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2 juin 2024

Quand le corps tombe en ruines

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quand le corps tombe en ruines

 

Homélie pour le 10° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

09/06/24

 

Cf. également :

Mourir pour une côtelette ?
Un psaume des profondeurs
Aimer nos familles « à partir de la fin »
Fêter la famille, multiforme et changeante
Familles, je vous aime?
L’homme, la femme, et Dieu au milieu
Le symbolisme des cendres

La mort, et après ?


Monsieur le Président, vous avez le droit de grâce, et moi je vous demande celui de mourir

Quand le corps tombe en ruines dans Communauté spirituelle Euthanasie-20-ans-apres-la-mort-de-Vincent-Humbert-son-pere-Francis-prend-la-parole-pour-la-premiere-foisVous vous souvenez peut-être de la supplique adressée par un jeune homme de 21 ans, accidenté de la route, devenu tétraplégique, muet et presque aveugle – Vincent Humbert - au Président de la République Jacques Chirac, en 2002. Il est important de la relire en cette période de débat intense sur le suicide assisté, rebaptisé pudiquement « aide active à mourir ».


Monsieur Chirac, 

Tous mes respects, Monsieur le Président. Je m’appelle Vincent Humbert, j’ai 21 ans, j’ai eu un accident de circulation le 24 septembre 2000. Je suis resté 9 mois dans le coma. Je suis actuellement à l’hôpital Hélio-Marins à Berck, dans le Pas-de-Calais.

Tous mes sens vitaux ont été touchés, à part l’ouïe et l’intelligence, ce qui me permet d’avoir un peu de confort. 

Je bouge très légèrement la main droite en faisant une pression avec le pouce à chaque bonne lettre de l’alphabet. Ces lettres constituent des mots et ces mots forment des phrases. 

C’est ma seule méthode de communication. J’ai actuellement une animatrice à mes côtés, qui m’épelle l’alphabet en séparant voyelles et consonnes. C’est de cette façon que j’ai décidé de vous écrire. Les médecins ont décidé de m’envoyer dans une maison d’accueil spécialisée. Vous avez le droit de grâce et moi, je vous demande le droit de mourir. 

Accéder à son désir de mourir était illégal à l’époque. Chirac a répondu par quelques mots de compassion, sans rien pouvoir faire d’autre. On connaît la suite. Sa mère, Marie Humbert, a tenté le 24 septembre 2003 d’aider son fils à mourir, à l’aide de barbituriques. La tentative a échoué, et son fils fut plongé dans le coma, à son grand désespoir. Le Dr. Chaussoy, chef de service de réanimation de l’hôpital de Berck-sur-mer, et son équipe médicale ont alors décidé d’achever d’accomplir la volonté de Vincent et lui ont donné la mort tant désirée. Vincent s’est éteint le 26 septembre 2003. Le Dr. Chaussoy et Marie Humbert furent poursuivis ensuite par la justice, mais obtinrent un non-lieu.

 

Cette douloureuse affaire est symptomatique de dizaines, de centaines d’autres dans lesquelles le sentiment de déchéance, de dégradation physique, allié à la douleur parfois inexpugnable engendre chez un malade l’ardent désir de partir sans attendre.

 

63c57ef37b2d2_maxstockworld444140 mort dans Communauté spirituelle« L’homme extérieur s’en va en ruines » (littéralement : se détruit) écrivait Paul dans notre deuxième lecture (2Co 4,13–5,1). 

« Nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous » (2Co 4,16-17). Il a dû ressentir lui aussi, avec son âge et la fatigue accumulée par les voyages, les persécutions subies etc. le fort désir de partir rejoindre le Christ. Et il écrit d’ailleurs sans honte : « En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. » (Ph 1,21-24)

 

On sait que les Églises sont fortement opposées au suicide assisté, au nom d’arguments théologiques bien connus : la vie est sacrée, elle est un don de Dieu, et nul ne peut en disposer. L’interdit de tuer du Décalogue s’applique évidemment à soi-même. 

Les autres arguments sont plutôt rationnels ou humanistes : mieux vaut développer les soins palliatifs, qui font disparaître l’immense majorité de ces demandes à mourir. Il vaudrait mieux appliquer la loi existante Claeys-Léonetti sur la sédation profonde et continuer jusqu’à la mort dans ces cas-là.

 

Sans nier le poids réel de ces arguments, tout en gardant à l’esprit la protection des plus faibles, essayons de parcourir d’autres raisons de foi  permettant d’entendre avec bienveillance la supplique de Vincent Humbert et de bien d’autres aujourd’hui.

 

Le suicide dans la Bible

Commençons par étudier ce que la Bible dit du suicide. 

- Eh bien, premier fait majeur, ni le mot ‘suicide’ ni le verbe ‘se suicider’ n’existent dans la Bible, que ce soit en hébreu ou en grec ! En refusant de substantiver cette action, les Écritures nous empêchent de l’essentialiser en regroupant toutes les situations sous un seul concept abstrait. Il semble bien que pour la Bible existent seulement des situations particulières, où parfois vouloir mourir apparaît comme légitime. 

Cette indication est précieuse : légiférer de manière universelle et abstraite est injuste. Tenir compte des personnes et des cas est plus humain. Dans ce discernement en situation, choisir la mort n’est pas systématiquement condamné par la Bible, au contraire.

 - Ainsi Abimélek demande à son écuyer de le tuer en signe de protestation pour avoir été  blessé… par une femme ! (Jg 9,52- 54). En ces temps de mâle prédominance, c’était la honte suprême, dont l’honneur d’un guerrier ne se relevait pas ! Or le narrateur ne porte aucun jugement sur ce suicide par blessure d’honneur. Il voit dans cette mort prématurée la juste punition pour le massacre par Abimélek de ses 70 frères (Jg 9,56-57).

A006084_Samson-destroying-the-Temple-of-the-Philistines suicide- Ainsi Samson, dans le célèbre épisode des piliers du temple philistin, se suicide en obtenant de YHWH la force de faire s’écrouler le temple sur les ennemis d’Israël. Plus troublant encore, YHWH exauce donc la prière de Samson qui le conduit à périr enseveli (Jg 16,26-30)…

- Ainsi Saül et son écuyer se suicident en se laissant tomber sur la pointe de leur épée, pour ne pas tomber aux mains des incirconcis (1S 31,3-6). Là encore, aucun jugement n’est porté sur ce suicide, présenté comme un acte de liberté.

- Ainsi Ahitophel se pend, parce que son conseil au roi Absalom pour anéantir l’ennemi n’a pas été écouté (2S 17,23), alors que c’était un bon conseil qui aurait sauvé le roi ! En montrant que son corps a eu droit à une sépulture digne, le narrateur ne porte aucun jugement négatif sur ce suicide.

 - Ainsi Zimri, ayant renversé et tué le roi de Juda, se suicida par le feu dans le donjon royal en voyant la ville assiégée et prise par le reste fidèle d’Israël sous la conduite d’Omri (1R 16,18). Là également, le narrateur montre sobrement qu’il a ainsi exécuté la volonté divine, en mourant à cause de son péché.

- Ainsi les suicides glorieux des Macchabées en révolte contre l’envahisseur. Éléazar par exemple, soldat renommé car frère de Juda, et surnommé Awarane, cherche sa propre mort en se précipitant sous l’éléphant cuirassé qui porte le général ennemi : 1M 6,43-46. Ce suicide est visiblement héroïque, et Éléazar est loué pour son courage.


- Il en va de même pour Razis, courageux défenseur de son peuple contre l’occupant, au point d’être appelé « Père des juifs ». Voyant 500 soldats venus pour l’arrêter, il préféra se suicider : 2M 14,37‑46.

- Dans ce même libre des Macchabées, la mort librement consentie des 7 frères et de leur mère, refusant de manger du porc, est érigée en exemple : « Ne crains pas ce bourreau, montre-toi digne de tes frères et accepte la mort, afin que je te retrouve avec eux au jour de la miséricorde » (2M 7).

- Ainsi le sage Qohélet déclare que la mort – inévitable – est également enviable, car elle seule libère des larmes, de l’exploitation et de la violence : « J’ai regardé encore et j’ai vu toutes les oppressions pratiquées sous le soleil. Voyez les pleurs des opprimés : ils n’ont pas de consolateur ; des oppresseurs leur font violence : ils n’ont pas de consolateur. Les morts qui sont déjà morts, je les déclare plus heureux que les vivants encore en vie, et plus heureux que ceux-là celui qui n’existe pas encore, car il n’a pas connu le mal qui se fait sous le soleil. » (Qo 4,1-3). Il en rajoute même : « Un homme peut avoir eu une centaine d’enfants et avoir vécu de longues années : aussi nombreux qu’aient été les jours de sa vie, s’il n’a pas été heureux et comblé, s’il n’a même pas eu de sépulture, je dis que l’avorton a plus de chance » (Qo 6,3).

