Ce passif est très actif, car il suscite une réponse d’amour à la hauteur du don reçu.

 

Se laisser choisir

i-want-you amour dans Communauté spirituelleOn présente quelquefois la Confirmation des adolescents comme le sacrement de leur engagement chrétien adulte. Grossière erreur ! L’intention pastorale est d’instrumentaliser ce sacrement pour maintenir les jeunes au caté ou à l’aumônerie le plus longtemps possible, ou pour sacraliser leur adhésion supposée pleinement volontaire. Mais les trois sacrements de l’initiation chrétienne sont normalement conférés en une seule fois. Cela est manifeste lors du baptême d’adultes qui sont confirmés pour être solidement ancrés dans l’Esprit de Dieu, puis eucharistiés pour nourrir la vie divine en eux, dans cet ordre (baptême-confirmation-eucharistie). Les orthodoxes donnent ces trois sacrements aux bébés qu’ils baptisent, pour souligner que la grâce divine est vraiment gratuite, donnée sans condition avant même que nous puissions répondre.

Bref : nous sommes choisis par Dieu avant que de le choisir en réponse. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ».

Les termes : militant, engagement, effort, impératif moral etc. sont ambigus, et même dangereux s’ils conduisent à faire comme la puce de l’éléphant en s’attribuant une capacité de croire/aimer/pardonner qui n’est pas la nôtre.

Le cardinal Jean-Marie Aaron Lustiger a explicité comment « le choix de Dieu » [1] a bouleversé sa vie. Le jeune juif Aaron Lustiger a été choisi par Dieu pour devenir le cardinal de Paris : il ne l’a pas obtenu à force de le vouloir, il a accepté le choix fait par Dieu en sa faveur. De même, selon Lustiger, le choix de Dieu envers le peuple juif n’est pas une performance d’Israël qui aurait fait le bon choix, mais une responsabilité confiée par Dieu à Israël de témoigner de son Alliance afin que toutes les nations entrent dans leur alliance propre et singulière.

Autrement dit : le choix de Dieu est un génitif subjectif (c’est Dieu qui en est le sujet) qui engendre ensuite un génitif objectif (Dieu fait l’objet d’un choix). Mais l’action de Dieu est première, comme le barrit l’éléphant à sa puce…

 

Le Choix de Dieu - LustigerSe laisser choisir par Dieu a des conséquences très concrètes :

- ne pas tout décider dans sa vie mais accueillir ce que l’Esprit nous dit à travers les événements

- ne pas tout décider par soi-même mais accepter que d’autres interviennent

- ne pas tout programmer ni planifier, mais laisser une ouverture pour l’imprévu, l’étrange

- ne pas s’enorgueillir du chemin déjà parcouru mais rendre grâce pour ce qui m’a été donné.

« Qui donc t’a mis à part ? As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1Co 4,7). Ce n’est pas à la force du poignet que je réussirai ma vie ! Ce n’est pas en serrant les dents et en me calant sur le mythe prométhéen du self-made-man (ou woman !) que je réaliserai vraiment ma vocation. On voudrait nous faire croire que l’indépendance et l’autonomie sont la clé de voûte de notre dignité : grossière erreur à nouveau ! C’est dans la relation, donc dans l’interdépendance et dans l’échange mutuel don/contre-don que nous devenons plus humains.

 

Un débat dans l’histoire a marqué la réception de cette phrase de l’Évangile : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ». C’est le débat sur la prédestination, que Calvin a porté à son incandescence. Le réformateur est tellement obnubilé par la gratuité du salut que seule la foi permet d’accueillir qu’il en conclut que Dieu librement nous destine au ciel ou à l’enfer, et que nous ne pouvons rien y faire, même si cela nous paraît incompréhensible :

« Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire de chaque homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition, mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à l’éternelle damnation. Ainsi, selon la fin à laquelle est créé l’homme, nous disons qu’il est prédestiné à mort ou à vie » (Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, 1541).

 

Cette doctrine de la prédestination a même – selon le grand sociologue allemand Max Weber – encouragé le développement du capitalisme occidental. En effet, le calviniste veut savoir – avec angoisse – de quel côté de la prédestination Dieu l’a rangé. Il va chercher à se rassurer en regardant si sa richesse augmente. Car Dieu bénit ses élus en leur accordant prospérité et réussite, selon l’Ancien Testament tel que Calvin le lit. Donc travailler dur, s’enrichir, vivre sobrement dans l’esprit des Béatitudes, épargner pour réinvestir à nouveau etc. : voilà la martingale du calviniste qui vérifie dans ses affaires que Dieu l’a bien prédestiné au ciel et non à l’enfer. Voilà pourquoi, selon Max Weber, il y a une « affinité élective » entre « l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme ».

