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30 mars 2025

Le doigt de Dieu

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le doigt de Dieu

 

Homélie pour le 5° Dimanche de Carême / Année C
06/04/25


Cf. également :

Une spiritualité zéro déchet
La première pierre
Lapider : oui, mais qui ?
L’adultère, la Loi et nous
L’oubli est le pivot du bonheur
Le Capharnaüm de la mémoire : droit à l’oubli, devoir d’oubli
Comme l’oued au désert
Jésus face à la violence mimétique
Les sans-dents, pierre angulaire
Lapidation : le retour !

 

1. Rendre le mal éphémère

Le doigt de Dieu dans Communauté spirituelle Pierre-sableDeux amis marchaient dans le désert. À un moment donné, ils se disputèrent et l’un des deux donna une gifle à l’autre. Ce dernier, endolori mais sans rien dire, écrivit dans le sable : « Aujourd’hui mon meilleur ami m’a donné une gifle ».

Ils continuèrent de marcher, puis trouvèrent une oasis, dans laquelle ils décidèrent de se baigner. Mais celui qui avait été giflé manqua de se noyer et son compagnon le sauva. Quand il eut recouvré ses esprits, il écrivit sur une pierre : « Aujourd’hui mon meilleur ami m’a sauvé la vie ». 

Celui qui avait donné la gifle et avait sauvé son camarade lui demanda : 

- « Quand je t’ai blessé, tu as écrit sur le sable et maintenant tu écris sur la pierre. Pourquoi ? » Son ami lui répondit : 

- « Quand quelqu’un nous blesse, nous devons l’écrire dans le sable, où les vents du pardon peuvent l’effacer. Mais quand quelqu’un nous fait du bien, nous devons le graver dans la pierre, où aucun vent ne peut l’effacer ».

 

Cette vieille parabole de Lao Tseu semble rejoindre le sens global de notre évangile dit « de la femme adultère » (Jn 8,1-11) de ce dimanche. Jésus écrit quelque chose sur le sable, et au IV° siècle saint Jérôme imaginait contre Pélage que c’était les péchés de la femme que Jésus écrivait ainsi, afin que le vent les disperse et les efface pour toujours. 

Pourquoi pas ? C’est bien la miséricorde que le Christ est venu annoncer. Contre Pélage qui voulait faire son salut à la force du poignet, par les mérites et les vertus, Jérôme lisait dans le pardon accordé à la femme adultère la gratuité absolue du salut offert en Jésus.

 

Rendre le mal éphémère en pratiquant l’oubli des offenses : avouons que ce n’est guère à la mode en notre époque de judiciarisation forcenée (MeToo, CPI, Conseil constitutionnel, nouveaux crimes et délits etc.), qui favorise paradoxalement le retour de la loi du plus fort (Poutine, Trump, Xi Jinping, Kim Jong-un …) au mépris du droit. On peut tout à fait suivre Jérôme en interprétant le pardon accordé à la femme adultère comme un droit à l’oubli que Dieu nous octroie, sans conditions.

 

Le texte biblique est cependant plus complexe que cette seule interprétation (déjà révolutionnaire !).
Car on ne sait pas vraiment ce que Jésus écrivait.
Et il écrivait sur la terre, pas sur le sable ; et pas une fois, mais deux fois. 

Comment comprendre ce double geste étrange ?

 

2. Name and shame

 adultère dans Communauté spirituelleComme toujours, une allusion à l’Écriture vient éclairer le geste de Jésus. Il s’agit du seul passage de l’Ancien Testament qui fasse explicitement référence au fait d’écrire sur le sol : « Seigneur, espoir d’Israël, tous ceux qui t’abandonnent seront couverts de honte ; ils seront inscrits sur la terre, ceux qui se détournent de toi, car ils ont abandonné le Seigneur, la source d’eau vive » (Jr 17,13). Selon ce passage, on verrait plutôt Jésus écrire les noms des accusateurs, ces hommes endurcis qui instrumentalisent la Loi pour garder leur pouvoir de domination (sur les femmes ici), préférant ainsi l’eau croupie (la lettre de la Loi) à la source d’eau vive (l’Esprit de Jésus). Un peu à la manière de Wikileaks, Jésus écrivant sur le sol dit aux accusateurs : ‘J’ai une fiche et des documents sur chacun de vous. Votre dossier est rempli de turpitudes. Je suis prêt à le rendre public si vous persévérez à vouloir lapider cette femme’.

Processus un peu terroriste ! Mais la peur n’est-elle pas le commencement de la sagesse (Pr 9,10 ; Ps 111,10) ? Si ces ‘fous de la Loi’ n’entendent rien à la miséricorde, ils seront peut-être sensibles à la menace ! Aujourd’hui, les campagnes de Name and shame prennent  le relais de cette pression exercée par Jésus. En dévoilant médiatiquement le nom des entreprises qui ont des pratiques économiques, éthiques ou écologiques peu reluisantes, on les force à changer d’attitude, sous peine de boycott des consommateurs et des clients. Malin ! « Soyez intelligents comme des serpents » (Mt 10,16) avait conseillé Jésus à ses disciples, en leur demandant d’être plus habiles que les fils de ce monde (Lc 16,8). Et c’est efficace : le boycott de Tesla a déjà coûté des milliards de dollars à Elon Musk !  [1]


Menacer de Name and shame (et de boycott) est encore aujourd’hui un moyen évangélique, non-violent, de lutter contre l’impunité des méchants, en dévoilant publiquement leurs contradictions, leurs crimes.

À l’inverse, Jésus invite ses disciples à se réjouir de ce que leurs noms sont écrits (ἐγγράφω, engrafō) dans les cieux (Lc 10,20) : c’est donc qu’il y a une manière divine d‘écrire  les noms humains pour les graver à jamais en lui.
Name and rejoice en quelque sorte, au lieu de Name and shame
Ce que nous pouvons faire nous aussi avec ceux que nous aimons à jamais.
À la manière du grand-prêtre qui portait sur sa poitrine les noms des douze tribus d’Israël : « Les pierres étaient aux noms des fils d’Israël ; comme leurs noms, elles étaient douze, écrites (gravées) dans la pierre à la manière d’un sceau ; chacune portait le nom de l’une des douze tribus » (Ex 39,14).
À la manière également de Paul qui chérit les communautés qu’il a engendrées, et les compare à une lettre écrite par le Christ dans le cœur des fidèles : « Notre lettre de recommandation, c’est vous, elle est écrite dans nos cœurs, et tout le monde peut en avoir connaissance et la lire. De toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2Co 3,2-3).
Nos noms sont inscrits dans les cieux, gravés sur le pectoral du Grand-Prêtre, écrits en nos cœurs par l’Esprit du Dieu vivant, formant en nous une lettre de chair au lieu de la Loi de pierre…
À la fin des temps, nous auront la surprise de découvrir notre vrai nom écrit sue la caillou que Dieu remettra en chacun en signe de sa véritable identité divine : « Au vainqueur je donnerai de la manne cachée, je lui donnerai un caillou blanc, et, écrit sur ce caillou, un nom nouveau que nul ne sait, sauf celui qui le reçoit » (Ap 2,17).
Pour la Bible, écrire le nom de quelqu’un sur la pierre, dans les cieux, dans les cœurs ou sur la terre – comme Jésus pourrait l’avoir fait face à ses accusateurs –  est donc lourd de sens !

3. Le doigt de Dieu

Moïse reçoit les Tables de la Loi de Dieu sur le mont SinaïUne autre particularité de ce texte est le fameux doigt avec le Christ écrit sur le sol. Et seulement la première fois, pas la seconde… Comment ne pas y voir une référence explicite à l’écriture des tables de la Loi au Sinaï ?

Le verbe « lapider » (lithazein Jn 8,5) et le substantif « pierre » (lithos Jn 8,7), qui en grec sont de même racine, font référence au même matériau que celui des « tables de pierre » (plakes lithinai) décrites dans l’Exode. La première fois, Moïse reçoit sur le Sinaï deux tables de pierre écrites par Dieu lui-même, « avec son doigt » (Ex 32,1-35). Mythe fondateur de l’origine transcendante de la Loi juive (un peu comme le mythe de Gabriel censé révéler le Coran à Mohamed). Mais après l’idolâtrie du veau d’or, Moïse brise ces deux premières tables, de colère. Il est obligé de monter à nouveau au Sinaï pour en obtenir deux autres. Seulement, cette fois-ci, le texte ne dit pas que ces tables soient écrites du doigt de Dieu. C’est simplement Moïse qui les réécrit sur la pierre.