 - Le sage Ben Sira rappelle lui aussi que la vie n’est pas un absolu, et ne mérite pas d’être vécue à n’importe quel prix. C’est le cas pour un mendiant : « Ne vis pas de mendicité, mon fils, mieux vaut mourir que mendier ! » (Si 40,28) ou une maladie incurable : « Mieux vaut la mort qu’une vie d’amertume, et le repos éternel qu’une maladie sans fin ». « Ô mort, ta sentence est bonne pour l’homme dans le besoin, dont la force décline, pour un grand vieillard qui s’inquiète de tout, qui se révolte et perd patience » (Si 30,17;41,2).

 

Jésus aurait-il choisi volontairement la mort ?

Dans le Nouveau Testament, l’ombre du suicide de Judas plane sur toutes les réflexions chrétiennes à ce sujet. ‘Suicide’ assez mystérieux d’ailleurs, car Jean et les Actes nous en donnent deux versions… incompatibles ! Pour Matthieu, Judas alla se pendre (c’est la version la plus connue) : « Jetant alors les pièces d’argent dans le Temple, il se retira et alla se pendre » (Mt 27,5). Pour Luc, ce n’est pas la pendaison, mais plutôt une maladie (Luc est médecin) qui a travaillé les entrailles de Juda au point de déclencher un éventrement fatal : « avec le salaire de l’injustice, il acheta un domaine ; il tomba la tête la première, son ventre éclata, et toutes ses entrailles se répandirent » (Ac 1,18).

Le Suicide Du Christ. Une TheologieEn ne retenant que la version suicidaire de Matthieu, les traditions ultérieures lieront suicide et damnation, au point de refuser une sépulture chrétienne aux suicidés (Concile d’Orléans en 533) ! On oublie alors que les Évangiles gardent la trace d’un débat sur l’attitude de Jésus : a-t-il librement choisi et désiré sa mort en marchant au-devant de ses contradicteurs ? Ou s’est-il résigné en subissant une mort non-choisie ? Pendant trois ans, Jésus est monté de Galilée à Jérusalem plusieurs fois pour les fêtes de pèlerinage. Chaque fois, la tension augmentait et les oppositions juives et romaines se faisaient de plus en plus menaçantes. Luc montre que Jésus sait ce qu’il attend lorsqu’il choisit d’aller à Jérusalem la dernière fois : « Lorsque le temps où il devait être enlevé du monde approcha, Jésus durcit son visage et prit la route de Jérusalem » (Lc 9,51). Thomas se demande si Jésus ne veut pas mourir, car il décide d’aller à Béthanie où l’attendent ceux qui veulent le tuer, afin de réveiller son ami Lazare d’entre les morts : « Les disciples lui dirent: Rabbi, les Juifs tout récemment cherchaient à te lapider, et tu retournes en Judée ! » (Jn 11,8) « Thomas dit aux autres disciples : “Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui !” » (Jn 11,16).

Jean insiste sur le choix libre et volontaire de sa mort par Jésus : « Ma vie nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne » (Jn 10,18). Ce n’est bien sûr pas une apologie du suicide. Mais c’est quand même l’indice que mieux vaut mourir pour rester soi-même, fidèle à sa mission filiale en ce qui concerne Jésus, plutôt que de survivre en se trahissant et en reniant la mission confiée par le Père.

 

Mourir m’est un gain

C’est là que l’argument de Paul est massue : pourquoi vouloir à tout prix prolonger une survie physique alors qu’une vie éternelle nous attend ? Quel avantage à prolonger ici-bas dans la douleur si la mort est une amie, une sœur nous ouvrant d’autres possibles en Dieu ? 

« En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage » (Ph 1,21).
« Oui, nous avons confiance, et nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur » (2Co 5,8).
La peur de la damnation éternelle attribuée autrefois au suicide n’agit plus sur nous comme par le passé. Et la découverte des forces de l’inconscient a éclairé d’une lumière nouvelle les pulsions suicidaires. Peut-être pourrons-nous comme Paul nous consoler en constatant que nous sommes encore utiles aux autres. Mais, de toute façon, « toute vie doit finir » (Ps 48,9). 

La promesse de la résurrection empêche de sacraliser cette vie, qui n’est pas un absolu. 

La preuve : les martyrs juifs ou chrétiens ont préféré périr plutôt que renier leur foi. La mère des 7 fils puise dans son espérance en la résurrection le courage d’offrir ses enfants à la mort plutôt que de renier l’Alliance (2M 7). D’innombrables martyrs chrétiens ont marché vers les fauves, le feu, la croix ou la décapitation en se livrant volontairement, sans chercher à fuir.

Les résistants qui avalaient leur capsule de cyanure pour ne pas tomber entre les mains de la Gestapo ne faisaient que prolonger cette offrande de soi pour protéger les membres du réseau. 

Bien qu’elle soit sulfureuse, la thèse du suicide du Christ [1] ne peut être écartée d’un revers de main : choisir librement et volontairement sa mort peut revêtir une forme de noblesse, et devenir un geste d’amour pour les autres, ainsi qu’un acte de confiance en Dieu qui ressuscite.

 

Le discernement plutôt que le droit

L’absence du terme suicide dans la Bible nous invite à la prudence : il n’y a pas de position abstraite qui s’imposerait à tous. Les situations sont multiples, la responsabilité personnelle du malade est unique. Le père de la sociologie moderne, Émile Durkheim, distinguait 4 types de suicide, ce qui oblige à autant d’évaluations morales : le suicide égoïste, altruiste, anomique et fataliste. Un de ses successeurs, Baechler (1975), distinguait quant à lui onze types de suicide : les suicides escapistes (fuite, deuil, châtiment, chantage), agressifs (vengeance, chantage, appel), oblatifs (sacrifice, passage) et ludiques (ordalie, jeu). Le discernement éthique s’attachera à respecter la particularité de chaque situation, et la liberté de chaque conscience personnelle. Encore faut-il que le droit ne fasse pas obstacle à la conscience… Encore faut-il laisser la décision au malade, et non au corps médical dont ce n’est pas la mission…

 

Quand le corps tombe en ruines, discerner est plus important qu’appliquer la loi. Il faut juste que la loi autorise ce que les discernement suggère. Avec bien évidemment moult garde-fous et digues de barrage pour contenir les dérives, toujours possibles. Et notamment de forts verrous pour protéger les plus faibles (personnes âgées, handicapées etc.) qu’on voudrait éliminer pour des raisons économiques.

Pour la conscience chrétienne, méditer sur la parole de Paul de ce dimanche pourra guider le discernement : est-il temps pour moi de partir ?

« Même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous. Et notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel.  Nous le savons, en effet, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes » (2 Co 4,16–5,1).

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[1]. Cf. Pierre-Emmanuel Dauzat, Le suicide du Christ. Une théologie. Paris, PUF, 1998.

 

 

Lectures de la messe
Première lecture
« Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance » (Gn 3, 9-15)


Lecture du livre de la Genèse

Lorsqu’Adam eut mangé du fruit de l’arbre, le Seigneur Dieu l’appela et lui dit : « Où es-tu donc ? » Il répondit : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. » Le Seigneur reprit : « Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ? » L’homme répondit : « La femme que tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé. » Le Seigneur Dieu dit à la femme : « Qu’as-tu fait là ? » La femme répondit : « Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé. » Alors le Seigneur Dieu dit au serpent : « Parce que tu as fait cela, tu seras maudit parmi tous les animaux et toutes les bêtes des champs. Tu ramperas sur le ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon. »


Psaume
(129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8)
R/ Près du Seigneur, est l’amour ; près de lui, abonde le rachat.
 (129, 7bc)


Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur,
Seigneur, écoute mon appel !
Que ton oreille se fasse attentive
au cri de ma prière !


Si tu retiens les fautes, Seigneur,
Seigneur, qui subsistera ?
Mais près de toi se trouve le pardon
pour que l’homme te craigne.


J’espère le Seigneur de toute mon âme ;
je l’espère, et j’attends sa parole.
Mon âme attend le Seigneur
plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.


