L'homélie du dimanche (prochain)

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18 février 2024

La mère rit, le père lie, la fraternité s’évanouit !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La mère rit, le père lie, la fraternité s’évanouit !

 

Homélie pour le 2° Dimanche de Carême / Année B 

25/02/2024

 

Cf. également :
 
Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor
En descendant de la montagne…
Compagnons d’éblouissement
Abraham, comme un caillou dans l’eau
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Le sacrifice interdit
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
Bénir en tout temps en tout lieu
L’icône de la Transfiguration
À l’écart, transfiguré

 

Le « déluge d’Al Aqsa » 

Une femme palestinienne lève les bras pour la première lors de la première prière du vendredi du Ramadan aux abords du Dôme des roches, sur le mont du Temple de Jérusalem, le 26 avril 2021. (Crédit : Ahmad GHARABLI / AFP)On l’a oublié un peu vite : le Hamas avait appelé « déluge d’Al Aqsa » l’opération terroriste faisant 1200 victimes et 200 otages civils juifs le 7 octobre 2023. « Al Aqsa » désigne la mosquée construite sur l’esplanade du Temple juif, à partir de 637. En arabe, c’est « la mosquée la plus lointaine (Al Aqsa) ». Car les musulmans croient y reconnaître la mosquée dont parle la sourate 17 du Coran :

« AL-ISRA (LE VOYAGE NOCTURNE) – Pré-Hégire

 Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

« Gloire et Pureté à Celui qui de nuit, fit voyager Son serviteur (Muhammad), de la Mosquée Al-Harm (la mosquée sacrée = la Mecque) à la Mosquée Al-Aqsa (la plus lointaine = Jérusalem) dont Nous avons béni les alentours » (Sourate 17,1).

Petit problème chronologique : Mohamed est mort à Médine en 632. Comment aurait-il pu voyager de son vivant jusqu’à la mosquée de Jérusalem… qui n’avait pas encore été construite !?

On voit que les sourates de ce voyage mythique où Mohamed est censé être monté aux cieux – rivalité avec l’Ascension de Jésus ? – à partir du rocher de l’esplanade du Temple ont été écrites après la mort de Mohamed, sans aucun doute dans un but polémique d’appropriation du lieu… Or pour la Bible, le mont Moriah de notre première lecture (Gn 22,1-18) où a eu lieu l’épisode avec Isaac est bien le lieu du Temple de Salomon : « Salomon commença à bâtir la Maison du Seigneur à Jérusalem, sur le mont Moriah, là où le Seigneur était apparu à David son père… » (2 Ch 3,1).

Le conflit autour de l’esplanade du Temple (pour les juifs) / la Mosquée Al Aqsa (pour les musulmans) est donc au cœur de la rivalité entre juifs et musulmans depuis des siècles. Le Hamas veut renvoyer les juifs à la mer : reconquérir Al Aqsa par un déluge de feu est pour ces terroristes un impératif coranique.

Le mont Moriah est au cœur des conflits entre juifs et musulmans, comme il l’a été au temps des croisades des chrétiens qui voulaient libérer le Saint-Sépulcre. Le célèbre sacrifice d’Isaac - qui est plutôt un non-sacrifice - de notre lecture est le condensé de la rivalité Isaac–Ismaël, qui rejaillit sur les relations juifs–musulmans, empoisonnant le Moyen-Orient depuis des siècles.

Voyons comment.

 

La rivalité Isaac–Ismaël, juifs–musulmans

JUIFS MUSULMANSVous avez dû tiquer en entendant la lecture de Gn 22,2 : « prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes ».
Bizarre… Abraham n’a-t-il pas deux fils ? Ismaël en effet était l’aîné, conçu avec la servante Agar sur ordre de Sara elle-même, désespérée d’être apparemment stérile.

Un midrash fait dialoguer Abraham et Dieu pour illustrer le dilemme d’Abraham :

– Prends ton fils, dit Dieu

– Mais lequel ? J’en ai deux.

– Ton unique

– Chacun est unique à mes yeux

– Celui que tu aimes

– Je les aime tous les deux.

On voit bien que pour Abraham, le choix est déchirant. En fait, Ismaël avait déjà été chassé au désert avec sa mère sur ordre de Sara, jalouse de cette autre mère qui l’a précédée, et jalouse de l’exclusivité de l’héritage pour son seul fils (Gn 21).

Profondément attristé, Abraham avait consenti à laisser partir Agar et son fils Ismaël. Sarah et lui avaient gardé Isaac pour eux, au sens propre comme au sens figuré. Mais la rivalité des deux mères avait déjà pollué la fraternité entre les deux fils d’Abraham : ils sont devenus ennemis malgré eux, à cause d’une jalousie maternelle féroce. Dès qu’Isaac fut sevré (Gn 21,8), Sarah exige de renvoyer Agar et son fils, alors qu’une relation fraternelle Isaac–Ismaël devenait possible à partir de cet âge. Sarah ne voit pas qu’en exigeant le départ d’Ismaël elle prive Isaac de son frère.

Cela ne sera pas sans effet sur la suite des événements. Isaac devra grandir dans une sorte de nostalgie d’un frère qu’il n’aura jamais connu vraiment : en témoignent le choix de sa résidence, sa préférence pour son premier fils (Ésaü) en qui il retrouve quelque chose de son frère aîné, ainsi que le fait qu’Ésaü pensera plaire à son père en épousant sa cousine, une fille d’Ismaël.

De plus, cette jalousie a conduit Isaac à penser toute transmission d’héritage sur le mode de l’exclusivité (Gn 25,5). L’attitude de sa mère l’a en réalité induit en erreur. Elle se paiera à la génération suivante, puisque les relations de Jacob avec Ésaü en seront profondément affectées, de même sans doute que sa vie avec Laban.

