La parresia, ou l’audace de la foi
La parresia, ou l’audace de la foi
Homélie du 5° Dimanche de Pâques – Année B
06/05/2012
Un mot revient 3 fois dans nos lectures de ce Dimanche : assurance.
Non pas l’assurance financière dont les compagnies sont en difficulté avec la crise économique actuelle. Non pas la belle assurance d’une top model très « people » en défilé officiel.
C’est d’une autre assurance dont nous parle Saint Jean : « mes bien-aimés, nous nous tenons avec assurance devant Dieu ». (1 Jn 3, 18 ? 24).
D’où vient cette assurance ?
Non de nous-mêmes, de nos capacités ou de nos talents.
Cette assurance vient de ce que « Dieu est plus grand que notre coeur ».
Lorsqu’un alpiniste assure son escalade sur une paroi très raide, cela veut dire qu’il fait confiance à ses pitons solidement enfoncés dans la roche, à son harnais et sa corde qui le retiendraient au cas où.
La confiance de St Jean est celle de l’alpiniste qui a planté sa foi en Dieu, pas en lui d’abord.
Du coup, l’assurance que donne cet enracinement en Dieu, par son Esprit, devient dans les Actes des Apôtres un formidable courage pour annoncer l’Évangile. Le passage d’aujourd’hui nous montre Paul : « à Damas, il avait prêché avec assurance au nom de Jésus ». A Jérusalem, « il prêche avec assurance au nom du Seigneur et débat avec les Juifs de langue grecque ». Malgré le danger latent, Paul ose librement annoncer la Résurrection de Jésus (le « kérygme »). De Paul, vu sa personnalité et son immense culture, cela ne nous étonne pas trop. Mais cette assurance pleine de courage et de liberté n’est pas réservée qu’à Paul. À tel point que cela intrigue les accusateurs des apôtres : « considérant l’assurance de Pierre et de Jean, et se rendant compte que c’étaient des gens sans instruction ni culture, les membres du Grand Conseil étaient dans l’étonnement ». (Ac 4, 13).
12 fois (et 12 est évidemment un chiffre symbolique de l’Église) ce mot « assurance » est ainsi employé dans le livre des Actes. Du premier kérygme de Pierre : « Frères, il est permis de vous le dire en toute assurance : Dieu l’a ressuscité, ce Jésus ». (Ac 2, 29) jusqu’à la belle finale du livre : « Paul recevait tous ceux qui venaient le trouver (à Rome), proclamant le Royaume de Dieu et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ avec pleine assurance et sans obstacle » (Ac 28, 30).
Ce mot « assurance » traduit le terme grec : parresia, qui vient de pan (=tout) et rema (= parole). C’est une parole qui assume le tout de ce qu’elle signifie. La parresia, c’est donc une parole courageuse, libre, entière, vraie, pleine d’assurance. Dans la société démocratique d’Athènes, seul le citoyen libre avait le droit de parler ainsi en public, avec parresia. Eh bien : dans l’Église, chaque baptisé reçoit de l’Esprit saint ce courage prophétique de parler la tête haute avec audace.
C’est de cette force intérieure qu’étaient animés les martyrs chrétiens, de Blandine devant les lions au Père Popielusko devant la terreur soviétique. C’est cette parresia qui animait Jeanne d’Arc devant ses juges, ou Bernadette Soubirous devant le Curé de Lourdes plutôt sceptique?
Cette assurance est toujours à l’?uvre chez les baptisés qui dénoncent la corruption en Afrique, les intérêts militaro-industriels en Amérique Latine, où le non-respect de la vie en Occident. Ils savent qu’il y aura un prix à payer pour une telle parole libre, mais ils l’assument, sans haine ni violence. Car c’est en un Autre qu’eux-mêmes qu’ils mettent leur confiance. La parresia est sûrement un fruit de l’Esprit Saint : cette assurance tranquille, cette audace de la parole, cette franchise, cette affirmation de l’essentiel de la foi, sereine et respectueuse des autres? C’est être fort à la manière de Jésus qui parle vrai, sans arrogance, sans mépris.
La parresia, c’est finalement être soi, parce que l’on vit d’un Autre !
Les chrétiens rendront service à l’ensemble de la société s’ils sont fidèles à ce charisme de leur baptême : avoir le courage de parler vrai, et oser l’audace d’une proclamation confiante, même à contre-courant, parce que s’appuyant sur un Autre.
Alexis De Tocqueville (De la Démocratie en Amérique, 1835) faisait remarquer que les démocraties étaient tentées par un affadissement général. Elles ne peuvent durer que si certains réagissent contre une certaine lâcheté et une démission ambiantes :
« J’ai déjà fait observer plus haut que les législateurs de l’Union avaient presque tous été remarquables par leurs lumières, plus remarquables encore par leur patriotisme.
