L'homélie du dimanche (prochain)

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19 février 2018

Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne 

Homélie pour le 2° Dimanche de Carême / Année B
25/02/2018

Cf. également :

Le sacrifice interdit
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
À l’écart, transfiguré

La triste transformation de Gregor Samsa

Avez-vous déjà lu « La métamorphose » de Franz Kafka ? Si vous ne connaissez pas l’univers angoissant et absurde de l’auteur du « Château », précipitez-vous sur cette courte nouvelle (parue en 1915, 73 pages). Sous le genre littéraire du conte fantastique, elle peut servir de négatif photographique à notre évangile de la Transfiguration de ce dimanche.

Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne dans Communauté spirituelle 9782070360741-frUn matin, Gregor Samsa, jeune célibataire faisant vivre sa famille dans un appartement de Prague, se réveille stupéfait de voir son corps transformé en celui d’un « insecte répugnant » :

« Lorsque Gregor Samsa s’éveilla un matin, au sortir de rêves agités, il se trouva dans son lit métamorphosé en un monstrueux insecte. Il reposait sur son dos qui était dur comme une cuirasse, et, en soulevant un peu la tête, il apercevait son vente bombé, brun, divisé par des arceaux rigides, au sommet duquel la couverture du lit, sur le point de dégringoler tout à fait, ne se maintenant que d’extrême justesse. D’impuissance, ses nombreuses pattes, d’une minceur pitoyable par rapport au volume du reste, papillonnèrent devant ses yeux. »

On ne saura pas comment cela est arrivé. Par contre, le lecteur suivra en parallèle les étapes de la transformation psychologique et spirituelle de Gregor et celles de sa parenté, suite à cette monstrueuse métamorphose. Inspirant le dégoût et la honte – et d’abord à lui-même – Gregor est enfermé dans sa chambre par son père et sa sœur qui ne veulent plus le voir. Seule la bonne se risque à lui glisser de la nourriture dans la pièce, sans s’attarder. Paradoxalement, la famille de Gregor Samsa semble se nourrir de sa déchéance. Avant, c’était lui le soutien de famille. Maintenant, ils ont trouvé des emplois intéressants et ils espèrent accéder au statut de famille bourgeoise bien installée. Mais il leur faut pour cela éliminer Gregor qui les dévalorise aux yeux de leurs locataires horrifiés.

Gregor l’a bien compris, et il se laisse dépérir, exclu de toute compagnie humaine, jusqu’à n’être plus qu’une carcasse desséchée de cancrelat vidé de sa substance. C’est comme un ‘ouf’ de soulagement pour sa famille qui peut désormais aspirer à une vie socialement conforme…

 

La métamorphose du mont Thabor

Évidemment, le matin sur la montagne en Marc 9, 2-10 n’a rien de kafkaïen ! Jésus éprouve le sentiment d’être profondément transformé, épousant pleinement sa condition de fils bien-aimé, là où Gregor était rejeté par son père. Il y a bien trois témoins comme à Prague, mais Pierre, Jacques et Jean sont éblouis, fascinés par la beauté de cette transformation du corps de Jésus irradiant la gloire divine. Au point de vouloir demeurer là, en dressant trois tentes, alors que la famille de Gregor Samsa l’enferme dans sa chambre pour ne plus être en sa compagnie.

Le texte grec de l’évangile ne dit pas transfiguré mais « métamorphosé » pour évoquer le changement profond opéré corporellement en Jésus :

μετεμορφώθη (metemorphōthē) : il fut métamorphosé.

Or c’est une loi commune à tous les vivants : naître, grandir, mourir, c’est aller de métamorphose en métamorphose. C’est être complètement transformé par la nourriture prise, l’air respiré, les événements extérieurs, l’évolution programmée ou non de nos cellules, de notre psychisme, de notre organisme…

Jésus au Thabor laisse échapper de lui-même – sans s’en rendre compte - le secret de son identité : se laisser métamorphoser jour après jour par l’amour de son Père qui le conduit et le fait devenir Fils sans cesse davantage à travers ses rencontres, ses émerveillements, ses combats, ses réussites et ses échecs. La scène aurait pu se limiter à ce face-à-face intime de Jésus avec Dieu, comme au baptême dans le Jourdain selon la version de Marc :

« Et aussitôt, remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit comme une colombe descendre vers lui, et une voix vint des cieux: « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur. » » (Mc 1,10)

Là, il y a trois témoins, qui seront également les trois témoins de Gethsémani : car la gloire révélée permettra de traverser l’agonie étalée, et l’amour paternel soutiendra Jésus dans sa déréliction absolue. Les trois témoins de la déchéance kafkaïenne de Gregor lui tournent le dos, et veulent finalement l’éliminer. Les trois témoins de la Transfiguration s’attachent au visage lumineux du Christ, et Jean le reconnaîtra encore sous les traits du visage tuméfié du condamné au gibet. Cette gloire rejaillira sur les disciples, dès le martyre d’Étienne qui a lui aussi cette fulgurance de la transfiguration devant ses juges :

« Tous ceux qui siégeaient au Conseil suprême avaient les yeux fixés sur Étienne, et ils virent que son visage était comme celui d’un ange. » (Ac 6,15)

 » Mais lui, rempli de l’Esprit Saint, fixait le ciel du regard : il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu.
Il déclara : « Voici que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. » (Ac 7, 55-56) »

Ce que Gregor Samsa vit de sa métamorphose est à l’exact opposé de la métamorphose de Jésus au Thabor. Sa famille s’affranchit de Gregor en l’excluant de la société des hommes, alors que le Christ nous affranchit de la mort en nous introduisant dans la société divine.