 

On le voit : durcir à l’extrême l’antériorité du choix de Dieu est aussi dangereux que l’annulation de la grâce par la morale du mérite.

Le juste milieu est sans doute de garder le cap de la passivité-active tenant ensemble l’initiative première de Dieu et la libre réponse nécessaire de l’homme. La passivité-active de Marie reste à cet égard le modèle qui conjugue grâce divine et coopération humaine. Et il nous faut maintenir avec Paul que Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité » (1 Tm 2,4).

Se laisser choisir est alors le chemin proposé à tout homme, quelle que soit sa religion, sa culture, son histoire.

 

Se laisser aimer

Accepter-de-se-laisser-aimer-692x415 choisir« Celui qui aime est né de Dieu » (1Jn 4,7) Or naître ne relève pas d’abord de notre volonté. Ce sont nos parents qui en premier ont voulu nous faire naître, ou qui n’ont pas voulu, comme le rappelle avec désolation le chiffre des 245 000 IVG en France en 2022. Le premier, Dieu nous fait naître, en nous aimant inconditionnellement. Nos parents humains ont pour vocation de participer à cet amour premier : hélas, ils faillissent souvent, allant même jusqu’à ne pas faire naître… Les enfants non-nés ne nous manquent pas, et c’est bien là le drame. En Dieu, l’amour est offert, du début à la fin, sans reniement.

 

Se laisser aimer n’est pas si facile en réalité. On sait que beaucoup ont du mal dans un couple à se laisser aimer par l’autre, physiquement, émotionnellement, intellectuellement… Se raidir sous la caresse, se refuser à l’invitation amoureuse, croire qu’on n’est pas digne, s’épuiser à vouloir ‘être à la hauteur’, ou au contraire se laisser aller par amertume et déception… : les voies sont multiples qui reviennent à se dérober à l’amour de l’autre ! Il en est de même dans notre relation à Dieu, et d’ailleurs les deux vont ensemble : se raidir sous l’impulsion de l’Esprit, imaginer un Dieu-surmoi inatteignable, ou désespérer de lui, ou se croire indigne de lui…

En fait, se laisser aimer n’est pas le résultat de notre volonté : c’est là encore le fruit de l’accueil du don gratuit que Dieu nous fait de nous-mêmes.

Recevoir de Dieu la capacité de nous laisser aimer est une forme d’abandon spirituel, mobilisant activement toutes nos ressources.

 

Se laisser aimanter

 LustigerUne image peut nous aider à visualiser comment Dieu nous façonne à travers son choix et son amour. Prenez un tas de limaille de fer, informe et gris, sur une feuille de papier. Passez au-dessus de lui un fort aimant. Vous verrez se dessiner des lignes de force qui tout d’un coup transforment le tas de limaille en figure géométrique ordonnée et structurée. C’est l’attraction magnétique de l’aimant qui opère cette métamorphose. Ainsi fait Dieu avec nous : par la force de son attraction d’amour, il nous fait émerger de l’animalité, il dessine en nous des lignes de force spirituelles. En nous choisissant, il nous structure à son image et à sa ressemblance.

En nous laissant faire par cette attraction amoureuse, nous prenons forme divine, nous devenons nous-mêmes, nous naissons à la vie véritable.

 

Dieu est en ce sens le premier Aimant de l’homme, de tout l’homme, tous les hommes.

Le Christ, élevé de terre, nous attire à lui mieux que l’aimant la limaille ; il nous suscite comme des êtres de désir, capables d’aimer en réponse à son amour, jusqu’à aimer ceux qui ne nous aiment pas comme il le fit lui-même. Jusqu’à aimer nos ennemis. Pour un palestinien ou un ukrainien, cela résonne comme un appel impossible, sauf si cela ne vient pas de nous mais nous est donné par un autre…

 

Nous sommes la petite puce dans l’oreille de l’éléphant qui peut s’émerveiller : « tu vois comment nous avons fait trembler le pont ! », en sachant bien que l’éléphant a fait le plus gros…

 

La pucelle d’Orléans avait choisi comme devise : Dieu premier servi. Nous pouvons la paraphraser : Dieu premier Aimant est la devise des artisans de paix, des martyrs, des champions des Béatitudes…

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[1]. Jean-Marie Lustiger, Le choix de Dieu, Ed. de Fallois, 1987.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Même sur les nations païennes, le don de l’Esprit Saint avait été répandu » (Ac 10, 25-26.34-35.44-48)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Comme Pierre arrivait à Césarée chez Corneille, centurion de l’armée romaine, celui-ci vint à sa rencontre, et, tombant à ses pieds, il se prosterna. Mais Pierre le releva en disant : « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi. » Alors Pierre prit la parole et dit : « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. » Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole. Les croyants qui accompagnaient Pierre, et qui étaient juifs d’origine, furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l’Esprit Saint avait été répandu. En effet, on les entendait parler en langues et chanter la grandeur de Dieu. Pierre dit alors : « Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint tout comme nous ? » Et il donna l’ordre de les baptiser au nom de Jésus Christ. Alors ils lui demandèrent de rester quelques jours avec eux.
 
