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3 mars 2019

Cendres : une conversion en 3D

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Cendres : une conversion en 3D

Homélie pour le Mercredi des Cendres / Année C
06/03/2019

Cf. également :

Cendres : soyons des justes illucides
Mercredi des Cendres : le lien aumône-prière-jeûne
Déchirez vos cœurs et non vos vêtements
Mercredi des cendres : de Grenouille à l’Apocalypse, un parfum d’Évangile

La radieuse tristesse du Carême
Carême : quand le secret humanise
Mercredi des Cendres : 4 raisons de jeûner
Le symbolisme des cendres


Les 3 manières de nous laisser convertir…

Les Cendres« Convertissez-vous et croyez à l’évangile » : cette phrase résonne en boucle ce Mercredi pendant la procession d’imposition des cendres dans nos églises. Cet appel relaie celui de Joël dans la première lecture (Jl 2, 12-18) : « revenez à moi de tout votre cœur », celui de Paul dans la deuxième ((2 Co 5, 20 – 6, 2) : « laissez-vous réconcilier avec Dieu », et celui de Jean-Baptiste au désert « proclamant un baptême de conversion » (Lc 3,3).

Mais qu’est-ce que se convertir ? Ou plutôt : se laisser convertir, car ce mouvement nous est donné plus que nous ne le produisons.

Le Nouveau Testament fait apparaître 3 types de conversion – qui sont encore les nôtres aujourd’hui – au titre de notre baptême, et les cendres du Carême nous y ramènent : retournement / redressement / accomplissement.

Illustrons à chaque fois la dimension de la conversion évoquée par la façon dont Charles de Foucauld l’a vécue, pour nous convaincre de la puissance de transformation symbolisée par la cendre sur nos fronts ou nos mains.

 

1) La conversion par retournement (comme une crêpe qu’on retourne en la faisant sauter dans la poêle !)

cadre _conversion.jpgLorsqu’un petit bout de chou apprend à faire du ski, sur les pentes de Serres-Chevalier ou du Mont d’Or, très vite il se heurte à une impasse : un mur de neige impraticable arrive tôt ou tard devant ses skis. Que faire ? Les moniteurs de ski nous apprenaient autrefois à effectuer une conversion : savante manœuvre (qu’il faudrait mimer !) où on tord une jambe pour qu’elle reparte en sens inverse, puis l’autre, à 180°.

Or, devenu adulte, je trouve que c’est une grande sagesse que de savoir reconnaître les impasses où je me suis enfermé, et d’avoir le courage de me retourner exactement à l’opposé.

Le baptême dans l’Esprit Saint est cette source de courage qui nous permet de dire non à des pentes suicidaires, qui nous appelle à effectuer une conversion radicale, par retournement.

Dans l’Évangile, c’est par exemple Zachée : il aimait tant l’argent, il voulait tant profiter de sa situation pour traverser la vie en 1ère classe. Il aura suffi que Jésus s’invite chez lui pour qu’il change du tout au tout, redistribuant l’argent volé, devenant fraternel…

À l’inverse, certains refusent cette conversion-là et persévèrent dans leurs impasses. Ainsi le criminel à la gauche de Jésus en Croix, qui jusqu’au bout ne veut pas se détourner du mal qui lui colle à la peau…

Charles de Foucauld a été ‘retourné comme une crêpe’ par Dieu lui-même :
+ du fêtard de l’école St Cyr (il avait toujours du foie gras et un bon sauternes sur sa table de nuit…) à l’ascète du désert,
+ du riche noble, cherchant à séduire, au moine caché de Nazareth cherchant ‘l’abjection de la croix’,
+ de l’agitation superficielle de son milieu social parisien à l’adoration eucharistique, silencieux moteur de sa vie au milieu du désert du Sahara.

Qu’y a-t-il en moi qui doive être retourné, pour que je devienne fidèle à l’Esprit de mon baptême ?

 

2) La conversion par redressement (comme un bâton tordu qu’on redresse pour s’appuyer dessus)

Je contemplais autrefois –  fasciné  - le maréchal-ferrant taper les fers des chevaux rougis au feu de braise. Avec dextérité, en maniant force et savoir-faire, il arrivait à détordre les fers, à les aplatir, à leur faire épouser la forme exacte du sabot du cheval…

MARECHAL-FERRANT, D'HIER ET D'AUJOURD'HUI

L’Esprit de Dieu joue un peu au maréchal-ferrant avec nous : il redresse ce qui est tordu, nous embrase pour nous rendre malléables, nous ajuste à la forme divine qui est en nous.

Dans l’Évangile, la conversion par redressement c’est par exemple Lévi. Lévi, fonctionnaire des écritures fiscales, qui devient Matthieu, passionné de l’écriture de son Évangile sur Jésus. Il aura suffi que Jésus le voie à son bureau de douanes et lui dise : « suis-moi ». Et sa merveilleuse capacité d’écriture, il va maintenant la mettre au service du Christ.

À l’inverse, Pilate refusera finalement de réorienter la soif de vérité qui était la sienne : « qu’est-ce que la vérité ? » Au lieu de laisser Jésus l’emmener vers une vérité radicale, il en restera à une recherche désordonnée et finalement cynique.

Ainsi Charles de Foucauld devient Charles de Jésus, pour signifier qu’il ne veut recevoir sa noblesse que du Christ. Son réseau de relations mondaines et puissantes, il l’a utilisé pour lancer un appel à la solidarité et à la justice en faveur, de l’Algérie et du Maroc, alors colonies françaises. Il a comme « redressé » son capital culturel et relationnel pour le mettre au service des Touaregs, de manière authentiquement désintéressée.

