Huile essentielle
Huile essentielle
Homélie pour le 32° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
10/11/24
Cf. également :
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1. Un peu suffit
Passez la porte d’un magasin « Nature et Découvertes ». Vous aurez immédiatement envie de respirer profondément pour explorer les délicieuses fragrances, le plus souvent inconnues, qui imprègnent l’air du lieu de vente et sollicitent vos narines. Immanquablement, votre nez vous conduira vers les diffuseurs d’huile essentielles qui alimentent en permanence ce microclimat où les brouillards colorés, les senteurs, leur fraîcheur, leur goût, leur étrangeté vous subjugueront. Le vendeur vous fera la démonstration : il suffit de quelques gouttes d’un précieux condensé de parfums naturels les plus divers pour embaumer tout une pièce. Un peu d’huile essentielle suffit à purifier et enchanter tout l’espace !
L’huile de la veuve de Sarepta (1R 17,10-16) est essentielle elle aussi. Non pas à cause de sa fabrication, mais parce qu’elle va amener cette veuve à reconnaître en Élie le prophète du Dieu unique, si différent des idoles de la région.
Suivons le parcours d’Élie qui peut devenir le nôtre, afin de devenir nous aussi prophète du très Haut.
2. Sortir de sa zone de confort
Dans sa lutte contre les idoles (Baal et Astarté) qui pullulaient en Israël sous l’influence étrangère portée par la reine Jézabel, Élie joue chez lui dans un premier temps. Il convoque les soi-disant prophètes de Baal au Mont Carmel, et les défie dans la célèbre épreuve du feu (1R 18,20-46). Sorti grand vainqueur de ce barnum magique (peut-être grâce de l’alcool inflammable ?), Élie fait exterminer les 70 faux prophètes et croit être le champion d’Israël. Mais voilà que Jézabel lui en veut à mort de l’avoir humiliée ainsi ! Dieu envoie d’abord Élie se cacher à l’est du Jourdain, dans les gorges encaissées du torrent du Kérith, en Galaad. Là, il est nourri par les corbeaux.
Double faiblesse pour l’ex champion : il n’est plus chez lui, il ne peut plus se nourrir par lui-même. Comme si YHWH prenait le contre-pied de la démonstration de puissance qu’Élie avait soigneusement manigancée au sommet du mont Carmel.
Pire encore : le torrent du Kérith s’assèche. Élie a soif. Il doit émigrer encore plus loin, à Sarepta, qui se trouve à environ 110 km. à vol d’oiseau vers le nord-ouest, en Phénicie, non loin des montagnes du Liban. Une terrible famine règne dans le pays. Élie est alors loin de chez lui, loin de son peuple. C’est une terre hostile ! Et il ne pourra pas compter là-bas sur un riche mécène, un baron puissant ou sur quelqu’un qui connaisse son Dieu : c’est une pauvre veuve idolâtre qui doit le recevoir, et elle souffre elle-même de la famine.
Sortir de sa zone de confort semble être – pour Élie comme pour nous – un préalable à l’action prophétique. Jésus lui-même a ressenti cet appel impérieux à sortir de sa sphère juive en allant en Décapole, territoire païen au-delà du Jourdain, ou en voyageant jusqu’à Sidon, où une femme l’obligera à accorder quelques miettes du festin messianique aux petits chiens sous la table…
Notre zone de confort, c’est l’entre-soi douillet et rassurant des regroupements par école, par quartier, par activité, où les riches se retrouvent entre eux, où les cathos pratiquants se confortent mutuellement, où les autres religions font table à part, où les militants d’une cause s’auto-persuadent que c’est la bonne etc.
Rappelez-vous : nul n’est prophète en son pays ! Il faut sortir de chez soi, de sa doxa habituelle, de ses cercles concentriques d’amis et de relations, pour laisser la Parole de Dieu nous traverser et aller toucher le cœur d’autrui. Et sortir de notre zone de confort nous conduit souvent en situation de faiblesse, de dépendance, comme Élie au Kérith ou à Sarepta. C’est auprès des petits, des faibles, que nous trouverons aide et appui, et non chez les princes ou les puissants. Jésus fait ce constat : « En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère » (Lc 4,25–32).