Oui, près du Seigneur, est l’amour ;
près de lui, abonde le rachat.
C’est lui qui rachètera Israël
de toutes ses fautes.


Deuxième lecture
« Nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons » (2 Co 4, 13 – 5, 1)


Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, l’Écriture dit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. Et nous aussi, qui avons le même Esprit de foi, nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons. Car, nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera, nous aussi, avec Jésus, et il nous placera près de lui avec vous. Et tout cela, c’est pour vous, afin que la grâce, plus largement répandue dans un plus grand nombre, fasse abonder l’action de grâce pour la gloire de Dieu. C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous. Et notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. Nous le savons, en effet, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes.


Évangile
« C’en est fini de Satan » (Mc 3, 20-35)
Alléluia. Alléluia. 
Maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors, dit le Seigneur ;
et moi, quand j’aurai été élevé de terre, je les attirerai tous à moi. Alléluia. (Jn 12, 31b-32)


Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus revint à la maison, où de nouveau la foule se rassembla, si bien qu’il n’était même pas possible de manger. Les gens de chez lui, l’apprenant, vinrent pour se saisir de lui, car ils affirmaient : « Il a perdu la tête. »
Les scribes, qui étaient descendus de Jérusalem, disaient : « Il est possédé par Béelzéboul ; c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons. » Les appelant près de lui, Jésus leur dit en parabole : « Comment Satan peut-il expulser Satan ? Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut pas tenir. Si les gens d’une même maison se divisent entre eux, ces gens ne pourront pas tenir. Si Satan s’est dressé contre lui-même, s’il est divisé, il ne peut pas tenir ; c’en est fini de lui. Mais personne ne peut entrer dans la maison d’un homme fort et piller ses biens, s’il ne l’a d’abord ligoté. Alors seulement il pillera sa maison. Amen, je vous le dis : Tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. » Jésus parla ainsi parce qu’ils avaient dit : « Il est possédé par un esprit impur. »
Alors arrivent sa mère et ses frères. Restant au-dehors, ils le font appeler. Une foule était assise autour de lui ; et on lui dit : « Voici que ta mère et tes frères sont là dehors : ils te cherchent. » Mais il leur répond : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ? » Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »
Patrick BRAUD

 

 

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26 mai 2024

Communier, est-ce bien moral ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Communier, est-ce bien moral ?

 

Homélie pour la Fête du Saint Sacrement (Fête du Corps et du Sang du Christ) / Année B 

02/06/24

 

Cf. également :

Fêtons le Saint Sacrement avec Chrysostome
Le réel voilé sous le pain et le vin
L’Alliance dans le sang
Les 4 présences eucharistiques
Bénir en tout temps en tout lieu
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie


Le moine et le crapaud

Communier, est-ce bien moral ? dans Communauté spirituelle 220px-Ill_dict_infernal_p0205-189_crapauds_dansant_sabbatCésaire était le prieur de sa communauté cistercienne de Heisterbach, près de Bonn, au XIII° siècle. Ayant remarqué que ses frères communiaient très peu, par peur d’en être indignes, il leur inventa cette fable (exemplum en latin) pour les détourner de leur puritanisme eucharistique [1] : « Celui qui prend en horreur le corps et le sang du Christ est mal avisé, car il est quasiment impossible que l’homme n’encoure pas de péril d’âme ou de corps, si ce n’est des deux. Et à ce sujet je vais donner un exemple vrai et manifeste ». Voici la fable de Césaire :

Un moine n’osait pas communier à la messe du monastère. On ne savait pas pourquoi, mais il fuyait à chaque fois la file de la communion. Déchiré par ce grand écart, le moine finit précisément un Jeudi Saint par quitter bel et bien le monastère, et jette son habit monastique. Il s’assoupit sous un arbre, la bouche ouverte. Un immonde crapaud en profite pour se faufiler dans sa gorge, et s’y cramponne jusqu’à y élire domicile ! Les souffrances que lui inflige l’animal le conduisent à chercher un remède. Il trouve enfin une femme qui parvient à s’adjoindre les services d’une guérisseuse. Placé devant une décoction d’herbes, ouvrant la bouche et fermant les yeux, le moine sent le batracien sortir de son corps par là où il est entré. Assagi par ces épreuves, il retourne au monastère. Il y relate ses déboires et on lui fait boire une potion qui le purge de plus de soixante-dix petits crapauds qui étaient restés dans son corps.

Césaire tire lui-même la leçon de son historiette : c’est à bon droit que celui qui refuse le remède du salut s’expose au danger du poison. Se priver de la communion est suicidaire [2].


On enseignait encore récemment ce puritanisme eucharistique aux fidèles terrorisés : ‘si vous n’êtes pas en état de grâce, votre communion sera votre condamnation et vous irez en enfer’. Mieux valait alors communier le moins possible, car qui sait si je ne suis pas en état de péché mortel sans le savoir ? D’où, en réaction, l’obligation du concile de Latran (1215) de « faire ses Pâques » au moins une fois par an : se confesser et communier tout de suite après (pour ne pas pécher entre-temps) le jour de Pâques. Si bien que 51 dimanches par an on allait « assister à la messe » (sans participer à la communion), et l’on communiait une fois à Pâques.

Durant les siècles marqués par la rigueur janséniste (XVII°-XIX° siècles), l’eucharistie est la récompense rare à un comportement moral exceptionnel. Le pécheur doit être tenu à distance de ce grand mystère. Bien significative est la lettre envoyée par un curé, un soir de Noël à son évêque [3] : « Monseigneur, réjouissez-vous avec moi. Il n’y a pas eu de communion sacrilège aujourd’hui, car je n’ai pas ouvert le tabernacle ». À une époque encore pas si lointaine, Thérèse et ses sœurs du carmel de Lisieux étaient soumises au jugement de leur confesseur qui, seul, pouvait les autoriser à communier.


Kirill et Kigali

Le patriarche Kirill lors d'une messe de Noël à Moscou, le 6 janvier 2023.Le mouvement s’est inversé de façon spectaculaire, et c’est presque l’excès contraire : maintenant : tout le monde communie, sans se poser de questions. ‘Parce que j’y ai droit, parce que je le vaux bien, parce que j’en ai besoin, parce que tous les autres le font et je ne veux pas être à l’écart’ etc. Si bien que les divorcés-remariés ou les catéchumènes voient avec étonnement de fieffés filous, des libertins notoires, des patrons véreux, bref de vrais salauds s’approcher les mains ouvertes en toute innocence sans que personne n’en dise rien, alors que eux n’y ont pas droit. Un peu facile, non ?

Regardez Kirill, chef du patriarcat russe orthodoxe de Moscou. Enseveli sous des kilos d’étoffes rutilantes, de chasubles brodées d’or et d’argent, chamarré comme un cheval de cirque, il célèbre l’eucharistie avec componction et gravité, et se met juste après à remercier Dieu pour « le miracle Poutine » et à faire prier ses fidèles pour la victoire de la Sainte Russie en Ukraine.

À quoi servent ces belles célébrations orthodoxes aux chœurs sublimes si c’est pour contredire en pratique la communion reçue ?


240404_Affiche-Rwanda-300dpi crapaud dans Communauté spirituelleOu encore souvenez-vous du génocide du Rwanda, dont nous avons marqué le triste trentenaire cette année. En avril 1994, 90% de la population du Rwanda était catholique. Tous pratiquants réguliers. Tous allaient à la messe avec enthousiasme, chantaient, dansaient et animaient des célébrations eucharistiques extraordinairement ferventes comme l’Afrique Noire sait en faire. Las, à peine sortie de l’église, ce 7 avril 1994 et après, le pain azyme à peine fondu dans la bouche, ils ont pris leurs machettes et commencé à rompre d’autres corps que celui de l’autel, à verser d’autres sangs que celui du calice. Ils ont gorgé le sol rwandais du sang de 800 000 à 1 million de victimes. Ils ont déchiqueté et démembré des corps plus que les charniers ne pouvaient en contenir. Ils ont massacré ceux avec qui ils communiaient le dimanche… C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que la violence intra-religieuse connaissait un tel niveau d’horreur. Même les guerres de religion en Europe ont fait moins de victimes, et c’était entre catholiques et protestants, pas entre catholiques. À cela il faut ajouter hélas les 10 millions de morts (oui, vous avez bien lu !) que ce confit Hutus/Tutsis a provoqué en République Démocratique du Congo depuis 1994…

À quoi servent alors les belles messe dominicales, les magnifiques costumes endimanchés multicolores, les communions recueillies, les prières à genoux sur les bancs de l’église si c’est pour massacrer les co-paroissiens Tutsis (ou les Hutus ensuite) à la sortie ?


