L'homélie du dimanche (prochain)

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30 mai 2021

L’Alliance dans le sang

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’Alliance dans le sang

Homélie pour la fête du Corps et du Sang du Christ / Année B
06/06/2021

Cf. également :

Les 4 présences eucharistiques
Bénir en tout temps en tout lieu
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie

L’Alliance dans le sang dans Communauté spirituelle rambouilletLa presse n’a guère souligné un aspect terrifiant du meurtre de Stéphanie Monfermé, l’officier de police assassinée le 23 avril dernier dans le commissariat de Rambouillet : son égorgement. Parler d’assassinat d’une policière était déjà suffisamment horrible ; pas besoin d’en rajouter. Pourtant, le fait que l’assassin ait utilisé un poignard et égorgé sa victime en citant le nom d’Allah comme on procède à un sacrifice rituel en islam ou à l’abattage d’un animal selon le rite halal fait immanquablement penser à un sacrifice religieux [1]. Circonstance aggravante : c’était un vendredi, jour de la prière, et le jour ne fut pas choisi au hasard. Et c’était pendant le mois du ramadan pendant lequel les djihadistes croient que leur soi-disant martyr les conduit  directement au paradis d’Allah.

Cette pratique d’égorgement nous est peu familière, depuis que le christianisme a aboli les sacrifices d’animaux en proclamant que le Christ est l’unique victime, rendant inutiles les sacrifices de la première Alliance. Et depuis la destruction du second Temple de Jérusalem en 70 après J.-C., les juifs ne pratiquent plus les sacrifices rituels qui lui étaient réservés, hormis peut-être le traditionnel agneau pascal, mais sans rites particuliers.

Or, nous redécouvrons avec l’abattage rituel que des religions pratiquent encore cet égorgement bestial en croyant obéir à Dieu (les animistes en Afrique, les musulmans partout dans le monde). Le Coran est clair sur ce point :

« Vous sont interdits la bête trouvée morte, le sang, la chair de porc, ce sur quoi on a invoqué un autre nom que celui de Dieu, la bête étouffée, la bête assommée ou morte d’une chute ou morte d’un coup de corne, et celle qu’une bête féroce a dévoré – sauf celle que vous égorgez avant qu’elle ne soit morte » (Sourate 5,3, La Table servie).

Abattage hallalLa tradition musulmane a fixé le déroulement de l’abattage rituel (dhabiha en arabe) pour qu’il soit certifié halal. Il faut tuer l’animal en respectant trois points essentiels :
- il faut qu’il soit conscient, donc non étourdi
- il faut qu’il soit égorgé de façon large jusqu’aux vertèbres cervicales
- il faut que l’animal soit tourné vers La Mecque et que soit prononcée par un musulman agréé la formule : “Bismillah  Allahou Akbar”.
Cette invocation du nom d’Allah au moment de l’égorgement est une obligation. Sans cette invocation, le rituel sacrificiel n’est pas « hallal ».
Cet égorgement ne peut pas être fait par un non musulman.
La saignée doit être réalisée par une personne, forcément musulmane, formée et habilitée par l’un des trois organismes agréés depuis les années 1990 par l’État : la Grande Mosquée de Paris, la Mosquée d’Évry et la Grande Mosquée de Lyon. Par ailleurs, la tête de l’animal abattu doit être tournée vers la Kaaba, la pierre sacrée de La Mecque, pendant qu’il se vide de son sang. Enfin, la viande halal ne doit avoir aucun contact avec des carcasses qui ne le seraient pas.

Dans la pratique, il est très difficile de savoir si ces rites sont respectés. Car l’État n’intervient à aucun moment dans le processus de certification de la viande halal, et n’exerce aucun contrôle sur l’abattage rituel. La certification est donc le fait d’une quarantaine d’organismes privés et indépendants des pouvoirs publics.

Selon des chiffres de la Direction générale de l’alimentation, dépendante du ministère de l’Agriculture, 30% du gros milliard de bêtes abattues en France le sont selon des rites religieux. Mais rapporté au tonnage, la proportion tombe à 14%. Cette différence s’explique par le fait que le mouton ou l’agneau, plus légers que le bœuf ou le veau, sont privilégiés par les clients musulmans ou juifs. Cette production reste pourtant supérieure à la demande. À en croire l’Interbev (association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes), qui regroupe tous les acteurs du secteur, la demande de viande halal dans l’Hexagone représente environ 7% de la consommation totale, auquel il faut ajouter 2,5% pour la demande de viande casher.

Notons au passage qu’il y a un enjeu économique important à ce contrôle par les mosquées. Une rémunération de 10 à 15 centimes d’euros le kilogramme de viande est prélevée au titre de la certification, au bénéfice des organismes certificateurs.

Il y a des débats éthiques – légitimes – sur la souffrance animale provoquée par cet égorgement sans anesthésie, sans étourdissement préalable. Pas sûr que le bien-être animal soit vraiment respecté dans ces coutumes d’un autre âge.

Un boucher montre à des écoliers comment sacrifier un animal pour l'Aïd el-Kebir, Le Caire, Egypte, le 11 novembre 2010.Le sang coule également à flots lors de la fête de l’Aïd (ou Tabaski), la « fête du mouton », lorsque ces animaux sont égorgés par centaines de milliers pour commémorer le remplacement d’Isaac (Ismaël en fait dans la version arrangée du Coran) par un bélier.

Et il (Abraham) dit:  » Moi, je pars vers mon Seigneur et Il me guidera. Seigneur, fais-moi don d’une (progéniture) d’entre les vertueux « .
Nous lui fîmes donc la bonne annonce d’un garçon (Ismaïl) longanime.
Puis quand celui-ci fut en âge de l’accompagner, (Abraham) dit:  » Ô mon fils, je me vois en songe en train de t’immoler Vois donc ce que tu en penses « .
(Ismaël) dit:  » Ô mon cher père, fais ce qui t’es commandé: tu me trouveras, s’il plaît à Allah, du nombre des endurants « .
Puis quand tous deux se furent soumis (à l’ordre d’Allah) et qu’il l’eut jeté sur le front, voilà que Nous l’appelâmes :  » Abraham ! Tu as confirmé la vision C’est ainsi que Nous récompensons les bienfaisants « .
C’était là certes, l’épreuve manifeste. Nous le rançonnâmes d’une immolation généreuse. Et Nous perpétuâmes son renom dans la postérité :  » Paix sur Abraham  » (Sourate 37, 99-109).

Le Christ a rendu inutile ce sacrifice sanglant en prenant sur lui la violence symbolique de ces anciens rites. Quelle régression spirituelle d’en revenir à des sacrifices d’animaux pour célébrer une alliance avec Dieu !