Le parallèle avec la femme adultère est frappant : le peuple a commis un adultère en trompant YHWH avec le veau d’or, ce qui oblige Moïse à réécrire la Loi pour tenir compte de leur infidélité. Jésus rappelle aux accusateurs qu’ils sont adultères, comme cette femme, lorsqu’ils instrumentalisent la Loi en idolâtrant la lettre de la Loi (lapider l’adultère) au lieu d’en suivre l’Esprit (pardonner aux pécheurs). Il réécrit alors la Loi (deuxième geste d’écriture), comme Moïse, en évitant de la figer dans une interprétation fixiste, intégriste (d’où l’écriture « sur la terre »).

 

Les rabbins aujourd’hui encore se souviennent des deux Tables brisées écrites par le doigt de Dieu : elles représentent pour eux la Torah orale, celle qui n’est pas dans les textes, mais dans l’interprétation, dans la tradition orale, qui n’est jamais figée une fois pour toutes dans la pierre, car sans cesse façonnée et renouvelée par l’intelligence spirituelle. Les multiples commentaires de la Torah (Talmud, Michna, Guémara, Zohar, Kabbale etc.) témoignent de cette interprétation infinie qui invite les juifs à « lire aux éclats » selon la belle formule de Marc Alain Ouaknin.

Les chrétiens prolongent cette exégèse en voyant dans l’Esprit Saint la « seconde Loi »  communiquée par Jésus. C’est l’Esprit qui fait vivre (cf. le Credo) la lettre gravée dans le texte. C’est l’Esprit qui peut tirer sans cesse du neuf à partir de l’ancien. C’est lui qui met le vin nouveau dans des outres neuves.

 

 doigtEn se penchant vers la terre, Jésus ne fait pas seulement un geste d’humilité (s’abaisser). Par ce geste, il montre que la Loi nouvelle n’est pas en surplomb, et n’est pas faite pour humilier. Il dessine par ce geste le parcours même de son Incarnation, de sa kénose : se baisser à terre jusqu’à rejoindre l’humanité dans son péché. Plus encore, il a été pour nous « identifié au péché » (2Co 5,21) afin d’offrir aux pécheurs leur salut. 


D’ailleurs, le récit identifie Jésus et la femme adultère.
- Dans la première partie tous deux se trouvent coincés : la femme est déjà inculpée d’adultère (8,4-5), et contre Jésus les accusateurs cherchent une raison pour l’
« accuser » (8,6). L’Apocalypse de Jean utilisera ce terme d’accusateur pour désigner Satan lui-même : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! Car il est rejeté, l’accusateur de nos frères, lui qui les accusait, jour et nuit, devant notre Dieu » (Ap 12,10). Voilà les ‘fous de la Loi’ ramenés au rang de Satan (« Vous, vous êtes du diable, c’est lui votre père » Jn 8,44) ! …

- Dans la dernière partie, Jésus et la femme sont tous deux libérés : il n’est personne pour condamner la femme (8,11) et pour l’instant Jésus est « laissé seul » et en paix, après le départ silencieux des accusateurs (8,9). 

Voilà pourquoi Jésus s’identifie sans peine à la femme adultère, lui qui n’a jamais commis de péché. Jésus subira même plusieurs tentatives de lapidation (Jn 8,59 ; 10,31 ; 11,8).

Il « mime » son incarnation en se mettant en-dessous de la pécheresse, pour la sauver. Le grain de blé tombé en terre porte ainsi beaucoup de fruit (Jn 12,24).

 

La première fois qu’il écrit sur la terre, Jésus s’ancre dans la révélation faite à Moïse : le doigt de Dieu écrit la Loi de salut pour ceux qui l’accueillent. Jésus a déjà expérimenté cette équivalence lorsqu’il libérait les possédés de leur aliénation : « En revanche, si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le règne de Dieu est venu jusqu’à vous » (Lc 11,20). Alors que les spécialistes des textes de la Torah – eux – ne veulent même pas pratiquer ce qu’ils enseignent : « Vous aussi, les docteurs de la Loi, malheureux êtes-vous, parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter, et vous-mêmes, vous ne touchez même pas ces fardeaux d’un seul doigt » (Lc 11,46). 

Tout cela est donc bien une affaire de doigté

 

LE FESTIN DE BALTHAZARDans l’Ancien Testament, le seul passage où l’on parle de doigt [2] qui écrive – hors Sinaï – est le fameux banquet royal ou le prophète Daniel déchiffre pour le roi de Babylone (Balthazar) les inscriptions mystérieuses inscrites par « les doigts d’une main d’homme » (mais le message vient de YHWH) sur le mur de la salle du festin, et cela dans un contexte d’idolâtrie (qui fait penser à l’adultère d’Israël) : « Après avoir bu, ils entonnèrent la louange de leurs dieux d’or et d’argent, de bronze et de fer, de bois et de pierre. Soudain on vit apparaître, en face du candélabre, les doigts d’une main d’homme qui se mirent à écrire sur la paroi de la salle du banquet royal. Lorsque le roi vit cette main qui écrivait, il changea de couleur, son esprit se troubla, il fut pris de tremblement, et ses genoux s’entrechoquèrent » (Dn 5,4–6). Les doigts écrivent ici un message d’avertissement salutaire, ou funeste si on l’ignore (Balthazar sera tué lors de la prise de Babylone par les Perses). 

Jésus dénonce l’idolâtrie des ‘fous de la Loi’ voulant lapider les pécheurs au nom de la Loi. Comme Daniel avec Balthazar, son écriture sur la terre est un avertissement : ‘changez votre rapport à la Loi, sinon c’est vous qui périrez !’

 

En point d’orgue de ce développement sur le doigt de Dieu, rappelons que c’est bien ainsi que la liturgie catholique appelle l’Esprit Saint dans le Veni Creator ! 

Donne-nous les sept dons de ton amour,
Toi le doigt qui œuvres au Nom du Père 

  (digitus paternae dexterae : le doigt de la droite du Père),
Toi dont il nous promit le règne et la venue,
Toi qui inspires nos langues pour chanter.

Car c’est bien l’Esprit divin qui communique à l’Église son pouvoir de remettre les péchés, grâce au souffle reçu par les apôtres de la bouche-même du Christ au soir de sa résurrection…

 

L’Esprit est la ‘deuxième Loi’ communiquée par Jésus, et cette Loi n’est pas écrite sur la pierre mais sur la terre, afin que sans cesse le vent de l’Esprit la modèle, la façonne et la renouvelle…

 

4. La nouvelle Suzanne au bain

 lapidationL’exégèse du récit n’est pas pour autant épuisée par cette piste du doigt de Dieu ! Car un autre récit de l’Ancien Testament est singulièrement comparable : le fameux épisode de Suzanne au bain, échappant au viol de deux vieillards, mais accusée par eux en représailles. À tel point que l’air de famille entre les deux donne matière à réfléchir. Les ressemblances sont en effet nombreuses. Les deux femmes sont accusées par les chefs spirituels du peuple (Dn 13,41 et Jn 8,3), qui sont présentés d’une manière très négative (voir Jn 8,6) ; enfin toutes deux sont sauvées, grâce à la sagesse d’un homme de Dieu (Daniel / Jésus).


On sait qu’il faut deux témoins au minimum pour porter une accusation ou un plaidoyer devant un tribunal juif (Dt 19,15 ; Jn 8,17 ; 2Co 13,1 ; Ap 11,3). Les deux vieillards témoins contre Suzanne sont aussi véreux que les docteurs de la Loi traînant la femme adultère en comparution immédiate devant Jésus. Leur accusation ne tient pas la route. Pire, elle se retourne contre eux, qui sont en réalité les vrais coupables. Il n’en reste pas un seul à la fin ! Jésus crée une situation dans laquelle il n’y a pas deux témoins pour attester contre la femme, ce qui serait requis par la Loi pour que quelqu’un soit mis à mort. Donc même ainsi, en évitant le piège, il demeure fidèle à la Loi de Moïse. Autrement dit, il violerait la Loi s’il prenait une pierre et la lapidait avec seulement une personne. Ce serait enfreindre la Loi : il faut deux témoins publics pour attester. Si l’on veut un parallèle, souvenons-nous du procès devant le sanhédrin : ils essaient de trouver deux témoignages sur le fait que Jésus aurait dit vouloir détruire le Temple (Mt 26,60-61), car ils ne peuvent le condamner à mort sans au moins deux personnes prêtes à attester publiquement d’un crime. Et c’est ce qui ne se passe pas ici pour cette femme. Il peut donc lui dire : « moi non plus, je ne te condamne pas ».

 

La femme adultère n’est pas innocente comme Suzanne, mais – comme Suzanne – elle dévoile l’iniquité de ceux qui se servent de la Loi pour leurs intérêts. Jésus est le nouveau Daniel qui, prophétiquement, dévoile la perversité de ceux qui veulent la mort du pécheur (pécheresse).