PSAUME
(Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4)
R/ Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations. ou : Alléluia ! (Ps 97, 2)

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire.

Le Seigneur a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations ;
il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël.

La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
Acclamez le Seigneur, terre entière,
sonnez, chantez, jouez !

DEUXIÈME LECTURE
« Dieu est amour » (1 Jn 4, 7-10)

Lecture de la première lettre de saint Jean
Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour.
Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui. Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés.
 
ÉVANGILE
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 9-17)
Alléluia. Alléluia. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. »
Patrick Braud

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21 avril 2024

L’escargot pascal : tout un symbole !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’escargot pascal : tout un symbole !

 

Homélie du 5° Dimanche de Pâques / Année B 

28/04/24

 

Cf. également :

Les chrétiens sont tous des demeurés
Le témoin venu d’ailleurs
Que veut dire être émondé ?
La parresia, ou l’audace de la foi
Vendange, vent d’anges
Suis-je le vigneron de mon frère ?

 

On connaît les œufs de Pâques, le fertile lapin ou les poules en chocolat qui les accompagnent, les cloches qui reviennent de Rome au petit matin, ou encore la lumière du cierge pascal allumé au feu du même nom, le gigot d’agneau, le lys blanc et autres symboles de la Résurrection.

Mais avez-vous déjà imaginé l’humble escargot (la cagouille, le luma, comme on dit en Poitou-Charentes ou dans le Limousin) comme symbole de la vie nouvelle en Christ ?

Stéphane Bataillon, journaliste et poète, réhabilite ce mollusque du bestiaire chrétien (article du journal La Croix, 8 mars 2024, p. 16), et nous donne ainsi à penser quelques harmoniques de la fête de Pâques pour nous aujourd’hui : l’espérance enfouie sous terre, la participation à la mise au tombeau du Christ, la vie intérieure, le labyrinthe de la spirale spirituelle (qui n’est pas sans rappeler celui de Chartres ; cf. La danse pascale du labyrinthe).

Laissez l’escargot pascal nourrir votre méditation de la semaine… !

 

 

L’escargot pascal : tout un symbole !

 

Qui soupçonnerait l’escargot, en l‘observant chercher tranquillement l’ombre de nos jardins, de transporter avec lui l’imposante question de la Résurrection ? 

C’est pourtant bien l’une de ses nombreuses significations symboliques, à côté de la lenteur, de la féminité, de la force et de la modestie (portant seul sa coquille, son unique possession). 

 

En 1884, le naturaliste français Arnould Locard signalait dans son Histoire des mollusques dans l’Antiquité la présence dans les tombeaux des chrétiens et des martyrs de la Gaule et de l’Italie « de gastéropodes marins ou terrestres, entiers ou brisés, fixés à l’intérieur même des cercueils, dans lesquels le cadavre était déposé lorsqu’il n’était pas soumis à la crémation ». On retrouva par exemple en 1853 des coquilles d’escargots dans la tombe de saint Eutrope, premier évêque de Saintes. 

 

Un signe de reconnaissance… et d’espérance. Pourquoi ? 

 

Escargot pascalPendant la saison froide, l’escargot hiberne en créant un opercule de calcaire à l’entrée de sa coquille. Il s’enfonce dans la terre ou dans une crevasse pour bénéficier du peu de chaleur disponible et y demeure comme dans un tombeau. Il n’en ressortira qu’au printemps, plein de vie, saison de la résurrection fêtée à Pâques. Une période de trois mois également mise en parallèle avec les trois jours de l’ensevelissement de Jésus avant qu’il ne se relève (sens du mot résurrection). Si cette pratique, courante, semble avoir disparu après le premier millénaire, le Moyen Age a conservé l’escargot comme emblème de la résurrection. On le retrouve au XV° siècle dans un livre d’heures figuré près de la résurrection de Lazare ou sur le bas du portail méridional de la basilique Saint-Rémi de Reims. 

 

Présent sur de nombreuses représentations de pèlerins en chemin vers Dieu, l’escargot est aussi une allégorie d’une vie intérieure « retirée en Dieu » comme dans une coquille au secret. 