Le rite de la première Alliance que nous avons lu dans la première lecture (Ex 24, 3-8) est certes sanglant : Moïse asperge les 4 points de l’autel avec le sang des bêtes égorgées en l’honneur de HYWH. Dans la Bible, le sang c’est la vie, et la vie appartient à Dieu seul, qui en est le maître. L’homme ne peut donc pas prendre la part de sang qui ne lui revient pas :: en le laissant s’écouler hors de la bête sacrifiée, en le répandant sur l’autel, l’homme reconnaît ainsi symboliquement qu’il n’est pas le maître de la vie, et qu’à Dieu seul revient le titre de Créateur et Seigneur de tous les êtres vivants. Aucun souci hygiénique ou sanitaire dans ces pratiques qui sont avant tout religieuses.

image alliance dans Communauté spirituelleCe que Moïse accomplissait au désert avec le sang des animaux, ce que les prêtres juifs répétaient ensuite au Temple de Jérusalem, Jésus l’a accompli une fois pour toutes avec son propre sang, abolissant ainsi toutes les pratiques anciennes où égorger l’animal était supposé s’attirer les faveurs du divin. Parler de l’unique sacrifice du Christ, réalisé une fois pour toutes, non réitérable, est donc révolutionnaire : le vrai sacrifice dans l’eucharistie est de s’offrir soi-même, uni au Christ, et non d’offrir quelque chose d’extérieur à soi. L’eucharistie ne nous demande pas de tuer (un animal, un ennemi) pour être agréable à Dieu (que ce soit YHWH ou Allah), mais au contraire de donner notre vie pour ceux que nous aimons, et même pour ceux que nous n’aimons pas (nos ennemis).

La subversion du sacrifice est totale en christianisme : le sang de l’Alliance est celui du Christ, unique dans l’histoire humaine, et non celui d’animaux ou d’adversaires. Dans l’eucharistie, nous ne répétons pas cet unique sacrifice, accompli une fois pour toutes comme aime à le répéter cinq fois la Lettre aux Hébreux. Nous nous rendons contemporains de ce sacrifice, pour laisser le Christ nous unir à lui dans cette dépossession de lui-même, par amour, qui le conduit à la mort. « Afin que notre vie ne soit plus à nous-même, mais à lui qui est mort et ressuscité pour nous… », aime à dire la Prière eucharistique n° 4.

1409168298_99225_medium coranDepuis la croix, les sacrifices d’animaux nous paraissent à juste titre des rites régressifs et dangereux. De même que nous paraissent archaïques et obsolètes les interdits alimentaires de la cacherout et du halal, qui reposent sur une vision du monde périmée (le pur et l’impur, le permis et le défendu).

Respecter les autres croyants n’implique pas de supprimer le débat théologique ! Comment ne pas dénoncer le retour à ces pratiques d’un autre âge, qui enchaînent dans la peur et la soumission les enfants de Dieu appelés à la liberté, qui utilisent le sang des animaux comme ‘garantie’ de l’alliance ?

Célébrons donc l’eucharistie avec reconnaissance : nous n’avons plus à faire couler le sang des autres, mais à laisser celui du Christ nous unir à l’offrande de lui-même qu’il fait à son Père, dans la force de l’Esprit. Le sang sacramentel que nous buvons dans la coupe de la nouvelle Alliance est la subversion des anciens sacrifices païens, des sacrifices animistes ou musulmans d’aujourd’hui.

Notons au passage que cela devrait nous faire réfléchir sur l’utilisation de nos compagnons animaux, et notamment sur notre manière de les tuer pour nous nourrir…

Puisse la fête du Corps et du Sang du Christ nous faire voir autrement ce que conclure une alliance de sang signifie : donner sa vie par amour, et non prendre la vie des autres en instrumentalisant le Nom de Dieu, le plus manipulé de tous les noms en ce siècle…

 


[1]. La décapitation du professeur Samuel Paty le 16 octobre 2020 au nom d’Allah relevait d’une logique similaire.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Voici le sang de l’Alliance que le Seigneur a conclue avec vous » (Ex 24, 3-8)

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles du Seigneur et toutes ses ordonnances. Tout le peuple répondit d’une seule voix : « Toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique. » Moïse écrivit toutes les paroles du Seigneur. Il se leva de bon matin et il bâtit un autel au pied de la montagne, et il dressa douze pierres pour les douze tribus d’Israël. Puis il chargea quelques jeunes garçons parmi les fils d’Israël d’offrir des holocaustes, et d’immoler au Seigneur des taureaux en sacrifice de paix. Moïse prit la moitié du sang et le mit dans des coupes ; puis il aspergea l’autel avec le reste du sang. Il prit le livre de l’Alliance et en fit la lecture au peuple. Celui-ci répondit : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique, nous y obéirons. » Moïse prit le sang, en aspergea le peuple, et dit : « Voici le sang de l’Alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le Seigneur a conclue avec vous. »

PSAUME
(115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18)

R/ J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur.
ou : Alléluia ! (115, 13)

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

DEUXIÈME LECTURE
 Le sang du Christ purifiera notre conscience » (He 9, 11-15)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, le Christ est venu, grand prêtre des biens à venir. Par la tente plus grande et plus parfaite, celle qui n’est pas œuvre de mains humaines et n’appartient pas à cette création, il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire, en répandant, non pas le sang de boucs et de jeunes taureaux, mais son propre sang. De cette manière, il a obtenu une libération définitive. S’il est vrai qu’une simple aspersion avec le sang de boucs et de taureaux, et de la cendre de génisse, sanctifie ceux qui sont souillés, leur rendant la pureté de la chair, le sang du Christ fait bien davantage, car le Christ, poussé par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans défaut ; son sang purifiera donc notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant. Voilà pourquoi il est le médiateur d’une alliance nouvelle, d’un testament nouveau : puisque sa mort a permis le rachat des transgressions commises sous le premier Testament, ceux qui sont appelés peuvent recevoir l’héritage éternel jadis promis.

SÉQUENCE

« Lauda Sion » (ad libitum) () Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants. Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer. Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges. Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères. Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs ! C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution. À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne. L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit. Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui. Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut. C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang. Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature. L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin. Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces. On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier. Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître. Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort. Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent ! Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout. Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué. * Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens. D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères. Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants. Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

ÉVANGILE
« Ceci est mon corps, ceci est mon sang » (Mc 14, 12-16.22-26) Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? » Il envoie deux de ses disciples en leur disant : « Allez à la ville ; un homme portant une cruche d’eau viendra à votre rencontre. Suivez-le, et là où il entrera, dites au propriétaire : “Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?” Il vous indiquera, à l’étage, une grande pièce aménagée et prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs. » Les disciples partirent, allèrent à la ville ; ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque. Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. » Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.
.Patrick Braud

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17 janvier 2021

Que nous faut-il quitter ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Que nous faut-il quitter ?

Homélie pour le 3° dimanche du Temps Ordinaire / Année B
24/01/2021

Cf. également :

Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel
Il était une fois Jonas…
La « réserve eschatologique »
De la baleine au ricin : Jonas, notre jalousie
La soumission consentie
Les 153 gros poissons
Secouez la poussière de vos pieds

Que nous faut-il quitter ? dans Communauté spirituelleThierry me téléphone pour les fêtes de fin d’année :
– Je reviens de loin tu sais !
– Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
– En novembre, j’ai fait un infarctus. Urgences, opération : ils m’ont posé des stents, et apparemment ça allait bien. Mais des complications sont apparues : ils ont même dû me ré-hospitaliser ! Nouvelle opération pour recoudre la cloison mitrale qui fuyait, et double pontage en prime…
– Eh bien !… Quelles conséquences pour toi maintenant ?
– La première chose que j’ai faite immédiatement, c’est arrêter de fumer. Je me craquais un paquet par jour avant. Désormais c’est terminé. Pas besoin de patch ni de cure : j’ai eu trop peur ! Il est temps que je remette un peu d’ordre là-dedans…

Nous sommes sans doute nombreux à avoir eu ce dialogue avec quelqu’un qui a soudain pris  conscience de ce qu’il lui fallait quitter s’il voulait retrouver sa santé, son équilibre, sa joie de vivre. Ici, c’est le paquet de cigarettes quotidien. Une autre fois, ce sera la dépendance à l’alcool, au jeu, ou bien une relation malsaine, des influences négatives etc.

