L'homélie du dimanche (prochain)

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26 janvier 2025

Syméon l’anti-bernique

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Syméon l’anti-bernique

 

Homélie pour la fête de la Présentation du Seigneur au Temple / Année C
02/02/25


Cf. également :

Chandeleur : les relevailles de Marie

Chandeleur et Vie Religieuse : vos Vœux nous Intéressent

Quand le corps tombe en ruines 

 

1. Nunc dimittis

Syméon l’anti-bernique dans Communauté spirituelle Nunc-Dimittis-Musique-de-la-Collection-DubenUn journaliste raconte que Jean-Marie Le Pen – bête de scène à son époque – était un jour invité à une émission politique, style l’Heure de vérité ou autre. À la fin, l’intervieweur lui pose la question : ‘Que diriez-vous si un jour c’était votre fille et non vous-même qui était élue Présidente de la République ?’ Le vieux lion au verbe acéré répondit : « Nunc dimittis ». Silence embarrassé du journaliste, qui attendait dans son oreillette l’explication de ces mots inconnus, car sa culture latine devait être aussi faible que sa culture biblique…
Rassurez-vous : je ne partage ni les idées ni la stratégie de feu Jean-Marie Le Pen, mais avouez que sa réplique avait du panache ! « Nunc dimittis » : c’est bien sûr le début en latin du cantique de Syméon de notre Évangile de la Présentation (Lc 2,22-40), que les moines et moniales chantent tous les soirs à l’office de Complies :

« Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. 

(Nunc dimittis servum tuum, Domine, secundum verbum tuum in pace).

Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »

 

La version sécularisée cet hymne peut convenir à beaucoup de situations : ici au vieux leader qui cède la place à sa fille, là aux champions sportifs qui comme Nadal ou Federer savent raccrocher leur raquette au sommet de leur gloire, ou encore lorsqu’un chef d’entreprise familiale sait vendre son bébé à temps et s’en détacher, ou lorsque comme Syméon l’on pressent que le but d’une vie est désormais atteint. Cet art de l’effacement de soi une fois l’objectif réalisé fait évidemment penser à l’attitude de Jean-Baptiste qui au Jourdain s’efface derrière la valeur montante qu’est son cousin  : « Il faut qu’il croisse et que je diminue » (Jn 3,30). Dans les deux cas, toucher à la plénitude est source de détachement et de dépossession. Au lieu de se cramponner à un poste de pouvoir comme font les politiques une fois élus – jusqu’à atteindre des âges déraisonnables – Syméon et Jean-Baptiste laissent la course se poursuivre sans eux. Ils ont fait leur part du travail. Ils peuvent décrocher en paix.

 

Âge des dirigeants en févirer 2024

Âge des dirigeants en février 2024

 bernique dans Communauté spirituelleAvec les années, comment ne pas se sentir concerné tôt ou tard par ce courageux lâcher-prise ? Que ce soit pour laisser ses enfants continuer leur trajectoire sans vous, pour remettre à d’autres la responsabilité de ce que vous avez bâti, pour susciter des vocations nouvelles au lieu d’être l’indéboulonnable, l’indispensable, vous ferez tôt ou tard cette expérience : il est temps pour moi de partir en vous transmettant les clés. Ne pas consentir à cet effacement, c’est préférer la reconnaissance sociale à l’efficacité, c’est instrumentaliser les responsabilités pour sa propre gloire au lieu de servir, c’est compromettre l’avenir de ceux qui viendront après…

 

C’est si commun ! Ces gens me font penser aux « chapeaux chinois » (les berniques), ces coquillages que nous récoltions enfants sur les rochers des plages de Bretagne : il fallait un bon couteau et pas mal de patience et de force pour les détacher de leur rocher auquel ils étaient collés de toute la puissance de leur muscle-ventouse. « Comme une bernique à son rocher » est devenue une expression populaire désignant l’attitude des personnes-sangsues qui restent scotchées à leurs galons, à leur poste en entreprise ou association, voire à leur partenaire, tant et si bien qu’on n’arrive jamais à les décoller !

 

Syméon est l’anti-bernique par excellence !

Célébrer la Présentation au Temple ce dimanche nous invite à puiser en nous cette liberté spirituelle : savoir discerner quand c’est le moment de raccrocher et comment le faire avec panache. Sacré enjeu !

 

2. J’ai achevé ma course

b24af3b58b4686b1e9731305b4df4caa suicideJe me souviens de ma grand-mère, à plus de 80 ans (dans les années 60, on était un vieillard à ces âges-là !), Veuve depuis longtemps, elle me confiait tristement : ‘Le bon Dieu m’a oublié. Je connais plus de monde là-haut qu’ici-bas. J’ai terminé mon tour de piste maintenant et je ne sais pas ce que je fais encore là. Je prie Dieu chaque jour de venir me chercher’. Ce discours me faisait pleurer à chaque fois dans ses bras, mais instinctivement je ne cherchais pas à la contredire, ni à la dissuader de prier pour partir. Car au fond, une fois qu’on a accompli 99 % du programme initial, il ne reste plus grand-chose. Je trouvais qu’elle n’avait pas tort finalement de se languir en trouvant le temps bien long. Et pour les croyants, la perspective d’aller rejoindre la famille des aimés de l’au-delà vaut mieux que la longue et solitaire attente au bout du couloir…

 

Avec de tels raisonnements, je ne suis pas loin du plaidoyer pour le suicide assisté ! Vient un moment où quelqu’un peut discerner qu’il est temps pour lui de partir. Syméon nous pousse à y réfléchir : désirer mourir non pas pour éviter la souffrance, la douleur insupportable - car ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans le texte de Luc - mais mourir… de plénitude ! Quand on se dit à soi-même : ‘J’ai fait l’essentiel. Maintenant, tout le reste n’est plus que prolongations’, c’est qu’on a vraiment envie de rentrer aux vestiaires…

N’allez pas trop vite crier au scandale ! Souvenez-vous que Paul lui-même confiait ressentir cette envie de mourir à l’approche du martyre de Rome vers lequel il voyageait, inexorablement : « Moi, en effet, je suis déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » (2Tm 4,6-7). Et : « Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire » (Ph 1,23-24).

« J’ai achevé ma course » : c’est ce que cherchait à me dire ma grand-mère. C’est ce que cherchent à nous dire – pour qu’on les respecte dans cette volonté – les milliers de gens qui ont recours chaque année à cette procédure là où elle a été légalisée sous strictes conditions (Suisse, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Canada, Espagne, Australie, Autriche, quelques états des USA etc.).

 

StatsSuicideAssisteSuisse Syméon

 

Précisons tout de suite que Syméon ne cherche pas à mourir, mais se déclare prêt à accueillir la mort maintenant qu’il a vu le Messie. On ne peut donc pas tordre le texte de son cantique pour le transformer en plaidoyer pour le suicide assisté ! Surtout que la plupart des demandes ont pour but d’éliminer la souffrance, alors que Syméon est au contraire dans la plénitude de la joie maintenant que sa mission est accomplie. 

Reste que l’envie de mourir n’est pas illégitime pour Syméon ou Paul, une fois l’essentiel de leur mission achevé. C’est ce qu’exprime l’expression populaire (imaginée par Goethe semble-t-il) : « Voir Naples et mourir » (en italien : ‘Vedi Napoli e poi muori’ ; littéralement : ‘Vois Naples et puis meurs’). Elle est couramment employée par les Napolitains, si imprégnés de la beauté envoûtante de leur ville qu’ils estiment allégoriquement qu’après une telle émotion, la vie n’a plus de sens. Du haut de ses 2700 ans d’existence, la ville mérite bien un tel engouement par l’unique diversité, la concentration et la richesse de son patrimoine historique, architectural, culturel, artistique, musical, gastronomique, sociologique, balnéaire et la douceur de son climat.

