L'homélie du dimanche (prochain)

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15 mars 2020

Témoin, à la barre !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Témoin, à la barre !

Homélie du 4° dimanche de Carême / Année A
22/03/2020

Cf. également :

Rousseur et cécité : la divine embauche !
Faut-il shabbatiser le Dimanche ?
La barre de fraction de la foi
Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous
Le témoin venu d’ailleurs


Castle : Le témoin Rick Castle est appelé à la barre ! (8.10)Témoigner

Avez-vous déjà été convoqué comme témoin à la barre d’un tribunal ? La première fois, c’est impressionnant, et cela marque pour longtemps. Pour ma part, je me souviens d’avoir été appelé à témoigner en faveur d’une femme à qui la justice voulait enlever son enfant, avec déchéance de ses droits parentaux. J’ai rassemblé du mieux que je pouvais les événements, les souvenirs, les attitudes de cette mère démunie matériellement et intellectuellement qui se battait pourtant pour son enfant, à sa manière. On ne m’a pas laissé développer tout cela plus de quelques minutes, et j’étais triste et frustré de n’avoir pas pu tout dire, et mieux le dire. Mon témoignage a-t-il été utile ? Je n’en ai aucune idée, mais je devais à cette mère-courage de prendre position pour elle face à ses juges.

L’importance du témoignage est capitale dans notre évangile de l’aveugle-né. Les interrogatoires s’y succèdent en série, comme au tribunal. Les disciples interrogent Jésus sur le lien cécité-péché ; les voisins questionnent l’ex-aveugle, une fois, puis deux, avec des accusations qui vont crescendo, non sans interroger les parents également. Le dernier interrogatoire – salvateur celui-là – émane de Jésus qui sollicite la profession de foi de l’aveugle guéri.

Cette cascade d’interrogatoires, serrés et menaçants, s’enchaînent selon le schéma suivant, avec pour effet surprenant de faire jouer au non-témoignage des parents le rôle de pivot du récit :

Étape   Interro-     Interrogé     Question     Réponses
              gateurs          

 Aveugle-né

La question du comment ? est obsédante, lancinante dans le texte : le mot revient six fois et semble bloquer toute progression spirituelle des voisins et des pharisiens. Peut-être est-ce l’indice que se focaliser trop sur le comment empêche de voir le pourquoi ?!

Il se produit également un chassé-croisé, un renversement surprenant entre le début et la fin du texte, puisque les disciples demandent au début à Jésus : « est-ce lui le pécheur ? », alors que les pharisiens-disciples demandent à Jésus à la fin : « est-ce nous qui sommes aveugles ? » La culpabilité est renversée, de même que les causalités habituelles : ce n’est plus l’aveugle qui le mérite à cause de son péché, mais les pharisiens qui sont pécheurs à cause de leur refus de s’accepter aveugles !

 

Les différentes stratégies en présence

Reprenons le fil rouge du témoignage (quasi-judiciaire).

Certains voisins acceptent de témoigner publiquement en faveur de l’ex-aveugle en proclamant publiquement : « c’est lui ». D’autres ne veulent pas l’admettre, et contre toute évidence inventent une explication un peu bricolée : « c’est quelqu’un qui lui ressemble ». Pseudo-explication que l’on retrouve d’ailleurs dans la tradition musulmane, qui prétend que c’est un sosie de Jésus et non Jésus lui-même qui a été cloué sur la croix, sort trop infamant pour un prophète d’Allah. « C’est quelqu’un qui lui ressemble » qui a été crucifié à sa place, affirment-ils en cœur depuis des générations… [1]

La nécessité du témoignage qui s’impose divise donc les voisins : certains assument publiquement, d’autres se défaussent en inventant une version plus ou moins plausible. Ils cherchent à faire rentrer l’évènement de la guérison de l’aveugle dans un cadre qui soit acceptable pour la raison humaine. Ils veulent trouver une explication qui tienne la route : l’homme qui était aveugle n’est pas celui qui voit maintenant. Ce dernier n’a donc pas été guéri parce qu’il n’a jamais été aveugle. Dieu n’a rien à voir avec cette histoire.

De la même manière aujourd’hui, dans notre culture tellement marquée par la science, nous nous méfions – et nous n’avons pas tort – de toute lecture un peu magique ou surnaturelle des événements. Nous n’aimons pas – et nous avons raison – laisser intervenir Dieu trop rapidement dans nos histoires. Nous cherchons des explications à tout. Mais c’est au risque quelquefois de devenir des esprits étroits et matérialistes qui ne savent plus accueillir la part de mystère dans nos vies ni voir l’impact de Dieu dans l’existence d’un homme.

Nous sommes ces voisins : le devoir du témoignage au sujet de l’action du Christ nous divise. Certains osent, d’autres n’osent pas ; à tel moment ce courage nous est donné, et à tel autre non.

Refus de témoigner. Une jeunessePuis vient le non-témoignage des parents, peut-être le pire. En effet, quel père ou quelle  mère ne voudrait pas prendre parti pour son enfant afin de le tirer d’un mauvais piège tendu par des accusateurs assez fourbes pour déformer la réalité ? Eh bien, ceux-là ne veulent pas prendre de risques. Le risque, c’est celui d’être exclu de la synagogue, donc de la communauté (et du salut), comme le sont les disciples du Christ depuis la décision du grand Sanhedrin à Jamnia vers 70, comme le fils jeté « hors de la vigne » dans la parabole des vignerons  homicides, comme Jésus jeté « hors de la ville » pour être crucifié à l’extérieur de Jérusalem sur le mont Golgotha. Ils ont peur ces parents-là, pas pour leur fils mais pour eux-mêmes. On les comprend. Rares étaient ceux qui, soumis à l’interrogatoire des nazis,  refusaient de livrer un ami, un proche, un camarade. Ce faisant, les parents de l’ex-aveugle  le jettent symboliquement dehors, hors de leur famille : « il est assez grand pour s’expliquer tout seul. Nous ne voulons plus être mêlés à cette affaire ».

Nous sommes ces parents, tremblant de peur prendre des risques pour le Christ, n’osant  pas déposer publiquement en sa faveur. Le non-témoignage est presque pire que l’accusation, surtout de la part de proches. C’est la lâcheté ordinaire, discrète, apparemment insignifiante, qui participe pourtant de cette réaction en chaîne conduisant les innocents à être  injustement accusés, condamnés, « jetés dehors »…

Nous avons tant à perdre que détourner la tête des injustices est plus prudent. Nous tenons tant à notre tranquillité que témoigner pour le Christ nous paraît exagéré, presque fanatique, surtout en ces temps où les religions sont priées de se taire dans l’espace public. Mais c’est impossible ! « Si eux se taisent, les pierres crieront ! » a prévenu le Christ (Lc 19,40).

