L'homélie du dimanche (prochain)

  • Accueil
  • > Recherche : homélie croire

5 octobre 2013

L’ « effet papillon » de la foi

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

L’ « effet papillon » de la foi

Homélie du 27 dimanche du temps ordinaire / Année C
06/10/2013

L' « effet papillon » de la foi dans Communauté spirituelleVous souvenez-vous de ce spot publicitaire ? On y voyait un énorme tas d’oranges dans un supermarché ; un gamin s’approche, curieux. Il tourne autour, prend une orange au bas de la pyramide, et aussitôt tout s’écroule ! noyant le gamin et les caddies autour sous des tonnes d’oranges.

Comme quoi une petite cause peut produire de grands effets !

Écoutez encore cette autre parabole des temps modernes, qu’on appelle « l’effet papillon » : les mathématiciens ont démontré que les équations régissant les prévisions météorologiques sont si subtiles et si sensibles que la moindre perturbation peut complètement inverser la météo ! Par exemple, un papillon qui bat des ailes sur la côte Est des États-Unis peut engendrer, de proche en proche, un cyclone en Californie sur la côte ouest ! Un petit rien de battement d’ailes de papillon, et tout peut changer?

Vous voyez pourquoi ces deux images rejoignent notre Évangile : le tas d’oranges et l’effet papillon. C’est parce que la parabole de Jésus s’appuie sur cette même sagesse, en la transposant dans l’ordre de la foi : une petite foi de rien du tout peut provoquer de grandes choses. « Si vous aviez la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à cet arbre : ?déracine-toi’ et il irait se planter dans la mer », c’est à dire que le mal retournerait au mal, et n’obstruerait plus votre chemin.

Les physiciens grecs clamaient avec enthousiasme : ‘donnez-moi un levier, et je soulève le monde’. Jésus dit avec plus de gravité encore : ‘donnez-moi un tout petit peu de foi, et je déracinerai le mal qui bloque votre progression’.

 effet+papillon dans Communauté spirituelle

Il a raison bien sûr : la foi est ce levier qui permet de déraciner de nos vies les obstacles qui nous semblent si lourds et si insurmontables. Chacun peut évoquer les attitudes, les habitudes qui ont fait souche dans son existence. Cela va de la cigarette au conflit familial, en passant par la sécheresse du coeur ou du corps. On s’habitue, et avec les années on se dit : ‘je ne peux plus changer maintenant’. Alors le mal prend racine, il creuse son emprise dans des comportements répétitifs ; il se fige dans des pensées ou des actes stériles.

Pourtant, il suffit d’un peu de confiance pour que ce qu’on croyait inchangeable change vraiment. Je me souviens, entre mille exemples, d’une femme qui était devenue alcoolique, et qui désespérait d’elle-même : ‘jamais je n’arriverai à arrêter’. Pourtant il a suffi d’une confession un Vendredi Saint – que nous n’oublierons ni elle ni moi – pour que sa dépendance vis-à-vis de l’alcool vole en éclats, comme un tas d’oranges qui s’écroule ! Certes, il a fallu du temps et des soins après, mais en un clin d’oeil, l’espace d’un battement d’ailes, sa confiance dans le pardon de Dieu l’avait guérie complètement, et avait traité le mal ‘à la racine’.

lesemeurwebLa parole de Jésus sur la puissance d’un petit rien de foi vaut pour nous, et pour tous ceux que nous rencontrons. Avouons-le, on est souvent tenté de désespérer de tel ou tel : ‘il est insupportable ! il ne changera jamais ! il est mal parti dans la vie avec tout ce qu’il se trimballe comme handicaps affectifs et sociaux !’ À tel point qu’on murmure, après une réunion ou une entrevue orageuse d’où on sort exténué : ‘je ne sais plus par quel bout le prendre ; si on pouvait lui dire d’arrêter, çà m’arrangerait bien?’ Et c’est vrai que le mal prend très vitre racine : la violence verbale ou même physique ; l’absence de repères pour la vie ensemble ; sans compter les blessures profondes que les adultes leur infligent par leurs séparations, leurs conflits, leurs absences? Pourtant, si nous croyons qu’il y a dans l’Église une puissance de guérison, nous verrons des personnes dont la foi soulève les montagnes et déracine les difficultés les plus grandes.

Je me souviens d’un petit bonhomme lors d’une messe en famille : on avait invité les enfants à rejoindre leurs parents pour prier le Notre Père en se donnant la main ; il est venu vers moi en disant : ?mes parents ne sont pas là, et puis mon papa ce n’est pas mon vrai papa. Est-ce que je peux rester près de toi ?’ Après la prière, au moment du geste de paix, il me glisse à l’oreille : ‘c’est pas grave, même si mon deuxième papa il ne m’aime pas, Dieu, lui, il m’aimera toujours’.

L’image du père est si brouillée pour beaucoup d’enfants et de jeunes aujourd’hui qu’on pourrait se dire : leur situation familiale est un arbre tellement enraciné que jamais la révélation d’un Dieu-Père ne pourra les toucher. Mais il suffit d’un petit bonhomme qui fait confiance pour que vous aussi vous vous remettiez à faire confiance dans la puissance de la foi? Heureux sommes-nous lorsque nous nous laissons ainsi évangéliser  par la foi des autres : même toute petite, elle fait de grandes choses?

La jeune fille de Lourdes qui a entendu des paroles étranges venues d’une dame très belle était bien isolée, bien fragile, seule devant les institutions à convaincre. Aujourd’hui, des centaines de milliers de pèlerins viennent chaque année reprendre espoir et guérir, physiquement et moralement, à Lourdes.

Prenez Rocamadour : l’ermite qui a y vécu vers le 8° siècle a eu une vie solitaire et apparemment stérile. Un homme seul pour prier Dieu au coeur des falaises désolées, c’est dérisoire ! Mais des siècles après, ce sont des milliers de pèlerins qui viennent sur ces rochers.