 

Un état spirituel loin statique et immobile mais toujours en dynamique, comme en témoigne la spirale, forme géométrique – tout un symbole – formant la carapace du gastéropode et également porteuse d’une riche symbolique. Motif ouvert, la spirale partant de son point d’origine est comme un labyrinthe sécurisé : un chemin circulaire où on ne peut se perdre, guidé par une confiance présente aux deux extrémités de l’existence. Une évolution douce, prudente, cyclique qui permet de grandir et de se déployer à son rythme. Le double mouvement possible en suivant cette spirale, du centre vers l’extérieur ou de l’extérieur vers le centre, évolution ou involution, renforce encore la thématique de cette tension toujours présente entre vie et mort. 

 

Mais la signification de l’escargot peut aussi être négative. Ainsi, dans le Lévitique (11,27), gluant et traînant sur le ventre, il est considéré comme impur et rapproché des vers se développant dans les cadavres. 

Cela fait peut-être beaucoup pour une si délicieuse petite bête !

 

 

À lire aussi : 

Bréviaire du colimaçon. Jacqueline Kelen, DDB, 2015.

L’escargot, Françoise et Yves Cranga, Éd. du bien public, 1991.

L’escargot. Anthologie présentée par Louis Dubost, col. Le bestiaire divin, Muséum national d’histoire naturelle/ Favre, 1998. 

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Barnabé leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur » (Ac 9, 26-31)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, arrivé à Jérusalem, Saul cherchait à se joindre aux disciples, mais tous avaient peur de lui, car ils ne croyaient pas que lui aussi était un disciple. Alors Barnabé le prit avec lui et le présenta aux Apôtres ; il leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur, qui lui avait parlé, et comment, à Damas, il s’était exprimé avec assurance au nom de Jésus. Dès lors, Saul allait et venait dans Jérusalem avec eux, s’exprimant avec assurance au nom du Seigneur. Il parlait aux Juifs de langue grecque, et discutait avec eux. Mais ceux-ci cherchaient à le supprimer. Mis au courant, les frères l’accompagnèrent jusqu’à Césarée et le firent partir pour Tarse.
L’Église était en paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie ; elle se construisait et elle marchait dans la crainte du Seigneur ; réconfortée par l’Esprit Saint, elle se multipliait.

PSAUME
(21 (22), 26b-27, 28-29, 31-32)
R/ Tu seras ma louange, Seigneur, dans la grande assemblée. ou : Alléluia ! (cf. 21, 26a)

Devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses.
Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ;
ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent :
« À vous, toujours, la vie et la joie ! »

La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur,
chaque famille de nations se prosternera devant lui :
« Oui, au Seigneur la royauté,
le pouvoir sur les nations ! »

Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ;
on annoncera le Seigneur aux générations à venir.
On proclamera sa justice au peuple qui va naître :
Voilà son œuvre !

DEUXIÈME LECTURE
« Voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de Jésus Christ et nous aimer les uns les autres » (1 Jn 3, 18-24)

Lecture de la première lettre de saint Jean
Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité. Voilà comment nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité, et devant Dieu nous apaiserons notre cœur ; car si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses.
Bien-aimés, si notre cœur ne nous accuse pas, nous avons de l’assurance devant Dieu. Quoi que nous demandions à Dieu, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux. Or, voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ; et voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné part à son Esprit.
 
ÉVANGILE
« Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit » (Jn 15, 1-8)
Alléluia. Alléluia. Demeurez en moi, comme moi en vous, dit le Seigneur ; celui qui demeure en moi porte beaucoup de fruit. Alléluia. (Jn 15, 4a.5b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage. Mais vous, déjà vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite. Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi.
Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent. Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples. »
Patrick Braud

 

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14 avril 2024

Les autres brebis, des autres bergeries

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Les autres brebis, des autres bergeries

 

Homélie du 4° Dimanche de Pâques / Année B 

21/04/24

 

Cf. également :

Quelle est votre clé de voûte ?
La différence entre martyr et kamikaze ou djihadiste
Des brebis, un berger, un loup
La Résurrection est un passif
Un manager nommé Jésus
L’agneau mystique de Van Eyck
Le berger et la porte
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Il est fou, le voyageur qui…
Les sans-dents, pierre angulaire
Noël : Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune…
Dieu aime les païens

Le salut des autres
Ayant fait du christianisme la religion officielle de son empire, l’empereur romain Théodose publie en 391 un édit ordonnant, entre autres, la destruction de tous les temples païens. En 1656, la synagogue d’Amsterdam exclut solennellement Spinoza de la communauté juive à cause de sa libre pensée panthéiste. En mars 2001, les talibans musulmans au pouvoir en Afghanistan décident de détruire les statues géantes de bouddhas à Bamiyan. En Birmanie, depuis 2012, les bouddhistes persécutent les rohingyas musulmans…

La mosaïque des intolérances religieuses de tous bords au cours de l’histoire constitue une fresque aussi grande que la constellation la plus étoilée ! Elles écrivent une variante anticipée de la formule de Sartre : « l’enfer, c’est les autres ». Les autres religions vont en enfer….