Les responsables politiques français n’étaient pas plus au clair, comme le président Macron l’a enfin reconnu récemment. Mitterrand avait nié en son temps être complice de quoi que ce soit dans ce génocide, « les yeux dans les yeux ». Mais heureusement, lui n’allait pas communier le dimanche…

Kirill et ses sbires, ou les génocidaires du Rwanda et leurs complices feraient bien de relire Saint Jean Chrysostome, liant fermement la communion eucharistique et l’amour de l’autre, le sacrement de l’autel et le sacrement du frère (il a d’ailleurs été condamné à l’exil pour avoir osé refuser à l’empereur la communion en public dans sa cathédrale, parce qu’il sortait des jeux du cirque et avait ainsi du sang sur les mains) :


Calice de messe orné de saphirsQuel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de misère ? Commence par rassasier l’affamé et, avec ce qui te restera, tu orneras son autel. Tu fais une coupe en or, et tu ne donnes pas un verre d’eau fraîche ? Et à quoi bon revêtir la table du Christ de voiles d’or, si tu ne lui donnes pas la couverture qui lui est nécessaire ? Qu’y gagnes-tu ? Dis-moi donc : Si tu vois le Christ manquer de la nourriture indispensable, et que tu l’abandonnes pour recouvrir l’autel d’un revêtement précieux, est-ce qu’il va t’en savoir gré ? Est-ce qu’il ne va pas plutôt s’en indigner ? Ou encore, tu vois le Christ couvert de haillons, gelant de froid, tu négliges de lui donner un manteau, mais tu lui élèves des colonnes d’or dans l’église en disant que tu fais cela pour l’honorer. Ne va-t-il pas dire que tu te moques de lui, estimer que tu lui fais injure, et la pire des injures ?

 

Pense qu’il s’agit aussi du Christ, lorsqu’il s’en va, errant, étranger, sans abri ; et toi, qui as omis de l’accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d’argent ; mais lui, tu ne veux même pas voir qu’il est enchaîné dans une prison. Je ne dis pas cela pour t’empêcher de faire de telles générosités, mais je t’exhorte à les accompagner ou plutôt à les faire précéder par les autres actes de bienfaisance. Car personne n’a jamais été accusé pour avoir omis les premières, tandis que, pour avoir négligé les autres, on est menacé de la géhenne, du feu qui ne s’éteint pas, du supplice partagé avec les démons. 

Par conséquent, lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l’autre.

Jean Chrysostome, Homélie sur l’Évangile de Matthieu

Ou Saint Augustin tonnant contre l’hypocrisie de communiants trop dévots pour être honnêtes :


Imaginez – disait-il – que vous vous approchez du Christ pour l’embrasser au visage alors que vous lui écrasez les pieds avec de gros souliers ferrés. Eh bien, le Christ criera plus fort pour ses pieds qu’on écrase que pour sa tête qu’on honore » !

Homélies sur la première épître de saint Jean, X, 8

 

Et le cardinal Ratzinger écrivait autrefois :
« seul célèbre vraiment l’Eucharistie celui qui l’achève dans le service divin de tous les jours qu’est l’amour fraternel » [4].


Ce qui est moral, c’est de s’interroger

Le moine et le crapaud nous encouragent à aller communier fréquemment pour trouver la force de lutter contre le mal. Mais à l’inverse, Kirill ou Kigali nous montrent en négatif la contradiction meurtrière qu’il y aurait à communier sans aimer « en actes et en vérité ». D’un côté il nous faut affirmer que communier n’est pas moral, au sens où ce n’est pas une démarche reposant sur la valeur morale de nos actes. D’un autre côté, il nous faut nous souvenir de l’avertissement de Paul sur une communion qui ne porterait aucun fruit éthique de conversion :  « celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation » (1 Co 11,29).

cranium-2028555__340 eucharistieEn cette fête du Saint Sacrement, laissons donc cette question nous tarauder, sans y répondre trop vite : est-ce bien moral que j’aille communier ce dimanche ?

Si je réponds non, je risque de dissocier la foi et l’éthique de manière irresponsable, ou je risque de me condamner à ne jamais y avoir accès car je ne serai jamais à la hauteur. J’avale le crapaud en refusant l’hostie.

Si je réponds oui, je risque de faire de l’eucharistie une récompense, une médaille méritée par mes efforts pour une vie droite.


Dissocier radicalement eucharistie et morale, c’est s’exposer aux aberrations de Kirill et de Kigali.

Lier la communion à mes vertus serait tout aussi dangereux, car cela ferait de l’eucharistie une médaille et non un remède, un sommet uniquement et non une source avant le sommet…

Beaucoup de chrétiens ont encore un crapaud cramponné dans la gorge, les décourageant d’aller communier. Et ce crapaud fait des petits en eux…

Beaucoup d’autres – la majorité sans doute – ne veulent pas faire le lien entre l’hostie et le corps de l’autre, entre le calice et le sang de l’autre. Ils communient par habitude, par conformisme, par superstition, par revendication individuelle, pour leur épanouissement personnel etc.


Y a-t-il une autre voie eucharistique que ces deux-là ?

Ne pas déserter la communion, et ne pas s’y habituer.

S’en approcher en tremblant et la recevoir avec confiance.

S’examiner loyalement à la lumière des textes de la messe, et s’en remettre à Dieu qui seul est Juge.

Communier pour faire le bien, mieux, davantage, et non parce que je suis moralement dans les clous.

Recevoir l’hostie comme un don, un cadeau immérité, une grâce incroyable, et s’engager de toutes mes forces à la faire fructifier en famille, en entreprise, entre voisins, entre nations…


Les non-pratiquants disent souvent pour se justifier : ‘les chrétiens qui vont à la messe ne sont pas meilleurs que les autres’. On peut leur répondre en souriant : ‘Peut-être. Mais qui sait s’ils ne seraient pas pires s’ils n’y allaient pas ?…

Laissons à nouveau la parole à Saint Jean Chrysostome, qui prie ainsi juste avant de recevoir la communion :
Je ne suis pas digne, ô mon Maître et mon Seigneur, de te recevoir sous le toit de mon âme ; mais puisque, dans ton amour des hommes, tu veux habiter en moi, je prends confiance et je m’approche de toi. Tu ordonnes que j’ouvre largement les portes de mon cœur, que toi seul as créées, pour que tu puisses entrer avec cet amour qui est ta nature ; je le crois fermement, tu entreras et tu illumineras mon esprit enténébré. Car tu n’as pas chassé la prostituée venue à toi en larmes, ni repoussé le publicain repentant, ni rejeté le larron qui confessait ton royaume, ni abandonné à lui-même le persécuteur converti. Mais tous ceux qui sont venus à toi par la pénitence, tu les as placés au rang de tes amis, toi qui es le seul béni en tout temps et dans les siècles sans fin. Amen.

 

________________________________________________________

[1]. Cf. François Wallerich, L’eucharistie, l’apostat et le crapaud. Sur un exemplum de Césaire de Heisterbach, Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 21.2 | 2017, consultable ici : https://journals.openedition.org/cem/14731

[2]. « Nous rompons un même pain qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus-Christ pour toujours », Ignace d’Antioche, Eph. 20, 2.

[4] . Joseph Ratzinger, Le nouveau peuple de Dieu, Aubier, 1971, p. 17.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

PSAUME
(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)
R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.
Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.


Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.
Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.


Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.


DEUXIÈME LECTURE
« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)


Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.


SÉQUENCE
Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges »
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.
* Le voici, le pain des anges, il devient le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.


ÉVANGILE
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51.58)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

 

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19 mai 2024

Trinité : le triangle amoureux

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Trinité : le triangle amoureux

 

Homélie pour la fête de la Trinité / Année B 

26/05/24

 

Cf. également :

Trinité : quelle sera votre porte d’entrée ?
La structure trinitaire de l’eucharistie
La Trinité est notre programme social
Trinité économique, Trinité immanente
Les trois vertus trinitaires
Vivre de la Trinité en nous
La Trinité, icône de notre humanité
L’Esprit, vérité graduelle
Trinité : Distinguer pour mieux unir
Trinité : ne faire qu’un à plusieurs
Les bonheurs de Sophie
Trinité : au commencement est la relation
La Trinité en actes : le geste de paix
La Trinité et nous

 

Dieu triangle

Les superstitionsPourquoi tant de gens ont-ils peur de passer sous une échelle ? Pourquoi est-ce la même forme géométrique qui signale sur les panneaux de la route un danger, une sortie d’école, un chantier, un risque de chute de pierres, une sortie fréquente de camions ou de sangliers… ?

