L'homélie du dimanche (prochain)

  • Accueil
  • > Recherche : homélie mort jésus

29 septembre 2024

Le Royaume, l’enfant, et l’accueil

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le Royaume, l’enfant, et l’accueil

 

Homélie pour le 27° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
06/10/24

Cf. également :
À deux ne faire qu’Un
Le semblable par le semblable
L’adultère, la Loi et nous
L’homme, la femme, et Dieu au milieu
Le mariage et l’enfant : recevoir de se recevoir
L’Esprit, vérité graduelle
Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?
 

 

Vers un hiver démographique en Europe

Les statistiques sont formelles : l’Europe ne renouvelle plus ses générations. Depuis 1975, la baisse du taux de fécondité touche tous les pays du continent, même la catholique Irlande autrefois championne des naissances. Si bien que le taux de renouvellement des générations, estimée à 2,1 enfant/femme, n’est plus atteint en France depuis longtemps.

Avec 1,67 enfant/femme, même en rajoutant le solde migratoire, la population française va inexorablement décliner d’ici la fin du siècle : 650 000 naissances environ pour 800 000 décès, soit un déficit annuel de 150 000 habitants.

Évolution du taux de fécondité en France

Évolution du taux de fécondité en France

Solde annuel naissances/décès en France

Solde annuel naissances/décès en France

 

 

À ce rythme-là, les prévisions annoncent sans coup férir ce que certains appellent un hiver démographique européen : le continent passera de 750 millions à 590 millions d’ici 2100. Les autres continents seront relativement stables, à la différence notable de l’Afrique qui gagnera 2,3 milliards d’habitants d’ici la fin du siècle ! 

Évolution de la population mondiale par continent

Évolution de la population mondiale par continent

Une étude de la revue The Lancet du 20/03/2024 donne une claire direction pour la population mondiale… Que l’on applique des politiques natalistes ou non. L’étude, clairement intitulée « La baisse spectaculaire des taux de natalité va transformer la planète d’ici à 2100 » entreprend la tâche de définir, pays par pays, région du monde par région du monde, comment les taux de fécondité vont évoluer. Et le tableau dressé s’énonce simplement : en 2100, il n’est pas un continent dont le taux de fertilité suffira à assurer le renouvellement des générations. Autrement dit, la décroissance démographique s’annonce, pour tous.

Évolution du taux de fertilité par continent

Évolution du taux de fertilité par continent

Devant ce constat inquiétant, le Président Emmanuel Macron a parlé de « réarmement démographique » dans sa conférence de presse télévisée du début d’année (16/01/2024). Évidemment, l’expression a fait bondir les féministes ! Non sans raison, car instrumentaliser la démographie comme une « arme » nous rappelle de mauvais souvenirs de « chair à canon » ou de « chair à usine ». Les États guerriers encouragent les naissances  pour grossir leurs armées, et hélas leurs cimetières.

L’enfant ne peut être une arme. Il ne peut être un objet d’exploitation comme autrefois auprès des machines dangereuses des usines du XIX° siècle, ou aujourd’hui dans les mines d’extraction du cobalt ou du lithium en Afrique et ailleurs.

 

Dans ce contexte démographique, la seconde partie de l’Évangile de ce dimanche (Mc 10,2‑16) résonne comme un appel solennel à réfléchir à l’accueil que nous réservons ou non à nos enfants, en famille, en société : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas ».

 

Pourquoi ne pas avoir d’enfant ?

Pourquoi le nombre de naissances est-il tombé aussi bas chez nous (678 000) ? Rappelons que dans le même temps, il y a environ 220 000 avortements chaque année en France : une grossesse sur 4 se termine par un IVG…

Le Royaume, l'enfant, et l'accueil dans Communauté spirituelle image-ne-pas-avoir-denfants-un-choix-qui-se-normalise-1000x1260La revues Parents a mené une enquête sur les raisons qui poussent les couples, les femmes tout particulièrement, à ne pas avoir d’enfant. Sans surprise, les raisons économiques sont déterminantes : 39 % des femmes invoquent le coût de la vie comme raison principale pour ne pas avoir d’enfant. Loin des idéologies libérales qui prétendent que l’individu fait des choix libres indépendamment de l’État, loin des philosophies féministes affirmant que chacune dispose de son corps à sa guise, force est de reconnaître que les conditions de vie matérielles priment sur les désirs individuels. Au lieu de s’en plaindre, il est plus intéressant d’y repérer un possible levier d’action : améliorer le pouvoir d’achat des familles avec enfants, les aides sociales (congés maternité, allocations, crèches, garderies  d’entreprises etc.) peuvent lever beaucoup de freins. C’est ce qu’exprimait – maladroitement ‑ le « réarmement démographique » prôné par Emmanuel Macon : l’État peut et doit agir. La France n’était-elle pas réputée au XX° siècle pour sa politique vigoureusement nataliste qui faisait d’elle (avec l’Irlande) une exception européenne en matière de fécondité ?

 

Dans une interview au magazine Elle le chef de l’État se disait interpellé par l’écart entre le taux de fécondité (1,7) et celui du désir d’enfants (2,3). « Il y a donc de nombreux couples qui souhaitent devenir parents et ne réalisent pas ce souhait. Il ne faut pas culpabiliser celles qui ne veulent pas avoir d’enfant, mais il ne faut pas que la mauvaise organisation de notre société empêche des femmes, des familles d’en avoir si elles le souhaitent », a-t-il résumé. Et il disait alors vouloir réformer les congés maternité, mais aussi lutter contre l’infertilité grandissante (check-up, PMA, conservation d’ovocytes etc.).

Agir sur les difficultés financières qui découragent d’avoir un enfant est donc un devoir d’État. Accueillir nos enfants ne relève pas que du libre arbitre de chacune.

 

La deuxième raison pour rester sans enfant qui apparaît dans l’enquête de la revue Parents est la peur de l’avenir, pour 37 % de femmes interrogées. Lorsque cette peur de l’avenir paralyse au point de ne plus vouloir inviter d’autres êtres humains à partager l’aventure de la vie, une désespérance généralisée s’installe qui conduit en pratique à un quasi suicide collectif. Par peur de vivre mal, on choisit – pour d’autres – de ne pas vivre ! La vieille Europe est ici son propre bourreau, alors que l’Afrique on l’a vu passera de 1,5 à 3,8 milliards d’habitants. Contraste étonnant : la désespérance européenne est le fait d’une population riche, éduquée, avec une espérance de vie record ; à la différence de celle du continent africain. Les raisons de cette peur de l’avenir européenne sont multiples : crainte de la précarité financière, du déclassement social, coût de l’éducation trop élevé etc.

 

À côté de ces raisons financières, nombre de femmes met également en avant des causes culturelles, philosophiques, personnelles. 28% expliquent préférer côtoyer les enfants en tant que tante plutôt que parent, 27% évoquent la surpopulation, 26% estiment qu’avoir des enfants peut rentrer en conflit avec leurs désirs ou objectifs de vie, 24% assument prioriser leur carrière professionnelle, 23% évoquent les changements climatiques (éco-anxiété), 21% un manque d’intérêt et 20% justifient leur choix par le fait de ne pas apprécier les enfants. Certaines répondantes évoquent aussi un aspect “égoïste”, une “peur d’être une mauvaise mère”, une peur des “changements dans le corps” ou de l’accouchement.

 

Faire un enfant ou l’accueillir ?

Le point commun entre toutes ces causes de la baisse de la fécondité est la volonté de maîtriser le destin de l’enfant à naître. Combien de fois n’avons-nous pas entendu cet argument apparemment généreux : pourquoi faire un enfant s’il va être malheureux ensuite ? (en raison de toutes les causes évoquées ci-dessus). Argument redoutable, qui frise l’eugénisme sans le savoir : pourquoi laisser se développer un enfant handicapé alors que son existence va être un calvaire ? Mieux vaudrait la non-vie plutôt que la douleur prévisible…

Gabrielzinho, triple médaillé paralympique

Gabrielzinho, triple médaillé paralympique

Mais qui peut prétendre maîtriser absolument le destin d’un petit être humain ? Qui peut prédire ce qu’il va devenir ? Beethoven était fils d’un alcoolique, brute notoire, et d’une mère tuberculeuse. Steve Jobs a été abandonné à sa naissance par un père syrien et une mère célibataire. Plus près de nous, les Jeux paralympiques de Paris 2024 nous ont montré des athlètes étonnants, comme ce nageur brésilien Gabrielzinho né sans bras, mesurant 1,22m, avec deux petites jambes difformes, devenu pourtant triple médaillé or paralympique à Paris…

Depuis Descartes, la culture européenne a pour projet de nous faire devenir « maître et possesseur de la nature ». Cela déteint sur l’enfant, qui devient un « projet parental » et non un être à accueillir, une réussite à programmer et non la confiance en une potentialité propre. Une certaine mentalité contraceptive nous a déjà habitué à « faire » un enfant quand nous le voulons, comme on commande sur Amazon . Si ce n’est pas le bon moment, mieux vaut l’éliminer… La peur de l’avenir nous pousse à fabriquer l’enfant à venir : il doit être à l’abri de tout risque, sa voie doit être tracée par le désir parental, la société doit répondre à certains critères pour qu’il s’y insère etc.