 

Révéler la malice des accusateurs : telle est bien ici la vocation prophétique de Daniel et de Jésus, qui devient la nôtre par le baptême…

 

5. La main de justice

140px-Hand_of_justice_Louvre_MS85 loiAllez ! Encore une dernière pour la route : il se peut que cet épisode de la femme adultère ait une fécondité sociale inattendue dans l’histoire de France ! En effet, nous avons tous en tête une image de notre manuel scolaire d’histoire où l’on voit saint Louis (Louis IX) rendre la justice sous un chêne à Vincennes. Mais, contrairement à la gravure d’Épinal de nos manuels, le roi n’était en réalité pas assis sur un trône, en majesté. La bulle Gloria et laus du pape Boniface VIII canonisant Louis IX précise que Sa Majesté rendait souvent la justice en s’asseyant à même le sol, par terre, sous un chêne à Vincennes. Cette scène du roi rendant justice humblement, sans trône ni faste, est restée célèbre. Elle illustre son souci de proximité avec ses sujets et son engagement en faveur d’une justice équitable et accessible à tous. Comment ne pas y voir un écho du geste de Jésus se penchant à terre, assis à même le sol, pour écrire la nouvelle justice du royaume de Dieu ? D’autant plus que Louis IX a innové en faisant en sorte que la justice royale supplante celle des barons et des seigneurs locaux, empêtrés dans leurs conflits d’intérêts. Il est même allé jusqu’à autoriser à porter plainte contre les abus de l’administration royale, un peu comme Jésus se plaint de la Loi au nom de la Loi… Il généralisa la procédure d’appel à la justice royale et desserra  l’étau féodal au double profit des individus et de l’État. De fait, son désir de justice a contribué à affermir l’État comme représentant de la volonté générale, ce qui permet de comprendre que la III° République – ‘la laïque’ de Jules Ferry – ait pu se reconnaître en lui.


Cette justice royale est symbolisée par un bâton de bois surmonté d’une main d’ivoire avec trois doigts ouverts, le pouce symbolisant le Roi, l’index, la raison et le majeur la charité, c’est la main de justice, une variante du sceptre, reçue comme lui au moment du sacre. La main de justice est apparue pour la première fois lors du sacre du jeune Louis IX en 1226. Il jura de faire régner la paix, la justice et d’être miséricordieux. Le symbole a été repris par Napoléon qui fit réaliser pour son sacre une main de justice incorporant l’anneau du trésor de Saint Denis. Elle se trouve aujourd’hui au Louvre.

 

Cette main de justice, avec ses doigts prêts à écrire, fait furieusement penser à la main de justice de Jésus tendant le doigt pour écrire sur la terre la nouvelle justice de son royaume, faite de droiture, de pardon et d’amour inconditionnel.

Ah, si la justice des hommes pouvait s’inspirer du récit de la femme adultère ! La main de justice de saint Louis devrait orner nos tribunaux et guider nos délibérations…

 

Ces quelques pistes d’interprétation ne sont pas exhaustives : il y en a bien d’autres ! Que celles-là nous encouragent à discerner ce que le doigt de Dieu écrit dans notre histoire personnelle et collective…

 

_________________________

[1] La part de marché de Tesla dans les voitures électriques est tombée à 9,6 %, au premier trimestre 2025 contre 21,6 % l’année précédente. Sur le marché global de l’automobile européenne, Tesla ne pèse désormais plus que 1,8 %.

[2] Un autre passage y fait allusion, à propos des prodiges accomplis par le bâton de Moïse : « Les magiciens dirent alors à Pharaon : “C’est le doigt de Dieu !” Mais Pharaon s’obstina ; il n’écouta pas Moïse et Aaron, ainsi que l’avait annoncé le Seigneur » (Ex 8,15). Luc y fait sans doute référence en Lc 11,20 : « Si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le règne de Dieu est venu jusqu’à vous ».

 

 

Lectures de la messe

Première lecture

« Voici que je fais une chose nouvelle, je vais désaltérer mon peuple » (Is 43, 16-21)


Lecture du livre du prophète Isaïe
Ainsi parle le Seigneur, lui qui fit un chemin dans la mer, un sentier dans les eaux puissantes, lui qui mit en campagne des chars et des chevaux, des troupes et de puissants guerriers ; les voilà tous couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, consumés comme une mèche. Le Seigneur dit : « Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? Oui, je vais faire passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides. Les bêtes sauvages me rendront gloire – les chacals et les autruches – parce que j’aurai fait couler de l’eau dans le désert, des fleuves dans les lieux arides, pour désaltérer mon peuple, celui que j’ai choisi. Ce peuple que je me suis façonné redira ma louange. »

Psaume
(Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)
R/ Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !
 (Ps 125, 3)

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert.
Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

Il s’en va, il s’en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes.

Deuxième lecture
« À cause du Christ, j’ai tout perdu, en devenant semblable à lui dans sa mort » (Ph 3, 8-14)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens
Frères, tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la Loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa Passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus.

Évangile
« Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à jeter une pierre » (Jn 8, 1-11)
Gloire à toi, Seigneur.
 Gloire à toi. Maintenant, dit le Seigneur, revenez à moi de tout votre cœur, car je suis tendre et miséricordieux. Gloire à toi, Seigneur. Gloire à toi. (cf. Jl 2, 12b.13c)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre. Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »
Patrick BRAUD

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23 mars 2025

Le 3° fils de la parabole

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le 3° fils de la parabole

 

Homélie pour le 4° Dimanche de Carême / Année C
30/03/25


Cf. également :

Une parabole contre le séparatisme
Souper avec les putains
Servir les prodigues
Réconciliation verticale pour réconciliation horizontale
Ressusciter, respirer, se nourrir…
Changer de regard sur ceux qui disent non
Fréquenter les infréquentables
La commensalité du Jeudi saint


Tu es le père

Le 3° fils de la parabole dans Communauté spirituelle darth_vader_-_i_am_your_father_star_war--i:1413857292081413851;x:1;w:520;m:1C’est sans doute la réplique-culte la plus célèbre de toute l’histoire du cinéma : « Je suis ton père ». Prononcée à travers le masque noir, d’un souffle rauque et quasi mécanique, cette phrase a résonné comme un coup de tonnerre dans l’immense saga de la guerre des étoiles (Star Wars).

La scène se déroule à la fin de L’Empire contre-attaque, deuxième épisode de la saga, réalisé par Irvin Kershner en 1980. Espérant trouver refuge sur la planète Bespin, la princesse Leia et ses compagnons sont pris en embuscade par les troupes impériales. Volant à leur secours, Luke Skywalker se retrouve soudain seul face au redoutable Dark Vador, dans les entrailles de la Cité des Nuages. Alors qu’il l’avait déjà affronté à bord de son X-Wing à la fin de l’épisode précédent, le Jedi en herbe dégaine pour la première fois son sabre laser face à son ennemi juré. Le duel est impitoyable, et les deux adversaires ne retiennent pas leurs attaques. Mais c’est à la fin de la confrontation, après lui avoir tranché la main, que Vador assène à Luke son coup le plus terrible en lui décochant non pas une estocade, mais une simple réplique, qui résonne encore 40 ans après dans les souvenirs de tous les spectateurs : « Je suis ton père. » Refusant cette sombre filiation, Luke se laisse tomber dans le vide…

Depuis, Dark Vador incarne à jamais le côté obscur de la paternité humaine.

C’est bien la figure du père négatif qui se dissimule derrière le masque de ce modèle essoufflé. Dark Vador hante les cauchemars de ceux qui ont été confrontés à une figure paternelle qui a mal tourné, du côté obscur de la Force…

 

Il y a quelque chose du conflit d’Œdipe revisité dans ce conflit opposant Luke Skywalker et son père Dark Vador. Luke (lucky = le chanceux) est littéralement « celui qui marche dans le ciel » (sky-walker) et son père est qualifié d’envahisseur, paternel invasif qui empêche son fils d’être lui-même (le nom original anglais est Darth Vader, et a été imaginé par Lucas comme une contraction de dark et death + invader = envahisseur sombre et mortel).

Oui, c’est bien la figure du père négatif qui se dissimule derrière le masque de ce modèle essoufflé…


Un père étouffant et un fils qui veut être libre : c’est une musique familière aux auditeurs de l’Évangile, particulièrement avec la parabole ultra connue de ce dimanche (Lc 15,1-32) dite du fils prodigue, ou mieux : des deux fils. Il ne s’agit pas comme Œdipe de tuer le père pour résoudre une rivalité amoureuse, mais de reconnaître qui est vraiment le Père de la parabole : « tu es le Père, celui qui fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux », selon le reproche que les pharisiens et les scribes font à Jésus.

 

De quoi les deux fils sont-ils le nom ?