Plusieurs explications sont avancées par les spécialistes [1]. La plus fréquente fait référence à la Trinité, symbolisée par un triangle. Passer sous une échelle c’est entrer à l’intérieur du triangle divin, ce qui résonnait au Moyen Âge comme une profanation, susceptible d’attirer le malheur sur celui qui oserait s’y risquer. Passer sous l’échelle, c’est entrer en Dieu et « nul ne peut voir Dieu sans mourir » (Ex 33,20). Dangereux ! On se souvenait également que les condamnés à la pendaison passaient sous l’échelle du gibet avant de glisser leur cou  dans le nœud coulant. Passer sous l’échelle était là encore une annonce de malheur. La symbolique de l’échelle était encore associée à celle du Golgotha que les soldats ont adossée à la croix du Christ afin de le hisser pour le crucifier, puis pour le descendre. Poser une échelle était donc associé à l’image de la trahison de Judas et la mort de Jésus. Du coup, l’allusion du triangle à la mort s’est généralisée sur nos panneaux routiers, signalant les multiples dangers qui nous menacent.

 

Pourtant, fondamentalement, le triangle est une figure éminemment symbolique et positive dans la culture occidentale. Sans doute parce que, très tôt, les réflexions sur la Trinité que nous fêtons ce dimanche ont puisé dans le triangle une métaphore particulièrement bien adaptée, et simple à comprendre. Un triangle ne fait qu’un alors qu’il a 3 côtés distincts. Mieux : un triangle équilatéral affiche l’égalité entre ses 3 branches inséparables. Facile d’y voir l’image du Père, du Fils et de l’Esprit intimement liés les uns aux autres sans pourtant se confondre l’un avec l’autre, et ne formant qu’un. Les 3 personnes divines sont unies « sans séparation ni confusion », selon le vieil adage christologique qui s’appliquait déjà aux deux natures du Christ, l’humaine et la divine.

Comme par ailleurs le triangle est un élément incontournable en architecture, on le retrouve partout, sur le fronton de nos églises, de nos tableaux de peinture, de nos symboles religieux. Les francs-maçons, du moins ceux qui croient au Grand Architecte, l’ont gardé en souvenir, avec l’œil au centre pour évoquer leur conception du salut par la connaissance : Dieu connaît tout, et tout connaître rend pareil à Dieu.

 

triangle, instrument de musiqueSi l’on est mélomane, on peut méditer sur la Trinité à partir du petit instrument de musique qui s’appelle justement triangle, le plus humble de tous les instruments du mastodonte orchestre symphonique au grand complet.

En effet, le son ne se propage dans le triangle et au-delà que si chaque branche vibre sans retenir la vibration pour elle-même, mais en la communiquant aux deux autres. Chaque branche du triangle reçoit la vibration des deux autres et leur transmet en même temps. Ce faisant, le triangle fait résonner sa note claire et limpide au-delà de lui-même. Cette circulation du son musical à l’intérieur du triangle fait irrésistiblement penser à la périchorèse trinitaire, cette rotation, cette danse-autour (en grec) qui caractérise la circulation de l’amour en Dieu, cette circumincessio (se tenir autour ensemble, en latin) qui fait du mouvement la substance divine. Saint Thomas d’Aquin ne disait-il pas qu’« en Dieu la relation est substantielle » ? Il n’y a de notes émises par le triangle que si le son circule sans entraves autour de ses 3 branches.

Par nature, ce son se diffuse à toute la salle de concert, comme l’amour de Dieu se diffuse à toute sa Création, « naturellement ». « Bonum diffusuvum sui », écrivait encore saint Thomas d’Aquin. La nature du Bien/Bon est de se diffuser, de se communiquer lui-même, sans calcul, gratuitement, sans nécessité, sans condition.

 

D’ailleurs, le triangle de l’orchestre symphonique n’est pas clos sur lui-même : il a cette petite ouverture, ce vide, ce sommet manquant qui est comme un appel à prendre notre place dans cette circulation trinitaire. Sans cette ouverture, la diffusion du son est étouffée. Avec elle, avec ce manque inscrit dans la structure du triangle, la communication du son est assurée pour tout l’entourage. Telle une circoncision du cœur ouvert à l’autre, l’ouverture du triangle manifeste l’auto-communication de Dieu, qui fait partie de sa nature même. Il faut donc oser affirmer qu’en Dieu Trinité il y a une brèche, une faille, une ouverture, un manque, depuis que sa Création a surgi de son amour. Grâce au philosophe juif Emmanuel Levinas, nous savons que la totalité (être sans failles) est diabolique, alors que l’infini (de la circulation de l’amour) est divin [2]. Un dieu qui n’est qu’Un comme celui de l’islam est une totalité enclose sur elle-même, et cela engendre une société/religion totalitaire. Un Dieu ‘circoncis’ fait circuler l’amour à l’infini, en lui et hors de lui, et cela engendre (normalement !) une société/religion ouverte.

 

Rappelez-vous : la Trinité économique n’est pas différente de la Trinité immanente. C’est le même son qui circule dans les 3 branches du triangle pour lui-même et dans la salle de concert pour les auditeurs ravis.

 

La Trinité, source et sommet de tout amour humain

Le concile Vatican II a parlé de l’eucharistie comme « source et sommet de la vie chrétienne » (LG 11). C’est le mouvement trinitaire : se recevoir pour se donner, sans cesse. En définissant le mariage comme un sacrement, les Églises catholiques et orthodoxes affirment que l’amour humain est un signe privilégié, efficace, pour contempler l’amour trinitaire à l’œuvre. Car l’amour humain prend sa source en Dieu, et y ramène. En contemplant Dieu Trinité, l’homme et la femme apprennent à s’aimer. En s’aimant, à la manière trinitaire, ils deviennent une icône de l’amour divin. Si bien que l’on peut transposer de l’eucharistie à la Trinité la phrase de Vatican II : la Trinité est bien source et sommet de tout amour humain.

 

On est bien loin de l’amour fusionnel qui continue de faire des ravages ! « Être un couple, c’est ne faire qu’un. Oui mais lequel ? » Cette boutade d’Oscar Wilde [3] exprime la difficulté de conjuguer la communion et l’altérité. L’amour suppose l’autre (hetero en grec) et le promeut comme tel. l’égoïsme promeut le même (homo en grec), quitte à absorber l’autre.

 

Laissons au jésuite François Varillon, qui a écrit des pages incandescentes à ce sujet, le dernier mot sur ce triangle amoureux qui n’a rien à voir avec celui du théâtre de boulevard !

 

La Trinité réalise parfaitement le vœu de l’amour

François Varillon Joie de croire joie de vivreC’est d’amour qu’il s’agit. On risque d’errer quand on cherche l’intelligence du mystère de Dieu par d’autres voies que celle de l’amour. Il nous faut réfléchir à partir de l’expérience humaine de l’amour et à partir de la déception que, tous, plus ou moins, nous expérimentons dans l’amour.

En effet, quel est le vœu profond de l’amour que nous vivons dans le mariage, l’amour fraternel ou filial, l’amitié ou la vie de communauté ? Le vœu de l’amour est de devenir l’autre, tout en restant moi, de telle sorte que l’autre et moi, nous ne soyons pas seulement amis mais que nous soyons véritablement un. L’expérience humaine de l’amour est joie et souffrance mêlées. Joie prodigieuse de dire à celui ou à celle que l’on aime : toi et moi, nous ne sommes pas deux, mais un. Souffrance d’être obligé de reconnaître qu’en disant cela, on dit, non pas ce qui est, mais ce que l’on voudrait qu’il soit et qui ne peut pas être. Car si l’aimant et l’aimé n’étaient plus deux, il n’y aurait plus d’autre, et, du coup, l’amour serait aboli. Comme disent les braves gens, pour aimer, il faut être deux.