Témoigner à la barre du procès Jésus – qui est toujours en cours aujourd’hui – fait partie intégrante de notre vocation de baptisés.

 

Trois dimensions du témoignage

Trois aspects, trois conditions de notre témoignage en faveur du Christ méritent d’être détaillés :

1) – avoir quelque chose à raconter

2) – se risquer à prendre parti

3) – assumer les conséquences de son témoignage


1) Avoir quelque chose à raconter

M Truc, dites-nous pourquoi le Christ est vraiment lumière pour votre existence ?
Mme Machin, racontez-nous ce qui vous amène à croire que ce Jésus a traversé la mort ? …
Si M. Truc bredouille deux ou trois formules toutes faites du genre: « Dieu est lumière », on va lui répondre: « baratin, tout çà ».
Si Mme Machin bégaie que c’est ce qu’on lui a appris depuis toujours, on va lui dire : « libérez-vous de votre éducation ». Par contre, s’ils peuvent dire : « à tel moment il s’est passé telle chose dans ma vie, et voilà ce que l’Évangile a changé dans ma manière de vivre à partir de là ». « Telle personne, telle discussion, tel livre, telle musique m’ont profondément bouleversé et dans la prière, dans la Bible, dans l’Église, j’ai trouvé une signification, une énergie, un dynamisme nouveau ».

La force du témoignage, c’est qu’il passe par des évènements concrets, en partie vérifiables, objectifs, et que c’est une parole au singulier. L’aveugle guéri peut raconter sa rencontre de Jésus, la piscine de Siloé etc. « Voilà ce qui m’est arrivé » (à moi, personnellement, ce qui laisse libre l’autre d’interpréter autrement). Par exemple: « avant de connaître le Christ, ma vie n’avait pas de sens. Depuis que je l’ai découvert, je ne vis plus pour l’argent, ni pour le pouvoir ou le confort : ma vie a changé ».

Bien sûr, ce n’est pas toujours aussi net. Bien sûr, il y a des périodes où on ne peut pas citer des transformations spectaculaires. Mais à l’échelle d’une vie, il y a bien quelques évènements-clés qui continuent à imprimer leur marque des années après. A bien y réfléchir, il y a eu quelques tournants dont je me souviens, quelques éblouissements en forme de comète, dont la queue d’étoiles continue à scintiller, même dans la nuit…

Rendre témoignage au Christ demande de pouvoir faire le récit de ce que j’ai vécu avec lui, de ce qu’il me permet aujourd’hui d’expérimenter…et ce témoignage peut s’élargir à celui d’une communauté, d’un groupe, d’une équipe, de notre Église qui raconte comment dans sa propre histoire elle a expérimenté la puissance du Christ à travers sa faiblesse.

Et vous, quels passages de votre histoire avez-vous à verser au dossier de la défense de Jésus, dans son procès qui reste encore ouvert dans ce monde ?

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2) Se risquer à prendre parti

Femme Débardeur sans Manche Amour Jésus Christ, Religion Chrétienne - Pâques, Résurrection, Nativité, Idées Cadeaux Religieux (Small Blanc Bleu)Le témoin du Christ ne peut rester extérieur à ce qu’il raconte.
Il s’implique, et il est impliqué par les autres. Impossible de déposer pour la Résurrection de Jésus sans être classé parmi les partisans du Christ. Le témoin est obligé à un moment donné de s’engager, dans le respect de la liberté des autres. Comme le dit l’aveugle-né guéri par Jésus : « vous avez beau l’accuser. Moi je sais ce que j’ai vécu : j’étais aveugle; grâce à lui je vois. Pour moi il est la lumière du monde. »
Il y a quelquefois des discussions mondaines où il vaut mieux ne pas témoigner plutôt que d’en rester à un discours superficiel où personne ne dit « je ».
Témoigner, c’est prendre un risque, se risquer.
Impossible de rester neutre. Mais prendre le parti du Christ demande de le faire avec infiniment de respect et de douceur…


3) Assumer les conséquences de son témoignage

Si mon témoignage m’implique, je dois me préparer à en assumer les conséquences. Si c’est du Christ dont je témoigne, je reconnais aussitôt mes contradictions, mes décalages personnels par rapport à Celui que je défends. Comme le reconnaît Jean-Baptiste, « je ne suis pas la lumière, mais je rends témoignage à la lumière ».

Conséquences face à des faits et à accepter la conséquence d'actes de prendre et faire face à des responsabilités Banque d'images - 51140974

Deux conséquences :

- Ne pas attendre d’être parfaits pour témoigner, car c’est un autre que moi-même que j’annonce.
C’est une fausse humilité de se défausser de sa propre indignité pour échapper au devoir de témoignage.
C’est une erreur de croire que nos contradictions nous interdisent de parler.
Si un fou a été en Chine et en parle abondamment, ce n’est pas parce qu’il est fou qu’on doit en déduire que la Chine n’existe pas…

Un siècle de témoins par Rance- Se souvenir que le témoignage se dit « martyr » en grec.
C’est toujours un choc lorsque les parents d’un baptême s’aperçoivent que le prénom qu’ils ont donné à leur enfant est la plupart du temps le prénom de quelqu’un qui a été martyrisé : Pierre (crucifié la tête en bas), Paul (décapité), Agnès (égorgée), Laurent (grillé vif)… Loin de protéger, le baptême de ces témoins les a au contraire exposés au martyr, et c’est là finalement une dimension logique de la condition chrétienne.

Rassurez-vous, le martyr actuel chez nous n’est pas de sang (ce qui n’est pas le cas, hélas, dans bien d’autres pays du monde). Mais c’est un martyr soft, fait d’indifférence polie, de dérision médiatique, de marginalisation folklorique, de faux procès historiques…

Un témoin appelé à la barre peut facilement être traité comme l’accusé qu’il défend. Le Christ avait prévenu ses disciples : « ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront également », « le monde vous haïra », « les pères livreront leurs fils, les fils leurs pères »…
Il y a beaucoup d’époques de l’histoire de l’Église où demander le baptême était synonyme d’emprisonnement, de représailles familiales, de carrière brisée, de prison, de torture même. Hélas, c’est toujours vrai dans de nombreuses contrées du monde.

Réjouissons du beau risque de la foi de notre baptême, et reprenons conscience de la force du témoignage en faveur du Christ, de son urgence pour aujourd’hui…

 

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[1]. « Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié ; mais ce n’était qu’un faux semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l’incertitude : ils n’en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l’ont certainement pas tué Mais Allah l’a élevé vers lui, et Allah est puissant et sage » (Sourate 4, 157-158).