La transfiguration est bien ce dynamisme anti-kafkaïen par excellence qui nous transforme progressivement en ce que nous sommes appelés à devenir : Dieu lui-même.

 

De gloire en gloire : les autres usages du mot métamorphose.

meta Kafka dans Communauté spirituelleIl y a seulement quatre occurrences du terme dans toute la Bible. Deux sont réservées à la Transfiguration (Mt 17,2 ; Mc 9,2). La troisième désigne le renouvellement constant de notre jugement – souvent à contre-courant des modes et des idées majoritaires – pour discerner le dessein de Dieu :

Romains 12,2 : Et ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait.

Ne plus juger les choses comme avant, regarder autrement les êtres à la lumière de l’Évangile : il s’agit là d’une lente et longue métamorphose qui peut conduire à changer de métier, de coutumes, de pays, d’opinions en fonction de ce que nous découvrons comme juste aux yeux de Dieu.

Le dernier usage du terme recèle une promesse eschatologique : être transformé, « de gloire en gloire », jusqu’à partager la vie divine elle-même :

2 Corinthiens 3,18 : Et nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, comme de par le Seigneur, qui est Esprit.

La Transfiguration est bien l’histoire de toute vie humaine, avec ses éblouissements devant l’amour, la beauté, la splendeur de la vérité, la force du bien… Bien sûr, il y a des épisodes apparemment régressifs plus kafkaïens. Mais la promesse est bien là : « de gloire en gloire », l’Esprit de Dieu nous associe à la vie divine comme il l’a fait pour le Christ, de façon cachée à Nazareth, éclatante au Thabor, paradoxal au Golgotha, triomphale au matin de Pâques.

 

Saint Paul VI, ou la métamorphose d’un pape.

Les exemples historiques pullulent de ces ‘autres Christs’ qui ont vécu la métamorphose de leur existence. Évoquons seulement Paul VI. Pape timide au début, plutôt classique. Un intellectuel plus à l’aise avec les études que les peuples. Son ministère d’évêque de Rome l’a radicalement transformé, transfiguré. Il est devenu proche des petits et des humbles. Il a parcouru des milliers de kilomètres à la rencontre de toutes les cultures. Il a eu le courage et l’audace de faire aboutir le concile Vatican II et ses réformes. Or Paul VI est mort le soir de la fête de la Transfiguration, le 6 août 1978. Voici ce que dit de lui un de ses familiers, le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, 4 jours après :

s-l300 métamorphose« Depuis quinze ans, nous avons prononcé dans la prière eucharistique pendant la messe les mots: ‘Nous célébrons dans la communion avec Ton serviteur, notre Pape Paul’.

Depuis le 7 Août, cette phrase reste vide. L’unité de l’Église en ce moment n’a pas de nom; son nom est désormais dans la mémoire de ceux qui nous ont précédés sous le signe de la foi et reposent dans la paix.
Le Pape Paul a été appelé à la maison du Père, le soir de la fête de la Transfiguration du Seigneur, peu de temps après avoir entendu la messe et reçu les sacrements. «Il est beau pour nous d’être ici» avait dit Pierre à Jésus sur le mont de la transfiguration. Il voulait rester. Ce qui en cet instant lui a été refusé, a été en revanche concédé à Paul VI en cette fête de la Transfiguration 1978: il n’a plus dû descendre dans le quotidien de l’histoire. Il a pu rester là où le Seigneur est assis à la table pour l’éternité avec Moïse, Elie, et tous ceux qui viennent de l’orient et de l’occident, du septentrion et du sud. Son parcours terrestre est terminé.
Ce que nous appelons la Transfiguration est appelé en grec dans le Nouveau Testament métamorphose (« transformation »), et ceci fait ressortir un fait important : la transfiguration n’est pas quelque chose de très lointain, qui peut arriver en perspective.

Dans le Christ transfiguré se révèle beaucoup plus que ce qu’est la foi: transformation qui se produit chez l’homme au cours de toute une vie. Du point de vue biologique, la vie est une métamorphose, une transformation pérenne qui se termine par la mort. Vivre signifie mourir, signifie métamorphose vers la mort. Le récit de la Transfiguration du Seigneur y ajoute quelque chose de nouveau: mourir signifie ressusciter. La foi est une métamorphose, dans laquelle l’homme mûrit dans le définitif et devient mûr pour être définitif. C’est pourquoi l’évangéliste Jean définit la croix comme glorification, fusionnant la Transfiguration et la Croix : dans l’ultime libération de soi-même, la métamorphose de la vie atteint son objectif. […]

Au fond de lui, Paul VI a de plus en plus trouvé son chemin simplement dans l’appel de la foi, dans la prière, dans la rencontre avec Jésus-Christ. Ce faisant, il est devenu de plus en plus un homme de bonté profonde, pure et mature. Ceux qui ont l’ont rencontré ces dernières années ont pu expérimenter directement l’extraordinaire métamorphose de la foi, sa force transfigurante. On pouvait voir combien l’homme qui, par sa nature, était un intellectuel, se livrait jour après jour au Christ, comme il se laissait changer, transformer, purifier par lui, et comment cela le rendait de plus en plus libre, de plus en plus profond, de plus en plus bon, perspicace et simple.