Comble de malheur, l’athéisme militant peut jouer le même rôle (pensez aux communistes en Chine ou en Corée du Nord, persécutant les Églises et les cultes) ; et même notre sacro-sainte laïcité à la française sait se montrer sectaire envers ceux qui ne partagent pas sa doxa officielle, notamment en matière d’éthique…

 

Jésus Christ à la rencontre des religionsJésus tomberait-t-il lui aussi sous le coup de cette accusation d’intolérance ? Le Bon Berger de ce dimanche (Jn 10, 11-18) ne revendique-t-il pas un leadership universel, « avec un seul troupeau et un seul pasteur », ce qui peut engendrer toutes les dérives totalitaires ? !

Que deviennent « les autres brebis, des autres bergeries » qui refusent d’entrer dans le bercail ecclésial ? 

 

Cette question redoutable – le salut des païens – a déchiré les Églises entre elles, et les a opposées aux autres religions. Selon la réponse donnée, elle a inspiré des attitudes missionnaires très diverses – voire opposés – depuis la défense des cultures indigènes en Amérique du Sud (cf. le film Mission) jusqu’au baptême forcé des juifs en Espagne.

La question nous touche tous de près : quelle attitude avons-nous envers nos enfants ou petits-enfants si éloignés de l’Église ? Vis-à-vis de nos collègues et amis lorsqu’ils évoquent des sujets religieux ? Voulons-nous témoigner de notre vérité, au risque d’être intolérants ? Acceptons-nous que chacun pense ce qu’il veut, au risque de s’en désintéresser et de ne plus être missionnaire ? Essayons nous de relever les points de convergence (humanistes, sociétaux, politiques etc.) uniquement pour éviter les conflits, au risque de devenir très récupérateurs : ‘tu es chrétien sans le savoir’ ?…

 

Trois positions en effet systématisent l’éventail des attitudes chrétiennes devant le salut des païens :

- l’exclusivisme (tenté par l’intolérance, l’intransigeantisme)

- l’inclusivisme (tenté par la récupération)

- et le pluralisme (tenté par le relativisme) [1].

 

1. L’exclusivisme : le Christ contre les religions

On peut toujours sélectionner un certain nombre de versets bibliques pour plaider l’intransigeance : « celui qui ne croira pas sera condamné » ; « qui n’est pas avec moi est contre moi » ; « il n’y a pas d’autre Nom sous le ciel pour obtenir le salut » etc.

Et bien sûr notre verset du jour : « il y aura un seul troupeau et un seul pasteur ».

Les autres brebis, des autres bergeries dans Communauté spirituelle bernardo-guiSélectionner quelques versets en les isolant de leur contexte est la méthode des Témoins de Jéhovah ou des fondamentalistes évangéliques qui essaient de vous convaincre que la Bible pense ce qu’ils pensent… D’autres, plus cultivés, essaient de s’appuyer sur les Pères de l’Église. Saint Irénée de Lyon n’écrivait-il pas en ferraillant contre les hérétiques de son époque : « Là où est l’Église, là est l’Esprit de Dieu, et là où est l’Esprit, là est l’Église et toute grâce, et l’Esprit est vérité; s’écarter de l’Église, c’est rejeter l’Esprit et par là-même s’exclure de la vie » (Adv. Haer. III, 24, 1). D’où la fameuse formule d’Origène: Extra Ecclesia nemo salvatur, ce qui a donné l’adage attribué à Saint Cyprien de Carthage, encore enseigné sans précaution dans les catéchismes diocésains du XX° siècle : « hors de l’Église point de salut ».

Saint Augustin l’expliquait en prenant soin de préciser que l’Église dont il s’agit dépasse de loin l’Église visible : « dans l’ineffable prescience de Dieu, beaucoup qui paraissent dehors sont dedans » alors que « beaucoup qui paraissent dedans sont dehors ».

La formule: « hors de l’Église point de salut » a été établie dans une période troublée, où les hérésies menaçaient l’essentiel de la foi. Elle visait surtout ceux qui, après avoir été baptisés, se retranchaient de la communion catholique et reniaient ainsi le salut déjà accordé. C’est parce que le lien entre l’Esprit-Saint et l’Église est très fort que « sortir » de l’Église c’est se couper du salut.

Dans ce temps des persécutions des trois premiers siècles, le problème était celui des lapsi = ceux qui avait été baptisés mais avaient renié leur baptême sous la menace, voire la torture et les pressions multiples. Sortir de l’Église était alors retourner au paganisme, en adorant les idoles romaines, et donc se détourner de la vie selon l’Esprit du Christ.

