L'homélie du dimanche (prochain)

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3 novembre 2024

Huile essentielle

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Huile essentielle

 

Homélie pour le 32° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
10/11/24

Cf. également :
L’éducation changera le monde
Quelle est la vraie valeur de ce que nous donnons ?
Le Temple, la veuve, et la colère
Les deux sous du don…
Défendre la veuve et l’orphelin
De l’achat au don
Épiphanie : l’économie du don
Le potlatch de Noël

Ephapax : une fois pour toutes

 

1. Un peu suffit

Huile essentielle dans Communauté spirituelle diffuseur-ultrasonique-huiles-essentielles-medusa-diffuseurs-d-essentiellesPassez la porte d’un magasin « Nature et Découvertes ». Vous aurez immédiatement envie de respirer profondément pour explorer les délicieuses fragrances, le plus souvent inconnues, qui imprègnent l’air du lieu de vente et sollicitent vos narines. Immanquablement, votre nez vous conduira vers les diffuseurs d’huile essentielles qui alimentent en permanence ce microclimat où les brouillards colorés, les senteurs, leur fraîcheur, leur goût, leur étrangeté vous subjugueront. Le vendeur vous fera la démonstration : il suffit de quelques gouttes d’un précieux condensé de parfums naturels les plus divers pour embaumer tout une pièce. Un peu d’huile essentielle suffit à purifier et enchanter tout l’espace !

L’huile de la veuve de Sarepta (1R 17,10-16) est essentielle elle aussi. Non pas à cause de sa fabrication, mais parce qu’elle va amener cette veuve à reconnaître en Élie le prophète du Dieu unique, si différent des idoles de la région.

Suivons le parcours d’Élie qui peut devenir le nôtre, afin de devenir nous aussi prophète du très Haut.

 

2. Sortir de sa zone de confort

Dans sa lutte contre les idoles (Baal et Astarté) qui pullulaient en Israël sous l’influence étrangère portée par la reine Jézabel, Élie joue chez lui dans un premier temps. Il convoque les soi-disant prophètes de Baal au Mont Carmel, et les défie dans la célèbre épreuve du feu (1R 18,20-46). Sorti grand vainqueur de ce barnum magique (peut-être grâce de l’alcool inflammable ?), Élie fait exterminer les 70 faux prophètes et croit être le champion d’Israël. Mais voilà que Jézabel lui en veut à mort de l’avoir humiliée ainsi ! Dieu envoie d’abord Élie se cacher à l’est du Jourdain, dans les gorges encaissées du torrent du Kérith, en Galaad. Là, il est nourri par les corbeaux. 

Double faiblesse pour l’ex champion : il n’est plus chez lui, il ne peut plus se nourrir par lui-même. Comme si YHWH prenait le contre-pied de la démonstration de puissance qu’Élie avait soigneusement manigancée au sommet du mont Carmel. 

Pire encore : le torrent du Kérith s’assèche. Élie a soif. Il doit émigrer encore plus loin, à Sarepta, qui se trouve à environ 110 km. à vol d’oiseau vers le nord-ouest, en Phénicie, non loin des montagnes du Liban. Une terrible famine règne dans le pays. Élie est alors loin de chez lui, loin de son peuple. C’est une terre hostile ! Et il ne pourra pas compter là-bas sur un riche mécène, un baron puissant ou sur quelqu’un qui connaisse son Dieu : c’est une pauvre veuve idolâtre qui doit le recevoir, et elle souffre elle-même de la famine.

 

 Elie dans Communauté spirituelleSortir de sa zone de confort semble être – pour Élie comme pour nous – un préalable à l’action prophétique. Jésus lui-même a ressenti cet appel impérieux à sortir de sa sphère juive en allant en Décapole, territoire païen au-delà du Jourdain, ou en voyageant jusqu’à Sidon, où une femme l’obligera à accorder quelques miettes du festin messianique aux petits chiens sous la table…

Notre zone de confort, c’est l’entre-soi douillet et rassurant des regroupements par école, par quartier, par activité, où les riches se retrouvent entre eux, où les cathos pratiquants se confortent mutuellement, où les autres religions font table à part, où les militants d’une cause s’auto-persuadent que c’est la bonne etc.

 

Rappelez-vous : nul n’est prophète en son pays ! Il faut sortir de chez soi, de sa doxa habituelle, de ses cercles concentriques d’amis et de relations, pour laisser la Parole de Dieu nous traverser et aller toucher le cœur d’autrui. Et sortir de notre zone de confort nous conduit souvent en situation de faiblesse, de dépendance, comme Élie au Kérith ou à Sarepta. C’est auprès des petits, des faibles, que nous trouverons aide et appui, et non chez les princes ou les puissants. Jésus fait ce constat : « En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère » (Lc 4,25–32).

À nous de nous laisser conduire par les événements vers cet ailleurs, vers ces « veuves », où nous découvrirons comment Dieu se manifeste dans la faiblesse du vase d’huile et non dans le feu du Carmel, chez une veuve étrangère et non dans les palais de la reine d’Israël…

 

3. Pour dissiper l’idolâtrie

Au début, la veuve parle de YHWH à Élie en l’appelant « ton Dieu ». Ce n’est effectivement pas le sien, car la Phénicie (le Liban actuel) est alors envahie par les cultes idolâtriques dédiés à Baal et Astarté, dieux de la fertilité. À la fin du récit, la veuve a changé. Elle reconnaît ans Élie le prophète du seul Dieu véritable : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que, dans ta bouche, la parole du Seigneur est véridique » (1R 17,24).

IshtarL’ADN d’Élie est bien ce témoignage prophétique au Dieu unique, et son nom même en est la trace : Élie = ‘Mon Dieu est YHWH’ (en hébreu). Alors qu’on ne connaît pas le nom de la veuve, mais seulement son village : Sarepta, qui signifie : fonderie, orfèvrerie, raffinerie. Sarepta désigne une activité de fabrication (de bijoux, d’or, de minerais) qui renvoie au caractère artificiel des idoles. Baal et Astarté ne sont que des statues fabriquées par des artisans habiles. Ces objets inanimés ne sont rien à côté de YHWH, le Tout-autre, non fait de main d’homme. On a découvert sur le site de Sarepta des traces archéologiques de l’activité de soufflage du verre, activité qui existe encore aujourd’hui à Sarafand tout proche. 

Ce n’est plus dans une lutte frontale, violente, contre les idoles comme au Mont Carmel qu’Élie va témoigner de YHWH, mais dans la survie au côté d’une veuve en temps de famine. Inversion totale du rapport de force, à méditer par tous les religieux qui veulent imposer leur vision du monde en engageant un bras de fer violent avec les puissants (en Iran, en Israël, en Russie, en Inde, au Pakistan, au Sahel etc.).