 

Le rire de Sara, d’Ismaël et d’Isaac

Le Rire de SaraLe rire de Sara est célèbre (Gn 18,12;21,6) : elle est tellement âgée qu’elle a du mal à croire à l’annonce d’une naissance que lui font les trois visiteurs d’Abraham sous le chêne de Mambré. Son rire exprime son doute, et la folie de la promesse divine hautement improbable.

Isaac va hériter de ce rire, puisque son nom signifie justement : « il rira ». Son rire sera-t-il de même nature que celui de sa mère ?

Il y a un troisième rire, moins connu, celui d’Ismaël [1] :

« Sara vit rire le fils qu’Agar, l’Égyptienne, avait enfanté à Abraham » (Gn 21,9).

Ce rire a été interprété par le Talmud de Babylone comme une moquerie ironique d’Ismaël se vantant d’être plus méritant qu’Isaac :

« Il lui dit : je suis plus grand que toi, à l’aune de l’obéissance aux commandements, car toi, tu as été circoncis à huit jours (cf. Ac 7,8) tandis que moi, je l’ai été à treize ans ! Isaac lui a répondu : Tu veux m’impressionner par un organe (le prépuce) ? Si le Saint béni soit-Il me demandait : Sacrifie-toi tout entier, je le ferais aussitôt ! Aussitôt, Dieu mit Abraham à l’épreuve » (TB, Sanhédrin 89b).

En somme, si la primauté tient au degré de mérite susceptible de justifier l’élection filiale, la surenchère d’Isaac, qui accepte d’être sacrifié « tout entier », met fin à cette prétention. Le midrash met ici le doigt sur un problème majeur qui ressort du récit biblique. Ismaël est le premier-né. Il aurait dû être l’héritier naturel des promesses. En tout cas, le principal. Ce sera pourtant Isaac.

Nous trouvons là un thème qui sera cher au christianisme le plus archaïque. Les diverses substitutions de cadets à aînés que nous offre l’Écriture seront considérées comme des figures de la substitution du peuple chrétien au peuple juif.

Paul pointe le problème : « Tous ceux qui sont la descendance d’Abraham ne sont pas pour autant ses enfants, car il est écrit : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom » (Rm 9,7). Il développe cette thèse de la filiation spirituelle avec les enfants de Rébecca et Isaac : Ésaü était le premier-né et aurait dû garder son droit d’aînesse. Mais finalement, « l’aîné servira le plus jeune » (Rm 9,2), comme Ismaël s’effacera devant Isaac, car Dieu agit comme il l’entend, et l’homme n’y peut rien.

Hilaire de Poitiers écrira plus tard : « Sara désigne l’Église ; Agar la Synagogue ».

 

Ismaël veut humilier son cadet en lui montrant qu’il est plus méritant. Son rire est un rire de rivalité. Rabbi Shimon bar Yochaï (II° siècle) explique ce rire d’Isaïe comme une moquerie. Il se rit de son frère. Se croyant l’aîné, il prétend à deux parts d’héritage (l’Arabie et la Palestine, remarque ironiquement le rabbin !). ‘C’est moi l’aîné. Le monde entier et la terre d’Israël me reviennent !’ Mais à la mort de son père, il revient à la maison. Il fait repentir, reconnaissant qu’Israël est chez lui à Hébron, car il a reconnu la religion de son père (avant Mohamed, les Ismaélites étaient des païens).

Le rire d’Ismaël, ce rire de rivalité, trouvera donc un jour sa Rédemption. Pour les juifs religieux, il faudra pour cela que l’Islam reconnaisse que cette terre a été donnée par Dieu à Israël… Le conflit est dès lors inévitable !

Les Arabes musulmans n’ont jamais connu la situation d’exil. Ils ont toujours, dès leur émergence au VII° siècle, été des conquérants par l’épée, partout et toujours. Et voici qu’en Palestine, et pour la première fois, ils connaissent cette situation d’exil. Cela leur est insupportable : être en exil chez les Juifs… à Jérusalem !

La mère rit, le père lie, la fraternité s’évanouit ! dans Communauté spirituelle 69562-abrahams-sons.800w.tn

 

Pourtant la réconciliation est possible. Abraham mort, « Isaac et Ismaël, ses fils, l’enterrèrent dans la grotte de Makhpelah » (Gn 25,9). Alors seulement, Ismaël a le privilège d’être ici désigné comme fils d’Abraham. La préséance du fils de la Promesse, Isaac, est établie et reconnue, puisque Isaac est nommé le premier. Les deux frères à partir de là finirent leur vie en voisins réconciliés, chacun sur sa terre.

On voit que cette rivalité de préséance à propos de la Promesse (descendance incalculable), de l’Héritage (bénédiction pour toutes les nations) et de la Terre (Mont Moriah) envenimera les relations juifs-musulmans pendant longtemps encore, en se transmettant de génération en génération.

Faudra-t-il attendre qu’ils enterrent à nouveau Abraham – leur père commun – ensemble pour vivre un voisinage de paix ? Mais que voudrait dire « enterrer Abraham » aujourd’hui ?…

 

La mère rit, le père lie

9782296049086f Abraham dans Communauté spirituelleTout part du rire de Sara, qui doute de la promesse des trois visiteurs à Mambré, puis fait porter à Isaac le poids de ce rire en le chargeant d’une mission ambiguë : « il rira ». Autrement dit, elle veut que son fils fasse comme elle ! Alors évidemment, lorsque Sarah-qui-rit voir rire le fils Ismaël, le bâtard égyptien qui lui rappelle sa période inféconde, elle enrage de jalousie, et cette rage va empoisonner les relations entre les deux frères.

Ismaël est le premier délié de cet attachement familial trop possessif : il est conduit au désert. Isaac reste seul à la maison, entre ses deux parents, sans son frère. Le père ne veut pas perdre le seul enfant qui lui reste : alors il imagine de le lier, de l’attacher, pour qu’il ne se sauve pas et soit entièrement consacré (consumé) à Dieu tel qu’il l’imagine (par le bois de l’holocauste).