D’innombrables commentaires de cette parabole ont bien explicité les deux attitudes qui nous guettent en tant qu’enfants de Dieu : la soumission ou la révolte, la frustration ou le gaspillage.

 fils dans Communauté spirituelle
- Frustré, le premier fils l’est à plus d’un titre : il n’avait jamais osé demander sa part d’héritage, et vivait chichement en attendant la mort du paternel. Imaginant sans doute un père ennemi du plaisir, il ne festoyait jamais avec ses amis. Même après avoir obtenu sa part d’héritage grâce à l’insolence de son cadet, lui n’a jamais rien dépensé. Le reproche qu’il fait au sujet des prostituées que son frère s’est payées montre qu’il aurait bien voulu  en faire autant… On reproche toujours aux autres ce qu’on aurait voulu faire soi-même ! Ni veau gras, ni escort girl : son existence de frustré était plutôt morne et terne, soumis aux ordres, cantonné aux contraintes de l’exploitation familiale. « Un bon fils de famille », disait-on au XIX° siècle.


Combien de croyants – de toutes religions ! – sont-ils aujourd’hui comme cet aîné pas vraiment né à son désir, obéissant et frustré, pratiquant mais malheureux, attendant la mort pour être enfin récompensé ? 

Ce n’est pas ces enfants-là que Dieu désire. Ils confondent piété religieuse et servitude volontaire, obéissance et frustration, fidélité et puritanisme…

 

19e553cc9d8382b8e53ac3d377370542 parabole- Gaspilleur, le cadet l’est à l’excès. Il a d’abord très symboliquement tué son père, en lui demandant sa part d’héritage. Car de qui hériter sinon d’un mort ? Comme s’il vidait d’un coup le réservoir familial des années à venir. Puis il a tout dépensé, jouissant au maximum des plaisirs de la chair, enivré par ses excès. Il se croyait enfin libre, débarrassé de son père et de son ombre portée. La chute n’en fut que plus dure. L’apprentissage de la difficile liberté lui apporte des lendemains de gueule de bois. Ouvrier agricole, moins bien considéré et nourri que les porcs, ces animaux impurs. Son retour à la maison est bassement intéressé, avec des motivations très matérielles : avoir du pain au moins, comme les ouvriers du domaine paternel, et ne pas mourir de faim.


Combien de croyants – de toutes religions ! – sont-ils aujourd’hui comme ce cadet révolté, gaspillant leur richesse à courir après une jouissance immédiate (pouvoir, argent, drogue, sexe…) et s’étourdissant dans les vanités de ce monde ? Ils ont pour dieu leur intérêt, veulent être libres alors qu’ils s’aliènent dans le gaspillage et l’éphémère. 

Ce n’est pas ces enfants-là que Dieu désire. Ils confondent liberté et individualisme, plaisir et désir, indépendance et rupture.

 

1648306166440563-0 prodigue- La rupture ou la soumission ; le révolté ou l’esclave. Il est bien à plaindre ce pauvre père qui ne trouve en face de lui qu’un fuyard et un domestique quand il voudrait des fils !

La pointe de la parabole n’est pas dans la critique de l’aîné faussement fidèle ni dans l’éloge du cadet follement prodigue. Elle est dans la révélation de la manière dont le maître du domaine est vraiment père des deux. Il ne répudie pas le frustré en colère : « toi mon enfant, tu es toujours avec moi, et ce qui est à moi est à toi ». Et il ne rejette pas l’insolent revenu par nécessité ; au contraire, « il fait bon accueil au pécheur et mange avec lui ». D’où l’idée qu’un tel père mérite mieux que des enfants frustrés ou révoltés, soumis ou rebelles, esclaves ou prodigues ! 

N’y aurait-il pas une autre manière d’être enfant de Dieu, une troisième voie pour devenir libre sans être seul, enfant sans être dominé ?

 

Jésus, le 3° fils

41Kqz6w7zPL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ VadorIl y a bien un fils caché dans ce récit de Luc ! À aucun moment ce fils caché n’est évoqué par le texte, si ce n’est par le seul fait de raconter cette parabole. Autrement dit, le locuteur est peut-être le message principal. « Medium is message » (« le message c’est le messager »), comme dirait Mc Luhan. Car celui qui raconte cette histoire incarne justement une autre façon d’être enfant, une troisième voie entre rébellion et servitude. C’est cette voie du milieu – comme diraient les bouddhistes – que Jésus nous propose de suivre avec lui et en lui, pour entrer dans la filiation nouvelle que Dieu nous offre.

 

- Au prodigue, Jésus emprunte plusieurs libertés, dangereuses et difficiles certes puisqu’elles ont conduit le 2° fils à sa perte, mais émancipatrices et fécondes depuis qu’elles ont été assumées en Jésus le Fils unique. 

Comme le prodigue, Jésus quitte la maison paternelle et ose s’aventurer en terre étrangère : « de condition divine, Jésus ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est vidé de lui-même… » (Ph 2,6–11). La kénose du Christ est l’audace divine pour aller vers ceux qui ne sont pas Dieu. 

Comme le prodigue, le Verbe venu habiter chez nous a festoyé, que ce soit aux noces de Cana ou aux banquets donnés en son honneur, à tel point qu’on l’a traité de glouton et d’ivrogne (Mt 11,19) ! 

Comme le prodigue, il semble dilapider l’héritage paternel en se compromettant avec les pécheurs et les impurs, gaspillant la Parole de Dieu avec eux.

Comme le prodigue, il a fréquenté les prostituées, les adultères, dépensé de l’argent avec elles (comme par exemple pour l’onction à Béthanie en Jn 12,1-11, ce que Judas lui reprochera avec force).

Mais contrairement au prodigue, ce n’est pas pour se perdre avec eux dans des beuveries ou des coucheries, mais c’était pour les sauver, en venant les prendre là où ils en étaient pour les conduire plus loin, plus haut : « Le fils de l’homme est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10).

 

- À l’aîné trop sage de la parabole, Jésus emprunte plusieurs attitudes de l’enfant proche de son Père. 

These-Antithese-Synthese-Dialektik-768x508Il sait que le lien de communion entre eux est indestructible : « Le Père et moi, nous sommes UN » (Jn 10,30). 

Et donc que l’héritage lui est non seulement promis, mais déjà donné : « Le Père aime le Fils et il a tout remis dans sa main » (Jn 3,35) ; « Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu… » (Jn 13,3). 

Cette part d’héritage, c’est l’Esprit qui le guide et le garde en communion avec son Père, quoi qu’il arrive, jusqu’à la croix. Il nous partage cet héritage en nous donnant l’Esprit, ce qui représente la synthèse des deux fils [1], l’un gardant précieusement l’héritage, l’autre le ‘dilapidant’ avec les pécheurs : « Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » (Jn 16,15).

 

Le dépassement des contradictions engendrées par les excès des deux fils s’opère en la personne de Jésus : quand il quitte le Père, c’est en communion avec lui ; quand il est « identifié au péché », c’est pour nous en libérer (2Co 5,21 : « il a été fait péché pour nous ») ; quand il revient vers son Père, c’est en nous prenant sous son bras ; quand il festoie avec le veau gras, c’est pour nous inviter au festin eucharistique…

 

Enfants de Dieu, nous le sommes de par notre baptême. 

Devenons réellement cet enfant que nous sommes en Christ, empruntant aux deux fils de la parabole le meilleur de leur obéissance et de leur révolte, assumant les transgressions nécessaires à notre libre communion avec le Père…

______________________________

[1]. Hegel parlerait de Aufhebung, synthèse plus haute incluant le meilleur des deux fils en surmontant leurs contradictions.

 

LECTURES DE LA MESSE


1ère lecture : L’arrivée du peuple de Dieu en Terre Promise et la célébration de la Pâque (Jos 5, 9a.10-12)


Lecture du livre de Josué
En ces jours-là, le Seigneur dit à Josué :
« Aujourd’hui, j’ai enlevé de vous le déshonneur de l’Égypte. »
Les fils d’Israël campèrent à Guilgal et célébrèrent la Pâque le quatorzième jour du mois, vers le soir, dans la plaine de Jéricho. Le lendemain de la Pâque, en ce jour même, ils mangèrent les produits de cette terre : des pains sans levain et des épis grillés. À partir de ce jour, la manne cessa de tomber, puisqu’ils mangeaient des produits de la terre. Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël, qui mangèrent cette année-là ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan.


Psaume : Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (cf. Ps 33, 9a)


Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

 

Magnifiez avec moi le Seigneur,
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond :
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

 

Qui regarde vers lui resplendira,
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend :
il le sauve de toutes ses angoisses.

 

2ème lecture : « Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ » (2 Co 5, 17-21)


Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. Tout cela vient de Dieu : il nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné le ministère de la réconciliation. Car c’est bien Dieu qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui : il n’a pas tenu compte des fautes, et il a déposé en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu.