 

En France, il semblerait qu’heureusement les cathos ne soient plus assez forts pour rêver de réguler la société, mais la tentation existe toujours – au nom du bien et du vrai – d’intriguer et de faire du lobbying pour imposer des choix de vie relevant de la liberté de chacun. Pourtant la foi chrétienne ne s’impose pas. Elle se propose. Ou mieux encore, comme ici avec Élie : elle se vit aux côtés des plus pauvres, souffrant de famine, et se diffuse alors aussi naturellement que l’huile essentielle au creux du diffuseur…

 

Au lieu de mettre le feu, Élie apprend à recevoir l’hospitalité. 

Au lieu de la force triomphante du Carmel, l’humble faiblesse d’un peu de farine et du huile. 

Au lieu du drapeau israélien si fièrement planté en haut du Carmel, le déroutant exil au Liban en terre étrangère.

Dissiper l’idolâtrie ambiante – et Dieu sait si les idoles modernes pullulent autour de nous ! – ne se fait pas en mettant le feu, mais en côtoyant les humbles, pas en convertissant de force, mais en sauvant la vie des idolâtres, gratuitement.

De quoi prendre à rebrousse-poil les stratégies de conquête de pas mal de mollahs, d’évangélistes ou de nationalistes !

 

4. Avec un peu d’huile

lampe-a-huile-periglass-boule-gm huitUn seul vase d’huile pour un temps de famine, c’est bien peu. 

Deux pains et cinq poissons pour nourrir toute une foule, c’est bien peu. 

Une seule fiole d’huile pour allumer le candélabre du Temple de Jérusalem pendant une semaine, c’est bien peu. 

Et pourtant le vase d’huile ne se videra pas. 

Et pourtant la foule fut nourrie. 

Et pourtant, la fête de Hanoucca commémore chaque année le miracle de la fiole d’huile qui ne s’épuise pas, symbole de la renaissance de la foi après l’occupation [1].

À l’inverse, l’huile des vierges folles va s’épuiser et priver les cinq jeunes filles de la rencontre avec l’époux.

 

De quoi l’huile de la veuve de Sarepta est-elle le nom ? 

Eh bien, paradoxalement, elle représente le refus d’aider l’autre en direct

Élie ne va pas aider la veuve, mais il lui demande de l’aider, en lui sacrifiant le peu qui lui reste ! Autrement dit : nourrir l’autre n’est pas l’aider. C’est lui apprendre à nourrir autrui qui le sauvera.

L’essentiel n’est pas d’aider mais d’initier au don. 

Non pas ‘faire pour’, mais apprendre l’autre à se livrer.

 

Avouons que cela est folie pour la sagesse humaine habituelle. Nous sommes habitués à la générosité, à l’humanitaire, aux Restos du cœur, aux collectes alimentaires etc. Et voilà qu’Élie ne donne rien à manger à la pauvre veuve étrangère qui crie famine, mais lui apprend à se donner jusqu’au bout !

Voilà pourquoi Jésus loue les deux sous du don de la veuve au Temple de Jérusalem, plus que les gros chèques des notables de la ville (Mc 12, 38-44). 

Car se donner est plus grand que demander. 

Se livrer jusqu’à l’extrême, jusqu’à donner de son essentiel (de son huile essentielle !) et non de son superflu est plus important que de quémander l’existence.

 

La pauvre veuve de Sarepta fait une expérience qui peut devenir la nôtre : il nous est donné de nous donner.

Et il suffit d’un peu d’huile – notre essentiel – pour que la bonne odeur de l’Évangile se répande partout autour de nous.

 

Sortir de notre zone de confort / pour dissiper idolâtrie / avec un peu d’huile : comment mettre nos pas dans ceux d’Élie cette semaine ?

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[1]. Le miracle de la fiole d’huile (hébreu : נס פך השמן Nes pakh hashemen) est une aggada consignée pour la première fois dans le Talmud de Babylone, selon laquelle les Maccabées victorieux découvrent, après la libération du Second Temple de Jérusalem (au II° siècle av. J.C.), que les huiles destinées à l’allumage de la Menorah du Temple ont été profanées à l’exception d’une fiole qui ne devrait pas suffire plus d’un jour ; c’est pourtant grâce à cette fiole qu’ils parviennent à allumer le candélabre pendant huit jours jusqu’à la fabrication d’huiles nouvelles.

 

 

Lectures de la messe


Première lecture

« Avec sa farine la veuve fit une petite galette et l’apporta à Élie » (1 R 17, 10-16)


Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, le prophète Élie partit pour Sarepta, et il parvint à l’entrée de la ville. Une veuve ramassait du bois ; il l’appela et lui dit : « Veux-tu me puiser, avec ta cruche, un peu d’eau pour que je boive ? » Elle alla en puiser. Il lui dit encore : « Apporte-moi aussi un morceau de pain. » Elle répondit : « Je le jure par la vie du Seigneur ton Dieu : je n’ai pas de pain. J’ai seulement, dans une jarre, une poignée de farine, et un peu d’huile dans un vase. Je ramasse deux morceaux de bois, je rentre préparer pour moi et pour mon fils ce qui nous reste. Nous le mangerons, et puis nous mourrons. » Élie lui dit alors : « N’aie pas peur, va, fais ce que tu as dit. Mais d’abord cuis-moi une petite galette et apporte-la moi ; ensuite tu en feras pour toi et ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre. » La femme alla faire ce qu’Élie lui avait demandé, et pendant longtemps, le prophète, elle-même et son fils eurent à manger. Et la jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur l’avait annoncé par l’intermédiaire d’Élie.


Psaume

(Ps 145 (146), 6c.7, 8-9a, 9bc-10)
R/ Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur !
 (Ps 145, 1b)


Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.


Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.


Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !


Deuxième lecture

« Le Christ s’est offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude » (He 9, 24-28)


Lecture de la lettre aux Hébreux
Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, figure du sanctuaire véritable ; il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu. Il n’a pas à s’offrir lui-même plusieurs fois, comme le grand prêtre qui, tous les ans, entrait dans le sanctuaire en offrant un sang qui n’était pas le sien ; car alors, le Christ aurait dû plusieurs fois souffrir la Passion depuis la fondation du monde. Mais en fait, c’est une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice. Et, comme le sort des hommes est de mourir une seule fois et puis d’être jugés, ainsi le Christ s’est-il offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude ; il apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché, mais pour le salut de ceux qui l’attendent.


Évangile

« Cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres » (Mc 12, 38-44) Alléluia. Alléluia.

Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)


Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, dans son enseignement, Jésus disait aux foules : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes. Une pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie. Jésus appela ses disciples et leur déclara : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
Patrick BRAUD

 

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28 octobre 2024

La roue de Gaza

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 1 h 30 min

La roue de Gaza

 

Homélie pour le 31° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
03/11/24

Cf. également :
Sorcières ou ingénieurs ?
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif
Simplifier, Aimer, Unir
J’ai trois amours
Aime ton Samaritain !
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Boali, ou l’amour des ennemis
Conjuguer le « oui » et le « non » de Dieu à notre monde

Dorothée de GazaGaza résonne aujourd’hui à nos oreilles comme le lieu d’un drame apparemment insoluble, avec ses milliers de morts de civils de chaque côté des belligérants… Il n‘en fut pas toujours ainsi : Gaza était dans les premiers siècles un foyer du christianisme naissant, rayonnant de sainteté par ses monastères, ses écrits, son insertion paisible dans l’Empire romain, ses figures spirituelles (Procope, Jean l’Ancien, Dosithée, Barsanuphe de Gaza etc.). Méditant l’évangile de ce dimanche (Mc 12,28b-34), Dorothée de Gaza (VI° siècle), un père abbé devenu célèbre, prêchait ainsi aux fidèles des environs de Gaza venus l’écouter nombreux dans son monastère [1] :


Appliquez votre esprit à ce que je vous dis.

Imaginez un cercle. Imaginez que ce cercle c’est le monde, le centre Dieu, et les rayons les différentes voies ou manières de vivre des hommes. Quand les saints, désirant approcher de Dieu, marchent vers le milieu du cercle, dans la mesure où ils pénètrent à l’intérieur, ils se rapprochent les uns des autres en même temps que de Dieu. Plus ils s’approchent de Dieu, plus ils se rapprochent les uns des autres ; et plus ils se rapprochent les uns des autres, plus ils s’approchent de Dieu.

Et vous comprenez qu’il en est de même en sens inverse, quand on se détourne de Dieu pour se retirer vers l’extérieur : il est évident alors que, plus on s’éloigne de Dieu, plus on s’éloigne les uns des autres, et que plus on s’éloigne les uns des autres, plus on s’éloigne aussi de Dieu.

Telle est la nature de la charité. Dans la mesure où nous sommes à l’extérieur et que nous n’aimons pas Dieu, dans la même mesure nous avons chacun de l’éloignement à l’égard du prochain. Mais si nous aimons Dieu, autant nous approchons de Dieu par la charité pour lui, autant nous communions à la charité du prochain ; et autant nous sommes unis au prochain, autant nous le sommes à Dieu.

Roue Gaza

Une roue pour montrer combien l’amour de Dieu et l’amour de l’homme sont intimement liés : il fallait y penser ! C’est la pointe de l’Évangile d’aujourd’hui : dans l’Écriture, tout dépend de ces deux commandements : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu … Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Oui, ce triple amour est vraiment la clé qui ouvre le cœur à l’intelligence de toute l’Écriture, depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse.

Essayons de mieux saisir l’originalité et la force de cette réponse de Jésus :


1 impératif / 2 commandements / 3 amours 
 

 

1/ Ce sont des commandements

La roue de Gaza dans Communauté spirituelle army-160087_1280Jésus dit : « Tu aimeras ».  Ce n’est pas facultatif, c’est impératif ! Vous vous rendez compte ? Conjuguer le verbe aimer à l’impératif ! Est-ce qu’on peut commander à quelqu’un d’aimer ? Il ne faut pas évacuer trop vite ce paradoxe : il y a une loi de l’Amour, et c’est pourtant l’Amour qui fait la loi… Peut-être, à travers cet impératif catégorique qui parcourt toute la Bible, nous est-il signifié qu’aimer n’est ni immédiat, ni naturel.  Ce n’est ni simple ni facile en effet d’aimer un Dieu dont on éprouve souvent l’absence et le silence.  Ce n’est ni simple ni facile d’aimer le prochain qui ne pense pas comme moi, n’a pas la même couleur, la même culture, qui est laid et repoussant.  Et, en plus le Christ nous appelle à aimer même nos ennemis, ceux qui nous veulent du mal et nous font mal !  Ce n’est ni simple, ni facile, et pourtant c’est capital et c’est passionnant ! Oui, chacun de nous, homme, femme, enfant ou adulte, nous sommes faits pour aimer. Pour aimer, c’est-à-dire être passionné pour l’autre, jusqu’à accepter de mourir soi-même pour que l’autre puisse vivre. Vivre pour l’autre, tous les autres, pour Dieu le Tout-Autre, et non plus pour nous-mêmes uniquement. Telle est la loi évangélique, qui n’est pas une contrainte imposée de l’extérieur, mais au contraire le secret du bonheur, le secret d’une vie vraiment humaine.


2/
 Ces commandements sont au nombre de deux

Ici encore, c’est une tentative de piège pour discréditer Jésus.  Pourquoi un piège ? Parce que les Pharisiens très pointilleux voulaient maintenir l’importance de toute la Loi de Moïse dans le détail et ils comptabilisaient  à l’époque 613 commandements à observer, avec 365 interdictions et 248 autres prescriptions !  Les rabbins discutaient à perte de vue et les croyants étaient un peu perdus dans ces listes d’interdictions et de préceptes.  Jésus tranche.  Sans innover  totalement, car il prend le premier commandement dans le livre du Deutéronome (Dt 6,5), et le second dans le livre du Lévitique (Lv 19,18).  Là où il apporte du neuf, c’est qu’il simplifie et qu’il unifie. Jésus simplifie la piété un peu maniaque des Pharisiens.

Dieu est simple : ne nous perdons pas trop dans les détails ; ne perdons jamais de vue quel est l’essentiel de la vie : l’amour pour Dieu, l’amour pour les autres, le prochain, l’amour pour soi (« aime … comme toi-même »).

Mais ne confondons pas non plus trop vite ces 3 amours : Jésus ne réduit pas la Loi à un seul commandement, comme on le lui demande d’ailleurs, mais à deux, ce qui veut dire qu’ils ne sont pas interchangeables.


Ces 3 amours ne sont pas identiques mais équivalents.
  C’est-à-dire qu’ils sont distincts mais que l’un implique l’autre et l’autre implique l’un.  

Screenshot-2022-08-15-at-08.46.12-1024x448 amour dans Communauté spirituelleRappelez-vous l’image de la roue de Gaza : le mouvement vers le centre et le rapprochement mutuel sont deux trajectoires différentes, mais qui s’impliquent l’une l’autre :

A <=> B (A implique B et B implique A mais A est différent de B).

Tout le fragile équilibre du christianisme tient dans cette double référence à Dieu et à l’homme, sans séparation ni confusion.

 

Forcez trop le 1er commandement et c’est le drame de l’intégrisme religieux.  

Sous prétexte de défendre l’honneur de Dieu, on sacrifie des vies humaines comme en Iran, où l’on se coupe de la communion de l’Église comme Mgr Lefebvre dans les années 1970. Or comment aimer Dieu sans aimer l’homme, et les pauvres et les petits en premier ?  