Qu’y a-t-il en moi qui doive être redressé, pour que je devienne fidèle à l’Esprit de mon baptême ?

 

3) La conversion par accomplissement (comme une fleur qui s’épanouit)

C’est la plus belle. C’est le bourgeon qui s’épanouit en fleur, puis la fleur en fruit.
C’est l’attitude de milliers de personnes qui mettent leurs qualités, leur énergie, leur compétence, le meilleur d’eux-mêmes, au service de Dieu et de leurs frères.

Dans l’Évangile, c’est par exemple Nicodème, qui fait jouer sa culture, son érudition juive pour interroger Jésus pendant la nuit ; puis il fait jouer son appartenance au Sanhédrin pour plaider en sa faveur et réclamer un procès juste. Enfin il ose demander le corps de Jésus pour l’ensevelir.

Il y a aujourd’hui des milliers de justes qui osent aller jusqu’au bout de ce qu’ils portent en eux, quitte à prendre des risques. L’Esprit Saint leur donne d’accomplir leur vie en se mettant au service de Dieu et de leurs frères.

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À l’inverse, il est hélas possible de gâcher, de gaspiller ses talents les meilleurs en ne les poussant pas à l’accomplissement maximum. Pensez par exemple au jeune homme riche, si près du but, si proche de la communion intime avec le Christ, et qui n’ose pas aller jusqu’au bout du radicalisme évangélique. Il s’en alla tout triste…

Charles de Foucauld a accompli le meilleur de son héritage et de ses talents : sa passion d’explorateur du Maroc se réalise en plénitude dans son retour à Béni Abbés, puis à l’Assekrem en Algérie ; sa formation scientifique à St Cyr, il l’épanouira au service de la culture des Touaregs du désert : c’est lui qui a écrit le premier dictionnaire touareg, qui a fixé la grammaire, l’écriture de cette langue.

Qu’y a-t-il en moi qui aspire à s’accomplir en se laissant féconder par l’Esprit de mon baptême ?

 

Carême 2016 : 40 jours pour se convertirL’Esprit Saint nous donne de vivre en plénitude le baptême de conversion proclamé par Jean-Baptiste.
« Combler les ravins, et abaisser les collines »
, c’est se laisser retourner par l’appel du Christ.
« Rendre droits les sentiers tortueux »
, c’est accepter d’être redressé, appuyé sur le Christ.
« Préparer les chemins du Seigneur », c’est mobiliser mes énergies les plus vraies pour que s’accomplisse en moi sa venue.

Nous sommes maintenant invités à venir en procession recevoir les Cendres du Carême qui commence, temps de conversion du cœur et non seulement des lèvres.

Pour accueillir la Résurrection de Pâques en nous, acceptons de recevoir des mains d’un autre ce poussiéreux symbole de notre condition humaine appelée à porter la gloire du Vivant.

Que l’Esprit du Christ imprègne avec les cendres nos fronts offerts, qu’il fertilise notre désir de changer vraiment, et qu’il nous prépare au combat du Carême.

Seigneur, à quelle(s) conversion(s) m’appelles-tu ?…

 

Lectures du Mercredi des Cendres

1ère lecture : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » (Jl 2, 12-18)
Lecture du livre du prophète Joël

Maintenant – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et laisser derrière lui sa bénédiction : alors, vous pourrez présenter offrandes et libations au Seigneur votre Dieu. Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre ! Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra- t-il qu’on dise : “Où donc est leur Dieu ?” »
Et le Seigneur s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple.

Psaume : 50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17

R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. 50, 3)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave- moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends- moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

2ème lecture : « Laissez- vous réconcilier avec Dieu.
Voici maintenant le moment favorable » (2 Co 5, 20 – 6, 2)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui- même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez- vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui. Car il dit dans l’Écriture : Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut.

Evangile : « Ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 1-6.16-18)

Acclamation : Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (cf. Ps 94, 8a.7d)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps- là, Jésus disait à ses disciples : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.

 Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

 Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

 Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. »
Patrick BRAUD

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10 septembre 2018

Le vertige identitaire

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le vertige identitaire

 

Homélie pour le 24° dimanche du temps ordinaire / Année B
16/09/2018

Cf. également :

Yardén : le descendeur
Prendre sa croix
Croire ou agir ? La foi ou les œuvres ?
Faire ou croire ?
Jésus évalué à 360°
De l’art du renoncement
C’est l’outrage et non pas la douleur
Prendre sa croix chaque jour


Qui suis-je ?

Le vertige de cette question ne vous a-t-il jamais effleuré ?

Le doute sur votre identité la plus personnelle ne vous a-t-il jamais troublé ? Sous un ciel de nuit constellée d’étoiles, la conscience de notre fragilité peut nous faire crier d’émerveillement : « qu’est-ce que l’homme, Seigneur, pour que tu penses à lui ? » (Ps 144,3) ou au contraire de désespoir : « l’homme n’est qu’une herbe changeante. Le matin elle fleurit ; le soir elle est fanée, desséchée » (Ps 90,5-6).


L’avis des autres

Tout Fils qu’il est, Jésus lui aussi a dû se battre avec cette question existentielle, d’autant plus lancinante pour lui qu’elle touchait à une double raison d’être : en Dieu, et parmi les hommes. Lorsqu’il demande à ses disciples : « pour vous, qui suis-je ? » à Césarée de Philippe, on peut y entendre l’écho de cette quête intérieure, et l’on devine que les trente  années à Nazareth ont été largement habitées par cette interrogation.

