L'homélie du dimanche (prochain)

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29 janvier 2023

Faim de justice

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Faim de justice

 

Homélie pour le 5° Dimanche du temps ordinaire / Année A 

05/02/2023 


Cf. également :

L’Église et la modernité: sel de la terre ou lumière du monde ?

Sainteté éthique, sainteté confessante

Mesdames-Messieurs les candidats, avez-vous lu Isaïe ?

On n’est pas dans le monde des Bisounours !

Lumière des nations


Si tu dénoues les liens de servitude…

‘Dis-moi ce que tu chantes, je te dirai quelle est ta foi’. Michel Scouarnec a fait un livre [1] sur ce lien entre les chants de nos assemblées et leurs priorités spirituelles. Notre première lecture de ce dimanche (Is 58,7-10) est à ce titre bien connue d’une génération de pratiquants aux tempes grisonnantes : celle des années 80, où l’on croyait encore à la transformation du monde par l’action politique. Faire se rapprocher le Royaume de Dieu en réformant le système économique était alors une puissante motivation – notamment des militants comme on les appelait – de l’Action Catholique. Ainsi on chantait fièrement Mannick et Akepsimas réinterprétant Isaïe à la lumière des combats de l’époque :

Si tu dénoues les liens de servitude

Si tu libères ton frère enchaîné

La nuit de ton chemin sera lumière de midi (bis)

Alors, de tes mains, pourra naître une source,

La source qui fait vivre la terre de demain (bis).

Parcourez nos assemblées aujourd’hui : la note intimiste y est devenue prédominante, avec l’omniprésence des chants du Renouveau privilégiant la relation individuelle à Dieu. Le (très beau) chant « Ô ô  prends mon âme » est par exemple le symptôme le plus évident d’un repli sur l’intime, d’un glissement individualiste où la déception engendrée par les combats collectifs provoque la redécouverte d’une spiritualité tout intérieure :

Oh ! prends mon âme, prends-la Seigneur, 

Et que ta flamme brûle en mon cœur. 

Que tout mon être vibre pour toi, 

Sois seul mon Maître, ô divin Roi.

Pourtant, chanter Isaïe 58 avait de la gueule !

Et cela pourrait revenir, car le XXI° siècle ramène le collectif au-devant de la scène : guerres, régimes inhumains, épidémies mondiales, péril écologique, combat féministe etc.

Attardons-nous ce dimanche sur la lignée prophétique incarnée par Isaïe, que l’on peut résumer en une déclaration lapidaire : le combat pour la justice sociale vaut mieux que le jeûne et toutes les coutumes religieuses !


La contestation prophétique du jeûne

Faim de justice dans Communauté spirituelle sadhus-ascetes-asanas-1080x604Les écolos ou naturopathes actuels remettent le détox à la mode, sans savoir ce qu’il charrie de représentations archaïques. Le jeûne est une pratique ascétique qui dans toutes les religions est supposée procurer un état de conscience plus aiguë, une purification intérieure, quelquefois jusqu’à la transe. Les chamanes des pays de l’Est, les sâdhus de l’Inde, les marabouts d’Afrique ou les sorciers des Amériques pratiquent depuis des millénaires cette technique censée apporter santé du corps ou communication avec les esprits. Pour une part, la Loi de Moïse a recueilli avec prudence la contribution de sagesse véhiculée par le jeûne lorsqu’il est orienté vers Dieu, tout en dénonçant le jeûne dédié aux idoles ou au culte du soi narcissique. La Loi n’oblige les juifs à ne jeûner que deux fois par an : le Jour de Yom Kippour et l’anniversaire de la destruction du Temple par les Babyloniens en 586 av. J.-C. Certains pharisiens zélés pratiquaient cependant le jeûne deux fois par semaine : le jeudi et le lundi, car selon les rabbins Moïse est monté chercher les tables de la Loi le quatrième jour de la semaine et il est revenu le premier jour de la semaine suivante. Les cas de jeûne de deux jours par semaine étaient pourtant rares et cela fait croire au pharisien de la parabole de Lc 18,9-14 qu’il était extraordinaire dans ses actes.