Forcez trop le 2nd commandement, et c’est le drame de l’humanisme athée.  

Sous prétexte de défendre l’honneur, on l’asservit dans des systèmes inhumains parce qu’ils nient Dieu, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest. Or comment aimer l’homme en vérité si on ne laisse le Christ lui-même aimer l’homme en nous ?


3/
 Ces deux commandements lient 3 amours en 1 

Car il y a bien 3 amours : de Dieu, de l’autre, de soi.  On oublie trop souvent le 3° : or celui qui ne s’aime pas lui-même le fait chèrement payer aux autres (agressivité, violence…). Soi-même comme un autre (Ricoeur) : pourquoi exclure de mon cercle d’affection la personne que je suis ? Les éducateurs savent bien que les enfants qui ne sont pas sûrs d’eux, sûrs d’être aimés, sombrent plus facilement dans la délinquance, la violence, la drogue… En entreprise ou dans la vie associative, on voit que bien des adultes passent leur temps à utiliser les autres pour essayer de régler leurs questions personnelles non résolues…
3 en 1Mais comment s’aimer soi-même sans se découvrir grâce à l’amour que Dieu a pour nous ? 

Comment aimer l’autre sans faire le détour par Dieu ? Comment aimer Dieu sans aimer l’homme ?…  

La ligne de crête des chrétiens est entre ces deux abîmes : le spirituel désincarné d’une part, et l’horizontalisme réducteur d’autre part. C’est la finale de l’argumentation de Jésus : en indiquant que le second commandement est équivalent au premier, il réconcilie la lutte et la contemplation. Lui seul Jésus peut le dire en plénitude, car lui seul est vrai Dieu et vrai homme.

En lui, Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. En lui, blesser l’homme, c’est blesser Dieu.

En lui, aimer Dieu, c’est s’engager pour l’homme. Par lui, c’est comme un système de vases communicants qui s’est établi entre le Dieu-Trinité et notre humanité : on ne peut toucher à l’un sans affecter l’autre.

Qui donc est Dieu qu’on peut si fort blesser en blessant l’homme ?

Qui donc est l’homme pour avoir une telle valeur aux yeux de Dieu ?


Aimer Dieu en l’homme, en soi. S’aimer soi-même en Dieu, aimer l’autre en Dieu, sans séparation ni confusion : 
que cette eucharistie nous fasse pénétrer de l’intérieur ce triple amour – l’amour de Dieu / des autres / de soi  - qui ne fait qu’un, dont Jésus lui-même nous a aimé, jusqu’à en mourir.

____________________________________

[1]. Dorothée de Gaza, Œuvres spirituelles, Instruction VI, Cerf, coll. Sources chrétiennes, n° 92.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Écoute, Israël : Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur » (Dt 6, 2-6)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple : « Tu craindras le Seigneur ton Dieu. Tous les jours de ta vie, toi, ainsi que ton fils et le fils de ton fils, tu observeras tous ses décrets et ses commandements, que je te prescris aujourd’hui, et tu auras longue vie. Israël, tu écouteras, tu veilleras à mettre en pratique ce qui t’apportera bonheur et fécondité, dans un pays ruisselant de lait et de miel, comme te l’a dit le Seigneur, le Dieu de tes pères.
Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.
Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur. »

Psaume
(Ps 17 (18), 2-3, 4, 47.51ab)
R/ Je t’aime, Seigneur, ma force.
(Ps 17, 2a)

Je t’aime, Seigneur, ma force :
Seigneur, mon ro ma forteresse,
Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite,
mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !

Louange à Dieu !
Quand je fais appel au Seigneur,
je suis sauvé de tous mes ennemis.
Vive le Seigneur ! Béni soit mon Rocher !

Qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire,
Il donne à son roi de grandes victoires,
il se montre fidèle à son messie.

Deuxième lecture
« Jésus, parce qu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce qui ne passe pas » (He 7, 23-28)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Frères, dans l’ancienne Alliance, un grand nombre de prêtres se sont succédé parce que la mort les empêchait de rester en fonction. Jésus, lui, parce qu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce qui ne passe pas. C’est pourquoi il est capable de sauver d’une manière définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu, car il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur.
C’est bien le grand prêtre qu’il nous fallait : saint, innocent, immaculé ; séparé maintenant des pécheurs, il est désormais plus haut que les cieux. Il n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses péchés personnels, puis pour ceux du peuple ; cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même. La loi de Moïse établit comme grands prêtres des hommes remplis de faiblesse ; mais la parole du serment divin, qui vient après la Loi, établit comme grand prêtre le Fils, conduit pour l’éternité à sa perfection.

Évangile
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Tu aimeras ton prochain » (Mc 12, 28b-34) Alléluia. Alléluia.
Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Le scribe reprit : « Fort bien, Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. » Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.
Patrick BRAUD

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20 octobre 2024

Joyeusetés orthodoxes

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Joyeusetés orthodoxes

 

Homélie pour le 30° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
27/10/24

Cf. également :
Le courage aveugle de Bartimée
Comme l’oued au désert
Les larmes du changement
Bartimée et Jésus : les deux fois deux fils

 

Les Récits d’un pèlerin russe

Récits d'un pèlerin russeBartimée aurait pu être russe ! Dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 10,46-52), on l’entend répéter sans se décourager ce cri, malgré l’obstacle des disciples : « Fils de David, prends pitié de moi ! ». Cette prière insistante est devenue un modèle pour nombre d’ermites et de moines du désert, en Égypte notamment, dans les premiers siècles, puis en Orient. Conjuguée à la prière de l’humble publicain du Temple : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ! » (Lc 18,10), elle est devenue ce que les orthodoxes appellent « la prière du cœur » (ou Prière de Jésus) : « Seigneur, Fils de Dieu, prends pitié de moi, pécheur ». Répétée inlassablement, elle est devenue un mantra spirituel capable de nous établir dans une prière perpétuelle, selon l’invitation de Paul à « prier sans cesse » (1Th 5,17). Cette prière du cœur a été largement vulgarisée grâce à la publication d’un petit livre anonyme : « Récits d’un pèlerin russe », paru à Kazan en Russie en 1870. Son succès fut immense en Occident ensuite. On y lit les aventures d’un simple paysan russe du XIX° siècle en quête de la prière perpétuelle, parcourant la campagne à la rencontre des personnages de la société tsariste de l’époque (après la guerre de Crimée de 1854–56 et avant l’abolition de l’esclavage en 1861) : commerçants, fonctionnaires, artisans, nobles, popes, instituteurs etc. Ce n’est que grâce à l’accompagnement d’un starets (un ‘ancien’) que le pèlerin russe trouve sa paix en Dieu, en étant initié à la prière du cœur, continuelle et confiante.