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

David reçoit l’onction comme roi d’Israël (1 S 16, 1b.6-7.10-13a)

Lecture du premier livre de Samuel

En ces jours-là, le Seigneur dit à Samuel : « Prends une corne que tu rempliras d’huile, et pars ! Je t’envoie auprès de Jessé de Bethléem, car j’ai vu parmi ses fils mon roi. » Lorsqu’ils arrivèrent et que Samuel aperçut Éliab, il se dit : « Sûrement, c’est lui le messie, lui qui recevra l’onction du Seigneur ! » Mais le Seigneur dit à Samuel : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l’ai écarté. Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. » Jessé présenta ainsi à Samuel ses sept fils, et Samuel lui dit : « Le Seigneur n’a choisi aucun de ceux-là. » Alors Samuel dit à Jessé : « N’as-tu pas d’autres garçons ? » Jessé répondit : « Il reste encore le plus jeune, il est en train de garder le troupeau. » Alors Samuel dit à Jessé : « Envoie-le chercher : nous ne nous mettrons pas à table tant qu’il ne sera pas arrivé. » Jessé le fit donc venir : le garçon était roux, il avait de beaux yeux, il était beau. Le Seigneur dit alors : « Lève-toi, donne-lui l’onction : c’est lui ! » Samuel prit la corne pleine d’huile, et lui donna l’onction au milieu de ses frères. L’Esprit du Seigneur s’empara de David à partir de ce jour-là.

 

PSAUME

(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer. (cf. Ps 22, 1)

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera » (Ep 5, 8-14)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière – or la lumière a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité – et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur. Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres, elles ne produisent rien de bon ; démasquez-les plutôt. Ce que ces gens-là font en cachette, on a honte même d’en parler. Mais tout ce qui est démasqué est rendu manifeste par la lumière, et tout ce qui devient manifeste est lumière. C’est pourquoi l’on dit : Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera.

 

ÉVANGILE

« Il s’en alla et se lava ; quand il revint, il voyait » (Jn 9, 1-41)
Gloire et louange à toiSeigneur Jésus. !Moi, je suis la lumière du monde, dit le Seigneur. Celui qui me suit aura la lumière de la vie. Gloire et louange à toiSeigneur Jésus ! (Jn 8, 12)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler. Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle, et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé. L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.

Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant – car il était mendiant – dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? » Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais lui disait : « C’est bien moi. » Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? » Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : ‘Va à Siloé et lave-toi.’ J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. » Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. »

 On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle. Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir. Il leur répondit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. » Parmi les pharisiens, certains disaient : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » D’autres disaient : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés. Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. » Or, les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle et que maintenant il pouvait voir. C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’à présent il voie ? » Les parents répondirent : « Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer. » Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ. Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »

Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. » Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. » Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? » Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? » Ils se mirent à l’injurier : « C’est toi qui es son disciple ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. » L’homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux. Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Ils répliquèrent : « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.

 Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors. Il le retrouva et lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. » Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.

Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? » Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : ‘Nous voyons !’, votre péché demeure. »
Patrick Braud

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13 mars 2020

Macron, la crise, le coronavirus : quelques enjeux spirituels

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 17 h 23 min

Macron, la crise, le coronavirus : quelques enjeux spirituels

Hier soir (12/03/2020), le président Macron a prononcé une allocution solennelle suivie par plus de 25 millions de Français (un record).

Macron Coronavirus 120320Quand on fait un nuage de mots à partir du texte prononcé (cf. image ci-contre), on constate que c’est autant un discours sur l’Europe (18 fois) que sur le virus (17 fois), que l’enjeu central est la crise (10 fois) avec les mesures (12 fois) à prendre pour protéger (11 fois) la santé (12 fois) de tous, et continuer (10 fois) à vivre.

·      La référence constante à l’Europe montre à l’évidence que l’angle d’attaque était d’abord politique, ce qui après tout convient bien à la parole d’un président.

·      Le mot virus, évidemment incontournable, a quant à lui une connotation médicale, mais pas uniquement. En latin, virus signifie : suc, jus, poison. C’est une substance qui s’écoule insidieusement et qui peut compromettre la santé, autre mot-clé qui vient du latin sanus (sain) – sanitas (santé). Parler de virus implique donc que rode un danger sournois menaçant notre intégrité physique, qui nous empêche d’être sains. Impossible d’être un optimiste béat devant la nature lorsqu’on traque ces bêtes minuscules au microscope : la nature est pour une part hostile à l’homme. Nous l’avions oublié avec le progrès technique triomphant ou l’écologie mettant Gaïa avant l’homme. Ce monde nous est donné comme un lieu de combat contre la maladie et la mort. Nous n’y sommes les bienvenus qu’en restant sur nos gardes, notre intelligence en éveil pour déjouer les pièges de nos prédateurs petits et grands.

La pénibilité de l’existence nous revient soudain en pleine figure. Un récit de la Genèse évoque la peine qui traverse notre être-au-monde, depuis qu’Adam et Ève ont été symboliquement expulsés du jardin d’Éden (Gn 3, 23-24). Gagner son pain à la sueur de son front et accoucher dans la douleur sont deux figures bibliques que nous appellerions aujourd’hui fragilité et finitude de l’humanité. Comme la peste noire du XIV° siècle ou la grippe espagnole de 1918 avant lui, le coronavirus nous rappelle que nous sommes fragiles, mortels, vulnérables à ces poisons qui circulent entre nous à notre insu.

Il y a une dimension spirituelle à se souvenir de ce « fauve qui rôde, cherchant qui dévorer » (1P 5,8). Le virus est en ce sens une allégorie du péché – ce vieux mot que les économistes ou les politiques voudraient obsolète – capable de compromettre la santé spirituelle de chacun et de tous. Essayez d’effacer le péché de notre horizon nous condamne à le voir revenir plus fort encore, à l’image des sept démons dont parle Jésus (Mt 12, 43-45). La mobilisation générale antivirus nous redit l’importance et l’urgence du combat contre le péché, sans qu’il y ait aucun lien de causalité entre les deux, bien sûr. Vaincre le mal sous toutes ses formes est un enjeu de survie physique, morale et spirituelle.

·      D’ailleurs, l’usage des mots protéger et continuer par le Président de la République disent bien que persévérer dans l’être (comme dirait Heidegger) n’est pas automatique et ne se fera pas sans notre volonté, notre courage, notre intelligence.