Il y a quelques moments comme celui-là devant la baie de Naples où l’on peut dire : « Maintenant, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix… »

 

Les bonnes âmes charitables vont protester en multipliant les lotos et les ateliers de gymnastique douce dans les EHPAD pour enthousiasmer les résidents languissants… Mais rien n’y fait. Certains deviennent imperméables aux promesses d’un mieux-être à leur âge : « Ma vie est derrière moi ». Et qui pourrait les convaincre du contraire ? Bien sûr, il y a toujours, jusqu’au bout, de vrais moments de joie, d’amitié et de fraternité à partager. Ceux qui visitent régulièrement les personnes âgées solitaires, à domicile ou en institution, le savent pourtant bien : quelques éclairs d’amitié ou de plaisir partagé ne lavent pas la grisaille quotidienne qui se dépose jour après jour, jusqu’à tout recouvrir. Alors, on attend la fin, et on en vient à la souhaiter.

 

L’opposition de l’Église catholique au suicide assisté est bien connue : la vie est sacrée, nul n’a le droit d’en disposer, même pour soi-même (« Tu ne tueras pas »), seule la fin dite ‘naturelle’ est légitime (Catéchisme de l’Église catholique, nos 2280–2283). Et l’Église catholique est très vigilante – à raison – sur les dérives possibles d’une légalisation du suicide assisté, notamment pour les personnes vulnérables (âgées, handicapées). Le catéchisme reconnaît quand même la « proportionnalité des soins » et le refus de « l’acharnement thérapeutique ».« On ne veut pas ainsi donner la mort ; on accepte de ne pas pouvoir l’empêcher » (n. 2278). Évoquant la question de la souffrance, le Catéchisme assure que « l’usage des analgésiques pour alléger les souffrances du moribond, même au risque d’abréger ses jours, peut être moralement conforme à la dignité humaine si la mort n’est pas voulue, ni comme fin ni comme moyen, mais seulement prévue et tolérée comme inévitable » (n. 2279). La doctrine catholique assure par ailleurs que « les soins palliatifs constituent une forme privilégiée de la charité désintéressée ». À ce titre, ils sont « encouragés ». 

Mais la position sur le suicide assisté est sans nuance : « la coopération volontaire au suicide est contraire à la loi morale »…

En contrepoint, on a déjà étudié les récits de suicide dans la Bible (cf. Quand le corps tombe en ruines), où les rédacteurs ne prennent pas position pour ou contre, ce qui laisse la question ouverte.

 

En France, la dissolution malheureuse de juin 2024 a reporté le débat en cours préparant un vote d’une loi sur la fin de vie. Dans une interview du 10/03/2024 à La Croix &  Libération, Emmanuel Macron précisait les conditions d’accès prévues pour l’aide à mourir :

642695439d9f8_080-hl-mgruss-1915845- E.M. : Cet accompagnement sera réservé aux personnes majeures, comme la Convention citoyenne l’avait recommandé. Deuxième condition : les personnes devront être capables d’un discernement plein et entier, ce qui signifie que l’on exclut de cette aide à mourir les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer. Ensuite, il faut avoir une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme. Enfin, le quatrième critère est celui de souffrances – physiques ou psychologiques, les deux vont souvent ensemble – réfractaires, c’est-à-dire que l’on ne peut pas soulager. Si tous ces critères sont réunis, s’ouvre alors la possibilité pour la personne de demander à pouvoir être aidée afin de mourir. Ensuite, il revient à une équipe médicale de décider, collégialement et en transparence, quelle suite elle donne à cette demande.

 

- La Croix & Libération : Vous excluez le terme de suicide assisté, mais si l’équipe médicale accède à la demande, ce sera bien au patient d’effectuer le geste final, le geste létal ?

 

- E.M. : Je vais vous lire ce qui est écrit dans le projet de loi. « L’administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même ou, lorsque celle-ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsque aucune contrainte d’ordre technique n’y fait obstacle, soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne ».

 

Que vous soyez ou non d’accord avec la possibilité du suicide assisté, il faut vous y préparer, comme phénomène de société. C’est la responsabilité des chrétiens que de réfléchir aux questions que cela pose, et d’accompagner – sans condamner, même s’il faut poser des repères – ceux qui voudraient s’y engager.

Sommes-nous prêts ?

 

« J’ai achevé ma course » : viendra un moment où nous pourrons faire nôtre cette plénitude qui nous libère du devoir d’être là.

« Nunc dimittis » : plusieurs fois dans notre existence, nous aurons l’occasion de nous détacher, de laisser les autres aller plus loin sans nous.

Allons-nous nous accrocher, telle la bernique sur son rocher, où allons-nous avec pleine confiance consentir à nous effacer ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez » (Ml 3, 1-4)

Lecture du livre du prophète Malachie
Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient – dit le Seigneur de l’univers. Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs. Il s’installera pour fondre et purifier : il purifiera les fils de Lévi, il les affinera comme l’or et l’argent ; ainsi pourront-ils, aux yeux du Seigneur, présenter l’offrande en toute justice. Alors, l’offrande de Juda et de Jérusalem sera bien accueillie du Seigneur, comme il en fut aux jours anciens, dans les années d’autrefois. Parole du Seigneur.

Psaume
(Ps 23 (24), 7, 8, 9, 10)

R/ C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ; c’est lui, le roi de gloire. (Ps 23, 10bc)

Portes, levez vos frontons,
élevez-vous, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !

Qui est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur, le fort, le vaillant,
le Seigneur, le vaillant des combats.

Portes, levez vos frontons,
levez-les, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !

Qui donc est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ;
c’est lui, le roi de gloire.

Deuxième lecture
« Il lui fallait se rendre en tout semblable à ses frères » (He 2, 14-18)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Puisque les enfants des hommes ont en commun le sang et la chair, Jésus a partagé, lui aussi, pareille condition : ainsi, par sa mort, il a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable,     et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves.     Car ceux qu’il prend en charge, ce ne sont pas les anges, c’est la descendance d’Abraham.     Il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu, afin d’enlever les péchés du peuple.     Et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion, il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve.

Parole du Seigneur.

Évangile
« Mes yeux ont vu ton salut » (Lc 2, 22-40)
Alléluia. Alléluia. Lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. Alléluia. (Lc 2, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.

Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »
Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »
Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de 84 ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Patrick BRAUD

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5 janvier 2025

Ces moments où le ciel s’ouvre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ces moments où le ciel s’ouvre

 

Homélie pour la fête du Baptême du Seigneur / Année C
12/01/25


Cf. également :
L’Esprit de la colombe
Une parole performative
La voix de la résilience
Jésus, un somewhere de la périphérie
De Star Wars au baptême du Christ
Baptême du Christ : le plongeur de Dieu
« Laisse faire » : éloge du non-agir
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Lot de consolation
Yardén : le descendeur
Rameaux, kénose et relèvement
Il a été compté avec les pécheurs
Le principe de gratuité

 

1. 1886 : Par trois fois, les cieux s’ouvrent

Ces moments où le ciel s’ouvre dans Communauté spirituelle 435113323Lors de la réouverture de Notre-Dame de Paris le 8 décembre dernier, la statue de la Vierge Marie devant le pilier était plus immaculée que jamais. Elle en a vu des touristes, des pèlerins, des désespérés, des sceptiques… ! La nuit de Noël 1886, elle a notamment aperçu une ombre se glissant furtivement près d’elle, afin d’écouter le Magnificat de la chorale qui emplissait les voûtes. Bouleversé, Paul Claudel racontera plus tard : j’étais « près du second pilier à l’entrée du chœur à droite du côté de la sacristie. Et c’est alors que se produisit l’évènement qui domine toute ma vie. En un instant, mon cœur fut touché et je crus. Je crus d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante que depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée n’ont pu ébranler ma foi ».