 

Or dans la foi chrétienne, l’enfant n’est pas à faire, mais à accueillir. Le rituel du sacrement de mariage le dit avec discrétion :

« Êtes-vous prêts à accueillir les enfants que Dieu vous donnera et à les éduquer selon l’Évangile du Christ et dans la foi de l’Église ? » (dialogue initial avec les futurs mariés).

 

Accueillir un enfant, c’est le laisser venir à la vie même lorsque les parents ne l’ont pas programmé, même s’il est handicapé, même s’il naît en milieu pauvre ou difficile. Faire un enfant, c’est le soumettre à un rêve parental, aux critères de réussite et de survie imposés  par la mère et/ou le père.

Dans notre Évangile, Jésus demande d’accueillir le Royaume de Dieu comme on accueille un enfant. Il est alors logique une culture qui accueille peu d’enfants s’éloigne d’elle-même de cet Évangile. Si nous ne savons pas accueillir, mais seulement faire, fabriquer, programmer, ne nous étonnons pas d’être très éloignés du Royaume de Dieu !

 

Comme un enfant sait accueillir

La phrase de Jésus peut également se comprendre ainsi : accueillez le Royaume comme un enfant sait accueillir ce qui lui est donné, avec joie et gratitude, sans chercher à mériter le cadeau qui lui est fait, heureux d’être aimé pour lui-même et non pour ce qu’il a fait. Ce que Jésus loue dans cet enfant placé au milieu du cercle des disciples n’est pas sa soi-disant innocence ou sa soi-disant pureté. Jésus sait bien que « le cœur de l’homme est compliqué et malade » (Jr 17,9-10), dès sa naissance. Il n’idéalise pas la condition enfantine. Il sait  bien avant Freud que l’enfant a une « prédisposition perverse polymorphe », parce qu’il est  en voie de construction de lui-même. Le Christ dit que le Royaume de Dieu est ouvert aux pécheurs, que lui-même est venu non pas pour les bien-portants, mais pour les malades. Il n’y a pas besoin d’être pur pour entrer dans les Royaume, juste d’accepter la grâce.

 

COPY_istock-1209620037-1713972362 accueil dans Communauté spirituelleAccueillir un enfant, c’est accueillir une promesse. Un enfant croît et se développe. C’est ainsi que le règne de Dieu n’est jamais sur terre une réalité achevée, mais une promesse, une dynamique et une croissance inachevée. Et les enfants sont imprévisibles. Dans le récit d’Évangile, ils arrivent quand ils arrivent, et de toute évidence ce n’est pas au bon moment selon les disciples qui les rabrouent. Mais Jésus insiste qu’il faut les accueillir puisqu’ils sont là. C’est ainsi qu’il nous faut accueillir la présence de Dieu quand elle se présente, que ce soit au bon ou au mauvais moment. Il faut jouer le jeu. Accueillir le règne de Dieu comme on accueille un enfant, c’est veiller et prier pour l’accueillir quand il vient, toujours à l’improviste, à temps ou à contretemps.

L’enfant n’est pas aimé pour ce qu’il parvient à faire, mais parce qu’il est. Notre amour pour nos enfants démontre l’absurdité de la théologie des œuvres. L’accueil que Dieu nous réserve n’est pas conditionné par ce que nous avons fait ou ce que nous faisons.

 

Voilà pourquoi il nous faut « changer pour devenir comme des petits enfants », comme l’écrira Mathieu (Mt 18,3-5). Changer pour devenir, et non pas régresser pour reproduire un état initial. Enfantin n’est pas infantile. L’enfance spirituelle est devant nous, pas derrière. Elle est cette capacité à accueillir sans chercher pourquoi, sans vouloir être à la hauteur, simplement pour la joie d’être aimé inconditionnellement.

Marie est l’archétype de cet enfance-là : elle se laisse appeler alors qu’elle ne demandait rien, elle se laisse choisir alors que rien ne la distingue des autres, elle devient mère sans effort, sinon dire oui.

Cette petite voie de l’enfance spirituelle chère à Thérèse de Lisieux a de quoi révolutionner nos approches de la fécondité ! Devenir fécond n’est pas d’abord une construction, un travail, un mérite, un projet. C’est une réussite qui nous est donnée gratuitement, « par-dessus le marché » (Mt 6,33), lorsque nous savons accueillir le don qui nous a fait.

 

Le self-made-man s’enrichit, mais s’éloigne du Royaume.

Une morale vertueuse faite d’efforts, de sacrifices, d’ascèse rapproche d’un idéal mais éloigne du Royaume.

Une boulimie d’actions en tous genres (même humanitaires, associatives ou ecclésiales !) trahit l’angoisse de qui veut faire son salut au lieu de le recevoir.

Apprendre à accueillir comme un enfant remet en cause bien des courses au succès, à la réputation, au palmarès… Rien ne sert de remplir ses greniers à ras-bords (Lc 12,16-28)  pour être content de sa réussite.

Rappelez-vous : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort » (Ps 126,2) …

 

Cette semaine, faites cette expérience de pensée : placez visuellement dans votre tête un enfant au milieu du cercle de vos collègues (pendant une réunion, une discussion autour d’un café etc.), de votre famille, de vos amis. Laissez alors cet enfant vous questionner et interroger vos pratiques : que peut accueillir cet enfant de son entourage ? Qu’est-ce que cela va produire en lui ?

 

 

Lectures de la messe


Première lecture
« Tous deux ne feront plus qu’un » (Gn 2, 18-24)


Lecture du livre de la Genèse

Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » Avec de la terre, le Seigneur Dieu modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l’homme pour voir quels noms il leur donnerait. C’étaient des êtres vivants, et l’homme donna un nom à chacun. L’homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un.


Psaume
(Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-6)
R/ Que le Seigneur nous bénisse tous les jours de notre vie !
 (cf. Ps 127, 5ac)


Heureux qui craint le Seigneur
et marche selon ses voies !
Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !


Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plants d’olivier.


Voilà comment sera béni l’homme qui craint le Seigneur.
De Sion, que le Seigneur te bénisse !
Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie,
et tu verras les fils de tes fils. Paix sur Israël.


Deuxième lecture
« Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine » (He 2, 9-11)


Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, Jésus, qui a été abaissé un peu au-dessous des anges, nous le voyons couronné de gloire et d’honneur à cause de sa Passion et de sa mort. Si donc il a fait l’expérience de la mort, c’est, par grâce de Dieu, au profit de tous. Celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ; c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection, par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut. Car celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères.


Évangile
« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mc 10, 2-16) Alléluia. Alléluia.
Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous ; en nous, son amour atteint la perfection. Alléluia. (1 Jn 4, 12)


Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, des pharisiens abordèrent Jésus et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Jésus leur répondit : « Que vous a prescrit Moïse ? » Ils lui dirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. » Jésus répliqua : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur déclara : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. »
Des gens présentaient à Jésus des enfants pour qu’il pose la main sur eux ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.
Patrick BRAUD

 

 

 

Mots-clés : , , , ,

15 septembre 2024

Apprendre à battre la chamade

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Apprendre à battre la chamade


Homélie pour le 25° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
22/09/24

Cf. également :

Agir sans comprendre, interroger sans contraindre
Dieu s’est fait infâme
La jalousie entre nature et culture
Jesus as a servant leader
« J’ai renoncé au comparatif »
C’est l’outrage et non pas la douleur
Vendredi Saint : La vilaine mort du Christ
Un roi pour les pires
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite

 

Il faut sauver la poule aux yeux d’or !

Apprendre à battre la chamade dans Communauté spirituelle« Toujours plus ! » : le titre d’un best-seller (1984) de François de Closets convient bien à la deuxième lecture de ce dimanche (Jc 3,16–4,3) : « Vous êtes pleins de convoitises et vous n’obtenez rien, alors vous tuez ; vous êtes jaloux et vous n’arrivez pas à vos fins, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre ».

La convoitise ici dénoncée par Jacques semble par nature insatiable : le riche veut être toujours plus riche, le puissant veut toujours plus de puissance, le leader toujours plus de gloire etc. Poutine veut avaler l’Ukraine, puis ce sera Kaliningrad, les Balkans… La Chine a  digéré Hong Kong et veut se repaître de Taiwan. Les multinationales rachètent leurs concurrents pour maintenir leur quasi-monopole. Avec un peu de lucidité, chacun peut reconnaître qu’il n’échappe pas à cette course au « toujours plus » : plus d’argent, de reconnaissance, de consommation ou d’épargne, d’amour ou d’étourdissement etc. « Plus on obtient, plus on désire », écrivait Jean-Jacques Rousseau au XVIII° siècle.

Quitte d’ailleurs à se brûler les ailes en plein vol ! La Fontaine avait bien croqué le côté suicidaire de la convoitise effrénée, en reprenant (en 1668) la vieille fable d’Ésope sur la poule aux œufs d’or :

la poule aux oeufs d'orL’avarice perd tout en voulant tout gagner.

Je ne veux, pour le témoigner,

Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable,

Pondait tous les jours un œuf d’or.

Il crut que dans son corps elle avait un trésor.

Il la tua, l’ouvrit, et la trouva semblable

À celles dont les œufs ne lui rapportaient rien,

S’étant lui-même ôté le plus beau de son bien.

Belle leçon pour les gens chiches :

Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus

Qui du soir au matin sont pauvres devenus

Pour vouloir trop tôt être riches ? 