Protéger sa santé pour continuer à vivre : voilà également un programme à tonalité très spirituelle ! Parce que nous minimisons les menaces qui pèsent sur notre vie spirituelle, nous nous exposons à être emportés très vite à tous les vents des modes qui nous éloignent de Dieu. Le Carême est là pour nous inviter à prendre des mesures, tout aussi drastiques que celle du gouvernement en période de pandémie, pour préserver et sanctuariser ce qui nous fait vivre : la Bible, les relations fraternelles, la faim et la soif de Dieu…

·      Un autre mot présidentiel résonne très fort dans la culture chrétienne : crise. On connaît les deux significations du mot en grec krisis : jugement, et discernement (tamis). Pour les Pères de l’Église, la croix du Christ est la crise révélant le cœur et les pensées, la droiture de chacun, avec des surprises comme le bon larron ou le centurion romain se rangeant du côté du crucifié, et au contraire Pilate et la foule hostiles. La crise du coronavirus sert de révélateur de l’envers de la mondialisation à marche forcée, de l’importance du sain, du local dans notre alimentation, et remet en cause les dogmes de Maastricht sur les 3 % du déficit budgétaire. Un moment de crise dévoile ainsi des ressorts cachés, des conséquences oubliées. En ce sens une crise est toujours spirituelle pour partie : elle permet de passer au tamis les croyances de son temps, de ne retenir que ce qui est bon et de laisser tomber ce qui paraît corrompu ou futile à la lumière des événements. Si la crise du coronavirus peut nous aider à changer nos habitudes de consommation, de déplacement, de production alors elle n’aura pas été inutile. La crise peut déclencher une conversion des mœurs, des habitudes, des pensées, et toute conversion a une dimension spirituelle.

·      Discerner avec sagesse ce qui est sain de ce qui ne l’est pas a bien quelque chose à voir avec la sagesse du roi Salomon, ou la capacité de discernement que donne l’Esprit de Dieu. Ce n’est pas seulement un acte économique ou logistique, c’est un choix, à la lumière de la crise, qui n’est pas sans rappeler le choix fondamental que Dieu met devant Israël : « j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité » (Dt 30,19). Choisir de délocaliser ou non des productions vitales, choisir de privilégier ou non des circuits courts, choisir ou non de voyager autrement, parler comme Emmanuel Macron de souveraineté, d’autres échanges, d’indépendance nationale : tous ces choix que nous évaluons à nouveau en pleine conscience grâce à la crise relèvent de notre désir de bonne santé pour l’homme, tout l’homme, tous les hommes (selon la belle expression de Paul VI).

« Le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique. Pour être authentique, il doit être intégral, c’est-à-dire promouvoir tout homme et tout l’homme. Comme l’a fort justement souligné un éminent expert : « Nous n’acceptons pas de séparer l’économique de l’humain, le développement des civilisations où il s’inscrit. Ce qui compte pour nous, c’est l’homme, chaque homme, chaque groupement d’hommes, jusqu’à l’humanité tout entière ».
C’est un humanisme plénier qu’il faut promouvoir.
Qu’est-ce à dire, sinon le développement intégral de tout l’homme et de tous les hommes ?» (Popularum Progressio n° 14. 44.45, 1967).

·      Il manque un mot important dans le discours présidentiel. Un mot qui fait peur mais qui est pourtant à la une en Chine et en Italie depuis des semaines. C’est le mot confinement. On était habitué à l’utiliser pour le nucléaire,  car l’enceinte de confinement d’un réacteur nucléaire est le bâtiment étanche entourant complètement le réacteur. Ici, le confinement est une mesure spectaculaire qui oblige des millions de Chinois et d’Italiens à vivre dans quelques mètres carrés sans sortir ni voir d’autres personnes pendant 14 jours au moins. Confinement vient du latin cum = avec et finis = limites (confins), ce qui signifie « à l’intérieur des limites connues », au sein des frontières. Vivre aux confins du monde connu était autrefois ce qui a donné son nom au Finistère (la terre de la fin)… Être confiné dans son logement, c’est redécouvrir qu’il y a des frontières salutaires, des solitudes nécessaire, des barrières à ne pas franchir. Parce que le confinement est difficile à supporter, il nous fait ressentir en creux combien nous sommes faits pour l’échange, la relation, le dialogue en face-à-face réel. Parce que le confinement est salutaire, il nous ramène également à l’intériorité, à la capacité d’habiter nos solitudes, à accepter nos limites, nos frontières, notre finitude. Si le confinement devient une purge des toxines d’une mondialisation débridée, s’il limite notre surconsommation de tout, alors un autre capitalisme pourra peut-être voir le jour après la crise. On pense au jeûne du Carême, salutaire pour la vie spirituelle. On pense aux retraites dans le cloître d’un monastère : se restreindre volontairement quelques jours permet de retrouver entre ses murs une respiration et une liberté intérieure sans égales. Le confinement dans un cluster ou un pays entier demande à chacun, chaque famille, chaque ville ou région non de se replier sur soi mais de retrouver la joie de vivre avec soi-même sans tout demander aux autres, sans s’épuiser à accumuler des choses, sans se disperser en mille soi-disant relations, en vérité très futiles, superficielles et légères…
« Il faut cultiver notre jardin », écrivait Voltaire.
Et Blaise Pascal diagnostiquait avec finesse : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »


Si la quarantaine peut nous tourner vers notre jardin intérieur, pourquoi ne pas l’accueillir avec joie ?

·      Crise, virus, santé, protéger, continuer, confiner : ces mots de la période actuelle peuvent – malgré les souffrances et les morts des victimes du coronavirus – réveiller notre soif d’être au monde autrement que comme consommateurs et prédateurs. Et cela, c’est un combat authentiquement spirituel…

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8 mars 2020

Augustin commente la Samaritaine

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Augustin commente la Samaritaine

Homélie du 3° dimanche de Carême / Année A
15/03/2020

Cf. également :

Le chien retourne toujours à son vomi
Leurre de la cruche…
Les trois soifs dont Dieu a soif


Je veux éclairer quelqu’un, mais ce quelqu’un me manque

Une fois n’est pas coutume, laissons la parole à Saint Augustin lorsqu’il commente (15° Traité) l’Évangile de Jean, et particulièrement notre épisode de la Samaritaine de ce Dimanche  (Jn 4, 5-42). Les Pères de l’Église comme saint Augustin pratiquent une exégèse très souvent allégorique : ils voient en chacun des personnages ou objets d’une scène d’évangile la figure de personnes ou de traits de caractère qui parleront à leurs auditeurs.

Suivons quelques extraits du commentaire de l’évangile selon saint Jean par St Augustin, afin de nous familiariser avec ce type de lecture, et pourquoi pas de la pratiquer encore pour nous aujourd’hui.