 

Quelle folie destructrice ! Quand un père lie son fils, il l’empêche de vivre, même pour des raisons apparemment très religieuses. Combien d’enfants sont ainsi retenus prisonniers par le désir paternel :

liés par une image paternelle à reproduire,

liés par des injonctions religieuses destructrices (consume-toi pour Dieu, disent tous les fanatiques religieux),

liés par un surmoi parental exorbitant,

liés par une mauvaise interprétation de la Promesse (reste auprès de moi pour que j’ai la descendance promise) etc.

Il faut le couteau pour couper ces liens, et enfin laisser l’enfant partir libre, sans l’ombre paternelle.

« Déliez-le et laissez-le aller » (Jn 11,44), dira Jésus plus tard en parlant de Lazare rescapé de la mort symbolique dans laquelle des liens (famille, village, religion) voulaient le maintenir comme dans un tombeau.

 

sacrificeofisaac IsaacCet acte de lier (Aqéda) et de délier son fils est tellement symbolique que les juifs – à raison – n’appellent pas cet épisode « sacrifice d’Isaac » (puisqu’il en réchappe) mais la « ligature (Aqéda) d’Isaac ». Si le péché de la mère a été de rire et de propager ce rire malsain autour d’elle, le péché du père a été de vouloir posséder le don de Dieu qui lui avait été fait à travers son fils cadet.

Il y aura bien un holocauste, mais de substitution : un animal fourni pour le sacrifice, un bélier, pas un agneau, c’est-à-dire un père et pas un fils. Et si Abraham a bien fait monter (עָלָה ‘alah = élever ; c’est l’autre sens du mot traduit par holocauste dans le texte liturgique) son fils sur la montagne (Gn 22,2), il rentre sans Isaac, le fils est désormais séparé de son père, suivant son propre chemin, une séparation symbolique qui fait d’Isaac une personne ‘élevée’ (עָלָה ‘alah) comme sujet distinct de son père.
Abraham a sacrifié sa fausse de sa paternité (symbolisée par le bélier) trop possessive. Le fils peut alors vivre libre, séparé de son père.

Au lieu de sacrifier son fils, c’est une certaine idée de la paternité qu’Abraham est appelé à mettre à mort – une paternité vue comme toute-puissance, droit de vie et de mort, possession. Il doit apprendre à être père et, partant, à se séparer symboliquement de son fils, à créer une distance – ce serait cela, « élever » son fils – et c’est pourquoi, au dénouement de cette sombre affaire, c’est un « bélier », figure du « géniteur » (et non de l’enfant, comme « l’agneau » initialement prévu) que le patriarche est invité à sacrifier. À la fin de l’épisode, « Isaac, fils dé-possédé, a disparu vers le divin hors du champ sacrificiel de la possession paternelle », écrit Marie Balmary [2].

Abraham, en laissant ses serviteurs pour poursuivre le chemin avec son fils, leur avait dit de les attendre : « nous reviendrons vers vous » (Gn 22,5). Or il est revenu tout seul ! Isaac est d’une certaine manière « perdu » pour Abraham… et c’est heureux !

 

Isaac-and-Abrham-with-wood-on-Isaacs-back IsmaëlBien sûr, les chrétiens verront Jésus dans ce fils lié, attaché au bois du sacrifice. Jean par exemple prend bien soin de préciser par deux fois que Jésus était lié (comme Isaac) lorsqu’il fut arrêté à Gethsémani, puis envoyé au grand prêtre (Jn 18,12.24). L’allusion à Isaac est claire. Comme la Pâque juive est l’anniversaire de l’Aqéda, Jean annonce que le fils lié sera le véritable agneau pascal. Sa superposition est renforcée chez Jean par le détail qui lui est propre : Jésus porte lui-même sa croix (Jn 19,1) et non Simon de Cyrène, comme Isaac portait lui-même le bois pour le sacrifice (Gn 22,6). Certains pensent que l’éviction de Simon de Cyrène en Jean 19,1 veut éviter de laisser penser que Simon aurait été crucifié à la place de Jésus, ce que certains hérétiques (les docètes) soutenaient déjà (et le Coran a sans doute repris cette tradition en prétendant que Jésus n’a pas été crucifié, mais quelqu’un à sa place ; cf. Sourate 4,157-158).

 

Le fils lié puis délié annonce la possibilité d’une vie enfin fraternelle, libérée de ce que l’attachement parental pouvait avoir de nocif pour les deux frères. La ligature d’Isaac à laquelle il échappe annonce la Passion du Christ et son déliement sa Résurrection, car la mort n’a pu retenir en ses liens.

« Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et entendu cette parole : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom. Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration » (He 11,17-19). 

Voilà pourquoi Jésus met une vraie joie spirituelle – pas un rire ironique – sur les lèvres d’Abraham : « Abraham, votre père, a tressailli de joie de ce qu’il verrait mon jour: il l’a vu, et il s’est réjoui » (Jn 8,56).

 

Conclusion

Dieu que c’est dur de s’aimer en famille !

Les mères rivalisent de jalousie pour leurs enfants.

Les pères sont possessifs, jusqu’à lier leur progéniture et les consumer de leurs injonctions.

Frères et sœurs reproduisent la rivalité parentale, se déchirent sur l’héritage, et ont un mal fou à trouver la juste distance pour vivre en paix entre voisins.

Les juifs et les musulmans se disputent le Temple / Al Aqsa et chacun veut incarner l’enfant de la Promesse…

Et nous-mêmes, nous lions  nos enfants, nous rions les uns des autres…

 

Arrêtons de chasser Ismaël ! Arrêtons de lier Isaac ou Jésus !

Que les parents ne lient plus leurs enfants… Que les frères et sœurs apprennent à partager l’héritage pour vivre en paix, au Moyen-Orient comme ailleurs… !