 

Tuer la poule aux œufs d’or est pourtant une conduite absurde suivie aveuglément de par le monde. À trop produire, et mal, les industries vont tuer l’équilibre climatique nécessaire à notre survie ; à trop convoiter le territoire de l’autre, l’Europe s’est déjà autodétruite dans trois guerres dévastatrices aux millions de morts ; à trop vouloir le pouvoir, les partis politiques se sabordent eux-mêmes et préparent le chaos. Etc.

Jacques a raison : les guerres naissent de la convoitise, les conflits se nourrissent de la jalousie, l’injustice émerge du désordre et des rivalités.

 

Pourtant, il nous est impossible de vivre sans désirer ! Sommes-nous alors condamnés à périr de ce qui nous fait vivre ? Comment sauver la convoitise du piège qu’elle se tend à elle-même ?

 

La convoitise biblique

Le terme grec utilisé par Jacques est πιθυμω (epithumeo). Il est employé 16 fois dans la Bible grecque (LXX + NT). En hébreu, l’équivalent est le mot חָמַד (chamad). On le trouve 21 fois dans l’Ancien Testament hébreu. Quand on examine ces usages en grec ou en hébreu, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas toujours connotés négativement.

 

a) La convoitise heureuse, ou le désir du bien

tableau-le-jardin-des-delices-detail-du-panneau-de-gauche- chamade dans Communauté spirituelleIl y a une sainte convoitise biblique. Dès la Genèse, la création est désirable, un vrai jardin des délices : « Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable (chamad) et aux fruits savoureux » (Gn 2,9).
Ensuite, la Loi et ses 613 commandements sont pour les juifs un trésor à convoiter plus que toutes les richesses matérielles, « plus désirables (chamad) que l’or, qu’une masse d’or fin, plus savoureuses que le miel qui coule des rayons » (Ps 18,11). Symétriquement, YHWH est pris de désir pour Jérusalem et convoite d’y établir avec le Temple le signe de sa présence : « Pourquoi, montagnes aux cimes nombreuses, avez-vous de l’envie contre la montagne que Dieu a voulue (chamad) pour résidence ? » (Ps 67,16-17). C’est à cette passion amoureuse de Dieu pour son peuple que fait écho le chant d’amour de la bien-aimée du Cantiques des cantiques : « Comme un pommier entre les arbres de la forêt, ainsi mon bien-aimé entre les jeunes hommes. J’ai désiré (chamad) son ombre et je m’y suis assise : son fruit est doux à mon palais » (Ct 2,3).

La convoitise amoureuse – à distinguer de la concupiscence charnelle – peut donc nous révéler le désir de Dieu pour son peuple (toujours féminin en hébreu) : « ma fille, le roi sera séduit (chamad) par ta beauté. Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui » (Ps 44,12).

 

Les traductions remplacent d’ailleurs convoitise par désir lorsque Dieu en est l’auteur, ou lorsqu’elle vise un but noble et beau. Ainsi le Christ lui-même désire ardemment manger la Pâque avec ses amis avant de souffrir sa Passion : « j’ai désiré d’un grand désir (epithumeo) manger cette Pâque avec vous avant de souffrir » (Lc 22,15). La convoitise est ici cette tension de tout l’être où nous nous engageons pour communier à l’autre, dans l’amour et le service. Avec humour, on peut relever que cette volonté de servir peut aller jusqu’à convoiter… une élection épiscopale : « si quelqu’un aspire à la charge d’évêque, c’est une belle tâche qu’il désire (epithumeo) » (1Tm 3,1) ! Il ne s’agit plus alors de faire carrière dans l’Église, mais d’aller au bout du don de soi. Confier de hautes responsabilités à quelqu’un qui n’aurait pas cette soif de servir serait extrêmement dangereux (en politique ou en entreprise comme en Église !).

 

Cette convoitise vaut également pour souhaiter et favoriser la réussite de l’autre indépendamment de la mienne : « Notre désir (epithumeo) est que chacun d’entre vous manifeste le même empressement jusqu’à la fin, pour que votre espérance se réalise pleinement » (He 6,11). Convoiter le succès d’autrui, c’est désirer qu’il aille jusqu’au bout de son désir le plus vrai. La convoitise heureuse est orientée vers la fin, vers l’accomplissement de toutes choses, ce qui lui évitera de s’enfermer dans des réalités avant-dernières : « Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré (epithumeo) voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. » (Mt 13,17). Même les anges partagent cette envie irrésistible de voir le dévoilement ultime : « même des anges désirent (epithumeo) se pencher pour scruter ce message » (1P 1,12).

 

Saint+Augustin+-+Dieu+fait+attendre+pour+%25C3%25A9tendre+notre+d%25C3%25A9sir concupiscenceVoilà donc un premier inventaire étonnant : lorsqu’elle vise le bien, lorsqu’elle émane de Dieu ou de l’homme droit, la convoitise devient heureuse, et elle se mue en « un saint désir », comme nous y appelait Saint-Augustin :

Toute la vie du vrai chrétien est un saint désir. Sans doute, ce que tu désires, tu ne le vois pas encore : mais le désir te rend capable, quand viendra ce que tu dois voir, d’être comblé.

Il prenait l’image d’un sac à agrandir pour y accueillir le plus possible des dons de Dieu :

Supposons que tu veuilles remplir quelque objet en forme de poche et que tu saches la surabondance de ce que tu as à recevoir ; tu étends cette poche, sac, outre, ou tout autre objet de ce genre ; tu sais combien grand est ce que tu as à y mettre, et tu vois que la poche est étroite : en l’étendant, tu en augmentes la capacité. De même, Dieu, en faisant attendre, étend le désir ; en faisant désirer, il étend l’âme ; en étendant l’âme, il la rend capable de recevoir.

Désirons donc, mes frères, parce que nous devons être comblés

Augustin : Sermon sur la 1ère Lettre de Jean, 4, 6

Apprenons à élargir l’espace de notre « saint désir » le plus vrai…

 

b) La convoitise mortifère, ou le désordre des désirs

Les autres usages bibliques du mot convoitise (epithumeo, chamad) sont plutôt négatifs, comme en français. Convoiter le fruit de l’arbre interdit (de la connaissance du bien et du mal) va pousser Ève et Adam à se couper de la communion d’avec YHWH. Mettre la main sur le fruit désiré, se l’approprier au lieu de le recevoir de la main du Tout-Autre, c’est remplacer le don par la prédation violente. L’humanité prédatrice est celle qui convoite au lieu de recevoir. C’est même devenu proverbial : « Le méchant convoite (chamad) ce que prennent les méchants » (Pr 12,12). Le mimétisme répand la prédation comme une tâche d’huile dans la société humaine.

 

-careme2012-lapinbleu-19dimanche3.-1Artiste convoitiseD’où l’interdiction fondatrice qui est répétée maintes et maintes fois dans l’Ancien Testament : « tu ne convoiteras pas (chamad) ni les biens de quelqu’un, ni sa femme ». (Ex 20,17 ; Dt 5,21). Car convoiter une chose, c’est déjà l’avilir. Mais convoiter quelqu’un, c’est l’avilir deux fois : en le réduisant au rang d’un objet, et un objet pris de force : « S’ils convoitent (chamad) des champs, ils s’en emparent ; des maisons, ils les prennent ; ils saisissent le maître et sa maison, l’homme et son héritage » (Mi 2,2).

 

La convoitise conduit à l’adultère, qu’elle soit conjugale ou spirituelle, et cette infamie devient un feu dévorant pour ceux qui s’y adonnent : « Si mon cœur a été séduit par une femme et si j’ai guetté à la porte du voisin, que ma femme tourne la meule pour autrui et que d’autres la possèdent ! Car c’est une infamie, une faute relevant des juges ; oui, c’est un feu qui dévore jusqu’à l’abîme, capable de détruire à la racine toute ma récolte »  (Jb 31,9–12). Jésus lui-même sera intransigeant sur la convoitise masculine qui réduit les femmes un objet de plaisir : « Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise (epithumeo) a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur »  (Mt 5,28). Et Paul appelle « chair » tout ce qui contredit l’Esprit : « Car les convoitises (epithumeo) de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez » (Ga 5,17). Parce qu’elle veut annexer l’autre ou ses biens, la convoitise de la « chair » est contre le contraire d’une relation de communion, œuvre de l’Esprit..

 

On se souvient qu’au désert, la relation d’Alliance avec YHWH fut rompue par l’avidité gloutonne des mangeurs de cailles (Nb 11,31-34). Ils en ramassèrent tant – au lieu de recevoir leur ration quotidienne – et se goinfrèrent tant qu’ils en moururent. Car ces ‘cailles tueuses’ avaient avalé des graines de ciguë, inoffensives pour elles, mais mortelles pour les gros mangeurs cédant à leur convoitise : « On appela ce lieu Qibroth-ha-Taawa (c’est-à-dire : Tombeaux-de-la-convoitise) car c’est là qu’on enterra la foule de ceux qui avaient été pris de convoitise » (Nb 11,34). Voilà ce que constate Moïse, et Jésus à sa suite : la convoitise conduit au tombeau lorsque qu’elle ne vise plus le bien, le beau ou le vrai.