La foi est une mort, mais elle est aussi une métamorphose pour entrer dans la vie authentique, vers la transfiguration. Chez le pape Paul, on pouvait observer tout cela. La foi lui a donné du courage. La foi lui a donné la bonté. Et en lui, il était également clair que la foi convaincue ne ferme pas, mais ouvre. En fin de compte, notre mémoire conserve l’image d’un homme qui tend les mains. Il a été le premier pape à se rendre sur tous les continents, fixant ainsi un itinéraire de l’Esprit, qui a commencé à Jérusalem, cœur de la rencontre et de la séparation des trois grandes religions monothéistes; puis le voyage à l’ONU, le chemin jusqu’à Genève, la rencontre avec la plus grande culture religieuse non-monothéiste de l’humanité, l’Inde et le pèlerinage vers les peuples qui souffrent de l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie. La foi tend les mains. Son signe n’est pas le poing, mais la main ouverte. »

Si la métamorphose visible au mont Thabor a transformé la vie de Paul VI – saint Paul VI - ne doutons pas que sa même énergie soit à l’œuvre en nous !

Il suffit de se laisser métamorphoser, de gloire en gloire, jusqu’à la plénitude de la transfiguration qu’on appelle la mort physique…

 

Lectures de la messe

Première lecture
Le sacrifice de notre père Abraham (Gn 22, 1-2.9-13.15-18)
Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, Dieu mit Abraham à l’épreuve. Il lui dit : « Abraham ! » Celui-ci répondit : « Me voici ! » Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Ils arrivèrent à l’endroit que Dieu avait indiqué. Abraham y bâtit l’autel et disposa le bois ; puis il lia son fils Isaac et le mit sur l’autel, par-dessus le bois. Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. Mais l’ange du Seigneur l’appela du haut du ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Me voici ! » L’ange lui dit : « Ne porte pas la main sur le garçon ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. » Abraham leva les yeux et vit un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils.
Du ciel, l’ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham. Il déclara : « Je le jure par moi-même, oracle du Seigneur : parce que tu as fait cela, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance occupera les places fortes de ses ennemis. Puisque tu as écouté ma voix, toutes les nations de la terre s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction par le nom de ta descendance. »

Psaume
(115 (116b), 10.15, 16ac-17, 18-19)
R/ Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants. (114, 9)

Je crois, et je parlerai,
moi qui ai beaucoup souffert.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !

Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes.

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

à l’entrée de la maison du Seigneur,
au milieu de Jérusalem !

Deuxième lecture
« Dieu n’a pas épargné son propre Fils » (Rm 8, 31b-34)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains

Frères, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? Dieu est celui qui rend juste : alors, qui pourra condamner ? Le Christ Jésus est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous.

Évangile
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mc 9, 2-10)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant.
Gloire à toi, Seigneur.
De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! »
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant.
Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmena, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux. Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. Élie leur apparut avec Moïse, et tous deux s’entretenaient avec Jésus. Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » De fait, Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande. Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.
Ils descendirent de la montagne, et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. Et ils restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts ».
Patrick BRAUD

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14 février 2018

Poussés par l’Esprit

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Poussés par l’Esprit


Homélie du 1° Dimanche de Carême / Année B
18/02/2018

Cf. également :

Ne nous laisse pas entrer en tentation
Une recette cocktail pour nos alliances
Gravity, la nouvelle arche de Noé ?


Avez-vous déjà fait l’expérience d’une retraite ignacienne ? Et particulièrement de cette  retraite, inspirée des Exercices spirituels de St Ignace de Loyola, qu’on appelle retraite d’élection ? Il s’agit, pendant une semaine ou un mois, dans un lieu retiré (abbaye, Foyer de Charité…), accompagné par un maître expérimenté, dans la solitude et le silence, de prendre le temps de méditer les Écritures, de relire son histoire, de se taire pour entendre autre chose, de porter devant Dieu et en Dieu ses choix à venir, ses décisions à prendre les plus engageantes.

Ce premier dimanche de carême nous parle du désert où Jésus va demeurer. Non pour nous inquiéter, mais au contraire pour nous donner le courage et la force de le traverser nous-mêmes.
Une fois n’est pas coutume, commentons le début de ce passage ligne à ligne.

 

·      « Jésus vient d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert ».

Poussés par l’Esprit dans Communauté spirituelle 900_1828873HighResLe premier effet du baptême pour Marc est d’être poussé par l’Esprit à faire des choses qu’on ne faisait pas avant. La vie spirituelle commence ainsi lorsqu’on se laisse conduire au lieu de maîtriser sa route. Être poussé par l’Esprit peut arriver en répondant à un coup de fil, à une demande imprévue, ou bien à travers un événement littéralement dé-routant. Il faut pour cela écouter cette petite voix intérieure qui me souffle telle interrogation, tel désir neuf. Être habité par l’Esprit suppose de lui laisser de l’espace, et de ne pas étouffer sa voix par trop de décibels provenant de notre rythme de vie ordinaire.

Être baptisé, comme l’écrit Pierre dans sa deuxième lecture, n’est pas « être purifié de souillures extérieures, mais s’engager envers Dieu avec une conscience droite ». Ce n’est donc pas la pratique religieuse (aller à la messe, recevoir les sacrements, donner au Denier  de l’Église…) qui caractérise d’abord l’identité du baptisé. C’est la capacité à se laisser conduire par l’Esprit, tel un voilier qui suit le vent grand largue pour aller au meilleur de son allure.

Est musulman celui qui observe les cinq piliers de l’islam. Est juif celui qui est né de mère juive. Est chrétien celui qui est poussé par l’Esprit… Voilà une identité à nulle autre pareille !

Ici, l’Esprit pousse Jésus au désert.