___________________________

[2]. Cf. Marie Balmary, Le sacrifice interdit, Grasset, 1989.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Le sacrifice de notre père Abraham (Gn 22, 1-2.9-13.15-18)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, Dieu mit Abraham à l’épreuve. Il lui dit : « Abraham ! » Celui-ci répondit : « Me voici ! » Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Ils arrivèrent à l’endroit que Dieu avait indiqué. Abraham y bâtit l’autel et disposa le bois ; puis il lia son fils Isaac et le mit sur l’autel, par-dessus le bois. Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. Mais l’ange du Seigneur l’appela du haut du ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Me voici ! » L’ange lui dit : « Ne porte pas la main sur le garçon ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. » Abraham leva les yeux et vit un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils.
Du ciel, l’ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham. Il déclara : « Je le jure par moi-même, oracle du Seigneur : parce que tu as fait cela, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance occupera les places fortes de ses ennemis. Puisque tu as écouté ma voix, toutes les nations de la terre s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction par le nom de ta descendance. »
 
PSAUME
(115 (116b), 10.15, 16ac-17, 18-19)
R/ Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants. (114, 9)


Je crois, et je parlerai,

moi qui ai beaucoup souffert.
Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !

Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,

moi, dont tu brisas les chaînes ?
Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Je tiendrai mes promesses au Seigneur,

oui, devant tout son peuple,
à l’entrée de la maison du Seigneur,
au milieu de Jérusalem !
 
DEUXIÈME LECTURE
Dieu n’a pas épargné son propre Fils » (Rm 8, 31b-34)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains
Frères, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? Dieu est celui qui rend juste : alors, qui pourra condamner ? Le Christ Jésus est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous.
 
ÉVANGILE
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mc 9, 2-10)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! »
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmena, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux. Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. Élie leur apparut avec Moïse, et tous deux s’entretenaient avec Jésus. Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » De fait, Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande. Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.
Ils descendirent de la montagne, et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. Et ils restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts ».
Patrick BRAUD

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14 février 2024

La part des anges

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La part des anges

 

Homélie pour le 1° Dimanche du Carême / Année B 

18/02/2024

 

Cf. également :

Ce déluge qui nous rend mabouls
Poussés par l’Esprit
Une recette cocktail pour nos alliances
Gravity, la nouvelle arche de Noé ?

Sacrée belle-mère !


Un champignon ivre

La part des anges dans Communauté spirituelle fungus%20cognacSi vous allez visiter un jour la jolie petite ville de Cognac, avec ses chais au bord de la Charente, vous ne manquerez pas de voir sur de nombreux murs en pierre de la cité d’étranges traînées grises, comme des filets de toile d’araignée descendant entre les pierres ou s’accrochant sous les tuiles des toits. Pourquoi ne pas nettoyer les pierres et les tuiles de ces traînées noires ? Parce qu’elles reviennent sans cesse, du moins là où l’eau-de-vie est entreposée. En effet, un champignon qui se nourrit spécifiquement des vapeurs d’alcool (le torula compniacensis) se développe là où il y a des barriques, des caves, des réserves. Impossible de cacher son stock de cognac ! On est trahi par ce champignon ivre. Mais les vapeurs d’alcool font le bonheur d’autres créatures : on dit que les anges qui tournoient au-dessus des tuiles des chais de Cognac respirent eux aussi les effluves s’échappant des foudres, des distilleries, des cuves et des caves. Environ 3% en volume des eaux-de-vie de cognac s’évaporent chaque année, pour le plus grand bonheur de nos compagnons ailés. C’est la part des anges, le cadeau qui leur est offert en quelque sorte pour la transformation de l’eau-de-vie en cognac grâce au vieillissement en fûts de chêne du Limousin.

La part des anges à Cognac, c’est de s’enivrer de ce qui réjouit le cœur de l’homme.

Dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 1,12-15) la part des anges c’est de servir Jésus au désert pendant qu’il se prépare à sa mission en combattant les tentations par lesquelles Satan veut l’en détourner :

« Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ».

Ce texte est si court que pour une fois, exerçons-nous à le commenter presque mot à mot.

 

Aussitôt

As Soon As Possible"« Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt… » : le petit mot important qui fait la liaison avec l’épisode précédent est aussitôt. Ça n’a l’air de rien, mais pour Marc l’effet du baptême est immédiat. Hasard ou choix symbolique, Marc emploie cet adverbe 40 fois dans son Évangile (comme les 40 jours au désert !). C’est donc pour lui une constante de l’agir de Jésus : il y a urgence ! Chaque action, chaque déplacement de Jésus est marqué du sceau de cette urgence : le règne de Dieu est tout proche, vite, saisissez-le !

Ce dimanche, c’est aussitôt son baptême que Jésus part au désert.

Pourquoi remettre à demain ce que notre baptême nous pousse à faire ? Pourquoi différer notre conversion à l’Évangile ? Pourquoi procrastiner sans cesse les changements que nous devons opérer dans notre manière de vivre ?

Laissons résonner en nous cet aussitôt de Marc : qu’est-ce qu’il m’appelle à faire dès maintenant ? où m’appelle-t-il à aller sans tarder ?

 

L’Esprit le pousse au désert

On ne comprend rien à Jésus sans l’Esprit. C’est son être même d’Oint (= Christ) : il vient de recevoir l’onction, et dégouline encore de cet Esprit divin qui lui a entrouvert les cieux au Jourdain. Se laisser faire par l’Esprit est notre meilleure façon d’agir. Pas par nous-mêmes, mais poussé par lui. On retrouve la passivité-active qui fut celle de Marie à l’Annonciation, ou celle de l’Église de Jérusalem abolissant la circoncision sous la motion de l’Esprit de Pentecôte. Puisque nous aussi nous sommes des christs de par notre baptême, notre identité la plus vraie est de nous laisser conduire par l’Esprit, notre hôte intérieur plus intime à nous-même que nous-même…

La spiritualité chrétienne c’est cela : pas une accumulation d’exercices extérieurs (génuflexions, chapelets, processions etc.) ni une recherche de phénomènes magiques, mais une entière disponibilité à écouter ce que l’Esprit nous dit, à faire ce qu’il nous inspire, quoi qu’il en coûte.