La parabole de Jésus parle de chacune de nos vies. Que d’obstacles ne rencontrons-nous pas, surtout dans la période de mutation actuelle ! Et s’il suffisait d’un peu de confiance pour que même les pires obstacles rencontrés aillent eux aussi se déraciner et se planter dans la mer ? La difficulté peut devenir source de progrès : la souche plantée au milieu de la route est un appel à un sursaut dans la foi, avec courage et imagination.

Si cela nous faisait peur, il suffirait de nous tourner vers Marie : la première en chemin, elle nous ouvre le pèlerinage de la foi.

Si la faiblesse de nos moyens humains nous inquiète, contemplons Marie à l’Annonciation : il a suffi d’un petit oui pour que le grand arbre de l’éloignement entre Dieu et l’homme soit déraciné : et le Verbe s’est fait chair…

Si la difficulté de croire nous angoisse, contemplons Marie au pied de le Croix : dans la ‘nuit de la foi’, elle continue à faire confiance, même au milieu des larmes.

Bienheureuse celle qui a cru qu’un petit oui pourrait déraciner le mal !

Bienheureux serons-nous si chacun croit à l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur : « si vous aviez la foi gros comme une graine de moutarde… »

 

Nous sommes maintenant invités, après la profession de foi baptismale, à apporter ce petit rien du tout qu’est une hostie, quelques grammes de pain non levé. En donnant cette hostie, si petite, puissions-nous nous offrir nous-mêmes, et notre désir de grandir dans la foi.

 

 

1ère lecture : « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3; 2, 2-4)

Lecture du livre d’Habacuc

« Combien de temps, Seigneur, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! Pourquoi m’obliges-tu à voir l’abomination et restes-tu à regarder notre misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. Je guetterai ce que dira le Seigneur. » Alors le Seigneur me répondit : « Tu vas mettre par écrit la vision, bien clairement sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Cette vision se réalisera, mais seulement au temps fixé ; elle tend vers son accomplissement, elle ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, à son heure. Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité. »

Psaume : Ps 94, 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9

R/ Aujourd’hui, ne fermons pas notre c?ur, mais écoutons la voix du Seigneur !

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, 
adorons le Seigneur qui nous a faits. 
Oui, il est notre Dieu ; 
nous sommes le peuple qu’il conduit. 

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? 
« Ne fermez pas votre c?ur comme au désert, 
où vos pères m’ont tenté et provoqué, 
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

2ème lecture : Le chef de communauté doit rester fidèle dans le service de l’Évangile (2Tm 1, 6-8.13-14)

Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre à Timothée

Fils bien-aimé,
je te rappelle que tu dois réveiller en toi le don de Dieu que tu as reçu quand je t’ai imposé les mains.
Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de raison.
N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis en prison à cause de lui ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile.
Règle ta doctrine sur l’enseignement solide que tu as reçu de moi, dans la foi et dans l’amour que nous avons en Jésus Christ.
Tu es le dépositaire de l’Évangile ; garde-le dans toute sa pureté, grâce à l’Esprit Saint qui habite en nous.

Evangile : La puissance de la foi ? L’humilité dans le service(Lc 17, 5-10)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Dieu nous a fait renaître d’une semence impérisable : sa parole vivante qui demeure pour toujours.Alléluia. (cf. 1 P 1, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous obéirait.
Lequel d’entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite à table’ ?
Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive. Ensuite tu pourras manger et boire à ton tour.’ Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?
De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : ‘Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n’avons fait que notre devoir.’ »
Patrick Braud

22 juin 2013

Le consentement de soi à soi

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le consentement de soi à soi

 

Homélie du 12° Dimanche du temps ordinaire / Année C
21/06/2013

 

Je me souviens d’une rencontre il y a quelques années en lien avec l’évangile d’aujourd’hui. J’avais conduit ma voiture au garage pour faire faire la vidange. Un peu pressé comme souvent, je me trouvais bloqué par une voiture à l’entrée de l’atelier du garage. Je descends, mais une femme sort de cette petite Austin Metro devant moi et je sens son regard qui parcourt rapidement le revers de ma veste : habitué à ce regard, je sais que la croix épinglée là vient de produire quelque chose en cette femme.

Avant même que j’ai eu le temps d’ouvrir la bouche, elle a commencé à m’expliquer qu’elle était en pleine procédure de divorce, une de ces séparations violentes, où chacun dispute à l’autre, facture à l’appui, le téléviseur, la voiture, les meubles, l’appartement? quand ce ne sont pas les enfants. On en parle ensemble. À un moment, elle s’arrête : son regard se pose à nouveau sur la petite croix au revers de ma veste : « Je vous dis tout cela parce que pour moi, le Christ, c’est quelqu’un, malgré tout ce qu’on peut penser de moi ». Je ne l’ai jamais revu après.

         J’étais venu au garage 5 mn pour une vidange, j’y suis resté ¾ d’heure à cause d’une croix et de la question qu’elle a fait jaillir au c?ur de cette femme : « Et toi, qui dis-tu que je suis ? Pour toi, qui suis-je ? ».

 

         Alors j’ai redécouvert qu’on ne peut pas répondre à cette question que le Christ Le consentement de soi à soi dans Communauté spirituelle declarintpose à chacun de nous dans l’évangile d’aujourd’hui sans se dévoiler soi-même. Une réponse théorique, même théologique, une réponse apprise par c?ur ne suffit pas : le Christ demande une réponse personnelle, qui jaillisse du plus profond de notre histoire avec nos mots à nous.

Un peu comme pour des fiancés à qui l’Église demande d’écrire des déclarations d’intention – des déclarations d’amour ! – avant leur mariage. On leur donne bien le langage commun qui parle de liberté, de fidélité, d’indissolubilité et d’ouverture à la vie, mais presque toujours ils le retraduisent avec leurs mots à eux, leurs rencontres, leur histoire, si bien qu’aucune déclaration d’intention n’est semblable à une autre alors qu’elles disent toutes une même visée profonde.

