L'homélie du dimanche (prochain)

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18 septembre 2014

Personne ne nous a embauchés

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Personne ne nous a embauchés

Homélie du 25° dimanche du temps ordinaire / année A
21/09/2014

Dieu au Pôle Emploi

Les commentaires de cette parabole des ouvriers de la 11° heure sont innombrables (cf. par exemple : Les ouvriers de la 11° heure).

Personne ne nous a embauchés dans Communauté spirituelle Byzantine_agriculture

Centrons-nous aujourd’hui sur l’interrogation à la fois étonnée et douloureuse du maître de la vigne : « pourquoi restez-vous là à rien faire toute la journée ? »

On y trouve l’écho d’une conception du travail très parlante pour la mentalité du XXI° siècle.

« Personne ne nous a embauchés » : en formulant comme un reproche au monde du travail de n’avoir pas proposé à ces chômeurs de s’insérer dans l’œuvre commune (symbolisée de manière si noble par la vigne), cette parabole plaide pour une conception très personnaliste et sociale du travail.

Ne pas être embauché, c’est être exclu de la société humaine.

Aller travailler à la vigne, c’est devenir pleinement soi-même, en transformant le monde, en gagnant dignement sa vie, en faisant partie d’un corps social qui par son activité apporte joie et bonheur aux autres (le vin de la vigne !). À tel point que l’oisiveté (otium en latin) est devenue la mère de tous les vices : rester là à rien faire toute la journée est déshumanisant. On peut y lire en filigrane l’éloge du négoce (neg-otium en latin) qui se définit justement comme la négation de l’oisiveté, permettant à l’homme de répondre à l’appel de Dieu.

L’interrogation divine, et sa volonté d’embaucher coûte que coûte, même pour une heure seulement, même à prix d’or, nous rejoint par l’importance majeure que nous donnons au travail dans la réalisation de soi.

 

LES 7 SENS DU TRAVAIL

En s’inspirant des travaux de Fragnière [1] on peut distinguer 7 significations attribuées au travail tout au long de l’histoire. Le judaïsme et le christianisme à sa suite ont largement influencé ces conceptions du travail, mais pas seulement.

1. Le travail comme vocation sociale et épanouissement personnel

Quoi qu’en dise moult commentaires (partisans), c’est la première signification du travail que l’on trouve dans la Bible. Dans le jardin de la Genèse en effet, Dieu place l’homme pour le cultiver, dès l’origine, avant la chute : « Yahvé Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 2,15).

C’est donc que le travail humain participe à l’achèvement de la Création, et qu’il est fondamentalement bon pour l’homme de travailler. C’est en travaillant que l’homme réalise sa vocation de transformer le monde, d’en être le co-créateur, avec Dieu et à son image.

Cette vision très enthousiasmante du travail se retrouvera en partie dans la conception luthérienne et calviniste. Pour les réformateurs, c’est dans l’activité professionnelle que se pratique la véritable ascèse (et non pas hors du monde dans les monastères). Si quelqu’un est appelé à être sauvé, cela se vérifiera dans son travail. Le mot métier en allemand (Beruf) désigne à la fois le travail et la vocation : les réformés cherchent dans la réussite matérielle de leur business les signes de l’élection divine. Sauvés gratuitement, ils vérifient en gagnant de l’argent qu’ils sont bien bénis de Dieu [2].

Certains courants actuels réhabilitent la conception optimiste de la Genèse.
Ainsi Isaac Getz se fait le chantre des entreprises « libérées » où les collaborateurs s’épanouissent en devenant responsables, libres et autonomes dans leur travail [3].
 Et le courant du « bonheur au travail » [4] veut à nouveau rendre possible l’épanouissement personnel à travers cette révolution du management. La « fun theory » expérimente que le plaisir au travail décuple les énergies et les résultats économiques [5] !
 

La « Fish philosophy » s’inspire du marché aux poissons de Pike Place à Seattle aux États-Unis pour développer humour, ambiance et passion au travail [6] etc.

2. Le travail comme peine et châtiment

C’est la conséquence de la deuxième partie du texte de la Genèse, après la chute :

« À la femme, il dit : « Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils. À l’homme, il dit:  » À force de peines tu tireras subsistance du sol tous les jours de ta vie. Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l’herbe des champs. À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes au sol… » (Gn 3, 16-19).

Tant de générations ont sacralisé le sens du devoir et l’obligation du travail dans cette perspective un peu janséniste de pénibilité inévitable, mais finalement salutaire !

3. Le travail comme instrument de rédemption

Glissant du signe de l’élection divine à l’instrument pour obtenir cette élection, catholiques et protestants ont développé ensuite une vision morale du travail où il faut en quelque sorte mériter son salut à force d’acharnement et de labeur.

Dans la tradition bénédictine, la devise des moines : Ora et Labora exprime cette heureuse complémentarité de la prière et du travail comme voies de sanctification indissociables.

4. Le travail comme force impersonnelle

C’est Taylor qui va marquer cette époque. Avec l’industrialisation croissante, le centre n’est plus l’homme mais la machine, l’homme devient second et le poste de travail est central (Friedman).

Une nouvelle notion se fait jour : celle de « force de travail » qui s’organise, s’achète en terme de marché. Il y a donc concentration de cette force et en  conséquence séparation du lieu du travail et du lieu de vie. On ne s’intéresse plus à l’œuvre mais au revenu du travail et tout est compté en terme monétaire. La valeur humaine du travail tend vers zéro, seule la valeur économique compte.

5. Le travail comme emploi

Aujourd’hui, le travail prend la forme de l’emploi où le salarié obtient un statut social avec des droits. Ce changement de la représentation du travail est important. Il touche aux problèmes les plus cruciaux de la situation présente, avec la distinction entre le travail nécessaire pour produire une quantité donnée de biens et la forme concrète de l’emploi lié à un contrat de travail et au statut social de protection qu’il confère.