 

Jacques dans notre deuxième lecture parle du « désordre engendré par les rivalités et les jalousies ». Avec la concupiscence, le désir fait désordre ; et c’est le désordre des désirs qui égare l’être humain en quête de bonheur.

Ainsi dans notre Évangile  (Mc 9,30-37), les disciples discutent entre eux pour savoir qui est le plus grand. La concupiscence du pouvoir exerce sa fascination sur tous, même dans l’Église, depuis le début ! Renoncer à ce savoir (« qui est le plus grand ? ») est la condition préalable pour devenir « le serviteur de tous ». La confession de non-savoir mène à la grandeur illucide, c’est-à-dire non consciente d’elle-même. Jésus nous ne nous invite pas à renoncer à la grandeur, mais à renoncer à savoir si nous sommes grands ou pas…

Ne pas convoiter titres, médailles, honneurs, décorations etc. mais vouloir servir jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême : voilà le chemin choisi par le Christ, sur lequel il nous accompagne aujourd’hui par la force de son Esprit.

 

3. Apprendre à battre la chamade

Mon coeur bat la chamade...Le jeu de mots est tentant, puisque la convoitise se dit חָמַד = chamad en hébreu !

Certes, l’expression « battre la chamade » est d’origine militaire. Venue du persan shimata (qui signifie « fièvre » ou « vacarme ») par l’italien chiamata (« appel », « clameur »), la chamade est un puissant roulement de tambour joué pour signaler une reddition ou une demande de trêve, de négociation, accompagné parfois du célèbre drapeau blanc car le tumulte de la guerre couvrait les tambours de la chamade…

Mais rien n’empêche de forcer le jeu de mots : vaincre la (mauvaise) convoitise, c’est battre la chamad ! C’est discerner ce pour quoi/pour qui mon cœur bat vraiment, authentiquement.

 

L’histoire vraie suivante nous invite à écouter battre le meilleur de notre cœur, même et surtout dans la vie professionnelle :

Un jeune diplômé d’une prestigieuse école de commerce vient trouver son ancien professeur de marketing qu’il aimait bien :

– Je viens vous demander conseil. Ma boîte me propose un poste prestigieux, bien payé, et prometteur. C’est à Singapour : il faut-il partir au moins 3 ans et cravacher pour mériter la suite. Dois-je accepter ?

- Quels serait pour toi les avantages et les inconvénients de dire oui ?

- Les avantages : la paye, la promesse d’évolution, le dépaysement, les responsabilités. Les inconvénients : je ne suis pas sûr de vouloir faire carrière dans cette boîte, et c’est beaucoup de sacrifices pour de l’argent.

- Qu’est-ce qui pourrait te faire choisir autre chose ?

- Si je trouvais plus intéressant ailleurs ?

- Réfléchis à ton parcours depuis ta sortie d’école : quand ton cœur s’est-il dilaté lors d’une activité professionnelle ?

Désarçonné par la question, le jeune homme demeure un long moment en silence, le front plissé, interdit, puis cherche dans sa mémoire. Son visage s’éclaire enfin : 

- « Je sais. Je n’ai jamais été si bien avec moi-même que lorsque je conduisais des chantiers de développement pendant mes deux années de coopération militaire en Afrique Noire ». Il avait même une larme discrète lorsqu’il ajouta : « Là, c’était moi. J’étais pleinement en accord avec ce que je faisais ».

Le professeur, ému, n’a pas eu besoin d’en dire plus, et encore moins de lui donner un conseil. Le jeune homme avait pris conscience que son moteur le plus intime pour agir, c’était le sens humain de son action et la qualité des relations avec les équipes. Il déclina finalement l’offre pour Singapour, et chercha une entreprise qui permettrait à nouveau à son cœur de se « dilater » en exerçant son métier.

Ce qui a provoqué ce déclic fut la question du professeur après un échange confiant et ouvert : quand ton cœur s’est-il dilaté ? Cette question fut puissante par la prise de conscience qu’elle suscita, et l’énergie qu’elle libéra en même temps pour chercher autre chose.

 

Contrairement à ce que nous impose le discours médiatique et culturel ambiant, nous sommes responsables de nos coups de cœur, de nos chamades. Le désir, ça s’éduque. Nous pouvons apprendre à convoiter ce qui n’a ni éclat ni prestige aux yeux du monde : « Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire (chamad) » (Is 53,2). Le cœur de Mère Teresa battait la chamade pour les mourants misérables des trottoirs de Calcutta. La convoitise du Père Damien était de vivre avec les lépreux de Molokaï. Dans la laideur du camp d’Auschwitz, le Père Kolbe a désiré prendre la place d’un père de famille pour aller mourir dans le bunker de la faim plutôt que de sauver sa peau.

 

Ces héros ne sont pas des gens extraordinaires : il est donné à chacun de convertir les désirs qui l’animent vers le service, l’amour fraternel, le don de soi. Des millions de martyrs ordinaires en témoignent depuis 20 siècles. Des millions de saints ordinaires ont appris à désirer Dieu dans leurs responsabilités quotidiennes.

Ils ont renoncé à la concupiscence, à « savoir qui est le plus grand ».

Ils ont mis de l’ordre dans leurs désirs pour qu’ils soient orientés vers le bien.

Ils ont appris à discerner la dignité de ceux qui sont méprisés, « sans beauté ni éclat pour attirer les regards ».

Leur cœur a appris à battre la chamade, c’est-à-dire à vaincre la convoitise, pour désirer ce qui le vaut vraiment.

Soyons de ceux-là…

 

 

LECTURES DE LA MESSE


Première lecture
« Condamnons-le à une mort infâme » (Sg 2, 12.17-20)


Lecture du livre de la Sagesse

Ceux qui méditent le mal se disent en eux-mêmes : « Attirons le juste dans un piège, car il nous contrarie, il s’oppose à nos entreprises, il nous reproche de désobéir à la loi de Dieu, et nous accuse d’infidélités à notre éducation. Voyons si ses paroles sont vraies, regardons comment il en sortira. Si le juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera, et l’arrachera aux mains de ses adversaires. Soumettons-le à des outrages et à des tourments ; nous saurons ce que vaut sa douceur, nous éprouverons sa patience. Condamnons-le à une mort infâme, puisque, dit-il, quelqu’un interviendra pour lui. »


Psaume
(Ps 53 (54), 3-4, 5, 6.8)
R/ Le Seigneur est mon appui entre tous.
 (Ps 53, 6b)


Par ton nom, Dieu, sauve-moi,
par ta puissance rends-moi justice ;
Dieu, entends ma prière,
écoute les paroles de ma bouche.


Des étrangers se sont levés contre moi,
des puissants cherchent ma perte :
ils n’ont pas souci de Dieu.


Mais voici que Dieu vient à mon aide,
le Seigneur est mon appui entre tous.
De grand cœur, je t’offrirai le sacrifice,
je rendrai grâce à ton nom, car il est bon !


Deuxième lecture
« C’est dans la paix qu’est semée la justice, qui donne son fruit aux artisans de paix » (Jc 3, 16 – 4, 3)


Lecture de la lettre de saint Jacques

Bien-aimés, la jalousie et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes. Au contraire, la sagesse qui vient d’en haut est d’abord pure, puis pacifique, bienveillante, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie. C’est dans la paix qu’est semée la justice, qui donne son fruit aux artisans de la paix. D’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous ? N’est-ce pas justement de tous ces désirs qui mènent leur combat en vous-mêmes ? Vous êtes pleins de convoitises et vous n’obtenez rien, alors vous tuez ; vous êtes jaloux et vous n’arrivez pas à vos fins, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre. Vous n’obtenez rien parce que vous ne demandez pas ; vous demandez, mais vous ne recevez rien ; en effet, vos demandes sont mauvaises, puisque c’est pour tout dépenser en plaisirs.


Évangile
« Le Fils de l’homme est livré…Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le serviteur de tous » (Mc 9, 30-37)  Alléluia. Alléluia.
Par l’annonce de l’Évangile, Dieu nous appelle à partager la gloire de notre Seigneur Jésus Christ. Alléluia. (cf. 2 Th 2, 14)


Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache, car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. » Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger. Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »
Patrick BRAUD

 

Mots-clés : , , ,

8 septembre 2024

La France, pays d’outrages et de crachats ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La France, pays d’outrages et de crachats ?


 Homélie pour le 24° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
 15/09/24
 
 Cf. également :

Étanche à l’insulte
Le vertige identitaire
Yardén : le descendeur
Prendre sa croix
Croire ou agir ? La foi ou les œuvres ?
Faire ou croire ?
Jésus évalué à 360°
De l’art du renoncement
C’est l’outrage et non pas la douleur
Prendre sa croix chaque jour
Talion or not talion ?
Jésus face à la violence mimétique
Exigeante et efficace : la non-violence
Non-violence : la voie royale

 

Flash-back sur la cérémonie d’ouverture des JO 2024

Cérémonie des JO de Paris 2024. Tout a été écrit là-dessus : innovante, enthousiasmante, valorisant la Ville de Paris comme jamais, avec des moments forts inoubliables (la muraille liquide tricolore sur le pont d’Austerlitz, le cheval mécanique galopant sur la Seine, la vasque électrique s’envolant sous la montgolfière, l’hymne à l’amour de Céline Dion etc.). Et puis deux ou trois petits couacs, qui ont eu eux aussi une répercussion planétaire : Marie-Antoinette décapitée tenant sa tête sanguinolente entre ses mains façon Saint Denis pour chanter « ça ira ! » ; un trio d’amoureux qui confondait le triangle théâtral de Marivaux ou Musset avec le triolisme douteux des amours libertines ; un défilé de mode LGBTQIA+ qui semblait plus de mauvais goût et pour tout dire vulgaire que militant ; et enfin ces quelques secondes où la Cène de Léonard de Vinci fut sciemment parodiée avec drag-queens et trans en lieu et place du Christ et des apôtres… Beaucoup de chrétiens de par le monde entier se sont sentis blessés, insultés par ce qu’ils ont perçu comme une moquerie, une dérision là encore de mauvais goût.