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Cet Esprit pousse Jésus au désert. Le texte grec dit plus précisément : l’Esprit expulse (κβλλω = ekballō) Jésus au désert. C’est ce verbe que Marc emploie 12 fois pour l’action de chasser les démons en les expulsant hors de quelqu’un.

Voilà donc que Jésus est traité comme un démon !

Comme le bouc émissaire qu’on expulse au désert pour qu’il soit affronté à Azazel le démon, Jésus est chassé par l’Esprit au désert pour être confronté à Satan. Dans ce verbe chasser, expulser, on devine la violence de l’Esprit qui oblige Jésus à partir des rives du Jourdain pour aller au désert.

 

Il en va ainsi pour nous également : nous n’allons pas de bon cœur ni facilement vers les justes combats qui nous attendent. Il faut que l’Esprit nous force la main : par les événements, par une médiation, un ordre, une contrainte, un appel…

Se laisser expulser des lieux douillets où nous aimerions vivre notre baptême est donc le travail de l’Esprit en nous. Jonas ne voulait pas aller à Ninive : l’Esprit de Dieu l’y a obligé, par le naufrage et le poisson. Pierre ne voulait pas baptiser le païen Corneille : il y a été conduit par l’Esprit, presque à son corps défendant, lorsqu’il vit l’Esprit descendre sur Corneille et sa famille (Ac 10).

Nous renâclons devant les missions que nous n’avons pas choisies, mais heureusement l’Esprit se débrouille pour nous chasser de nos oasis de tranquillité et ainsi nous préparer à nos combats. Il nous expulse de nos régressions spirituelles de tous ordres (depuis nos écrans jusqu’à notre argent) pour connaître le désert. Pour certains (comme Mère Teresa) cela prendra la figure d’une nuit spirituelle épouvantable, rempli de doutes et d’absurde. Pour d’autres (comme Ignace de Loyola) ce sera le dépouillement d’une vie mondaine et superficielle à travers un accident, une catastrophe ; pour d’autres encore (comme Claudel) c’est une exaltation, un bonheur soudain qui leur révélera d’autres horizons à poursuivre en laissant tout tomber.
Laissons-nous conduire dans nos dépouillements successifs, comme autant de départs au désert, poussés par l’Esprit.

 

Dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan 

 CarêmeQuant au désert, inutile d’en dire beaucoup : les 40 années des Hébreux au désert restent  la référence de toutes les expériences de libération. Une génération (40 ans) s’y purifie de ses idoles, de ses veaux d’or. Une horde d’esclaves en fuite y devient un peuple. Des sans-loi y reçoivent une Alliance pour toujours. Jésus refait ce passage, comme s’il récapitulait en lui l’histoire de ses ancêtres assoiffés de liberté. Mais lui ne plie pas. Il est tenté constamment par Satan, mais ne s’incline pas devant lui : le veau d’or n’a pas de prise sur lui. Marc, sans doute plus proche du récit primitif, ne met pas en scène le jeûne (trop ?) spectaculaire de Jésus ni les trois tentations (trop ?) soigneusement construites pour explorer toutes les tentations que Jésus rencontrera après dans sa vie publique, jusqu’à l’ultime tentation sur la croix (« sauve-toi toi-même ! »). Non : Marc reste sobre, mais emploie l’imparfait pour montrer que ce combat contre Satan était continu, et durait.


Dieu que c’est long parfois d’être expulsé au désert ! Ne désespérons pas lorsque cette aridité dure et semble s’installer. Les 40 jours seront peut-être pour nous des mois, des années : notre départ pour la Galilée viendra pourtant, et l’Esprit nous fera discerner ce moment.

 

Un mot sur Satan, l’obstacle, l’adversaire : il sera actif tout au long de la prédication de Jésus. Les tentations au désert cristallisent en 40 jours les tentations des trois années à venir. Un peu comme la Transfiguration ramasse en un éblouissement toutes les facettes divines de Jésus se manifestant, éparpillées, lors de ses rencontres sur les chemins de Palestine.

Notre Satan est tout ce qui veut nous faire trébucher, ou changer d’orientation, ou abandonner par désespoir…

 

« Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient »

tumblr_neh4o57RLp1r3ov9vo1_1280 cognacEncore un imparfait qui dure, comme beaucoup d’imparfaits de nos vies…

La compagnie de bêtes sauvages, inoffensives ici, renvoie sans doute à l’Éden mythique où l’humanité vivait en paix avec tout être vivant ; ou au Déluge quand tous les animaux côtoyaient les 8 personnes sauvées dans l’arche (cf. 1° et 2° lectures de ce dimanche). Une nouvelle Création, enfin réconciliée, entoure Jésus au désert.

Nous avons nous aussi nos bêtes fauves, qui rôdent en nous et cherchent à nous dévorer, tel le loup de Gubbio terrorisant les habitants de ce petit village du temps de Saint François d’Assise. Nous savons que, si nous nourrissons ce loup intérieur qu’est notre part d’ombre [1], il deviendra notre ami et compagnon, comme François d’Assise nous l’a montré. Vivre avec les bêtes sauvages qui nous entourent demande cette pureté du cœur qui était celle de Jésus, en qui nul fauve ne pouvait lire de menace ni de convoitise.

Apprenons à vivre avec nos fauves ! [2]

 

« Et les anges le servaient »

Jan_van_Eyck_-_The_Ghent_Altarpiece_Adoration_of_the_Mystic_Lamb_Singing_angels_1432_-_%28MeisterDrucke-1201901%29 désertLa voilà la part des anges de ce dimanche : servir le Christ ! Ce sont les premiers diacres (ou diaconesses, selon le sexe des anges…) chez Marc, car c’est bien le verbe διακονω (= diakoneō) qui est utilisé. Souvenez-vous qu’ensuite, le premier être humain à revêtir cette fonction angélique du service, c’est la belle-mère de Pierre, première diaconesse de l’Église de Capharnaüm (« et elle les servait », Mc 1,31).