L’emploi devient une finalité en soi. C’est le droit au travail par lequel on affirme qu’on ne peut exclure personne : cela devient la revendication fondamentale. Et ce qui est nouveau, c’est que la notion de travail n’est plus liée à ce que l’on fait mais au seul statut contractuel qui lie l’individu au système. Il en résulte la perte du sens de « l’œuvre ».

6. Le travail comme temps contraint

Dans une civilisation construite autour du travail, le temps humain se structure autour de lui : les études sont une préparation au travail et non d’abord une recherche de vérité ou de sagesse constructive de soi ; à l’âge de travailler, succède la retraite, à un âge également déterminé. Le travail apparaît comme temps contraint par opposition à un temps pour soi. Ce menu de la vie ne saurait être modifié en fonction d’autres aspirations que celles du travail.

Cela englobe tout le temps humain : dans le déroulement de la vie (études, travail, retraite), de l’année (travail, vacances). Cette organisation du travail donne un découpage propre à la situation de travailleur et s’impose à celle des événements de la vie comme le mariage, les naissances et le vieillissement. C’est pourquoi on parle d’un temps contraint et le travail devient calculé en fonction du temps consacré au travail. D’où les revendications légitimes d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, pour éviter que le temps de travail ne soit trop envahissant.

7. Le travail comme activité socialisante

Nous recherchons aujourd’hui de nouvelles valeurs pour éviter la société duale qui se crée par suite du chômage et qui par le sens actuel donné au travail fabrique des exclus. Cela revient à découvrir des valeurs universelles qui valorisent toutes les valeurs précédentes, à savoir l’idée de peine, l’idée de récompense, l’idée de valorisation personnelle. Le travail donne une identité, une utilité sociale qui permet à l’individu d’exister et d’être reconnu. Le drame du chômage se situe justement dans cette absence de reconnaissance et de participation sociale.

 

Comment aujourd’hui inventer l’avenir ? En donnant une valeur nouvelle au travail à partir de l’idée que c’est l’échange qui fournit la richesse et pas seulement l’activité de production de biens, mais cela s’appliquant non seulement aux échanges économiques classiques, mais aussi entre les individus et groupes d’individus. Le travail devient alors activité d’échange et non statut, et cette activité est créatrice de travail.

Le problème n’est plus de chercher à donner du travail pour tous puisqu’il semble évident que la valeur dominante emploi va s’estomper progressivement. Par contre, il peut y avoir du travail pour tous si l’on accepte l’idée que tout est activité, puisque tout peut contribuer à l’échange entre individus, communautés, pays.

 

Une brève histoire théologique du travail

On peut tenter une synthèse de l’évolution historique de ces différentes conceptions du travail dans le tableau suivant :  

PÉRIODE

ÉVOLUTION
SOCIALE 
DU TRAVAIL

CONCEPTION
RELIGIEUSE DU TRAVAIL

 

 

 

Courant optimiste

Courant  pessimiste
(ou réaliste)

 

ANTIQUITÉ

(Grèce, Rome)

 

 

 

JUDAÏSME

AT

Division sociale:
patriciens / soldats / plèbe

Le statut social
(esclave, patricien…) n’est pas lié au ‘travail’, qui n’est pas encore
‘valeur d’échange’

Les philosophes veulent
diriger la cité, et délèguent le travail manuel, considéré comme ‘servile’,
aux  inférieurs

Travail manuel = peine, contrainte

 

Avodah
= culte = travail

Valorisation du travail
manuel qui obtient la bénédiction, et qui permet à l’homme de réaliser sa vocation
d’être co-créateur avec Dieu, à son image (Adam travaille le jardin de la
Genèse avant la chute)

Le travail non manuel
concurrence l’œuvre de Dieu (villes, richesses)

La pénibilité du travail vient de la faute
d’Ada
m

Insistance sur le shabbat pour relativiser l’importance du travail

Thème du repos
eschatologique

 

 

 

PÉRIODE PATRISTIQUE
(6° siècles)

Pas de séparation entre
‘maison’ et ‘travail’

Le travail est source
de dignité

Il permet de pratiquer
la charité

Il évite l’oisiveté (otium, d’où l’éloge du neg-otium
= négoce)

Il construit l’interdépendance
sociale

MONACHISME

Il y a unité entre
travail / méditation de l’Écriture / prière

Le travail est un moyen
de croissance
spirituelle
(ascèse)

Certains métiers sont
interdits: prêtres païens, jeux du cirque, prostitution…

La réussite dans le
travail fait tomber dans le piège de l’argent et de la domination

(le travail a besoin de
la Rédemption)

 

 

 

 

 

 

MOYEN ÂGE

(en Occident)

Division sociale
féodale:

oratores / bellatores /
laboratores

opus spirituale / opus
civile / opus artificiale

Le ‘salaire’ est une
subsistance assurée et non une rétribution d’un ‘travail’

Apparition des
« paroisses », des « confréries » et des
« métiers » (avec leurs saints patrons)

MONACHISME

Ora et Labora (St
Benoît)

Consécration -
Bénédiction – Sanctification de l’univers (cf. Canon Romain) par le don ou
l’utilité sociale

La Devotio Moderna
favorise les confréries

Travail-châtiment

Sanctification par la
pénitence

(dolorisme,
eschatologie-évasion par le haut)

Pas de représentation
de Jésus‑Travailleur

Métiers interdits:
usuriers, jongleurs, arts et commerce pour les clercs

Dévalorisation du
travail non-manuel (ars mechanica = ‘adultère’) quand il n’est pas au service
de l’Église

 

 

 

RÉFORMES
(en Occident)

Débuts du capitalisme
marchand

Contestation de l’idée
de perfection réservée à une élite => travail = voie ordinaire vers la
sainteté

Luther: Beruf (métier =
vocation)  Calvin: Vocatio

Insistance sur
l’individu, la conscience, le libre-arbitre

La réussite dans le
travail est signe de la prédestination divine au salut (pas une récompense,
mais l’effet du salut gratuitement accordé par Dieu),
l’échec est signe de la réprobation divine

 

 

 

 

 

 

 

TEMPS MODERNES

Dissociation maison /
travail (Manufactures)