 

C’est toute la différence entre le langage et la parole.

Nous avons appris le langage de la confession de foi : ?Je crois en Dieu le Père Tout Puissant’. Nous apprenons le langage de la prière. Mais ce langage est au service d’une prise de parole personnelle : « Oui Seigneur, je crois en Toi. Tu es celui qui a bouleversé ma vie lors de tel évènement, telle rencontre précise, à travers tel texte ou tel visage. Et depuis tu m’accompagnes comme un chant intérieur de joie et de confiance »?

 

« Qui dis-tu que je suis ? » « Pour vous, qui suis-je ? ».

Avec cette question, Jésus nous invite à passer du langage à la parole.

pour-vous-qui-suis-je consentement dans Communauté spirituellePersonne ne peut répondre à ma place et c’est avec ma vie, mon existence, que je réponds. Quand Jean-Paul II était venu à Lyon, c’était une des phrases qui avait beaucoup marqué les jeunes avec qui j’étais : « Quand j’étais adolescent, disait-il avec son accent de l’Est où roulaient les r, j’ai du moi aussi passer d’une foi héritée à une foi personnelle, d’une foi reçue à une foi où je pouvais dire ?Je crois’ ».

Sans doute, ce mouvement n’est jamais fini car on n’a jamais fini de devenir soi-même, et je ne peux pas répondre à la question que le Christ me pose sans révéler qui je suis. Un peu comme la femme qui devant la croix commence par raconter sa vie pour pouvoir répondre à la question qu’elle lui posait. Il n’y a pas de foi par procuration. Si le langage de foi de l’Église ne vient pas nourrir ma parole personnelle, c’est un alphabet qu’on donne à un autiste ou le message d’un répondeur téléphonique qui se déroule en mon absence?

 

         Pascal avait une formule de génie pour exprimer ce caractère personnel unique et irremplaçable de la réponse de foi :

« C’est le consentement de vous à vous-même, et la voix constante de votre raison,
et non des autres, qui doit vous faire croire ».

Ce qui veut dire que dans la foi il y a cet appel :  « Ais le courage d’être toi-même ». Au lieu de nous réfugier derrière l’opinion des autres : « il y en a qui disent ceci, d’autres disent cela »?, au lieu de nous cacher derrière un savoir objectif, « on m’a appris que? », le Christ nous appelle au beau risque de la foi : « Pour toi – pas pour les autres ! – pour toi, qui suis-je ? » Répondre à cette question fait naître en nous le courage d’être soi-même au lieu de démissionner de soi et de sa propre responsabilité. Alors, prendre sa croix chaque jour, comme dit St Luc, c’est s’accepter soi-même tel que l’on est, dans le regard du Christ. Suivre le Christ, c’est se rencontrer soi-même.

 

Les Pères de l’Église disaient : « Celui qui se voit tel qu’il est, est plus grand que celui qui 9782266122221 identitéressuscite des morts ». Porter sa croix chaque jour, c’est découvrir que le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi : c’est de lui que me viendra le courage d’être moi-même. Les êtres les plus orgueilleux, les plus assoiffés d’amour propre sont ceux qui se sentent mal avec eux-mêmes, ceux qui se haïssent secrètement. « Il est plus facile qu’on le croit de se haïr- écrivait Bernanos dans ?le journal d’un curé de campagne’ -. La grâce est de s’oublier. Mais la grâce des grâces, si tout orgueil était mort en nous, serait de s’aimer humblement soi-même. Comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus Christ ».

 

Avoir le courage d’être soi pour suivre le Christ, et – en reconnaissant qui est le Christ - devenir réellement ce que nous sommes : il y a tellement de gens qui ne s’acceptent pas eux-mêmes et qui passent leur temps à se fuir !

Certains voudraient être grands alors qu’ils sont petits, ou l’inverse.

Certains refusent leur milieu social et se mettent à singer le dessus ou le dessous, comme s’il y avait un dessus et un dessous.

D’autres encore voudraient changer d’enfance et de passé.

Bref chacun risque de passer son temps et d’épuiser son énergie à rêver d’être un autre que soi-même. Or  dans la question du Christ : « Et pour toi, qui suis-je ? », toutes nos défenses, toutes nos barrières et toutes nos peurs peuvent s’évanouir dans le regard de celui qui nous révèle sans honte ni crainte à nous-même parce qu’il est l’Amour.
Le mouvement de la foi est lié au consentement de soi à soi-même.

 

         Ne croyons surtout pas que cette question n’intéresse plus nos contemporains.

 

La personne de Jésus fascine toujours, et nous devrions nous en réjouir. Car cette question qui résonne à travers le monde appelle notre témoignage : c’est en prenant le beau risque de la foi, une foi personnelle, enracinée dans notre histoire propre, que nous retrouverons le courage d’être nous-même en portant notre croix chaque jour ;

         « Et pour toi, qui suis-je ? »?

 

1ère lecture : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12, 10-12a ; 13, 1)
Lecture du livre de Zacharie

Parole du Seigneur :
En ce jour-là, je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit qui fera naître en eux bonté et supplication. Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé ; ils feront une lamentation sur lui comme sur un fils unique ; ils pleureront sur lui amèrement comme sur un premier-né. En ce jour-là, il y aura grande lamentation dans Jérusalem.
En ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et les habitants de Jérusalem : elle les lavera de leur péché et de leur souillure.

Psaume : Ps 62, 2, 3-4, 5-6, 8-9

R/ Levons les yeux vers le Seigneur : il nous sauve par sa croix.

Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau. 

Je t’ai contemplé au sanctuaire, 
j’ai vu ta force et ta gloire. 
Ton amour vaut mieux que la vie : 
tu seras la louange de mes lèvres ! 