Écoutez dialoguer deux personnages de Gabriel Marcel dans ‘Le cœur des autres’ : « Toi et moi, dit Daniel à sa femme, nous ne sommes pas deux ». Sa femme, qui est une fine mouche, répond : « C’est justement ce qui m’effraie quelquefois ; tu n’as jamais l’air de me considérer comme quelqu’un d’autre. Quand on est plus qu’un seul… comment expliquer cela ? On ne se donne plus rien… et c’est terrible, parce que cela peut devenir un prétexte pour ne penser plus qu’à soi ». Si toi et moi nous ne faisons qu’un, nous nous aimons nous-même. Mais l’amour de soi n’est pas l’amour, il est complaisance en soi, il n’est pas don ni accueil.

L’amour veut à la fois la distinction et l’unité. Dans la condition humaine, ce vœu profond : être non seulement uni à l’autre mais un avec lui, tout en restant soit, est incoercible et irréalisable. C’est pourquoi nul n’entre sans souffrance au royaume de l’amour. Mais en Dieu, le vœu de l’amour est éternellement exaucé : c’est le mystère même de la Trinité. Le Père, le Fils et le Saint Esprit se distinguent réellement l’un de l’autre, de telle sorte qu’aucune confusion ne soit possible : le Père ne disparaît pas dans le Fils, le Fils ne disparaît pas dans le Père, le Père et le Fils ne disparaissent pas dans le Saint Esprit. Ils sont un, tout en étant parfaitement distincts.

La Trinité, ce n’est pas trois personnes juxtaposées mais trois générosités qui se donnent l’une à l’autre en plénitude. Chacune des trois personnes n’est elle-même qu’en étant pour les deux autres. Le Père n’existe comme Père distinct du Fils qu’en se donnant tout entier au Fils ; le Fils n’existe comme fils distinct du Père qu’en étant tout entier élan d’amour pour le Père. Le Père n’existe pas d’abord comme personne constituée en elle-même et pour elle-même : c’est l’acte d’engendrer le Fils qui le constitue personne. S’il n’y avait pas le Fils, il ne serait pas Père, c’est bien évident. Chaque personne n’est soit qu’en étant hors de soi. Elle est posée dans l’être en étant posée dans l’autre. Dans le Père, dans le Fils, dans le Saint Esprit, il y a impossibilité absolue du moindre repliement sur soi. Dieu ne fait pas « attention à soi », comme l’écrivait Maurice Zundel.

 

Trois personnes en un seul Dieu

La Sainte Trinité (2) : branchez-vous sur un courant d’amourPourquoi 3 personnes (et non pas 4 ou 10, comme le demandait le philosophe Kant) ? 

On peut proposer deux approches du mystère de l’Esprit Saint. 

La première à partir de l’exigence de réciprocité, essentielle à la perfection de l’amour. Dans l’amour humain, cette réciprocité, nous ne la percevons que par le truchement des signes ; en elle-même, elle échappe à ceux qui s’aiment. « Je t’aime, toi, ma femme et je vois que tu m’aimes par les mots que tu me dis, par les gestes que tu fais, par ton comportement envers moi. Mais je ne vois pas ton amour lui-même. D’où ma souffrance, cette tentation du doute, à certaines heures, quand ces mots, ces gestes, ce comportement semblent moins ardents, moins spontanés. Si je voyais l’amour, ces fluctuations n’existeraient pas, mais je ne vois que les signes. C’est pour cela qu’il y a en moi ce violent désir de connaître ton amour autrement que par ses signes, dont la présence m’enchante et fait mon bonheur, mais dont la diminution me meurtrit et dont l’absence me désespère ». Saint-Augustin a écrit là-dessus une de ces phrases amies de la mémoire dont il avait le génie : « elle le voit, il la voit, personne ne voit l’amour ».

Dans la Trinité, où la réciprocité est parfaite, l’amour lui-même est une personne, le Saint Esprit : amour du Père pour le Fils, amour du Fils pour le Père. Baiser commun, si l’on veut. La réciprocité de l’amour faite personne, au sens où nous pourrions dire : Mozart est la musique faite homme. L’amour est vécu en plénitude : il y a l’aimant, l’aimé et l’amour. L’aimant est aimé, l’aimé est aimant et l’amour est le dynamisme de cet élan par lequel les deux ne sont plus qu’un, tout en étant distincts.

 

Une autre approche de ce mystère de la troisième personne peut être tentée à partir de l’exigence de pureté, essentielle elle aussi, à la perfection de l’amour. J’entends par pureté l’exclusion de tout égoïsme, de tout avoir. En Dieu, il n’y a pas de trace de propriété de soi-même, car l’amour ne peut pas être propriétaire. S’il n’y avait pas de troisième personne, le Père trouverait dans le Fils, et le Fils dans le Père, une possession de soi. L’autre serait pour chacun une projection de soi, une extension de soi. Un peu comme un père de famille qui vraiment se serait sacrifié pour son fils, lui aurait tout donné ; quand il contemple son fils, il se retrouve en lui : je suis celui qui ai tout donné à mon fils. Le père se retrouverait lui-même dans le fils ; et, également, le fils dans le père. Mais si l’amour réciproque du Père et du Fils s’ouvre sur un troisième, il y a exclusion absolue de toute forme d’avoir, de tout regard sur soi. 

C’est la pureté absolue de l’amour. 

La Pauvreté de Dieu.

François Varillon, Joie de croire, joie de vivre, Ed. Centurion, 1981, pp. 138-140.

 

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[1]. Cf. Laurence Caracalla, Aux origines des 100 superstitions qui hantent ou réjouissent notre quotidien, Ed. Le Figaro, 2017.

[2]. Cf. Emmanuel Lévinas, Totalité et infini : essai sur l’extériorité, M. Nijhoff, 1961.

[3]. L’homosexualité d’Oscar Wilde (il a été condamné en 1895 à deux ans de travaux forcés pour « grave immoralité ») influence-t-elle son doute sur la capacité de l’amour humain à respecter l’altérité ?….





LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« C’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre » (Dt 4, 32-34.39-40)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple : « Interroge . Un Dieu qui n’est qu’un comme celui de l’islam est une totalité enclose sur elle-même, et cela engendre une société/religion totalitaire. Un dieu circoncis fait circuler l’amour à l’infini, en lui et hors de lui, et cela engendre (normalement !) Une société/religion ouverte. Donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants – comme tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en Égypte ? Sache donc aujourd’hui, et médite cela en ton cœur : c’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Tu garderas les décrets et les commandements du Seigneur que je te donne aujourd’hui, afin d’avoir, toi et tes fils, bonheur et longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu, tous les jours. »
 
PSAUME
(32 (33), 4-5, 6.9, 18-19, 20.22)
R/ Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu. (32, 12a)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Le Seigneur a fait les cieux par sa parole,
l’univers, par le souffle de sa bouche.
Il parla, et ce qu’il dit exista ;
il commanda, et ce qu’il dit survint.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

DEUXIÈME LECTURE
« Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; en lui nous crions “Abba !”, Père ! » (Rm 8, 14-17)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains
Frères, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire.
 
ÉVANGILE
« Baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28, 16-20)
Alléluia. Alléluia. Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit : au Dieu qui est, qui était et qui vient ! Alléluia. (cf. Ap 1, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Patrick Braud

 

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12 mai 2024

Pentecôte, où la nécessité d’une parole publique

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Pentecôte, ou la nécessité d’une parole publique

 

Homélie pour la fête de Pentecôte / Année B 

19/05/24

 

Cf. également :

Le délai entre Pâques et Pentecôte
La séquence de Pentecôte
Pentecôte : un universel si particulier !
Le déconfinement de Pentecôte
Les langues de Pentecôte
Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel
La sobre ivresse de l’Esprit
Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre
Les multiples interprétations symboliques du buisson ardent

Parresia : le courage pascal 

 

Parole de DRH (chrétien)

En retraite depuis peu, l’ancien DRH d’Auchan France (35 000 salariés à l’époque) relit son parcours professionnel, depuis son premier poste d’employé en hypermarché, avec les lunettes de sa foi évangélique si importante pour lui :

Pentecôte, où la nécessité d’une parole publique dans Communauté spirituelle a75df2_53936b6e64c54cd7bd17c145616c971e~mv2« Qu’est-ce que je fais là ?

