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L’évangile d’entrée en Carême unit chaque année trois pratiques en une seule démarche de conversion : l’aumône, la prière, le jeûne. Sous condition de secret, ces trois dispositions du cœur marquent les 40 jours du Carême, pour qu’elles soient présentes tout au long de l’année.
Lisez comment St Pierre Chrysologue (ce surnom grec signifie « paroles d’or »), évêque de Ravenne au V° siècle, commentait les liens entre les trois :
« Il y a trois actes, mes frères, trois actes en lesquels la foi se tient, la piété consiste, la vertu se maintient : la prière, le jeûne, la miséricorde. La prière frappe à la porte, le jeûne obtient, la miséricorde reçoit. Prière, miséricorde, jeûne : les trois ne font qu’un et se donnent mutuellement la vie.
En effet, le jeûne est l’âme de la prière, la miséricorde est la vie du jeûne. Que personne ne les divise : les trois ne peuvent se séparer. Celui qui en pratique seulement un ou deux, celui-là n’a rien. Donc, celui qui prie doit jeûner ; celui qui jeûne doit avoir pitié ; qu’il écoute l’homme qui demande, et qui en demandant souhaite être écouté ; il se fait entendre de Dieu, celui qui ne refuse pas d’entendre lorsqu’on le supplie.
Celui qui pratique le jeûne doit comprendre le jeûne : il doit sympathiser avec l’homme qui a faim, s’il veut que Dieu sympathise avec sa propre faim ; il doit faire miséricorde, celui qui espère obtenir miséricorde ; celui qui veut bénéficier de la bonté doit la pratiquer ; celui qui veut qu’on lui donne doit donner. C’est être un solliciteur insolent, que demander pour soi-même ce qu’on refuse à l’autre.
Voici la norme de la miséricorde à ton égard : si tu veux qu’on te fasse miséricorde de telle façon, selon telle mesure, avec telle promptitude, fais toi-même miséricorde aux autres, avec la même promptitude, la même mesure, la même façon.
Donc la prière, la miséricorde, le jeûne doivent former un patronage pour nous recommander à Dieu, doivent former un seul plaidoyer en notre faveur, une seule prière en notre faveur sous cette triple forme.
Ce que nous avons perdu par le mépris, nous devons le conquérir par le jeûne ; immolons nos vies par le jeûne parce qu’il n’est rien que nous puissions offrir à Dieu de plus important, comme le prouve le Prophète lorsqu’il dit : Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; le cœur qui est broyé et abaissé, Dieu ne le méprise pas.
Donne à Dieu ta vie, offre l’oblation du jeûne pour qu’il y ait là une offrande pure, un sacrifice saint, une victime sainte qui insiste en ta faveur et qui soit donnée à Dieu. Celui qui ne lui donnera pas cela n’aura pas d’excuse. Parce qu’on a toujours soi-même à offrir.
Mais pour que ces dons soient agréés, il faut que vienne vite la miséricorde. Le jeûne ne porte pas de fruit s’il n’est pas arrosé par la miséricorde ; le jeûne se dessèche par la sécheresse de la miséricorde ; ce que la pluie est pour la terre, la miséricorde l’est pour le jeûne. Celui qui jeûne peut bien cultiver son cœur, purifier sa chair, arracher les vices, semer les vertus : s’il n’y verse pas les flots de la miséricorde, il ne recueille pas de fruit.
Toi qui jeûnes, ton champ jeûne aussi, s’il est privé de miséricorde; toi qui jeûnes, ce que tu répands par ta miséricorde rejaillira dans ta grange. Pour ne pas gaspiller par ton avarice, recueille par tes largesses. En donnant au pauvre, donne à toi-même ; car ce que tu n’abandonnes pas à autrui, tu ne l’auras pas. »
St Pierre Chrysologue : Homélie sur la prière, le jeûne et l’aumône, (+ 451).
PREMIÈRE LECTURE « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » (Jl 2, 12-18)
Lecture du livre du prophète Joël
Maintenant – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et laisser derrière lui sa bénédiction : alors, vous pourrez présenter offrandes et libations au Seigneur votre Dieu. Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre ! Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : “Où donc est leur Dieu ?” » Et le Seigneur s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple.
PSAUME(50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17)
R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. 50, 3)
Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde,
efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait. Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint. Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne. Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange.
DEUXIÈME LECTURE « Laissez-vous réconcilier avec Dieu. Voici maintenant le moment favorable » (2 Co 5, 20 – 6, 2)
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui. Car il dit dans l’Écriture: Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut.
ÉVANGILE
« Ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 1-6.16-18) Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur. Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (cf. Ps 94, 8a.7d)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. » Patrick BRAUD
Homélie du 5° dimanche de carême / Année C 13/03/2016
D’habitude, on commente l’évangile de la femme adultère de notre cinquième dimanche de carême en le spiritualisant très vite. On en arrive alors à des messages essentiels : la priorité de la miséricorde sur la loi, la distinction entre le péché et le pécheur, Jésus Maître de la Loi etc…
Hélas, les actualités qui nous arrivent régulièrement de certains pays musulmans nous obligent à revenir à la matérialité des faits évoqués. Car bien des codes juridiques sur la planète ont intégré ce châtiment supposé exemplaire dans leur législation, au nom de la charia.
D’où vient donc cette coutume que nous jugeons aujourd’hui barbare (sous l’influence de Jn 8 notamment) ? Pourquoi la lapidation est-elle pratiquée ? Est-elle inscrite dans la Bible ou le Coran [1]?