Toute ma vie je vais te bénir, 
lever les mains en invoquant ton nom. 
Comme par un festin je serai rassasié ; 
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange. 

Oui, tu es venu à mon secours : 
je crie de joie à l’ombre de tes ailes. 
Mon âme s’attache à toi, 
ta main droite me soutient.

2ème lecture : La foi au Christ surmonte les barrières entre les hommes (Ga 3, 26-29)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Galates

Frères,
en Jésus Christ, vous êtes tous fils de Dieu par la foi.
En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni païen, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus.
Et si vous appartenez au Christ, c’est vous qui êtes la descendance d’Abraham ; et l’héritage que Dieu lui a promis, c’est à vous qu’il revient.

1ère lecture : Confession de foi de Pierre et annonce de la Passion (Lc 9, 18-24)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Un jour, Jésus priait à l’écart. Comme ses disciples étaient là, il les interrogea : « Pour la foule, qui suis-je ? »
Ils répondirent : « Jean Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un prophète d’autrefois qui serait ressuscité. »
Jésus leur dit : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre prit la parole et répondit : « Le Messie de Dieu. »
Et Jésus leur défendit vivement de le révéler à personne, en expliquant : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. » 

Il leur disait à tous : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi la sauvera. »
Patrick Braud

Mots-clés : , , ,

14 juin 2013

La pierre noire du pardon

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

La pierre noire du pardon

Homélie du 16° Dimanche du temps ordinaire / Année C
16/06/2013

Connaissez-vous la « pierre noire » des Pères Blancs ?

Elle est célèbre dans les pays d’Afrique où ils sont passés. Imaginez que vous soyez mordus par un serpent très venimeux comme il s’en cache dans les broussailles en été. À partir de la morsure, le temps est court. Si on ne fait rien, le venin se répand dans les veines, va bientôt empoisonner les muscles, puis paralyser le coeur, atteindre le cerveau.  La pierre noire, c’est un antidote sûr et pratique à cette diffusion du venin dans le corps. C’est comme une pierre ponce, très poreuse, très absorbante * : on l’applique immédiatement sur la plaie laissée par ce serpent. Elle vient se coller à la chair, et par un effet ventouse, elle commence aussitôt à stopper la course du poison. Puis elle se gorge du venin qu’elle pompe, par capillarité. Après plusieurs heures, elle se détache d’elle-même de la morsure, saturée de poison mais laissant la chair vidée du venin.

La pierre noire du pardon dans Communauté spirituelle image008 

Le pardon dont les trois textes de ce Dimanche nous parlent ressemble à cette pierre noire.

Lorsque le mal vous a mordu, que ce soit par la violence d’un proche, l’infidélité d’un conjoint, la dépendance à une drogue quelconque ou le démon de la jalousie, lorsque ce mal vous a mordu, vous avez en vous comme un venin qui va être instillé dans tout votre être, et qui peut devenir mortel pour votre vie spirituelle.

Ne rien faire, c’est devenir complice du mal subi ou commis.

Croire qu’on va y arriver tout seul (à surmonter l’épreuve) c’est serrer la plaie sans la soigner.

Seul le recours à un autre – la pierre noire par exemple – permet de faire sortir de soi le poison qui me gâche la vie. Seul le pardon permet de stopper, puis d’absorber hors de moi le mal qui circulait en moi.

Paul est un bon témoin de la « pierre noire » du pardon lorsqu’il nous en conjure :« Il n’est pas question pour moi de rejeter la grâce de Dieu. En effet, si c’était par la Loi qu’on devient juste, alors le Christ serait mort pour rien ». C’est-à-dire : acceptez que Dieu lui-même vienne vous soigner, à travers le pardon donné au nom du Christ. Ne restez pas seul avec votre blessure : laissez-vous approcher par un Autre, laissez-vous purifier de ce qui vous empoisonne.

Lorsqu’on n’a pas de pierre noire sous la main, on peut en urgence aspirer soi-même le venin pour un autre, en osant aspirer le poison avec ses lèvres à même la plaie. Eh bien : laissez le Christ approcher ses lèvres de votre cœur, de votre intelligence, de votre histoire ; laissez-le prendre en lui la violence, la dépendance, la jalousie, tout péché qui vous paralyse dans votre course spirituelle.

L’initiative ne vient pas de nous. C’est Dieu qui par le Christ a le désir de se réconcilier chacun de nous. Les prêtres, comme Paul, ne sont dans le sacrement de réconciliation que les ambassadeurs de Dieu. Or une ambassade, c’est déjà un peu du pays représenté qui est présent chez nous. Le terrain de l’ambassade de Chine à Paris est considéré comme territoire chinois et non français. Si le confessionnal est un peu l’ambassade du Dieu de la réconciliation, si le prêtre qui donne l’absolution est là en ambassadeur du Christ, alors c’est que le Royaume de Dieu est déjà là au milieu de nous. Il vient nous visiter à travers cette initiative de réconciliation, et nous, nous refuserions d’accueillir sa visite ? Nous renverrions l’ambassadeur sans même voir ses lettres de créance ? Nous nous détournerions de ce sacrement comme si l’ambassade de Dieu n’avait rien à faire chez nous ?

Un Dimanche, c’est court pour stopper l’avance de tout poison de nous. C’est une affaire de longue haleine que de laisser le Christ appliquer la pierre noire de son pardon sur nos morsures, jusqu’à ce qu’elle boive tout notre venin intérieur. Ne passons pas à côté de cet appel pressant, presque angoissé, de Jésus : « Je te le dis : si ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, c’est à cause de son grand amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour ».

Nous pouvons toujours redécouvrir la force du pardon : pardon reçu de Dieu ou des autres, pardon donné à ceux qui nous ont fait du mal.

Stoppons au plus vite la course de la rancune, de la vengeance, ou – à l’inverse – de l’indifférence.

« Celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour ».

 

____________________________________

* La pierre noire est en fait un os qu’il faut découper, ensuite limer et puis carboniser. Les petits carrés d’os devenus noirs doivent alors être chauffés dans du lait pendant une heure pour finalement reposer dans du lait froid pendant 48 heures. L’os ayant absorbé le calcium du lait est alors prêt à l’usage. Il suffit de le poser sur la blessure occasionnée par la morsure de serpent et l’os absorbe tout le venin.

 

1ère lecture : David reconnaît sa faute et Dieu lui pardonne (2S 12, 7-10.13)

Lecture du second livre de Samuel

Après le péché de David, le prophète Natan vint le trouver et lui dit : « Ainsi parle le Seigneur Dieu d’Israël: Je t’ai sacré roi d’Israël, je t’ai sauvé de la main de Saül,
puis je t’ai donné la maison de ton maître, je t’ai donné les épouses du roi ; je t’ai donné la maison d’Israël et de Juda et, si ce n’est pas encore assez, j’y ajouterai tout ce que tu voudras.
Pourquoi donc as-tu méprisé le Seigneur en faisant ce qui est mal à ses yeux ? Tu as frappé par l’épée Ourias le Hittite ; sa femme, tu l’as prise pour femme ; lui, tu l’as fait périr par l’épée des fils d’Ammon.
Désormais, l’épée ne cessera plus de frapper ta maison, pour te punir, parce que tu m’as méprisé et que tu as pris la femme d’Ourias le Hittite pour qu’elle devienne ta femme.
David dit à Nathan : « J’ai péché contre le Seigneur ! » Nathan lui répondit : « Le Seigneur a pardonné ton péché, tu ne mourras pas. »

Psaume : Ps 31, 1-2, 5abcd, 5ef.7, 10bc-11

R/ Pardonne-moi, mon Dieu, relève-moi !

Heureux l’homme dont la faute est enlevée,
et le péché remis !
Heureux l’homme dont le Seigneur ne retient pas l’offense,
dont l’esprit est sans fraude !

Je t’ai fait connaître ma faute,
je n’ai pas caché mes torts.
J’ai dit : « Je rendrai grâce au Seigneur
en confessant mes péchés. »

Et toi, tu as enlevé l’offense de ma faute.
Tu es un refuge pour moi,
mon abri dans la détresse,
de chants de délivrance tu m’as entouré.

L’amour du Seigneur entourera
ceux qui comptent sur lui.
Que le Seigneur soit votre joie, hommes justes !
Hommes droits, chantez votre allégresse !

2ème lecture : C’est par la foi au Christ que nous sommes sauvés (Ga 2, 16.19-21)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Galates

Frères, nous le savons bien, ce n’est pas en observant la Loi que l’homme devient juste devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus Christ ; c’est pourquoi nous avons cru en Jésus Christ pour devenir des justes par la foi au Christ, mais non par la pratique de la loi de Moïse, car personne ne devient juste en pratiquant la Loi.
Grâce à la Loi (qui a fait mourir le Christ) j’ai cessé de vivre pour la Loi afin de vivre pour Dieu. Avec le Christ, je suis fixé à la croix : je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ma vie aujourd’hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi.
Il n’est pas question pour moi de rejeter la grâce de Dieu. En effet, si c’était par la Loi qu’on devient juste, alors le Christ serait mort pour rien.

Evangile : La pécheresse pardonnée à cause de son grand amour (brève : 36-50) (Lc 7, 36-50; 8, 1-3)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Auprès du Seigneur est la grâce, près de lui, la pleine délivrance. Alléluia. (Ps 129, 7)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Un pharisien avait invité Jésus à manger avec lui. Jésus entra chez lui et prit place à table.
Survint une femme de la ville, une pécheresse. Elle avait appris que Jésus mangeait chez le pharisien, et elle apportait un vase précieux plein de parfum.
Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, à ses pieds, et ses larmes mouillaient les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et y versait le parfum.
En voyant cela, le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. »
Jésus prit la parole : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. ? Parle, Maître. »
Jésus reprit : « Un créancier avait deux débiteurs ; le premier lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante. Comme ni l’un ni l’autre ne pouvait rembourser, il remit à tous deux leur dette. Lequel des deux l’aimera davantage ? »
Simon répondit : « C’est celui à qui il a remis davantage, il me semble. ? Tu as raison », lui dit Jésus.
Il se tourna vers la femme, en disant à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré chez toi, et tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds ; elle, elle les a mouillés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas embrassé ; elle, depuis son entrée, elle n’a pas cessé d’embrasser mes pieds. Tu ne m’as pas versé de parfum sur la tête ; elle, elle m’a versé un parfum précieux sur les pieds. Je te le dis : si ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, c’est à cause de son grand amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. »
Puis il s’adressa à la femme : « Tes péchés sont pardonnés. »
Les invités se dirent : « Qui est cet homme, qui va jusqu’à pardonner les péchés ? »
Jésus dit alors à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! »
Ensuite Jésus passait à travers villes et villages, proclamant la Bonne Nouvelle du règne de Dieu. Les Douze l’accompagnaient, ainsi que des femmes qu’il avait délivrées d’esprits mauvais et guéries de leurs maladies : Marie, appelée Madeleine (qui avait été libérée de sept démons), Jeanne, femme de Kouza, l’intendant d’Hérode, Suzanne, et beaucoup d’autres, qui les aidaient de leurs ressources.
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , ,

7 juin 2013

Naïm, ou la rétroactivité en marche

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Naïm, ou la rétroactivité en marche

Homélie du 10° Dimanche du temps ordinaire / Année C
09/06/2013

 

Nos rencontres nous révèlent qui nous sommes

C’est particulièrement vrai avec ce jeune homme qu’on va porter en terre (Lc 7,11?17). Consciemment ou non, Jésus va reconnaître sa mort dans la sienne. Ses disciples se souviendront – après Pâques – de cet épisode préfigurant la fin de leur maître et sa victoire sur la mort.