Nous connaissons bien la résonance biblique de ce mot : le désert primordial d’où surgit la création, le désert d’Égypte où le peuple hébreu a erré 40 ans avant d’être conduit en Terre promise, le désert des prophètes où Dieu conduit Israël pour se fiancer à elle (le peuple est féminin en hébreu) etc. Le désert, c’est également ces retraites spirituelles avant de commencer une période nouvelle de son histoire etc. On dit que Gandhi passait un jour par semaine en silence. S’abstenir de parler lui amenait la paix intérieure. Ces jours-là il communiquait avec les autres en écrivant sur un papier. C’était son désert hebdomadaire…

Le désert prendra encore bien d’autres formes au cours d’une existence. L’essentiel est de ne pas le choisir (par orgueil), et de le traverser, poussé par l’Esprit…

 

·      « Et dans le désert, Jésus reste à 40 jours, tenté par Satan ».

40 jours pour le déluge, 40 jours et 40 nuits pour le retrait et le jeûne de Moïse sur la montagne, 40 ans d’errance pour le peuple hébreu avant de rejoindre Canaan, 40 ans de règne pour les rois David et Salomon, 40 jours de désert pour Jésus, 40 jours de carême avant Pâques, 40 jours après la Résurrection pour monter vers le Père : 40 est donc un temps codé pour signifier l’épreuve ou la durée nécessaire.
C’est en tout cas suffisamment consistant pour ne pas être juste un touriste prenant quelques photos de désert en 4×4 lors d’une excursion de quelques heures !

3 Carême dans Communauté spirituelleRester dans le désert est aride. Éprouver sa monotonie et pas seulement sa grandeur, sa canicule, son effet perte de repères n’est pas une mince affaire. C’est d’ailleurs le terreau propice à toutes les tentations, que Marc ne détaille pas comme Luc et Matthieu, mais dont il précise la source : Jésus est tenté par Satan. La nouvelle traduction du Notre Père nous habitue désormais à cette justesse théologique : la tentation ne vient pas de Dieu. « Ne nous laisse pas entrer en tentation » est la prière pour ne pas être exposé, car ce n’est pas Dieu qui me soumettrait à la tentation. St Jacques dit clairement :

« Que nul, s’il est éprouvé, ne dise: « C’est Dieu qui m’éprouve. » Dieu en effet n’éprouve pas le mal, il n’éprouve non plus personne. Mais chacun est éprouvé par sa propre convoitise qui l’attire et le leurre » (Jc 1, 13-14).

Le génial St Augustin nous encourageait ainsi :

Dans le Christ, c’est toi qui étais tenté, parce que le Christ tenait de toi sa chair, pour te donner le salut ; tenait de toi sa mort, pour te donner la vie ; tenait de toi les outrages, pour te donner les honneurs ; donc il tenait de toi la tentation, pour te donner la victoire.
Si c’est en lui que nous sommes tentés, c’est en lui que nous dominons le diable. Tu remarques que le Christ a été tenté, et tu ne remarques pas qu’il a vaincu ? Reconnais que c’est toi qui es tenté en lui ; et alors reconnais que c’est toi qui es vainqueur en lui. Il pouvait écarter de lui le diable ; mais, s’il n’avait pas été tenté, il ne t’aurait pas enseigné, à toi qui dois être soumis à la tentation, comment on remporte la victoire. (Homélie sur le psaume 60)

Reste un personnage mystérieux – Satan – dont on ne sait pas grand-chose, si ce n’est ici qu’il ose tenter le Christ lui-même. Il a au moins le mérite d’innocenter Dieu du mal omniprésent… Pourquoi le laisser nuire encore ? Pourquoi cette puissance négative trouve-t-elle tant d’écho en nous ? L’énigme du mal et de la tentation ne sera levée qu’à la fin, lorsqu’enfin nous connaîtrons comme nous sommes connus…

 

·      « Jésus vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ».

Il y a comme un parfum messianique de réconciliation universelle dans cette peinture à la Rousseau. Les prophètes annonçaient que la venue du Messie s’accompagnerait de cette harmonie contre nature : « Le loup et l’agnelet paîtront ensemble, le lion comme le bœuf mangera de la paille, et le serpent se nourrira de poussière. On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, dit Yahvé » (Is 65,25)

mc-1_-12-15-jesus_anges désertL’homme et les bêtes sauvages ne sont plus en concurrence, en rivalité ni domination. En Christ, un monde nouveau advient où le règne animal est ami de l’humanité, où la sauvagerie ne se traduit plus par des égorgements mais des modes de vie différents, apaisés, coexistant sans se dévorer. Cette harmonie s’étend au monde de l’invisible : les anges servant le Christ sont les annonciateurs d’un jour où les forces invisibles nous seront familières, et seront à notre service.

La belle-mère de Pierre fut la première dans l’Évangile de Marc à servir Jésus et ses disciples. Au désert, les anges prennent le relais : en Christ, notre nature humaine est promise à régner sur l’univers, et même les anges nous serviront ! Autant dire que nous n’avons rien à craindre de l’invisible, et donc que toute pensée magique est inutile, toute  pratique occulte dangereuse.

 

·      « Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » ».

Voilà. Le temps du désert est terminé. Car tout désert se termine un jour. Et il est bon pour nous de le savoir afin de tenir bon jusque-là.
Le temps de l’action commence. Pour Jésus, c’est l’itinérance prophétique, qui le conduira de village en village. Il sait grâce à ces 40 jours quel est le cœur de son message : le royaume de Dieu. Il se centre sur cet essentiel, et ne le perdra jamais de vue.
Heureux désert qui lui a permis de se mettre ainsi en marche, sûr de ses appuis, cherchant l’unique nécessaire !