1. La lapidation dans l’Ancien Testament
a) Une pratique héritée
Les spécialistes de la Grèce antique relèvent de fort nombreux textes mentionnant la lapidation. Il semble que les Hébreux aient commencé à réfléchir à la loi garantissant l’unité et la sainteté du peuple dans un contexte où ce châtiment était commun et ne posait pas de problème en soi. Un peu comme le bagne, l’esclavage ou la guillotine était pratiqués chez nous jusqu’au XVIIIe siècle (voire le XIXe) sans que les consciences ne s’en émeuvent vraiment.
Ainsi les passages de l’Ancien Testament attestant cette pratique sont nombreux (30 occurrences du verbe lapider). Pour cause d’adultère, comme le mentionne Jn 8 : Dt 22,22 : « Si l’on prend sur le fait un homme couchant avec une femme mariée, tous deux mourront : l’homme qui a couché avec la femme et la femme elle-même. Tu feras disparaître d’Israël le mal. »
Pour fausse prophétie ou culte astrologique (Dt 13, 1-11), insoumission du fils à ses parents (Dt 19, 18-21), blasphème (Lv 24,16), non respect du sabbat (Nb 15,36, dissimulation et vol d’un butin de guerre (Jos 7,25) … : les motifs ne manquent pas !
Le refrain : « Tu feras disparaître le mal d’au milieu de toi » renvoie à la vocation d’Israël de refléter l’unique sainteté de Dieu. Tout pécheur qui contredit cette sainteté collective est éliminé… Et tout le peuple doit participer, sur la base de deux témoins au minimum.
On notera l’étroitesse des liens entre les lapidations grecques et juives : lapidations qui se font hors de la ville (Lv 24, 14.23; Nb 15,35; Dt 31,19; 22, 21.24); lapidations qui expriment la volonté populaire (Ex 8,23 ; 18,4 ; Lv 20,2 ; 24, 14-16; Nb 14,10.15.35; Ez 23,47; Dt 13,10-11; 17,5 et 21,21; Jos 7,25; 1S 30,6; 1R 12,18); lapidations qui écartent le Mal (Dt 21,21 ; 22,21).
Lapidation pour non respect du sabbat
Guiard des Moulins, Bible historiale, Paris, XIVe siècle
Bibliothèque nationale de France
b) Une pratique peu à peu disqualifiée
Les commentaires rabbiniques évoluèrent au fil des siècles en soulignant que le rôle de ces versets était davantage d’avertir que de punir. Pratiquée encore (notamment contre les chrétiens) aux premiers siècles du christianisme, la lapidation recule cependant et n’est en pratique plus prescrite ni pratiquée par les tribunaux juifs.
Le rabbin orthodoxe Aryeh Kaplan écrit au sujet de la peine de mort dans le judaïsme :
« En pratique ces peines ne sont presque jamais invoquées, et existaient principalement comme un moyen de dissuasion et afin d’indiquer la gravité des péchés pour lesquels elles ont été prescrites. Les règles sévères codifiées dans la Torah afin de protéger l’accusé ont de fait rendu impossible l’application de ces sanctions, le système pénal pouvant devenir brutal et barbare à moins d’être administré dans une atmosphère de la plus haute moralité et piété. Lorsque ces normes ont diminué dans le peuple juif, le Sanhédrin a volontairement aboli ce système de sanctions. »
2. La lapidation dans le Nouveau Testament
a) Jésus accomplit la Loi
Qu’allaient donc faire les chrétiens de ces versets lapidaires de la loi de Moïse ? Notre épisode de Jn 8 est crucial : Jésus s’y révèle interprète de la loi, magistralement habile pour à la fois ne pas en contredire le texte (pas le moindre iota n’en est enlevé) et le dépasser en l’intériorisant absolument. Accomplir la loi consiste pour Jésus à se l’appliquer d’abord à soi-même avant de réclamer un châtiment pour autrui : « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Ainsi, tout libéralisme est déclaré impur. Ainsi tout fondamentalisme qui voudrait condamner au lieu de sauver se trouve en frontale opposition avec l’Esprit du Christ : « je ne te condamne pas ; va et désormais ne pèche plus ».
b) Étienne, ou la lapidation inversée
Au lieu d’être des bourreaux jetant des pierres à leurs opposants, les chrétiens, pendant les trois premiers siècles au moins, sont devenus les victimes de la lapidation que Jésus avait rendu obsolète. Étienne, le premier à mourir pour sa foi au Ressuscité, sera lapidé hors de la ville de Jérusalem. En suivant la logique qui selon René Girard démasque la vérité de la violence, on peut voir dans les martyrs des premiers siècles les témoins innocents qui dénoncent le mal et l’injustice de la lapidation (ainsi que du supplice par les fauves dans les cirques romains etc.).
La lapidation de saint Étienne
Gabriel-Jules Thomas, 1863
Lunette du portail de l’église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris
Ensuite, l’Église oubliera hélas le sang des martyrs pour faire elle-même couler le sang de ses opposants, en raffinant les supplices infligés… Elle se plaçait elle-même en totale contradiction avec le message et l’Esprit de son fondateur comme Jn 8 nous les ont transmis. L’Écriture juge l’Église lorsqu’elle y est infidèle, car le Nouveau Testament contient en lui-même les principes d’une critique radicale de toute instrumentalisation de la personne du Christ. Que l’Église se soit éloignée de la miséricorde n’invalide pas au contraire la priorité de la miséricorde sur la loi établie par Jésus.
3. La lapidation dans l’islam
La grande différence avec l’islam est que pour les juifs ou les chrétiens la Bible n’est pas la parole de Dieu incréée, mais des témoignages humains sur un dieu transcendant, et donc susceptibles d’herméneutique, d’interprétation en resituant le texte dans son contexte.