La virtuosité ascétique dans le jeûne n’est donc guère encouragée par la Torah ! C’est le courant sacerdotal qui a le plus développé cette pratique : par souci de pureté légale et rituelle, par recherche de prière, d’illumination, de lutte contre les tentations etc.

 Isaïe dans Communauté spirituelle La construction évangélique des 40 jours de jeûne au désert par Jésus est une construction théologique. Il s’agissait sans doute d’un séjour de Jésus au désert pour réfléchir à sa mission, et trouver dans la relation à son Père le courage de débuter sa vie publique dont il pressentait que la fin serait terrible. Au désert, Jésus figure le nouvel Exode du nouveau peuple de Dieu. Il est le nouveau Moïse qui se nourrit avant tout de la parole de Dieu. Mais on voit mal Jésus se lancer dans un exercice de jeûne absolu en plein soleil 40 jours durant : les hallucinations et l’altération de ses facultés auraient été trop graves… Quitte à décevoir les friands de prodiges, il n’y a pas eu non plus d’anges pour à la fin lui apporter du pain venu de nulle part… Le jeûne de Jésus au désert est ce que les évangélistes (sauf Jean) ont pu imaginer pour l’habiller des habits messianiques. Certes, il eut faim et soif dans le désert où il est resté une longue période, comme une retraite avant de se lancer dans l’action. Mais on ne voit plus Jésus jeûner dans les Évangiles à partir de là ! Plus encore : il interdit à ses disciples de jeûner, alors que les juifs pieux s’en glorifiaient. Matthieu, Marc et Luc en ont été tellement étonnés qu’ils ont pris la peine tous les trois de tenter d’expliquer pourquoi : « Comme les disciples de Jean le Baptiste et les pharisiens jeûnaient, on vient demander à Jésus : ‘Pourquoi, alors que les disciples de Jean et les disciples des pharisiens jeûnent, tes disciples ne jeûnent-ils pas ?Jésus leur dit : ‘Les invités de la noce pourraient-ils jeûner, pendant que l’Époux est avec eux ? Tant qu’ils ont l’Époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner » (Mc 2,18-19 ; cf. Mt 9,15 et Lc 5,34). Ils étaient en cela les dignes disciples de ce glouton, cet ivrogne de Jésus (Mt 11,19) qui ne respectait décidément pas beaucoup les coutumes religieuses des bien-pensants !

Après lui, on ne voit guère les disciples jeûner qu’une seule fois, dans le livre des Actes des apôtres, lorsqu’il faut choisir et ordonner des ministres pour annoncer l’Évangile, en l’occurrence Barnabé et Paul (Ac 13,2–3).

Décidément les fans de virtuosité ascétique seront très vite déçus par Jésus et son Église ! Le jeûne a bien été conservé par les chrétiens, mais avec sagesse et parcimonie : c’est loin d’être l’alpha et l’oméga de la sainteté chrétienne ! À l’inverse, le Coran a fait du jeûne du ramadan un de ses cinq piliers obligatoires, ce qui constitue en fait une régression vers une religion ritualiste.

Les prophètes d’Israël avaient préparé la voie à cette relativisation du jeûne. On vient de lire Isaïe 58 qui tonne contre les pratiquants brûlant de l’encens et jeûnant ostensiblement : « Ce n’est pas en jeûnant comme vous le faites aujourd’hui que vous ferez entendre là-haut votre voix. Est-ce là le jeûne qui me plaît, un jour où l’homme se rabaisse ? S’agit-il de courber la tête comme un roseau, de coucher sur le sac et la cendre ? Appelles-tu cela un jeûne, un jour agréable au Seigneur ? Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? » (Is 58,4-6)

Mother-Teresa-leproserie-inde-768x515 jeûneOn aurait pu également écouter Osée qui fustige les sacrifices, que ce soit les sacrifices d’animaux ou de nourriture : « Je veux la fidélité, non le sacrifice, la connaissance de Dieu plus que les holocaustes » (Os 6,6). Jésus citera librement ce passage en engueulant littéralement les pharisiens, ces obsessionnels du sacrifice : « Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9,13).