Autant dire que la part des anges nous revient désormais : servir le Christ rend libre comme lui. En le servant au désert, les anges le nourrissaient : à nous de nourrir les christs qui aujourd’hui encore sont chassés au désert, entourés de bêtes sauvages…

Les anges qui nous servent dans le désert sont ces mains tendues, ces inconnus qui passent en nous faisant du bien, ces messagers qui nous apportent de quoi tenir bon. Comme le bon samaritain qui devint l’ange du blessé sur la route. Comme pour Jésus lors de son agonie au mont des Oliviers : « du ciel lui apparut un ange qui le réconfortait » (Lc 22,43).

Parfois nous sommes nous-mêmes ces anges qui sans le savoir nourrissent  et réconfortent ceux qui ont été chassés au désert…

 

Quelle étrange réunion au final autour du Christ au désert : Satan, les bêtes fauves, les anges, c’est-à-dire l’enfer, la terre et le ciel !

Jésus était dans le désert, tenté par Satan.

Jésus était avec les bêtes sauvages, servi par les anges.

Ces deux phrases sont parallèles, avec un antagonisme terme à terme : désert vs bêtes / tenté vs servi / Satan vs anges. De quoi espérer le retournement final aujourd’hui invisible !

 

Ruminons cette scène qui symbolise la préparation spirituelle aux combats qui seront les nôtres.
Sans oublier l’issue promise : « et les anges le servaient… »

 

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[2]. On pourrait d’ailleurs développer à partir de là une théologie animalière qui associe les bêtes au salut réalisé en Christ…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Alliance de Dieu avec Noé qui a échappé au déluge (Gn 9, 8-15)

Lecture du livre de la Genèse
Dieu dit à Noé et à ses fils : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. » Dieu dit encore : « Voici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à jamais : je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l’arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants : les eaux ne se changeront plus en déluge pour détruire tout être de chair. »

PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Tes chemins, Seigneur, sont amour et vérité pour qui garde ton alliance. (cf. 24, 10)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,

ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,

lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
Le baptême vous sauve maintenant (1 P 3, 18-22)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit. C’est en lui qu’il est parti proclamer son message aux Esprits qui étaient en captivité. Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir, au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant : le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ, lui qui est à la droite de Dieu, après s’en être allé au ciel, lui à qui sont soumis les anges, ainsi que les Souverainetés et les Puissances.

ÉVANGILE
« Jésus fut tenté par Satan, et les anges le servaient » (Mc 1, 12-15)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
 Patrick BRAUD

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11 février 2024

Mercredi des Cendres

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Mercredi des Cendres

 

Cf. les années précédentes :

Mercredi des Cendres dans Communauté spirituelle cendresLa radieuse tristesse du Carême
Cendres : « Revenez à moi ! »
Cendres : une conversion en 3D
Cendres : soyons des justes illucides
Mercredi des Cendres : le lien aumône-prière-jeûne
Déchirez vos cœurs et non vos vêtements
Mercredi des cendres : de Grenouille à l’Apocalypse, un parfum d’Évangile
Carême : quand le secret humanise
Mercredi des Cendres : 4 raisons de jeûner
Le symbolisme des cendres

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10 février 2024

Êtes-vous plutôt colère ou compassion ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 30 min

Êtes-vous plutôt colère ou compassion ?

 

Homélie pour le 6° Dimanche du Temps ordinaire  /  Année B 

11/02/2024

 

Cf. également :
Quand parler ? Quand se taire ?
Fréquenter les infréquentables
Pour en finir avec les lèpres
Carême : quand le secret humanise
Ce n’est pas le savoir qui sauve


Une tente au feu rouge

Êtes-vous plutôt colère ou compassion ? dans Communauté spirituelleÀ 200 m de chez moi, au carrefour, une tente squatte la maigre bande d’herbes entre deux voies. Une silhouette hirsute et barbue en sort entre les gouttes, un gobelet à la main, pour mendier auprès des automobilistes arrêtés au feu. Que faire ? …
Je n’ai jamais réussi à trouver de réponse entièrement satisfaisante à cette interrogation qui se répète des dizaines de fois lorsqu’on circule dans une métropole.

Ma première réaction est la colère.
Colère envers cette société qui malgré son 6° rang mondial tolère encore 330 000 SDF en 2023 (chiffres de la Fondation Emmaüs, en comptant les personnes en hébergement d’urgence). Est-ce si difficile de planifier la construction de 500 000 logements sociaux sur les 10 années qui viennent ? Est-ce impossible d’accompagner les SDF les plus à la dérive pour les réinsérer progressivement ?

Je dois cependant avouer que ma colère est parfois dirigée contre le SDF lui-même : lorsqu’il est suffisamment jeune et en bonne santé pour trouver du boulot facilement, lorsqu’il capitule trop vite en laissant l’alcool le dominer, lorsqu’il laisse la dépression s’installer alors que d’innombrables associations lui tendent la main. Chacun a sa part de responsabilité.

J’ai suffisamment travaillé avec l’une de ces associations qui essaient de les sortir de la rue pour ne pas ignorer combien c’est compliqué. Alors, en repensant aux visages de ceux  qu’on accueillait – et qui sont morts pour la plupart, tant leur espérance de vie est plus courte que la nôtre – je ressens plus de compassion que de colère. Je sais qu’une poignée de main, un sourire, du temps passé à parler, écouter, échanger, jouer aux cartes etc. est plus précieux qu’un billet de 5 € à travers la vitre d’une voiture. Offrir un peu de chaleur humaine et de compréhension est aussi important que d’offrir un panier-repas.