Qu’en est-il de la lapidation dans le Coran, dans la charia ?
a) Pas dans le Coran, mais dans les hadiths et la charia
Les versets du Coran faisant allusion à la punition des adultères sont clairs : ils mentionnent des coups de fouet mais pas la lapidation. Sourate 4,15: « Celles de vos femmes qui forniquent, faites témoigner à leur encontre quatre d’entre vous. S’ils témoignent, alors confinez ces femmes dans vos maisons jusqu’à ce que la mort les rappelle ou qu’Allah décrète un autre ordre à leur égard. »
Sourate 24,2: « la fornicatrice et le fornicateur, fouettez-les chacun de cent coups de fouet. Et ne soyez point pris de pitié pour eux dans l’exécution de la loi d’Allah – si vous croyez en Allah et au Jour Dernier. Et qu’un groupe de croyants assiste à la punition. »
Cependant les hadiths (paroles et actes de Mohamed rapportés par ses disciples) mentionnent un mystérieux verset de la lapidation qui aurait été inscrit dans le Coran, puis retiré ensuite, et l’accord de Mohamed en plusieurs situations où la lapidation a été pratiquée en sa présence.
Les Imams Bukhari et Muslim ont rapporté que les juifs sont venus demander le jugement du prophète sur un homme et une femme juifs qui ont commis la fornication.
Le Messager d’Allah a dit : « Que trouvez-vous dans la Thora au sujet de la fornication ? » Ils répondirent : « Nous les dénonçons et nous les fouettons. » Mais Abd’Allah Ben Salam a dit : « Vous mentez mais c’est plutôt la lapidation ». Ils ont alors apporté la Thora et l’ont exposé puis un d’entre eux a montré de doigt le Verset sur la lapidation. Ils ont ensuite dit : « Il dit la vérité, ô Muhammad ! C’est la lapidation ». Le Messager d’Allah a alors ordonné de lapider l’homme et la femme. Abd’Allah dit : « J’ai vu l’homme se rapprocher de la femme voulant la protéger contre les pierres. »
Un autre hadith concerne les personnes qui, ayant été mariées, ne sont plus vierges, et ont quitté leur époux ou épouse [le mot arabe est tayyib] :
« L’envoyé de Dieu, lorsque descendait sur lui la révélation, en éprouvait chagrin soucieux, et son visage devenait sombre. Et un jour Dieu lui envoya la révélation, et lorsqu’il fut libéré de son souci il dit : Prenez de moi ! Dieu leur a donné [= aux femmes] une voie : [adultère de] tayyib avec tayyib, et de vierge avec vierge : le/la tayyib flagellation de cent [coups] et lapidation avec des pierres; le/la vierge, flagellation de cent [coups], puis exil d’un an ». [Musnad, V, 317, et passim; comp. Coran, 4, 15-16].
b) Mohammed restaurateur de la Loi juive (vs Jésus)
« L’envoyé de Dieu a lapidé, et nous avons lapidé après lui ! »
La formule, qui figure dans la Sira comme dans tous les ouvrages de hadiths, fait partie du discours du calife ‘Umar, père de ‘Abd- Allâh, qu’il prononça alors qu’il était en butte à l’opposition de ceux qui mettaient en cause la légitimité de son élection.
L’argument est simple : Mohamed se présente comme celui qui restaure la vérité du message de Dieu, message que Moïse et Jésus avait transmis mais qui avait été obscurci par les juifs puis les chrétiens. « Ne me louez pas à l’excès comme on a loué Jésus fils de Marie », aurait dit Mohamed. Face à Jésus qui prétend accomplir la loi en pardonnant, il veut rétablir la pureté de la loi de Moïse en revenant à la Torah. Or la Thora prescrit de lapider les adultères. « Mais comment te demanderaient-ils d’être leur juge quand ils ont avec eux la Thora dans laquelle se trouve le jugement d’Allah ? Et puis, après cela, ils rejettent ton jugement. Ces gens-là ne sont nullement les croyants. » (Sourate 5:43)
Un parallèle entre les hadiths et Jn 8 fait apparaître que Mohamed a voulu se présenter comme un nouveau Jésus, au message inversé : la loi, rien que la loi, toute la loi.
Pourquoi ce châtiment a-t-il été inventé ? Pourquoi a-t-il fasciné les foules grecques, hébreues ou musulmanes ?
Des anthropologues et historiens ont scruté ses symboliques profondes et inconscientes qui donnent toute sa force à la lapidation.
a) Exclure le mal hors de la ville
Israël se perçoit comme reflet de la sainteté de Dieu : il ne peut donc supporter qu’une tache vienne obscurcir cette sainteté, et veut l’éliminer à tout prix.
On n’avait pas, à cette époque, une conception individuelle du péché. La faute d’un individu était vue comme une maladie qui était venue se loger au cœur de la communauté et qui risquait, si elle n’était pas enlevée, de contaminer le corps tout entier. On devait donc s’en débarrasser au plus vite. Il fallait retrancher de son sein le fautif : « Tu ôteras le mal du milieu de toi » (Dt 21,21)!
Poussé aux portes de la ville (1 R 21,10.13; Lc 24,14), l’individu était rejeté non seulement de l’espace où il habitait, mais également de la communauté à laquelle il appartenait. Son corps était parfois exposé après sa mort « suspendu au bois », mais il devait être détaché avant la nuit (Dt 21,22-23).