Amos sera le prophète de la justice sociale par excellence, avec des passages d’une violence inouïe contre ceux qui prolifèrent sur les inégalités et l’exploitation des pauvres.

Ainsi les prophètes ne cessent de faire référence au couple « droit et justice », qui revient comme un leitmotiv dans l’Ancien Testament (une trentaine de fois au moins) en contestation des pratiques rituelles envahissantes. Même les écrits de Sagesse s’en font l’écho : « Accomplir la justice et le droit plaît au Seigneur plus que le sacrifice » (Pr 21,3). « Justice et droit sont l’appui de ton trône. Amour et Vérité précèdent ta face » (Ps 89,15).

L’homme religieux se pare de pèlerinages, de messes, de médailles et de longues prières pour cacher à Dieu sa misère et éviter de s’exposer à lui en vérité. Les sacrifices d’animaux, les offrandes au Temple, les vêtements ostensiblement religieux, les cierges accumulés au pied des statues, Isaïe ainsi que Jésus les ont dénoncés comme une parodie de culte qui ne rend aucune gloire à Dieu.

À quoi sert de jeûner pendant que mon voisin meurt de faim ?

Quelle hypocrisie de jeûner pour Dieu sans se battre pour le pauvre !


Le combat pour la justice

 justice
En 1971, le synode des évêques du monde entier réuni à Rome osait proclamer :

« Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile qui est la mission de l’Église pour la rédemption de l’humanité et sa libération de toute situation oppressive ».

Ce cri n’a rien perdu de son actualité, hélas !
L’Église orthodoxe de Russie sera-t-elle crédible après avoir béni les armes et les soldats de Poutine qui allaient envahir l’Ukraine ? Les popes ont beau se revêtir de magnifiques chasubles d’or et d’argent, faire brûler de l’encens jusqu’à saturer l’air de la cathédrale de Moscou, l’illuminer de milliers de cierges jaune-cire à l’ancienne, et chanter des chœurs sublimes ou les basses font frissonner, tout cet apparat liturgique est sans valeur dès qu’il cautionne les viols, les tortures, les exécutions, les déportations – voire le génocide – de tout un peuple qu’ils osaient appeler frère avant 2014… Le jeûne des starets russes n’y changera rien. Seul le combat pour la justice rétablira la dignité de l’agresseur et de l’agressé. Faire disparaître le joug de l’oppresseur, combler les désirs du malheureux : voilà ce que demande Isaïe, ce qui passe aujourd’hui par un combat de légitime défense, par le rétablissement du droit international, par le passage d’une justice d’un tribunal exceptionnel pour ne pas laisser impunis tous ces crimes de guerre.

Malheureusement, il n’y a pas que la Russie qui soit concernée par Isaïe 58 ! L’injustice subie par les femmes afghanes pleurant sous le joug des talibans ; l’angoisse des Arméniens du Haut-Karabakh à nouveau menacés d’exil et de massacre ; l’assujettissement des peuples du Sahel qui subissent un islam politique prenant bientôt la forme d’un califat infernal… Et, plus près de nous, les sans-abri par milliers dont nous désespérons, les victimes muettes des violences et du commerce de drogue dans nos cités et nos quartiers réputés difficiles, les salaires de misère à l’hôpital ou dans la restauration, le bâtiment etc.

Combattre pour la justice avec le Christ nous exposera comme lui à la vindicte des puissants. Aussi n’est-il pas inutile de réfléchir, de faire silence, de s’alimenter de la parole de Dieu avant, pendant et après l’action collective. Le jeûne peut y aider : il est légitime s’il nourrit le combat pour la justice au lieu de le détourner.

