La joie parfaite, et pérenne
La joie parfaite, et pérenne
Homélie du 3° dimanche de l’Avent / Année C
16/12/2012
Ce troisième dimanche de l’Avent est appelé le dimanche de la joie (du Gaudete = réjouis-toi en latin).
À cause bien sûr de l’appel de Sophonie à Jérusalem : « pousse des cris de joie ! ». Et à cause de Paul qui surenchérit : « soyez toujours dans la joie du Seigneur ».
Il y a des moments où la joie nous est naturelle et facile. Un succès, une rencontre, une musique… : la liste est longue des événements qui peuvent déclencher en nous cette sérénité joyeuse qui nous transporte ailleurs.
Mais Paul parle de la joie « du Seigneur », et pas de la seule joie humaine. Il conjugue cette joie-là avec l’adverbe toujours : en tout temps, en tout lieu ; même lorsqu’il n’y a pas ces événements sources de joie ordinaire ; même lorsqu’il y a d’autres événements apportant le malheur avec eux. D’ailleurs, au moment où Paul écrit ces mots, il est « dans les chaînes » de sa prison (Ph 1,1-15), et aurait toutes les raisons de désespérer car il sait bien que le pouvoir romain ne va pas le laisser en vie.
Comment peut-on rester ancré dans la joie lorsque tout va mal ? ou lorsque tout va gris ?
Comment distinguer la joie humaine – déjà bonne en elle-même – de la joie de Dieu, la joie parfaite (Jn 16,24).
Voilà ce que François d’Assise a répondu à son compagnon, frère Léon, qui lui posait en substance la même question.
« Quand nous arriverons à Sainte-Marie-des-Anges, ainsi trempés par la pluie et glacés par le froid, souillés de boue et tourmentés par la faim, et que nous frapperons à la porte du couvent, et que le portier viendra en colère et dira : « Qui êtes-vous ? » et que nous lui répondrons : « Nous sommes deux de vos frères », et qu’il dira : « Vous ne dites pas vrai, vous êtes même deux ribauds qui allez trompant le monde et volant les aumônes des pauvres; allez-vous en » ; et quand il ne nous ouvrira pas et qu’il nous fera rester dehors dans la neige et la pluie, avec le froid et la faim, jusqu’à la nuit, alors si nous supportons avec patience, sans trouble et sans murmurer contre lui, tant d’injures et tant de cruauté et tant de rebuffades, et si nous pensons avec humilité et charité que ce portier nous connaît véritablement, et que Dieu le fait parler contre nous, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite.
Et si nous persistons à frapper, et qu’il sorte en colère, et qu’il nous chasse comme des vauriens importuns, avec force vilenies et soufflets en disant : « Allez-vous-en d’ici misérables petits voleurs, allez à l’hôpital, car ici vous ne mangerez ni ne logerez », si nous supportons tout cela avec patience, avec allégresse, dans un bon esprit de charité, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite.
Et si nous, contraints pourtant par la faim, et par le froid, et par la nuit, nous frappons encore et appelons et le supplions pour l’amour de Dieu, avec de grands gémissements, de nous ouvrir et de nous faire cependant entrer, et qu’il dise, plus irrité encore : « ceux-ci sont des vauriens importuns, et je vais les payer comme ils le méritent », et s’il sort avec un bâton noueux, et qu’il nous saisisse par le capuchon, et nous jette par terre, et nous roule dans la neige, et nous frappe de tous les noeuds de ce bâton, si tout cela nous le supportons patiemment et avec allégresse, en pensant aux souffrances du Christ béni, que nous devons supporter pour son amour, ô frère Léon, écris qu’en cela est la joie parfaite.
Selon François d’Assise, la vraie joie et donc d’être identifié au Christ lorsque, bafoué et rejeté par les siens, il trouve encore la force de ne pas haïr.
Qui peut souhaiter d’en arriver à cet extrême ?
Parfois cela arrive, et c’est alors qu’il faut se souvenir de la joie parfaite selon François.