Le Vatican a réagi après réflexion :
« Le Saint-Siège a été attristé par certaines scènes de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris et ne peut que se joindre aux voix qui se sont élevées ces derniers jours pour déplorer l’offense faite à de nombreux chrétiens et croyants d’autres religions. Dans un événement prestigieux où le monde entier se réunit autour de valeurs communes ne devraient pas se trouver des allusions ridiculisant les convictions religieuses de nombreuses personnes. La liberté d’expression, qui, évidemment, n’est pas remise en cause, trouve sa limite dans le respect des autres. (Communiqué du Saint-Siège, 03/08/2024)

Même Jean-Luc Mélenchon s’en est désolé, rappelant ainsi que la véritable laïcité implique le respect des croyants (même si bien sûr on peut débattre de leurs croyances) :

« Je n’ai pas aimé la moquerie sur la Cène chrétienne, dernier repas du Christ et de ses disciples, fondatrice du culte dominical. Je n’entre pas bien sûr dans la critique du « blasphème ». Cela ne concerne pas tout le monde. Mais je demande : à quoi bon risquer de blesser les croyants ? Même quand on est anticlérical ! Nous parlions au monde ce soir-là. Dans le milliard de chrétiens du monde, combien de braves et honnêtes personnes à qui la foi donne de l’aide pour vivre et savoir participer à la vie de tous, sans gêner personne ? » [1]

La France, pays d’outrages et de crachats ? dans Communauté spirituelle 01-712-1Philippe Val, ex-directeur du journal satirique Charlie-Hebdo, pointe le côté ‘facile’ de cette critique unilatéralement antichrétienne :
« En France, les chrétiens français n’ont pas tué qui que ce soit depuis longtemps. Ce n’est pas très dangereux de se moquer des thèmes bibliques dans ce pays. Cependant, s’en moquer implique de se moquer également des autres religions, et notamment de l’islam. Nous l’avons fait, et cela nous a valu ce que Patrick Boucheron appelle un « assassinat politique ». Pendant vingt ans, Charlie Hebdo s’est moqué du pape sans risquer sa vie, mais, lorsque le journal publie les caricatures de Mahomet, il se met en danger. Charlie Hebdo est un journal satirique, et non une cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques diffusée dans le monde entier… En effet, Charlie Hebdo n’est pas un spectacle offert au monde entier. Si le monde doit souffrir d’une religion, c’est plutôt de la religion musulmane quand elle gouverne un pays, comme en Iran. La cérémonie d’ouverture des JO n’était peut-être pas le bon moment pour se moquer des chrétiens. Sinon, il fallait se moquer de plusieurs religions. Pourquoi avoir choisi seulement les chrétiens, alors qu’ils sont persécutés partout dans le monde musulman ? Non seulement ce choix n’est pas courageux, mais il n’est pas pertinent. Le sens politique de ce passage, parce qu’il est cautionné par le Collège de France, reste choquant.
Le Figaro 03/08/2024 p. 17.

Des évêques ont même cru bon de célébrer des messes « de réparation » (Nîmes, Toulon, Bayonne) pour rétablir l’honneur eucharistique.
Ajoutons pour être complet que le journal Charlie Hebdo a récemment récidivé dans le mauvais goût avec un dessin de couverture particulièrement vulgaire et insultant sur la Vierge Marie au lendemain de la fête de l’Assomption… L’image est tellement dégradante que cela serait pire encore de la diffuser telle quelle.

 

Maintenant que le soufflé est retombé, surtout après l’abondante moisson de médailles de nos Bleus (64 olympiques + 75 paralympiques : un record !) et le réel succès d’ensemble de ces JO 2024 (organisation, ambiance, sécurité, fréquentation, performances etc.), il n’est pas inutile de revenir sur le climat antireligieux - et plus spécifiquement antichrétien – qui semble prospérer dans la société française, dans les sphères culturelles et médiatiques notamment.

La première lecture de ce dimanche nous y invite :

« Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. Il est proche, Celui qui me justifie. Quelqu’un veut-il plaider contre moi ? Comparaissons ensemble ! Quelqu’un veut-il m’attaquer en justice ? Qu’il s’avance vers moi ! Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ? Les voici tous qui s’usent comme un vêtement, la teigne les dévorera ! » (Is 50,5–9)

 

La persécution antireligieuse aujourd’hui

Être frappé, insulté, abreuvé d’insultes, de crachats, au propre comme au figuré, est hélas le triste apanage du peuple juif dès son origine. Le serviteur d’Isaïe 50 incarne à la fois le prophète persécuté par les siens et le peuple juif mis au ban des nations tout au long de son histoire. Méfions-nous : la bête de l’antisémitisme pourrait bien ressurgir chez nous ! Les actes antisémites relevés par le Ministère de l’Intérieur ont bondi de 284 % en 2023 ! Particulièrement après les représailles d’Israël au massacre du 7 octobre perpétré par les terroristes du Hamas.

Faits antisémites

Source : https://www.vie-publique.fr/en-bref/294739-racisme-antisemitisme-xenophobie-le-rapport-de-la-cncdh-pour-2023

Tous les analystes politiques relèvent que l’alliance opportuniste de certains courants islamiques avec l’ultra gauche suscite un nouvel antisémitisme, pas plus rassurant que celui de l’extrême droite, résiduel.

 

Ne croyez pas que les chrétiens soient à l’abri de cette vague antijuive : environ 1000 actes antichrétiens (242 actes antimusulmans) ont été relevés par le Ministère de l’Intérieur pour 2023, dont 84 atteintes à des personnes physiques à cause de leur foi chrétienne.

Et tout ceci n’est rien par rapport à la persécution religieuse qui s’abat dans des pays comme la Chine, l’Inde, le Nigéria, le Vietnam, la Libye, le Soudan, le Pakistan, la Corée du Nord, l’Azerbaïdjan etc. L’ONG ‘Portes Ouvertes’ estime que 365 millions de chrétiens dans le monde en 2023 ont été discriminés, exilés, tués, violés, spoliés etc. au nom de leur foi !

Persécutions 2023

Source : https://www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens 

 

En France, des agressions physiques ont certes lieu, mais c’est surtout la dérision et la marginalisation culturelle qui dominent. Il est de bon ton de rire des cathos dans le monde du spectacle. Il est mainstream dans les petits cercles d’historiens de disqualifier l’apport civilisationnel du christianisme. Il est facile pour des commentateurs politiques et médiatiques de ranger systématiquement les catholiques dans le camp des conservateurs obscurantistes opposés au « Progrès » (IVG, PMA, mariage pour tous, homosexualité etc.).

 

La dérision

jesus-moque anitsémitisme dans Communauté spirituelleLa dérision fait rire, puis suscite le mépris. Si on ne voit jamais Jésus rire dans les quatre  évangiles, c’est peut-être justement parce que les évangélistes savent d’expérience qu’on rit toujours aux dépens de quelqu’un. Jésus en a lui-même fait les frais. Il a été l’objet de la dérision : Nathanaël se moque de son origine (« de Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » Jn 1,46), ses proches disent qu’il est devenu fou à prêcher ainsi (Mc 3,21). La Passion est d’abord l’œuvre destructrice de la dérision (beaucoup plus que de la souffrance physique). Pilate ironise : ‘voici l’homme’, ‘voici votre roi’ ; les soldats miment le salut royal à celui qu’ils ont flagellé pour le tourner en ridicule ; la foule au pied de la croix se gausse : ‘il en a sauvé d’autres qui se sauve lui-même’. Même l’un de ses deux compagnons d’infortune se moque de lui : ‘sauve-toi toi-même si tu es le Messie’. On l’a humilié en l’exhibant zébré de sang le long du chemin du Golgotha. On l’a déshonoré en l’exposant nu sur le gibet. On l’a raillé en le surmontant de la pancarte INRI.

La dérision, Jésus connaît.

Comme l’indique l’étymologie, la dérision fait rire de quelqu’un. Et rire de quelqu’un peut conduire à lui mettre une cible dans le dos. Le soi-disant humour antijuif / chrétien / musulman est une violence, un irrespect qui conduit au pire (comme le soi-disant humour anti-gay, anti-trans etc.). Les caricatures des juifs par les nazis ne font plus rire personne (du moins on l’espère). Pourquoi persécuter ainsi les croyants quels qu’ils  soient aujourd’hui en France ?

 

Comment réagir à cette flambée de violence ?

Ecce homo by Antonio CiseriIsraël répond à la force par la force, au massacre innommable par des représailles épouvantables. Mais ce n’est pas ce que préconise Isaïe : lui oppose le droit à la force, la justice à l’insulte, la dignité aux crachats.