Tout se passe comme si nos rencontres les plus vraies, où nous engageons le meilleur de nous-mêmes, nous conduisaient à nous identifier à ceux que nous avons croisés. Comme s’il finissait par nous arriver ce que nous faisons arriver aux autres… Des rencontres autoréalisatrices en quelque sorte.

Suivez le fil de ce récit, et placez l’image du Christ en sa Passion sur celle de ce jeune homme en sa mort : les deux figures se superposent de façon troublante.

La foule

Une foule considérable forme cortège autour du mort. Une autre foule, nombreuse également, accompagne Jésus et ses disciples. Les deux foules se croisent. Au début elles sont bien distinctes. À la fin, « tous rendent gloire à Dieu » : les deux cortèges sont réunis dans une même action de grâces. Au début les deux foules vont en sens inverse l’une de l’autre ; à la fin elles sont visiblement rassemblées autour de Jésus, avant d’aller répandre cette parole dans toute la Judée et les pays voisins. À travers ces deux foules, Israël rencontre l’Église et l’Église Israël. Le Christ redonne vie aux fils d’Israël; il se comporte comme un « grand prophète », comme le grand prophète attendu et annoncé depuis l’ascension d’Élie auprès de Dieu (1R).

D’ailleurs, on reconnaît en lui Élie, qui le premier avait redonné vie au fils de la veuve de Sarepta (cf. la première lecture).

La foule de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem avec ses rameaux reprendra ce ?gloire à Dieu’ enthousiaste. Même si elle sera ensuite manipulée pour crier « crucifie-le ! », la foule reconnaît en Jésus le grand prophète qui vient accomplir l’espérance d’Israël, et Jésus reconnaît en cette foule la vraie nature et le vrai destinataire de sa mission. C’est cette foule, passée par le feu au tamis de la Passion du Christ, qui deviendra avec sa résurrection le vecteur de la propagation du christianisme dans tout l’empire romain.

Bref : les deux foules de Naïm préfigurent l’Église réunissant juifs et disciples de Jésus dans une même action de grâces, dans une même mission d’évangélisation tout autour. C’est du moins le désir de Jésus, celui qui l’habitait, le mettait en mouvement, celui qui lui est révélé en voyant ces deux cortèges s’unir.

Naïm, ou la rétroactivité en marche dans Communauté spirituelle Naim

La porte

Le cortège du mort est en train de sortir de la ville. Il arrive même près de la porte de cette ville au moment où il croise le cortège du Christ. Jésus sait bien qu’il est lui-même la porte de (Jn 10,9) qui permet d’entrer et de sortir de l’intimité avec Dieu. Il en prend conscience plus radicalement dans cet épisode où le mort n’aura plus besoin de franchir la porte de la ville dès lors qu’il aura croisé la vraie porte du royaume de Dieu : Jésus en personne.

À l’époque, il était interdit d’enterrer les morts dans une ville, pour des raisons autant religieuses (la peur des revenants) qu’hygiéniques (la possible contamination par les cadavres). Jésus ne le sait pas encore lorsqu’il croise ce corps mort, mais lui-même sera traité ainsi : on le conduira « hors de la ville » pour être exécuté au Golgotha, à l’extérieur des remparts de Jérusalem. Il sera ainsi exclu du peuple juif, physiquement et symboliquement ; et le supplice de la croix portera cette exclusion au paroxysme.

 

Le fils unique de la veuve

Le parallélisme se renforce davantage lorsqu’on apprend que le mort était un fils unique, et que sa mère était veuve. Fils « unique », Jésus l’est doublement : il a une relation unique et singulière avec Dieu qu’il ose appeler Abba (papa), et avec qui il ne fait qu’un. En même temps, il est bien le fils unique de Marie et de Joseph ; il sait ce que cela représente à leurs yeux. Marie était sans doute déjà veuve à ce moment-là. Jésus peut facilement deviner le chagrin qui sera celui de sa mère, perdant en plus son seul enfant, et de façon humiliante et honteuse. Il est bouleversé par la douleur de cette mère, et « saisi de pitié pour elle ». Comme il sera bouleversé par la douleur de Marie au pied de la croix. Il fera alors pour elle ce qu’il va faire ici un Naïm…

Pour l’heure, le symbolisme du fils unique et de sa mère veuve renvoie également à la situation d’Israël au milieu des nations. Comparé souvent à une femme (le mot peuple est féminin en hébreu) dans la Bible, Israël ressemble à cette veuve éplorée : elle est dominée par les Romains, bientôt le temple de Jérusalem sera détruit et les fils d’Israël dispersés aux quatre coins de la terre (jusqu’en 1948 !). À l’heure où les Évangiles sont écrits, on pourrait croire qu’Israël est pour toujours comme mort, rayé de la carte, disparu aux yeux des nations.

Cette veuve de Naïm portant son fils en terre est une figure d’Israël à qui Jésus va redonner espoir et vie. Le mélange de deux foules, celle de Jésus et celle de la veuve, figurant l’unique Église du Christ, où païens et juifs sont associés au même héritage (la résurrection d’entre les morts) et à la même mission (annoncer le Christ au monde entier). Car « le salut vient des juifs » et c’est d’abord pour eux et avec eux que Jésus a conscience de faire corps.

Être saisi de pitié

Un mot sur la « pitié » qui saisit Jésus à la vue de cette veuve.

C’est parce qu’il imagine déjà l’immense peine de Marie qu’il frémit à celle de cette femme. Seul celui qui se sait exposé et vulnérable à l’aventure de l’autre pourra se laisser bouleverser par ce qui lui arrive. Jésus savait – de l’intérieur – le désespoir de cette mère abandonnée et seule.