Le texte dit que Jésus fatigué s’assit au bord de la route. Augustin commente :

Augustin commente la Samaritaine dans Communauté spirituelle 41WD87u0I9L._SX332_BO1,204,203,200_N° 6. C’est pour toi, mon frère, que Jésus est fatigué du chemin. Nous voyons en Jésus, et la force et la faiblesse : il nous apparaît tout à la fois puissant et anéanti.
N° 7. Jésus-Christ s’est fait infirme pour nourrir des infirmes, pareil en cela à la poule qui nourrit ses poussins.
Voilà l’image de l’infirmité de Jésus fatigué par le chemin. Son chemin, c’est la chair qu’il a prise pour notre amour. […] Puisqu’il a daigné venir parmi nous en prenant un corps, en se montrant dans la forme de serviteur, son incarnation est donc son chemin. C’est pourquoi « la fatigue qu’il a ressentie du chemin » n’est autre chose que la fatigue résultant pour lui de son Incarnation. L’infirmité de Jésus-Christ vient donc de son humanité; mais ne t’affaiblis pas toi-même. Que l’infirmité de Jésus-Christ soit ta force ; car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que tous les hommes.

Le chemin emprunté par Jésus sur lequel il fatigue devient pour Augustin l’incarnation du Verbe de Dieu dans laquelle il assume toutes nos faiblesses et nos fatigues. C’est donc que nous devons nous aussi assumer les peines et les fatigues, « les joies et les espoirs, les angoisses et les tristesses des hommes de ce temps » (Vatican II, Gaudium et Spes) avec qui nous faisons route. Jean-Paul II disait avec force : « l’homme est la route de l’Église » (Centesimus Annus, ch. 6, 1991). Annoncer l’Évangile demande donc de cheminer, faire route avec, jusqu’à éprouver les mêmes peines, les mêmes difficultés et épreuves de ceux vers qui nous somme envoyés. Impossible d’évangéliser ‘de l’extérieur’ : c’est en chemin que surviennent les rencontres où le Christ partage en plénitude l’eau véritable : l’Esprit Saint, et la vraie nourriture : la parole de Dieu. La catéchèse dite « de cheminement » trouve là ses lettres de noblesse [1].

Le texte continue : « vers la sixième heure ».

Augustin commente :

Sandro Botticelli 050.jpgN° 9. Mais pourquoi la sixième heure ? Parce que c’était le sixième âge du monde. Dans le langage de l’Évangile, on doit regarder comme une heure le premier âge qui va d’Adam à Noé, le second qui va de Noé à Abraham, le troisième qui va d’Abraham à David, le quatrième qui va de David à la capitale de Babylone, le cinquième qui va de la captivité de Babylone au baptême de Jean; le sixième enfin, qui a cours maintenant. Y a-t-il en cela de quoi t’étonner? Jésus est venu, il est venu près d’un puits, c’est-à-dire qu’il s’est humilié; il s’est fatigué à venir, parce qu’il s’est chargé du poids de notre faible humanité. Il est venu à la sixième heure, parce que c’était le sixième âge du monde. Il est venu près d’un puits, parce qu’il est descendu jusque dans l’abîme qui faisait notre demeure. C’est pourquoi il est écrit au psaume: « Du fond de l’abîme, Seigneur, j’ai crié vers toi ». Enfin il s’est assis près d’un puits, car je l’ai dit déjà, il s’est humilié.

Cette interprétation sur les six âges du monde nous laisse aujourd’hui un peu sceptiques il faut l’avouer. C’est pourtant une manière d’évoquer la patience et la pédagogie de Dieu envers l’humanité, envers tous et chacun. Car nous avons nous aussi notre sixième âge, c’est-à-dire la période de notre vie où enfin nous sommes plus disponibles pour écouter, recevoir, nous laisser guider.
Signalons également que cette lecture allégorique des six âges du monde rend l’Église indissociablement solidaire de l’histoire juive, de la « préparation évangélique » dont les prophètes, les sages et les grands rois ont été les auteurs. Ce qui d’une part devrait nourrir notre amour de l’Ancien Testament, et d’autre part nous éviter toute forme d’antisémitisme, au contraire !

 

N° 10. « Vint une femme ». Figure de l’Église non encore justifiée, mais déjà sur le point de le devenir, car cette justification est l’œuvre de la parole. Elle vient dans l’ignorance de ce qu’était Jésus ; elle le trouve, il entre en conversation avec elle.

Instinctivement, Augustin identifie la femme de Samarie avec l’Église, qui porte en elle la soif des peuples et la conduit au Christ. Ce n’est pas elle qui a l’initiative, mais le Messie qui entre en conversation avec elle. Entrer en conversation avec l’autre est dès lors le type même de la mission chrétienne. Le pape Paul VI l’écrivait dans son encyclique Ecclesiam Suam (n° 67, 1964) : « L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation. ». Nous l’avons peut-être trop oublié en cette période où les crises médiatiques et le repli identitaire sur des communautés minoritaires risquent de nous éloigner de la passion de la conversation qui animait le Christ.

ob_79a809_90073826-o Augustin dans Communauté spirituelleN° 16. Qu’est-ce à dire : « Celui qui boira de cette eau aura encore soif ? » Parole véritable, si on l’applique à cette eau véritable encore, si un l’applique à ce dont elle était la figure. L’eau, au fond de ce puits, c’est la volupté du siècle dans sa ténébreuse profondeur. La cupidité des hommes, voilà le vase qui leur sert à y puiser. Leur cupidité les fait pencher vers ces profondeurs jusqu’à ce qu’ils en touchent le fond et y puisent le plaisir; mais toujours la cupidité marche et précède. Car celui qui ne fait pas d’abord marcher la cupidité ne peut arriver au plaisir. Supposez donc que la cupidité est le vase avec lequel on puise, et que l’eau que l’on doit tirer du puits c’est le plaisir lui-même, et le plaisir mondain que l’on goûte, c’est le boire, le manger, le bain, les spectacles, l’impureté ; celui qui s’y adonne n’en sera-t-il plus désormais altéré ? Donc Jésus dit avec raison : « Celui qui boira de cette eau aura encore soif ».

Augustin voit dans l’eau du puits le plaisir mondain, que l’humanité va puiser avec cupidité, figurée par la cruche de la Samaritaine. Courir après les honneurs, la gloire, l’argent, tout cela épuise le désir véritable de l’homme qui se trompe ainsi de cible, n’est jamais étanché, et devient addict à cette eau pourtant croupie et stagnante, au point de répéter sans cesse les mêmes dérives frénétiques. Poursuivre des objectifs trop matériels devient une drogue dure, et celui qui s’y adonne ne se rend même plus compte de l’état de dépendance dans lequel il est tombé. Il gaspille son argent, son énergie, ses talents à reproduire sans cesse les mêmes comportements pourtant déshumanisants et incapables de satisfaire son désir le plus vrai.

N° 17. Ce que promettait donc Notre-Seigneur, c’était la plénitude et la satiété dont le Saint-Esprit est l’auteur.

Pour Augustin comme pour toute la tradition chrétienne, le seul bien véritable est l’Esprit Saint, la seule sagesse est spirituelle, le vrai trésor est celui de la communion avec Dieu qui est la marque de l’Esprit en nous. Notre prière de demande culmine et se résume finalement à celle que Salomon faisait à YHWH : « Donne-moi la sagesse assise près de toi », et ici la sagesse c’est l’Esprit en personne.