Jésus a été lui aussi rejeté hors de la ville, personnifiant ainsi le mal, devenant un maudit de Dieu, et suspendu au bois de la croix. Il s’attendait d’ailleurs à être lapidé comme tant de prophètes (cf. Jn 10,31-32; 11,8; 13,34; Mt 21,35; 23,37). Paul a échappé plusieurs fois à la lapidation, après avoir lui-même gardé les vêtements de ceux qui jetaient les pierres sur Etienne…
b) Purifier la communauté (catharsis)
Un individu qui transgressait la Loi attirait sur les autres membres de sa communauté le malheur. La communauté avait donc peur que Dieu n’exerce sa colère contre elle. En lapidant le membre fautif, elle signifiait clairement devant Dieu et devant les hommes le rejet du péché dont il était coupable et espérait l’indulgence de Dieu à son égard. La lapidation réparait l’offense et purgeait la communauté toute entière.
Il s’agissait donc de protéger la communauté des conséquences du mal commis, qui sinon retomberait sur le peuple en punition pour sa complicité. On comprend pourquoi toute la foule doit jeter des pierres, et pas seulement un bourreau professionnel ou des magistrats.
c) Pétrifier le mal
Le corps de la personne lapidée, entouré des pierres s’amoncelant autour de lui, finit par se pétrifier, incapable de se mouvoir, de ressentir, de se répandre. Au regard de tous, le mal personnifié dans le lapidé est stoppé net dans sa course. Rassurée par ce stop absolu, la foule actrice du supplice revient chez elle apaisée pour un temps d’avoir pu pétrifier le mal à l’oeuvre dans la communauté.
Le corps du supplicié est enseveli sous terre pour enfouir ses péchés de chair, alors que sa tête est découverte, en proie aux jets de pierre, pour que son âme puisse s’absoudre et s’élever.
La pétrification à sa manière témoigne de cette volonté de chasser, d’expulser, d’anéantir. Et ceci sans qu’il y ait de contact avec la victime, donc sans contracter d’impureté rituelle.
Le jet se veut rejet et l’amas de pierres isole définitivement l’individu du groupe sans qu’une responsabilité individuelle ne se dégage.
d) Rejeter les tyrans
Les textes de la Grèce antique nous révèlent un autre aspect inédit de la lapidation. Car en démocratie, ce n’était pas toujours sur les adultères qu’on jetait des pierres : les tyrans étaient également soumis à ce traitement ! Jeter des pierres sur le tyran ou inscrire son nom sur une pierre pour le chasser devient le symbole de la résistance contre l’oppression…
L’ostrakon (οστρακον) est un caillou sur lequel est inscrit le nom de l’aspirant à la tyrannie que la cité démocratique choisit d’expulser de son territoire. Il se substitue à la pierre lancée par le peuple ou les magistrats contre le tyran. La procédure perd de sa barbarie, non de son efficacité (le mot ostracisme vient de là).
e) Faire l’apprentissage de la démocratie
La démocratie grecque va plus loin encore. Les tas de pierres « Hermès » jalonnant les routes entre les cités invitaient les citoyens à renouveler leur adhésion à la chose publique (res-publica) :
« Une scholie à l’Odyssée (XVI,471) rapporte un étrange récit remontant à Anticlide : Hermès, sur ordre de Zeus, fut amené à tuer Argus – le monstre aux yeux multiples, gardien de la vache Io aimée de Zeus – et il le fit en lui lançant de loin une pierre (du moins dans certaines versions). Les dieux furent amenés à le juger et rendirent un verdict curieux : ils disposèrent au pied d’Hermès de petites pierres – des ψήφοι – constituant ainsi le premier des « tas d’Hermès », les Έρμαΐοι λόφοι, que l’on rencontrait sur les routes grecques et sur lesquels chaque passant devait jeter sa propre pierre. Le jet du ψήφος est en fait bien autre chose qu’un banal jet de pierres. Il exprime le sentiment de celui qui jette sa participation, sa prise de position, en un mot son vote. »
Ces petits tas de pierres dédiés à Hermès que l’on rencontrait sur les routes sur lesquels chaque passant devait jeter sa propre pierre exprime la participation de celui qui le jette aux pratiques communes. Cette expression préfigure le vote.
La lapidation s’inscrit ainsi dans un moment bien précis de l’évolution des mécanismes institutionnels et juridiques de la cité grecque. Le monde grec (et probablement d’abord le monde grec oriental) transforme une pratique cruelle et barbare, qui vient à coup sûr d’un vieux fonds de coutumes orientales que l’on retrouve – identiques – dans l’Ancien puis le Nouveau Testament, en un instrument décisif dans l’apprentissage de la vie démocratique.
f) Lapider Satan
Le dernier mot pourrait bien appartenir… à l’islam ! En effet, la spiritualisation du châtiment opéré par Jésus trouve son accomplissement dans la lapidation de Satan pratiquée dans les pèlerinages à la Mecque.
Ce lancer de ces pierres évoque l’action faite par Ibrahim et sa famille, où le diable, selon le texte religieux, leur apparut par trois fois en cet endroit. D’abord devant Ibrahim lui-même, puis devant sa femme Agar et ensuite devant leur fils Ismaël.
Le rite de la lapidation de Satan est fondé sur cette histoire: Satan chercha par trois fois à influencer Abraham pour qu’il désobéisse à Dieu; Dieu avait en effet ordonné à Abraham d’égorger son fils Ismaël. Les trois fois, Abraham répondit à Satan en le chassant à coups de pierres et s’apprêta donc à sacrifier son fils.
Sur les conseils de l’archange Gabriel, Ibrahim « lapide » par trois fois l’apparition à l’aide de sept cailloux, pour lui signifier son mépris. Ce geste a été perpétué, Satan étant symbolisé par trois piliers de pierre : un petit, un moyen et un grand, repérés par trois poteaux distants de respectivement 150 mètres. Tous trois furent remplacés par les autorités saoudiennes en 2004 par trois murs de 26 m long chacun, situés sous un pont, le Pont de Jamaraat. La rhétorique iranienne identifiant les USA au « grand Satan » vient de là…
Alors : lapider ?