Claudel était rentré à Notre-Dame athée, il en est ressorti chrétien, sans bien savoir ce que cela voulait dire. Mais dans tous ses écrits il suit ce fil rouge du bouleversement inattendu qu’il appelle la grâce.

Le ciel a pu s’ouvrir sous la charpente d’une cathédrale, rénovée ou pas !

 

C’est sûrement à l’une de ces expériences d’une transcendance faisant irruption de manière subite et totale que renvoie l’Évangile du baptême de Jésus au Jourdain (Lc 3,15-22) : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » ».

 Ici la cathédrale c’est le désert de Jordanie, le Magnificat est fait du bruit des eaux du Jourdain, la chorale c’est le peuple en prière, et la Vierge du pilier n’est autre que la colombe à la voix. Jésus est bouleversé au plus profond de son être, comme nous le sommes avec Claudel lorsque quelque chose de plus grand que nous nous saisit, nous étreint, nous éblouit, et nous révèle qui nous sommes en vérité, notre identité et notre vocation : « tu es mon fils bien-aimé… »

Pour nous persuader que cette expérience des cieux ouverts est possible pour chacun, il suffit d’évoquer deux autres coups de foudre en cette année 1886, où comme Claudel deux  figures spirituelles reçoivent leur baptême du feu pour brûler de cet amour le reste de leur vie : Thérèse de Lisieux et Charles de Foucauld.

 

Transfiguration : le phare dans la nuitPour Thérèse, ce fut au retour de la messe de Minuit chez elle à Lisieux. À onze ans, en entendant son père pester malgré lui contre l’obligation des cadeaux à faire aux enfants, elle prit conscience tout à coup que la petite voie, justement celle de l’enfance spirituelle, serait son chemin de croissance en Dieu.

« Ce fut le 25 décembre 1886 que je reçus la grâce de sortir de l’enfance, en un mot la grâce de ma complète conversion. Nous revenions de la messe de minuit où j’avais eu le bonheur de recevoir le Dieu fort et puissant. En arrivant aux Buissonnets, je me réjouissais d’aller prendre mes souliers dans la cheminée, cet antique usage nous avait causé tant de joie pendant notre enfance que Céline (l’une de ses quatre sœurs) voulait continuer de me traiter comme un bébé puisque j’étais la plus petite de la famille…

Papa aimait à voir mon bonheur, à entendre mes cris de joie en tirant chaque surprise des souliers enchantés, et la gaîté de mon Roi chéri augmentait beaucoup mon bonheur, mais Jésus voulant me montrer que je devais me défaire des défauts de l’enfance m’en retira aussi les innocentes joies, il permit que Papa fatigué de la messe de minuit éprouvât de l’ennui en voyant mes souliers dans la cheminée et qu’il dit ces paroles qui me percèrent le cœur : “Enfin, heureusement que c’est la dernière année !”

Je montais alors l’escalier pour aller défaire mon chapeau, Céline connaissant ma sensibilité et voyant des larmes briller dans mes yeux eut aussi bien envie d’en verser, car elle m’aimait beaucoup et comprenait mon chagrin : “Ô Thérèse ! me dit-elle, ne descends pas, cela te ferait trop de peine de regarder tout de suite dans tes souliers”.

Mais Thérèse n’était plus la même, Jésus avait changé son cœur ! Refoulant mes larmes, je descendis rapidement l’escalier et comprimant les battements de mon cœur, je pris mes souliers et les posant devant Papa, je tirai joyeusement tous les objets, ayant l’air heureuse comme une reine. Papa riait, il était redevenu joyeux et Céline croyait rêver !…

En cette nuit de lumière commença la troisième période de ma vie, la plus belle de toutes, la plus remplie des grâces du Ciel… En un instant l’ouvrage que je n’avais pu faire en dix ans, Jésus le fit se contentant de ma bonne volonté qui jamais ne me fit défaut. […] Il fit de moi un pêcheur d’âmes, je sentis un grand désir de travailler à la conversion des pécheurs, désir que je n’avais [pas] senti aussi vivement… Je sentis en un mot la charité entrer dans mon cœur, le besoin de m’oublier pour faire plaisir et depuis lors je fus heureuse !… ».

(Manuscrits autobiographiques, 1897)

 

Pour le jeune Charles de Foucauld, ce fut la rencontre avec l’abbé Huvelin, dans son confessionnal  le 30 octobre 1886 dans l’église St Augustin, à Paris. Il voulait disserter à la manière d’un mondain qu’il était sur les troubles de sa vie fortunée. L’abbé Huvelin lui ordonna de se mettre à genoux et de se confesser sans détours. Les larmes de Charles de Foucauld se confessant lui restèrent une source intarissable de courage pour faire corps avec les délaissés croisés au Maroc, les Touaregs à qui il consacra le meilleur de lui-même.

Charles de Foucauld exprime sa volonté de retrouver la foi. L’abbé Huvelin lui demande alors de se confesser, ce que Foucauld fait aussitôt. Il lui donne ensuite la communion. C’est, d’après lui, une seconde révélation : « Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui : ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi : Dieu est si grand. Il y a une telle différence entre Dieu et tout ce qui n’est pas Lui ».

 

Paul Claudel, Thérèse de Lisieux, Charles de Foucauld : l’ouverture céleste que nous fêtons ce dimanche n’en finit pas de se répliquer en d’innombrables déchirures salutaires dans l’histoire de l’humanité, et dans notre propre histoire.

 

2. Quand les cieux s’ouvrent dans la Bible

9782343205656r 1186 dans Communauté spirituelleCe sont les prophètes qui témoignent de leur inspiration divine en prenant cette image des cieux ouverts, YHWH communiquant sa parole à travers cette « faille spatio-temporelle »  (comme aiment dire les auteurs de science-fiction !). Ainsi Ézéchiel en exil sur les rives de Babylone : « La trentième année, le quatrième mois, le cinq du mois, je me trouvais à Babylone au milieu des exilés près du fleuve Kebar ; les cieux s’ouvrirent et j’eus des visions divines » (Ez 1,1).

Ainsi Isaïe appelle de ses vœux une nouvelle alliance à conclure comme Sinaï : « Nous sommes comme des gens que tu n’aurais jamais gouvernés, sur lesquels ton nom n’est pas invoqué. Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face » (Is 63,19).