Le travail devient valeur
d’échange, et donc emploi (marché de l’emploi)

Le travail devient une
force impersonnelle

Apparition des
« corporations » (XVIII°)

puis des syndicats
(XIX°)

Mythe du Progrès
(technique) par le travail

Travail = facteur
déterminant du temps humain

Les exclus du travail
prolifèrent…

Redécouverte de la
figure de Jésus‑Travailleur

DOCTRINE SOCIALE :

Le travail comme
facteur de personnalisation : réalisation personnelle et intégration
sociale

Le travail comme voie
de sanctification, et de charité-justice

Droits du travail

VATICAN II

Le travail comme
instrument de réalisation du Royaume et accomplissement de la dimension
royale du baptême

La morale chrétienne
était surtout domestique et personnelle => difficulté d’élaborer une
morale sociale et collective du travail avant 1891

Appels à la résignation
sociale dans le monde du travail (car enfer / paradis)

Pas d’idolâtrie du
travail

(lutte pour le Dimanche
libre)

Réalité humaine
traversée par le mal, et qui a besoin de la Rédemption

 

Que dis-tu de ton travail aujourd’hui ?

Ce parcours historique nous ramène à notre responsabilité actuelle, personnelle et collective, vis-à-vis de la réalité du travail :

- à quelle vigne suis-je appelé à travailler ?

- quel sens est-ce que je donne à ce travail ?

- comment me faire l’écho du désir de Dieu d’embaucher les autres à sa vigne ?

 

____________________________________________________________ 

1. Cf. G. Fragnière, « Les sept sens du travail », Futuribles, novembre 1987.
2. Cf. Max WEBER, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, 1904.
3. Cf. Liberte & Cie, Brian M. Carney et Isaac Getz, Fayard, 2012.
4. Cf. Happy RH : Le bonheur au travail. Rentable et durable, Laurence Vanhee et Isaac Getz, Ed. La Charte, 2013.
5. Ex : http://www.youtube.com/watch?v=2lXh2n0aPyw
6.  Ex : https://www.youtube.com/watch?v=TbtsfyrEF_c ; https://www.youtube.com/watch?v=-ZKiJejNRtw 

 

1ère lecture : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55, 6-9)

Lecture du livre d’Isaïe

Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver. Invoquez-le tant qu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme pervers, ses pensées !
Qu’il revienne vers le Seigneur qui aura pitié de lui, vers notre Dieu qui est riche en pardon. Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées.

Psaume : 144, 2-3, 8-9, 17-18

R/ Proche est le Seigneur de ceux qui l’invoquent.

Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
Il est grand, le Seigneur, hautement loué ;
à sa grandeur, il n’est pas de limite.
Le Seigneur est tendresse et pitié,

lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Il est proche de ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

2ème lecture : « Pour moi, vivre c’est le Christ » (Ph 1, 20c-24.27a)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens

Frères, soit que je vive, soit que je meure, la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps. En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c’est bien cela le meilleur ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. Quant à vous, menez une vie digne de l’Évangile du Christ.

Evangile : La générosité de Dieu dépasse notre justice (Mt 20, 1-16)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. La bonté du Seigneur est pour tous, sa
tendresse, pour toutes ses œuvres : tous acclameront sa justice.Alléluia. (cf. Ps 144, 7-9)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus disait cette parabole : « le Royaume des cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit au petit jour afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur un salaire d’une pièce ’argent pour la journée, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans travail. Il leur dit : ‘Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.’ Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : ‘Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?’ Ils lui répondirent : ‘Parce que personne ne nous a embauchés.’ Il leur dit : ‘Allez, vous aussi, à ma vigne.’

Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ‘Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.’ Ceux qui n’avaient commencé qu’à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’argent. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce
d’argent. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : ‘Ces derniers venus n’ont fait qu’une heure, et tu les traites comme nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !’ Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : ‘Mon ami, je ne te fais aucun tort. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour une pièce d’argent ? Prends ce qui te revient, et va-t’en.
Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? Vas-tu regarder avec un œil mauvais parce que moi, je suis bon ?’
Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »
Patrick BRAUD

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4 septembre 2014

La correction fraternelle

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

La correction fraternelle

 

Homélie du 23° Dimanche du temps ordinaire / Année A
07/09/2014

Non-assistance à personne en danger / délit de fuite / devoir d’ingérence…

Vous connaissez ces notions que l’actualité remet régulièrement à l’honneur, hélas…

Mais connaissez-vous la « correction fraternelle » dont parle le Christ dans l’Évangile de ce Dimanche 

Non-assistance à personne en danger / Délit de fuite

On redécouvre cet impératif moral : ne pas laisser quelqu’un en danger sans réagir.
L’actualité nous en a livré quelques exemples, hélas a contrario :

- Les chrétiens d’Irak sont menacés de mort par les djihadistes s’ils ne se convertissent pas à l’islam, et chassés de leur terre. Ne pas les soutenir, ne pas intervenir serait criminel. Les USA bombardent les bases de ‘l’État islamique en Irak et au Levant’ (EIIL). La France envoie une aide humanitaire, accueille des réfugiés chrétiens irakiens et arme les Kurdes contre les djihadistes. Décisons ajustées à l’urgence ? La non-assistance à personnes en danger serait de ne rien faire…

- Les sommets de la terre constatent régulièrement les dangers écologiques qui menacent la planète, et donc les générations futures : effet de serre, eau potable, développement non-durable… la non-assistance à planète en danger serait catastrophique pour l’avenir…

- Des faits divers mettent en scène régulièrement des agressions dans le métro ou le RER où personne ne réagit dans la rame, hélas.

-  Il nous est tous arrivé de reprendre notre voiture sur un parking, bien éraflée par un conducteur indélicat qui n’a même pas pris la peine de laisser une carte de visite… Le délit de fuite commence là !

Dans notre évangile, Jésus semble déjà poser les fondations du devoir d’assistance : lorsque ton frère est en danger – à cause du péché ici, et c’est vraiment dangereux de s’installer dans le péché – c’est ton devoir de lui porter secours en l’aidant à changer.

« Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute ».