« Ne pleure pas » : La pitié qu’il éprouve pour cette veuve n’est pas sentimentale : il retrouvera cette invitation ferme et courageuse pour l’adresser aux femmes de Jérusalem pleurant sur lui pendant son chemin de croix. « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! » (Lc 23,27)

Jésus n’est pas ici dans la consolation, mais dans le combat total contre les racines du mal radical.

Jésus réagit avec force, comme il réagira à la douleur de sa mère voyant mourir son fils unique. Le fera-t-il parce qu’il a déjà agi ainsi à Naïm, ou a-t-il fait cela allait en pensant déjà au Golgotha ? Difficile à dire : pour lui et pour nous, il y a comme une circularité de nos actes où certains moments de notre vie se réalisent parce qu’ils ont déjà été préfigurés dans d’autres, comme s’ils avaient été induits, rétroactivement pourrait-on dire.

  

Oser toucher l’impur

Bouleversé, Jésus ose s’approcher du cadavre et toucher la civière, risquant ainsi de calvaire-02p foule dans Communauté spirituellecontracter l’impureté rituelle du contact physique avec les morts (Nb 19,16). Dans sa Passion il inspirera la haine et le dégoût : on crachera sur lui, on l’insultera, on le traitera comme un impur. Son corps aurait dû pourrir sans sépulture (c’est la malédiction attachée au supplice de la croix pour les juifs) si un juste – Joseph d’Arimathie - n’avait osé s’approcher de Pilate pour demander son corps, et si les femmes n’avaient pas eu le courage de l’ensevelir en hâte la veille du grand sabbat de Pâques.

Oser toucher l’impur : Jésus en a fait son métier en quelque sorte, au point d’être identifié à lui. Pas seulement ici avec ce cadavre, mais si souvent avec les lépreux, les prostituées, les collaborateurs de l’occupant romain, les mendiants… Se compromettre physiquement avec l’autre, à ses côtés, jusqu’à risquer d’être assimilé à lui : c’est toujours la mission de l’Église (sa diaconie) si elle veut être fidèle à l’étrange proximité de Jésus avec les impurs.

En touchant cette civière, Jésus sait bien qu’il deviendra bientôt l’intouchable…

 

Se lever, s’asseoir, parler

Vient alors le mot-clé, décrit de manière très simple, très sobre (et non comme les gourous ou autres sorciers aimant entourer leurs actes de mystères étranges et redoutables). Après le contact physique c’est sur une parole, une seule parole, que Jésus rend la vie à ce corps inanimé : « jeune homme, je te l’ordonne : lève-toi ».

On ne connaît pas le prénom de ce jeune homme (contrairement à l’épisode pour Lazare : « Lazare, sors dehors »). Comme si justement il pouvait devenir tous les jeunes hommes du monde. En tout cas ce n’est pas au fils que Jésus s’adresse, mais au « jeune homme ». Françoise Dolto y avait vu l’indice d’une opération psychologique essentielle.

« C’est à sa liberté d’homme que cette voix mâle, lucide, calme et ferme l’a éveillé. Dans la mort il l’arrache à l’appel qu’il entendait de son père; ce père dont la voix avait résonné à ses oreilles dans sa jeune enfance était son moi idéal. Par la mort en quittant sa mère, c’est son père qu’il allait retrouver. » *

Avec autorité (« je te l’ordonne ! »), Jésus sépare cet  enfant de sa mère, qu’elle avait involontairement étouffé de son amour Sans doute en reportant trop sur lui l’amour porté à son mari décédé le premier. Il lui redonne un espace de liberté qui lui permet de devenir lui-même, un homme en devenir (« jeune homme ») et non plus le « fils unique d’une veuve ».

Quoi qu’il en soit, l’ordre du Christ manifeste qu’il a autorité même sur la mort. Écouter sa parole et le suivre permet de se redresser, c’est-à-dire de ne plus se laisser dominer par les pulsions de mort qui le maintiennent couché, immobile.
Puis le jeune homme s’assoit, et l’on sait depuis l’Ascension que « être assis » à la droite de Dieu représente la position de celui qui a vaincu toutes les forces du mal et de la mort.

« Et il se mit à parler » : le premier acte du fils unique mort devenu le jeune homme vivant est de parler, sans qu’on sache le contenu de son discours. Peu importe : c’est parler qui manifeste la vie et rend vivant.

Le Christ, parole du Père, sait mieux que quiconque combien la parole et la vie sont liées.

La ville

Le nom Naïm signifie (encore aujourd’hui en arabe) : doux, délicieux, beau, agréable, mais également endormi, calme. C’est le seul usage de ce nom dans toute la Bible. Le jeune homme est endormi dans la mort, et le Christ vient réveiller en lui ses forces vitales pour avoir le désir de se lever, de parler, d’aimer. Le Golgotha signifie « crâne » (car la colline où fut exécuté Jésus avait la forme d’un crâne humain, dans lequel les Pères de l’Église se sont empressés de reconnaître le crâne du premier Adam) : il représente cet autre endormissement qu’est la mort absolue. Le parallèle antithétique entre Adam et Jésus est ainsi porté à son comble : parce qu’il affronte la mort radicale, Jésus est capable de tirer chaque être humain des endormissements qui le menacent, depuis nos langueurs de vivre (comme ce jeune homme) jusqu’à la mort physique.

Recevoir son fils, pas le posséder

« Et Jésus le rendit à sa mère ».

La traduction liturgique n’est pas fidèle au texte original (comme souvent hélas) qui précise : « Jésus le donna à sa mère ». La nuance est importante. Il ne s’agit pas d’un simple retour à la maison. Il s’agit d’un don, où quelqu’un de nouveau est donné à sa mère pour qu’elle vive avec lui une autre relation qu’avant. Comme une nouvelle naissance…

Jésus se souviendra peut-être de cela lorsque lui-même osera donner un enfant nouveau à sa mère : « femme, voici ton fils ». Il donne Jean à Marie. D’un côté il achève ainsi d’associer absolument Marie à sa propre déréliction. D’un autre côté, il donne une maternité nouvelle à Marie, annonçant celle qu’il confiera à son Église : engendrer à la vie nouvelle ceux qui l’accompagnent dans sa passion.