Pourquoi suis-je dans cette salle de réunion froide et sans âme, avec quinze personnes qui représentent une masse salariale considérable, à regarder poliment et sagement, assommé par des chiffres stériles et sans intérêt d’un PowerPoint, qui défilent interminablement sur cet écran géant ? Ce n’est pas possible que les grands dirigeants qui m’entourent, acceptent de passer docilement des heures à cogiter sur la baisse des charges, donc des effectifs, alors que le chiffre d’affaires va indubitablement dans le mur, en se targuant d’être tous de grands commerçants. Dire encore et redire encore qu’il faut, et comment, « supprimer des bras », oubliant que derrière « ces bras » se trouvent des êtres, des âmes et des cœurs, signifie que nous avons déjà perdu la tête ! Je n’entends plus le mot « client », je n’entends plus le mot « produit », l’esprit commerçant s’en est allé, je n’entends plus parler de la « culture d’entreprise », je n’entends plus parler du personnel comme d’une richesse…

Par le biais de ces quelques pages, j’affirme haut et fort, que l’Homme est une vraie richesse, plus que cela : la première richesse d’une entreprise ! » [1]

 

Chrétien passionné, Jean-André Laffitte a donné de la voix, à contre-courant quand il le fallait, pour défendre la dignité et les salaires des sans-grades de la Grande Distribution, le pouvoir d’achat des clients la plupart du temps très modestes. Cela l’a amené à contester publiquement le court-termisme de certains dirigeants trop centrés sur leur propre réussite, les calculs trop financiers de certains actionnaires… À force d’élever la voix, on lui a poliment demandé de partir. Ce qu’il a fait, car le grand écart est impossible à tenir longtemps dans ce cas.

Maintenant en retraite, il reprend la parole à nouveau, une parole publique, à travers ce livre-témoignage où il raconte comment sa foi évangélique a inspiré et animé ses grandes actions managériales : la Vision d’entreprise « bottom-up », le servant-leadership, le partage du pouvoir/savoir/avoir, la valorisation du capital humain, « l’entreprise libérée » etc.

 

C’est qu’il arrive toujours un moment où l’on ne peut plus se taire, sauf à enfouir sa foi au fond d’une dévotion si privée qu’elle sera privée … d’effets !

Comment ne pas rattacher cette parole publique à celle de Pentecôte que nous venons d’écouter dans la première lecture (Ac 2,1-11) ?

 

Pentecôte : un temps pour parler

CD S'ils se taisent... Les pierres crieront !Impossible de se taire en effet depuis Pentecôte. 

Avant, les disciples ont peur, confinés au cénacle. Après, ils s’exposent aux yeux de tous les pèlerins venus à Jérusalem. 

Avant, ils ont peur : des juifs, des romains, d’eux-mêmes. Après, ils bravent les interdictions officielles et haranguent les foules. 

Avant, c’est encore un groupe nationaliste juif qui croit avoir trouvé le Messie. Après, c’est une Église catholique (= universelle) qui parle toutes les langues de la terre et s’adresse à toutes les cultures comme en témoigne la liste bigarrée des nations présentes à Jérusalem ce jour-là.

L’Ancien Testament dit avec sagesse : « il y a un temps pour parler et un temps pour se taire » (Qo 3,7). Pentecôte est visiblement le temps de la parole publique, forte, confiante, exprimée avec assurance et courage (parresia en grec).

Il n’est pas facile de discerner quand c’est le moment de parler, et quand il faut se taire. C’est l’Esprit de Pentecôte qui le souffle à notre esprit.

 

On a trop souvent – à raison – reproché aux Églises leur silence devant les génocides en cours, ou devant l’exploitation coloniale, l’instrumentalisation du nom de Dieu par les puissants etc. Se taire dans ces situations revient à être complice.

Pourtant Jean-Paul II a osé lancer son célèbre : « N’ayez pas peur ! » à la face des régimes communistes de l’époque. Pourtant les chrétiens continuent de dénoncer la banalisation de l’IVG (1 grossesse sur 4 en France) même lorsque l’opinion majoritaire les taxe de réactionnaires. Pourtant le pape François crie haut et fort pour une politique migratoire digne et respectueuse etc.

Voilà. Il y a des sujets et des moments où il faut parler, au nom de notre foi. Sinon, notre silence annulerait Pentecôte. « Si eux se taisent, les pierres crieront ! » (Lc 19,40).

 

Mais au fait, qui prend la parole en public sous l’inspiration de l’Esprit Saint ?

 

Qui parle à Pentecôte ?

Revenons à notre récit des Actes des apôtres. Ils sont là « tous ensemble » (Ac 2,1) : « hommes et femmes » (Ac 1,14), Les Douze et les autres disciples reçoivent l’Esprit, pas seulement les Douze. Tous seront dehors pour proclamer les merveilles de Dieu dans la langue maternelle de chacun.

La première prise de parole publique de Pentecôte est donc communautaire. C’est l’accomplissement de la prophétie de Joël : « Je répandrai mon Esprit sur tout être de chair, vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes je répandrai mon esprit en ces jours-là » (Jl 3,1-2).

Ce premier niveau communautaire est aussi celui de la présence du Christ : « là où deux ou trois seront réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux » (Mt 18,20). C’est encore le niveau où s’exerce le pouvoir des clés (qui n’est pas réservé à Pierre seul) : « Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux » (Mt 18,18-19).

 

De nos jours, les chrétiens continuent à s’exprimer publiquement, par le biais de l’apostolat des laïcs notamment, sans passer obligatoirement par la hiérarchie. Penser à l’influence réelle que possède le quotidien La Croix, dont les journalistes exercent en toute responsabilité le charisme de prophétie de l’Esprit de leur baptême. Car la prophétie biblique n’est pas la prédiction future, mais le discernement de ce qui est en jeu dans le présent. Le journal la Croix s’y exerce chaque jour. Pensez également aux prises de parole des Semaines Sociales de France, des EDC, MCC, JOC, JIC, du Secours Catholique etc.

 

Après ce niveau communautaire, vient ensuite le groupe des Douze (Ac 2,14) qui visiblement est là comme un collège constitué, à la fois distinct de l’assemblée-Église et au cœur de celle-ci, pas séparé. Ce groupe aussi prendra part comme tel aux grandes décisions de l’Église à venir (Ac 15). C’est le niveau collégial de la parole d’Église.

 

Après tous et les Douze, vient enfin Pierre, debout au milieu des Douze. Il se risque devant tous à un long discours pour expliquer ce qui est en train de se passer. Son argumentation est solide. Il la prononce avec autorité. On l’écoute. La petite communauté des premiers chrétiens se reconnaît en lui. Et la foule des craignant-Dieu réunis à Jérusalem pour la Pentecôte juive (Shavouot) est subjuguée par son exhortation au point de vouloir rejoindre l’Église naissante. C’est le niveau personnel de la parole d’Église.

 

On a donc trois niveaux qui s’articulent et font système dans cette parole publique de Pentecôte : le communautaire (tous ensemble) / le collégial (les Douze) / le personnel  (Pierre). C’est la structure-type de la parole ecclésiale, que nous devons pratiquer encore aujourd’hui.
Une parole qui n’est pas portée par tous sera vite abandonnée (cf. par exemple la position officielle du Magistère sur la contraception, largement délaissée par le peuple catholique).
Une parole qui n’est pas mûrie avec l’aide d’un collège de responsables (synode, concile, conseils en tous genres) dérive facilement vers le populisme et l’alignement sur l’air du temps, ou vers l’autoritarisme d’un seul.
Une parole qui ne s’incarne pas en un visage, un nom, une personnalité, deviendrait rapidement une idéologie, un système politique, une de ces ‘pensées en isme’ qui ont déjà fait tant de ravages et apporté tant de malheur aux siècles derniers.

 

61qxCVzW4BL._SL1150_ Esprit dans Communauté spirituelleTous/quelques-uns/quelqu’un : ce triptyque structure la prise de parole au nom du Christ, car elle vient de l’Esprit qui est lui-même le trait d’union entre trois personnes au sein d’une communion d’amour destinée à englober toute l’humanité !

 

Un document œcuménique de 1982 exprimait avec beaucoup de justesse ce triple niveau du ministère qui s’applique également au ministère de la parole confié à l’Église dans son ensemble (il faut juste renverser l’ordre, en partant du communautaire pour aller au personnel, si l’on veut être fidèle à l’évènement de Pentecôte) :

« Le ministère ordonné devrait être exercé selon un mode personnel, collégial et communautaire

Le ministère ordonné doit être exercé selon un mode personnel.
Une personne ordonnée pour proclamer l’Évangile et appeler la communauté à servir le Seigneur dans l’unité de la vie et du témoignage manifeste le plus effectivement la présence du Christ au milieu de son peuple. 