Ce n’est pas un examen scolaire qu’il ferait passer à ses lieutenants : « qui a la bonne réponse ? » C’est vraiment l’aide qu’un ami demande ses amis : « pouvez-vous me dire ce que vous percevez de moi ? J’en ai besoin pour intégrer vos avis dans la conscience que j’ai de moi-même. »

Dessin-PiemRecueillir les opinions des autres sur moi, croiser leur regard sur ma personnalité : tout bon coach d’entreprise vous fera faire une tonne d’exercices là-dessus, et vous livrera des dizaines de recettes pour devenir plus performant au boulot grâce à ces techniques de développement personnel. Cela n’est peut-être pas inutile. Mais il est question de bien autre chose ici : Jésus, conscient que sa Passion approche, veut être ré-assuré sur ses appuis fondamentaux, sinon la violence, l’exclusion et la dérision le feront chanceler et  trahir.

Qui suis-je pour juger ?Ceux qui ne se posent jamais cette question deviennent froids et insensibles. Hitler y avait répondu trop vite en s’imaginant une fois pour toutes dans son délire être le Messie aryen d’un homme nouveau pour une Europe nouvelle. Staline a hésité, notamment les jours suivant l’invasion de la Russie par les troupes nazies où il pensait démissionner. Mais ses camarades du Politburo lui ont répondu : « tu es le seul chef du parti, le seul sauveur de la mère patrie ». La folie d’Hitler l’isolait de ses proches et l’empêchait d’écouter ce que ses généraux ou autres allemands réalistes voulaient lui transmettre. Le système communiste à l’inverse a statufié Staline dans son personnage historique et il a hélas endossé ce rôle à l’extrême.
« Qui suis-je pour ordonner la solution finale ? » « Qui suis-je pour déporter au goulag par millions ceux qui s’opposent à moi ? » S’ils s’étaient posé ce genre de questions, avec lucidité et conscience droite, aidés par de vrais amis leur apportant des éléments de réponse objective, ils n’auraient peut-être pas basculé dans leur folie destructrice…

Même les monarques absolus en France avaient leur bouffon, et le bouffon du roi avait  toute liberté pour faire remonter au souverain ses travers, ses erreurs, ses défauts… « Pour qui te prends-tu ? Tu veux jouer à Dieu sur terre, alors que tu n’es qu’un Bourbon mal fini ! » « Qui es-tu pour te prendre pour le soleil en personne ? »
Un esclave accompagnait toujours l’empereur romain qui défilait triomphalement dans les rues de Rome après une victoire : « souviens-toi que tu es mortel », devait-il lui murmurer sans cesse à l’oreille derrière lui tout en tenant la couronne de lauriers, afin de lui éviter la démesure (hybris en grec) en se prenant pour un autre que lui-même.


Le silence et la solitude, à l’écart

Le vertige identitaire dans Communauté spirituelle jesusdesert-homme-vision2Jésus n’avait pas que l’enquête auprès de ses disciples pour mieux cerner son identité personnelle. Les évangélistes le mentionnent souvent aller à l’écart, rester seul une partie de la nuit, prier sur la montagne ou au désert. Nul doute que ces moments de silence et de solitude ont été déterminants pour sa réponse.

N’espérons pas nous non plus savoir qui nous sommes sans prendre ce temps du retrait, silencieux et solitaire. C’est la distance nécessaire à prendre pour décoller de nos œuvres, pour ne pas nous identifier à nos actes, pourrait trouver en nous le souffle si subtil de l’Esprit de Dieu, notre intime.

Celui qui ne fait qu’agir ressemblera très vite à l’un de ces canards à qui on a coupé le cou et qui continue à courir en tous sens. Le véritable homme d’action sait ne rien faire, a appris à banaliser des plages de son agenda pour n’avoir rendez-vous qu’avec lui-même. Il sait que lire, marcher, philosopher, méditer seul face à la nature ou la table de son écritoire est indispensable pour ne pas se dessécher et se vider jusqu’à devenir creux.


Les Écritures

-careme2017-lapinbleu-40dimanche6bL’avis des autres, la solitude et la prière… : Jésus a également appris qui il était en scrutant les Écritures comme les juifs le font depuis des millénaires. Il a chanté les cris des psaumes ; il s’est reconnu dans le Serviteur souffrant d’Isaïe dont notre première lecture (Is 50, 5-9) nous donne un portrait de résistant non-violent que Jésus fera sien (« je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats… »). Il a découvert l’attente messianique d’Israël et chaque fibre de son être a vibré au portrait des prophètes, jusqu’au grand prophète espéré depuis Moïse.

N’espérons pas savoir qui nous sommes en réalité, devant Dieu, sans scruter les Écritures avec le Christ. Certains textes nous bouleverseront tant que rien ne sera plus comme avant. Certains passages nous brûleront au fer rouge, et leur marque nous accompagnera dans nos choix de vie mieux qu’un tatouage ou un matricule. La petite musique biblique deviendra notre toile de fond sur laquelle nous peindrons nos paysages. La Bible est un révélateur de l’identité de chacun. Elle nous dit qui nous sommes. Elle me renvoie mon image, contrastée  et multiple.