 

Évangile : « Ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie » (Lc 15, 1-3.11-32)

Acclamation :
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus.
Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. (Lc 15, 18)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Alors Jésus leur dit cette parabole : « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : ‘Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’ Et le père leur partagea ses biens. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre. Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. Alors il rentra en lui-même et se dit : ‘Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’ Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : ‘Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.’ Mais le père dit à ses serviteurs : ‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.’ Et ils commencèrent à festoyer. Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait. Celui-ci répondit : ‘Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.’ Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : ‘Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !’ Le père répondit : ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! »
Patrick BRAUD

 

 

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16 mars 2025

Quatre lettres qui changèrent le monde

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quatre lettres qui changèrent le monde

 

Homélie pour le 3° Dimanche de Carême / Année C
23/03/25


Cf. également :
Dieu au détour

Le malheur innocent

Les multiples interprétations symboliques du buisson ardent

Les résistances de Moïse… et les nôtres

 

Les catholiques ne s’en sont guère aperçus, mais depuis 2008 une petite révolution liturgique s’est opérée dans les textes. En effet, la Congrégation Quatre lettres qui changèrent le monde dans Communauté spirituelleromaine pour le culte divin publiait une directive sur le « Nom de Dieu », demandant expressément à toutes les conférences épiscopales de faire disparaître la transcription Yahvé de la liturgie catholique, par respect de l’usage de la communauté juive qui s’interdit de prononcer le nom YHWH révélé à Moïse dans notre première lecture (Ex 3,1-15) [1]. Elle demandait de substituer Dominus à YHWH, ce qui se traduit en français par : Seigneur. « L’omission de la prononciation du tétragramme du nom de Dieu de la part de l’Église a donc sa raison d’être. En plus d’un motif d’ordre purement philologique, il y a aussi celui de demeurer fidèle à la tradition ecclésiale, puisque le tétragramme sacré n’a jamais été prononcé dans le contexte chrétien, ni traduit dans aucune des langues dans lesquelles on a traduit la Bible ». Benoît XVI donnait aussitôt l’exemple : dans son livre sur Jésus de Nazareth (tome 2, 2011), il écrivit le Tétragramme YHWH sans y mettre aucune voyelle.

 

Un nom de 4 lettres – 4 consonnes – qui s’écrivent mais ne se prononcent pas… 

Quel peut donc être le sens de cette énigme pour nous aujourd’hui ?

Tout dépend de la traduction que l’on fait de ces 4 lettres, qui se rapportent au verbe être en hébreu.

 

1. « Je suis Celui qui est »

Le nom YHWH (יהוה), connu comme le Tétragramme, provient de l’hébreu biblique. Il est dérivé de la racine הוה (h-w-h) ou היה (h-y-h), qui signifie « être ». Selon Ex 3,14, il est lié à l’expression Ehyeh Asher Ehyeh, que l’on peut traduire par « Je suis Celui qui est » (d’autres traductions sont possibles, cf. infra).

L'être et l'essence, le vocabulaire médiéval de l'ontologie Cette traduction affirme en creux que les autres divinités ne sont pas, n’existent pas réellement. La longue et difficile émergence du monothéisme est d’abord passée par une disqualification des autres divinités adorées parmi les Cananéens, les Hittites, les Philistins, les Sumériens, les Assyriens, les Babyloniens, les Égyptiens etc. : Mardouk, Baal, Astarté, Horus, Amon-Râ… Il y avait bien eu un pharaon ‘impie’, Akhénaton (ex Amenothep IV), qui au XIV° siècle avant J.-C. avait tenté d’instaurer le culte d’Aton ‑ le disque solaire ‑ comme Dieu unique. Sa réforme religieuse n’avait pas séduit le peuple, et les Égyptiens enterrèrent le culte solaire avec leur pharaon sacrilège, pour revenir à leurs divinités multiples. Il y avait eu également Zoroastre en Iran, le zoroastrisme s’étendant du X° siècle au VI° siècle avant J.-C. environ, qui avait élaboré une forme de monothéisme centrée sur Ahura Mazda, le dieu de la sagesse et de la lumière. Sa conception dualiste du bien et du mal affaiblissait cependant l’unicité divine. Mais l’influence du zoroastrisme a pu s’étendre jusqu’en Israël.

Chez les Hébreux, la transition vers un monothéisme strict s’est réalisée progressivement, probablement entre le XIII° et le VI° siècle avant J.-C. [2]. Les textes bibliques et l’archéologie montrent des traces de polythéisme et de monolâtrie (culte exclusif d’un dieu tout en reconnaissant l’existence d’autres dieux), avant l’affirmation du monothéisme pur.

 

Le nom divin biblique Élohim, qui est un pluriel du nom générique EL (Dieu), est le témoin de la persistance du polythéisme en Israël, de même que le pluriel de majesté employé lorsque Dieu est supposé dire Nous et parler au pluriel (exemple : « Faisons l’homme à notre image » Gn 1,26), comme le fait régulièrement le Coran.. Cette persistance montre que les idoles résistent, toujours et encore…

L’Ancien Testament commence par montrer que YHWH est plus fort que les idoles païennes (victoires militaires, libération d’Égypte, prodiges…), puis ridiculise les cultes idolâtriques où les fidèles se prosternent devant des bouts de bois ou de métal qu’ils ont eux-mêmes taillés et fabriqués. Tous ces faux dieux ne sont qu’« ouvrages de mains humaines », c’est-à-dire des projections de notre désir inconscient attribuant à ces faux dieux des pouvoirs imaginaires, tels les supers héros de Marvel sortis de l’imagination de Stan Lee et autres  comics… « Leurs idoles : or et argent, ouvrages de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas, des narines et ne sentent pas. Leurs mains ne peuvent toucher, leurs pieds ne peuvent marcher, pas un son ne sort de leur gosier ! » (Ps 114,4-8).

Démasquer l’inanité et l’inexistence des idoles modernes est toujours la tâche des héritiers de Moïse que nous sommes, que ce soit les idoles du marché financier, des idéologies totalitaires, des superstitions magiques etc.

 

« Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : JE-SUIS’ » : la pensée occidentale a exploré cette révélation de Dieu comme l’ÊTRE suprême, la source de l’être. La métaphysique de Thomas d’Aquin repose largement sur une philosophie de l’être (ontologie) mariant Moïse et Aristote, la relation et la substance. Synthèse admirable qui pendant des siècles a structuré la théologie et la pratique des catholiques. 

 

2. « Je suis qui je suis »

En traduisant YHWH ainsi, on insiste sur l’impossibilité pour l’homme de mettre la main sur l’identité profonde de YHWH. Il est l’Inconnaissable, celui qui échappe sans cesse à nos concepts, nos définitions. Seul Dieu parle bien de Dieu, et tout ce que l’homme pourra en balbutier est très loin de la réalité divine ! 

610RV9w7YpL._SL1051_ Carême dans Communauté spirituelle« Je suis qui je suis » : cette tautologie est également l’affirmation d’une radicale altérité Dieu–homme, d’une grandeur telle que l’homme ne peut la concevoir. Un peu comme la célèbre formule du général De Gaulle : « la France, c’est la France ! », qui produisait sur son auditoire un effet de grandeur et d’absolu. 

YHWH est, par lui-même, sans aucun rapport avec le peu que l’homme en saisit.

On rejoint par-là la tradition de la « docte ignorance » prônée par tant de mystiques : ignorer qui est Dieu est plus grand que croire le connaître. Le véritable savoir sur Dieu culmine dans le non-savoir, voire le silence (théologie apophatique). « Si tu comprends, ce n’est pas Dieu » répétait inlassablement Saint Augustin…

 

Laisser à YHWH sa part de mystère, d’inconnaissance est l’héritage de ceux qui comme Moïse enlèvent leurs sandales et se prosternent devant Celui qui les dépasse.

Or beaucoup prétendent sonder les profondeurs divines, et s’autoproclament interprètes exclusifs de sa volonté (cf. les Mormons, les Témoins de Jéhovah etc.). La charia islamique prétend enfermer l’obéissance à Dieu dans un code juridique (répressif et daté !). Les Églises chrétiennes ont trop souvent voulu régenter le quotidien de leurs fidèles au nom de leur « savoir » sur Dieu.

Mais, comme l’écrivait Maurice Clavel en son temps avec colère et humour : « Dieu est Dieu, nom de Dieu ! » Laissez-le exister tel qu’il est, et non tel que vous voudriez le modeler. Le Nom de Dieu – YHWH – rappelle à tous les apprentis sorciers qu’ils ne peuvent mettre la main sur lui. Ce qui devrait nous inciter à dénoncer inlassablement toute instrumentalisation du Nom de Dieu dans nos guerres, nos systèmes politiques, nos réussites ou nos échecs. « Gott mit uns » est l’anti-YHWH par excellence ! Annexer Dieu sur une boucle de ceinturon, un drapeau, un billet de banque ou une devise étatique, c’est le trahir, le réduire à une idole fabriquée pour servir nos intérêts…

 

Comment puis-je laisser Dieu être Dieu dans ma vie ?