Le Christ a été au bout de cette réaction non-violente : il ne s’est pas dérobé aux soldats venus l’arrêter ; il a enduré le fouet qu’il aurait pu briser ; on l’a tourné en dérision, nu sur le bois, sans qu’il appelle à la vengeance ; on l’a éliminé comme un moins-que-rien sans qu’il rêve de revanche. On l’a maudit sans qu’il maudisse. Au contraire, il a prié pour les soldats qui le clouaient ; il a demandé la justice : « si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18,23)

Il a fait face à Pilate, jusqu’à le déstabiliser par ses paroles, son regard, son silence.

 

Voilà de quoi nous rendre nous aussi étanches à l’insulte. Pas par mépris, pas pour condamner, mais pour ne pas laisser le mal gagner deux fois. Il gagne une première fois en avilissant l’insulteur. Il gagne une seconde fois s’il transforme l’agressé en clone de son agresseur. Car alors il fait tache huile et pollue toutes les relations auparavant harmonieuses, entre juifs et païens, entre chrétiens et musulmans, entre athées et croyants de tous bords etc.

 

Quand Jésus annonce sa Passion aux disciples dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 8,27–35), il ne leur demande pas de riposter par des attentats ou des prises d’otages. Ça, c’est la façon de faire de Judas. Il ne leur demande pas non plus de l’aider à éviter la Passion. Ça c’est la manière de penser de Pierre, que Jésus traite à l’occasion de Satan, parce qu’il fait obstacle à la révélation de la puissance de la non-violence de l’amour : « tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celle des hommes ».

Non : il leur demande de « perdre » (la vie, l’honneur, la richesse, la gloire, la puissance…) là  où tout le monde veut gagner

Ce jeu du qui-perd-gagne subvertit de l’intérieur le cycle infernal des représailles répondant aux agressions, des vengeances suite aux blessures, des violences pour panser d’autres violences. N’oublions pas que pendant les trois premiers siècles, la foi chrétienne s’est répandue comme une traînée de poudre autour du bassin méditerranéen grâce au témoignage des martyrs : humiliés, ridiculisés, caricaturés, diffamés, suppliciés sous les rires et les applaudissements des foules des stades romains, ils ont pourtant transmis la flamme au monde entier. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les jeux du cirque cherchent à tourner les chrétiens en dérision, pour les éliminer.

 

Alors, comment réagir aux insultes et aux crachats ?

– Isaïe nous indique une première voie : dénoncer publiquement avec courage les actes  antichrétiens (antireligieux en général), et en appeler à la justice pour que le droit de chacun soit respecté. Ne pas se taire, dénoncer le mal, aller jusqu’au tribunal : quand il est possible, cet appel au Droit est salutaire. Cela vaut mieux qu’un silence de soumission, qu’un exil d’impuissance, qu’une lâcheté de compromission. En France où l’État de droit garantit la dignité de chacun, le recours aux tribunaux et au débat médiatique est le premier combat non-violent à mener  pour faire reculer l’antisémitisme et les actes antireligieux.

 

Fra Angelico, Christ aux outrages– Jésus dans sa Passion nous indique une voie plus haute encore : aimer ses ennemis, pardonner à ceux qui nous insultent et nous crachent dessus. Paul s’étonnait encore : « Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5,7-9).

Le Christ a accepté de donner sa vie pour des pécheurs, c’est-à-dire des violents, des injustes, des insultants, des agresseurs, des persécuteurs.

Ce n’est certainement pas se taire sur l’injustice : « pourquoi m’as-tu frappé… ? »

C’est bien plutôt tendre l’autre joue au persécuteur, c’est-à-dire lui montrer une joue non meurtrie par son insulte, non salie par son crachat. Lui montrer ma vraie dignité d’enfant  de Dieu, et en appeler à notre humanité commune.

Pourquoi les trans et les drag-queens, qui ont si souvent le sentiment de ne pas être respectés et d’être traités avec dérision, pratiqueraient-ils en retour ce même irrespect et cette même dérision envers les chrétiens ? Ne sommes-nous pas finalement en France deux minorités discriminées chacune à sa manière ? Ne vaudrait-il pas mieux s’unir pour demander le respect pour tous au lieu de nous opposer en tournant l’autre en dérision ?

D’autant qu’il y a nombre de personnes LGBTQIA+ plus qui sont sincèrement et authentiquement chrétiennes. Elles ne peuvent que souffrir d’un antagonisme artificiellement suscité pour opposer. Pas besoin de parodier la Cène pour exister [2]. Et à l’inverse, pas besoin de mépriser ce que l’on ne connaît pas sous prétexte d’être croyant.

 

– Jésus avait indiqué une autre conséquence inattendue de la persécution religieuse : la joie ! « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse » (Mt 5,11).

Pas la joie simple quand tout va bien, mais la « joie parfaite » de François d’Assise faisant l’expérience de communier au Christ lorsqu’il est rejeté de son Ordre par ses propres frères :

sagesse-dun-pauvre antireligieux« Et si nous, contraints pourtant par la faim, et par le froid, et par la nuit, nous frappons encore et appelons et le supplions pour l’amour de Dieu, avec de grands gémissements, de nous ouvrir et de nous faire cependant entrer, et que le portier dise, plus irrité encore : « ceux-ci sont des vauriens importuns, et je vais les payer comme ils le méritent », et s’il sort avec un bâton noueux, et qu’il nous saisisse par le capuchon, et nous jette par terre, et nous roule dans la neige, et nous frappe de tous les nœuds de ce bâton, si tout cela nous le supportons patiemment et avec allégresse, en pensant aux souffrances du Christ béni, que nous devons supporter pour son amour, ô frère Léon, écris qu’en cela est la joie parfaite ».

 

Évidemment, cette joie paradoxale est incompréhensible en dehors du Christ. Mais unis à lui, elle permet de traverser la persécution en s’appuyant sur lui, et d’inverser sa signification en y voyant une promesse au lieu d’un châtiment.

Facile à dire ? Oui, c’est vrai tant qu’on n’y est pas confronté en personne, et nul ne peut lire sans trembler : « heureux êtes-vous si l’on persécute… ». Car qui sait comment nous allons réagir vraiment en cas d’insultes, de crachats, d’exil, d’assassinats, de dérision meurtrière ? Et pourtant c’est en le lisant, en le disant, que la force nous est donnée d’en-haut : « Quand on vous livrera, ne vous inquiétez pas de savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous » (Mt 10,19-20).

 

Si le recours à la justice ne suffit pas, s’il est impossible, appelons-en à l’Esprit du Christ, notre avocat, notre défenseur. Il saura nous inspirer les paroles, les gestes, les actes et les écrits qui conviennent pour désarmer la violence de nos persécuteurs, pour les aimer malgré tout jusqu’au bout quoiqu’il arrive.

François d’Assise a su apprivoiser le loup qui terrorisait les gens du village de Gubbio. Croyons qu’il nous est également donné d’apprivoiser les loups violents de notre société. En commençant par les aimer, en les considérant du point de vue de Dieu et non du point de vue des hommes.

 _____________________________________________________________

[2]. « Il nous faut admettre que passer de la Cène [du Christ] au festin [de Dyonisos] revient à quitter le temps de l’attente eschatologique – les fins dernières de la communauté chrétienne – pour celui révolutionnaire de la fête qui réenchante le présent des sociabilités normatives. Dionysos est le dieu des mondes autres, la grande figure de l’ailleurs et du renversement politique. Cette joyeuse bacchanale remontée sur le pont Debilly n’est pas la fête inoffensive d’une communauté queer en quête de visibilité planétaire, mais la célébration d’une Queer Nation née en 1990 dans les rangs d’Act Up et rejouée dans les habits de la haute couture » (Libération 01/08/2024 p. 20).

 

Lectures de la messe

Première lecture
« J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient » (Is 50, 5-9a)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. Il est proche, Celui qui me justifie. Quelqu’un veut-il plaider contre moi ? Comparaissons ensemble ! Quelqu’un veut-il m’attaquer en justice ? Qu’il s’avance vers moi ! Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ?

Psaume
(Ps 114 (116 A), 1-2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants. ou : Alléluia ! (Ps 114, 9)

J’aime le Seigneur :
il entend le cri de ma prière ;
il incline vers moi son oreille :
toute ma vie, je l’invoquerai.

J’étais pris dans les filets de la mort,
retenu dans les liens de l’abîme,
j’éprouvais la tristesse et l’angoisse ;
j’ai invoqué le nom du Seigneur :
« Seigneur, je t’en prie, délivre-moi ! »

Le Seigneur est justice et pitié,
notre Dieu est tendresse.
Le Seigneur défend les petits :
j’étais faible, il m’a sauvé.

Il a sauvé mon âme de la mort,
gardé mes yeux des larmes
et mes pieds du faux pas.
Je marcherai en présence du Seigneur
sur la terre des vivants.