 

Nos compagnons de route, le silence dans la solitude, la Bible scrutée avec passion : voilà au moins trois pistes pour creuser cette question à laquelle nous n’avons jamais répondu définitivement : « qui suis-je ? » Comme l’écrivait Rilke à un jeune poète, le plus important n’est peut-être pas la réponse, mais le fait même de se laisser habiter et transformer par cette question mystérieuse.

Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s’agit précisément de tout vivre.
Ne vivez pour l’instant que vos questions.
Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses.
Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, Lettre n° 4 du 16/07/1903.

D’ailleurs, lorsque Dieu lui-même doit parler suite à la question de Moïse sur son identité : « qui es-tu ? », sa réponse n’en est pas vraiment une. YHWH : je serai qui je serai… Autrement dit : ne cherche pas à m’enfermer dans un nom, une identité close. Ne crois pas me connaître en m’appelant Adonaï, El Shaddaï, Seigneur ou Allah (d’ailleurs, le Tétragramme YHWH ne se prononce pas, car nul n’a prise sur l’identité divine). Marche humblement avec moi et tu verras en cours de route qui je suis.

Prenons le temps cette semaine de poser cette question de confiance à un proche, un collègue : « pour toi, qui suis-je ? »

 

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient » (Is 50, 5-9a)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. Il est proche, Celui qui me justifie. Quelqu’un veut-il plaider contre moi ? Comparaissons ensemble ! Quelqu’un veut-il m’attaquer en justice ? Qu’il s’avance vers moi ! Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ?

Psaume
(Ps 114 (116 A), 1-2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants. ou : Alléluia ! (Ps 114, 9)

J’aime le Seigneur :
il entend le cri de ma prière ;
il incline vers moi son oreille :
toute ma vie, je l’invoquerai.

J’étais pris dans les filets de la mort,
 retenu dans les liens de l’abîme,
j’éprouvais la tristesse et l’angoisse ;
j’ai invoqué le nom du Seigneur :
« Seigneur, je t’en prie, délivre-moi ! »

Le Seigneur est justice et pitié,
notre Dieu est tendresse.
Le Seigneur défend les petits :
j’étais faible, il m’a sauvé.

Il a sauvé mon âme de la mort, 
gardé mes yeux des larmes
 et mes pieds du faux pas.
Je marcherai en présence du Seigneur
sur la terre des vivants.

Deuxième lecture
« La foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte » (Jc 2, 14-18)

Lecture de la lettre de saint Jacques

Mes frères, si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il ? Sa foi peut-elle le sauver ? Supposons qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : « Allez en paix ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim ! » sans leur donner le nécessaire pour vivre, à quoi cela sert-il ? Ainsi donc, la foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte. En revanche, on va dire : « Toi, tu as la foi ; moi, j’ai les œuvres. Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi. »

Évangile
« Tu es le Christ… Il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup » (Mc 8, 27-35) Alléluia. Alléluia.
Que la croix du Seigneur soit ma seule fierté ! Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Alléluia. (Ga 6,14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? » Ils lui répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. » Et lui les interrogeait : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. » Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne. Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. Jésus disait cette parole ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches. Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »
Patrick BRAUD

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12 mars 2018

Grain de blé d’amour…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Grain de blé d’amour…

Homélie du 5° Dimanche de Carême / Année B
18/03/2018

Cf. également :

La corde à nœuds…
Qui veut voir un grain de blé ?
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Le mariage et l’enfant : recevoir de se recevoir


Léa et Paul se sont mariés en choisissant l’évangile de ce Dimanche (Jn 12, 20-26) où Jésus se compare au grain de blé jeté en terre. Et c’est vrai qu’il y a un lien entre l’aventure conjugale / familiale et celle du grain de blé.
Essayons de voir comment.

Au commencement, il y a le désir…

Désir d’une rencontre vraie : « Nous voulons voir Jésus ». Désir de la rencontre de l’autre, car entre les Grecs et les Juifs de l’époque, la différence doit être aussi radicale qu’entre Juifs et Palestiniens aujourd’hui… En choisissant cet Évangile, Léa et Paul ont placé d’emblée leur mariage sous le signe du désir de l’autre, et plus précisément de la croissance dans le désir de l’autre, croissance à la quelle Jésus nous appelle tout au long de notre existence.

Grain de blé d’amour… dans Communauté spirituelle Lapinbleu278C-Mc1_37-copie-1

La première différence, la première altérité, c’est la différence homme / femme, qui nous structure très profondément. Les fiancés croient peut-être connaître avant de se rencontrer, par leurs amitiés, leurs relations de travail etc… Mais dès qu’ils sont proches l’un de l’autre, depuis les fiançailles où cette proximité devient une promesse d’avenir, ils n’en finissent pas de découvrir combien le respect de cette différence demande du temps, de la patience, de l’écoute, du dialogue, du pardon … Au-delà des clichés trop faciles sur les soi-disant caractéristiques du féminin et du masculin, le véritable enjeu de l’identité homme / femme, c’est de sortir de soi, sortir du « même », pour aller à la rencontre de l’autre. Et d’ailleurs, cette irréductible altérité homme / femme se redouble de beaucoup d’autres différences : deux éducations familiales, deux histoires personnelles, deux caractères, Paris et la province, la Hollande et la France, la Banque et l’Éducation Nationale …

Heureuses différences qui sont le carburant de votre rencontre : « je veux voir l’autre … »

Dans la foi chrétienne, nous croyons que le visage de l’être aimé, lorsqu’il est désiré pour lui-même et non pas dans nos projections imaginaires, ce visage devient sacrement de la rencontre de Dieu. « Il est possible, à partir de l’autre relativement autre que nous voyons, de pressentir l’Autre absolument autre que nous ne voyons pas et appelons Dieu » [1]. Voilà pourquoi la recherche du visage aimé renvoie à Dieu lui-même.