 

Le problème, c’est que la compassion soigne les symptômes, et non les causes. Il y aurait beau y avoir 10 Mère Teresa et 10 Sœur Emmanuelle par pays, cela n’éradiquerait en rien la pauvreté et la misère… Pire encore : la compassion peut avoir des effets pervers, en maintenant les SDF par exemple en état de dépendance alors que la colère pourrait les forcer à vouloir sortir de leur état, ou en permettant à l’État de se défausser sur les associations alors que la colère obligerait à réformer un système entier. Pire encore : on a vu des organisations fondamentalistes comme les Frères Musulmans instrumentaliser la misère en Égypte pour apparaître comme le sauveur du peuple par le biais d’associations de charité auprès des pauvres… La compassion peut devenir le cheval de Troie d’une dictature.

 

Pourquoi évoquer ce dilemme où choisir entre colère et compassion est toujours un mauvais choix ? Parce que les copistes de l’évangile de notre dimanche (Mc 1,40-45) ont eux-mêmes été troublés par l’attitude de Jésus envers le lépreux. Les manuscrits les plus anciens, en grec, parlent de la colère de Jésus : « en colère (ργζω, orgizō), il étendit la main ». Cette réaction violente de Jésus est d’ailleurs renforcée par les deux autres verbes décrivant la suite : « le rudoyant, il le chassa aussitôt ». Bigre ! Engueuler un lépreux parce qu’il lui demande sa guérison, puis le chasser vertement, voilà qui ne correspond pas vraiment au portrait bonhomme d’un gentil Jésus guérisseur !

Les copistes ultérieurs ont été choqués par cette colère de Jésus. Ne pouvant pas la comprendre, ils ont cru à une erreur, ils ont remplacé la colère par la compassion : « Jésus, ému de compassion (σπλαγχνζομαι, splagchnizomai), étendit la main » (traduction liturgique). D’un mot à l’autre, on rétablissait un portrait de Jésus plus rassurant et plus conforme à son image de miséricorde.

Alors : colère ou compassion ?

 

La colère de Jésus

La colère justifiée. Jésus contre les vendeurs du temple.Pourquoi Jésus réagit-il par la colère à cette demande somme toute logique de guérison ? Pas par sentiment d’injustice politique ou sociale : Jésus n’est pas venu inaugurer un royaume terrestre. Pas par ressentiment envers ce lépreux qui ne sait que mendier : Jésus a guéri tant d’autres malades dont la détresse le bouleversait au cœur. Non, mais il faut se souvenir qu’en Mc 1,41 nous sommes au début de l’Évangile. Marc vient de montrer Jésus empêcher les démons de parler pour révéler qui il est vraiment (1,34) : c’est le fameux secret messianique cher à Marc. Et quand Simon et les autres veulent en faire l’exorciste officiel de Capharnaüm (ce qui les aurait bien servis !), Jésus refuse et n’est pas loin de se fâcher : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti » (Mc 1,38).

Jésus est sorti de Nazareth / de Capharnaüm / de la divinité même, afin de proclamer l’Évangile. Et voilà qu’on veut l’enfermer dans un rôle finalement secondaire par rapport à sa mission, en le cantonnant à Capharnaüm : or guérisseur n’est pas Messie, Capharnaüm n’est pas le monde.

 

Le lépreux veut le forcer à briller aux yeux des foules en tant que thaumaturge. Il fait d’ailleurs courir un grand risque à Jésus car certaines lèpres se transmettent par les postillons et pas seulement par le toucher. Dès lors qu’il s’approche pour parler à Jésus de sa guérison, le lépreux le force à réagir sinon il sera contaminé comme lui. Ce coup de force ne plaît pas à Jésus qui lui fait savoir qu’on n’exige pas le don de Dieu, et que réduire la proclamation de l’Évangile aux guérisons spectaculaires est une trahison de sa vocation messianique.

 

Jésus a de quoi être doublement en colère donc : on lui force la main, et on dénature sa mission. Mais cela cadrait assez peu avec l’image que les évangélistes après Marc voulaient transmettre. Alors Matthieu et Luc ont fait disparaître cette colère de Jésus, trop peu conventionnelle à leur goût : « Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : “Je le veux, sois purifié.” Et aussitôt il fut purifié de sa lèpre » (Mt 8,3 ; Lc 5,13). Et les pieux copistes ont ensuite transformé le texte de Marc pour le rendre plus acceptable en remplaçant la colère par la compassion. Ils se souvenaient sans doute de l’avertissement de Jésus lui-même sur la gravité de la colère : « Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal » (Mt 5,22).

 

Quand on examine les 8 seules occurrences du terme colère dans le Nouveau Testament, on constate que l’épisode du lépreux est l’unique passage où cette colère est attribuée à Jésus. Les 5 autres recours à la colère dans les évangiles sont des figures de style dans des paraboles (Mt 18,34 ; 22,7 ; Lc 14,21 ; 15,28) où le roi / le maître / le fils aîné se mettent en colère contre ceux qui n’acceptent pas leur volonté. Autant dire que cette colère est plutôt négative, comme la colère des nations contre le Messie (Ap 11,18) et du dragon contre la femme (Ap 12,17).

La seule colère de Jésus en Mc 1,41 n’en est que plus impressionnante et significative : renverser un ordre injuste est peut-être plus important que de consoler le pauvre qui en souffre ; trouver un remède et un vaccin compte peut être plus qu’embrasser un lépreux…

 

La compassion de Jésus

 colère dans Communauté spirituelleÉvidemment, à trop durcir les traits positifs de la colère, on peut en devenir inhumain, insensible et froid. Quand les copistes remplaçaient la colère par la compassion, ils n’avaient pas tout à fait tort. Car les 12 usages du mot compassion dans le Nouveau Testament plaident pour un portrait de Jésus pétri d’humanité, se laissant toucher et même bouleverser par le malheur des autres rencontré en chemin. Il est « ému de compassion (σπλαγχνζομαι, splagchnizomai) » devant les foules languissantes et abattues comme des brebis sans berger (Mt 9,36;14,14;15,32 ; Mc 6,34;8,2), devant des aveugles de naissance (Mt 20,34), devant un débiteur incapable de rembourser sa dette (Mt 18,27), devant l’épileptique aux tendances suicidaires (Mc 9,22), devant le chagrin de la veuve de Naïn portant en terre son fils unique (Lc 7,13), à l’image du samaritain touché par la détresse du blessé sur la route (Lc 10,33) ou du père du fils prodigue qui court se jeter à son cou pour l’embrasser (Lc 15,20).