Deuxième lecture
« La foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte » (Jc 2, 14-18)

Lecture de la lettre de saint Jacques
Mes frères, si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il ? Sa foi peut-elle le sauver ? Supposons qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : « Allez en paix ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim ! » sans leur donner le nécessaire pour vivre, à quoi cela sert-il ? Ainsi donc, la foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte. En revanche, on va dire : « Toi, tu as la foi ; moi, j’ai les œuvres. Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi. »

Évangile
« Tu es le Christ… Il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup » (Mc 8, 27-35) Alléluia. Alléluia.
Que la croix du Seigneur soit ma seule fierté ! Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Alléluia. (Ga 6,14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? » Ils lui répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. » Et lui les interrogeait : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. » Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne. Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. Jésus disait cette parole ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches. Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »
Patrick BRAUD

 

 

Mots-clés : , , , , ,

1 septembre 2024

Il n’y a pas pire sourd …

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Il n’y a pas pire sourd…

Homélie pour le 23° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
08/09/24

Cf. également :
Bien faire le Bien
Le speed dating en mode Jésus
Le coup de gueule de saint Jacques
La revanche de Dieu et la nôtre
Effata : la Forteresse vide
L’Église est comme un hôpital de campagne !
Quand parler ? Quand se taire ?

Lisez l’Évangile de ce dimanche (Mc 7,31-37) comme si c’était la première fois.
Normalement, il y a au moins 4 bizarreries, 4 anomalies qui devraient vous sauter aux yeux et vous intriguer : Jésus parle un sourd / en araméen / il guérit un muet qui n’en est pas un / pour ne rien dire ! ! !
Examinons chacune de ces 4 absurdités apparentes.

1. Parler à un sourd
Pisser dans un violon
À moins qu’il sache lire sur les lèvres, il ne vous viendra jamais à l’idée d’adresser la parole à un sourd, sachant que précisément il ne peut pas vous entendre ni vous comprendre ! Un observateur impoli et grossier lâcherait, ironiquement : « parler à un sourd c’est comme pisser dans un violon »…
Au mieux on communique par gestes, la langue des signes étant le top pour cela. Mais ni Jésus ni le sourd de la Décapole ne connaissent la langue des signes à leur époque, et aucun ne sait lire sur les lèvres.
Alors, pourquoi parler à un sourd ?

Plusieurs indices nous invitent à considérer autrement la surdité de cet homme.
D’abord, il ne vient pas de lui-même vers Jésus : « des gens lui amènent ». Comme s’il fallait le forcer. Comme s’il résistait à cette rencontre, pressentant que cela le forcerait à quitter son équilibre actuel. Comme s’il se complaisait dans son infirmité et refusait d’en sortir. La sagesse populaire ne dit-elle pas, à raison : « il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre »
D’ailleurs, même en présence de Jésus, il ne manifeste aucune demande, ce qu’il aurait pu faire par gestes, en mimant, en suppliant à genoux en montrant ses oreilles etc.
Rien. Nada. Pas une once apparente de désir de s’en sortir.
Autre indice : Jésus est obligé de lui « mettre les doigts dans les oreilles », ce qui est un geste fort de pénétration violente, sans aucun doute contre la volonté du sourd. Au rugby, on dirait que Jésus opère un passage en force pour percer son enfermement sur lui-même.
Le sourd semble donc subir sa guérison.

On peut supposer qu’en fait, il s’était enfermé lui-même dans le silence, refusant de s’ouvrir aux autres. La Boétie parlait de servitude volontaire pour les peuples qui aiment leur tyran, leur esclavage. La Bible parle des Hébreux qui préfèrent les marmites de viande égyptiennes dans les chaînes de l’esclavage plutôt que la faim dans la liberté. Il ne faut jamais sous-estimer l’addiction d’un peuple au malheur, ni la soumission d’une personne à ce qui la détruit (drogue, argent, pouvoir…). Cet enfermement du sourd de la Décapole fait penser à bien d’autres dans les évangiles : le fils de la veuve de Naïm qu’on croyait mort et que Jésus relève (Lc 7,11-17) ; la fille de Jaïre qu’on croyait morte elle aussi mais que Jésus voit seulement endormie (Mc 5,21-43) ; le démoniaque de Gerasa qui se complaisait à vivre enchaîné au milieu des tombes en s’automutilant (Mc 5,1-20) ; peut-être même Lazare enserré de bandelettes au tombeau, que Jésus va libérer (Jn 11,38-44) etc.
Les mentalités archaïques attribuaient aux démons ces enfermements que les sciences actuelles rattachent à des maladies psychiques ou neuronales, ou à des dérèglements génétiques.
Toujours est-il que Jésus n’est pas dupe du double jeu du sourd. Pour ne pas l’humilier, il le conduit à l’écart, seul. Mais là, il lui dévoile sa complicité avec son malheur et force la barrière derrière laquelle il se confinait lui-même à l’isolement.

Beaucoup de « sourds » autour de nous sont ainsi : ils ont choisi de ne pas sortir de leur enfermement, ils se sont habitués à leur isolement, ils aiment leur esclavage, ils ne veulent plus rien entendre. Sans l’Église pour les amener au Christ, sans le Christ pour mettre ses doigts dans leurs oreilles c’est-à-dire pour faire une brèche dans leur mur de silence érigé par eux-mêmes, ils ne changent jamais.

Et qui pourrait orgueilleusement prétendre ne pas chérir lui aussi une forme de surdité ?

2. Parler à un sourd en langue étrangère
Il n’y a pas pire sourd … dans Communauté spirituelle
Effata : c’est de l’araméen ! Or en Décapole, tout le monde parle grec. Non seulement Jésus parle à un sourd, ce qui n’est déjà pas la meilleure manière de se faire entendre, mais en plus il lui parle chinois ! Aucune chance d’être compris…
Marc a soigneusement conservé cet impératif araméen : « ouvre-toi », sois ouvert, sors de ton enfermement. Peut-être pour lui conserver sa saveur étrange, comme s’il fallait de l’étrangeté, de l’altérité pour forcer les portes de la forteresse vide. « Retiens l’étranger si tu veux reconnaître ton sauveur » osait écrire Saint Augustin à propos des pèlerins d’Emmaüs. ‘Ose être étrange, étranger, différent, si tu veux guérir les surdités contemporaines’, pourrions-nous paraphraser. Sans altérité, une société étouffe dans le même. Le déni de la différence (sexuelle, nationale, ethnique, religieuse, politique etc.) rend nos sociétés sourdes et solitaires. L’indifférence religieuse en Europe par exemple ressemble à ce pire sourd qui ne veut plus entendre, se fermant à la reconnaissance de toute transcendance.

Effata : l’appel à s’ouvrir fait partie de l’initiation chrétienne. Le rituel du baptême des adultes en fait une étape importante, célébrée chaque année le samedi saint, jour du tombeau, de l’enfermement apparent. Le ministre touche les oreilles et la bouche de chacun des catéchumènes en disant : « Effata : ouvre-toi, afin que tu proclames la foi que tu as entendue pour la louange et la gloire de Dieu ».
Devenir chrétien, c’est donc s’ouvrir (à la vie, aux autres, à la communion d’amour, au pardon…).

La société ouverte et ses ennemisCette conversion s’adresse également à notre ‘vivre ensemble’. Le philosophe des sciences Karl Popper relevait que certaines sociétés choisissent politiquement de se fermer sur elles-mêmes, au nom de l’idéologie, de l’ethnie, de la race, de la religion etc. Popper transpose ainsi ce qu’il avait mis en évidence dans la logique de la découverte scientifique : le principe de réfutabilité (ou falsifiabilité). Toute assertion scientifique n’est vraie que provisoirement, en attendant qu’une autre proposition vienne la réfuter, ce qui arrive inéluctablement dans le développement de la pensée scientifique. C’est donc que la vérité scientifique n’est pas immuable, ni absolue. Il n’y a de vérité que négative : je peux démontrer que la terre n’est pas plate, mais pas qu’elle est ronde (ce n’est qu’une approximation grossière) . La science est une quête, indéfinie, inachevée par essence, car ne bouclant jamais sur un résultat définitif. Nulle théorie n’est absolument vraie, fut-ce la relativité d’Einstein ou la mécanique quantique de Planck. En transposant cela à la sociologie politique, Karl Popper définit une société ouverte comme une société où le pluralisme (démocratique) fait en sorte qu’aucun pouvoir ne soit absolu, immuable, définitif [1]. Une société ouverte est caractérisée par l’alternance pacifique des gouvernances, par le côté relatif et contestable de tout pouvoir. Une société ouverte laisse de la place à autre chose qu’elle-même, alors qu’une société fermée est totalitaire, et empêche toute altérité de contester le pouvoir en place.
On pourrait dire que l’Effata de Jésus nous oblige à maintenir ce monde ouvert, au sens topologique, comme au sens de Popper : la résultante de tous nos efforts humains n’appartient pas à ce monde-ci, mais au monde autre que le Dieu tout autre viendra inaugurer dans la venue du Christ et la résurrection finale. Le progrès humain reste contestable, « réfutable », et n’ouvre pas de lui-même sur l’avenir de l’humanité.
La connaissance étant faillible, la société doit laisser différents points de vue s’exprimer. En revendiquant une unique vérité, on débouche sur l’imposition d’une unique version de la réalité et, partant, sur une société qui dénie la liberté de pensée. À l’inverse, dans une société ouverte, chaque citoyen peut se former sa propre opinion, ce qui nécessite la liberté de pensée et d’expression ainsi que les institutions culturelles et légales qui les facilitent. Une société ouverte est également pour Popper pluraliste et multiculturelle, pour disposer du plus grand nombre de points de vue.