À condition de rester vigilant sur son couple, pour que l’usure du temps n’émousse pas ce désir. Mais qu’au contraire, la durée permette à cette recherche amoureuse de grandir et de croître sans cesse. Il faut insister sur cette vigilance : rester en éveil, renouveler à chaque instant sa confiance et sa fidélité, raviver jour après jour la soif de la communion avec l’être aimé, se laisser étonner par ce qu’on ne finit pas de découvrir chez son mari ou sa femme, être capable de l’étonner encore, 10 ou 20 ou 50 ans après!…

Au IV° siècle, un évêque (Grégoire de Nysse) parlait déjà de cet infini du désir qui interdit de figer la course vers l’être aimé :

« Au fur et à mesure que quelqu’un progresse vers ce qui surgit toujours en avant de lui, son désir augmente lui aussi. Ainsi, à cause de la transcendance des biens qu’il découvre toujours à mesure qu’il progresse, il lui semble toujours n’être qu’au début de l’ascension. C’est pourquoi la Parole répète : ‘Lève-toi’ à celui qui est déjà levé, et : ‘Viens’ à celui qui est déjà venu. À celui qui se lève vraiment, il faudra toujours se lever. Celui qui court vers le Seigneur n’épuisera jamais la large espace pour sa course.

Ainsi celui qui monte ne s’arrête jamais, allant de commencements en commencements, par des commencements qui n’auront jamais de fin ». « Car c’est là proprement voir Dieu que de n’être jamais rassasié de le désirer » [2]

Chasse à courre 1

« Nous voulons voir Jésus » est l’autre versant de votre propre recherche amoureuse : « je veux découvrir qui tu es, et je n’aurai jamais assez de toute ma vie pour cela ».

Ensuite, il y a le jeu de l’écho, qui amplifie et répercute ce désir de l’autre. Les Grecs le disent à Philippe, qui le dit à André, et tous les deux le transmettent à Jésus. Mais c’est déjà l’Église qui apparaît là! L’Église, comme un réseau de liens fraternels, pour que ma recherche aboutisse. Une sorte d’Internet à la puissance 10, et mieux encore, car ce sont ici des visages et pas seulement des écrans … L’Église est ce lieu où nous pouvons dire le manque qui nous habite, la soif qui nous tient, l’envie de vivre que nous creusons en la partageant avec des frères. L’Église est cette eau tendue qui soutient nos rebonds successifs dans la recherche de l’autre, jusqu’à faire ricocher jusqu’aux nuages ce galet nommé désir…

Par la vie paroissiale ou par les pèlerinages, par des équipes de partage ou par la formation spirituelle et théologique, certains fiancés ont déjà expérimenté la force de ce soutien fraternel. Dans leur vie de couple et de famille, ils continueront à tisser ces liens ecclésiaux : ils les aideront à rester vigilants et confiants.

L’Évangile nous dit ensuite que la rencontre entre les Grecs et Jésus a lieu pendant la fête, c’est-à-dire la grande, l’unique fête de la Pâque. Que le mariage soit une fête, parce qu’on y rencontre l’être aimé, c’est évident. Il n’y a rien à renier de la fête humaine que le Christ a voulu assumer en prolongeant la joie de la noce, pour qu’elle dure toute la vie et pas seulement une soirée. Si le mariage est une fête, c’est surtout une fête pascale, c’est-à-dire une fête où l’amour de l’autre vous libère peu à peu de nos enfermements, de nos solitudes, une fête où la confiance en l’autre nous fait passer de la mort à la vie.

Et là, l’histoire du grain de blé que nous propose Jésus est très parlante. Se marier, c’est accepter de se laisser transformer par l’autre, pour ne plus rester seul. C’est consentir à se laisser aimer pour ne plus vivre centré sur soi. C’est accepter de se laisser faire, comme le grain de blé, pour pouvoir porter du fruit. La mort et la Résurrection est au cœur de votre amour, qui est pascal, comme cela est au cœur de l’amour du Christ, que nous célébrons dans l’eucharistie. En buvant ensemble à la même coupe, les mariés expriment la dimension pascale de la relation entre l’homme et la femme : aimer, c’est se désaltérer à la même source, boire ensemble le même calice, verser son sang, livrer sa vie. Lorsque les mariés donnent la communion eucharistique à l’assemblée, ils nous rappellent que l’Église est une communion qui se nourrit de leur amour lorsqu’ils le vivent dans l’Esprit du Christ.

Pourtant, que de résistances mettons-nous avant d’accepter de lâcher-prise ainsi sur notre propre vie ! Souvenez-vous de votre période d’apprivoisement réciproque, et de tous les décapages que ce temps de préparation vous a permis de faire. Eh oui !, le petit grain de blé était plus tranquille avant, ‘en père peinard’ dans son grenier, en tas avec les autres [3]. Un certain bonheur, qui était le vôtre quand vous étiez célibataires : un appartement, du travail, des amis, la liberté d’improviser votre emploi du temps, que demander de plus ? Et pourtant, il vous manquait quelque chose, ou plutôt quelqu’un, et ce bonheur vous semblait trop petit, un peu étroit…

calendrier amour dans Communauté spirituelle

Un jour, on charge ce tas de grains de blé sur une charrette et on le sort dans la campagne. C’est le début de l’ouverture à l’autre, avec un petit côté excitant pas désagréable… : ça se passe bien, il y a plein de gens nouveaux à découvrir, tout en gardant sa liberté.