Mais Jésus va encore plus loin…

●  Devoir d’ingérence

Vous vous souvenez : c’est Bernard Kouchner qui avait popularisé l’expression, au moment de la guerre des Balkans, pour justifier l’intervention européenne au Kosovo en 1999. On ne peut pas laisser chaque pays mener la politique qu’il veut sous prétexte qu’il est libre. Il y a parfois le devoir de s’ingérer dans les affaires d’autrui, au nom de notre humanité commune. Sinon, c’est le règne de l’individualisme où personne ne sait pas dans la même rue qui est son voisin et ce qu’il fait. Il y a des immeubles ou des rues dans lesquels on vit juxtaposés, sans se connaître les uns les autres, farouchement repliés sur la fameuse liberté des gens « qui font ce qu’ils veulent »,  sous-entendu « je m’en fiche, et je ne veux pas me mêler des affaires des autres ».

Pour Jésus, vivre ensemble, ce n’est pas vivre juxtaposés. C’est me sentir un peu responsable de ce que devient l’autre.
Parfois cela va jusqu’au devoir d’ingérence [1]. Par exemple, si on se sentait un plus solidaire de ce que vivent les couples amis autour de nous, on pourrait parfois intervenir avant qu’ils se séparent, car cela se voit quand un couple va mal…

Mais Jésus va encore plus loin…

 

●  Correction fraternelle

C’est l’expression consacrée pour parler de la démarche que propose Jésus.

La correction fraternelle dans Communauté spirituelleDémarche réaliste, qui constate que le péché existe bien dans nos assemblés et communautés d’Église :  » Si ton frère a commis un péché… »  Jésus est réaliste : il sait bien que les chrétiens ne seront pas forcément meilleurs que les autres. Il ne rêve pas d’une Église de purs, de parfaits. Mais il va essayer de donner une procédure pour essayer de résoudre les difficultés qui naissent tôt ou tard dans une paroisse, un groupe d’Église, dans une famille ou dans la vie sociale.

Cette procédure, c’est la correction « fraternelle ».

En quoi consiste-elle ?

- D’abord à voir l’autre comme un frère/une sœur.
Même s’il ou elle a commis un péché grave, c’est d’abord un enfant de Dieu « pour lequel le Christ est mort » comme dit St Paul (1Co 8,11). Quoi qu’il ait fait, même le pire, il reste mon frère / ma sœur en humanité. De plus, continuer à l’appeler frère m’oblige à me souvenir que moi aussi je suis pécheur : ce n’est donc pas pour « lui faire la leçon » puisque « je serais meilleur » qu’il faut lui parler, c’est pour ne pas le laisser en danger – spirituel et humain – sans réagir. C’est donc dans un climat d’amour, et non de jugement, qu’il nous est demandé d’intervenir.

- Tout l’Évangile nous parle justement de tendre une perche aux « pécheurs » et non de leur mettre la tête sous l’eau.
Juste avant le passage d’aujourd’hui, c’était la parabole de la brebis perdue : 
« gardez-vous de mépriser quiconque… soyez comme le berger qui court à la recherche de la brebis perdue… Votre Père ne veut qu’aucun ne se perde… » (Mt 18, 10-14) Et juste après, Jésus va demander à Pierre de « pardonner 70 fois 7 fois » (Mt 18, 21-22) avant de déplorer l’attitude du serviteur impitoyable et sans cœur qui ne veut pas remettre une dette à un compagnon (Mt 18, 23-25).

Ainsi, c’est dans un climat d’amour qu’il nous est demandé d’intervenir. On n’a le droit de faire une remarque à quelqu’un que si on voit en lui un frère à aimer ! Mais comme il n’y a pas d’amour sans vérité, il faut faire la vérité sur les comportements et les paroles qui blessent.

- Pour cela, Jésus établit avec tact une progression.

canards+  Seul à seul d’abord : avec discrétion, pour que le coupable puisse garder sa réputation et son honneur en changeant
rapidement.

+  À deux ou à trois ensuite : pour éviter les jugements trop subjectifs, où l’on aurait pu se tromper
d’appréciation ; et aussi pour trouver à plusieurs des arguments qui pourraient convaincre davantage. Cela permet aussi d’éviter la précipitation et l’arbitraire.

+  Et enfin devant toute l’Église : par exemple, St Jean Chrysostome refuse la communion à l’empereur qui revient des jeux du cirque. Il a du sang sur les mains : c’est un devoir d’amour que de l’exclure de la communion (ou plutôt de lui révéler qu’il s’est lui-même exclu de la communion) pour qu’il change de vie. « S’il refuse, considère-le comme un païen et un publicain » : c’est-à-dire considère-le comme quelqu’un à évangéliser de nouveau, quelqu’un qui s’est placé de lui-même en dehors de l’Église, et qui a besoin de se convertir à nouveau.

Par trois fois ce frère a repoussé la main qu’on lui tendait, et a persisté dans son péché. Après lui avoir donné toutes ses chances, pratiquement, la communauté se reconnaît impuissante vis-à-vis de ce frère. Du moins jusqu’à ce qu’il retrouve le désir de changer de vie.

Quel péché public peut justifier d’aller jusque là ? J’ai déjà cité St Jean Chrysostome et l’empereur revenant des jeux du cirque. On pourrait penser à ceux qui en Italie ou chez nous sont dans la Mafia et font pourtant semblant de prier à l’église. On pourrait penser aux extrémistes catholiques qui prêchent la haine sous alibi de défense de la chrétienté. Le tout est d’éviter la non-assistance à personne en danger, et le délit de fuite, d’appliquer avec discernement le devoir d’ingérence, et de pratiquer plus tard la correction fraternelle.

Les moines pratiquent depuis longtemps cette hygiène relationnelle. À la réunion du chapitre, chacun peut battre sa coulpe, ou le Père Abbé peut reprocher à chacun ce qu’il pense légitimement devoir lui dire afin de l’aider à vivre en communion avec les autres.

« Quand on peut amender quelqu’un et qu’on néglige de le faire, on se rend complice de sa faute » (saint Grégoire le Grand, « Moralia in Job », X 7). 