Le ministère ordonné doit être exercé selon un mode collégial, c’est-à-dire qu’il faut qu’un collège de ministres ordonnés partage la tâche de représenter les préoccupations de la communauté. 

Finalement, la relation étroite entre le ministère ordonné et la communauté doit trouver son expression dans une dimension communautaire, c’est-à-dire que l’exercice du ministère ordonné doit être enraciné dans la vie de la communauté et qu’il requiert sa participation effective dans la recherche de la volonté de Dieu et de la conduite de l’Esprit » [2].

La synodalité de l’Église, chère au Pape François, est justement l’art d’articuler ces trois niveaux de parole et d’autorité dans nos débats et décisions…

 

Mais comment prendre la parole publiquement ?

S’il faut parler publiquement au nom de notre foi, soit. Mais pour dire quoi ? De la morale ? De la compassion ? Des réflexions philosophiques ? Parler pour ne rien dire serait bien un péché contre l’Esprit de Pentecôte !

Pour répondre, regardons simplement notre texte des Actes des Apôtres. Relevons les éléments qui jalonnent et structurent le témoignage public de l’assemblée de Pentecôte.

 

– Une joie débordante

Il y a d’abord la glossolalie/xénolalie.. L’effusion de l’Esprit provoque dans l’assemblée une réaction bizarre : les membres de l’Église chantent leur joie de la résurrection, au-delà des mots. Ils se mettent à prêcher les merveilles de Dieu accomplies en Jésus, chacun dans sa langue maternelle ; ou plus mystérieusement dans une langue étrangère. Si bien qu’il y a un double effet de Pentecôte : on les croit ivres, car ils chantent des louanges inintelligibles, et on est stupéfait d’entendre leur message chacun dans sa langue maternelle, qu’on soit arabe ou crétois, égyptien ou romain !

Louer, s’émerveiller, chanter, exulter de joie est ainsi la première parole publique de Pentecôte. Tout le contraire de ‘tristes chrétiens’ ! L’Esprit de Pentecôte nous irradie de la joie de la résurrection, dès maintenant. Le premier témoignage - à l’instar du Magnificat de Marie - est de se réjouir, de tressaillir d’allégresse : au milieu des difficultés de ce monde, la victoire sur la mort acquise en Jésus transfigure déjà nos combats, nos sacrifices, nos espérances, et nous en exultons de joie !


Comment nourrissez-vous votre joie de croire / joie de vivre ?

 

– Un signe

Cette exaltation de la petite communauté intrigue la foule. Elle constitue en soi un signe, une question : sont-ils ivres ? Comment se fait-il que chacun des entendent dans sa culture, dans sa langue maternelle ?

S’appuyer sur un signe qui interroge les foules est la deuxième étape de la parole de Pentecôte. S’il n’y a pas de signe, il n’y aura pas d’attente, pas d’attention, pas de soif de comprendre. Essayez donc de catéchiser des enfants sans les captiver au départ par un jeu, un film, une actualité, un fait divers, un événement qui les marque.…

 

Quels sont les signes sur lesquels vous pouvez vous appuyer pour développer votre annonce ?

 

– Interpréter le signe à la lumière des Écritures

Pierre part du signe du chant en langues et l’interprète en y voyant l’accomplissement de la prophétie de Joël, ce qui lui permet ensuite de revisiter les Écritures en dévoilant le filigrane qu’elles portent en elle : la résurrection de Jésus.

Impossible d’annoncer le Ressuscité sans ouvrir la Bible ! On le sait bien dans les groupes de catéchuménat des adultes : lire la Bible avec le regard neuf des catéchumènes est d’une densité humaine et spirituelle extraordinaire !

En ce sens, faire chaque année ce parcours biblique avec les 7 000 baptisés de Pâques est une chance pour revitaliser notre vieille Église française.

 

Ajoutons que cette catéchèse biblique est à chaque fois inculturée : chacun dans sa langue/culture maternelle doit pouvoir entendre l’Évangile et le comprendre

La vingtaine de kérygmes (= annonces explicites du Christ ressuscité) dans le livre des Actes montre que l’argumentation, le style, les mots et le ton employés tiennent compte à chaque fois du public à qui l’on s’adresse. Si elle puise dans le génie d’un peuple, l’annonce de l’Évangile sera entendue et portera du fruit. Si au contraire elle est plaquée de l’extérieur, elle ne sera qu’un vernis passager se délitant bien vite. La sociologue Danièle Hervieu-Léger diagnostique de façon terrible que l’exculturation du christianisme en France est sans doute le plus grave des dangers qui nous menace [3].


Comment avez-vous recours à la Bible pour éclairer les interrogations de vos proches ?

 

Peinture de la prédication de saint Pierre à Jérusalem par Charles Poërson– Une annonce explicite

C’est la pointe du discours de Pierre : « Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié » (Ac 2,36). On peut passer des heures à déblayer le terrain pour quelqu’un qui ignore tout de Jésus. Vient un moment où il faut aller droit au but, au cœur de la foi. Nous n’annonçons pas une morale, une doctrine, un système politique, une institution, mais quelqu’un : Jésus le vivant. Tout élan missionnaire qui ne se centrerait pas tôt ou tard sur cette annonce kérygmatique deviendrait du bavardage.

 

– Un appel à la conversion

Pierre annonce que le pardon est offert dans la Pâque de Jésus. Croire en lui, c’est adhérer  à sa personne, se tourner vers lui, en se détournant des idoles qui jusque-là nous faisaient courir à leur suite.

 

– Un appel à la vie ecclésiale/sacramentelle

Rejoindre l’assemblée-Église est la conséquence logique de la conversion. Impossible de devenir chrétien tout seul, même devant son écran. Le baptême est l’incorporation à une communauté nous somme membres les uns des autres.

 

– Un appel à une vie éthique

La dernière étape de la parole publique de Pentecôte est l’appel à changer nos  comportements, pour mettre notre vie en accord avec notre foi. L’éthique chrétienne est intimement liée à l’Esprit de Pentecôte qui devient notre boussole intérieure pour discerner ce qui est cohérent avec la résurrection de Jésus, et ce qui ne l’est pas. Rappelons que c’est une éthique de réponse (au don reçu par la foi, le baptême, les Écritures, l’Église) et non pas une éthique de préalable (liste de conditions nécessaires pour ‘mériter’ le titre de chrétien).

 

Lorsque nous devrons prendre la parole en public pour témoigner de notre foi, souvenons-nous du discours de Pierre :

- sur quels signes m’appuyer ?

- comment l’interpréter avec l’aide de la Bible ?

- annoncer explicitement la résurrection de Jésus, dans la culture de l’autre

– appeler la conversion au Christ (pas à une institution ou autre)

– appeler à rejoindre une communauté locale, et y accueillir chaleureusement les ‘nouveaux’

– chercher ensemble à quelles conversions éthiques la vie nouvelle de Pâques nous appelle.

 

Qu’en tout cela l’Esprit de Pentecôte nous aide et nous conduise !

___________________________________________________

[1]. Jean-André LAFFITTE, Le Capital, c’est l’humain ; l’humain est Capital, 2024.

[2]. Document œcuménique Baptême-Eucharistie-Ministère, n° 26, 1982.

[3]. Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme français : la fin d’un monde, Bayard, 2003.

 

 

 

MESSE DU JOUR

PREMIÈRE LECTURE
« Tous furent remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler » (Ac 2, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
 
PSAUME
(103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !
ou : Alléluia ! (cf. 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes oeuvres, Seigneur !
La terre s’emplit de tes biens.

Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.


DEUXIÈME LECTURE
« Le fruit de l’Esprit » (Ga 5,16-25)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates
Frères, je vous le dis : marchez sous la conduite de l’Esprit Saint, et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair. Car les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez. Mais si vous vous laissez conduire par l’Esprit, vous n’êtes pas soumis à la Loi. On sait bien à quelles actions mène la chair : inconduite, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme, envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre. Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait : ceux qui commettent de telles actions ne recevront pas en héritage le royaume de Dieu. Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. En ces domaines, la Loi n’intervient pas. Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses convoitises. Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit.

SÉQUENCE
Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière.
Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs.
Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur.
Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort.
Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous les fidèles.
Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti.
Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé.
Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé.
À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés.
Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.

ÉVANGILE
« L’Esprit de vérité vous conduira dans la vérité tout entière » (Jn 15, 26-27 ; 16, 12-15)
Alléluia. Alléluia. Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement.
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »
Patrick Braud

 

 

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