Désert ou action, tentation ou assurance prophétique, puissions-nous vivre ce carême « poussés par l’Esprit » là où il veut nous conduire…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Alliance de Dieu avec Noé qui a échappé au déluge (Gn 9, 8-15)

Lecture du livre de la Genèse

Dieu dit à Noé et à ses fils : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. » Dieu dit encore : « Voici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à jamais : je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l’arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants : les eaux ne se changeront plus en déluge pour détruire tout être de chair. »

PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Tes chemins, Seigneur, sont amour et vérité pour qui garde ton alliance. (cf. 24, 10)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
Le baptême vous sauve maintenant (1 P 3, 18-22)
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre

Bien-aimés, le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit. C’est en lui qu’il est parti proclamer son message aux esprits qui étaient en captivité. Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir, au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant : le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ, lui qui est à la droite de Dieu, après s’en être allé au ciel, lui à qui sont soumis les anges, ainsi que les Souverainetés et les Puissances.

ÉVANGILE
« Jésus fut tenté par Satan, et les anges le servaient » (Mc 1, 12-15)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Patrick BRAUD

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11 février 2018

Cendres : soyons des justes illucides

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Cendres : soyons des justes illucides 


Homélie pour le Mercredi des Cendres / Année B
14/02/2018

Cf. également :

Déchirez vos cœurs et non vos vêtements
Mercredi des cendres : de Grenouille à l’Apocalypse, un parfum d’Évangile
La radieuse tristesse du Carême
Carême : quand le secret humanise
Mercredi des Cendres : 4 raisons de jeûner
Le symbolisme des cendres
Toussaint : le bonheur illucide
Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter


Matriona ou la non-remarquée des hommes

La_maison_de_Matriona_et_autres_recits avenir dans Communauté spirituelleUn village perdu de l’ex-URSS. Une femme âgée vivait là, dans une cabane misérable, apparemment seule avec ses animaux. Alexandre Soljenitsyne raconte que dans l’été 1953, de retour d’exil, sans attache et sans le sou, il trouve un petit emploi de professeur de mathématiques en Russie. Dans le village, une vieille femme – Matriona – accepte de l’héberger, plus pour lui rendre service qu’autre chose. L’auteur nous raconte la vie misérable de Matriona, et le terme accidentel de son existence : la brave femme encaisse tous les travers et n’agit que pour aider son prochain. Le livre : « la maison de Matriona » s’achève par cette phrase superbe : « … elle n’avait pas accumulé d’avoir pour le jour de sa mort. Une chèvre blanc sale, un chat bancal, des ficus… Et nous tous qui vivions à ses côtés, n’avions pas compris qu’elle était ce juste dont parle le proverbe et sans lequel il n’est village qui tienne. Ni ville. Ni notre terre entière. »
Au milieu de ce village se tenait cette vieille femme, Matriona, que personne ne connaissait vraiment, mais qui pourtant soutenait le village à bout de bras de manière  invisible, sans même en avoir conscience …

Cela rejoint l’étonnement d’un ami devant cette phrase de notre évangile du Mercredi des Cendres (Mt 6, 1-6.16-18) : « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment oublier ce que je fais de bien et pourquoi ? Tout le passage d’évangile est d’ailleurs basé sur ce leitmotiv : « ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer ». Jusqu’à s’inclure soi-même dans ceux devant qui il est inutile de briller par sa générosité : « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite ».

Toussaint : le bonheur illucide dans Communauté spirituelle 9782020251556FSOn peut appeler illucide [1] le juste qui accomplit sa justice sans comptabiliser pour lui-même, sans même en être conscient. Le juste illucide ne tient pas la liste des personnes secourues, ni des aides accordées. Il oublie le bien qu’il fait au moment même où il l’accomplit.

On peut penser à l’industriel allemand Schindler qui se met à sauver des juifs dans son usine en 39-45 sans trop réfléchir. Le film « La liste de Schindler » a immortalisé cette démarche presque naïve, car sans aucun repli sur elle-même. Si vous allez d’ailleurs au mémorial de Yad Vashem en Israël, vous verrez le nom de Schindler parmi des milliers d’autres justes. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les vrais justes sont connus de Dieu plus que des hommes.

Cela rejoint le thème du bonheur illucide déjà rencontré pour la fête de Toussaint avec les Béatitudes. Les pauvres sont heureux parce qu’ils possèdent le Royaume des cieux, mais ils ne le savent pas. De même pour les doux, les assoiffés de justice, les artisans de paix…

Le bonheur comme la justice ne se possèdent pas. Leur illucidité est la conséquence de cette non-possession. Comme le disait Jeanne d’Arc à ses juges qui lui demandaient si elle était en état de grâce : « Si je ne suis pas, Dieu m’y mette. Si j’y suis, Dieu m’y mette ». Autrement dit : il ne me revient pas de savoir si je suis heureux ou juste. Cela appartient à Dieu seul. Il me revient par contre de ne pas m’attacher à mes œuvres, de ne pas comptabiliser mes bonnes actions, jusqu’à ignorer même ce que j’aurais pu faire de bien.

D’où la surprise promise par Jésus lors du jugement dernier (Mt 25). « Comment ? Je t’ai vu nu et je t’ai habillé ? En prison et je t’ai visité ? Mais où et quand l’ai-je fait ? » C’est donc que le juste ne peut pas fournir la liste de ses dons et de ses visites. Il est étonné, car sa main gauche ignore ce que fait sa main droite.

Nous connaissons tous de ces personnes qui rayonnent d’une grande bonté sans s’en apercevoir. Elles le font quasi naturellement, sans calcul, sans stratégie. Elles irradient sans compter. Être reconnues des hommes leur importe peu, car elles ne le font pas pour cela, et n’ont d’ailleurs pas conscience de le faire.