Le premier pas pour devenir libre est souvent de rompre avec ce qui nous en empêche. Tant que cela ne va pas trop mal, chacun peut s’habituer à ses esclavages, consentir à telle soumission. Dès que la situation se dégrade, il apparaît clairement que certaines amarres sont à larguer si on veut avancer, ou simplement survivre.

Le moteur pour changer est la plupart du temps la peur : peur de mourir, de s’étioler sur place,  de se renier soi-même. C’est parfois le désir d’une vie meilleure, un but enfin clairement identifié pour lequel on est prêt à faire des sacrifices s’il le faut.

Toujours est-il qu’il semble impossible humainement de devenir soi-même sans apprendre à quitter : quitter le sein maternel pour naître au monde, quitter l’enfance pour faire des choix adultes, quitter sa zone de confort pour progresser ailleurs, quitter ses erreurs pour accueillir le vrai, et finalement quitter cette vie pour naître à l’autre.

Dans l’Évangile de Marc, dès l’appel des premiers disciples, Jésus leur manifeste cet impératif de laisser derrière eux les filets qui les emprisonnent (Mc 1, 14-20) :
« Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent ».

Le symbolisme des filets est ambivalent, comme toujours dans la Bible.
50508984-mains-de-p%C3%AAcheur-r%C3%A9parer-les-filets-commerciaux André dans Communauté spirituelleIci, les filets représentent les liens qui maintiennent ces pêcheurs rivés à leur entreprise familiale, à leur dialecte, à leur terre de Galilée. Ne dit-on pas à juste titre : ‘attirer ou prendre quelqu’un dans ses filets’ pour exprimer le piège tendu par un séducteur ? Ces filets qui emprisonnent les poissons les tiennent en même temps sous leur coupe : impossible pour Simon et André d’être autre chose que des pêcheurs galiléens s’ils restent pris dans les mailles de leur condition d’origine. Pire encore (sur le plan symbolique) : Jacques et Jean un peu plus loin sont dans la barque et s’attachent à réparer leurs filets qui pourtant les maintiennent dans la nasse de leur condition :
« Jésus avança un peu et il vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque et réparaient les filets. Aussitôt, Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite ».
Nous sommes hélas capables de réparer nous-mêmes les entraves qui nous assujettissent ! Nous entretenons avec complaisance les addictions qui nous dominent, les soumissions qui nous avilissent, les influences qui nous détournent de nous-mêmes. Du coup, Jacques et Jean laissent là leur barque (leur métier), leur père (leur situation familiale), leurs ouvriers (leur entreprise) pour suivre Jésus. Les filets contenaient bien ces différents aspects de leur vie antérieure. Dans les deux cas, c’est aussitôt qu’ils quittent leurs filets : aussi soudainement que Thierry abandonnait la cigarette, aussi entièrement.

Au siècle dernier, Mannick chantait les bateaux capables de partir « deux par deux affronter le gros temps quand l’orage est sur eux », « les bateaux qui s’égratignent un peu sur les routes océanes où les mènent leurs jeux », alors que tant d’autres croupissent sans sortir du port :

Je connais des bateaux qui restent dans le port
De peur que les courants les entraînent trop fort
Je connais des bateaux qui rouillent dans le port
À ne jamais risquer une voile au dehors.

Je connais des bateaux qui oublient de partir
Ils ont peur de la mer à force de vieillir
Et les vagues, jamais, ne les ont séparés
Leur voyage est fini avant de commencer.

 

 appelL’ambivalence des filets se révélera à la fin de l’Évangile de Jean, après la résurrection. Simon Pierre retourne pêcher avec Jacques et Jean, et cette fois-ci leurs filets ne les emprisonnent pas : après les 153 gros poissons qui ont failli faire craquer les filets en les remontant, ils iront en Judée, en Samarie et jusqu’à Rome pour annoncer le Christ. Les filets deviennent alors une figure du salut apporté aux hommes grâce à la prédication de l’Évangile. En effet, la mer a toujours été pour les israélites le lieu des forces obscures, des monstres sous-marins terrifiants (comme le Léviathan), du mal et de la mort. Sortir les poissons hors de l’eau, c’est donc tirer l’humanité hors des ténèbres. Les hisser avec les filets dans la barque-Église, c’est par le baptême offrir la vie éternelle à ceux qui désirent suivre Jésus.

On pourrait dire qu’au bord du lac de Galilée les premiers disciples quittent leurs filets de pêcheurs pour un jour manier leurs filets de pêcheurs d’hommes.

Indice précieux : la rupture n’a pas son but en elle-même. Il ne s’agit pas de quitter pour quitter – d’ailleurs, qui en serait capable ? – mais de quitter pour un but meilleur, plus désirable, qui va mobiliser toutes nos énergies. Thierry n’a pas quitté la cigarette pour réaliser un exploit : il l’a fait pour retrouver sa santé. Le mari qui a une maîtresse la quittera s’il veut réellement retrouver son couple et sa famille. Sinon il s’habituera à une double vie. L’esclave prendra le risque de s’échapper s’il désire vraiment vivre libre, sinon il préférera son esclavage.

La question n’est donc pas seulement : que nous faut-il quitter ? Mais également : pour quoi (pour qui) nous faut-il quitter ? Si nous identifions avec clarté et conviction l’objectif que nous désirons réellement, ce qu’il nous faut quitter nous apparaîtra en pleine conscience et la motivation pour y aller viendra en même temps.

Que me faut-il quitter dans les mois qui viennent ?

Ne répondons pas trop vite, sinon nous nous tromperons de cible. Prenons le temps d’habiter cette question, avec son corollaire : où aller ?
Dimanche dernier, deux disciples de Jean-Baptiste le quittaient pour se mettre à la suite du Christ : où demeures-tu ?
Ce dimanche, quatre pêcheurs quittent leur filet, leur barque, leur père, leurs ouvriers pour suivre Jésus.

Et vous, qu’allez-vous quitter ? Dans quel but ?

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Les gens de Ninive se détournèrent de leur conduite mauvaise » (Jon 3, 1-5.10)

Lecture du livre de Jonas

La parole du Seigneur fut adressée de nouveau à Jonas : « Lève-toi, va à Ninive, la grande ville païenne, proclame le message que je te donne sur elle. » Jonas se leva et partit pour Ninive, selon la parole du Seigneur. Or, Ninive était une ville extraordinairement grande : il fallait trois jours pour la traverser. Jonas la parcourut une journée à peine en proclamant : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne, et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac.
En voyant leur réaction, et comment ils se détournaient de leur conduite mauvaise, Dieu renonça au châtiment dont il les avait menacés.