Une lecture « pertinente » du dialogue de Jésus et de la Samaritaine ( Jean 4, 1-42 )N° 18. Donc, mes frères, prêtons l’oreille et tâchons de comprendre ce que Notre-Seigneur dit à cette femme : « Appelle ton mari ». Ce mari de notre âme, cherchons à le connaître. Pourquoi Jésus ne serait-il pas le véritable époux de notre âme ? Puissiez-vous me bien comprendre ! Car ce que j’ai à dire ne peut être compris, même par les personnes attentives, que dans une faible mesure. Puissiez-vous me comprendre et l’intelligence de mes paroles sera peut-être l’époux de vos âmes.

L’identification du mari au Christ, époux de l’âme, est déjà classique au IV° siècle. Augustin la reprend sans s’y attarder. C’est néanmoins une voie mystique toujours féconde : « épouser » le Christ, en faire notre compagnon, notre frère, notre inspiration.


N° 19. Cette lumière, c’était le Christ, cette lumière s’entretenait avec la Samaritaine, mais cette femme était absente par son entendement; son intelligence ne pouvait être éclairée par cette lumière ; elle était incapable, non pas d’en recevoir les rayons, mais de les percevoir. Aussi, comme pour lui dire : je veux éclairer quelqu’un, mais ce quelqu’un me manque, il lui adresse ces paroles: « Appelle ton mari », appelle ton entendement afin qu’il t’instruise et te gouverne. Représente-toi donc l’âme séparée de l’entendement sous l’emblème d’une femme, et l’entendement sous l’emblème de son mari.

L’interprétation d’Augustin est assez étonnante pour nous : il considère que cette femme a perdu l’entendement en se perdant à la recherche du plaisir des cinq sens ; le Christ la tire de cette fascination en lui rappelant que son vrai mari est la raison éclairée par l’Esprit. Il lui demande de retrouver toute sa tête en quelque sorte, c’est-à-dire de faire appel à son intelligence (de la tête et du cœur) pour ouvrir les yeux sur sa condition d’esclave, écouter la parole libératrice l’appelant à devenir tout elle-même et pas seulement ses 5 sens.

N° 21. Plusieurs ont cru, non sans fondement et même avec une certaine probabilité, voir dans les cinq maris de cette femme les cinq livres de Moïse. En effet, ils étaient reçus des Samaritains et formaient leur loi comme celle des Juifs : voilà sans doute pourquoi la circoncision était en usage chez ces deux peuples ; mais à cause de la difficulté que présentent les paroles suivantes : « Et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari », nous pouvons plus aisément comprendre, ce me semble, que, sous l’emblème des cinq premiers maris, les cinq sens du corps sont désignés comme les époux de l’âme. […]

C’est Dieu qui les a formés, c’est Dieu qui les a donnés à l’âme. Elle est infirme tant qu’elle demeure sous la loi des sens et qu’elle agit sous l’autorité de ces cinq maris ; mais aussitôt que le temps est venu de délivrer la raison de leur influence, si l’âme se laisse diriger par une règle de conduite supérieure, et par les leçons de la sagesse, alors succèdent à l’empire et à l’influence des sens l’empire et l’influence d’un seul véritable et légitime mari, meilleur que les autres; et ce mari la gouverne mieux, la dirige, la cultive, la prépare dans le sens de l’éternité.

Les cinq premiers maris auxquels cette femme s’est donnée, et qui n’en étaient pas vraiment, sont donc pour Augustin les 5 sens qui ont gouverné sa vie déréglée jusqu’à présent. Il mentionne quand même une autre interprétation très courante où les cinq maris représentent la Torah juive, c’est-à-dire le régime de la Loi sous lequel les juifs ont vécu jusqu’à présent, mais qui avec le Christ va être accompli dans le régime de l’Esprit. Les  deux interprétations bien sûr ne s’excluent nullement. Mais on voit qu’ici Augustin s’adapte à son auditoire et tente d’appuyer son annonce de l’Évangile sur une anthropologie très parlante pour ses contemporains, beaucoup plus que sur une histoire juive inconnue et peu parlante pour ses concitoyens de Carthage en Afrique du Nord. À nous également d’aller puiser dans la culture de nos auditeurs ce qui pourra faire écho à l’Évangile et réciproquement, pour que chacun entende l’Évangile dans sa langue maternelle, comme à Pentecôte.

goulet-vase-pot-cruche-terre-egypte-ancienne-antique- eauN° 30. « Cette femme donc laissa là sa cruche ». Après avoir entendu ces paroles : « Moi qui te parle, je suis le Christ », et reçu dans son cœur le Christ Notre-Seigneur, qu’avait-elle de plus à faire qu’à laisser là sa cruche et à courir annoncer qu’il était venu ? Elle se débarrasse au plus vite de sa cupidité, elle se hâte d’aller annoncer la vérité : grande leçon pour ceux qui veulent annoncer l’Évangile ! Qu’ils laissent là leur cruche. Rappelez-vous ce que je vous ai précédemment dit sur cet objet. C’était un vase destiné à puiser l’eau; il tire son nom du grec hydria, parce que dans cette langue le mot udor signifie eau ; c’est donc comme si l’on disait : réservoir d’eau. Elle laisse là sa cruche qui, loin de lui être utile, devient pour elle un fardeau; car elle n’a plus qu’un désir, celui de boire à longs traits l’eau dont lui a parlé le Christ.

La cruche figure pour Augustin la cupidité, c’est-à-dire la convoitise, avec sa répétition convulsive de l’acte de prendre au lieu de recevoir. L’abandon de la cruche est donc pour lui ce que nous appellerions aujourd’hui en termes psychanalytiques le passage du besoin au désir, de l’imaginaire au symbolique. La cruche, dont les anses et la courbure figurent bien les hanches caractéristiques de la féminité dans l’antiquité, est abandonnée par la femme, qui donc va rechercher d’autres étreintes, d’autres communions que celles qui se succédaient auparavant pour elle avec un goût amer. L’eau vive ne s’enferme pas dans un vase, elle se déverse en torrents sur nos têtes, mieux elle coule en source inépuisable au-dedans de nous. Ainsi est l’Esprit Saint dont Jésus nous révèle la présence intérieure, à la manière de Bernadette Soubirous grattant le sol de la tutte aux cochons pour laisser sourdre l’eau du Gave, fraiche, limpide et pure.