 

Hésychasme, philocalie, neptiques, ataraxie et autres joyeusetés orthodoxes

Joyeusetés orthodoxes dans Communauté spirituelle HESYCHASME456-400x658Le sens de la prière du cœur est d’atteindre cet état de contemplation permanente où la prière est continuelle, source de joie, participation à la sainteté divine. L’unification de tout l’être – intelligence, corps, cœur, volonté – se réalise progressivement grâce à la répétition de la formule inspirée de Bartimée, jusqu’à l’illumination intérieure que la guérison extérieure de l’aveugle préfigurait dans l’Évangile. Cette unification spirituelle  établit fermement celui qui prie ainsi dans un état de prière, de joie, de confiance et d’abandon à Dieu, que les Pères Grecs appelaient hésychasme, du grec ἡσυχασμός / hesychasmos, dérivé du verbe grec: ἡσυχάζω / hesychazo, qui signifie : « être en paix, garder le silence ». Les hésychastes jettent l’ancre en Dieu même, et s’y établissent dans la paix de l’âme, dans le silence de la pensée. Le paysan russe des Récits décrit ainsi l’effet sur lui de la répétition de la prière du cœur :

« Voilà comment je vais maintenant, disant sans cesse la prière de Jésus, qui m’est plus chère et plus douce que tout au monde. Parfois, je fais plus de soixante-dix verstes (1 verste = 1,067 km) en un jour et je ne sens pas que je vais ; je sens seulement que je dis la prière. Quand un froid violent me saisit, je récite la prière avec plus d’attention et bientôt je suis tout réchauffé. Si la faim devient trop forte, j’invoque plus souvent le nom de Jésus-Christ et je ne me rappelle plus avoir eu faim. Si je me sens malade et que mon dos ou mes jambes me fassent mal, je me concentre dans la prière et je ne sens plus la douleur. Lorsque quelqu’un m’offense, je ne pense qu’à la bienfaisante prière de Jésus ; aussitôt, colère ou peine disparaissent et j’oublie tout. Mon esprit est devenu tout simple. Je n’ai souci de rien, rien ne m’occupe, rien de ce qui est extérieur ne me retient, je voudrais être toujours dans la solitude ; par habitude, je n’ai qu’un seul besoin : réciter sans cesse la prière, et, quand je le fais, je deviens tout gai. Dieu sait ce qui se fait en moi.

 

Petite philocalie de la prière du cœurDéjà, des philosophes grecs comme Démocrite avait entrevu cette possibilité de demeurer au repos, stable, en équilibre, quels que soient les aléas de la vie, sans se laisser déstabiliser par les passions contradictoires. Ils parlaient d’ataraxie, du grec ἀταραξία, =  « absence de troubles ». C’est un peu la version séculière de l’hésychasme. Les autres philosophies comme le bouddhisme formulent en nirvana cette quête d’un au-delà de l’être, grâce à l’éveil spirituel obtenu dans la méditation continuelle. Et les moines bouddhistes, hindouistes, taoïstes etc. utilisent la technique du mantra, équivalente à la prière du cœur, pour atteindre cette forme extatique de la paix et du repos au-delà des apparences.


En Orient, on a l’habitude d’utiliser une cordelette de laine pour aider au rythme de la répétition de la prière du cœur. C’est cette cordelette qui est à l’origine du chapelet musulman sur lequel on égrène les 99 noms de Dieu dans le Coran. Et l’habitude catholique de réciter le chapelet marial depuis le XV° siècle reprend cette technique spirituelle de la répétition, appuyée sur une cordelette et des grains pour compter les prières, pour faire entrer l’orant dans une extase d’union à Dieu. Les mystiques soufis chantent et dansent des poèmes jusqu’à épuisement. Les derviches tourneurs mettent en œuvre l’équivalent corporel de la prière du cœur dans la danse reproduisant le mouvement des planètes. La réputation obsédante du thème du Boléro de Ravel en est un autre équivalent musical etc.

image Bartimée dans Communauté spirituelleCela montre que l’aspiration à cet état d’unité paisible que produit la prière du cœur est enracinée en tout homme, croyant ou non.

C’est presque rassurant de voir ainsi les traditions religieuses, philosophiques, athées, agnostiques, polythéistes, monothéistes converger vers ce que pointe notre prière du cœur issue de Bartimée : une unification de tout l’être en un seul désir autour de l’essentiel. C’est l’indice de l’image divine gravée, indélébile, au cœur de tout être humain.

 

La prière du cœur est cependant plus qu’une simple technique de méditation répétitive, car elle est portée par une tradition mystique rassemblée dans la Philocalie des Pères neptiques. Autre joyeuseté orthodoxe, la Philocalie est étymologiquement « l’amour du beau ». Appeler philocalie un recueil de paroles des Pères de l’Église des premiers siècles, orientaux en majorité, c’est déjà donner l’orientation de la prière du cœur : répéter à l’infini la formule : « Seigneur Jésus, prend pitié de moi, pécheur » est une porte pour entrer dans la contemplation amoureuse de la beauté divine… On trouve dans ce recueil de textes qu’est la Philocalie les principaux commentaires et enseignements des Pères au sujet de l’hésychasme, et des voies pour y parvenir. C’est pourquoi on a appelé ces Pères :  neptiques = sobres , en grec, car leur sobriété spirituelle leur permettait de rester vigilants dans leur quête de Dieu.

 

La prière du cœur et nous aujourd’hui

D’abord, la prière du cœur nous dit qu’il est possible de vivre en étant perpétuellement uni à Dieu, dans le travail et les loisirs, la famille et les collègues, dans la paix et la joie, quels  que soient les événements heureux ou tragiques qui nous affectent.

Rappelez-vous la joie parfaite de François d’Assise : même rejeté par nos proches, il nous est donné en Christ d’exulter de joie, uni à lui sans cesse. Les orthodoxes s’établissent dans ce climat de prière perpétuelle par la prière du cœur, les catholiques par le chapelet marial ou l’adoration eucharistique, les musulmans par le chapelet coranique… : l’essentiel est de croire qu’il est possible de recevoir la paix et la joie continuelles, et de s’exercer à accueillir ce don.

 

– L’amour de la beauté

La philocalie est l’humus de la prière du cœur. Les textes patristiques éclairent le contenu de ce qui serait autrement une formule magique et païenne. Les commentaires des Pères nourrissent la foi du pèlerin russe, et chargent chaque mot de cette formule d’un poids théologique, spirituel, humain, très grave.

* Seigneur évoque la transcendance et la seigneurie du Christ sur tout l’univers.

* Jésus (YHWH sauve) est le prénom si chargé de sens pour notre salut.

* Christ est le titre trinitaire par lequel nous reconnaissons Jésus comme l’Oint, celui sur qui est répandu l’Esprit de YHWH comme l’huile sur la tête de David, le Messie paradoxal.

* Fils de Dieu est bien sûr la proclamation de l’intimité unique de Jésus avec YHWH, jusqu’à ne plus faire qu’un avec lui, dans l’Esprit, ce qui est notre avenir commun.