Entraînez-vous à pratiquer la correction
fraternelle
 (donnée et reçue) en famille, au travail, entre amis… : c’est exigeant, mais l’amour véritable est à ce prix.

11113010 correction dans Communauté spirituelle


[1]. « La notion d’ingérence humanitaire est ancienne. Elle reprend et élargit la notion d’intervention d’humanité qui au XIXème siècle autorisait déjà une grande puissance à agir dans le but de protéger ses ressortissants ou des minorités (religieuses par exemple) qui seraient menacées. Dans De Jure Belli
ac Pacis
 (1625), déjà, Hugo Grotius avait évoqué un “droit accordé à la société humaine” pour intervenir dans le cas où un tyran “ferait subir à ses sujets un traitement que nul n’est autorisé à faire”.  

L’idée d’ingérence humanitaire a été ranimée au cours de la guerre du Biafra (1967-1970) pour dénoncer l’immobilité des chefs d’États et de gouvernement face à la terrible famine que le conflit avait déclenchée, au nom de la non-ingérence. C’est sur cette idée que se sont créées plusieurs ONG, dont Médecins sans frontières, qui défendent l’idée qu’une violation massive des droits de la personne doit conduire à la remise en cause de la souveraineté des États et permettre l’intervention d’acteurs extérieurs, humanitaires notamment.  

La théorisation du concept date des années 1980. Le philosophe Jean-François Revel fut le premier à évoquer le « devoir d’ingérence » en 1979 dans un article du magazine français l’Express en 1979 consacré aux dictatures centrafricaine de Jean-Bedel Bokassa et ougandaise d’Idi Amin Dada. Le terme fut repris par le philosophe Bernard-Henri Lévy l’année suivante à propos du Cambodge et reformulé en « droit d’ingérence » en 1988, au cours d’une conférence organisée par Mario Bettati, professeur de droit international public et Bernard Kouchner, ancien représentant spécial des Nations Unies au Kosovo et l’un des fondateurs de Médecins sans frontières. Bernard Kouchner en a été le principal promoteur depuis et Mario Bettati a participé à la diffusion de ce concept dans les cercles onusiens notamment. »

Source : http://www.operationspaix.net/41-resources/details-lexique/devoir-et-droit-d-ingerence.html 

 

 

 

1ère lecture : Le prophète est responsable de ses frères (Ez 33, 7-9)

Lecture du livre d’Ézékiel

La parole du Seigneur me fut adressée : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les
avertiras de ma part. Si je dis au méchant : ‘Tu vas mourir’, et que tu ne l’avertisses pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à
toi, je demanderai compte de son sang. Au contraire, si tu avertis le méchant d’abandonner sa conduite, et qu’il ne s’en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie.»

Psaume : 94, 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9

R/ Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur,

mais écoutons la voix du Seigneur !
Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,

par nos hymnes de fête acclamons-le !
Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.
Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

2ème lecture : « Celui qui aime les autres accomplit la Loi »(Rm 13, 8-10)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a parfaitement accompli la Loi. Ce que dit la Loi : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras rien ; ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait rien de mal au prochain.
Donc, l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour.

Evangile : Instructions pour la vie de l’Église. Tout chrétien est responsable de ses frères (Mt
18, 15-20)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Dans le Christ, Dieu s’est réconcilié avec le
monde. Il a déposé sur nos lèvres la parole de réconciliation. Alléluia. (cf. 2 Co 5, 19)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus disait à ses disciples :

« Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes
afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le
comme un païen et un publicain. Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le
ciel.

Encore une fois, je vous le dis : si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quelque chose, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. »
Patrick BRAUD

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22 août 2014

Yardén : le descendeur

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Yardén : le descendeur

 Homélie du 21° Dimanche du temps ordinaire / Année A
24/08/2014

« Jésus était venu dans la région de Césarée de Philippe »

L’endroit où Jésus pose la fameuse question : « pour vous qui suis-je ? » n’est pas choisi au hasard (Mt 16, 13-20). 

Ceux qui ont eu la chance d’aller en Terre Sainte savent en effet que la géographie d’Israël et de Palestine est une géographie symbolique, où chaque lieu parle de l’action de Dieu dans l’histoire humaine.

La géographie de Césarée de Philippe

Césarée de Philippe est en effet une ville qui symbolise la proximité d’avec le Père.

Le Jourdain est le fils de l’Hermon (« l’humble montagne de l’Hermon » Ps 42,7), montagne aux confins du Liban, montagne aux neiges éternelles qui culmine à 2814 mètres. Sa source accrochée aux flancs de l’Hermon est à 520 mètres d’altitude, sur l’emplacement de la ville de Césarée de Philippe, qui constituait déjà un grand centre thermal au temps de Jésus.

Yardén : le descendeur dans Communauté spirituelle Caesarea-Philippi,-tb032905240-biblelieux 

Cette ville est située dans une fraîche vallée, près de l’une des principales sources du Jourdain, au pied du mont Hermon, du côté sud-ouest, à 528 mètres au-dessus du lac de Tibériade. Elle contrôle la route entre Tyr et Damas, et garde la plaine fertile du lac Huleh (le Semechonitis des Romains), irriguée par les sources du Jourdain. Le site est identifié à Baniyas (46 km à l’est de Tyr) ; le petit village qui en restait fut détruit au lendemain de l’occupation du Golan par Israël (1967). D’abord appelée Panion par les Grecs en raison du sanctuaire qu’ils y dédièrent au dieu Pan et aux Nymphe, elle fut ensuite appelée Panéas après qu’Antiochus III, vers 200 avant Jésus-Christ, y défit les Égyptiens (paneas en grec). En 20 avant Jésus-Christ, Auguste donna la région de Panéas à Hérode le Grand qui lui éleva « un temple magnifique en marbre blanc » (Flavius Josèphe), près de la grotte du dieu Pan. Après la mort d’Hérode le Grand, la région fut incluse dans la tétrarchie de Philippe qui réorganisa Panéas et qu’il nomma Césarée de Philippe, en son honneur et en celui de Tibère César. La ville devint alors un centre important de la civilisation gréco-romaine : elle contrôlait la région à laquelle elle donna son nom. Césarée de Philippe fut incluse dans le territoire d’Hérode Agrippa II (53) qui l’appela Néronias, en l’honneur de Néron. Durant la première révolte juive (66-70), elle servit de lieu de repos aux armées romaines. Césarée de Philippe eut assez tôt un évêché qui dépendant de la province de Tyr (Phénicie première). Après qu’ils eurent pris la ville (1129), les croisés y installèrent un évêque latin.