 

3. « Je suis qui je serai »

Le chemin est le but par TrungpaCette autre traduction a le mérite de lier le présent au futur, pour Dieu comme pour l’homme. C’est comme si YHWH disait à Moïse : « tu verras bien en cours de route qui je suis. Marche, avance, guide ton peuple à travers le désert, et tu découvriras peu à peu Celui qui te porte comme sur les ailes de l’aigle« .

L’intérêt de cette traduction est multiple. Elle se situe d’emblée Dieu dans la relation avec Moïse, le peuple, et non dans l’Être (la substance). Elle privilégie l’histoire à l’éternité. Elle annonce l’Alliance par laquelle Moïse et le peuple (puis Jésus et l’Église) vont entrer dans une intimité de plus en plus grande avec Dieu. En même temps, elle réaffirme l’impossibilité humaine de savoir à l’avance comment Dieu va se manifester. C’est en marchant avec YHWH qu’on apprend à le connaître, ou du moins découvrir combien il est plus grand que nous. Ce qui là encore interdit l’instrumentalisation du Nom de Dieu : tu ne peux pas dire à l’avance où YHWH va te conduire. Seul le cheminement avec lui le révélera. N’essaie pas de l’amener là où tu veux, laisse-toi conduire par lui.

 

Accepter de ne pas savoir à l’avance, tout en se mettant en route : YHWH est celui qui permet l’histoire, l’alliance, le compagnonnage, le respect absolu de l’altérité divine.

 

Comment nourrir en moi cette confiance dans le chemin plus que dans le but ?

 

4. YHWH l’Imprononçable

La dernière traduction de YHWH n’en est pas une ! Elle consiste justement à s’interdire de traduire, car ce serait réduire Dieu à ce que je comprends de lui. Le peuple juif s’interdit même de prononcer ce Nom. Pas seulement parce qu’on ne sait plus quelles voyelles on a pu utiliser autrefois pour vocaliser ce texte qui ne comportait que des consonnes. Bien davantage parce que nommer quelqu’un, c’est déjà avoir un pouvoir sur lui, une forme de domination. Ainsi quand Adam nomme les animaux à l’invitation de YHWH (Gn 2,19-20), il exprime sa grandeur, sa seigneurie sur toute la création, sa différence. Ce que YHWH avait fait en nommant la terre, le ciel, les cieux, les astres lors de la genèse de l’univers.

 

Nommer quelqu’un, c’est affirmer un pouvoir sur lui ! Or YHWH par nature échappe à la maîtrise humaine. Prononcer son nom serait le convoquer, l’utiliser, l’asservir, l’enfermer dans des mots. C’est pourquoi traduire YHWH par YaHWeH (ou pire par Jéhovah) serait un « blasphème ». Dieu est plus grand que ce que la voix humaine peut en dire.

 

L’illéité divine : trace et éthique (Emmanuel Lévinas)

Un (trop) rapide détour par l’immense philosophe juif Emmanuel Lévinas (1906-1995) peut nous aider à traduire en termes contemporains ce que la transcendance du Tétragramme imprononçable peut signifier aujourd’hui.

 

 Levinas« Je vais vous conter un trait singulier de la mystique juive. Dans certaines prières très anciennes, fixées par d’antiques autorités, le fidèle commence par dire à Dieu « tu » et finit la proposition commencée en disant « il », comme si, au cours de cette approche du « toi » survenait sa transcendance en « il ». C’est ce que j’ai appelé, dans mes descriptions, l’ »illéité » de l’Infini [3] ». 

Parler de Dieu à la troisième personne – ‘il’– c’est le reconnaître à la fois absent (sinon, ce serait ‘tu’) et pourtant proche. Un peu comme le buisson ardent manifeste que Dieu est invisible et que pourtant il m’appelle. Dieu ne se voile ni ne se dévoile : il nous appelle à marcher avec lui.

« Le Dieu biblique ne se laisse pas enfermer dans une image ou une idée. Il est l’absolument Autre, celui qui ne peut être réduit à une totalité ». Dans Difficile liberté, Lévinas écrit : « Le Dieu biblique ne se manifeste pas dans une théophanie ; il ne s’offre pas à la contemplation mais à l’écoute. »

 

Moïse fera l’expérience qu’on ne peut voir YHWH de face, mais seulement de dos, après son passage : « YHWH dit encore : “Tu ne pourras pas voir mon visage, car un être humain ne peut pas me voir et rester en vie.” Le Seigneur dit enfin : “Voici une place près de moi, tu te tiendras sur le rocher ; quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et je t’abriterai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. Puis je retirerai ma main, et tu me verras de dos, mais mon visage, personne ne peut le voir” » (Ex 33,20–23). 

D’où l’idée de Lévinas de parler de trace pour évoquer le passage de YHWH dans nos vies : il passe « de dos », mais nous pouvons discerner la trace de son passage. 

 

Comment ? Essentiellement pour Lévinas à travers le visage d’autrui :

« L’illéité est la manière dont l’infini se signale dans le visage, non comme une présence, mais comme une trace. La trace ne signifie pas l’absence d’un être, mais l’au-delà de l’être ».

En résumé, l’illéité chez Lévinas désigne la dimension absolument autre de l’autre, son irréductibilité à la totalité et à la compréhension. Elle est une trace de l’infini, qui appelle à une responsabilité éthique infinie. Ce concept est central pour comprendre la pensée de Lévinas, qui place l’éthique comme philosophie première, avant toute ontologie ou épistémologie.

Dieu ne se mélange pas au monde, mais laisse une trace qui interpelle l’homme. Cette trace se manifeste dans le visage d’autrui, qui est porteur de l’exigence divine.

« Le nom de Dieu est une trace, non une présence. Il est ce qui passe sans se laisser saisir, ce qui appelle sans se montrer ».

« La trace signe le retrait de celui qui se manifeste dans son évasion, qui se retire dans sa gloire en laissant une trace de son passage. »

 

Le concept d’illéité s’applique bien au Dieu juif YHWH, car il exprime une vision de Dieu comme transcendance radicale, insaisissable et irreprésentable, mais qui se manifeste dans l’éthique et la responsabilité envers autrui. YHWH, tel que présenté dans la Bible et les commentaires talmudiques, correspond pleinement à cette idée d’un Dieu qui « se dérobe » à l’intellect humain tout en interpellant l’homme par une exigence éthique infinie. Cela fait de Lévinas un penseur profondément enraciné dans la tradition juive, tout en proposant une philosophie universelle de la transcendance et de la responsabilité.

 

Quelles sont les traces du passage de YHWH dans ma vie ? 

À quels engagements éthiques l’écoute de YHWH m’appelle-t-elle ?

 

La transcendance comme donation et pur amour (Jean-Luc Marion)

Le philosophe chrétien Jean-Luc Marion (académicien, né en 1946) a lui aussi exploré les traductions contemporaines du Tétragramme, au-delà de toute spéculation sur l’être.

51UDDaplCRL._SL1500_ Marion« Dieu ne doit pas être pensé comme un étant, même suprême, mais comme ce qui excède toute ontologie » [4].

Marion met l’accent sur la manifestation de Dieu dans les expériences qu’il qualifie de « saturées », c’est-à-dire remplies d’un excès qui nous bouleverse (la beauté, l’amour humain, l’art, la création intellectuelle, scientifique, technique etc.). Loin d’être une pure absence, Dieu est pour Marion une pure donation, l’acte de se communiquer à l’homme librement, gracieusement, entièrement.

« Dieu se donne sans se laisser enfermer dans les catégories de l’être. Il est l’excès même, la surabondance de la donation ».

Chez Levinas, c’est le visage d’autrui qui est la trace de l’infini passant dans nos vies, et qui nous appelle à la responsabilité éthique. Chez Marion, c’est l’icône (et tout ce qui peut jouer ce rôle iconique) qui porte la révélation divine.

L’icône, contrairement à l’idole, ne cherche pas à capturer ou à représenter Dieu, mais à ouvrir une relation où Dieu se donne à voir sans être réduit à une image.

« L’icône ne représente pas Dieu, mais elle rend possible une rencontre où Dieu se donne à voir dans son excès ».

 

Cette expérience de l’infini se fait dans l’amour et par l’amour

« L’amour est ce qui précède l’être, ce qui le fonde et l’excède. Dieu est amour avant d’être être ». 

« La révélation n’est pas une information sur Dieu, mais une donation de soi qui excède toute compréhension ».

« Ce qui définit Dieu n’est pas d’être, mais d’aimer et de se donner comme amour ».

« Aimer ne signifie pas seulement recevoir ou donner, mais recevoir pour donner, et ainsi entrer dans la logique de l’excès. L’amour seul ouvre à l’infini ».

 

Quels sont les moments saturés ou quelque chose de l’infini s’est manifesté à moi dans mon parcours ?

Penser YHWH comme donation et pur amour : quelles conséquences pour moi ?