Dans le Nouveau Testament, les trois récits (Mt/Mc/Lc) du baptême de Jésus au Jourdain emploient l’expression « les cieux s’ouvrirent », signe de l’importance de ce symbolisme pour l’époque. D’ailleurs, Jean est dans la même ligne lorsqu’il montre Jésus prophétisant devant Nathanaël ébahi : « Amen, amen, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme » (Jn 1,51). Mélangeant les cieux ouverts d’Isaïe et d’Ézéchiel avec le songe de Jacob (l’échelle sur laquelle des anges descendent et montent au ciel), Jean évoque la gloire de la résurrection en termes d’accès à la vie divine en elle-même à travers cette déchirure. À la différence de l’Ancien Testament ou du Coran où Dieu reste Dieu sans se mélanger à l’homme, même à la fin des temps, l’espérance chrétienne nous met devant la perspective grandiose d’une communion réelle entre Dieu et l’homme, dans les deux sens.

Dans les Actes des apôtres, le premier martyre – Étienne – reprendra ce thème prophétique en le mixant avec celui du Fils de l’homme, figure messianique du jugement dernier : « Voici que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » (Ac 7,56).

Plus près de nous, et de façon plus pragmatique, Pierre a recours à cette image des cieux ouverts pour légitimer son abandon (scandaleux pour les juifs ou les musulmans !) des interdits alimentaires religieux : « Il contemplait le ciel ouvert et un objet qui descendait : on aurait dit une grande toile tenue aux quatre coins, et qui se posait sur la terre » (Ac 10,11). Aucun animal n’est impur, il n’y a plus ni cashrout, ni halal, ni interdit de manger du porc etc. : il fallait bien une intervention divine majeure – les cieux ouverts ! – pour faire accepter cette révolution rituelle aujourd’hui encore refusée par les grandes religions non chrétiennes !

L’auteur de l’Apocalypse parle quant à lui d’une « porte ouverte dans le ciel » (Ap 4,1) pour légitimer sa vision prophétique. Alors que, dans le récit effrayant des 4 cavaliers de l’Apocalypse, le ciel ouvert symbolise l’irruption de la justice – enfin ! – voulue par Dieu au milieu des conflits de ce monde : « J’ai vu le ciel ouvert, et voici un cheval blanc : celui qui le monte s’appelle Fidèle et Vrai, il juge et fait la guerre avec justice » (Ap19,11).

 

Au Jourdain, bouleversé par l’expérience de sa filiation divine, Jésus est l’héritier de cette tradition biblique. Il n’a pas de mots pour décrire ce qui lui arrive, mais il a cette métaphore des cieux ouverts : une brèche est apparue dans ce qui le séparait encore de Dieu, il est désormais en ligne directe avec YHWH, et l’Esprit comme une colombe est le messager qui fait des allers-retours entre les deux…

 

Peut-il en être de même pour nous ?

 

3. La playlist de vos déchirures

 

Anamnèse musicale

 anamnèseSans savoir pourquoi, je me suis récemment pris au jeu de l’exercice suivant. Prenez une feuille de papier (ou votre clavier) ; laisser vagabonder votre mémoire à la recherche d’un moment musical qui vous a marqué et vous marque encore. Un de ces moments où l’on peut dire : c’était tel jour, à telle heure, avec telle personne, en tel lieu. J’ai commencé par un souvenir musical particulier : la Nuit Transfigurée, d’Arnold Schoenberg, alors que j’étais en retraite dans un monastère. Je revois maintenant la scène, où et quand. Et l’émotion qui m’a submergé d’abord en me laissant envahir par la musique, puis en faisant le lien avec le contenu que Schoenberg exprimait avec tant d’intensité : un couple au bord de la rupture confronté au choix d’accepter ou non l’enfant qui vient d’un autre [1]). Cette émotion fut fulgurante, et demeure telle. La révélation qu’elle m’a apporté ce soir-là fut aveuglante. J’ai réécouté cent fois ce sextuor depuis. Sa trace en moi n’a jamais faibli. Je crois vraiment que non seulement les cieux s’ouvrirent la première fois que je l’ai découvert, bouleversé et pantois, mais que les cieux s’ouvrent à nouveau quand je le réécoute, seul, immobile dans l’obscurité…

Une fois couché par écrit ce premier souvenir, de fil en aiguille, j’ai aligné sur le papier un autre kaïros musical dont l’incandescence rougeoie toujours en moi (le 3° mouvement du concerto pour violon de Chostakovitch), puis un autre, et encore un autre, et encore… si bien que je me suis retrouvé avec une liste impressionnante d’une vingtaine au moins de vraies déchirures musicales qui font partie de moi, de mon histoire, mon identité, de ma mission.

 

Expérience commune à vrai dire ! Demandez aux couples : rares sont ceux qui n’ont pas une danse, une musique, une chanson où ils se sont embrassés et aimés, et qui restent pour eux la mélodie de leur amour. Et pas besoin d’aller chercher Schoenberg ou Chostakovitch ! Il suffit qu’une chanson soit un repère dans votre mémoire, comme une borne kilométrique avec son avant et son après, et vous avez vu les cieux s’ouvrir !

Une récente étude canadienne [2] confirme ce que toutes les religions savent bien depuis longtemps : la musique soutient la mémoire, à tel point que les chercheurs parlent d’échafaudage cognitif pour évoquer l’apport de la musique au travail de la mémoire. Les mélodies plantent les souvenirs dans la tête aussi efficacement que des piolets crochent la glace et des mousquetons s’ancrent dans le rocher. C’est pourquoi les juifs psalmodient depuis 3000 ans, c’est-à-dire chantent les psaumes en les rythmant avec leur corps. C’est pourquoi les moines chantent sans cesse : ils connaissent par cœur les 150 psaumes et bien d‘autres hymnes et textes grâce au chant qui les a imprimés dans leur tête et leur cœur 7 fois par jour. La musique est ainsi un moyen de maintien et d’entraînement cognitifs éprouvé, à tout âge. Garder la mémoire de ce que nous avons vécu de vrai et d’intense passe plus facilement par la musique, et l’anamnèse musicale contribue à dresser cet échafaudage cognitif qui nous permet de ne pas oublier.

 

Votre playlist

68393f77a8efa6cbafbaf10d202df698 baptêmeChacun de nous peut ainsi composer la playlist de ses déchirures, la litanie de telles fulgurances musicales, comme les grains d’un chapelet dont la cordelette court entre nos doigts…

Et si ce n’est pas la musique, ce sera la peinture (les tableaux qui vous ont fait chavirer), ou les livres (ces compagnons de marche), ou l’architecture (les palais de Gênes me font toujours rêver d’ailleurs !), ou les paysages dont la beauté se fiche en plein cœur à vous couper le souffle pendant de longues minutes…

Certains pourront même composer la playlist de leurs souvenirs culinaires, petites madeleines de Proust où quelque chose s’est joué de leur existence dans le goût délicieux et ineffaçable d’une nourriture partagée…

 

L’important, c’est l’anamnèse (musicale, littéraire, culinaire, artistique etc.) qui maintient ouverte cette porte entre le ciel et nous.

L’Alzheimer spirituel nous guette si nous ne nous pouvons plus raconter les fractures heureuses de notre histoire où le ciel s’est rapproché, où la colombe a volé entre lui et nous…

 

Et vous, quel sera votre playlist de ces moments où le ciel s’ouvrit ?

_____________________________


[1]
. «  »Tu vas l’enfanter pour moi, de moi / Tu as apporté un éclat de lumière en moi / Tu m’as moi-même refait enfant. » Il embrasse sa forte taille/ Leur souffle se mêle dans les airs / Deux personnes vont dans la nuit haute et claire ».

[2]
. Effets de l’âge et de la familiarité sur la mémoire musicale, 24 juillet 2024. Cf. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0305969

 

LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« La gloire du Seigneur se révélera, et tout être de chair verra » (Is 40, 1-5.9-11)


Lecture du livre du prophète Isaïe

Consolez, consolez mon peuple, – dit votre Dieu – parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli, que son crime est expié, qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses fautes.
Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. »
Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! » Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent.