Le Jourdain, figure christique

Arrêtons-nous sur le Jourdain, pour y découvrir le sens de cet épisode sur l’identité de Jésus.

Ce n’est certes pas un fleuve comme les autres !

Depuis les hauteurs de l’Hermon, le Jourdain suit une faille qui le fait descendre de plus en plus bas, vers le lac de Tibériade (210 m au-dessous du niveau de la mer), jusqu’à la Mer Morte, le point le plus bas du globe : -392 mètres. C’est pourquoi ce fleuve s’appelle le « Jourdain », c’est à dire le « descendeur » (Yardén) en Hébreu. En faisant corps avec le Jourdain par son baptême, Jésus s’identifie à lui : il est lui aussi, par excellence, le « descendeur », celui qui jaillit des hauteurs inaccessibles du Père comme le Jourdain jaillit de l’Hermon ; celui qui va rejoindre l’humanité au plus bas, jusqu’aux enfers mêmes, dans nos Mers les plus mortes. Le Jourdain devient alors la parabole du Christ et de sa kénose d’amour : « le Christ, ayant la condition de Dieu, ne retient pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Il s’est abaissé (kénose) » (Ph 2,6‑11). Tel un plongeur, il vient plonger au plus bas de notre humanité, pour ramener vers le Père ceux que l’on croyait noyés, perdus, envasés…

C’est donc près des sources du Jourdain, à Césarée de Philippe, que Jésus annonce à ses disciples le baptême de sa Passion; c’est là encore, à l’endroit où il jaillit du Père pour descendre jusqu’à la mort, que Jésus demande à ses disciples qui il est, et donne à Pierre la primauté dans l’Église, avec le pouvoir des clés (Mt 16, 13-20).

Notre Église, notre baptême, attestent de la plongée de Dieu en notre humanité, au plus bas, pour faire triompher la vie nouvelle.

Le parallélisme entre le Jourdain et Jésus devient plus saisissant lorsqu’on voit le fleuve d’avion : il effectue de multiples méandres, plus de trois fois son trajet direct à vol d’oiseau. Voilà donc le Christ qui, comme le Jourdain descendant de l’Hermon, prend le temps de rencontrer les hommes partout sur son parcours, quitte à faire des détours, à travers les méandres de nos vies. Ce faisant, il s’y charge des déchets, des souillures, de la pollution produite par les hommes. Le Jourdain passe par le lac où les villes vident leurs poubelles ; il reprend son cours lent, sale, sinueux, à travers des méandres sans fin. « C’était nos souffrances qu’il portait » (Is 53,4).

Et c’est à 6 kilomètres de l’embouchure de la Mer Morte que Jésus est plongé pour recevoir le Baptême, c’est à dire à l’endroit où le fleuve est le plus sale. Jésus « paraît » (c’est une épiphanie) sur les bords du Jourdain (Mc 1,9) pour y être baptisé, plongé.

C’est comme si Jésus voulait faire les poubelles de l’humanité, ou venait récupérer les déchets à la déchetterie publique…
« Il a été fait péché pour nous » nous dira Saint Paul (2 Co 5,21). Il est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus. Il est venu faire corps avec tous les déchets de la société, tous les exclus d’aujourd’hui, pour les faire remonter vers le Père, lui qui jaillit du Père et y retourne.

Regardez où se jette le Jourdain : dans la Mer Morte ! Pourquoi morte ? Parce que, à cause de l’évaporation intensive à -400 m, elle s’enrichit constamment en sel (33% soit 6 fois plus que l’océan !), à tel point que nulle vie animale ou végétale ne peut s’y développer. Ni faune, ni flore, berges arides… Voilà donc le Prince de la Vie, l’Auteur de la Vie, qui se jette dans la Mer Morte ! L’Amour plonge dans une eau de mort, descendant au plus bas, jusqu’à la mort même.

Ce combat pour la vie, contre la mort, est la raison la plus profonde de la descente du Christ d’auprès du Père jusqu’à nous (Noël). La Pâque du Christ, c’est ce moment où le fleuve se jette dans la Mer Morte, et où les eaux douces viennent assainir l’eau salée, et faire gagner la vie.

Eau claire jaillissant du côté droit du Christ en croix (Jn 19,34) (souvenez-vous que pour lui, sa Passion est un baptême), notre baptême devient source des sacrements qui coulent de l’Église, corps du Ressuscité. La Vie en Christ est plus forte que la mort.

Le Jourdain dans l’histoire d’Israël

Qu’il est riche en symboles, ce Jourdain où Jésus accepte d’être aujourd’hui d’être plongé pour nous rejoindre au cœur, au plus intime, là où parfois nous avons nous-mêmes peur d’aller !… car qui n’a pas peur de fouiller dans ses propres poubelles ? …

- Josué avait déjà traversé ce Jourdain après le long exode du désert (vers 1200 avant JC), et le gué du Jourdain près de Jéricho était devenu le symbole de l’entrée dans la Terre Promise (Jos 3-4);
le baptême de Jésus, c’est vraiment le gué pour entrer dans le Royaume.

mosaique-marie1b-texte baptême dans Communauté spirituelle 

- Sur les rives du Jourdain, pour marquer l’ère nouvelle, les Israélites reçurent la circoncision et mangèrent la Pâque (Jos 5, 2-12).
Dans le baptême au Jourdain, le Christ réalise la circoncision du cœur et la Pâque nouvelle.