Ces quelques extraits du commentaire de Saint Augustin ne peuvent évidemment pas épuiser la richesse de toutes les significations cachées dans cet épisode de la Samaritaine. Ils peuvent néanmoins nous donner le goût de pratiquer nous aussi une telle exégèse symbolique. Le trésor caché au creux des versets évangéliques est multiple, polysémique. Chaque âge de l’humanité peut y puiser pour faire du neuf avec de l’ancien, et convertir les soifs de nos contemporains, celles qui leur laissent comme à la Samaritaine un goût amer dans la bouche après y avoir goûté…


[1]. Cf. Luc Aerens, Catéchèse de cheminement. Pédagogie pastorale pour mener la transition en paroisse, Ed. Lumen vitae, 2003.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Donne-nous de l’eau à boire » (Ex 17, 3-7)

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, dans le désert, le peuple, manquant d’eau, souffrit de la soif. Il récrimina contre Moïse et dit : « Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? » Moïse cria vers le Seigneur : « Que vais-je faire de ce peuple ? Encore un peu, et ils me lapideront ! » Le Seigneur dit à Moïse : « Passe devant le peuple, emmène avec toi plusieurs des anciens d’Israël, prends en main le bâton avec lequel tu as frappé le Nil, et va ! Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau, et le peuple boira ! » Et Moïse fit ainsi sous les yeux des anciens d’Israël.
Il donna à ce lieu le nom de Massa (c’est-à-dire : Épreuve) et Mériba (c’est-à-dire : Querelle), parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au Seigneur, et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve, en disant : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? »

 

PSAUME

(Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur ! (cf. Ps 94, 8a.7d)

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

 

DEUXIÈME LECTURE

« L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 1-2.5-8)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, nous qui sommes devenus justes par la foi, nous voici en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, lui qui nous a donné, par la foi, l’accès à cette grâce dans laquelle nous sommes établis ; et nous mettons notre fierté dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu. Et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs.

 

ÉVANGILE

« Une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle » (Jn 4, 5-42)
Gloire au Christ,Sagesse éternelle du Dieu vivant.Gloire à toi, Seigneur.Tu es vraiment le Sauveur du monde, Seigneur ! Donne-moi de l’eau vive : que je n’aie plus soif. Gloire au Christ,Sagesse éternelle du Dieu vivant.Gloire à toi, Seigneur. (cf. Jn 4, 42.15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

 En ce temps-là, Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi. Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. » – En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions. La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains. Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? » Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. » La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. » Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari, et reviens. » La femme répliqua : « Je n’ai pas de mari. » Jésus reprit : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari : des maris, tu en a eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai. » La femme lui dit : « Seigneur, je vois que tu es un prophète !… Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. » Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. » Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. » À ce moment-là, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme. Pourtant, aucun ne lui dit : « Que cherches-tu ? » ou bien : « Pourquoi parles-tu avec elle ? »
La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers lui.
 Entre-temps, les disciples l’appelaient : « Rabbi, viens manger. » Mais il répondit : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. » Les disciples se disaient entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? » Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. Ne dites-vous pas : ‘Encore quatre mois et ce sera la moisson’ ? Et moi, je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs déjà dorés pour la moisson. Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit en même temps que le moissonneur. Il est bien vrai, le dicton : ‘L’un sème, l’autre moissonne.’ Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucun effort ; d’autres ont fait l’effort, et vous en avez bénéficié. »
 Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus, à cause de la parole de la femme qui rendait ce témoignage : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. » Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y demeura deux jours. Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui, et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »
Patrick BRAUD

 

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1 mars 2020

Abraham, comme un caillou dans l’eau

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Abraham, comme un caillou dans l’eau

Homélie du 2° dimanche de Carême / Année A
08/03/2020

Cf. également :

Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
Bénir en tout temps en tout lieu

Splash sur la surface de l'eau 3d réaliste. couronne liquide bleue, mouvement figé avec des gouttelettes et des vagues Vecteur gratuitAvez-vous déjà observé une pierre tombant dans une eau calme et lisse ? Oui, sans aucun doute ! Vous avez vu alors le point d’impact de la pierre en être bouleversé : un cratère se forme et des gouttelettes d’eau jaillissent en couronne perlée tout autour. Et très vite, des ondes apparaissent, concentriques, se propageant à partir du point d’impact jusqu’à faire rouler les algues et ce qui flotte tout autour. La physique nous a appris que ce n’est pas l’eau qui se déplace en cercles de plus en plus grands, c’est chaque gouttelette d’eau qui est prise dans un mouvement vertical, oscillant de haut en bas jusqu’à ce que l’inertie de l’eau amortisse ce mouvement périodique. Les premiers cercles autour du point de chute paraissent des tsunamis à leur échelle, et transmettent leur énergie de plus en plus loin, de moins en moins haut…

Il y a quelque chose de cette chute d’une pierre dans l’eau avec la promesse que Dieu fait à Abraham dans notre première lecture (Gn 12, 1-4). Chouraqui traduit ainsi :
« Je fais de toi une grande nation. Je te bénis, je grandis ton nom : sois bénédiction. Je bénis tes bénisseurs, ton maudisseur, je le honnirai. Ils sont bénis en toi, tous les clans de la glèbe. »
Le point d’impact, c’est Abraham recevant la bénédiction de Dieu. Les cercles concentriques seront plus tard les 12 tribus issues de lui, puis toutes les nations éclairées par la révélation confiée à Israël. Le Christ ne revendique rien d’autre que d’accomplir pleinement la promesse faite à Abraham d’étendre la bénédiction de Dieu à toutes les nations, par la résurrection offerte à tous.

 

Sois bénédiction

Il y a donc comme une transitivité de la bénédiction : Dieu bénit Abraham qui bénit les nations, en commençant par sa famille, son clan qu’il emmène avec lui vers le mystérieux pays inconnu où Dieu le conduit.
On a longuement développé – à raison – la signification bouleversante (comme la pierre tombant dans l’eau) de l’injonction faite à Abraham : « va vers toi ! » L’appel de Dieu à devenir soi-même est peut-être sa bénédiction la plus intense. Dieu dit du bien (bene–dicere latin) d’Abraham en lui révélant la grandeur de sa vocation : un pays nouveau, un rayonnement universel. En même temps que cet appel à aller vers soi, Dieu formule l’autre appel, symétrique : « sois bénédiction ». Ce que tu as reçu gratuitement, donne-le gratuitement à ton tour. Dis du bien de ceux que tu rencontreras, c’est-à-dire révèle-leur leur dignité, la grandeur de leur qualité d’êtres humains, la beauté qu’ils portent en eux…

Puisque nous sommes enfants d’Abraham et que nous avons part à son héritage (cf. Rm 4), nous recevons nous aussi cet appel à devenir une bénédiction pour tous ceux que nous rencontrons. « Unis à Jésus-Christ, vous êtes tous un. Si vous lui appartenez, vous êtes la descendance d’Abraham et donc, aussi, les héritiers des biens que Dieu a promis à Abraham » (Ga 3, 29).