La foule (Israël // Église) peut alors d’un seul coeur proclamer un ?Gloire à Dieu’ préfigurant celui de Pâques, dans un élan missionnaire annonçant l’évangélisation du monde entier.

 

La boucle rétroactive

Jésus avait tout pour reconnaître dans le cortège du fils de la veuve de Naïm sa propre destinée. En redressant ce mort, en lui redonnant la parole, il pose des actes à la lumière desquels il pourra ensuite déchiffrer les événements de sa Passion.

Cherchez bien : il y a sûrement dans votre histoire une circularité semblable. Vous avez posé des actes qui en retour vous ont façonné et vous ont permis de découvrir qui vous êtes. Vous avez pu agir sur des événements qui vous ont révélé à vous-mêmes.
Agir / devenir : il y a comme une boucle rétroactive où ce qui va advenir de nous se nourrit de ce que nous en avons affirmé à un moment donné.

Jésus, pleinement humain, a vécu cette dialectique de la conscience de soi à soi. L’épisode de Naïm en est particulièrement frappant.

Nous avons donc nous aussi quelques Naïms à relire pour aller à la recherche de nous-mêmes…

__________________________________________________________________________

Françoise Dolto, Les évangiles et la foi au risque de la psychanalyse, éd. Gallimard, p. 89.

 

1ère lecture : À la prière d’Élie, Dieu rend la vie au fils d’une veuve (1 R 17, 17-24)

Lecture du premier livre des Rois

Après cela, le fils de la femme chez qui habitait Élie tomba malade ; le mal fut si violent que l’enfant expira.Alors la femme dit à Élie : « Qu’est-ce que tu fais ici, homme de Dieu ? Tu es venu chez moi pour rappeler mes fautes et faire mourir mon fils ! » Élie répondit : « Donne-moi ton fils ! » Il le prit des bras de sa mère, le porta dans sa chambre en haut de la maison et l’étendit sur son lit. Puis il invoqua le Seigneur : « Seigneur, mon Dieu, cette veuve chez qui je loge, lui veux-tu du mal jusqu’à faire mourir son fils ? » Par trois fois, il s’étendit sur l’enfant en invoquant le Seigneur : « Seigneur, mon Dieu, je t’en supplie, rends la vie à cet enfant ! »Le Seigneur entendit la prière d’Élie ; le souffle de l’enfant revint en lui : il était vivant !

 Elie prit alors l’enfant, de sa chambre il le descendit dans la maison, le remit à sa mère et dit : « Regarde, ton fils est vivant ! » La femme lui répondit : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que, dans ta bouche, la parole du Seigneur est véridique. »

Psaume : Ps 29, 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13

R/ Je t’exalte, Seigneur, toi qui me relèves.

Quand j’ai crié vers toi, Seigneur,
mon Dieu, tu m’as guéri ; 
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse. 

Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles, 
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu’un instant, 
sa bonté, toute la vie. 

Avec le soir, viennent les larmes, 
mais au matin, les cris de joie !
Tu as changé mon deuil en une danse, 
mes habits funèbres en parure de joie !

Que mon coeur ne se taise pas, 
qu’il soit en fête pour toi, 
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu, 
je te rende grâce !

2ème lecture : L’Évangile de Paul n’est pas une invention humaine (Ga 1, 11-19)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Galates
Frères, il faut que vous le sachiez, l’Évangile que je proclame n’est pas une invention humaine. Ce n’est pas non plus un homme qui me l’a transmis ou enseigné : mon Évangile vient d’une révélation de Jésus Christ.
Vous avez certainement entendu parler de l’activité que j’avais dans le judaïsme : je menais une persécution effrénée contre l’Église de Dieu, et je cherchais à la détruire.
J’allais plus loin dans le judaïsme que la plupart des gens de mon peuple qui avaient mon âge, et, plus que les autres, je défendais avec une ardeur jalouse les traditions de mes pères.
Mais Dieu m’avait mis à part dès le sein de ma mère, dans sa grâce il m’avait appelé, et, un jour, il a trouvé bon de mettre en moi la révélation de son Fils, pour que moi, je l’annonce parmi les nations païennes. Aussitôt, sans prendre l’avis de personne, sans même monter à Jérusalem pour y rencontrer ceux qui étaient Apôtres avant moi, je suis parti pour l’Arabie ; de là, je suis revenu à Damas.
Puis, au bout de trois ans, je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Pierre, et je suis resté quinze jours avec lui.
Je n’ai vu aucun des autres Apôtres sauf Jacques, le frère du Seigneur.

Évangile : Jésus rend la vie au fils de la veuve de Naïm (Lc 7, 11-17)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Un grand prophète s’est levé parmi nous : Dieu a visité son peuple. Alléluia. (cf. Lc 7, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Jésus se rendait dans une ville appelée Naïm. Ses disciples faisaient route avec lui, ainsi qu’une grande foule. Il arriva près de la porte de la ville au moment où l’on transportait un mort pour l’enterrer ; c’était un fils unique, et sa mère était veuve. Une foule considérable accompagnait cette femme. En la voyant, le Seigneur fut saisi de pitié pour elle, et lui dit : « Ne pleure pas. »  Il s’avança et toucha la civière ; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. » Alors le mort se redressa, s’assit et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère.
La crainte s’empara de tous, et ils rendaient gloire à Dieu : « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. » Et cette parole se répandit dans toute la Judée et dans les pays voisins.
Patrick Braud

Mots-clés : , , , ,
1...6364656667...80