- Les fugitifs célèbres passeront par les gués du Jourdain pour échapper à leurs ennemis (David, Abner…) : aujourd’hui, Jésus est le passage pour échapper à la mort.

- Sur les rives du Jourdain, Élisée vit le prophète Elie s’envoler vers le ciel comme un char de feu (2R 2,1-18).
Sur les rives du Jourdain, Jean-Baptiste voit en Jésus l’Agneau de Dieu, celui qui remontera vers son Père dans la gloire de la Résurrection.

- Élisée envoya le Syrien, général d’une armée étrangère, se purifier de sa lèpre dans les eaux du Jourdain (2 R 5).
Aujourd’hui Jésus envoie tous les peuples de la terre être purifiés de leur lèpre intérieure  dans les eaux du baptême chrétien.

Oui, le Jourdain est vraiment le symbole de Jésus, le « descendeur », celui qui jaillit du Père pour nous sauver de nos Mers Mortes. À Césarée de Philippe, il prend sa source en Dieu, « l’humble montagne de l’Hermon », pour descendre au plus bas de notre humanité.

Puissions-nous, dans notre baptême, le laisser nous faire remonter – tels des saumons  - jusqu’à la source dont il jaillit sans cesse : le Père, source de tout amour ; le Père, notre avenir.

Puissions-nous également, avec lui, descendre au plus bas de notre humanité, pour aller chercher ce qui en nous était perdu, ceux qui se croient perdus des hommes, perdus de Dieu…

 



 1ère lecture : Je te confierai les clefs de la maison de David (Is 22, 19-23)

Lecture du livre d’Isaïe

Parole du Seigneur adressée à Shebna le gouverneur : « Je vais te chasser de ton poste, t’expulser de ta place.
Et, ce jour-là, j’appellerai mon serviteur, Éliakim, fils de Hilkias.
Je le revêtirai de ta tunique, je le ceindrai de ton écharpe, je lui remettrai tes pouvoirs : il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda.
Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira.
Je le rendrai stable comme un piquet qu’on enfonce dans un sol ferme ; il sera comme un trône de gloire pour la maison de son père. »

Psaume : Ps 137, 1-2a, 2bc-3, 6a.8

R/ Toi, le Dieu fidèle, poursuis ton œuvre d’amour.

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.
Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité, 

car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel, 
tu fis grandir en mon âme la force. 
Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble,
Le Seigneur fait tout pour moi. 
Seigneur, éternel est ton amour : 
n’arrête pas l’oeuvre de tes mains.

2ème lecture : Profondeur insondable du mystère du
salut
 (Rm 11, 33-36)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science de Dieu !
Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables !
Qui a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ?
Qui lui a donné en premier, et mériterait de recevoir en retour ?
Car tout est de lui, et par lui, et pour lui.
À lui la gloire pour l’éternité ! Amen.

Evangile : « Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux» (Mt 16, 13-20)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Sur la foi de Pierre le Seigneur a bâti son
Église, et les puissances du mal n’auront sur elle aucun pouvoir. Alléluia. (cf. Mt 16, 18)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus était venu dans la région de Césarée-de-Philippe, et il demandait à ses disciples : « Le Fils de l’homme, qui est-il, d’après ce que disent les hommes ? »
Ils répondirent : « Pour les uns, il est Jean Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. »
Jésus leur dit : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
Prenant la parole, Simon-Pierre déclara : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! »
Prenant la parole à son tour, Jésus lui déclara : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux.
Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle.
Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »
Alors, il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Messie.
Patrick BRAUD

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15 août 2014

Maison de prière pour tous les peuples

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 5 h 00 min

Maison de prière pour tous les peuples

Homélie du 20° Dimanche du temps ordinaire / Année A
17/08/2011

 Quelle place donner aux étrangers dans la vie sociale, culturelle, religieuse d’un pays ?

Faut-il leur accorder le droit de vote ? À quelles élections ? Quelle place peuvent-ils prendre dans les associations, dans les Églises ? Faut-il une politique d’intégration, d’assimilation, ou bien un multiculturalisme intelligent ?

Ces questions sont de toujours à toujours, et nos politiques ne sont ni les premiers ni les derniers à instrumentaliser ou au contraire à fuir ces réels enjeux du vivre ensemble. 

Isaïe transmet une prise de position courageuse, sans doute à contre-courant de l’opinion majoritaire des coreligionnaires juifs de son époque. « Je ferai bon accueil aux étrangers qui se sont attachés au service de mon Nom. Je les rendrai heureux dans ma maison de prière » (Is 56).

Bien sûr la condition exprimée semble restrictive (« s’attacher au service du Nom » = se détacher du polythéisme et devenir un craignant-Dieu). Mais pour l’époque c’est déjà révolutionnaire d’universaliser ainsi le salut et le bonheur offerts dans le Temple de Jérusalem. La conclusion est encore plus stupéfiante : « ma maison s’appellera : maison de prière pour tous les peuples » (Is 56,7). Salomon ira encore plus loin en demandant à Dieu d’exaucer les prières des étrangers qui viendront prier ici (1R 8)…

Que quelques tribus d’ex-nomades, d’ex-esclaves aient prétendu détenir la vérité sur le seul vrai Dieu est déjà un tournant unique de l’histoire humaine. Qu’ils aient élargi leur position religieuse jusqu’à en conclure logiquement que ce dieu – puisqu’il est unique – est aussi le dieu des païens, des étrangers, de l’univers tout entier, est un autre tournant tout aussi important.

 

Maison de prière pour tous les peuples dans Communauté spirituelle 16950555 

Les prophètes ne font pas de Jérusalem une capitale ethnocentrée. Elle est « maison de prière pour tous les peuples ». Le Vatican, en demandant un statut international pour la ville de Jérusalem, serait paradoxalement plus juif que les politiques juifs, dans la ligne prophétique d’Isaïe !