Reste qu’Isaïe nous empêchera toujours de jeûner en rond :

« Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? 

N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? 

Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : ‘Me voici.’ 

Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi » (Is 58, 6-10).

 ______________________________________

[1]. Michel Scouarnec, Dis-moi ce que tu chantes, Cerf, 1981.

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Ta lumière jaillira comme l’aurore » (Is 58, 7-10)

 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Ainsi parle le Seigneur : Partage ton pain avec celui qui a faim, accueille chez toi les pauvres sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi.

 

PSAUME

(Ps 111(112), 4-5, 6-7, 8a.9)
R/ Lumière des cœurs droits, le juste s’est levé dans les ténèbres. ou : Alléluia ! (cf. Ps 111, 4)

 

Lumière des cœurs droits, il s’est levé dans les ténèbres,
homme de justice, de tendresse et de pitié.
L’homme de bien a pitié, il partage ;
il mène ses affaires avec droiture.

 

Cet homme jamais ne tombera ;
toujours on fera mémoire du juste.
Il ne craint pas l’annonce d’un malheur :
le cœur ferme, il s’appuie sur le Seigneur.

 

Son cœur est confiant, il ne craint pas.
À pleines mains, il donne au pauvre ;
à jamais se maintiendra sa justice,
sa puissance grandira, et sa gloire !

 

DEUXIÈME LECTURE
« Je suis venu vous annoncer le mystère du Christ crucifié » (1 Co 2, 1-5)

 

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

 Frères, quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage ou de la sagesse. Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié. Et c’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant, que je me suis présenté à vous. Mon langage, ma proclamation de l’Évangile, n’avaient rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.

 

ÉVANGILE

« Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 13-16)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis la lumière du monde, dit le Seigneur. Celui qui me suit aura la lumière de la vie. Alléluia. (cf. Jn 8, 12)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »
Patrick Braud

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8 janvier 2023

La portée animalière du sacrifice du Christ

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La portée animalière du sacrifice du Christ

 

Homélie pour le 2° Dimanche du temps ordinaire / Année A 

15/01/2023

 

Cf. également :

Alors Clarice, les agneaux se sont tus ?

Lumière des nations

Révéler le mystère de l’autre

Réinterpréter Jean-Baptiste 

Dès le sein de ta mère… 

 

Halte au massacre des nouveau-nés !

Jean-Baptiste désigne aujourd’hui Jésus comme l’Agneau de Dieu (Jn 1,29-34). Par un contresens effarant dont l’Histoire a le secret, des générations de chrétiens se sont crues obligées – et aujourd’hui encore – de manger un bon gigot d’agneau en hommage au sacrifice du Christ pour fêter Pâques ! Les statistiques officielles du Ministère de l’Agriculture évoquent environ 450 000 agneaux abattus pour la seule semaine pascale, plus de 4 millions sur l’année ! Cette frénésie meurtrière – qui fait penser à celle d’Hérode – envers les nouveau-nés des chèvres est d’autant plus inacceptable qu’elle est cruelle. L’association L214 a diffusé des vidéos insoutenables, filmées en caméra cachée, dans des abattoirs : on y voit des agneaux tremblant de peur, entassés les uns sur les autres, se débattant dans leurs excréments, malades, agonisants, achevés en plusieurs fois par des ouvriers écœurés obligés de s’endurcir devant ce spectacle de torture et de mort au quotidien… Comment un tel massacre pourrait-il se réclamer du Christ ? Comment une viande ainsi obtenue peut-elle honorer dans nos assiettes la vie promise par le Christ, elle qui provient d’une mort atroce ? Et encore, à la cruauté du massacre en abattoir il faut ajouter le sadisme de faire naître des petits pour les séparer de leur mère après 3 mois, les entasser dans des camions ou des wagons à bestiaux, les maltraiter sans eau ni nourriture, leur couper la queue ou les castrer sans analgésiques etc. Bien sûr, c’est la même chose pour les veaux : les enfants qui verraient leur supplice en abattoir refuseraient de toucher à leur viande dans l’assiette ensuite !