 

L’attitude exclusiviste dévalorise la tentative religieuse hors du Christ. Les missionnaires occidentaux ont, pour la plupart, mais non pas tous, commencé par jeter le discrédit sur les religions traditionnelles qu’ils rencontraient.

Au XX° siècle, le théologien protestant Karl Barth a systématisé l’opposition foi / religion, dénonçant la religion comme une tentative de mettre la main sur Dieu. Alors que seul le christianisme est foi, c’est-à-dire accueil de l’initiative de Dieu, inversant le mouvement religieux de l’élan de l’homme vers Dieu. Barth insiste tant sur la démarche gratuite et miséricordieuse de Dieu vers l’homme qu’il disqualifie les tâtonnements religieux, et même jusqu’à l’expression religieuse de la foi. Dans les années 70-80, cet exclusivisme a déteint sur bon nombre de chrétiens, prêtres ou laïcs, pour qui tout ce qui touche à la « religion populaire » était anti-chrétien. Selon cette tendance, honorer les demandes « religieuses » est contraire à l’évangélisation.

Pour les exclusivistes, les autres religions (ou même la religion dans le cas de Barth) ne peuvent conduire au salut.
C’est donc le Christ contre (la) les religions.

 

2. L’inclusivisme, ou : le Christ des religions

https://media.posterlounge.com/img/products/650000/640706/640706_poster_m.jpgLa théologie inclusiviste a marqué la théologie catholique des années 1950-1960. Elle reconnaît que des traditions non-chrétiennes peuvent être une « préparation évangélique » (« tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l’Église le considère comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie » Lumen Gentium n°16), et qu’il y a des « semences du Verbe » dans toutes les cultures (« les chrétiens doivent être familiers avec leurs traditions nationales et religieuses ; découvrir avec joie et respect les semences du Verbe qui s’y trouvent cachées » Ad Gentes n°11). C’est cette position que défend la Déclaration Nostra Aetate de Vatican II, premier concile de l’histoire à parler positivement des autres religions.

La position de cette tendance s’exprimerait plutôt dans la formule : le Christ des religions.

 

Les premiers chrétiens ont eu ainsi tendance à englober le judaïsme sous couvert d’accomplissement des Écritures. Puisque l’Église est ‘le nouvel Israël’, ‘l’Israël authentique’  comme l’écrit Paul, les juifs sincères sont ‘des chrétiens qui s’ignorent’. Et il devient presque moral de les « aider » à franchir le pas… 

Remarquons que c’est le même raisonnement inclusiviste qui pousse les musulmans à considérer les chrétiens sincères comme des musulmans qui s’ignorent ! Le Coran est censé reprendre et purifier le message biblique déformé par les juifs et les chrétiens. Du coup, Israël et l’Église sont englobés par la réforme religieuse de Mohamed, qui prétend contenir tous les prophètes en rétablissant leur véritable message.

 

Le problème est que cette passion d’une vérité unique, « avec un seul troupeau et un seul pasteur », conduit à instaurer la domination sans partage de l’Église sur la société. Comme elle conduit à l’établissement sans partage d’un État islamique où la charia règle toute la vie quotidienne. Comme elle a conduit à un État juif, car seul un État juif peut garantir aux juifs de pratiquer les 613 commandements de la Torah toujours et partout…

 

On le voit : prêcher un seul troupeau est le prétexte à tous les totalitarismes, et peut légitimer tous les impérialismes.

C’est oublier un peu vite que le texte de l’Évangile est au futur : le Bon Berger parle du rassemblement eschatologique de l’humanité « à la fin », en une seule famille humaine. Cette promesse nous garantit que les murs de nos divisions ne montent pas jusqu’au ciel. À l’heure actuelle, il y a « d’autres brebis, d’autres bergeries », et la seule façon de leur annoncer l’Évangile est d’accepter de mourir pour elles. Donner sa vie – même pour ses ennemis – est la vraie fidélité au rêve universel du Bon Berger : « le bon pasteur, le vrai berger, donne sa vie pour ses brebis ». Toute autre imposition par la force ou la contrainte serait une trahison.

 

D’ailleurs, dès les premiers siècles, l’Église parlait de baptême du sang pour affirmer la sainteté et le salut des martyrs qui avaient accepté de témoigner de leur foi jusqu’au bout, baptisés ou pas. De même, l’Église parlait de baptême de désir pour tous les justes qui n’avaient pas connu Jésus-Christ auparavant, d’Abraham à Zacharie en passant par Moïse ou Judith. Évidemment ces grandes figures sont des figures de sainteté, sans qu’il y ait une foi explicitement chrétienne. Ils ont cherché Dieu loyalement, ils ont écouté et suivi la voix de leur conscience. S’il avait pu connaître le Christ en vérité, ils auraient sans doute demandé le baptême, se disaient alors les chrétiens, élargissant ensuite ce baptême de désir à tous les justes de tous les temps.