- Oui, dit la Torah et les juifs avec elle, ne lisant cependant plus dans les textes qu’un avertissement salutaire et non un châtiment à appliquer.
- Oui, disent les musulmans suivant les hadiths et la charia, alors que les réformateurs veulent revenir au seul Coran (comportant quand même 100 coups de fouet en punition…).
- Non, plaident les chrétiens, pour qui la miséricorde est plus grande que la loi.
Finalement, lapider : oui, mais qui ?
Qui peut jeter la pierre sinon celui qui n’a jamais péché, c’est-à-dire le saint de Dieu – Jésus – qui ne l’a pas fait ? Qui lapider ? Non pas la femme adultère, mais tous les Satans, petits ou grands, qui nous éloignent de l’amour du pécheur
Lorsque la tentation s’approche, jetez-lui des pierres pour lui signifier que l’Esprit du Christ est plus fort qu’elle. Lapidez tous les Satans qui vous détournent de l’amour d’autrui…
[1]. Cette homélie doit beaucoup à Michel Gras, Cité grecque et lapidation, article in Publications de l’École française de Rome, 1984, volume 79 n°1, pp. 75-89, et Alfred-Louis de Prémare, Prophétisme et adultère, d’un texte à l’autre, in Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 1990, volume 58 n° 1, pp. 101-135, ainsi que J.P. Vernant, Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d’«Œdipe- Roi», dans J.P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris, 1973, pp. 101ss. Les citations viennent de ces ouvrages.
1ère lecture :« Voici que je fais une chose nouvelle, je vais désaltérer mon peuple »(Is 43, 16-21) Lecture du livre du prophète Isaïe
Ainsi parle le Seigneur, lui qui fit un chemin dans la mer, un sentier dans les eaux puissantes, lui qui mit en campagne des chars et des chevaux, des troupes et de puissants guerriers ; les voilà tous couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, consumés comme une mèche. Le Seigneur dit : « Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? Oui, je vais faire passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides. Les bêtes sauvages me rendront gloire – les chacals et les autruches – parce que j’aurai fait couler de l’eau dans le désert, des fleuves dans les lieux arides, pour désaltérer mon peuple, celui que j’ai choisi. Ce peuple que je me suis façonné redira ma louange. »
Psaume :Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6 R/ Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête ! (Ps 125, 3)
Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.
Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !
Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert.
Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.
Il s’en va, il s’en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes.
2ème lecture :« À cause du Christ, j’ai tout perdu, en devenant semblable à lui dans sa mort »(Ph 3, 8-14) Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens
Frères, tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa Passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus.
Evangile :« Celui d’entre-vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à jeter une pierre »(Jn 8, 1-11)
Acclamation : Gloire à toi, Seigneur. Gloire à toi.
Maintenant, dit le Seigneur, revenez à moi de tout votre cœur, car je suis tendre et miséricordieux. Gloire à toi, Seigneur. Gloire à toi. (cf. Jl 2, 12b.13c)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre. Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. » Patrick BRAUD
Reprenons une des méthodes toutes simples pour méditer, étudier, et prier un texte biblique. Lorsqu’il s’agit d’un récit ou d’une parabole, on peut s’identifier successivement à chaque personnage, et tranquillement éprouver ce qu’il éprouve, voir ce qu’il voit etc. tant que cela nourrit la méditation. Attardons-nous dans cette parabole du fils prodigue à une catégorie de personnages souvent ignorés et passés sous silence : les serviteurs, autrement dit les domestiques de la maison paternelle. Ils nous disent quelque chose de notre responsabilité envers ceux qui sont loin comme envers ceux qui sont proches. Ils nous rappellent la vocation d’accueil et de lien qui doit exister au sein de nos assemblées chrétiennes.
Laisser partir ceux qui veulent
Les serviteurs du domaine n’entrent en scène apparemment dans notre parabole qu’au verset 22, lorsque le père les appelle pour faire fête au fils prodigue. Pourtant, on devine qu’ils sont là depuis le début. Ils ont sans doute été navrés, comme le père, de voir partir ce fils cadet avec sa part d’héritage (prodigue vient du latin prodigere = « pousser devant soi » et « dépenser avec profusion » : le prodigue est donc celui qui dissipe son héritage follement). Ils ont dû être obligés de préparer ce partage, d’aider à le réaliser, et d’aider le fils à rassembler ses affaires afin de partir.
Ils apprennent ainsi du père à ne pas retenir ceux qui veulent transgresser, ceux qui apparemment renient leur famille, humaine ou spirituelle.
Nous sommes ces serviteurs si nous acceptons ainsi de laisser partir hors de l’Église ceux qui veulent chercher leur liberté ailleurs, un sens à leur vie autrement. Non sans craindre pour eux. Non sans trembler pour les détresses et les impasses dans lesquelles ils vont s’enfermer eux-mêmes. Non sans veiller, comme le père, matin après matin, et guetter les signes du retour du fils sur la route au loin… L’Église serait une secte si elle retenait de force ceux qui veulent en sortir. Sans les abandonner, elle préfère la liberté de partir à la pression pour rester en faisant semblant ou en y étant obligé.