Les musulmans avec leurs moutons ne font pas mieux que les chrétiens avec leurs agneaux. Pour la fête de l’Aïd, ce sont des dizaines de milliers de moutons qui sont égorgés dans des conditions particulièrement cruelles, puisque la coutume halal veut que l’animal soit conscient, égorgé vivant par un couteau aiguisé qui laisse le sang se vider de la bête agonisante… Quelle est cette soi-disant pureté rituelle qui inflige à un animal une telle souffrance inutile ?

Plutôt que de faire feu sur la corrida, les députés feraient mieux de se pencher sur les conditions de l’abattage industriel en France ! Un tiers des abattoirs ne respecte pas les normes européennes en la matière… L’enjeu est autrement plus important pour le respect de la vie animale.

S’habituer à tuer les nouveau-nés des bêtes prépare les hommes à éliminer leurs propres nouveau-nés sans aucune objection de leur conscience, au contraire… Par quel obscurcissement de la raison en est-on venu à massacrer la vie à peine éclose au nom de Dieu, ou au nom du goût ? !

 

Du sacrifice humain à l’offrande de soi

Le mouvement historique de l’éveil spirituel humain va pourtant en sens inverse, quand on l’observe sur le temps long. L’humanité a commencé par croire que les dieux exigeraient du sang humain pour leur être favorables, ou pour se nourrir, ou pour rétablir l’ordre du monde. Les marches ruisselantes de sang des pyramides cultuelles des Olmèques, des Aztèques, des Incas racontent les milliers de sacrifices humains que les dieux exigeaient régulièrement pour soi-disant maintenir l’harmonie du cosmos, l’abondance des récoltes, la victoire sur les ennemis. Alors on décapitait, on éviscérait, on arrachait le cœur palpitant avec allégresse dans un culte sanglant, qui avait en outre l’immense avantage d’étendre le règne de la terreur… 

 

La portée animalière du sacrifice du Christ dans Communauté spirituelle En6yrmKVEAAV2ES-1Ces mentalités archaïques existent encore dans la Bible : même Abraham est tenté par le sacrifice humain, et croit comme les autres qu’immoler son fils sur l’autel plaira au nouveau Dieu qu’il commence à découvrir. La substitution Isaac-bélier (ou Ismaël-mouton selon la version coranique inventée par Mohamed pour arabiser le récit) était donc déjà un immense progrès : le peuple juif disait au monde entier que les sacrifices humains ne peuvent honorer Dieu. « Tu ne tueras pas » s’adresse d’abord à ces sacrificateurs barbares qui croient qu’éliminer une vie humaine peut glorifier Dieu !

Hélas, cette folie n’a pas disparu tout de suite, ni entièrement, de la Bible. Même le grand prêtre y cède lorsqu’il avoue un calcul sordide de tous les âges : « il vaut mieux qu’un seul homme meure plutôt que tout le peuple » (Jn 11,50)… Sacrifions l’innocent pour sauver les coupables !
Staline affamant les ukrainiens par millions en 1932 (l’Holodomor), ou Poutine justifiant les mi
lliers de morts, de viols, de tortures et les millions d’exilés au nom de la « Sainte Russie » sont sans le savoir dans cette logique sacrificielle archaïque : il vaut mieux que quelques ukrainiens meurent pour préserver la Sainte Russie… Les Aztèques arrachant le cœur de leurs victimes sacrificielles étaient hélas des petits joueurs à côté des monstres de ces deux derniers siècles !

 

image026 agneau dans Communauté spirituelleReste que le peuple juif a réussi progressivement à substituer l’animal à l’homme dans le sacrifice rituel. Mais sans réfréner son ardeur pour faire pression sur Dieu afin d’obtenir ses faveurs : la fumée des holocaustes a tellement envahi le Temple qu’elle a fini par incommoder les narines divines : « Que m’importe le nombre de vos sacrifices ? – dit le Seigneur. Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’y prends pas plaisir » (Is 1, 11).