41rgwvtZoqL bléPuis on verse les grains sur la terre fraîchement labourée : petit frisson d’un contact plus personnel, d’une proximité avec un corps étranger à la fois inquiétant et attirant.

Puis on enfonce le grain de blé tombé en terre. Et là, le grain de blé se demande s’il n’a pas fait une grosse bêtise en se laissant conduire jusque-là. Il ne voit plus rien, il n’entend plus rien, l’humidité le transperce jusqu’au dedans de lui-même… Le grain de blé qui, par la mort inévitable, est en train d’être transformé, de devenir ce qu’il doit être, c’est-à-dire un bel épi, regrette le grenier où en effet il était très heureux, mais heureux d’un petit bonheur humain. Sa tentation est alors de faire machine arrière, de céder à la panique, de refuser de se laisser faire. C’est dommage, car c’est précisément là que Dieu agit : le Dieu qui le transforme, pour le faire passer de l’état de grain à l’état d’épi, ce qui n’est possible que par une mort à soi-même et une nouvelle naissance. Dieu veut notre croissance, et il n’y a pas de croissance sans transformation.

Le mariage est notre Pâque, notre croissance personnelle par l’autre, grâce à l’autre. À condition d’aimer l’autre pour lui-même, tel qu’il est en vérité, et non pas pour ce qu’il me donne ou ce que je rêve de lui. Ce qui implique de savoir mourir à une certain possession de l’autre, pour naître à une attitude de service de sa croissance à lui. C’est cela la chasteté dans l’amour : c’est cette dépossession enrichissante où je renonce à utiliser l’autre pour mon bonheur, et où je commence à servir sa croissance, son épanouissement. C’est cela la dimension pascale de l’amour humain : passer du désir de l’autre – ce qui est encore trop possessif – au désir du désir de l’autre, ce qui est crucifiant, mais véritablement libérateur et fécond.

Désirer le désir de l’autre… : vous le vivez dans le couple, en renonçant à mettre la main sur le mystère de l’être aimé. Vous le vivez également comme parents, en renonçant à utiliser vos enfants pour vous-mêmes. Vous vivez ainsi à votre tour les ruptures familiales qui vous feront grandir. Quand vos propres enfants deviendront différents, ce sera votre joie de voir partir ceux que vous aurez aidé à grandir, sans les posséder jamais…

Bien sûr, sur ce chemin de croissance, il faut savoir quitter. Au début, les pertes sont visibles et conséquentes : son indépendance, ses habitudes, quelque fois sa région, ses amis, sa famille… Avec le temps, elles deviennent plus subtiles, plus difficiles : quitter ses certitudes toutes faites, son égoïsme, sa nostalgie… Mais au même moment, il vous sera donné à chaque fois de faire l’expérience de la joie et de la fécondité de cette Pâque permanente : votre couple, vos enfants, votre travail, vos engagements vous rendront féconds, avec la même efficacité que l’épi par rapport au grain de blé : 100, 1000 pour 1 ! Un tel rendement mérite bien un investissement massif et sans réserve…

Vous devinez que l’histoire du grain de blé n’est pas seulement celle du début : vous pourrez la relire encore en fêtant vos noces d’or, ce sera toujours votre histoire du moment… Puissiez-vous choisir chaque jour de vous laisser faire ainsi par la puissance de l’amour, pour notre plus grand bonheur à nous qui pourrons nous nourrir des fruits qu’ensemble vous porterez. Savourez sans cesse la croissance en épis que Dieu vous donne d’offrir à l’autre, dans et par votre amour…

 


[1]. VARILLON F., L’humilité de Dieu, Le Centurion, Paris, 1974, p. 39.

[2]. Homélies sur le Cantique des Cantiques.

[3]. Cf. VARILLON F., Joie de croire, joie de vivre, Le Centurion, Paris, 1981, p. 38s.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je conclurai une alliance nouvelle et je ne me rappellerai plus leurs péchés » (Jr 31, 31-34)

Lecture du livre du prophète Jérémie
Voici venir des jours – oracle du Seigneur –,où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle.Ce ne sera pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères,le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte :mon alliance, c’est eux qui l’ont rompue,alors que moi, j’étais leur maîtreoracle du Seigneur.
Mais voici quelle sera l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passésoracle du Seigneur.Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ;je l’inscrirai sur leur cœur.Je serai leur Dieu,et ils seront mon peuple.Ils n’auront plus à instruire chacun son compagnon,ni chacun son frère en disant :« Apprends à connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront,des plus petits jusqu’aux plus grandsoracle du Seigneur.Je pardonnerai leurs fautes,je ne me rappellerai plus leurs péchés.

PSAUME(50 (51), 3-4, 12-13, 14-15)
R/ Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu. (50, 12a)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les égarés.