 

Au terme de cette évocation (non exhaustive, et trop limitée !) des différentes interprétations du Tétragramme, revisitez en vous-même les pistes abordées : la transcendance ; la source de l’Être et l’inanité des idoles ; une identité qui est un cheminement ; un appel à faire confiance sans savoir ; un passage qui laisse des traces sur le visage d’autrui et exige une éthique ; une pure donation dont l’icône est l’amour dont nous sommes capables…

 

YHWH : ces 4 lettres changèrent le monde. 

Qu’elles changent aussi notre vie !

_____________________________

[1]. Dans la traduction grecque de la Torah – la Septante (LXX) – le nom hébreu YHWH est toujours traduit par Κύριος (Kyrios) = Seigneur.

[2]. La plus ancienne mention épigraphique connue du Tétragramme est un nom théophore, c’est-à-dire « portant [le nom de] Dieu », daté de 820 av. J.-C. sur la stèle de Tel Dan au nord d’Israël. Une inscription plus explicite, datée de 810 av. J.-C., a été trouvée sur la stèle de Mesha en Jordanie.

[3]. Références principales :
Totalité et infini (1961) : Introduction à l’éthique comme philosophie première et à l’altérité radicale.
Autrement qu’être ou au-delà de l’essence (1974) : Texte fondamental pour comprendre l’illéité et la notion de trace.
Difficile liberté (1963) : Essais qui relient sa philosophie à la tradition juive.

[4]. Références principales :
Dieu sans l’être (1982) : Fondation de la critique de l’ontologie appliquée à Dieu.
Étant donné (1997) : Concept du phénomène saturé et de la donation.
De surcroît (2001) : Approfondissement de la révélation divine comme excès.
Le phénomène érotique (2003) : L’amour comme mode de révélation divine.
Certitudes négatives (2010) : Dieu comme dérobade et certitude excédante.
La croisée du visible (1996) : Excès du visible et analogie avec la transcendance divine.

 

 

LECTURES DE LA MESSE


1ère lecture : « Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : Je-suis » (Ex 3, 1-8a.10.13-15)


Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb. L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer. Moïse se dit alors : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! » Dieu dit alors : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! » Et il déclara : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. Le Seigneur dit : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un beau et vaste pays, vers un pays, ruisselant de lait et de miel. Maintenant donc, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël. » Moïse répondit à Dieu : « J’irai donc trouver les fils d’Israël, et je leur dirai : ‘Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous.’ Ils vont me demander quel est son nom ; que leur répondrai-je ? » Dieu dit à Moïse : « Je suis qui je suis. Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : ‘Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : Je-suis’. » Dieu dit encore à Moïse : « Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : ‘Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est Le Seigneur, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob’. C’est là mon nom pour toujours, c’est par lui que vous ferez mémoire de moi, d’âge en d’âge. »

 

Psaume : Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 6-7, 8.11

R/ Le Seigneur est tendresse et pitié. (Ps 102, 8a)

 

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

 

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

 

Le Seigneur fait œuvre de justice,
il défend le droit des opprimés.
Il révèle ses desseins à Moïse,
aux enfants d’Israël ses hauts faits.

 

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint.

 

2ème lecture : La vie de Moïse avec le peuple au désert, l’Écriture l’a racontée pour nous avertir (1 Co 10, 1-6.10-12)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer que, lors de la sortie d’Égypte, nos pères étaient tous sous la protection de la nuée, et que tous ont passé à travers la mer. Tous, ils ont été unis à Moïse par un baptême dans la nuée et dans la mer ; tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ; tous, ils ont bu la même boisson spirituelle ; car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher, c’était le Christ. Cependant, la plupart n’ont pas su plaire à Dieu : leurs ossements, en effet, jonchèrent le désert. Ces événements devaient nous servir d’exemple, pour nous empêcher de désirer ce qui est mal comme l’ont fait ces gens-là. Cessez de récriminer comme l’ont fait certains d’entre eux : ils ont été exterminés. Ce qui leur est arrivé devait servir d’exemple, et l’Écriture l’a raconté pour nous avertir, nous qui nous trouvons à la fin des temps. Ainsi donc, celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber.

 

Évangile : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même » (Cl 13, 1-9)

Acclamation : Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
Convertissez-vous, dit le Seigneur, car le royaume des Cieux est tout proche.
Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (Mt 4, 17)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Jésus disait encore cette parabole : « Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n’en trouva pas. Il dit alors à son vigneron : ‘Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?’ Mais le vigneron lui répondit : ‘Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.’ »
Patrick BRAUD

 

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9 mars 2025

Quel est votre cercle rapproché ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quel est votre cercle rapproché ?

 

Homélie pour le 2° Dimanche de Carême / Année C
16/03/25


Cf. également :

L’alliance entre les morceaux
Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor
Compagnons d’éblouissement
Abraham, comme un caillou dans l’eau
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Le sacrifice interdit
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
En descendant de la montagne…

 

1. Suis-je vraiment de tes amis proches ?

J’ai le bonheur d’avoir quelques amis avec qui on se suit depuis plus de 40 ans ! Depuis les années étudiantes où nous refaisions le monde dans d’interminables discussions arrosées, enthousiasmés par les idéaux de l’époque, prêts à tout pour les choix fondamentaux à faire ou juste faits : le couple, le métier, les engagements politiques, religieux, associatifs etc. Les années ont apporté pour chacun leur lot de drames et de joies, et nous avons continué à les partager, même éloignés par des centaines de kilomètres. 

Quel est votre cercle rapproché ? dans Communauté spirituelle affiche-citation-chez-nousNous connaissons tous de ces liens qu’il suffit de raviver une fois par an pour continuer comme si on s’était quitté la veille ! Loin de la banale superficialité des échanges quotidiens, ces amis-là provoquent à être vrais, à dire les choses, à aller à l’essentiel. Dispersés aux quatre coins de la France, même si un fil WhatsApp, des mails et des coups de fil maintiennent le lien, il faut quand même se voir en physique de temps à autre pour nourrir l’amitié ! On prévoyait un de ces rendez-vous avec un groupe d’amis intimes, lorsque l’un d’entre nous écrivit : « Nous avons mauvaise conscience de faire tant de kilomètres, ou pire encore de prendre l’avion, de dépenser beaucoup d’argent pour nos retrouvailles. On le fait déjà pour nos enfants qui habitent à l’étranger. Notre engagement social et écologique nous oblige à nous limiter, même pour vous ». Le choc fut double : découvrir que nous ne faisions peut-être pas partie en réalité du premier cercle des priorités de nos amis, alors que nous les avons inclus dans les nôtres. Et découvrir qu’au nom de principes tout à fait respectables ils étaient prêts à remettre en cause nos retrouvailles régulières. Une certaine radicalisation idéologique en fait, où les amis passent après les convictions…

 

Suis-je vraiment ton ami proche ? 

Si oui, tu seras prêt à sacrifier de ton temps, de ton argent, voire de tes principes, pour me rejoindre tel que je suis. Si non, le temps fera son œuvre d’éloignement, et notre lien se relâchera, invisiblement. Nous avons ainsi tous des amis avec qui nous avons été très proches autrefois, et qui ont disparu de nos yeux, presque sans s’en rendre compte, sans que cela nous manque vraiment. À l’inverse, le tamis du temps qui passe a filtré quelques-uns, que la confiance, les confidences, l’affection et la volonté de se retrouver nous rend indispensables, même éloignés.

 

2. The inner circle : Pierre, Jacques et Jean

Faites la carte des personnes que vous fréquentez. Il y a le large cercle de celles qu’on peut appeler des ‘relations’, des gens que l’on croise régulièrement et avec qui les contacts sont agréables, sympathiques : des collègues de travail, des voisins, des connaissances. 

Puis il y a des cercles d’intérêt, où nous partageons des activités, des hobbys, des passions  communes : un club de sport, une chorale, un groupe de tarot ou de bridge, une association etc. 915VI3gEftL._SL1500_ Douze dans Communauté spirituelleLes échanges y sont forcément plus qualitatifs, car l’intérêt partagé sert de plate-forme, de dénominateur commun. 

Il y a ensuite le cercle des familiaux : certains sont très proches bien sûr, d’autres assez lointains finalement. Autrefois, c’était le lien de ressourcement principal. Avec l’éclatement des familles – tant affectivement que géographiquement – peu de gens finalement peuvent affirmer que les familiaux sont tous des proches : certains oui, d’autres non. Un tiers des personnes âgées disent éprouver un sentiment de solitude, et se disent abandonnées, de leur famille d’abord.