Psaume
(Ps 103 (104), 1c-3a, 3bc-4, 24-25, 27-28, 29-30)
R/ Bénis le Seigneur, ô mon âme ; Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
 (Ps 103, 1)

Revêtu de magnificence,
tu as pour manteau la lumière !
Comme une tenture, tu déploies les cieux,
tu élèves dans leurs eaux tes demeures.

Des nuées, tu te fais un char,
tu t’avances sur les ailes du vent ;
tu prends les vents pour messagers,
pour serviteurs, les flammes des éclairs.

Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
Tout cela , ta sagesse l’a fait ;
la terre s’emplit de tes biens.

Voici l’immensité de la mer,
son grouillement innombrable d’animaux grands et petits.
Tous, ils comptent sur toi
pour recevoir leur nourriture au temps voulu.
Tu donnes : eux, ils ramassent ;
tu ouvres la main : ils sont comblés.

Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ;
tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Deuxième lecture
« Par le bain du baptême, Dieu nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint » (Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre à Tite
Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ. Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien. Lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance, par Jésus Christ notre Sauveur, afin que, rendus justes par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle.

Évangile
« Comme Jésus priait, après avoir été baptisé, le ciel s’ouvrit » (Lc 3, 15-16.21-22) Alléluia. Alléluia.
Voici venir un plus fort que moi, proclame Jean Baptiste ; c’est lui qui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Alléluia. (cf. Lc 3, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, le peuple venu auprès de Jean le Baptiste était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. »
Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »
Patrick BRAUD

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29 décembre 2024

Épiphanie : qu’allons-nous lui offrir ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Épiphanie : qu’allons-nous lui offrir ?

 

Homélie pour la fête de l’Épiphanie / Année C
05/01/25


Cf. également :

Épiphanie : l’étoile de Balaam
Signes de reconnaissance épiphaniques
L’Épiphanie du visage
Épiphanie : tirer les rois
Épiphanie : êtes-vous fabophile ?
Épiphanie : l’économie du don
Épiphanie : Pourquoi offrir des cadeaux ?
Le potlatch de Noël
Épiphanie : qu’est-ce que l’universel ?
L’Épiphanie, ou l’éloge de la double culture
L’inquiétude et la curiosité d’Hérode
Éloge de la mobilité épiphanique
La sagesse des nations
Hérode, ou le côté obscur de l’Épiphanie
Épiphanie : que peuvent les religions en temps de guerre ?

Épiphanie : étoile, GPS, boussole…

Au VI° siècle, le pape Grégoire le Grand, dans son Homélie X sur l’Épiphanie, écrit : « Les mages proclament, par leurs présents symboliques, qui est celui qu’ils adorent. Voici l’or : c’est un roi ; voici l’encens : c’est un Dieu ; voici la myrrhe ; c’est un mortel ». Le symbolisme des trois présents épiphaniques des mages est clair côté Jésus : ils révèlent sa triple messianité comme prêtre, prophète et roi, à laquelle nous sommes associés par notre baptême.

Mais, côté Mages (dont on n’est pas sûr qu’ils soient trois ni qu’ils soient rois, mais seulement des savants calés en mécanique céleste !), de quoi ces cadeaux sont-ils le nom ?

Tentons une actualisation de ces trois coffrets déposés au pied du bébé de la maison de Bethléem (Mt 2,1-12) [1].


1. Lui confier nos trésors

La consonance or/trésor nous met sur une piste : l’Épiphanie nous invite à déposer aux pieds du Christ ce que nous avons de plus précieux, les trésors qui nous tiennent plus à cœur, la réserve d’or que nous protégeons jalousement en rêvant de l’augmenter sans cesse.

Épiphanie : qu’allons-nous lui offrir ? dans Communauté spirituelle 22591734037Pourquoi abandonner ainsi au Christ ce qui nous est le plus cher ? Parce que, comme dit le proverbe cité par Jésus : « là où est ton trésor, là aussi est ton cœur » (Mt 6,21). Un théologien protestant (Tillich) l’appelle ultimate concern [2] (préoccupation ultime). L’or de ma vie est ce par quoi je me sens concerné au plus haut point, ce qui met ma vie en jeu selon moi. C’est peut-être mon conjoint ou ma famille pour lesquels je serais prêt à tout ‑ même au pire –. C’est souvent la reconnaissance sociale, que je cherche à obtenir à travers une carrière, des engagements associatifs, l’entretien d’une réputation. C’est banalement l’argent, ou du moins le pouvoir et le plaisir qu’il peut donner, pour lesquels je veux bien fermer les yeux de temps en temps sur les compromissions qu’il exige.


À chacun de s’examiner : quel est l’or de ma vie ? Ce (ceux) à quoi (qui) je tiens le plus ?

Que voudrait dire : lâcher prise sur cette quête qui me vampirise, guérir ma fièvre de l’or et ne plus se ruer vers lui ?


Offrir mon or, c’est accepter que rien ne soit plus précieux pour moi que la compagnie du Christ.

Seigneur, voici l’or de ma vie, pour que tu en sois le sanctuaire.


2. Lui confier nos incandescences

resine-d-encens-a-bruler-purification-tibetaine-rouleau-de-10-charbons encens dans Communauté spirituelleQu’est-ce que l’encens, sinon ce minéral capable de se sublimer en volutes odorantes sous l’action du feu qui le consume ? Les charbons et l’encens deviennent alors une métaphore de notre capacité à passer du minéral au céleste, lorsque nous nous laissons incendier par le désir de Dieu. La sainteté se nourrit alors de nos incandescences : lorsque nous brûlons d’un vrai désir, lorsque l’Esprit nous transfigure jusqu’à nous rendre pareil à Dieu.

En pratique, devenir incandescent, c’est se laisser envahir par le combat pour la justice, ou la passion pour la beauté, ou la communion avec les plus pauvres, ou le silence de la contemplation, ou l’intelligence théologique du monde…

Passer de l’état de pierre brute à celui de vapeur parfumée demande cependant d’être guidé et accompagné. On a déjà connu trop de tyrans brûlants de fureur, trop de despotes  flamboyants, trop de génies du mal se répandant par tout l’univers … !

Offrir au Christ les incandescences qui nous consument permet de les réorienter à son service. Alors qu’Hérode brûle de jalousie contre ce rival potentiel de Bethléem, les mages en offrant l’encens à Jésus vont convertir leur soif de connaissance scientifique (l’étoile !) en quête spirituelle authentique : « ils repartirent par un autre chemin » (Mt 2,12).

Mais au fait, quelles braises rougeoient en vous ?
Qu’est-ce qui vous consume ?

61Tw-1ACaSL._SL1221_ EpiphanieLe mot sublimation qu’emploie la physique pour désigner le changement d’état opéré par la combustion a été employé par Freud pour désigner la transformation du désir contraint. Il existe des activités humaines (la création littéraire, artistique et intellectuelle par exemple) sans rapport apparent avec la sexualité mais tirant leur force de la pulsion sexuelle en tant qu’elle se déplace vers un but non sexuel en investissant des objets socialement valorisés. Autrement dit, il s’agit du processus de transformation de l’énergie sexuelle (libido) en la faisant dériver vers d’autres domaines, notamment les activités artistiques. Ainsi, choisir librement le célibat pour la vie consacrée peut s’apparenter à cette transformation du désir où la renonciation à l’exercice charnel peut déboucher sur une autre manière d’aimer, sublimée dans la charité. L’énergie qu’on ne met pas là, on la met ici, sous contraintes. Un peu comme le barrage contraint les eaux du lac artificiel pour produire en sortie une autre énergie. La gravité de l’eau qui s’accumule se sublime en électricité dans une alchimie qui n’a rien de magique ni d’illusoire.