* Prend pitié de moi pécheur est la formule de confession et de conversion par laquelle nous contemplons la miséricorde de Dieu à l’œuvre en nous.

Ainsi lesté de siècles d’approfondissement théologique, la formule la prière du cœur n’est pas simplement un mantra pour s’évader ailleurs. Elle est l’amour de la beauté en marche, contemplation trinitaire et non paradis artificiel. Se laisser guider par l’amour de la beauté est une voie simple vers la sainteté. À nous de nous y entraîner.

 

– L’unification continue

71VxQ5yRKRL._AC_SL1500_ hésychasmeLa prière permanente permet de rattacher toute chose à Dieu, en tout temps, en tous lieux. L’idolâtrie éparpille, disperse, désunit, crée le désordre intérieur. La prière du cœur recrée peu à peu l’unité spirituelle. Et encore une fois, ce n’est pas une question de technique. Même si certains starets proposent de réciter la formule en la calquant sur la respiration et sur le souffle, et en fixant son attention sur un point du corps pour éviter de fuir ailleurs, ce n’est jamais qu’un moyen au service de l’unification intérieure.

Le ralentissement ou la rétention de la respiration est un moyen bien connu de se mettre dans un état de calme. Saint Ignace, dans ses Exercices, conseille de prier comme en mesure « d’une respiration à l’autre ». Chaque mouvement respiratoire peut exhaler une prière. De plus, les hésychastes ont attaché une grande importance à maintenir « l’esprit dans les limites du corps » ; il s’agit d’empêcher l’esprit de se disperser dans les choses. Si l’on retient sa respiration, si en même temps on reste immobile, les yeux fermés ou baissés, et si cette attitude corporelle s’accompagne d’un effort psychologique pour « ramener l’esprit dans le corps » et ne pas dépasser les limites du corps, cette opération produit une impression de  coïncidence aiguë entre l’esprit et le corps et de concentration intense.

Celui qui se lance sur la voie de la prière du cœur devra toujours entendre cependant l’avertissement de Jésus sur la dérive païenne toujours possible : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés » (Mt 6,7).

 

- L’amour à partir de Dieu

Être plongé dans le cœur de Dieu est le plus court chemin pour être unis nos frères, et réciproquement la prière continuelle nous conduit de la compassion envers autrui à l’union à Dieu, et de l’union à Dieu à l’amour d’autrui, en les aimant à partir de Dieu et en Dieu. Le starets Silouane, du mont Athos, raconte comment son intercession pour les ouvriers travaillant sur les chantiers de l’île le conduit au cœur du mystère divin, où là il retrouve les visages de ces ouvriers, qui à nouveau le mènent en Dieu seul etc., dans un mouvement perpétuel de Dieu à l’homme et de l’homme à Dieu :

 philocalie« Au début, je priais avec des larmes de compassion pour Nicolas, sa jeune femme et leur petit enfant mais, à mesure que je priais, le sentiment de la présence divine m’envahissait de plus en plus ; à un certain moment, il devint si intense que, perdant de vue Nicolas, sa femme, leur enfant, leurs besoins, leur village, je n’eus plus conscience que de Dieu seul. Le sentiment de la présence de Dieu m’entraîna dans un recueillement de plus en plus profond ; soudain, au sein même de cette présence, je rencontrai l’amour de Dieu et, au cœur de cet amour, Nicolas, sa jeune femme et l’enfant ; alors, avec l’amour même de Dieu, je recommençai à prier pour eux ; mais je me sentis derechef attiré dans de nouveaux abîmes au fond desquels je rencontrai une fois de plus l’amour de Dieu. C’est ainsi que se passent mes journées : je prie pour chacun de mes ouvriers, tour à tour, l’un après l’autre ; la fin de la journée je leur dis quelques paroles, nous prions ensemble et ils vont se reposer. Quant à moi, je regagne le monastère pour m’y acquitter de mes devoirs monastiques » [1].

 

Bartimée ne pouvait certes pas imaginer la fécondité de sa prière suppliante et insistante formulée sur la route de Jéricho, adressée à Jésus par-dessus la tête de ses disciples ! Faisons nôtre cette postérité spirituelle, en pratiquant la prière du cœur pour ceux à qui cela correspond, ou par tout autre désir de prière incessante : « réjouissez-vous et priez sans cesse ».

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[1]. Mgr Antoine Bloom, L’école de prière, Seuil (LV 143), 1972.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« L’aveugle et le boiteux, je les fais revenir » (Jr 31, 7-9)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Ainsi parle le Seigneur : Poussez des cris de joie pour Jacob, acclamez la première des nations ! Faites résonner vos louanges et criez tous : « Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël ! » Voici que je les fais revenir du pays du nord, que je les rassemble des confins de la terre ; parmi eux, tous ensemble, l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c’est une grande assemblée qui revient. Ils avancent dans les pleurs et les supplications, je les mène, je les conduis vers les cours d’eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israël, Éphraïm est mon fils aîné.

Psaume
(Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)
R/ Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !
 (Ps 125, 3)

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert.
Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

Il s’en va, il s’en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes.

Deuxième lecture
« Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité » (He 5, 1-6)

Lecture de la lettre aux Hébreux

out grand prêtre est pris parmi les hommes ; il est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu ; il doit offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. Il est capable de compréhension envers ceux qui commettent des fautes par ignorance ou par égarement, car il est, lui aussi, rempli de faiblesse ; et, à cause de cette faiblesse, il doit offrir des sacrifices pour ses propres péchés comme pour ceux du peuple. On ne s’attribue pas cet honneur à soi-même, on est appelé par Dieu, comme Aaron.
Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s’est pas donné à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de Dieu, qui lui a dit : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré, car il lui dit aussi dans un autre psaume : Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité.

Évangile
Rabbouni, que je retrouve la vue » (Mc 10, 46b-52) Alléluia. Alléluia. 
Notre Sauveur, le Christ Jésus, a détruit la mort, il a fait resplendir la vie par l’Évangile. Alléluia. (2 Tm 1, 10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin. Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.
Patrick BRAUD

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13 octobre 2024

Peut-on être chrétien et ambitieux ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Peut-on être chrétien et ambitieux ?