Heureusement, il y a un autre cercle, celui que les anglophones appellent the inner circle : le cercle des intimes. C’est d’ailleurs le titre d’un film tourné après la chute du Mur de Berlin, retraçant l’histoire vraie du projectionniste privé de Staline, introduit dans le cercle rapproché du dictateur par ce biais. Il projette des films pour Beria, le patron du KGB, pour Staline et ses intimes. Il est fasciné par ce petit cercle restreint dont il fait désormais partie, au grand dam de sa femme qui prendra sous son aile une fillette juive orpheline à protéger de la déportation au goulag. De qui Ivan, notre projectionniste, est-il le plus proche ?…


Symétriquement, il y a dans les Évangiles un autre cercle rapproché, vertueux celui-là. Pierre, Jacques et Jean émergent en effet du groupe des Douze, comme the inner circle de Jésus. Dans l’Évangile de la Transfiguration de ce dimanche (Lc 9,28-36), on devrait par exemple s’étonner que Jésus ne prenne avec lui que ces trois-là pour monter au Thabor !

« Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier ».

Pourquoi pas les Douze ? À quoi rime cette sélection ?

  •  JacquesUne première réponse tient dans la liberté de Jésus : il appelle « qui il veut » (Mc 3,13) ! C’est son choix d’associer Pierre, Jacques et Jean – et eux seulement - à son éblouissement au Thabor. Respecter la liberté du choix de nos amis lorsqu’ils se choisissent des plus proches que nous est ainsi la première marque de respect que nous leur devons. En retour, assumons nous-même cette liberté de choix de quelques-uns pour les associer de plus près à ce qui est important pour nous. On ne peut pas être ami intime avec tout le monde, ayons le courage de choisir…
  • Une deuxième interprétation serait plus symbolique. 

Pierre représente la foi, forte et tranchante : « Tu es le Messie, le fils de Dieu » (profession de foi de Pierre à Césarée, Mt 16,16), qui entraîne le reste du groupe des Douze. 

Jacques représente les œuvres, la nécessité d’allier le social et le spirituel, l’éthique et la foi (« Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi » Jc 2,18). Son épître est considérée comme un des joyaux de la Doctrine sociale de l’Église, fustigeant les riches et leur soif de richesses, et les inégalités dans la communauté. 

Jean représente plutôt une tradition mystique, contemplative et spirituelle, où l’amour joue le premier rôle (le mot amour ἀγάπη = agapê est utilisé 30 fois chez Jean, dont 18 fois dans la seule première lettre de Jean).

La foi et les œuvres, dans l’amour : notre trio incarne ainsi les trois colonnes de l’Église (Ga 2,9), sur lesquelles on peut s’appuyer solidement pour bâtir le Corps du Christ transfiguré.

  • Une troisième réponse pourrait venir de la stratégie de diffusion de l’Évangile que Jésus a choisie. 

- Un peu comme un caillou crée des vagues concentriques en tombant dans l’eau, Jésus sait bien qu’il ne peut s’adresser directement aux foules sans médiations, ni tout le temps. Il faut des relais, des intermédiaires. 

- Déjà, il distingue les disciples des foules, vers lesquelles ils sont envoyés. Il les nourrit avec des paraboles, des miracles, des enseignements destinés à un grand nombre. 

- Au sein de ses disciples, Jésus en choisit 70 (comme Moïse au désert) pour être l’avant-garde évangélisatrice. Il les envoie deux par deux, les débriefe au retour de leur mission, et compte sur eux pour la suite. 

- Mais 70, c’est encore trop de monde pour avoir de vraies relations personnelles, intimes. Alors il appelle les Douze, à qui il va se confier plus particulièrement, en leur expliquant les paraboles en privé, en mangeant et buvant avec eux, en les emmenant sur les chemins poussiéreux de Palestine avec lui. Ce petit groupe est à taille humaine pour un manager comme Jésus. Il correspond au Comité de Direction (Codir), Comité exécutif (Comex) ou autre petit groupe de Direction associé de très près à la gouvernance d’un PDG ou d’un directeur de service ou de magasin. 

jean-et-jacques-rapportent-a-pierre-leur-rencontre-avec-le-messie Jean- Parmi ces Douze, Jésus ressent le besoin d’aller encore plus loin avec trois d’entre eux. Parce qu’un leader seul devient vite tyrannique, il a besoin d’un cercle restreint avec qui il est en confiance. L’attention particulière que Jésus a accordée à Pierre, Jacques et Jean faisait partie de la stratégie de leadership de Jésus. Plutôt que d’essayer de développer une large portée pour son ministère en solo, Jésus a évité la popularité et s’est concentré sur la véritable profondeur et l’impact à long terme. 

Pour en faire ses intimes, Jésus fera de ces trois-là les témoins privilégiés de la résurrection de la fille de Jaïre (Lc 8,51), de l’annonce  de la destruction du Temple – avec André – (Mt 13,3–4), de sa Transfiguration sur le Mont Thabor (Lc 9, 28-36), et de sa défiguration sur la colline de Gethsémani (Mc 14,33). Ils auront ainsi les clés pour déchiffrer le scandale la croix : Jésus est bien le Seigneur de gloire (Transfiguration) qui par amour va accepter d’être humilié (Gethsémani) jusqu’à la croix, mais dont la résurrection sera la nôtre (fille de Jaïre) et annonce un culte nouveau (destruction du Temple).

Aurait-il pu initier les Douze à ce degré d’intimité avec lui ? Peut-être ; sans doute. Mais il ne faut pas rêver : être vraiment intime avec quelqu’un, cela se compte sur les doigts d’une main…

- D’ailleurs, Jésus choisira Pierre parmi les trois pour être le rocher du nouveau Temple à venir. La responsabilité ultime ne peut être collective uniquement : elle réclame un visage, un nom, quelqu’un, et pas seulement un groupe. Pierre incarnera la dimension personnelle de l’autorité de l’Église, les Douze l’autorité collégiale, et les disciples l’autorité communautaire

Un/quelques-uns/tous : le triptyque est essentiel à la diffusion du message, pour éviter de le personnaliser à outrance comme de le dissoudre dans un collectif anonyme.


– Terminons notre carte relationnelle en mentionnant que le cercle initial est le cercle de Jésus lui-même. Jésus est à lui-même son cercle premier. Le premier à être évangélisé doit être l’évangélisateur lui-même, sinon il annonce un message extérieur à qui il est. « Medium is message », dira plus tard Mac Luhan (théoricien des médias). Jésus prend grand soin de son évangélisation intérieure : il rumine la Parole de Dieu dont il connaît beaucoup de passages par cœur. Il se réserve des temps de solitude pour prier, à l’écart. Il demeure seul au désert 40 jours en préparation de ses années publiques. Il dialogue sans cesse avec son Père pour recevoir de lui seul son identité, sa mission, son pouvoir, pour rester fidèle à sa mission.
Le leader à la manière de Jésus commencera par se manager lui-même, en cohérence avec ce qu’il demande aux autres. Négliger ce cercle initial serait s’exposer à l’incohérence et l’inconsistance…

 

On peut schématiser ainsi les 7 niveaux de la stratégie de Jésus en matière d’évangélisation :


The inner circle of Jesus
 

 

3. Quelle sera votre cercle rapproché ?

La question m’est alors posée : de qui est composé chaque cercle en ce qui me concerne ? Qui peut jouer pour moi le rôle de Pierre, Jacques et Jean ? 

Quel est mon cercle restreint, the inner circle à qui je réserve mes larmes, mes enthousiasmes, avec qui je partage et relis les événements qui me touchent de près ?

En entreprise, c’est la question de la solitude des dirigeants et managers : quels sont les deux ou trois avec qui aller plus vite et plus loin que les autres, légitimes par ailleurs ? D’une manière générale, c’est la mise en place et la gestion des 7 cercles de relations qui me nourrissent, en insistant sur les quelques-uns avec qui je suis vraiment intime : le premier cercle, the inner circle, le cercle restreint, le cercle rapproché, le cercle des intimes.

 

Qui sont vos trois ?

Quelles sont les trois personnes dans votre vie (votre travail, vos responsabilités diverses) dans lesquelles vous investissez intentionnellement et stratégiquement plus que les autres ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
Le Seigneur conclut une alliance avec Abraham, le croyant (Gn 15, 5-12.17-18)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, le Seigneur parlait à Abraham dans une vision. Il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. Puis il dit : « Je suis le Seigneur, qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée pour te donner ce pays en héritage. » Abram répondit : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que je l’ai en héritage ? » Le Seigneur lui dit : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. » Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les cadavres, Abram les chassa. Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « À ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate. »

Psaume 
(Ps 26 (27), 1, 7-8, 9abcd, 13-14)
R/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut.
 (Ps 26, 1a)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Écoute, Seigneur, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C’est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N’écarte pas ton serviteur avec colère :
tu restes mon secours.

J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. »

Deuxième lecture
« Le Christ transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » (Ph 3, 17 – 4, 1)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
Frères, ensemble imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons. Car je vous l’ai souvent dit, et maintenant je le redis en pleurant : beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Ils vont à leur perte. Leur dieu, c’est leur ventre, et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne pensent qu’aux choses de la terre. Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection, vous, ma joie et ma couronne, tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.

Évangile
« Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre » (Lc 9, 28b-36)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
 De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » 
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.
Patrick BRAUD

 

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