 

PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Seigneur, enseigne-moi tes chemins. (24, 4a)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi,Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Il passe, ce monde tel que nous le voyons » (1 Co 7, 29-31)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la joie, comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons.

 

ÉVANGILE
« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 14-20)
Alléluia. Alléluia.Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. Alléluia. (Mc 1, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Après l’arrestation de Jean le Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Passant le long de la mer de Galilée, Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter les filets dans la mer, car c’étaient des pêcheurs. Il leur dit : « Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. Jésus avança un peu et il vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque et réparaient les filets. Aussitôt, Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite.
Patrick BRAUD

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13 septembre 2020

Dieu trop-compréhensible

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu trop-compréhensible

Homélie pour le 25° Dimanche du temps ordinaire / Année A
20/09/2020

Cf. également :
Le contrat ou la grâce ?
Personne ne nous a embauchés
Les ouvriers de la 11° heure
Premiers de cordée façon Jésus
Un festin par-dessus le marché

« Ne cherche pas à comprendre… »
- « Tu ne peux pas comprendre. C’est un mystère ».
Cette réponse assénée avec autorité par ma prof de caté autrefois me laissait à chaque fois insatisfait. Comment ! ? Il n’y aurait rien à comprendre dans le mystère de la Trinité ? dans le mystère eucharistique ? Dieu serait-il incompréhensible ? L’intelligence humaine devrait-elle abdiquer pour être capable d’adorer le Créateur ?

Une lecture trop rapide des textes de ce dimanche pourrait conforter ceux qui veulent ainsi mettre Dieu hors d’atteinte de l’homme.
Isaïe ne fait-il pas dire à Dieu : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées » ? C’est donc qu’il faudrait s’incliner sans comprendre, se soumettre sans protester ?
Et Matthieu ne décrit-il pas un patron incompréhensible qui paye les ouvriers de la onzième heure autant que ceux de la première ? Une telle injustice serait à mettre uniquement sur le compte du bon vouloir patronal qui fait ce qu’il veut sans avoir de comptes à rendre à personne : « n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens » ?

 

La dérive du Mektoub
Le durcissement de ce genre d’argumentation a déjà fait tant de dégâts par le passé ! Au nom de la transcendance divine, on a casé Dieu dans les failles de la raison, en se disant que là au moins il serait à l’abri. Jusqu’à justifier l’injustifiable : ‘si Dieu permet le malheur innocent, c’est qu’il a ses raisons ; si nous ne comprenons pas son action, c’est normal et il n’y a qu’à accepter, car Dieu est plus grand que nous’. On n’est pas loin du Mektoub musulman, c’est-à-dire de l’idée que la soumission au destin décidé par Dieu est la seule voie possible, sans pouvoir ni le comprendre ni le maîtriser. Dire que Dieu est incompréhensible conduit la plupart du temps à la résignation et au fatalisme. Et cela fournit à l’homme de beaux motifs de révolte. La controverse sur le tremblement de terre de Lisbonne au XVIII° siècle en est un bon exemple. Voltaire fournira dans son pamphlet une base solide à l’athéisme européen des siècles suivants. Le premier novembre 1755 en effet, le tremblement de terre de Lisbonne avec ses 30 000 morts provoque un choc considérable sur la sensibilité philosophique du XVIII° siècle et Voltaire, en particulier, restera obsédé par cette catastrophe. À ce moment-là, Voltaire s’éloigne définitivement des théories optimistes (Leibniz : « tout est bien » car Dieu organise « le meilleur des mondes possibles » même si nous ne comprenons rien à sa sagesse). Il ne supporte plus que l’on cherche à nier le mal ou à la justifier par l’incompréhensibilité divine.

Poème sur le désastre de LisbonnePOÈME sur le DÉSASTRE DE LISBONNE ou EXAMEN DE CET AXIOME : ‘TOUT EST BIEN’.

Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous : « C’est l’effet des éternelles lois
Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ? »
[…]
« Tout est bien, dites-vous, et tout est nécessaire. »
[…]
Ou l’homme est né coupable, et Dieu punit sa race,
Ou ce maître absolu de l’être et de l’espace,
Sans courroux, sans pitié, tranquille, indifférent,
De ses premiers décrets suit l’éternel torrent.

Loger Dieu dans les trous de notre connaissance, c’est le condamner à reculer à chaque fois que celle-ci avance. Autrefois, on organisait des rogations grandioses pour demander la pluie à Dieu lors d’une sécheresse : qui oserait le faire en France aujourd’hui (à part une poignée de catholiques traditionnels) ? Autrefois on croyait que les médailles miraculeuses épargnaient du choléra et de la peste : qui serait assez fou pour remplacer le masque par une médaille en période de Covid ? Récemment, certains essayaient de sauver Dieu-créateur en le mettant dans le big-bang, ou bien juste avant : mais si le big-bang s’avère n’être lui-même que la suite logique d’un big Crunch antérieur (Stephen Hawking), va-t-on déplacer encore l’acte créateur de quelques milliards d’années en arrière ? Et puis, comment pourrait-on renoncer à comprendre la Shoah et l’horreur des milliers de morts du XX° siècle sous prétexte que « les voies de Dieu sont impénétrables » ?

Si l’on en revient à nos lectures de ce dimanche, elles n’appellent pas à la grandeur de Dieu pour justifier l’injustifiable, mais au contraire pour justifier l’infinie miséricorde divine qui n’a rien à voir avec la vengeance ou même la justice humaines. Le chapitre 55 du livre d’Isaïe est situé entre la déclaration d’amour du Seigneur à Jérusalem pour la restaurer après l’Exil (chapitre 54) et la promesse d’y accueillir même les étrangers non juifs lorsqu’elle sera restaurée (chapitre 56) : les chemins de Dieu « qui ne sont pas comme ceux des hommes » sont donc des chemins de retour d’Exil et d’ouverture à l’universel, alors que les juifs désespéraient de revenir à Jérusalem, et qu’ils restaient encore fascinés par une identité fermée, excluant les étrangers de l’Alliance.

Quant à Mathieu et sa parabole des ouvriers de la 11° heure, il annonce une générosité divine certes surprenante – voire injuste – aux yeux des premiers, mais si bouleversante pour les derniers embauchés.

Dieu ne se révèle pas incompréhensible dans ces textes : il agit sans commune mesure avec nos raisonnements humains étriqués. Il est incommensurable plus qu’incompréhensible.

Au lieu d’opposer Dieu et raison, on devrait plutôt dire que Dieu est trop-compréhensible : plus je m’aventure en lui, plus je découvre qu’il y a bien plus encore à explorer. Dès que j’ai compris quelque chose de lui, je dois aussitôt le barrer ou le mettre de côté pour comprendre le contraire ou le tout autre. Les mystiques médiévaux ne témoignent-t-ils pas que Dieu est la coïncidence des contraires ? [1]

L’infinie distance entre Dieu et l’homme ne réside pas dans une impossibilité d’aller de l’un à l’autre (cf. l’échelle de Jacob), mais dans celle d’épuiser la richesse de l’un ou de l’autre. Ce n’est pas l’absurde ni l’incompréhensible qui caractérise Dieu, mais l’excès de signification, la plénitude de sens qui déborde toute théorie humaine sans pour autant la condamner.