 

Homélie pour le 29° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
20/10/24

Cf. également :

Manager en servant-leader
Premiers de cordée façon Jésus
Jesus as a servant leader
Jeudi saint : les réticences de Pierre
On voudrait être un baume versé sur tant de plaies…
Donner sens à la souffrance
Exercer le pouvoir selon le cœur de Dieu
Une autre gouvernance
À quoi servent les riches ?
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?
Cendres : une conversion en 3D
 

 

Si l’on te tourne autour…

« Si à 50 ans tu n’as pas une Rolex, c’est que tu as raté ta vie ! »

On se souvient de cette fameuse phrase du publicitaire Jacques Séguéla, qui prônait la réussite financière comme critère de réussite de sa vie. Les chrétiens se bouchent facilement le nez devant l’odeur nauséabonde de ces ambitions aussi vulgaires que clinquantes. Sous couvert d’humilité, sommes-nous pour autant condamnés à refuser les premiers rôles, quitte à les laisser à des monstres d’égoïsme ? Devons-nous fuir la réussite (scolaire, professionnelle, politique etc.) sous prétexte d’être serviteur selon le mot de Jésus aujourd’hui ? Est-ce contraire à notre foi d’accepter des responsabilités importantes, avec l’argent qui va avec, nous désignant comme chef, patron, leader ou haut  gradé ?

 

La question n’est pas simple. Beaucoup se sont brûlé les ailes à s’approcher des sommets. Beaucoup sont devenus addicts au prestige, à l’argent facile, au pouvoir discrétionnaire.

Or il y a tant de passages des évangiles où l’ambition est déclarée péché mortel ! Ainsi ce dimanche (Mc 10,35-45). Jacques et Jean font l’indignation de tout le groupe des disciples en demandant Jésus : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire ».

Ils exigent un siège ministériel, rien de moins ! Ils imaginent Jésus en Premier ministre de YHWH, et eux à l’Intérieur et à l’Économie ! Ils étalent leur ambition, écœurante. Alors qu’ils sont déjà des proches : Jacques est le cousin de Jésus, Jean son « disciple bien-aimé ».  Ils en veulent encore plus.

Peut-on être chrétien et ambitieux ? dans Communauté spirituelleIls devraient savoir pourtant que les arrivistes sont détestés, et plus encore en politique (72 % des Français pensent que leurs politiques sont de piètre qualité… sondage IFOP d’août 2024). Les nouveaux riches traînent derrière eux des suspicions de malhonnêteté, les petits chefs veulent se faire craindre à défaut d’être aimés. Les aigris crient à l’injustice pour excuser leur médiocrité. Jacques et Jean subissent de plein fouet l’indignation que suscitent inévitablement les ambitieux flagorneurs.

 

Ambition : le mot lui-même fait penser à ces mouches qui bourdonnent autour du pot de miel. Amb (autour) – ire (aller) = déambuler autour. Jacques et Jean tournent autour de Jésus, l’entourent en l’isolant un peu du groupe pour le flatter et lui soutirer des faveurs. Parfois, des responsables aiment bien qu’une cour de flatteurs leur tourne autour : cela les rend importants, désirables, reconnus. Jésus, lui, n’y est guère sensible. Pour autant, il ne va pas désavouer totalement les deux ambitieux qui l’entreprennent. Il leur propose un chemin de conversion qui peut devenir le nôtre : non pas éteindre nos ambitions, mais les convertir, et les rattacher à une ambition plus fondamentale.

Essayons de repérer les étapes de ce processus où nous pourrons nous aussi « baptiser » nos ambitions : en parler / les retourner / les redresser/ les accomplir.

 

L’ambition, c’est mieux d’en parler

 ambition dans Communauté spirituelleC’est une franchise qu’on peut mettre au crédit de Jacques et Jean : au moins, ils ne cachent pas leurs ambitions. Ils en parlent à leur leader. Signe qu’ils lui font confiance. Signe qu’ils osent dire à haute voix leur attrait pour ces postes ministériels, et qu’ils se risquent dans une conversation pour en évaluer la faisabilité.

Tant d’ambitieux restent tapis dans l’ombre et le silence, couvant des projets de grandeur sans en piper mot à quiconque, de peur de se dévoiler et de faire échouer leurs plans. D’ailleurs, il est à parier que les 10 autres disciples qui s’indignent ostensiblement nourrissaient eux aussi des rêves de grandeur, mais n’osaient les avouer. La preuve : Jésus appelle ces 10 pour qu’ils entendent eux aussi l’appel fameux à servir au lieu de se servir.

Le fait même de confier ses ambitions à quelqu’un oblige à sortir de soi, pour tenir compte des autres. C’est entrer dans le monde de l’échange, de la parole donnée, de l’écoute de la parole de l’autre. Le regard de l’autre va éclairer mes ambitions, leur réalisme, leur utilité. Et alors je dois répondre à ces questions sur le pourquoi, le comment, le quand etc. de ces désirs de réussite. Devenir responsable, c’est étymologiquement bien cela : répondre de mes projets devant d’autres.

Risquer son ambition dans le dialogue, c’est donc l’éclairer du jugement d’autrui, accepter qu’elle se précise en la formulant, entrer dans un compagnonnage fraternel qui va la faire évoluer grâce à l’échange de parole.

N’ayons donc pas peur de confier nos ambitions au Christ, à des amis, à des membres de l’Église ! Parlez-en. Mettez des mots sur vos attentes. Écoutez la réaction d’autrui. Vous serez souvent surpris de mieux vous comprendre vous-même en vous livrant ainsi à d’autres.

 

Ce que fait Jésus avec la finesse d’un coach expérimenté, c’est de prendre Jacques et Jean là où ils en sont à un instant t, et de les conduire patiemment plus loin, beaucoup plus loin que leur demande immédiate. Pour cela, il procède graduellement, en franchissant une à une les étapes de toute conversion chrétienne : accomplir ce qu’il y a de meilleur dans la demande exprimée / redresser cette demande en l’orientant vers ailleurs sans l’éteindre / retourner la demande en signifiant clairement ce qu’elle comporte d’incompatible avec l’Évangile [1].

 

a) conversion par accomplissement : des ambitions à l’ambition

unification conversionJacques et Jean demandent des sièges pour partager la gloire de Jésus. Aspirer à la gloire n’est pas mauvais en soi, puisque c’est précisément ce que Dieu désire : « la gloire de Dieu c’est l’homme vivant » (Irénée de Lyon). Jésus les prend au mot : la gloire qu’ils demandent à avoir en partage est d’abord une densité (doxa = lourdeur, en grec) d’être, une consistance qui donne du poids et de la gravité à chaque moment vécu. Jésus connaît bien cette gloire-là, car il vit chaque rencontre, chaque parole et chaque visage comme une gorgée d’élixir divin. Il se nourrit de la qualité de ces échanges. Mais il sait où cela va le conduire. C’est pourquoi aux sièges de Jacques et Jean il répond par la coupe et le baptême. Peuvent-ils s’exercer à désirer, au-delà des sièges ministériels, le vrai pouvoir qu’ils cherchent à tâtons, le pouvoir de faire grandir l’autre ? Peuvent-ils boire la coupe du sang versé, c’est-à-dire aller jusqu’au bout du don de soi ? Veulent-ils être plongés dans le baptême de la Passion, c’est-à-dire affronter lucidement le mal pour en délivrer leurs proches ?