DEUXIÈME LECTURE
« Il a appris l’obéissance et est devenu la cause du salut éternel » (He 5, 7-9)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Le Christ,pendant les jours de sa vie dans la chair,offrit, avec un grand cri et dans les larmes,des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort,et il fut exaucé en raison de son grand respect.Bien qu’il soit le Fils,il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection,il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

ÉVANGILE
« Si le grain de blé tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 20-33)
Gloire à toi, Seigneur,gloire à toi.
Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive,dit le Seigneur ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur.
Gloire à toi, Seigneur,gloire à toi. (Jn 12, 26)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là,il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque.Ils abordèrent Philippe,qui était de Bethsaïde en Galilée,et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André,et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare :« L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ;mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir,qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.
Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ?Père, sauve-moi de cette heure” ?Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait :« Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient :« C’est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit :« Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.
Patrick BRAUD

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5 mars 2018

À chacun son Cyrus !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

À chacun son Cyrus !


Homélie pour le 4° Dimanche de Carême / Année B
11/03/2018

Cf. également :

Démêler le fil du pêcheur
L’identité narrative : relire son histoire
Jésus et les « happy few » : une autre mondialisation est possible

Y a-t-il un étranger qui vous a un jour sorti d’un mauvais pas ? Une personne inconnue grâce à qui tout a changé pour vous ? Un adversaire d’autrefois est-il finalement devenu un de vos alliés ?

Si oui, vous savez d’expérience ce que raconte l’histoire du retour de l’Exil à Babylone telle que le chroniqueur de notre première lecture la raconte (2Ch 36).

Captifs juifs en exil vers Babylone

Le livre des Chroniques - le bien nommé - met par écrit la relecture de l’histoire d’Israël que le peuple fait des années après les événements en jeu. La chronique des drames tels que la déportation à Babylone en -586 demande beaucoup de finesse. Qui est responsable d’un tel désastre comparable à la Shoah pour l’époque ? Pourquoi Dieu a-t-il laissé faire ? Comment sommes-nous miraculeusement revenus sur notre terre alors que notre peuple était apparemment rayé de la carte pour toujours ?
Le chroniqueur mobilise le sens religieux de ses lecteurs : c’est à cause de nos infidélités, parce que nous imitions les abominations païennes qu’il était juste finalement d’en subir les conséquences. Pourtant Dieu envoyait des prophètes pour avertir les rois, pour ouvrir les yeux du peuple avant qu’il ne soit trop tard. Mais ces prophètes, nous les avons rejetés, méprisés, éliminés, parce qu’ils remettaient en cause notre mode de vie païen.
Que d’erreurs !

Avouez que si nous pratiquions une telle relecture de nos histoires personnelles, il y aurait de quoi raconter…

سال ها دل طلب جام جم ازما می کرد!

Heureusement, la pointe du texte n’est pas le malheur mérité. Car un événement imprévisible va changer le cours des choses : un nouveau roi en perse, Cyrus, renverse l’infâme Nabuchodonosor et prend la ville de Babylone. Willy Brandt succède à Hitler, pour ainsi dire… Cyrus, qu’Isaïe ose appeler ‘Christ’ (‘Oint’) tant il paraît inspiré par l’Esprit de Dieu [1], inaugure une nouvelle politique : plus de déportations, mais chacun sur sa terre ; plus de conversions forcées aux idoles, mais chacun choisit son culte librement. Cyrus, ou l’intelligence politique de s’attacher les peuples vaincus en les respectant, eux et leurs coutumes, leurs temples, leur mode de vie. La pax romana prolongera cette intuition dans les colonies romaines, en faisant de l’empire romain la somme des particularités culturelles plutôt qu’une domination unique.

Difficile pour nous d’imaginer la joie des ex-déportés rentrant chez eux, retrouvant leur parenté restée au pays, reconstruisant le Temple symbole leur identité, goûtant à nouveau une relative liberté.
La « montée » des juifs de tous pays vers Jérusalem en 1948 après les camps nazis nous donne une idée de cette immense espérance (mais dans un contexte de guerre totalement différent). Cyrus s’appelait alors la Société des Nations, avec la résolution de Lord Balfour mettant fin au mandat britannique en Palestine.
On peut penser également à la joie des Allemands de l’Est lorsque, contre toute attente, le mur de Berlin a pu être démoli un beau matin de 1989 par quelques militants audacieux de la réunification allemande. Cyrus s’appelait alors Gorbatchev, et sa Glasnost – politique de « transparence » – a fini de dissiper l’illusion communiste soviétique. Elle aura duré 70 ans, comme l’Exil à Babylone…
Aux yeux des exilés, véritables réfugiés politiques réduits en esclavage, on comprend que le miracle Cyrus ait suscité une immense gratitude ! Le génie d’Israël est d’avoir apporté cette gratitude à Dieu et pas seulement à son Christ-Cyrus. Derrière la nouvelle politique perse, ils ont vu l’action du Maître de l’Univers, capable de conduire même les puissants de la Terre à mettre en œuvre sa justice.

 À chacun son Cyrus ! dans Communauté spirituelle Lapinbleu516C-Ps94_11Cette relecture croyante des événements vaut également pour nos histoires personnelles.
Peut-être n’avez-vous jamais connu d’exil intérieur, d’esclavage humiliant ? Peut-être n’avez-vous jamais perdu d’être cher, de maison de famille, de travail ou de liberté d’aller et venir ? Avec les années, il est rare de ne pas traverser de tels moments, plus ou moins douloureux. Qui vous a alors tendu une main secourable ? Qui a été pour vous une aide inestimable, que ce soit pour sortir du chômage, de la dépression, de la solitude ou toute autre forme d’exil social ou intérieur ? Comme Israël, vous avez sans doute fait l’expérience que ce n’est pas du premier cercle – celui de la famille, des coreligionnaires, des proches – qu’est venu le salut. C’est souvent par ricochets, par rebonds successifs, un peu comme au billard : des amis d’amis, des professionnels recommandés par un tiers, des inconnus venant d’horizons nouveaux, des personnes du troisième ou quatrième cercle.
Cyrus  était un roi étranger, pire : païen aux yeux des hébreux. Et pourtant, ils ont appris à reconnaître en lui un Christ, c’est-à-dire quelqu’un qui se laisse inspirer (même sans le savoir) par l’Esprit de Dieu.
Cette inspiration emprunte la voix de la conscience, ou la réflexion de la sagesse, ou le visage de l’humanisme…
Toujours est-il que c’est un étranger païen qui a sauvé Israël de l’Exil.