 

La polysémie de l’Écriture
Prenons un exemple de cet excès de sens : la polysémie (pluralité de sens) de l’Écriture.
La parabole des ouvriers de la 11° heure peut donner lieu à une multitude d’interprétations. Si vous la lisez avec les lunettes de l’historien, vous y devinerez entre les lignes la situation au I° siècle des païens fraîchement convertis au Christ par rapport aux juifs devenus chrétiens : Mathieu demande qu’on les traite à égalité, alors que les juifs pourraient se targuer d’observer l’Alliance bien avant eux. Si vous chaussez les lunettes du psychologue, vous y lirez la chance de se convertir à tout âge de la vie. Qu’on soit baptisé à 20 ans ou à 70 ans ne confère aucun privilège ! On n’est jamais trop vieux pour rejoindre les ouvriers envoyés à la vigne. Si vous êtes moralistes, vous entendrez l’appel à résister à la jalousie, à la concupiscence qui est le vice faisant chuter les premiers en derniers. Au lieu de se réjouir du salaire des derniers, ils se comparent, ils veulent avoir plus, et cela les ferme à l’accueil du don qui leur est fait à eux aussi (la pièce d’argent). Si vous êtes économistes, vous serez sensibles à l’importance qu’a le travail ici pour humaniser le monde : le chômage est dégradant, et le maître de la vigne ne cesse de sortir de lui-même pour embaucher, ce qui est bien la responsabilité économique première. D’ailleurs, si vous êtes bibliste, ce verbe sortir résonnera en vous comme l’indice d’un Exode divin, d’un Exil où Dieu visite l’homme pour son salut, comme Moïse est sorti de son palais pour voir la misère de son peuple. Si vous êtes juriste, vous vous passionnez pour la dialectique du contrat et du don qui est à l’œuvre dans la parabole. Si vous êtes théologien, c’est la primauté de la grâce sur le droit qui nourrira votre méditation. Si vous êtes un peu tout cela et plus encore, alors vous n’en finirez pas d’explorer les harmoniques de ces quelques lignes vous ouvrant des perspectives de plus en plus vertigineuses.

Lire aux éclats par OuakninLes rabbins parlent d’une lecture infinie de la Torah parce qu’aucune interprétation ne peut prétendre enclore l’intégralité de sa richesse, et parce que plusieurs interprétations apparemment contradictoires peuvent coexister. L’évêque Grégoire de Nysse (IV° siècle) prolongeait cette intuition de la nécessaire polysémie de l’Écriture en la comparant à une source inépuisable :

Celui qui obtient en partage une de ces richesses ne doit pas croire qu’il y a seulement, dans la parole de Dieu, ce qu’il y trouve. Il doit comprendre au contraire qu’il a été capable d’y découvrir une seule chose parmi bien d’autres. Enrichi par la parole, il ne doit pas croire que celle-ci est appauvrie ; incapable de l’épuiser, qu’il rende grâce pour sa richesse. Réjouis-toi parce que tu es rassasié, mais ne t’attriste pas de ce qui te dépasse. Celui qui a soif se réjouit de boire, mais il ne s’attriste pas de ne pouvoir épuiser la source. Que la source apaise ta soif, sans que ta soif épuise la source. Si ta soif est étanchée sans que la source soit tarie, tu pourras y boire à nouveau, chaque fois que tu auras soif. Si au contraire, en te rassasiant, tu épuisais la source, ta victoire deviendrait ton malheur.

Rends grâce pour ce que tu as reçu et ne regrette pas ce qui demeure inutilisé. Ce que tu as pris et emporté est ta part ; mais ce qui reste est aussi ton héritage. Ce que tu n’as pas pu recevoir aussitôt, à cause de ta faiblesse, tu le recevras une autre fois, si tu persévères. N’aie donc pas la mauvaise pensée de vouloir prendre d’un seul trait ce qui ne peut être pris en une seule fois ; et ne renonce pas, par négligence, à ce que tu es capable d’absorber peu à peu. » Grégoire de Nysse (Homélie sur le Cantique des Cantiques)

Dieu trop-compréhensible est à l’image de cette source : plus on vient y boire, plus elle étanche notre soif, et plus elle suscite en nous d’autres soifs, d’autres désirs, et ceci à l’infini… Ainsi, « de commencements en commencements, par d’éternels commencements qui n’auront jamais de fin » (Grégoire de Nysse), nous pourrons sans cesse entrer dans le mystère de Dieu qui se révèle toujours plus grand que ce que nous aurons commencé à comprendre de lui.

 

Les noms divins
Un autre indice de l’excès du compréhensible en Dieu est la multitude des noms divins dans la Bible : « Adonaï » ; « Elohim » ; El Shaddai ; ‘El ‘Elyôn. Il est également « Sabaoth », « le Saint », « le Rocher », « l’Éternel », Berger, Justice, Amour, Père…

Pourtant, Moïse nous a appris à ne pas prononcer le Nom de Dieu, le Tétragramme : YHWH. Pour justement préserver sa transcendance, son altérité radicale. C’est donc qu’il nous faut à la fois accueillir Dieu comme le Tout-Autre et décliner son infinie différence en des termes familiers. Le Coran a précieusement recueilli cette tradition juive en égrenant le chapelet des 99 noms d’Allah tout en proclamant qu’il est l’Unique, au-dessus de tout. Quant aux chrétiens, ils reconnaissent en Jésus ce Dieu caché ; ils contemplent dans le crucifié le Père invisible ; ils croient que cet homme est le médiateur par qui nous pouvons communier avec Dieu en plénitude.

Dire que Dieu est trop-compréhensible n’est pas le rabaisser à ce que l’homme pourrait connaître de lui, ni lui enlever son caractère caché et ineffable. Car son incompréhensibilité réside justement dans le fait qu’il suscite une infinité de compréhensions possibles tout en les excédant toutes. Il est bien « l’Au-delà de tout » (Grégoire de Naziance), mais tout nous parle de lui.

Dieu est dans l’excès, toujours offert, jamais atteint ; toujours désiré, jamais possédé ; incompréhensible et compréhensible à la fois.

St Anselme plaidait pour que l’intelligence puisse rendre raison de la foi : « fides quaerens intellectum », et St Augustin pour que les deux quêtes humaines fassent système : « croire pour comprendre et comprendre pour croire ».

Loin d’éteindre l’intelligence humaine, le mystère qu’est Dieu la stimule et lui ouvre des horizons reculant sans cesse.