Panneaux en ivoire d’un coffret : histoire du fils prodigue – Paris, vers 1250-1270
Faut-il inclure dans ces départs de fils prodigues les départs des enfants d’aujourd’hui pour Daech, vers la Syrie, la Libye, voulant rejoindre un prétendu califat islamique ? La question est douloureuse. Instinctivement, les parents cherchent à retenir leurs enfants et à les empêcher de partir (l’autorisation parentale de sortie de territoire pour les mineurs vient heureusement d’être rétablie pour garantir cette autorité). Instinctivement, la république française cherche à réprimer et punir ceux qui s’engagent sur cette voie (cf. le débat sur la déchéance de nationalité…). Ces réactions sont légitimes. Elles ne pourront jamais cependant constituer des digues étanches. Remplacer l’adhésion (à notre culture, à notre vision de société) par la contrainte ne tient qu’un temps, en état d’urgence. À terme, reconquérir le coeur de sa jeunesse est pour le monde non musulman un défi dont l’enjeu est la paix sociale. En attendant, laisser partir les prodigues qui veulent dilapider l’héritage culturel de l’Occident nous oblige à écouter, accompagner, débattre, convaincre ou non, et garder ouverte la porte, la frontière du retour pour ces enfants perdus de la république…
Habiller et nourrir les prodigues de retour
Au retour du prodigue, les serviteurs obéissent à l’ordre paternel de tout faire pour fêter celui qui revient. Ils lui passent le plus beau vêtement, symbole de son identité filiale retrouvée, renouvelée. Ils lui mettent la bague au doigt, symbole de son alliance restaurée avec sa famille. Comme Israël est à nouveau fiancée par Yahvé après l’Exil, comme l’Église est ré-épousée par le Christ après chacune de ses forfaitures. Les serviteurs se réjouissent de ces noces sans cesse réactualisées, et accomplissent ce geste si fort de passer l’alliance au doigt de celui qui ne se croyait plus rien. Restaurer la dignité des moins-que-rien est la joie des serviteurs que nous sommes. Surtout lorsque cette déchéance de nationalité divine semble s’imposer à eux de l’intérieur. Combien de SDF dans la rue en sont venus à désespérer d’eux-mêmes ? Combien de collègues de travail n’osent croire à leur utilité sociale, à leur capacité d’évoluer, à leur droit à l’erreur ?
Tuer le veau gras pour fêter le retour, c’est apprendre à valoriser, à raconter, à célébrer toutes ces victoires, petites et grandes, où la dignité d’un être humain est enfin restaurée après un passage à vide. Habiller les prodigues, c’est aujourd’hui revêtir de blanc les nouveaux baptisés enfant ou adultes. C’est préparer une belle célébration de mariage avec des fiancés. C’est ne pas condamner mais au contraire intégrer ceux qui autrefois étaient méprisés comme pécheurs publics (divorce, avortement, homosexualité…).
Informer le fils fidèle
La dernière mission des serviteurs dans la parabole est d’informer le fils aîné. À sa demande, un domestique lui raconte le retour de son frère, la joie de son père et la fête pour toute la maisonnée car c’est une vraie résurrection que de retrouver ainsi son frère « en bonne santé ». On ne sait pas ce que ce serviteur a ressenti devant la colère jalouse de l’aîné qui réclame justice en raison de sa fidélité (qui n’est pas sans rappeler la jalousie de Caïn envers Abel, ou le conflit entre Jacob et Ésaü…). Il a dû être navré à nouveau de ces dissensions familiales. Peut-être s’est-il dit que ces riches ne savent pas apprécier ce qu’ils ont, car toute cette histoire n’arriverait pas dans le petit peuple des domestiques, où l’héritage ne peut diviser les familles car il n’y en a pas, où l’on n’a pas les moyens de fêtes fastueuses avec veau gras qui rendraient jaloux les uns et privilégiés les autres…
En tout cas, il a fait son devoir en informant le fils fidèle de la merveille accomplie en son frère. C’est ce que nous devons continuer à faire : en accueillant les catéchumènes, tenons au courant les fidèles de la paroisse des merveilles accomplies en chaque conversion. En accompagnant ceux qui vont se marier, racontons à l’assemblée du dimanche combien l’Évangile a de la saveur quand on aime, et comment cela fait découvrir l’Église autrement. En préparant les obsèques avec les familles en deuil, la plupart du temps non pratiquantes, faisant des ponts avec la paroisse pour qu’elles s’y sentent accueillies, soutenues, lorsqu’elle viendront à la messe célébrée pour leur défunt ou croiseront des paroissiens dans la rue. En parlant du baptême à des parents eux-mêmes souvent non catéchisés, informons les fidèles baptisés des découvertes qui lancent ces parents sur le chemin d’un lien plus familier avec l’Église. Etc. !
Nous ne serions pas serviteurs du Père si nous n’avions pas la passion d’accueillir les enfants infidèles tout en maintenant la communion avec les chrétiens ‘de souche’.
Laisser partir ceux qui le veulent. Habiller et nourrir les prodigues. Informer les fidèles. Ce triple rôle des serviteurs de la parabole semble mineur. Mais sans eux, le Père n’aurait pas pu manifester sa miséricorde. Servir les prodigues tout en faisant le lien avec les fidèles : cela se joue en paroisse, au travail, en famille…
1ère lecture : L’arrivée du peuple de Dieu en Terre Promise et la célébration de la Pâque (Jos 5, 9a.10-12)
Lecture du livre de Josué
En ces jours-là, le Seigneur dit à Josué : « Aujourd’hui, j’ai enlevé de vous le déshonneur de l’Égypte. » Les fils d’Israël campèrent à Guilgal et célébrèrent la Pâque le quatorzième jour du mois, vers le soir, dans la plaine de Jéricho. Le lendemain de la Pâque, en ce jour même, ils mangèrent les produits de cette terre : des pains sans levain et des épis grillés. À partir de ce jour, la manne cessa de tomber, puisqu’ils mangeaient des produits de la terre. Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël, qui mangèrent cette année-là ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan.
Psaume : Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7 R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (cf. Ps 33, 9a)
Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !
Magnifiez avec moi le Seigneur,
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond :
de toutes mes frayeurs, il me délivre.
Qui regarde vers lui resplendira,
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend :
il le sauve de toutes ses angoisses.
2ème lecture : « Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ » (2 Co 5, 17-21) Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. Tout cela vient de Dieu : il nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné le ministère de la réconciliation. Car c’est bien Dieu qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui : il n’a pas tenu compte des fautes, et il a déposé en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu.
Evangile : « Ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie » (Lc 15, 1-3.11-32)
Acclamation : Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. (Lc 15, 18)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Alors Jésus leur dit cette parabole : « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : ‘Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’ Et le père leur partagea ses biens. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre. Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. Alors il rentra en lui-même et se dit : ‘Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’ Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : ‘Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.’ Mais le père dit à ses serviteurs : ‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.’ Et ils commencèrent à festoyer. Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait. Celui-ci répondit : ‘Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.’ Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : ‘Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !’ Le père répondit : ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! » Patrick BRAUD
Homélie du 3° dimanche de carême / Année C 28/02/2016
De l’importance des faits divers
Les Évangiles font rarement place aux faits divers. Le sensationnalisme et la flatterie du goût pour le morbide ne sont pas les clés du succès littéraire du Nouveau Testament…
Pourtant, notre passage de Luc 13, 1-9 contient de ces faits divers que la presse en tout genre adore et nous sert quotidiennement dans leur « une » de papier ou d’écran. Pourquoi Luc s’intéresse-t-il tout d’un coup aux exactions de Pilate ou aux accidents de chantiers de Siloé ? Serait-il comme Hegel, qui affirmait que « la lecture des journaux est la prière du matin moderne » ?
« Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » (Lc 13, 1-5)
Visiblement, il veut montrer comment lire « les signes des temps », c’est-à-dire déchiffrer dans l’actualité les appels salutaires à nous convertir. Jésus ne méprise pas le bulletin des news quotidiennes de France Info ou BFM TV. Il est au courant des drames qui émeuvent « les gens » (comme dit Luc) ordinaires. Ils posent une vraie question : comment croire en Dieu alors que le malheur innocent frappe des pratiquants (galiléens massacrés par Pilate) et indistinctement des passants (les victimes de la chute de la tour de Siloé) ?
Redoutable question à l’origine de l’athéisme pratique de tant de nos contemporains. Si Dieu existe, pourquoi laisse-t-il arriver tant de souffrances injustes ? Qu’elles viennent des hommes (Pilate) ou des lois de la nature (la tour de Siloé), le mal s’impose contre la puissance d’un Dieu réputé être bon pour l’homme. Mais qu’est-ce que la bonté d’un Dieu s’il est impuissant à nous protéger ? À quoi sert l’amour d’un Dieu qui subit le mal et ne peut rien contre le malheur innocent ?
C’est la vieille question de la théodicée, terme théologique qui désigne le défi de concilier l’amour qu’est Dieu avec la réalité du mal, de la souffrance et du malheur innocent.
La non-réponse du Christ
Visiblement, Jésus ne se lance pas dans de savantes explications sur l’origine de ce mal politique ou technologique. Le plus important pour lui n’est pas tant de savoir pourquoi cela arrive que de discerner pour quoi cela nous touche. Le pour quoi est lié ici à une réflexion sur la finalité plus que sur les causes. La lecture qu’en fait Jésus est à la fois très simple et très profonde : ces faits divers vous montrent combien la vie de chacun est fragile et éphémère. Tirez donc parti du temps présent pour réorienter votre existence avant qu’il ne soit trop tard. N’attendez pas demain pour vous convertir, car demain vous pouvez fort bien ne plus être là.
Bien sûr, il faut des analystes politiques pour démonter les mécanismes du totalitarisme façon Pilate qui hier engendraient des massacres au nom de l’orthodoxie romaine, où des massacres de dissidents dans les goulags soviétiques.
Bien sûr, il faut des analyses scientifiques et techniques pour comprendre la chute d’une tour à Siloé ou d’un panneau d’affichage à Paris engendrant des morts absurdes.
Dans les deux cas, expliquer les causes pourra permettre d’éviter que cela se reproduise.
Mais soyons réalistes : malgré la formidable intelligence humaine, cela se reproduit toujours de siècle en siècle. Là comme ailleurs, « il n’y a rien de nouveau sous le soleil », comme l’écrivait l’Ecclésiaste (Si 1,9). Le totalitarisme resurgit, changeant d’habits ou d’idéologie, mais toujours aussi meurtrier. Les catastrophes naturelles ou technologiques font toujours la une des médias. Du tremblement de terre de Lisbonne (Voltaire) à l’Amoco-Cadiz sur les côtes bretonnes ou la fonte des glaces aux pôles, rêver d’une planète sans malheur (innocent ou non) est irréaliste, et largement démenti par l’histoire.
Sans dévaloriser ce combat permanent contre le mal, le Christ refuse d’en rester là : puisque ce mal existe, s’impose concrètement aujourd’hui, qu’allez-vous en faire ?
Allez-vous vous laisser submerger par le désespoir ? Le cynisme ? Où allez-vous y puiser une force pour orienter votre vie autrement, c’est-à-dire vous convertir, vous tourner vers la finalité ultime de vos actes ?
Réfléchissez sur le pour quoi de vos efforts, de vos aspirations les plus vraies, et vous verrez que même le malheur innocent ne pourra plus rien contre vous.
À la façon de St Ignace méditant sur lui-même suite à une fracture de la jambe, ou de Nelson Mandela se transformant dans sa prison en artisan de réconciliation nationale, tirez profit même de la catastrophe la plus imprévue pour revenir à vous-même, pour redonner sens à ces quelques éclairs fugaces que sont nos parcours sur terre.