Le plus souvent, ce n’est pas une telle humiliation, mais les contrariétés habituelles qui nous empêchent d’être « toujours dans la joie ». Là, se souvenir que la joie vient de Dieu plus que de l’homme sera utile : la joie de Dieu vient de sa promesse, la joie de l’homme vient de ses oeuvres.
L’une reflue de la fin pour irriguer le présent, en étant toujours disponible ; l’autre célèbre ce qui est, et manque lorsqu’il n’y a rien à célébrer.
La première est eschatologique, comme une ancre jetée dans les cieux (He 6,17). La seconde est existentielle, basée sur nos réussites.
La joie de Dieu est permanente car enracinée en lui. La joie humaine est fragile et éphémère, car soumise aux aléas de la fortune.
L’appel de ce dimanche nous invite à unir les deux : savourer les cadeaux de la vie sans perdre de vue le cadeau ultime qui donne sens à tous les autres.
Si nous faisons ainsi, nous réjouirons Dieu de notre joie, ainsi qu’il est écrit dans le livre de Sophonie : « Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui, le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête. »
Cette inhabitation mutuelle de Dieu en nous et de nous en Dieu est le secret de la pérennité de notre joie. Elle nous est donnée dans la surprise, surabondance de joie que nous n’osions désirer ; elle a un goût pascal parce qu’elle sait ce que traverser la mort signifie ; elle est joie partagée avec l’autre, joie de l’autre, de cet autre en qui est le tout-Autre, infiniment proche…
Que l’Esprit du Christ vienne nous ancrer dans cette sérénité dont Paul souhaite qu’elle soit connue de tous les hommes.
1ère lecture : « Fille de Sion, réjouis-toi, car le Seigneur est en toi » (So 3, 14-18)
Lecture du livre de Sophonie
Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, tressaille d’allégresse, fille de Jérusalem !
Le Seigneur a écarté tes accusateurs, il a fait rebrousser chemin à ton ennemi. Le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi. Tu n’as plus à craindre le malheur.
Ce jour-là, on dira à Jérusalem : « Ne crains pas, Sion ! Ne laisse pas tes mains défaillir !
Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui, le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête. »
Psaume : Is 12, 2, 4bcde, 5-6
R/ Laissons éclater notre joie : Dieu est au milieur de nous.
Voici le Dieu qui me sauve :
j’ai confiance, je n’ai plus de crainte.
Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ;
il est pour moi le salut.
Rendez grâce au Seigneur,
proclamez son nom,
annoncez parmi les peuples ses hauts faits !
Redites-le : « Sublime est son nom ! »
Jouez pour le Seigneur,
car il a fait des prodiges que toute la terre connaît.
Jubilez, criez de joie, habitants de Sion,
car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël !
2ème lecture : Soyez dans la joie : le Seigneur est proche (Ph 4, 4-7)
Lecture de la lettre de saint Paul aux Philippiens
Frères, soyez toujours dans la joie du Seigneur ; laissez-moi vous le redire : soyez dans la joie.
Que votre sérénité soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche.
Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, dans l’action de grâce priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes.
Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer, gardera votre c?ur et votre intelligence dans le Christ Jésus.
Evangile : Jean Baptiste prépare les foules à la venue du Messie (Lc 3, 10-18)
Acclamation : Alléluia, alléluia. Prophète du Très-Haut, Jean est venu préparez la route devant le Seigneur et porter témoignage à la Lumière.Alléluia.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Les foules qui venaient se faire baptiser par Jean lui demandaient : « Que devons-nous faire ? »
Jean leur répondait : « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ! »
Des publicains (collecteurs d’impôts) vinrent aussi se faire baptiser et lui dirent : « Maître, que devons-nous faire ? »
Il leur répondit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. »
À leur tour, des soldats lui demandaient : « Et nous, que devons-nous faire ? » Il leur répondit : « Ne faites ni violence ni tort à personne ; et contentez-vous de votre solde. »
Or, le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Messie.
Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu.
Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas. »
Par ces exhortations et bien d’autres encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.
Patrick Braud