 

Le problème avec cette ligne inclusiviste, c’est qu’elle tombe très vite dans la récupération, insupportable aux yeux des non-chrétiens. Dans les années 60 par exemple, pour essayer de récupérer la générosité des militants révolutionnaires qui combattaient les injustices et les dictatures, on disait : ‘ce sont des chrétiens qui s’ignorent’. La thèse du christianisme anonyme (Karl Rahner) a eu ses heures de gloire, tentant de concilier l’Église avec le meilleur de son époque. ‘Tu es chrétien sans le savoir’ était alors la marque d’amitié ‑ inconsciemment condescendante – des cathos vis-à-vis des marxistes, des humanitaires, des scientifiques ou autres valeurs montantes de ces générations.

Une telle récupération nous paraît aujourd’hui insupportable. À bien y regarder cependant, elle refait surface avec une troisième attitude qui sacralise la pluralité des choix de vie, sans discernement ni jugement.

 

3. Le pluralisme : le Christ parmi les religions

Car certains dénoncent encore un sentiment chrétien de supériorité dans les deux attitudes précédentes. Aussi valorisent-ils, dans la dernière problématique qu’est le pluralisme, la diversité légitime des voies d’accès à Dieu. Les religions sont alors les différentes réponses humaines à l’unique réalité divine, les chemins de montagne qui montent vers le même sommet [2].

Jésus n’est plus normatif : il devient le Christ parmi les religions.

 

Les six aveugles et l'éléphantCette position s’appuie souvent sur le Jugement dernier des païens (Mt 25,31–46), où Jésus ne prend pas comme critère du salut des païens le fait de vouloir être baptisé ou pas mais l’accomplissement du commandement de l’amour du prochain.

Le risque est grand alors de dissoudre l’originalité du christianisme dans une vague religion de l’amour, universelle et humaniste. Pourtant, lorsque cet humanisme sans Dieu commence à faire le malheur des peuples, les chrétiens étonnés ne reconnaissent plus de convergence évidente entre l’Évangile et les idéologies modernes.

Pourtant, lorsque les autres religions deviennent à leur tour exclusivistes et intolérantes, les baptisés sont bien obligés de réfléchir à la différence chrétienne, et à la nécessité d’annoncer l’Évangile « à temps et à contretemps ».

 

L’exclusivisme tue l’élan missionnaire en supposant que la « chrétienté » embrasse tout.

L’inclusivisme confond évangélisation et approbation des bonnes choses contenues dans chaque tradition, sans avoir le courage de s’opposer, de dénoncer.

Le pluralisme éteint l’élan missionnaire avec la maxime pluraliste : ‘chacun son chemin’. Pourquoi ennuyer l’autre avec ma foi alors qu’il ne cherche rien ? Pourquoi annoncer le Christ ressuscité si tout se vaut ? Le pluralisme est très vite hanté par le relativisme…

 

Dieu aime les païens

Les saints païens de l'Ancien TestamentLa solution à ce tiercé maudit a été trouvée par Vatican II et sa définition de l’Église comme sacrement, c’est-à-dire « signe et moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain » (Lumen Gentium n°1).

L’Église est signe, c’est-à-dire qu’elle désigne une réalité plus grande qu’elle-même : le royaume de Dieu. Ce royaume, inauguré dans la résurrection de Jésus et l’effusion de son Esprit, la dépasse de toutes parts. Dieu est libre de communiquer son Esprit et sa grâce en dehors des frontières visibles de l’Église.

« En effet, ceux qui, sans faute de leur part, ignorent l’évangile du Christ et son Église, mais cherchent pourtant Dieu d’un cœur sincère et s’efforcent, sous l’influence de sa grâce, d’agir de façon à accomplir sa volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, ceux-là peuvent arriver au salut éternel ».  Lumen Gentium n°16

 

Mais l’Église est encore moyen, et même un moyen privilégié, puisque la vieille définition du sacrement nous dit qu’il réalise ce qu’il signifie, qu’il accorde réellement le don qu’il invoque. Si bien qu’on peut retourner la formule : « hors de l’Église pointe salut » en : « dans l’Église, il y a plénitude de salut », ce qui ne préjuge pas de la part de salut se réalisant en dehors d’elle.

 

François Varillon diagnostiquait déjà en 1980 que le refus de l’Église actuelle n’est peut-être pas systématiquement le refus du Christ :

 berger dans Communauté spirituelleQu’en est-il donc pour ceux qui ne connaissent pas l’Église ? Sont-ils sauvés ?