 

La quête inachevée de la science (et de l’amour)
Karl Popper: La quete inacheveeUne autre piste pour évoquer l’excès du compréhensible en Dieu est le mouvement même de la science moderne. Karl Popper (1902-1994) a bien montré que la recherche scientifique est par nature inachevée, car le réel excède toujours les représentations scientifiques. Les plus belles théories seront tôt ou tard contestées et remplacées par d’autres, plus puissantes. Une fois un problème résolu, éventuellement par une théorie, « nous nous efforçons aussi de prévoir les nouveaux problèmes que soulève notre théorie ». Et, ajoute-t-il, « la tâche est infinie et ne peut jamais être achevée ». Les théories progressent grâce à un jeu de tests sévères qui éliminent les fausses théories. La nouvelle théorie est celle qui résiste le mieux, provisoirement, à ces tests expérimentaux. Elle a un pouvoir explicatif plus grand que l’ancienne, qu’elle inclut d’ailleurs en temps qu’approximation (ex : Einstein incluant Newton). La science ne peut atteindre la vérité. Toute théorie est provisoire : c’est une quête inachevée de la vérité. La science vise certes la réalité des choses, mais elle ne peut donner qu’une approximation de la réalité. Elle indique avec certitude ce qui est faux, mais non ce qui est vrai.
Thomas Kühn (1922-1996) a mis en évidence les changements de paradigmes qui permettent d’élargir ou de changer radicalement notre vision du monde, de Newton à Einstein, de Maxwell à Planck…
Nul scientifique n’oserait plus affirmer aujourd’hui ce que le chimiste Berthelot fanfaronnait au XIX° siècle :« le monde est désormais sans mystère ». Au contraire, la science se fait humble, sachant qu’elle ne sait pas grand-chose, et que toute découverte soulève cent questions encore plus passionnantes !

La quête inachevée qu’est la science par nature nous donne alors une idée de ce qu’est la vie en Dieu : de trouvailles en découvertes, d’inventions géniales en progrès fulgurants, le mouvement de la quête scientifique vers le réel ressemble étrangement au mouvement de ceux qui cherchent Dieu de l’intérieur, le comprenant toujours plus tout en voyant leur ignorance s’accroître sans cesse…

C’est également le mouvement de la bien-aimée en quête de son bien-aimé dans le Cantique des cantiques… 

« Mes pensées ne sont pas vos pensées, mes chemins ne sont pas vos chemins » : que l’Esprit du Christ mette nos pas sur les chemins de Dieu, et nous deviendrons des pèlerins du trop-compréhensible

 


[1]coincidentia oppositorum (Nicolas de Cues ; 1401 – 1464). Selon lui, en passant à la limite, la raison est obligée de changer de régime, en passant du principe de non-contradiction à celui de la « coïncidence des opposés ». Un polygone inscrit dans un cercle finit par exemple par devenir le cercle lui-même, et donc une figure sans côté (un non-polygone), à mesure que le nombre de côtés augmente (quadrature du cercle). Dieu se conçoit comme fin infinie, limite illimitée, distinction indistincte, la coincidentia oppositorum ouvrant, seule, la voie d’accès à l’infini.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55, 6-9)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ;invoquez-le tant qu’il est proche.Que le méchant abandonne son chemin,et l’homme perfide, ses pensées !Qu’il revienne vers le Seigneurqui lui montrera sa miséricorde,vers notre Dieuqui est riche en pardon.Car mes pensées ne sont pas vos pensées,et vos chemins ne sont pas mes chemins,oracle du Seigneur.Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre,autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins,et mes pensées, au-dessus de vos pensées.

 

PSAUME
(Ps 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18)
R/ Proche est le Seigneur de ceux qui l’invoquent. (cf. Ps 144, 18a)

Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
Il est grand, le Seigneur, hautement loué ;
à sa grandeur, il n’est pas de limite.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Il est proche de tous ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

DEUXIÈME LECTURE
« Pour moi, vivre c’est le Christ » (Ph 1, 20c-24.27a)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens

Frères,soit que je vive, soit que je meure,le Christ sera glorifié dans mon corps.En effet, pour moi, vivre c’est le Christ,et mourir est un avantage.Mais si, en vivant en ce monde,j’arrive à faire un travail utile,je ne sais plus comment choisir.Je me sens pris entre les deux :je désire partirpour être avec le Christ,car c’est bien préférable ;mais, à cause de vous, demeurer en ce mondeest encore plus nécessaire.
Quant à vous,ayez un comportement digne de l’Évangile du Christ.

ÉVANGILE
« Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20, 1-16)
Alléluia. Alléluia.La bonté du Seigneur est pour tous,sa tendresse, pour toutes ses œuvres :tous acclameront sa justice.Alléluia. (cf. Ps 144, 9.7b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là,Jésus disait cette parabole à ses disciples :« Le royaume des Cieux est comparableau maître d’un domaine qui sortit dès le matinafin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée :un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent,et il les envoya à sa vigne.Sorti vers neuf heures,il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire.Et à ceux-là, il dit :Allez à ma vigne, vous aussi,et je vous donnerai ce qui est juste.’Ils y allèrent.Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures,et fit de même.Vers cinq heures, il sortit encore,en trouva d’autres qui étaient là et leur dit :Pourquoi êtes-vous restés là,toute la journée, sans rien faire ?’Ils lui répondirent :Parce que personne ne nous a embauchés.’Il leur dit :Allez à ma vigne, vous aussi.’
Le soir venu,le maître de la vigne dit à son intendant :Appelle les ouvriers et distribue le salaire,en commençant par les dernierspour finir par les premiers.’Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrentet reçurent chacun une pièce d’un denier.Quand vint le tour des premiers,ils pensaient recevoir davantage,mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier.En la recevant,ils récriminaient contre le maître du domaine :Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure,et tu les traites à l’égal de nous,qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !’Mais le maître répondit à l’un d’entre eux :Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi.N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ?Prends ce qui te revient, et va-t’en.Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi :n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ?Ou alors ton regard est-il mauvaisparce que moi, je suis bon ?’
C’est ainsi que les derniers seront premiers,et les premiers seront derniers. »
 Patrick BRAUD

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9 août 2020

Marie et le drapeau européen

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Marie et le drapeau européen

Homélie pour la fête de l’Assomption de la Vierge Marie / Année A
15/08/2020

Cf. également :

Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter
Assomption : Ne vous faites pas voler votre espérance
Assomption : les sentinelles de l’invisible
L’Assomption de Marie, étoile de la mer
L’Assomption de Marie : une femme entre en Résistance
Marie, parfaite image de l’Église à venir
Marie en son Assomption : une femme qui assume !
Toussaint : le bonheur illucide

Le clash de Mélenchon

Vous souvenez-vous du clash de Jean-Luc Mélenchon peu après l’élection présidentielle de 2017 ? Il voulait retirer la bannière bleue à douze étoiles de l’hémicycle de l’Assemblée Nationale au motif qu’il s’agirait d’un « symbole confessionnel ». Le chef de file de La France Insoumise avait déposé, avec les autres députés de son parti, un amendement, rejeté mercredi 11 octobre 2017 par les députés, visant à retirer le drapeau européen de l’Assemblée Nationale, pour le remplacer par celui de l’Organisation des Nations Unies. Pour sanctuariser sa présence, le président Emmanuel Macron souhaite au contraire reconnaître officiellement le drapeau européen, présent dans l’Hémicycle depuis 2008. Jean-Luc Mélenchon s’est indigné de cette annonce, en publiant un communiqué dans lequel il explique son rejet de cet « emblème européen confessionnel », contraire à la laïcité française selon lui :

« Monsieur le Président, vous n’avez pas le droit d’imposer à la France un emblème européen confessionnel. Il n’est pas le sien et la France a voté contre son adoption sans ambiguïté.
Je rappelle que notre opposition à cet emblème ne tient pas au fait qu’il prétend être celui de l’Europe, mais parce qu’il exprime une vision confessionnelle de l’Union, et cela à l’heure où plus que jamais religion et politique doivent être séparées.
Le refus du traité constitutionnel de 2005, dans lequel cet emblème était proposé, vaut décision du peuple français sur le sujet. »

La première lecture de la fête de l’Assomption (Ap 11,19-12,10) est en effet ce passage grandiose de l’Apocalypse où l’on voit une femme enceinte, couronnée de 12 étoiles, être emmenée au désert pour que son fils à naître échappe au dragon cherchant à le dévorer dès sa naissance :

« Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. […] L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place ».