Paul : le souci des locaux

conf-car-paris-2009-saint-paul prière dans Communauté spirituellePaul réfléchit lui aussi à ce mystère d’Israël au milieu des nations (Rm 11). Le scandale de la croix du Christ a opéré un chassé-croisé surprenant. Ceux qui étaient loin (les étrangers) sont désormais devenus proches, et les enfants de famille (les juifs) semblent être devenus des ennemis irréductibles, alors que Jésus est l’un d’entre eux, ainsi que Paul et tous les premiers chrétiens.

L’apôtre des païens n’oubliera jamais la vocation singulière du peuple de l’Alliance. Tout en parcourant la Méditerranée, jusqu’à faire arriver le premier l’Évangile en Europe, Paul n’aura de cesse de rappeler que les fils de famille ne doivent pas être délaissés ni méprisés sous prétexte d’ouverture aux païens.

Si nous avions gardé cette tension féconde, nous n’aurions jamais regardés les juifs comme les nouveaux étrangers du christianisme. Nous aurions empêché les pogroms, les conversions forcées, peut-être même la Shoah…

Jésus : l’étranger est surprise

Jésus est juif jusqu’au bout des ongles. Alors qu’il fait un peu de camping touristique, ou du moins alors qu’il prend du repos le long de la côte libanaise (Tyr et Sidon), il semble camper dans un complexe de supériorité si courant chez les rabbins juifs. « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël » (Mt 15,21-28). Autrement dit : les étrangers, ce n’est pas mon problème. Isaïe a dû se retourner dans sa tombe ! Heureusement, la ténacité de cette libanaise qui lui réclame des miettes va ébranler l’autosuffisance juive qui n’a pas épargné même Jésus : « les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître ». Là, Jésus stupéfait est obligé de reconnaître que cette femme a raison : les étrangers sont bien invités au festin, et pas que pour des miettes ! C’est sans doute un déclic dans la conscience de Jésus.

À partir de la rencontre de cette étrangère, il défendra jusqu’au bout l’universalité de sa mission. Il annoncera de salut pour tous. L’écriteau INRI, rédigé en latin, grec et araméen témoignera de son désir de « rassembler dans l’unité des enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52), étrangers et juifs enfin réunis.

Peut-on conclure quelque chose de ce bref parcours sur la place des étrangers dans la vie d’Israël et de l’Église ?

Pas un programme politique détaillé.
Pas un catalogue de mesures répressives ou libérales.

Plutôt un état d’esprit, qui aura des conséquences énormes à la longue.

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Avec Isaïe nous continuons de proclamer que tous les étrangers ont leur place dans la maison de prière qu’est l’Église, pour tous les peuples.

Avec Paul, nous rappelons en même temps il ne faut pas oublier les fils de la maison, ceux qui accueillent, et qui ont besoin de ne pas devenir symétriquement les étrangers des autres.

Avec Jésus, nous voulons nous laisser surprendre dans la rencontre de l’étranger, qui a tant de choses à nous apprendre sur Dieu.

Ce n’est qu’un socle sur lequel bâtir une vraie politique d’accueil des étrangers. Il faudrait d’ailleurs relire tous les textes bibliques accordant aux étrangers un statut d’égalité avec les juifs dans le Royaume d’Israël (ex: « la loi sera la même pour le citoyen et pour l’étranger en résidence parmi vous » Ex 12,49 etc.)

Mais ce socle pourrait déjà changer bien des choses dans nos têtes, dans nos coeurs, dans notre porte-monnaie.

 

 

 

1ère lecture : Dieu accueille les étrangers qui viennent le prier (Is 56, 1.6-7)

Lecture du livre d’Isaïe

Parole du Seigneur :
Observez le droit, pratiquez la justice. Car mon salut est approche, il vient, et ma justice va se révéler.

Les étrangers qui se sont attachés au service du Seigneur pour l’amour de son nom et sont devenus ses serviteurs, tous ceux qui observent le sabbat sans le profaner et s’attachent fermement à mon Alliance, je les conduirai à ma montagne sainte. Je les rendrai heureux dans ma maison de prière, je ferai bon accueil, sur mon autel, à leurs holocaustes et à leurs sacrifices, car ma maison s’appellera « Maison de prière pour tous les peuples ».

 

Psaume : Ps 66, 2b-3, 5abd, 7b-8

R/ Dieu, que les peuples t’acclament !
Qu’ils t’acclament, tous ensemble !

Que ton visage s’illumine pour nous ;
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.

Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
sur la terre, tu conduis les nations.

Dieu, notre Dieu, nous bénit.
Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !

 

2ème lecture : Le rôle des Juifs dans la nouvelle Alliance (Rm 11, 13-15.29-32)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères,
je vous le dis à vous, qui étiez païens : dans la mesure même où je suis apôtre des païens, ce serait la gloire de mon ministère de rendre un jour jaloux mes frères de race, et d’en sauver quelques-uns.
Si en effet le monde a été réconcilié avec Dieu quand ils ont été mis à l’écart, qu’arrivera-t-il quand ils seront réintégrés ? Ce sera la vie pour ceux qui étaient morts !

Les dons de Dieu et son appel sont irrévocables.
Jadis, en effet, vous avez désobéi à Dieu, et maintenant, à cause de la désobéissance des fils d’Israël, vous avez obtenu miséricorde ; de même eux aussi, maintenant ils ont désobéi à cause de la miséricorde que vous avez obtenue, mais c’est pour que maintenant, eux aussi, ils obtiennent miséricorde.
Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous les hommes.

 

Evangile : Jésus exauce la prière d’une étrangère (Mt 15, 21-28)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur protège l’étranger. Heureux qui met en lui son espoir !Alléluia. (Ps 145, 5.8-9)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 

Jésus s’était retiré vers la région de Tyr et de Sidon.
Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, criait : « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. »
Mais il ne lui répondit rien. Les disciples s’approchèrent pour lui demander : « Donne-lui satisfaction, car elle nous poursuit de ses cris ! »
Jésus répondit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël. »
Mais elle vint se prosterner devant lui : « Seigneur, viens à mon secours ! »
Il répondit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens. ? C’est vrai, Seigneur, reprit-elle ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. »
Jésus répondit : « Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux ! » Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.
Patrick BRAUD

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