Ils s’étaient tous élevés au milieu d’une crise sociale, pendant laquelle l’esprit de liberté avait eu continuellement à lutter contre une autorité forte et dominatrice. La lutte terminée, et tandis que, suivant l’usage, les passions excitées de la foule s’attachaient encore à combattre des dangers qui depuis longtemps n’existaient plus, eux s’étaient arrêtés; ils avaient jeté un regard plus tranquille et plus pénétrant sur leur patrie; ils avaient vu qu’une révolution définitive était accomplie, et que désormais les périls qui menaçaient le peuple ne pouvaient naître que des abus de la liberté. Ce qu’ils pensaient, ils eurent le courage de le dire, parce qu’ils sentaient au fond de leur coeur un amour sincère et ardent pour cette même liberté; ils osèrent parler de la restreindre, parce qu’ils étaient sûrs de ne pas vouloir la détruire *. »
Et Alexandre Soljenitsyne, prix Nobel de littérature (1970) avertissait l’Occident à Harvard le 8 juin 1978.
« Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l’Ouest aujourd’hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pays, et bien sûr, aux Nations Unies. Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d’où l’impression que le courage a déserté la société toute entière. (..) Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant coureur de la fin ? »
Proclamer le kérygme avec une pleine assurance est donc un service à rendre à la société toute entière !
Ce temps pascal qui nous prépare à Pentecôte nous prépare en même temps au courage de la foi.
Que chacun réfléchisse :
- dans quel domaine de mes responsabilités cette parresia me manque-t-elle ?
- comment retrouver cette force intérieure ?
Il y va du témoignage prophétique de notre Église dans la société actuelle.
* A cette époque, le célèbre Alexandre Hamilton, l’un des rédacteurs les plus influents de la Constitution, ne craignait pas de publier ce qui suit dans Le Fédéraliste, nº 71: « Il est arrivé plus d’une fois qu’un peuple, sauvé ainsi des fatales conséquences de ses propres erreurs, s’est plu à élever des monuments de sa reconnaissance aux hommes qui avaient eu le magnanime courage de s’exposer à lui déplaire pour le servir. »
1ère lecture : Paul se joint aux Apôtres témoins du Christ (Ac 9, 26-31)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
Après sa conversion, Paul vint à Jérusalem. Il cherchait à entrer dans le groupe des disciples, mais tous avaient peur de lui, car ils ne pouvaient pas croire que lui aussi était un disciple du Christ. Alors Barnabé le prit avec lui et le présenta aux Apôtres ; il leur raconta ce qui s’était passé : sur la route, Saul avait vu le Seigneur, qui lui avait parlé ; à Damas, il avait prêché avec assurance au nom de Jésus. Dès lors, Saul allait et venait dans Jérusalem avec les Apôtres, prêchant avec assurance au nom du Seigneur. Il parlait aux Juifs de langue grecque, et discutait avec eux. Mais ceux-ci cherchaient à le supprimer. Les frères l’apprirent ; alors ils l’accompagnèrent jusqu’à Césarée, et le firent partir pour Tarse.
L’Église était en paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie. Dans la crainte du Seigneur, elle se construisait et elle avançait ; elle se multipliait avec l’assistance de l’Esprit Saint.
Psaume : 21, 26-27ab, 28-29, 31-32
R/ À toi, Dieu, notre louange, au milieu de l’Église
Tu seras ma louange dans la grande assemblée ;
devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses.
Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ;
ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent.
La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur,
chaque famille de nations se prosternera devant lui :
« Oui, au Seigneur la royauté,
le pouvoir sur les nations ! »
Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ;
on annoncera le Seigneur aux générations à venir.
On proclamera sa justice au peuple qui va naître :
« Voilà son oeuvre ! »
2ème lecture : Aimer en vérité (1Jn 3, 18-24)
Lecture de la première lettre de saint Jean
Mes enfants, nous devons aimer, non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité. En agissant ainsi, nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité, et devant Dieu nous aurons le c?ur en paix ; notre c?ur aurait beau nous accuser, Dieu est plus grand que notre c?ur, et il connaît toutes choses.
Mes bien-aimés, si notre coeur ne nous accuse pas, nous nous tenons avec assurance devant Dieu. Tout ce que nous demandons à Dieu, il nous l’accorde, parce que nous sommes fidèles à ses commandements, et que nous faisons ce qui lui plaît.
Or, voici son commandement : avoir foi en son Fils Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. Et celui qui est fidèle à ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ; et nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné son Esprit.
Evangile : La vigne et les sarments (Jn 15, 1-8)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Heureux qui demeure vivant dans le Seigneur : il est comme un arbre planté près d’un ruisseau, qui donne du fruit en son temps. Alléluia. (cf. Ps 1, 3)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
À l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : « Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ; tout sarment qui donne du fruit, il le nettoie, pour qu’il en donne davantage.
Mais vous, déjà vous voici nets et purifiés grâce à la parole que je vous ai dite : Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter du fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi.
Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est comme un sarment qu’on a jeté dehors, et qui se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent.
Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et vous l’obtiendrez. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous donniez beaucoup de fruit : ainsi, vous serez pour moi des disciples. »
Patrick Braud