À nous de nous laisser conduire par les événements vers cet ailleurs, vers ces « veuves », où nous découvrirons comment Dieu se manifeste dans la faiblesse du vase d’huile et non dans le feu du Carmel, chez une veuve étrangère et non dans les palais de la reine d’Israël…
3. Pour dissiper l’idolâtrie
Au début, la veuve parle de YHWH à Élie en l’appelant « ton Dieu ». Ce n’est effectivement pas le sien, car la Phénicie (le Liban actuel) est alors envahie par les cultes idolâtriques dédiés à Baal et Astarté, dieux de la fertilité. À la fin du récit, la veuve a changé. Elle reconnaît ans Élie le prophète du seul Dieu véritable : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que, dans ta bouche, la parole du Seigneur est véridique » (1R 17,24).
L’ADN d’Élie est bien ce témoignage prophétique au Dieu unique, et son nom même en est la trace : Élie = ‘Mon Dieu est YHWH’ (en hébreu). Alors qu’on ne connaît pas le nom de la veuve, mais seulement son village : Sarepta, qui signifie : fonderie, orfèvrerie, raffinerie. Sarepta désigne une activité de fabrication (de bijoux, d’or, de minerais) qui renvoie au caractère artificiel des idoles. Baal et Astarté ne sont que des statues fabriquées par des artisans habiles. Ces objets inanimés ne sont rien à côté de YHWH, le Tout-autre, non fait de main d’homme. On a découvert sur le site de Sarepta des traces archéologiques de l’activité de soufflage du verre, activité qui existe encore aujourd’hui à Sarafand tout proche.
Ce n’est plus dans une lutte frontale, violente, contre les idoles comme au Mont Carmel qu’Élie va témoigner de YHWH, mais dans la survie au côté d’une veuve en temps de famine. Inversion totale du rapport de force, à méditer par tous les religieux qui veulent imposer leur vision du monde en engageant un bras de fer violent avec les puissants (en Iran, en Israël, en Russie, en Inde, au Pakistan, au Sahel etc.).
En France, il semblerait qu’heureusement les cathos ne soient plus assez forts pour rêver de réguler la société, mais la tentation existe toujours – au nom du bien et du vrai – d’intriguer et de faire du lobbying pour imposer des choix de vie relevant de la liberté de chacun. Pourtant la foi chrétienne ne s’impose pas. Elle se propose. Ou mieux encore, comme ici avec Élie : elle se vit aux côtés des plus pauvres, souffrant de famine, et se diffuse alors aussi naturellement que l’huile essentielle au creux du diffuseur…
Au lieu de mettre le feu, Élie apprend à recevoir l’hospitalité.
Au lieu de la force triomphante du Carmel, l’humble faiblesse d’un peu de farine et du huile.
Au lieu du drapeau israélien si fièrement planté en haut du Carmel, le déroutant exil au Liban en terre étrangère.
Dissiper l’idolâtrie ambiante – et Dieu sait si les idoles modernes pullulent autour de nous ! – ne se fait pas en mettant le feu, mais en côtoyant les humbles, pas en convertissant de force, mais en sauvant la vie des idolâtres, gratuitement.
De quoi prendre à rebrousse-poil les stratégies de conquête de pas mal de mollahs, d’évangélistes ou de nationalistes !
4. Avec un peu d’huile
Un seul vase d’huile pour un temps de famine, c’est bien peu.
Deux pains et cinq poissons pour nourrir toute une foule, c’est bien peu.
Une seule fiole d’huile pour allumer le candélabre du Temple de Jérusalem pendant une semaine, c’est bien peu.
Et pourtant le vase d’huile ne se videra pas.
Et pourtant la foule fut nourrie.
Et pourtant, la fête de Hanoucca commémore chaque année le miracle de la fiole d’huile qui ne s’épuise pas, symbole de la renaissance de la foi après l’occupation [1].
À l’inverse, l’huile des vierges folles va s’épuiser et priver les cinq jeunes filles de la rencontre avec l’époux.
De quoi l’huile de la veuve de Sarepta est-elle le nom ?
Eh bien, paradoxalement, elle représente le refus d’aider l’autre en direct.
Élie ne va pas aider la veuve, mais il lui demande de l’aider, en lui sacrifiant le peu qui lui reste ! Autrement dit : nourrir l’autre n’est pas l’aider. C’est lui apprendre à nourrir autrui qui le sauvera.