La question est de savoir pour quelles raisons ils refusent l’Église. Il est plus que probable que la plupart d’entre eux refusent l’Église pour de bonnes raisons : ils n’y voient pas la manifestation visible de Jésus Christ mais une organisation qui leur paraît décadente ; ils ont l’impression que l’Église est le lieu de toutes les superstitions ; ils estiment (ils n’ont pas toujours tort d’ailleurs) qu’elle est l’alliée des puissances de ce monde, etc., bref, ils ne voient dans l’Église qu’une caricature. Je sais bien que souvent nous donnons prise à la caricature, et nous devons faire notre mea culpa.

Il est bien certain que des millions d’hommes qui ne connaissent pas l’Église ou qui, la connaissant, ne veulent pas en entendre parler pour les raisons que je viens de dire, appartiennent invisiblement à l’Église, c’est-à-dire sont sauvés, divinisés, auront une éternité comme nous espérons l’avoir (la participation à la vie même de Dieu), dans la mesure où ils obéissent à leur conscience.

Dieu seul peut savoir si quelqu’un appartient ou non à l’Église invisiblement ; moi, je n’en suis absolument pas juge. Comme le disait saint Augustin : 

« II y en a qui se croient dedans et qui sont dehors ; il y en a qui se croient dehors et qui sont dedans ».

La question est de savoir si tous ces hommes que nous appelons des incroyants, à supposer que l’Église puisse leur être présentée telle qu’elle est, sans caricature, c’est-à-dire comme le signe historique de notre divinisation, y adhéreraient ou non.

François Varillon, Joie de croire, joie de vivre, Ed. Le Centurion, 1981, p. 116.

 

Dieu aime les païens. Jésus louait la foi du centurion romain : « jamais en Israël je n’ai vu une foi aussi grande ». Il s’inclinait devant la foi de la cananéenne : « femme, ta foi est grande ». Pourtant, il ne les a pas baptisés ! Le centurion est resté romain, la femme est restée cananéenne. Zachée lui non plus n’est pas devenu membre de l’Église, et pourtant « aujourd’hui, le salut est entré dans sa maison ».

« Dieu veut que tout homme soit sauvé » (1Ti 2,4). Pour cela, il nous offre l’Église, signe et moyen privilégié pour recevoir ce salut. Allons-nous en faire une source de conflit avec les autres ?

 

L’exclusivisme est tenté par l’intolérance, l’inclusivisme par la récupération, le pluralisme par le relativisme.
Dans le dialogue interreligieux qui est aujourd’hui une composante indispensable de la mission, on attend des progrès significatifs de la théologie chrétienne des religions, qui permettent de dépasser ces trois attitudes et leurs excès.

 

Et vous, comment vous situez-vous ? 

Comment voyez-vous « les autres brebis », « des autres bergeries » ?

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[1]. Cf. DUPUIS J., Jésus-Christ à la rencontre des religions, Desclée, Coll. Jésus et Jésus-Christ n° 39, Paris, 1989.

[2]. Une image célèbre compare Dieu à cet éléphant que plusieurs touchent dans le noir. Celui qui a touché le flanc dit : « L’éléphant est semblable à un mur ». Celui qui touché la cuisse dit: « L’éléphant est semblable à un arbre ». Celui qui a touché la queue dit: « L’éléphant est semblable à une corde ». Ils s’accusent tous mutuellement d’avoir tort, alors que chacun ne perçoit qu’un aspect de la même réalité.

 

LECTURES DE LA MESSE 

PREMIÈRE LECTURE
« En nul autre que lui, il n’y a de salut » (Ac 4, 8-12)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Pierre, rempli de l’Esprit Saint, déclara : « Chefs du peuple et anciens, nous sommes interrogés aujourd’hui pour avoir fait du bien à un infirme, et l’on nous demande comment cet homme a été sauvé. Sachez-le donc, vous tous, ainsi que tout le peuple d’Israël : c’est par le nom de Jésus le Nazaréen, lui que vous avez crucifié mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts, c’est par lui que cet homme se trouve là, devant vous, bien portant. Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle. En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. »

PSAUME
(Ps 117 (118), 1.8-9, 21-23, 26.28-29)
R/ La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. ou : Alléluia ! (Ps 117, 22)

Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Mieux vaut s’appuyer sur le Seigneur que de compter sur les hommes ;
mieux vaut s’appuyer sur le Seigneur que de compter sur les puissants !

Je te rends grâce car tu m’as exaucé : tu es pour moi le salut.
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux.
Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient !

De la maison du Seigneur, nous vous bénissons !
Tu es mon Dieu, je te rends grâce, mon Dieu, je t’exalte !
Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !

DEUXIÈME LECTURE
« Nous verrons Dieu tel qu’il est » (1 Jn 3, 1-2)

Lecture de la première lettre de saint Jean
Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.

ÉVANGILE
« Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11-18)
Alléluia. Alléluia. Je suis le bon pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui. Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »
Patrick Braud

 

 

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