L’humilité évangélique est elle aussi illucide, comme le notait Luther avec finesse :

« La vraie humilité ne sait jamais qu’elle est humble, car, si elle le savait, elle tirerait orgueil de la contemplation de cette belle vertu : au contraire, elle s’attache par le cœur, les pensées et tous les sens aux choses viles: elle les a sans relâche devant les yeux; c’est là l’image dont elle est pleine, et parce qu’elle a ces choses sous les yeux, elle ne peut pas se voir elle-même ni s’apercevoir qu’elle existe, et encore moins prendre conscience des choses élevées : c’est pourquoi, l’honneur et l’élévation lui échoient forcément à l’improviste et la surprennent forcément dans des pensées tout à fait étrangères à l’honneur et à l’élévation : c’est là ce que dit Luc .
La fausse humilité, en revanche, ne sait jamais qu’elle est orgueil (car, si elle le savait, elle deviendrait vite humble à la vue de ce vilain défaut); au contraire, elle s’attache par le cœur, la pensée et les sens aux choses élevées et les tient sans relâche sous ses yeux. » (Commentaire du Magnificat).

Ainsi l’Esprit de Dieu en Marie l’entraînait à exalter/exulter, sans même s’en rendre compte : son Magnificat jaillit sans retenue, exprimant le fond de son être, en toute humilité.

 

Pourquoi ignorer ce que je fais de bien ?

Tout simplement parce que la gratuité est au cœur du salut offert en Jésus-Christ. Ce n’est pas à la force du poignet que je pourrai me hisser à la sainteté du Christ : c’est un cadeau offert sans condition. Ce n’est pas en accumulant les bonnes œuvres que j’obtiendrai mon passeport vers la vie éternelle : il me suffit de croire et d’accueillir, comme le criminel crucifié à la droite de Jésus.

Si l’amour de Dieu est gratuit, alors je n’ai pas à le mériter, ni même à chercher à le mériter. J’arriverai devant Dieu au terme de ma vie « les mains vides » comme l’écrivait Thérèse de Lisieux.

 

Comment arriver à cette illucidité ?

Elle viendra comme conséquence et non un but atteint. Libéré de l’obsession d’être juste par mes propres forces, je peux me recentrer sur l’expérience de l’amour inconditionnel. Et si je laisse cette gratuité m’habiter au point de devenir intime, plus intime que le fait de respirer ou de faire battre mon cœur – activités ordinairement illucides s’il en est – alors, sans effort, cette gratuité se répandra dans tous les actes comme le sang dans l’organisme, au point de ne plus savoir ce que je fais de bien, car aucune comptabilité n’est nécessaire.

 

Nous sommes tous des soldats inconnus

Les saints authentiques ne savent pas eux-mêmes qu’ils vivent en odeur de sainteté – comme dit la sagesse populaire – car ce n’est pas cela qui les intéresse. Ils n’agissent pas pour obtenir une récompense des hommes, mais « Dieu le leur rendra »  comme dit Jésus, sans qu’on sache ni comment ni quand.

Anne Frank, Etty Hillesum, Irena Sendler sont trois jeunes femmes qui ont vécu l’horreur nazie, à Amsterdam ou Varsovie. Nous reconnaissons en elles aujourd’hui des figures d’humanité absolument remarquables. Mais à leur époque, elles passèrent inaperçues. Sans le journal intime d’Anne ou d’Etty, sans l’enquête d’historiens postcommunistes pour Irena, jamais nous n’aurions distingué leur justice. Elles s’en moquaient d’ailleurs. Ce n’est qu’après coup, une fois leur visage évanoui, que nous avons pris conscience de leur sainteté. Il y en a sans doute des milliers d’autres, oubliés des hommes, connus de Dieu.

Cendres : soyons des justes illucides dans Communauté spirituelle known-unto-god_dsc_0290Dans les cimetières militaires aux milliers de croix impeccablement alignées, les tombes de soldats inconnus anglais portent justement cette épitaphe : known unto God (connu de Dieu seul). À ce titre, nous sommes chacun ce soldat inconnu des hommes, connu de Dieu seul. « Mieux vaut compter sur Dieu que de s’appuyer sur des mortels », chantaient déjà les psaumes (Ps 118,8).

Les justes n’agissent pas pour être remarqués des hommes. Ils laissent simplement déborder l’amour reçu. Ils s’appuient sur Dieu seul, et Dieu seul sonde les reins et les cœurs. Les généreux, les solidaires ne calculent pas leur déduction fiscale : ils donnent  comme la rose fleurit, sans pourquoi. Les partageux ignorent ce que donne leur main droite, car leur attention est ailleurs.

Ne cherchons donc pas à devenir ces justes illucides dont parle Jésus. Cela nous sera donné, par surcroît, lorsque justement nous aurons cessé de vouloir être justes.

Car il suffit d’accueillir…

 


[1] . Lucide = qui a conscience, qui juge, voit clairement, objectivement les choses dans leur réalité (Larousse). Vient du latin lux, lucis = lumière (élucider = mettre en pleine lumière). Illucide = qui n’a pas conscience de lui-même.

 

 

 

PREMIÈRE LECTURE
« Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » (Jl 2, 12-18)

Lecture du livre du prophète Joël

Maintenant – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et laisser derrière lui sa bénédiction : alors, vous pourrez présenter offrandes et libations au Seigneur votre Dieu. Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre ! Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : “Où donc est leur Dieu ?” »
Et le Seigneur s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple.

PSAUME(50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17)

R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. 50, 3)

Pitié pour moi, mon Dieu,
dans ton amour, selon ta grande miséricorde,
e
fface mon péché.

Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.

Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.

Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint.
Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

DEUXIÈME LECTURE
« Laissez-vous réconcilier avec Dieu. Voici maintenant le moment favorable » (2 Co 5, 20 – 6, 2)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui. Car il dit dans l’Écriture: Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut.