Ah, si nous osions apprendre du Christ à sublimer nos énergies brutes ! Il nous montrerait comment transformer la force en service, l’intelligence en compagnonnage, la pulsion en saint désir…


Seigneur, voici l’encens de mes incandescences, pour que la braise rougeoie en moi et me transforme au gré de ton Esprit…


3. Lui confier la myrrhe de nos passions

La myrrhe des mages renvoie sans aucun doute à la Passion à venir de l’enfant de Bethléem : « Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres » (Jn 19,39). La myrrhe est liée à l’ensevelissement de Jésus au tombeau.

Cantique-des-Cantiques-1-13-LSG-Mon-bien-aimé-est-pour-moi-un-bouquet-de-myrrhe--I22001013-L01 HillesumDans l’Ancien Testament, la myrrhe renvoie également à la passion amoureuse qui unit le bien-aimé à sa bien-aimée dans le Cantique des cantiques : « Avant le souffle du jour et la fuite des ombres, j’irai à la montagne de la myrrhe, à la colline de l’encens. [...] le nard et le safran, cannelle, cinnamome, et tous les arbres à encens, la myrrhe et l’aloès, tous les plus fins arômes. Ô source des jardins, puits d’eaux vives qui ruissellent du Liban ! » (Ct 4,6.14–15). Et le roi-Messie diffuse l’ivresse de ce parfum amoureux autour de lui : « Oui, Dieu, ton Dieu t’a consacré d’une onction de joie, comme aucun de tes semblables ; la myrrhe et l’aloès parfument ton vêtement. Des palais d’ivoire, la musique t’enchante » (Ps 45,8–9).

Pourquoi séparer les deux passions ? Celle des amants qui livrent à l’autre leur corps par amour, et celle du Christ livrant son corps par le même amour ?

Être passionné pour l’autre, c’est le servir et servir son bonheur jusqu’à tout lui donner, jusqu’à se sacrifier s’il le faut, ou au moins sacrifier son propre égoïsme, son repli sur soi, sa convoitise etc.

Ce qui explique que la myrrhe évoque aussi la souffrance, car se livrer à l’autre demande inévitablement de se laisser dépouiller comme le Christ sur la croix, d’ensevelir ses revendications de puissance comme le Christ au tombeau.

Mais au fait, quelles sont vos passions ?
Pour quoi, pour qui accepteriez-vous de tout perdre ?

41-no-m60cL._SX210_ myrrhe« On voudrait être un baume versé sur tant de plaies » : cette prière d’Etty Hillesum devant le sort des juifs d’Amsterdam puis du camp de détention de Westerbork en 1943 où elle va mourir avec eux est la myrrhe qu’elle dépose sur les souffrances de son peuple [3]. Elle répand la joie et l’espérance dans l’enfer du camp de détention. Elle choisit de rester au milieu des siens au lieu de se sauver. Elle a offert à Dieu la passion pour l’humain qui l’étreignait autrefois dans sa psychanalyse et sa relation ambiguë à son thérapeute. Elle est désormais libre de partager le sort des prisonniers, et d’y être cette radieuse présence dont le seul frôlement peut guérir du désespoir.

Encore un autre exemple de sublime sublimation…

 

« La myrrhe, plante médicinale, est un baume pour toutes nos blessures ; en offrant à Dieu la myrrhe, c’est elles que nous lui présentons : ce que nous avons de plus précieux, les nombreux stigmates que nous a laissés notre vie. Ces blessures ont ouvert notre cœur ; elles nous ont obligés à prendre une distance en face des richesses extérieures. Ce que nous avons de plus précieux, c’est un cœur capable d’amour. Or nos blessures nous ont mis en contact avec notre cœur ; c’est lui, blessé, brisé, que nous offrons à l’Enfant divin, assurés qu’il va le guérir, le métamorphoser. Quand nous lui présentons notre vie blessée, abîmée, nous pouvons avoir l’impression que tout est en ordre ; nous n’avons plus de ressentiment, nous nous abandonnons, tels quels, à l’amour lumineux qui émane de l’Enfant. Alors, en dépit de toutes nos misères intérieures et extérieures, nous sommes au paradis » (Anselm Grün).


Seigneur, voici la myrrhe de mes passions, pour que l’amour qui me presse devienne le signe de ta Passion pour chacun de nous.


4. Allons mon cœur, mets-toi en route…

Terminons en parodiant l’immense théologien catholique Karl Rahner qui s’encourage lui-même à fêter l’Épiphanie en se mettant en route pour la nouvelle année, avec pour seul bagage les trois présents des Mages :


Nous venons d’entrer dans une nouvelle année. Tous les chemins qui la traversent, de l’Orient à l’Occident, seront entraînés avec elle dans l’écoulement sans fin des années et des siècles. Mais on peut, même sur ces chemins, être de ces bienheureux pèlerins qui marchent vers l’Absolu, de ceux dont le voyage terrestre est un voyage vers Dieu.
Allons, mon cœur, ouvre-toi et mets-toi en route, car l’étoile a lui.
Tu ne peux sans doute emporter beaucoup de bagages, et tu en perdras bien d’autres en chemin. N’importe, va de l’avant.
 L’or de tes trésors, l’encens de tes incandescences, la myrrhe de tes Passions [4], tu possèdes déjà tout cela. Il acceptera tout cela. Et nous finirons par le trouver…

________________________________

[1]. Matthieu parle seulement d’une maison οἰκία (oikia) ordinaire à Bethléem, là où Luc parlait d’étable (crèche) φάτνη (phatne).
[2] . “Faith is the state of being ultimately concerned : the dynamics of faith are the dynamics of man’s ultimate concern”.
[3]Cf. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Seuil, 1985.
[4]. Rahner écrivait : « L’or de l’amour, l’encens du désir, la myrrhe de la souffrance ».


LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« La gloire du Seigneur s’est levée sur toi » (Is 60, 1-6)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

Psaume
(Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13)
R/ Toutes les nations, Seigneur, se prosterneront devant toi.
 (cf. Ps 71,11)

Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !

En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !

Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

Deuxième lecture
« Il est maintenant révélé que les nations sont associées au même héritage, au partage de la même promesse » (Ep 3, 2-3a.5-6)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.

Évangile
Nous sommes venus d’Orient adorer le roi (Mt 2, 1-12) Alléluia. Alléluia.
Nous avons vu son étoile à l’orient, et nous sommes venus adorer le Seigneur. Alléluia. (cf. Mt 2, 2)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Patrick BRAUD

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26 décembre 2024

Sainte Famille : pourquoi nous as-tu fait cela ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 4 h 00 min

Sainte Famille : pourquoi nous as-tu fait cela ?