Même la Shoah, catastrophe des catastrophes, malheur innocent en quelque sorte personnifié, même la Shoah peut devenir pour le peuple juif un appel à la conversion de l’intérieur. Qu’au moins ces 6 millions de morts injustes soient à l’origine d’un État d’Israël le plus juste possible, et d’une prise de conscience universelle !
« Des pauvres, vous en aurez toujours au milieu de vous » (Mc 14,7) : le réalisme de Jésus heurte l’utopie révolutionnaire de Judas de plein fouet. Non pas pour le détourner de la transformation sociale, mais pour l’appeler à donner sens dès maintenant à la présence des pauvres parmi nous : ils ne demandent pas que du pain et du travail, mais également du beau, du vrai, de la relation à Dieu, ce qu’exprime le parfum précieux de l’onction de Béthanie, au grand dam de Judas scandalisé par ce gaspillage (Jn 12, 1-11).
Théodicée : les autres réponses
La non-réponse du Christ à la lancinante question de la théodicée est assez unique dans l’histoire.
Les sagesses antiques ont plutôt cherché des explications diverses d’où ont découlé leurs attitudes spirituelles. Par exemple, l’hindouisme ou le bouddhisme ont localisé dans le désir la source de la souffrance humaine devant le malheur innocent. Et c’est dans l’extinction du désir qu’est alors la solution.
En Occident, Leibnitz penche lui pour l’ignorance humaine : seul Dieu a une vue globale de ce qui arrive, et ce qui est pour nous un mal apparent n’est peut-être que la condition indispensable pour un bien plus grand à l’échelle globale. Nous sommes dans « le meilleur des mondes possibles » et la sagesse consiste alors à vivre avec, humblement.
Les stoïciens ont vu dans la souffrance une école d’humanisation : changer ce qui dépend de nous et supporter le reste. C’est la grandeur stoïcienne.
Les épicuriens ont plutôt interprété le malheur innocent comme une invitation à jouir du présent sans attendre, car demain est incertain.
Les révolutionnaires marxistes ont érigé la révolte contre le mal en principe absolu. Mais en cherchant à éradiquer le mal ils ont engendré un mal plus monstrueux encore.
Les nouveaux révolutionnaires, scientifiques et technologiques, nous promettent un corps humain ‘augmenté’, une vie sociale totalement interconnectée, une maîtrise technologique stupéfiante : mais la question de la douleur ne pourra se résoudre à coups de promesses numériques ou de traitements chimiques.
Bref, l’énigme de la théodicée n’en finit pas de travailler l’aventure humaine, et resurgit à chaque époque, multiforme, vieille question en habits neufs.
L’originalité du christianisme réside sans doute dans la non-réponse du Christ (qui rejoint et accomplit celle de Job) : ne restez pas fascinés par le scandale du malheur innocent, mais interrogez-vous sur ce qu’il vous révèle du sens de votre existence. Sans négliger le combat contre le mal, investissez dans la recherche du sens. Essayez de trouver le pourquoi du malheur innocent afin de le réduire, et mettez encore plus d’énergie à discerner le pour quoi de ce qui arrive…
1ère lecture : « Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : Je-suis » (Ex 3, 1-8a.10.13-15) Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb. L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer. Moïse se dit alors : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! » Dieu dit alors : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! » Et il déclara : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. Le Seigneur dit : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un beau et vaste pays, vers un pays, ruisselant de lait et de miel. Maintenant donc, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël. » Moïse répondit à Dieu : « J’irai donc trouver les fils d’Israël, et je leur dirai : ‘Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous.’ Ils vont me demander quel est son nom ; que leur répondrai-je ? » Dieu dit à Moïse : « Je suis qui je suis. Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : ‘Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : Je-suis’. » Dieu dit encore à Moïse : « Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : ‘Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est Le Seigneur, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob’. C’est là mon nom pour toujours, c’est par lui que vous ferez mémoire de moi, d’âge en d’âge. »
Psaume : Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 6-7, 8.11
R/ Le Seigneur est tendresse et pitié. (Ps 102, 8a)
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !
Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.
Le Seigneur fait œuvre de justice,
il défend le droit des opprimés.
Il révèle ses desseins à Moïse,
aux enfants d’Israël ses hauts faits.
Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint.
2ème lecture : La vie de Moïse avec le peuple au désert, l’Écriture l’a racontée pour nous avertir (1 Co 10, 1-6.10-12) Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer que, lors de la sortie d’Égypte, nos pères étaient tous sous la protection de la nuée, et que tous ont passé à travers la mer. Tous, ils ont été unis à Moïse par un baptême dans la nuée et dans la mer ; tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ; tous, ils ont bu la même boisson spirituelle ; car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher, c’était le Christ. Cependant, la plupart n’ont pas su plaire à Dieu : leurs ossements, en effet, jonchèrent le désert. Ces événements devaient nous servir d’exemple, pour nous empêcher de désirer ce qui est mal comme l’ont fait ces gens-là. Cessez de récriminer comme l’ont fait certains d’entre eux : ils ont été exterminés. Ce qui leur est arrivé devait servir d’exemple, et l’Écriture l’a raconté pour nous avertir, nous qui nous trouvons à la fin des temps. Ainsi donc, celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber.
Evangile : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même » (Lc 13, 1-9)
Acclamation : Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
Convertissez-vous, dit le Seigneur, car le royaume des Cieux est tout proche. Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (Mt 4, 17)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Jésus disait encore cette parabole : « Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n’en trouva pas. Il dit alors à son vigneron : ‘Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?’ Mais le vigneron lui répondit : ‘Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.’ » Patrick BRAUD