Bien sûr, la femme fait immédiatement penser à Marie, sa place préparée par Dieu au désert fait penser à son Assomption, sa couronne d’étoiles au couronnement de la Vierge si souvent peint et sculpté, la lune-piédestal et le soleil-manteau à son rôle cosmique de Vierge-Mère.

Y aurait-il un lien entre l’Apocalypse et le drapeau européen, entre l’Assomption et le projet politique des 27 pays adhérents à l’Union Européenne ?
Oui dans la pensée de son concepteur. Non dans les commentaires officiels qu’en donnent les organisations européennes.

 

L’inspiration mariale d’Arsène Heitz

Le drapeau européen a été créé en 1955, à l’origine pour symboliser non pas l’Union européenne, ni même son ancêtre la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), mais bien le Conseil de l’Europe, une modeste organisation de défense des droits de l’homme et de la culture.
Plusieurs projets de drapeaux sont proposés et successivement rejetés, expliquait en 1985  Robert Bichet, président du comité ad hoc pour un emblème européen :

•   un grand « E » vert sur fond blanc, symbole du Mouvement européen, dont l’esthétique a été critiquée (il était comparé à « un caleçon qui sèche sur un pré ») ;
•   un cercle doré barré d’une croix, sur fond bleu : proposition que les Français et les Turcs (membres du Conseil de l’Europe) ont refusée en raison justement du symbole religieux ;
•   des constellations d’étoiles, complexes à reproduire, ou une quinzaine d’étoiles en cercle, représentant le nombre de membres du Conseil à l’époque – mais les Allemands ne souhaitaient pas que la Sarre y soit comptée comme un État membre.

Finalement, le projet retenu reprend un cercle d’étoiles sur un fond azur. Pas 15 ni 14 étoiles (à cause la Sarre), pas 13 étoiles (nombre maudit…), mais 12, nombre qui parle à tous. Le fonctionnaire européen qui a dessiné le drapeau, Arsène Heitz, était un fervent catholique. Il a raconté bien plus tard qu’il avait tiré son inspiration de la médaille miraculeuse de la Vierge Marie, qui la représente entourée de douze étoiles d’or. Heitz se disait « très fier que le drapeau de l’Europe soit celui de Notre-Dame ».

[image]

 

La médaille miraculeuse de la Rue du Bac

Médaille Miraculeuse enversLe 27 novembre 1830, en fin d’après-midi, alors que la jeune religieuse Catherine Labouré prie dans la chapelle de la rue du Bac à Paris, elle voit se dessiner deux tableaux au-dessus de l’autel. Sur le second tableau (qui sera le verso de la médaille), Catherine voit apparaître le « M » de Marie, entrelacé avec la croix de Jésus, comme pour rappeler le lien indéfectible qui les unit. Autour, sont dessinées les douze étoiles de la « Reine du ciel ». Deux cœurs se tiennent côte à côte. À gauche, celui de Jésus reconnaissable à la couronne d’épines qui l’entoure. Sur sa droite, un cœur transpercé par un glaive, comme pour représenter la douleur d’une mère voyant son enfant souffrir. C’est le cœur de Marie.

En février 1832 éclate à Paris une terrible épidémie de choléra, qui fera plus de 20 000 morts. En juin, les premières médailles réalisées par l’orfèvre Vachette sont distribuées par les Filles de la Charité. Aussitôt guérisons, conversions, protections se multiplient. C’est un raz-de-marée. Le peuple de Paris appelle la médaille de l’Immaculée la « médaille miraculeuse ».

 

Heitz ou Lévy ?

Marie et le drapeau européen dans Communauté spirituelle 440px-EU_Flag_specification.svgAgent au service du courrier du Conseil de l’Europe, Arsène Heitz prend le projet très au sérieux. De 1952 à 1955, il dessine plusieurs croquis différents. L’un d’entre eux représente un rectangle bleu uni, orné d’un cercle de quinze étoiles, dont une en son centre. Le drapeau plaît au directeur de la presse du Conseil, Paul Michel Gabriel Lévy, et au rapporteur Robert Bichet. Mais le nombre d’étoiles est ramené de quinze à douze: le Conseil de l’Europe compte bien quinze membres à cette période, mais à cause du statut  problématique de la Sarre d’après-guerre, à cause du nombre de pays pouvant être amené à varier, on lui préfère le douze. En 1955, le drapeau définitif est adopté à l’unanimité par l’Assemblée parlementaire. Depuis 1986, il est la bannière de la totalité des institutions européennes.

Par un clin d’œil de l’histoire, hasard de l’agenda, le texte portant adoption du drapeau a été voté un jour avant le calendrier officiel qui prévoyait de le faire le 9 décembre 1955 : c’est donc un 8 décembre que l’Europe s’est dotée du cercle de 12 étoiles d’or sur fond bleu… soit le jour même de la fête de l’Immaculée Conception, si liée à la médaille de la rue du Bac et à son invocation : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous » ! ! !

Pour les dirigeants chrétiens-démocrates à l’origine de la construction européenne (Conrad Adenauer, Robert Schuman, Alcide De Gasperi…), cette inspiration mariale, explicite ou cachée, ne pose pas problème… Mais cette inspiration est totalement absente de la genèse du drapeau telle que décrite par le rapporteur Robert Bichet en 1985, et est démentie dès 1998 par Paul Michel Gabriel Lévy chargé du projet, qui revendique la réduction de quinze à douze étoiles sur fond d’argumentation politique. Il affirme que la ressemblance avec la couronne de Marie n’est qu’une coïncidence qui lui a été indiquée postérieurement à la décision. Elle ne rend pas compte non plus de pourquoi la première soumission de la commission en 1953 avait quinze étoiles. Selon Paul Collowald, témoin de l’avancement du projet auprès de Paul Lévy, Arsène Heitz ne saurait revendiquer la conception car sa participation relève d’un simple concours technique dans l’ultime phase de présentation au Conseil.

Dans le texte de l’Apocalypse, les 12 étoiles symbolisent sans doute les 12 apôtres, et accomplissent les 12 tribus d’Israël. Sur le drapeau européen, on pourrait y voir une allusion aux racines judéo-chrétiennes de l’Europe. Mais ce ne sont pas des étoiles de David, car elles n’ont que cinq branches. Dans le texte de l’Apocalypse, le nombre 12 renvoie plutôt à l’Église, nouvel Israël, image de la Jérusalem céleste ayant 12 portes pour accueillir tous les peuples de l’univers.