ÉVANGILE

« Ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 1-6.16-18)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (cf. Ps 94, 8a.7d)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.

Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. »
Patrick BRAUD

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27 mars 2017

Reprocher pour se rapprocher

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Reprocher pour se rapprocher


Homélie du 5° Dimanche de Carême / Année A
02/04/2017

Cf. également :

Et Jésus pleura

Une puanteur de 4 jours

Le je de l’ouïe

La corde à nœuds…

 

Dieu est-il sans reproches ?

ob_604d34_parler-tout-seul-c-est-parfois-un-signTant d’injustices, tant de malheurs innocents, jusqu’à la mort elle-même, point final en forme d’immense interrogation adressée à l’amour supposé infini de Dieu… : chacun de nous peut faire la liste de ses reproches, qu’il peut argumenter dès aujourd’hui contre Dieu. ‘Seigneur, si tu es vraiment amour, pourquoi ce handicap à la naissance, cet accident de la route à 14 ans, pourquoi l’autisme défigure-t-il ma fille/mon fils ? Si tu étais vraiment à mes côtés, je n’aurais pas sombré dans l’alcool ou la dépression, je n’aurais pas enchaîné les séries noires, mes proches n’auraient pas cumulé les échecs personnels ou professionnels…’

Or la Bible entière est traversée des reproches bien plus violents encore de nos ancêtres.

Dans l’évangile de ce dimanche du retour à la vie de Lazare, par deux fois un même reproche vient remettre Jésus en cause : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Marthe, puis Marie expriment avec douleur dans les mêmes termes leur grief envers Jésus : c’est donc qu’il est légitime de le faire nous aussi. Jacob a résisté à Dieu au gué du Yabboq et s’est roulé avec lui dans la poussière (Gn 32). C’est donc qu’être « fort contre Dieu » (c’est le nom Israël attribué à Jacob après cette lutte) est une porte d’entrée dans son cercle intime.

 

L’avant-reproche

Résultat de recherche d'images pour "« celui que tu aimes est malade »"Les deux sœurs commencent d’abord par envoyer un SMS d’urgence à Jésus : « celui que tu aimes est malade ». C’est plus qu’une information sur l’état de santé de Lazare. Avec le rappel de l’amitié le liant à leur frère, Marthe et Marie jouent habilement sur la corde de l’affection de Jésus. C’est déjà une supplication : ‘au nom de votre amitié, fais  quelque chose pour Lazare’.

Avant de pouvoir reprocher en toute légitimité, il nous faut d’abord savoir supplier, ou du moins informer Dieu en lui rappelant son affection pour nous, le lien amical qui nous relie à lui. Celui qui ne demande jamais rien aux autres / à Dieu ne peut ensuite leur reprocher de ne pas être intervenus. Or savoir demander est un chemin d’humilité auquel peu d’entre nous consentent vraiment. Appeler au secours peut se révéler parfois très humiliant. Bon nombre préféreront se taire, serrer les dents, et essayer d’y arriver tout seul, à la force du poignet.

Le reproche est illégitime s’il n’est précédé de cette humble quête d’assistance où je reconnais ne pas pouvoir compter sur moi seulement.

 

Le reproche rapproche

Reprocher pour se rapprocher dans Communauté spirituelle lazare17La supplication de Marthe et Marie est restée sans effet sur Jésus. Bizarrement, il ne bouge pas. Il reste sur place, attendant visiblement que Lazare soit mort pour réagir. Elles sont alors en droit d’exploser, chacune à son tour, avec le même reproche : « Seigneur si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Si elle n’avait pas crié leur amertume [1], leur déception, alors la rancune, le ressentiment auraient pris le dessus. Elles en auraient voulu à mort à Jésus d’avoir délaissé Lazare. Leur mutisme les aurait enfermées dans cette haine sans mots qui fait tant de ravages au sein des familles. Le fait d’exprimer leur reproche les maintient en lien étroit avec Jésus qui va finir par leur donner raison. Le nom de Lazare signifie justement : Dieu a secouru (El-azar), car en réponse au reproche des deux sœurs Jésus intervient avec puissance.

La vraie proximité s’établit souvent au prix du reproche, et non sans lui.

Le drame de Judas est de garder ses reproches pour lui, au lieu de les adresser au Christ. En bon zélote, il aurait dû demander à Jésus pourquoi il ne voulait pas de l’insurrection armée, du calcul politique pour faire des alliances, d’une stratégie de pouvoir qui permettrait de changer l’ordre des choses en chassant l’occupation romaine. Plus tard, après sa tragique méprise sur la rencontre entre Jésus et les chefs juifs (qu’il avait organisée pour créer un Front de la Résistance), il s’en veut tellement qu’il retourne contre lui la violence qu’il n’avait pas exprimée à Jésus. Ces reproches rentrés deviennent alors des remords, qui finiront par le détruire : le suicide de Judas est l’impasse où nous mène le non-reproche.
Pierre, lui, n’a cessé de formuler ses objections, et après la Résurrection il transforme ses reproches envers lui-même en demande de pardon adressée au Christ.

La vraie proximité s’établit souvent au prix du reproche, et non sans lui.
Ne pas se dire ce qui reste en travers de la gorge provoque des éloignements irréversibles : entre conjoints, des disputes à répétition au sujet de griefs non formulés, ou formulés trop tard, sont à l’origine de bien des séparations. En entreprise, ne pas savoir reprocher à son chef hiérarchique n’engendre que soumission et inefficacité du travail en équipe. Et réciproquement, c’est tout l’art du management que de pratiquer le reproche avec discernement, au moment favorable, dans des conditions acceptables, sur fond de bienveillance positive.