 

La compassion est donc dans l’ADN de Jésus. Elle fait écho à la hesed de YHWH (cf. la belle encyclique de Jean-Paul : Dives in misericordia, 1980), la tendresse miséricordieuse par laquelle ses entrailles divines sont bouleversées à la vue de la misère de son peuple. C’est un trait féminin, quasi maternel : la compassion de Jésus est sans doute sa part de féminité – son anima dirait Jung – qui lui donne de percevoir de l’intérieur la souffrance de l’autre.

 

Impossible d’être le Messie sans cette empathie fondamentale : éprouver au plus intime la détresse d’autrui, pour la partager, pour la soulager.

C’est cette empathie–compassion–miséricorde–hesed qui a poussé Jésus à prendre la dernière place, celle des exclus, afin qu’ils ne soient plus seuls. Ainsi dans notre texte, le lépreux ayant réussi son coup (de force, c’est Jésus qui devient comme lépreux en quelque sorte, puisqu’ « il ne peut plus entrer ouvertement dans une ville et est obligé de rester à l’écart dans des endroits déserts » (Mc 1,45), comme les lépreux à son époque.

 

Êtes-vous plutôt Père Damien ou Alice Augusta Ball ?

Alors finalement, qu’est-ce qui est le plus important : la colère ou la compassion ?

Répondre par un « en même temps » serait une solution trop facile, car chacune des deux réponses demande de s’y engager absolument, sans compromission. « Que votre oui soit oui, que votre non soit non » (Mt 5,37). On ne peut se laisser submerger par le sentiment si on veut éradiquer la lèpre. Et on ne peut faire semblant d’être ému si on veut vivre avec les lépreux d’aujourd’hui.
Prenons l’exemple du lépreux de ce dimanche qui s’adresse à Jésus : la compassion demande de le serrer dans ses bras, et de ne pas le laisser seul ; la colère contre la maladie demande de trouver des remèdes pour soigner, et mieux encore pour éradiquer la lèpre.

Alice Augusta Ball

Alice Augusta Ball

Père Damien

Dans le premier cas, vous êtes le Père Damien, missionnaire belge qui a tout quitté pour vivre au milieu des lépreux de l’île de Molokaï à Hawaï au XIX° siècle (1873-1889), jusqu’à mourir lui-même de la lèpre.

Dans le second cas, vous êtes Alice Augusta Ball, qui a réussi en 1915 à extraire le principe actif d’une plante pour fabriquer le premier vrai traitement de la lèpre, annonçant sa guérison généralisée [1].

 

Êtes-vous plutôt Père Damien ou Alice Augusta Bal ? …


Sur la durée d’une vie humaine, il y a peut-être un temps pour la colère, et un temps pour la compassion, ou une alternance de ces temps.

Il nous faut des acteurs engagés résolument dans le combat contre les structures injustes, contre tout ce qui dégrade notre humanité.

Et il nous faut d’autres acteurs engagés tout aussi résolument dans l’accompagnement, l’être-avec des plus souffrants.


Si vous choisissez la colère, allez jusqu’au bout du combat qu’elle exige.

Si vous choisissez la compassion, allez jusqu’au bout de la communion qu’elle appelle.
« Tout le reste vient du Mauvais » (Mt 5,37).

________________________________________

[1]. Aujourd’hui, la lèpre est une maladie curable. Le schéma thérapeutique actuellement recommandé est une polychimiothérapie qui comprend trois médicaments : la dapsone, la rifampicine et la clofazimine. La durée du traitement est de 6 mois pour les cas paucibacillaires et de 12 mois pour les cas de multibacillaires. La science fait mieux que les guérisseurs…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Le lépreux habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp » (Lv 13, 1-2.45-46)

Lecture du livre des Lévites
Le Seigneur parla à Moïse et à son frère Aaron, et leur dit : « Quand un homme aura sur la peau une tumeur, une inflammation ou une pustule, qui soit une tache de lèpre, on l’amènera au prêtre Aaron ou à l’un des prêtres ses fils. Le lépreux atteint d’une tache portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera : “Impur ! Impur !” Tant qu’il gardera cette tache, il sera vraiment impur. C’est pourquoi il habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp. »

PSAUME
(31 (32), 1-2, 5ab, 5c.11)
R/ Tu es un refuge pour moi ; de chants de délivrance, tu m’as entouré. (31, 7acd)

Heureux l’homme dont la faute est enlevée,
et le péché remis !
Heureux l’homme dont le Seigneur ne retient pas l’offense,
dont l’esprit est sans fraude !

Je t’ai fait connaître ma faute,
je n’ai pas caché mes torts.
J’ai dit : « Je rendrai grâce au Seigneur
en confessant mes péchés. »

Toi, tu as enlevé l’offense de ma faute.
Que le Seigneur soit votre joie !
Exultez, hommes justes !
Hommes droits, chantez votre allégresse !

DEUXIÈME LECTURE
« Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ » (1 Co 10, 31 – 11, 1)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, tout ce que vous faites : manger, boire, ou toute autre action, faites-le pour la gloire de Dieu. Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l’Église de Dieu. Ainsi, moi-même, en toute circonstance, je tâche de m’adapter à tout le monde, sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés. Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ.

ÉVANGILE
« La lèpre le quitta et il fut purifié » (Mc 1, 40-45)
Alléluia. Alléluia. Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. Alléluia. (Lc 7, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, un lépreux vint auprès de Jésus ; il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié. Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. » Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui.

Patrick BRAUD

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