Les 12 étoiles disposées en couronne sont devenues le thème classique du couronnement de la Vierge dans l’art occidental à partir du XII° siècle.

La couleur or des étoiles peut faire penser au soleil qui sert de manteau à la femme de l’Apocalypse, mais également à l’or royal des empires et royaumes qui ont marqué l’histoire européenne.

Le bleu est pour nous actuellement la couleur mariale par excellence. Pas une statue de la vierge qui n’ait une touche de bleu ! Bernadette Soubirous à Lourdes en 1858 décrira la Dame de ses apparitions portant une belle ceinture bleue. Pourtant il n’en fut pas toujours ainsi. Cherchez le mot bleu dans la Bible tout entière : il n’y est jamais mentionné ! Ni comme adjectif, ni comme substantif. Associer Marie à la couleur bleue est donc une invention tardive.

 

Le bleu marial

assumption.png« Marie n’a pas toujours été habillée de bleu. Il faut même attendre le XII° siècle pour que dans la peinture occidentale elle soit prioritairement associée à cette couleur. [...]

Auparavant, dans les images, Marie peut être vêtue de n’importe quelle couleur mais il s’agit presque toujours d’une couleur sombre : noir, gris, brun, violet ou vert foncé. L’idée qui domine est celle d’une couleur d’affliction, une couleur de deuil. [...]

C’est aux alentours de 1140 que les maîtres-verriers mettent au point le célèbre « bleu de Saint-Denis », lié à la reconstruction de l’église abbatiale. Ce bleu verrier exprime une conception nouvelle du ciel et de la lumière [...] Plus tard encore, dans les premières décennies du XIII° siècle, quelques grands personnages, à l’imitation de la reine du ciel, se mettent à porter des vêtements bleus, ce qui aurait été impensable deux ou trois générations plus tôt. Saint Louis est le premier roi de France qui le fasse régulièrement.

[...] Avec l’art baroque, une mode nouvelle se met progressivement en place : celle des vierges d’or, ou dorées, couleur passant pour celle de la lumière divine. Cette mode triomphe au XVIII° siècle et se maintient fort avant dans le XIXe. Cependant, à partir du dogme de l’Immaculée Conception – selon lequel, Marie, dès le premier instant de sa conception, par un privilège unique de Dieu a été préservée de la souillure du péché originel -, dogme définitivement reconnu par le pape Pie IX en 1854, la couleur iconographique de la Vierge devient le blanc, symbole de pureté et de virginité. Dès lors, pour la première fois depuis les temps les plus anciens du christianisme, la couleur iconographique de Marie et sa couleur liturgique sont enfin identiques : le blanc. Dans la liturgie en effet, depuis le V° siècle pour certains diocèses et depuis le pontificat d’Innocent III (1198-1216) pour une bonne partie de la Chrétienté romaine, les fêtes de la Vierge sont associées à la couleur blanche. » [1]

Au fil des siècles, la Vierge est ainsi passée par toutes les couleurs ou presque, comme le montre une étonnante statue taillée dans un beau bois de tilleul peu après l’an mil et aujourd’hui conservée au musée de Liège. Cette vierge romane avait d’abord été peinte en noir, comme c’était fréquemment le cas à cette époque. Au XIII° siècle, elle fut repeinte en bleu, selon les canons de l’iconographie et de la théologie gothiques. Mais à la fin du XVII° siècle cette même Vierge fut, comme tant d’autres « baroquisée » et quitta le bleu pour le doré, couleur qu’elle conserva pendant deux siècles environ, avant d’être visitée par le dogme de l’Immaculée Conception et, ce faisant, entièrement badigeonnée de peinture blanche (vers 1880). Cette superposition de quatre couleurs successives en un millénaire d’histoire fait de cette fragile sculpture un objet vivant ainsi qu’un exceptionnel document d’histoire picturale et symbolique. »

 

Les commentaires officiels

exposition-sur-le-drapeau-europeen Assomption dans Communauté spirituelleSur le site officiel de l’Europe, les symboles du drapeau européen sont expliqués indépendamment de toute connotation religieuse.

Voici la description officielle du drapeau européen : « Sur le fond bleu du ciel, les étoiles figurant les peuples d’Europe forment un cercle en signe d’union. Elles sont au nombre invariable de douze, symbole de la perfection et de la plénitude. Sur fond azur, un cercle composé de douze étoiles d’or à cinq rais dont les pointes ne se touchent pas. »

« Les étoiles symbolisent les idéaux d’unité, de solidarité et d’harmonie entre les peuples d’Europe. Le nombre d’étoiles n’est pas lié au nombre d’États membres, bien que le cercle soit symbole d’unité. Il y a douze étoiles, car ce chiffre est traditionnellement un symbole de perfection, de plénitude et d’unité. Ainsi, le drapeau restera le même, indépendamment des futurs élargissements de l’Union européenne. »
« Dans différentes traditions, douze est un chiffre symbolique représentant la complétude (il correspond également au nombre de mois de l’année et au nombre d’heures sur le cadran d’une montre). Quant au cercle, il est entre autres un symbole d’unité. »

 

Décidément, politique et religion sont inextricablement mêlées dans l’histoire européenne comme dans ses symboles…

L’essentiel est peut-être pour nous en ce 15 août de contempler en Marie la femme de l’Apocalypse. Comme elle, nous sommes dans les douleurs de l’enfantement : l’enfantement du Verbe en nous.

C’est un travail très personnel, pour que chacun(e) accouche de sa véritable identité (« ce n’est pas moi qui vis, mais Christ qui vit en moi » Ga 2,20).

C’est également un travail collectif, donc politique, pour que nos sociétés accouchent de conditions de vie dignes de la vocation divine de notre humanité. Particulièrement en Europe où le christianisme a puissamment contribué à façonner les institutions, les mentalités, les symboliques depuis 2000 ans.

 


[1]. Michel Pastoureau, Bleu, Histoire d’une couleur, Seuil, 2000, pp 54-55.

 

MESSE DU JOUR

 

PREMIÈRE LECTURE

« Une Femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous les pieds » (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire.
Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. Alors j’entendis dans le ciel une voix forte, qui proclamait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! »

 

PSAUME

(Ps 44, (45), 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16)
R/ Debout, à la droite du Seigneur,se tient la reine, toute parée d’or. (cf. Ps 44, 10b)

Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté.

Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
Alors, les plus riches du peuple,
chargés de présents, quêteront ton sourire.

Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,
vêtue d’étoffes d’or ;
on la conduit, toute parée, vers le roi.

Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ;
on les conduit parmi les chants de fête :
elles entrent au palais du roi.

 

DEUXIÈME LECTURE

« En premier, le Christ ; ensuite, ceux qui lui appartiennent » (1 Co 15, 20-27a)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds.

 

ÉVANGILE

« Le Puissant fit pour moi des merveilles : il élève les humbles » (Lc 1, 39-56)
Alléluia. Alléluia.Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »  Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
Patrick BRAUD

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