Autrement dit : écoutez battre le meilleur de vos ambitions, et vous y entendrez battre le cœur de Dieu.

 

Du coup, si avec Jacques et Jean nous découvrons ce que les sièges ministériels recelaient en vérité de ‘coupe’ et de ‘baptême’, nous unifierions peu à peu nos rêves de gloire et de réussite autour d’une seule ambition, fondamentale : servir et non se servir. Peu importe les conséquences pratiques de la poursuite de cette ambition : désirer servir apporte  à certains médailles, postes et argent, et à d’autres persécutions, mise à l’écart et diffamation. Le serviteur n’est pas grand parce qu’il est reconnu ou au contraire rejeté : il est grand parce qu’il sert, un point c’est tout, quelles que soient les conséquences.

Celui qui a unifié ses ambitions autour de cette quête fondamentale : servir, accueillera la réussite comme l’échec avec un cœur égal, la santé ou la maladie, la reconnaissance ou le mépris avec la « sainte indifférence » chère à Ignace de Loyola.

 

Arrêtez de vous éparpiller en poursuivant une multitude de lièvres. Unifiez votre désir en concentrant votre quête sur l’unique nécessaire : servir. Et tout le reste vous sera donné, « par-dessus le marché ».

 

b) conversion par redressement : ajuster son ambition

Ajustage du fer à chevalPar nature, nos désirs sont initialement désordonnés. Ils partent dans tous les sens. Nos ambitions sont buissonnantes : argent, succès, amour, famille, gloire… Apprendre à les unifier en Christ est le premier travail, tel le maréchal-ferrant qui martèle le fer à cheval rougi par le feu pour lui donner forme et qu’il s’ajuste au sabot du cheval.

Sur cette voie d’unification, l’ombre le cédera à la proie : ce n’est pas la gloire à la manière des hommes que je recherche, mais la gloire en Dieu-même. Ce n’est pas l’ivresse du pouvoir qui est ma soif véritable lorsque je demande des postes à responsabilité : c’est la soif de faire vivre l’autre, de boire à la coupe de l’alliance fraternelle avec ceux qui m’entourent. Ce n’est pas la médaille de baptême que j’ambitionne, mais la Passion que Jésus avait pour chacun et chacune, et plonger dans cet engagement passionnant est beaucoup plus motivant finalement que de figurer au Who’s Who des gens qui comptent.

 

Il y a toujours quelque chose de tordu dans nos ambitions de départ. Qui fait de l’humanitaire de façon purement désintéressée ? Qui accède à de hauts postes – même dans l’Église – sans se sans y mettre un peu d’orgueil, de vanité et de volonté de puissance ? C’est la vieille histoire du bon grain et de l’ivraie qui grandissent ensemble. Nos désirs sont tordus, mais ce n’est pas une raison pour les arracher, pour ne pas laisser croître à travers eux l’unique désir du Royaume. Nos talents peuvent servir le mal, mais mieux vaut les risquer en les faisant fructifier que de les enterrer stérilement.

 

Bref : accueillons pleinement nos ambitions, à condition de les soumettre sans cesse au travail que l’Évangile opère sur elles. Comme le crie Jean-Baptiste dans le désert : « préparez les chemins du Seigneur, rendez droits ses sentiers, aplanissez les collines… »

 

c) conversion par retournement : les ambitions incompatibles

 serviceÉcouter battre le meilleur de nos aspirations, les ajuster en les évangélisant : reste que certaines demandes sont irrecevables, certains rêves sont dangereux, certains projets sont inconciliables avec notre foi.

D’où l’importance de savoir dire non. À soi-même d’abord lorsque que je me rêve tyran, Crésus, Midas ou Napoléon. Aux autres ensuite : Jésus ose dire non, catégoriquement, à la folle demande de sièges : « Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé ».

Il dit non à l’envie de grandeur autoritaire qui couvre chez les 10 autres : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi ».

 

Voilà, c’est dit : il y a des ambitions incompatibles avec l’Évangile de Jésus. Le ‘saint désir’  peut conduire à une ambition juste. Les passions désordonnées conduisent à des ambitions meurtrières, inhumaines, suicidaires. « Se servir ou servir » est l’opposition fondamentale dont nous ne devons jamais sous-estimer la portée ni la violence… Esquiver cette dénonciation courageuse ne peut que se retourner contre nous.

 

L’Esprit du Christ nous apprendra ainsi à renoncer aux ambitions incompatibles avec lui. Et encore à faire renoncer ceux qui se laissent fasciner par les dangereux miroirs aux alouettes où ils se leurrent eux-mêmes. L’ambition de Poutine de reconstituer l’empire soviétique, celle de la Chine d’imposer son communisme aux Tibétains, aux Ouïgours, à Hong Kong et Taïwan, l’ambition follement mégalomane de Donald Trump etc. : les errements des grands de ce monde sont faciles à dénoncer. Alors examinons-nous.

Soyons honnêtes avec nous-même : quelles sont les ambitions que je chéris et dont je sens bien qu’elles contredisent finalement ma foi chrétienne ?

 

Conclusion

leffeta-article-quen-a-til-ambition--scaledLe terme ambition (φιλοτιμομαι = philotimeomai) ne se retrouve que 3 fois dans la Bible, et sous la plume de Paul. Il relit son parcours en y discernant comme ligne de force une ambition : la mission. « J’ai ambitionné de n’évangéliser que là où le nom du Christ n’avait pas encore été prononcé, car je ne voulais pas bâtir sur les fondations posées par un autre » (Rm 15,20).

Le moteur de sa vie n’est pas en lui, mais centrée en Christ : « Mais de toute manière, que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur » (2Co 5,9).

Et finalement, il invite les communautés locales à se concentrer sur le progrès spirituel dans l’exercice ordinaire des responsabilités de chacun : « Frères, nous vous encourageons à progresser encore : ayez pour ambition de vivre calmement, de vous occuper chacun de vos propres affaires et de travailler de vos mains comme nous vous l’avons ordonné » (1Th 4,10–11).

 

Toi qui cherches le Christ, quelle sera ton ambition fondamentale ?

Accepteras-tu d’en parler à quelqu’un ?

Dans les ambitions qui sont les tiennes, qu’y a-t-il à accomplir, à redresser, à retourner ?

 

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LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours » (Is 53, 10-11)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira. Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes.

Psaume
(Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22)
R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous comme notre espoir est en toi !
 (Ps 32, 22)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

Deuxième lecture

« Avançons-nous avec assurance vers le Trône de la grâce » (He 4, 14-16)


Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours.

Évangile
« Le Fils de l’homme est venu donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 35-45)  Alléluia. Alléluia. 
Le Fils de l’homme est venu pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. Alléluia. (cf. Mc 10, 45)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. » Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Ils lui répondirent : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ? » Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. »
Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean. Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Patrick Braud

 

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