Pas d’éducation sans reproche !

 

Dieu n’est pas sans reproches

L'Amour, on 1) se RAPPROCHE 2) s'ACCROCHE 3) se REPROCHE 4) s'ÉCORCHE - Jeux de Mots Francois Ville - T-shirt Premium HommeAu double sens de la formule : il verbalise par amour ce qu’il a contre nous, afin de nous renouveler son alliance, et son action suscite légitimement en nous des questionnements que nous lui adressons avec tristesse.

Par le biais des prophètes dans l’Ancien Testament, Dieu reprend sans cesse Israël pour l’inviter à progresser. Dans les Évangiles, Jésus n’est pas avare de reproches non plus ! Il pleure sur Jérusalem qui refuse de l’accueillir. Il réprimande Pierre qui ne veut pas entendre parler de crucifixion (ce même Pierre qui lui faisait de vifs reproches sur cette annonce impensable d’un messie humilié). Et les diatribes de Jésus contre l’hypocrisie et le légalisme des pharisiens, pharisiens et autres docteurs de la Loi sont restées célèbres. D’ailleurs, les pharisiens confondront reproche (par amour) et insulte (par mépris).

Dans le livre de l’Apocalypse, le Vivant reproche à l’Église de Laodicée d’être si tiède qu’elle risque d’être vomie de sa bouche : « puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3,14). À chacune des 7 Églises, le Christ formule un grief pour l’appeler à redevenir fidèle : « J’ai contre toi que tu as perdu ton amour d’antan… » (Ap 2,7).

Dieu et l’homme ont tant de reproches mutuels se faire !

Mais tant que la parole convoque l’autre au nom de l’affection, de l’amitié, du lien d’alliance, chaque reproche peut réellement rapprocher les deux parties.
Parce qu’il fait réagir (Jésus ressuscitant Lazare [2]).
Parce qu’il oblige à lever les ambiguïtés (c’est pour soutenir la foi des disciples que Jésus a attendu trois jours).
Parce qu’il conduit de lui-même à la confiance malgré tout : « je sais que Dieu t’accordera tout ce que tu lui demanderas », dit Marthe après son reproche.

Entraînons-nous donc aux reproches fraternels, sur fond d’amitié et d’affection. Entraînons-nous dans la prière aux reproches spirituels, sur fond d’alliance et d’humilité  réciproque.

Celui qui ne reproche jamais montre peu de reconnaissance.
Celui-ci reproche mal devient tyrannique.
Qui reproche comme Marthe et Marie découvre qu’il n’y a pas de tombeau scellé si hermétique qu’il puisse empêcher la vie de jaillir, malgré la blessure, malgré toutes les formes de mort qui nous tiennent prisonniers.

Et vous, qu’avez-vous à reprocher à Dieu ? Prenez-vous le temps de lui dire, avec passion ?

Osons reprocher pour nous rapprocher !

 


[1] . Marie est un dérivé du prénom hébraïque Miryam qui signifie « goutte de mer ». Selon d’autres sources, il viendrait de l’hébreu marah se traduisant par « amertume » ou de l’égyptien ancien mrit ou merit signifiant « aimée ». La limite entre l’amertume et l’amour est donc ténue, et Marie de Béthanie personnalise cette ligne de crête.

[2] . Ce qui fait réagir également les opposants à Jésus : « Les grands prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare,  parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s’en allaient et croyaient en Jésus » (Jn 12,10).

 

 

Première lecture (Ez 37, 12-14
Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. Vous saurez que Je suis le Seigneur, quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai remonter, ô mon peuple ! Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez ; je vous donnerai le repos sur votre terre. Alors vous saurez que Je suis le Seigneur : j’ai parlé et je le ferai – oracle du Seigneur.

Psaume (Ps 129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8)

Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur, Seigneur, écoute mon appel ! Que ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière ! Si tu retiens les fautes, Seigneur, Seigneur, qui subsistera ? Mais près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne. J’espère le Seigneur de toute mon âme ; je l’espère, et j’attends sa parole. Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore. Oui, près du Seigneur, est l’amour ; près de lui, abonde le rachat. C’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes. 

Deuxième lecture (Rm 8, 8-11)

Frères, ceux qui sont sous l’emprise de la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.

Évangile (Jn 11, 1-45)

En ce temps-là, il y avait quelqu’un de malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, sa sœur. Or Marie était celle qui répandit du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux. C’était son frère Lazare qui était malade. Donc, les deux sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade. » En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait. Puis, après cela, il dit aux disciples : « Revenons en Judée. » Les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? » Jésus répondit : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n’est pas en lui. » Après ces paroles, il ajouta : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. » Les disciples lui dirent alors : « Seigneur, s’il s’est endormi, il sera sauvé. » Jésus avait parlé de la mort ; eux pensaient qu’il parlait du repos du sommeil. Alors il leur dit ouvertement : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! » Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! » À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà. Comme Béthanie était tout près de Jérusalem – à une distance de quinze stades (c’est-à-dire une demi-heure de marche environ) –, beaucoup de Juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère. Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. » Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. » Ayant dit cela, elle partit appeler sa sœur Marie, et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t’appelle. » Marie, dès qu’elle l’entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus. Il n’était pas encore entré dans le village, mais il se trouvait toujours à l’endroit où Marthe l’avait rencontré. Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu’elle allait au tombeau pour y pleurer. Marie arriva à l’endroit où se trouvait Jésus. Dès qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé, et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. » Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? » Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : « Enlevez la pierre. » Marthe, la sœur du défunt, lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. » Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. » Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. » Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.
Patrick BRAUD

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