 

Homélie pour la fête de la Sainte Famille / Année C
29/12/24


Cf. également :

Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?
Une sainte famille « ruminante »
Fêter la famille, multiforme et changeante
La vieillesse est un naufrage ? Honore la !
La Sainte Famille : le mariage homosexuel en débat
Une famille réfugiée politique
Familles, je vous aime ?
Anne, la 8ème femme prophète : discerner le moment présent
Le vieux couple et l’enfant
Aimer nos familles « à partir de la fin »

 

1. L’angoisse des parents d’enfants fugueurs

Fugues statsImaginez : vous êtes le père, la mère d’un enfant de 12 ans, et ce soir il n’est pas revenu de l’école alors qu’il est plus de 20 heures. Ou bien ce matin sa chambre est vide alors que c’était l’heure de prendre le bus. Un début de panique vous saisit. Vous lui téléphonez, mais vous tombez à chaque fois sur son répondeur. Vous interrogez ses copains, ses professeurs, mais personne ne l’a vu aujourd’hui. L’angoisse monte et vous voulez vous empêcher de penser au pire : accident, enlèvement, mauvaise rencontre…

Eh bien, cette angoisse-là étreint plus de 100 familles par jour en France ! En effet, plus de 40 000 mineurs ont été signalés disparus en 2023 en France, soit plus de 110 enfants par jour. 96 % des disparitions sont des fugues, faites par des enfants de plus en plus jeunes.

 

Le mot angoisse (δυνωodunao) utilisé ici par Luc n’apparaît que 4 fois dans le Nouveau Testament, et uniquement sous la plume de Luc. En Lc 2,48 dans l’épisode au Temple de notre dimanche (« Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Voici, ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse ») ; deux fois en Lc 16,24‑25 pour décrire les souffrances du riche séparé du pauvre Lazare par un gouffre infranchissable (« Je souffre terriblement (δυνμαι) dans cette fournaise. – Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, tu souffres (δυνσαι) » ; et en Ac 20,38 lorsque les chrétiens de la ville de Milet voient Paul embarquer sur un navire et prennent conscience qu’ils ne le reverront plus (il leur annonce son martyre proche) : « ils étaient affligés (ὀδυνώμενοι) surtout de la parole qu’il avait dite : “Vous ne verrez plus mon visage” ».

Luc parle donc d’une angoisse devant l’absence d’un être cher, devant le gouffre qui se creuse entre lui et nous.

Marie ose dire Jésus qu’elle a souffert avec Joseph de cette angoisse-là : l’angoisse des parents devant l’absence inexpliquée d’un enfant fugueur.

 

Nul doute qu’en écrivant cela vers l’an 80, Luc pense aux chrétiens qu’il connaît, en situation très difficile à cause des persécutions multiples de la part des juifs et des Romains. Les Églises locales souffrent de n’avoir plus le Christ à leurs côtés, alors qu’elles croyaient sa venue dans la gloire imminente et éclatante. Jean comparera ces persécutions à un déchaînement de violence bestiale contre les nouveau-nés de la femme, c’est-à-dire contre les baptisés de l’Église figurée par Marie : « Alors le Dragon se mit en colère contre la Femme, il partit faire la guerre au reste de sa descendance, ceux qui observent les commandements de Dieu et gardent le témoignage de Jésus » (Ap 12,17).

Marie, figure de l’Église, permet à Luc de dire à ces communautés : vous avez l’impression d’être abandonnés, qu’on vous fait la guerre ; vous cherchez le Christ sans le trouver, vous souffrez à cause de lui, et  lui semble si loin ? Regardez Marie cherchant Jésus dans le convoi des pèlerins (figurant l’Église) sans le trouver, suivez ses parents qui remontent à la source pour comprendre enfin ce qui leur arrive.

 

2. Comprendre ce qui nous arrive

« Pourquoi nous as-tu fait cela ? »

Sainte Famille : pourquoi nous as-tu fait cela ? dans Communauté spirituelle marie_meditantChercher à comprendre les raisons d’une fugue, d’un départ, d’une absence, est bien notre premier réflexe : pourquoi es-tu parti ? Dans le cas d’une fugue d’un mineur, les causes les plus courantes sont bien connues. Le service d’accueil téléphonique SOS Enfants disparus, créé par la Fondation pour l’enfance afin d’accompagner, entre autres, les familles des jeunes fugueurs dans leurs recherches relève toutes ces raisons : l’adolescent(e) part à la suite d’un conflit avec sa famille, quelquefois mineur : c’est une manière de tester le lien qui l’unit à ses parents, et l’affection qu’on lui porte. Ou bien il réagit à des événements qui se sont déroulés parfois longtemps auparavant, qu’il ou elle ne peut d’un coup plus supporter. « Ainsi, note une intervenante, de cette adolescente victime de violences familiales, deux ans auparavant. Ou bien au contraire, le jeune part parce qu’il lui est impossible de vider un conflit, comme ce fils de 14 ans d’une mère si déprimée qu’elle pleurait sans cesse, et ne lui laissait pas la possibilité d’exprimer ses propres difficultés. La fugue peut être une réaction à des conflits et des difficultés graves, mais il y a aussi des adolescents n’ayant jamais connu de limites, qui fuguent parce qu’ils sont incapables de supporter la moindre frustration, qu’ils prennent pour des privations, comme cette jeune fille de 13 ans, partie au motif qu’on lui interdisait de sortir en boîte de nuit tous les soirs, ou cet autre, à qui on refusait un téléphone portable ».

Quelle que soit la raison, les parents auront tendance à culpabiliser : qu’est-ce que j’ai loupé pour que cela arrive ? Que faut-il que je change ?

 

Dans le récit de Luc, aucune des raisons habituelles n’explique la fugue de Jésus. Il n’a rien à reprocher à ses parents. Aucun événement familial ne l’a traumatisé. Les psychologues de tous poils ne pourraient lui arracher aucun souvenir nocif concernant ses parents. Les tenants de la culture de l’excuse ne pourraient invoquer aucun déterminisme de classe sociale, de pauvreté ou d’éducation. En cela, l’absence de Jésus trois jours au Temple n’est pas une fugue classique.

 

jesus%2Ba%2B12%2Bans%2Bau%2Btemple%2B%25284%2529 avenir dans Communauté spirituelleLe symbolisme de ses 12 ans devrait nous mettre sur la piste : c’est de la plénitude d’Israël (les 12 tribus), de l’Église (les 12 apôtres) qu’il est question. Cette Église–Israël vit comme son maître la Passion-Résurrection (d’où les 3 jours comme pour Jésus au tombeau). Elle est en pèlerinage, comme en exil dans ce monde, vers la maison du Père. Le récit de Luc est éminemment pascal. Le texte est marqué par le vocabulaire de la Résurrection et notamment celui du récit des pèlerins d’Emmaüs (Lc 24,13-35). Ainsi, la scène se déroule à Jérusalem (24,33) et Luc fait référence à la fête de Pâque (22,15), on cherche Jésus (24,5) sur le chemin (24.32.35), et on le retrouve (24,33) au bout de trois jours (24.21). Dans le récit d’Emmaüs, nous entendrons aussi les verbes retourner (24.32), monter (24.38) et comprendre (24,45). Et comme, Jésus se tient au milieu des docteurs de la Loi, Jésus se tiendra au milieu des disciples (24,36). De même, l’annonce de la résurrection extasie les disciples d’Emmaüs, comme les paroles de l’enfant au sein du Temple. Le parallèle est frappant : la « fugue » de Jésus est pour Luc l’anticipation de la Résurrection et de la glorification auprès du Père.

 

La Résurrection est donc la clé pour comprendre - a posteriori - les absences du Christ qui nous ont déroutés tout au long de notre pèlerinage. Marie devine intuitivement qu’il lui faut stocker toutes ces informations sur son disque dur intérieur, jusqu’à ce qu’elle puisse les déchiffrer, les interpréter, grâce à la clé de déchiffrement que sera la Pâque de son fils.