Et si nous étions plus attentifs aux Cyrus de qui peut venir notre propre salut ?

En entreprise, c’est le collègue d’une autre division ou d’un autre service…
Pour nos difficultés de couple et de famille, c’est une session, une retraite, un thérapeute…
Pour nos traversées du désert intérieur, c’est une autre lecture, conférence ou pratique spirituelle.
Pour nos déprimes, c’est une invitation venue d’ailleurs, une sollicitation surprenante etc.

Apprenons à ouvrir les yeux sur les non-familiers qui peuvent changer le cours de notre existence.

Apprenons à entendre les décisions prises hors de notre univers et qui pourraient nous ouvrir de nouveaux possibles…

Mais vous, quels sont vos Cyrus d’hier et d’aujourd’hui ?

 


[1] . « Je dis de Cyrus : Il est mon berger, et il accomplira toute ma volonté ; Il dira de Jérusalem : Qu’elle soit rebâtie ! Et du Temple : Qu’il soit fondé ! Ainsi parle l’Éternel à son Christ (Oint), à Cyrus, qu’il tient par la main, pour terrasser les nations devant lui, et pour relâcher la ceinture des rois, pour lui ouvrir les portes, afin qu’elles ne soient plus fermées » (Is 44,28).

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
La colère et la miséricorde du Seigneur manifestées par l’exil et la délivrance du peuple (2 Ch 36, 14-16.19-23)

Lecture du deuxième livre des Chroniques

En ces jours-là, tous les chefs des prêtres et du peuple multipliaient les infidélités, en imitant toutes les abominations des nations païennes,et ils profanaient la Maison que le Seigneur avait consacrée à Jérusalem. Le Seigneur, le Dieu de leurs pères,sans attendre et sans se lasser,leur envoyait des messagers,car il avait pitié de son peuple et de sa Demeure.Mais eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu,méprisaient ses paroles,et se moquaient de ses prophètes ;finalement, il n’y eut plus de remède à la fureur grandissante du Seigneur contre son peuple.Les Babyloniens brûlèrent la Maison de Dieu,détruisirent le rempart de Jérusalem,incendièrent tous ses palais,et réduisirent à rien tous leurs objets précieux. Nabucodonosor déporta à Babylone ceux qui avaient échappé au massacre ;ils devinrent les esclaves du roi et de ses filsjusqu’au temps de la domination des Perses.Ainsi s’accomplit la parole du Seigneur proclamée par Jérémie :La terre sera dévastée et elle se reposera durant 70 ans, jusqu’à ce qu’elle ait compensé par ce repos tous les sabbats profanés.
Or, la première année du règne de Cyrus, roi de Perse, pour que soit accomplie la parole du Seigneur proclamée par Jérémie,le Seigneur inspira Cyrus, roi de Perse.Et celui-ci fit publier dans tout son royaumeet même consigner par écrit – : « Ainsi parle Cyrus, roi de Perse :Le Seigneur, le Dieu du ciel,m’a donné tous les royaumes de la terre ;et il m’a chargé de lui bâtir une maison à Jérusalem, en Juda. Quiconque parmi vous fait partie de son peuple,que le Seigneur son Dieu soit avec lui,et qu’il monte à Jérusalem ! »

PSAUME (136 (137), 1-2, 3, 4-5, 6)
R/ Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir ! (cf. 136, 6a)

Au bord des fleuves de Babylone
nous étions assis et nous pleurions,nous souvenant de Sion ;
aux saules des alentours
nous avions pendu nos harpes.

C’est là que nos vainqueurs
nous demandèrent des chansons,
et nos bourreaux, des airs joyeux :
« Chantez-nous, disaient-ils,quelque chant de Sion. »

Comment chanterions-nous un chant du Seigneur sur une terre étrangère ?
Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie !
Je veux que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir,
si je n’élève Jérusalem au sommet de ma joie.

DEUXIÈME LECTURE
« Morts par suite des fautes, c’est bien par grâce que vous êtes sauvés » (Ep 2, 4-10)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères,Dieu est riche en miséricorde ;à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ :c’est bien par grâce que vous êtes sauvés. Avec lui, il nous a ressuscités et il nous a fait siéger aux cieux,dans le Christ Jésus. Il a voulu ainsi montrer, au long des âges futurs, la richesse surabondante de sa grâce,par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus. C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi.Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des actes : personne ne peut en tirer orgueil. C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés dans le Christ Jésus, en vue de la réalisation d’œuvres bonnes qu’il a préparées d’avance pour que nous les pratiquions.

ÉVANGILE
« Dieu a envoyé son Fils pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 14-21)
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus !
Dieu a tellement aimé le mondequ’il a donné son Fils unique, afin que ceux qui croient en lui aient la vie éternelle.
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (Jn 3, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème :« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas,mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement, celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière,de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »
Patrick BRAUD

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