« Les yeux levés au ciel (ouverture à la transcendance), en soupirant (ouverture au  spirituel), adressons cette appel à nos communautés humaines : Effata, ouvre-toi, devenez des sociétés ouvertes ; arrêtez de vous recroqueviller sur des intérêts, des certitudes, des égoïsmes mortifères. N’écoutez pas les ennemis des sociétés ouvertes qui bâtissent des régimes inhumains, enclos sur eux-mêmes.

3. Guérir un muet qui n’en est pas un
« Il fait entendre les sourds et parler les muets » : le cri final d’admiration est mal traduit dans sa version liturgique. Car en grec, dans la Septante (LXX), le texte d’Is 35,4–7 (notre première lecture) ne dit pas muet mais μογιλάλον (mogilalos) = qui parle difficilement. C’est pour cela que Marc reprend exactement ce même mot pour le sourd, afin de montrer que la prophétie d’Isaïe s’accomplit on lui : « Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler ».

Donc notre sourd qui n’est pas vraiment sourd n’est pas vraiment muet non plus ! Il parle  difficilement. Ce qui renforce l’hypothèse de sa soumission volontaire à son handicap : s’il avait réellement voulu être guéri, il aurait été capable de bredouiller – même difficilement ‑ sa demande à Jésus. Or il ne l’a pas fait. Donc il ne semble pas vouloir sortir de son enfermement.

Et c’est vrai qu’à force de ne plus vouloir entendre les autres, on n’arrive plus à discuter avec eux facilement. La parole naît de l’écoute, dès les premiers jours de la vie humaine.
À l’inverse, ne plus écouter affaiblit la capacité de dialoguer.

Mots pour mauxCombien de gens autour de nous « parlent difficilement » ? Ils n’ont pas les mots pour exprimer leur colère, leur sentiment, leur affection. Parfois c’est une question de culture ou d’héritage familial. Les enfants de professeurs par exemple connaissent 3 à 4 fois plus de mots que les enfants d’ouvriers. Souvent c’est une question de pratique : moins je parle (de moi, de mes centres d’intérêt, de mes passions etc.), moins je sais parler. Nous savons tous que l’apprentissage d’une langue étrangère demande beaucoup de pratique conversationnelle. Échanger, dialoguer, discuter, argumenter, est une discipline où le manque de pratique est rédhibitoire. L’absence de mots suscite des maux bien connus des sociologues : la violence dans les cités, dans les stades, la domination par la force, la loi du rapport physique etc.
Pas besoin d’être anthropologue pour constater l’appauvrissement de la capacité de dialogue de tant d’adolescents aujourd’hui : enfermés derrière leurs écrans, baignant dans une culture rap et techno où les mots sont peu nombreux, meurtriers et vulgaires, ils bafouillent quelques  onomatopées en guise de conversation, et replongent aussitôt dans leur silence numérique qu’ils chérissent plus que le contact humain…

Parler difficilement devient le mal de ce siècle. Le siècle précédent parlait trop, avec trop de pseudo arguments (communisme, pacifisme, nazisme etc.). Aujourd’hui c’est l’inverse. Les arguments tonitruants ont cédé la place aux émotions silencieuses. La dictature des sentiments, le culte du ressenti, la revendication de l’opinion individuelle, le relativisme généralisé ont effacé le débat rigoureux, scientifique, basé sur l’argumentation, l’hypothèse, la réfutation logique etc.
Même la religion chrétienne subit cet avatar. Le retour à la pensée magique (si présente  dans les Églises africaines ou américaines, évangéliques notamment) fait bredouiller aux fidèles de soi-disant paroles extatiques, et organiser à la chaîne des pseudos miracles. Même Donald Trump – peu suspect de ferveur mystique – prétend avoir été sauvé de la balle assassine du 13 juillet 2024 en Pennsylvanie par la Providence divine ! Mais il faudrait alors expliquer pourquoi la même Providence n’a pas protégé J.F. Kennedy en 1963…
Le nombre de baptisés chérissant cette pensée magique ne cesse d’augmenter, transformant la parole en délire, le texte en prétexte, le ministre en charlatan.

Sans ouverture à l’altérité, nous savons de moins en moins parler les uns avec les autres. Réapprenons l’art de la disputatio [2] qui a fait la gloire de la faculté de théologie de la Sorbonne au Moyen Âge : se disputer, c’était avancer une thèse, avec des arguments, des contre arguments, des synthèses, grâce à un débat contradictoire où les élèves avaient le droit de contredire le maître s’ils avançaient des arguments rationnels, fondés, cohérents, logiques.

Réapprenons à nous disputer ainsi !

4. Guérir un muet qui n’en est pas un, pour ne rien dire !
Le but de la guérison d’un muet, c’est normalement de le faire parler. Or là, Jésus interdit formellement à tous de dire quoi que ce soit sur ce qui vient d’arriver : « Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne » (Mc 7,36a).

Et de manière plus étonnante encore, les gens désobéissent à Jésus de plus en plus : .
« Plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient » (Mc 7,36b).
81Ox4R-KjhL._SL1500_ effata dans Communauté spirituelleL’explication de ce paradoxe réside sans doute dans ce que les exégètes appellent le « secret messianique », cher à Marc tout particulièrement. Tant que Jésus n’est pas passé par la Passion, la croix et Pâques, sa messianité est incompréhensible. Et on risque de le réduire à un vulgaire magicien, ou à un révolutionnaire mystique. Proclamer Jésus Messie à la suite d’un miracle comme celui du sourd de la Décapole est dangereux : la foule va le confondre avec un thérapeute, un gourou, ou un illuminé. Ce n’est qu’à la lumière de la Résurrection que les disciples pourront relire les actes de Jésus. Auparavant, ils n’ont pas les clés pour déchiffrer et comprendre.

Du coup, nous qui sommes après Pâques, nous pouvons parler ! Voilà pourquoi Marc fait désobéir les témoins de la scène à l’obligation de silence imposé par Jésus sur ce secret messianique : ils nous représentent, et Marc nous demande de crier sur les toits l’œuvre de Jésus, de proclamer publiquement la libération qu’il apporte aux sourds volontaires que nous sommes !

La sagesse de ce récit semble alors être celle-ci : ne rien dire tant qu’on n’a pas les clés pour comprendre ce qui nous arrive, proclamer publiquement le salut accompli en Christ lorsque nous sommes nous-mêmes passés avec lui par la Passion–Résurrection.
Discerner quand se taire, et quand parler est toujours l’œuvre de l’Esprit en nous.
À nous d’écouter son murmure intérieur pour opérer ce discernement spirituel avec nos proches.

Parler à un sourd / en langue étrangère / guérir un muet qui n’en est pas un / pour ne rien dire : que peuvent signifier pour nous ces 4 anomalies de notre récit dominical ?
Choisissez-en au moins une pour la ruminer cette semaine…

 

___________________________________________

[1]. Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis, 2 tomes, 1945.

[2]. »La disputatio est une forme régulière d’enseignement, d’apprentissage et de recherche, présidée par le maître, caractérisée par une méthode dialectique qui consiste à apporter et à examiner des arguments de raison et d’autorité qui s’opposent autour d’un problème théorique ou pratique et qui sont fournis par les participants, et où le maître doit parvenir à une solution doctrinale par un acte de détermination qui le confirme dans sa fonction magistrale ».
B. C. Bazan, G. Fransen, J. F. Wippel, D. JACQUART, Les questions disputées et les questions quodlibétiques dans les facultés de théologie, de droit et de médecine, « Typologie des sources du Moyen-Âge occidental 44-45″, Turnhout, 1985, p. 160.

 

LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« Alors s’ouvriront les oreilles des sourds et la bouche du muet criera de joie » (Is 35, 4-7a)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie ; car l’eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride. La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif, en eaux jaillissantes.

Psaume
(Ps 145 (146), 6c-7, 8-9a, 9bc-10)
R/ Je veux louer le Seigneur, tant que je vis. ou : Alléluia.
 (Ps 145, 2)

Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;

le Seigneur délie les enchaînés.
Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,

le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.
Il soutient la veuve et l’orphelin,

il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

Deuxième lecture
« Dieu n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres pour en faire des héritiers du Royaume ? » (Jc 2, 1-5)

Lecture de la lettre de saint Jacques
Mes frères, dans votre foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire, n’ayez aucune partialité envers les personnes. Imaginons que, dans votre assemblée, arrivent en même temps un homme au vêtement rutilant, portant une bague en or, et un pauvre au vêtement sale. Vous tournez vos regards vers celui qui porte le vêtement rutilant et vous lui dites : « Assieds-toi ici, en bonne place » ; et vous dites au pauvre : « Toi, reste là debout », ou bien : « Assieds-toi au bas de mon marchepied. » Cela, n’est-ce pas faire des différences entre vous, et juger selon de faux critères ? Écoutez donc, mes frères bien-aimés ! Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi, et des héritiers du Royaume promis par lui à ceux qui l’auront aimé ?

Évangile
« Il fait entendre les sourds et parler les muets » (Mc 7, 31-37)
Alléluia. Alléluia. 
Jésus proclamait l’Évangile du Royaume et guérissait toute maladie dans le peuple. Alléluia. (cf. Mt 4, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »
Patrick BRAUD

 

Mots-clés : , , ,
12345...171