 

Nous avons le privilège sur Marie d’avoir déjà reçu cette clé pascale qui nous permet de déchiffrer les angoisses, les absences qui jalonnent notre parcours sur terre. Il « suffit »  pour cela de s’asseoir, de méditer comme Marie afin de relire tous ces événements à la lumière de la Résurrection du Christ…

 

3. Transformer nos pourquoi en pour-quoi 

C’est la réponse de Jésus qui met Marie sur la voie. Elle arrive avec son paquet d’introspection angoissée et douloureuse, en regardant en arrière, vers le passé : ‘qu’est-ce qui dans le vécu de notre famille justifierait cette distance que tu mets entre nous ?’ Aujourd’hui, on mettrait en place une cellule psychologique pour l’accompagner. On convoquerait des sociologues pour expliquer les milliers de fugues adolescentes. On proposerait une thérapie à Jésus pour qu’il découvre ce dont il souffrait pour agir ainsi.

 

Jésus retourne radicalement cette perspective : ne cherchez pas en arrière, mais regardez devant. Ne t’épuise pas à faire la liste des occasions manquées, des oublis, des conflits. Crois seulement qu’un avenir t’est offert, t’est ouvert. Car cet avenir vient vers toi, il t’ad-vient, sans commune mesure avec ce qui a précédé. N’est-ce pas le sens de l’Avent qui t’a préparé à Noël ?

Au lieu de sombrer dans la dépression des « pourquoi ?’, mobilise-toi dans la réalisation des « pour-quoi » : en vue de quoi cela est-il arrivé ? Que peux-tu faire de ce qui est là ?

Pourquoi Pour quoi

 

Il y a quelques années, une amie m’avait demandé  de participer à une neuvaine de prière mariale pour que son mari guérisse de son cancer. Je lui avais dit : « tu sais, un cancer du pancréas à ce stade avancé, Marie n’y pourra rien. Mais je prierai pour lui afin qu’il soit entouré d’amour pour partir en paix et qu’il ait la force de mener ce combat sans désespérer ». Cette amie a mobilisé tout un réseau ‘très catho’ de groupe de prières demandant à Marie la guérison de son mari. Évidemment, le cancer du pancréas l’a emporté en quelques mois, comme c’est la règle hélas. Mon amie m’a écrit : « je réfléchis sur la prière du Christ à Gethsémani : que ta volonté soit faite, et non la mienne. J’ai demandé la guérison pour mon mari, et c’est la mort qui est venue. Mon défi est maintenant de comprendre pour-quoi, en vue de quoi c’est arrivé. Je suis sûr qu’avec Dieu et Marie, quelque chose sortira de cette catastrophe ».

 

500_F_29954860_0cv2Xj8FeEWv6U0dq6BBot5CTRbzAMo1 MarieToujours la question du pour-quoi : à quoi peut mener cet écroulement complet ? Plutôt que de perdre son énergie à faire des théories sur l’inexplicable (d’où vient le malheur innocent ?), mieux vaut se concentrer sur ce qui peut advenir à partir de cette tabula rasa.

Et c’est bien ce que fait Marie : elle va laisser décanter tous ces événements en son cœur, mais acceptera que Jésus soit désormais entièrement consacré à sa mission, même si cela va la transpercer. Puisque « être chez son Père » est sa raison de vivre, Marie le laissera vivre ainsi, en l’accompagnant avec amour jusqu’au bout, jusqu’au bout de sa tendresse maternelle pleurant sur son fils flagellé, humilié, dégradé, crucifié. Après Pâques, elle comprendra…

 

L’enjeu est bien cela pour nous qui nous situons après Pâques : transformer nos pourquoi en pour-quoi, découvrir où l’Esprit du Christ nous mène à travers les angoisses, les souffrances, les amours, les absences qui jalonnent notre pèlerinage, et y collaborer de toutes nos forces.

 



LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« Samuel demeurera à la disposition du Seigneur tous les jours de sa vie » (1 S 1, 20-22.24-28)

Lecture du premier livre de Samuel
Elcana s’unit à Anne sa femme, et le Seigneur se souvint d’elle. Anne conçut et, le temps venu, elle enfanta un fils ; elle lui donna le nom de Samuel (c’est-à-dire : Dieu exauce) car, disait-elle, « Je l’ai demandé au Seigneur. » Elcana, son mari, monta au sanctuaire avec toute sa famille pour offrir au Seigneur le sacrifice annuel et s’acquitter du vœu pour la naissance de l’enfant. Mais Anne n’y monta pas. Elle dit à son mari : « Quand l’enfant sera sevré, je l’emmènerai : il sera présenté au Seigneur, et il restera là pour toujours. » Lorsque Samuel fut sevré, Anne, sa mère, le conduisit à la maison du Seigneur, à Silo ; l’enfant était encore tout jeune. Anne avait pris avec elle un taureau de trois ans, un sac de farine et une outre de vin. On offrit le taureau en sacrifice, et on amena l’enfant au prêtre Éli. Anne lui dit alors : « Écoute-moi, mon seigneur, je t’en prie ! Aussi vrai que tu es vivant, je suis cette femme qui se tenait ici près de toi pour prier le Seigneur. C’est pour obtenir cet enfant que je priais, et le Seigneur me l’a donné en réponse à ma demande. À mon tour je le donne au Seigneur pour qu’il en dispose. Il demeurera à la disposition du Seigneur tous les jours de sa vie. » Alors ils se prosternèrent devant le Seigneur.

Psaume
(Ps 83 (84), 2-3, 5-6, 9-10)
R/ Heureux les habitants de ta maison, Seigneur !
 (Ps 83, 5a)

De quel amour sont aimées tes demeures,
Seigneur, Dieu de l’univers.
Mon âme s’épuise à désirer les parvis du Seigneur ;
mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant !

Heureux les habitants de ta maison :
ils pourront te chanter encore !
Heureux les hommes dont tu es la force :
des chemins s’ouvrent dans leur cœur !

Seigneur, Dieu de l’univers, entends ma prière ;
écoute, Dieu de Jacob.
Dieu, vois notre bouclier,
regarde le visage de ton messie.

Deuxième lecture
« Nous sommes appelés enfants de Dieu – et nous le sommes » (1 Jn 3, 1-2.21-24)

Lecture de la première lettre de saint Jean
Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.
Bien-aimés, si notre cœur ne nous accuse pas, nous avons de l’assurance devant Dieu. Quoi que nous demandions à Dieu, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux.
Or, voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ; et voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné part à son Esprit.

Évangile
« Les parents de Jésus le trouvèrent au milieu des docteurs de la Loi » (Lc 2, 41-52)
Alléluia. Alléluia. 
Seigneur, ouvre notre cœur pour nous rendre attentifs aux paroles de ton Fils. Alléluia. (cf. Ac 16, 14b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Chaque année, les parents de Jésus se rendaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Quand il eut douze ans, ils montèrent en pèlerinage suivant la coutume. À la fin de la fête, comme ils s’en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents. Pensant qu’il était dans le convoi des pèlerins, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances. Ne le trouvant pas, ils retournèrent à Jérusalem, en continuant à le chercher.
C’est au bout de trois jours qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions, et tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses. En le voyant, ses parents furent frappés d’étonnement, et sa mère lui dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! » Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait.
Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.
Patrick BRAUD

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