Que peut signifier concrètement : sois une bénédiction pour chacun d’entre nous ?

L’étymologie nous met sur une première piste : être une bénédiction ambulante, c’est être capable de dire du bien de l’autre. Ce qui demande d’avoir la passion de discerner chez lui ce qui est vrai, beau et grand. Autrement dit, cela demande de la bienveillance (bene -videre en latin) : bénédiction et bienveillances vont bien ensemble ! Or il faut parfois une sacrée dose de patience et de foi pour dénicher en quelqu’un son étincelle divine, alors qu’apparemment il n’est pas aimable, voire repoussant ou haïssable. Mais les éducateurs savent bien que les gamins les plus difficiles sont ceux qui attendent un regard de bienveillance, des paroles de bénédiction, pour découvrir en eux-mêmes une aptitude à la bonté qu’ils ne soupçonnaient pas.

Bénir est donc l’inverse de maudire : dire du mal de l’autre est destructeur, même si le mal constaté est réel, tant que cela n’est pas accompagné par dire du bien. Exercez-vous avec vos enfants, votre conjoint, vos collègues : obligez-vous à ne dire du mal de quelqu’un que si vous êtes capable auparavant d’en dire du bien ! Cherchez une qualité à valoriser, une prédisposition positive à mettre en avant, un effort à saluer, un apport à féliciter. Ensuite vous pourrez reprocher, car alors ce reproche sera perçu sur fond de bénédiction comme un désir de se rapprocher, en justice et en vérité. Devenir une bénédiction ambulante à la manière d’Abraham demande cette acuité du regard et de la parole pour ouvrir à l’autre un chemin de croissance à partir de ce qu’il porte en lui, sans jamais l’enfermer dans le mal commis.

La prière de louange – la plus belle de toutes les prières, celle qui ne finira jamais – nous éduque à cet art de la bénédiction et nous habitue à voir et dire le bien en premier. Celui qui respire au rythme de la louange – celle des psaumes par excellence – s’habitue à espérer en l’autre comme Dieu espère en lui. Sa parole devient constructive, réconfortante tout en étant exigeante, source de courage pour « devenir soi-même ».

 

Bénir, pas bannir ni médire

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En ce sens, ne pas bénir, c’est bannir. La proximité phonétique en français nous donne à penser que ne jamais dire du bien de quelqu’un c’est l’effacer de la vie commune, c’est l’exclure de la reconnaissance accordée aux autres, c’est le frapper de non-existence puisqu’il est non-dit. À l’inverse, bénir c’est ne pas bannir. Ne jamais tirer un trait sur l’autre pour le rayer de sa famille, de sa communauté, de la société au nom du tort qu’il aurait commis. Si Jésus demande de visiter les prisonniers, ce n’est pas parce qu’ils seraient innocents, c’est pour les assurer de leur appartenance au monde des vivants, pour maintenir en eux la possibilité d’une communion authentiquement humaine : pour les bénir. Sans le savoir, les bénévoles des maraudes du SAMU social, des Blouses roses dans les hôpitaux, des Petits Frères des Pauvres auprès des personnes âgées etc. sont des bénédictions ambulantes qui redisent à chaque banni (SDF, malade, vieillard) qu’il est béni. Ils le disent en actes et en paroles, avec des fleurs et avec du pain. Ils retissent patiemment et indéfiniment les liens d’humanité abîmés ou cassés par les événements de la vie de chacun.

Bien sûr, la bénédiction transmise en Abraham a une consistance encore plus dense que cet humanisme pourtant indispensable et déjà salutaire. Car le pays nouveau indiqué à Abraham est finalement le pays de la Résurrection inauguré en Jésus de Nazareth. Transmettre sa bénédiction est donc ouvrir à l’autre la possibilité d’une vie éternelle, partagée en Dieu et à partir de lui. Principal impact de la chute divine (kénose) dans notre humanité, la résurrection du Christ se propage par cercles concentriques à ceux qui se laissent joyeusement bouleverser par cette onde si puissante que rien cette fois-ci n’épuisera son énergie, pas même la mort. De cela nous somme les vecteurs, les transmetteurs, greffés sur Abraham et sur le Christ.

 

Pour toutes les nations

 Abraham dans Communauté spirituelleUn mot enfin sur la destination universelle de cette bénédiction abrahamique. Elle n’est pas la propriété d’Israël. Israël en est au contraire le serviteur. Elle n’est pas destinée aux seuls chrétiens : au contraire, les chrétiens et l’Église reconnaissent que la grâce déborde leurs frontières, et que « l’Esprit souffle où il veut ». Elle est la nappe d’eau disponible à tous les animaux assoiffés du désert. Elle concerne mon ennemi autant que moi. Elle atteint ceux que je ne connais pas, ceux que je ne peux pas atteindre. Elle est pour tous, alors que moi dans ma finitude je ne peux être que pour quelques-uns. Par là-même, elle m’oblige à ne jamais me satisfaire des premiers cercles concentriques auxquels je me limite naturellement. Par là-même, elle m’invite à agir avec d’autres pour démultiplier ensemble notre force de frappe en la matière, notre puissance de bénédiction. La bénédiction papale  « Urbi et Orbi » (à la ville = Rome et au monde) est l’expression spectaculaire de cette responsabilité de l’Église envers tous les peuples : les bénir sans conditions.

Le repli sur soi et sur ses proches est incompatible avec la vocation reçue en Abraham. D’ailleurs, l’Église ne serait pas l’Église si elle n’était pas catholique (du grec kat-olon = selon le tout, la totalité), ouvrant à tous la totalité de la bénédiction se propageant d’Abraham à Jésus puis à nous aujourd’hui. Catholique et bénédiction sont donc indissociables, sous peine de se transformer en club privé, très vite privé de Dieu lui-même…

Devenir bénédiction nous appelle à discerner le travail de l’Esprit dans d’autres cultures, religions, manières de vivre, pour en dire du bien et les inclure ainsi dans l’héritage d’Abraham.

Sois bénédiction, pour tous : comment allons-nous traduire en actes et en paroles cet appel qui depuis Abraham nous met en mouvement vers un pays inconnu ?

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Vocation d’Abraham, père du peuple de Dieu (Gn 12, 1-4a)

Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. »
Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui.

PSAUME

(Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22)

R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous, comme notre espoir est en toi ! (Ps 32, 22)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

DEUXIÈME LECTURE

Dieu nous appelle et nous éclaire (2 Tm 1, 8b-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Car Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté : il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile.

 

ÉVANGILE

« Son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 1-9)

Gloire au Christ,Parole éternelle du Dieu vivant.Gloire à toi, Seigneur.De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ,Parole éternelle du Dieu vivant.Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »
Patrick BRAUD

 

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