L’essentiel n’est pas d’aider mais d’initier au don.
Non pas ‘faire pour’, mais apprendre l’autre à se livrer.
Avouons que cela est folie pour la sagesse humaine habituelle. Nous sommes habitués à la générosité, à l’humanitaire, aux Restos du cœur, aux collectes alimentaires etc. Et voilà qu’Élie ne donne rien à manger à la pauvre veuve étrangère qui crie famine, mais lui apprend à se donner jusqu’au bout !
Voilà pourquoi Jésus loue les deux sous du don de la veuve au Temple de Jérusalem, plus que les gros chèques des notables de la ville (Mc 12, 38-44).
Car se donner est plus grand que demander.
Se livrer jusqu’à l’extrême, jusqu’à donner de son essentiel (de son huile essentielle !) et non de son superflu est plus important que de quémander l’existence.
La pauvre veuve de Sarepta fait une expérience qui peut devenir la nôtre : il nous est donné de nous donner.
Et il suffit d’un peu d’huile – notre essentiel – pour que la bonne odeur de l’Évangile se répande partout autour de nous.
Sortir de notre zone de confort / pour dissiper idolâtrie / avec un peu d’huile : comment mettre nos pas dans ceux d’Élie cette semaine ?
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[1]. Le miracle de la fiole d’huile (hébreu : נס פך השמן Nes pakh hashemen) est une aggada consignée pour la première fois dans le Talmud de Babylone, selon laquelle les Maccabées victorieux découvrent, après la libération du Second Temple de Jérusalem (au II° siècle av. J.C.), que les huiles destinées à l’allumage de la Menorah du Temple ont été profanées à l’exception d’une fiole qui ne devrait pas suffire plus d’un jour ; c’est pourtant grâce à cette fiole qu’ils parviennent à allumer le candélabre pendant huit jours jusqu’à la fabrication d’huiles nouvelles.
Lectures de la messe
Première lecture
« Avec sa farine la veuve fit une petite galette et l’apporta à Élie » (1 R 17, 10-16)
Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, le prophète Élie partit pour Sarepta, et il parvint à l’entrée de la ville. Une veuve ramassait du bois ; il l’appela et lui dit : « Veux-tu me puiser, avec ta cruche, un peu d’eau pour que je boive ? » Elle alla en puiser. Il lui dit encore : « Apporte-moi aussi un morceau de pain. » Elle répondit : « Je le jure par la vie du Seigneur ton Dieu : je n’ai pas de pain. J’ai seulement, dans une jarre, une poignée de farine, et un peu d’huile dans un vase. Je ramasse deux morceaux de bois, je rentre préparer pour moi et pour mon fils ce qui nous reste. Nous le mangerons, et puis nous mourrons. » Élie lui dit alors : « N’aie pas peur, va, fais ce que tu as dit. Mais d’abord cuis-moi une petite galette et apporte-la moi ; ensuite tu en feras pour toi et ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre. » La femme alla faire ce qu’Élie lui avait demandé, et pendant longtemps, le prophète, elle-même et son fils eurent à manger. Et la jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur l’avait annoncé par l’intermédiaire d’Élie.
Psaume
(Ps 145 (146), 6c.7, 8-9a, 9bc-10)
R/ Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur ! (Ps 145, 1b)
Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.
Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.
Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !
Deuxième lecture
« Le Christ s’est offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude » (He 9, 24-28)
Lecture de la lettre aux Hébreux
Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, figure du sanctuaire véritable ; il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu. Il n’a pas à s’offrir lui-même plusieurs fois, comme le grand prêtre qui, tous les ans, entrait dans le sanctuaire en offrant un sang qui n’était pas le sien ; car alors, le Christ aurait dû plusieurs fois souffrir la Passion depuis la fondation du monde. Mais en fait, c’est une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice. Et, comme le sort des hommes est de mourir une seule fois et puis d’être jugés, ainsi le Christ s’est-il offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude ; il apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché, mais pour le salut de ceux qui l’attendent.
Évangile
« Cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres » (Mc 12, 38-44) Alléluia. Alléluia.
Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, dans son enseignement, Jésus disait aux foules : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes. Une pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie. Jésus appela ses disciples et leur déclara : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
Patrick BRAUD
Mots-clés : Elie, huit, Sarepta, veuve