 

Il faut saluer ici le travail des prophètes qui ont inlassablement œuvré à spiritualiser le sacrifice : ce n’est pas la multiplication des carcasses fumantes qui compte, mais la disposition du cœur qui se présente devant l’autel du Temple : « Le Seigneur aime-t-il les holocaustes et les sacrifices autant que l’obéissance à sa parole ? Oui, l’obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité vaut mieux que la graisse des béliers » (1 S 15, 22). « Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes, je ne les accueille pas ; vos sacrifices de bêtes grasses, je ne les regarde même pas. Éloignez de moi le tapage de vos cantiques ; que je n’entende pas la musique de vos harpes. Mais que le droit jaillisse comme une source ; la justice, comme un torrent qui ne tarit jamais ! » (Am 5, 22‑24)

Le prophète Jérémie semble même suggérer que les sacrifices d’animaux n’ont pas été voulus par Dieu, mais ne relèvent que d’une tradition purement humaine : « Je n’ai rien dit à vos pères, ni rien ordonné, à propos des holocaustes et des sacrifices, le jour où je les fis sortir du pays d’Égypte. Mais voici l’ordre que je leur ai donné : ‘Écoutez ma voix : je serai votre Dieu, et vous, vous serez mon peuple ; vous suivrez tous les chemins que je vous prescris, afin que vous soyez heureux’ » (Jr 7,22‑23).

 

Peu à peu s’est imposée l’idée que tuer les animaux étaient aussi peu agréable à Dieu que tuer des humains, et que le vrai sacrifice est de lui offrir un cœur humble et désireux d’aimer : « Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste. Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé » (Ps 51,18‑19). 

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À tel point que, même si les juifs bâtissaient un troisième Temple à Jérusalem, les rabbins disent tous que leur interprétation de la Torah n’obligerait plus à y sacrifier des bœufs, des moutons, des agneaux ou des colombes en offrande rituelle. Car le véritable sacrifice n’est pas d’offrir quelque chose d’extérieur à soi, mais bien de s’offrir soi-même : « En entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté » (He 10,4‑10).

Il est clair que par rapport à cette longue évolution de la conscience humaine, le retour au sacrifice du mouton par les musulmans à partir du VII° siècle est une régression historique difficilement supportable pour qui accorde du prix à la vie et veut échapper à l’archaïsme de l’échange païen troquant un animal contre une faveur divine… Et les animistes en Afrique noire continuent d’égorger des bœufs, des poulets etc. pour se concilier les bonnes grâces des ancêtres ou des esprits…

 

Le respect du bien-être animal et l’urgence écologique sont deux prises de conscience majeures du XXI° siècle (avec le féminisme en Occident), comme le furent l’abolition de l’esclavage au XVIII° siècle ou la décolonisation au XX° siècle. Les chrétiens s’en réjouissent, et y participent de tout cœur !

Par contre, l’Occident s’entête à faire du non-respect de la vie humaine à naître un droit individuel érigé en absolu, ce qui semble en contradiction totale avec le respect du vivant prôné pour l’animal ou l’écosystème… Incohérence flagrante qui sera jugée sévèrement par les générations futures.

 

La portée animalière de l’agneau de Dieu

Mais revenons à nos moutons, si l’on peut dire ! En désignant Jésus comme l’Agneau de Dieu, Jean-Baptiste le revêt d’un symbolisme universel : la douceur (sa laine, sa frimousse), son innocence (il n’est ni ne sera le prédateur de personne), son obéissance (il fait confiance à sa mère), son sens du collectif (le troupeau), sa promesse d’abondance (lait, laine, viande). Le contraste est alors saisissant avec l’Agneau immolé de l’Apocalypse : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange » (Ap 5,12). Si le Christ en croix est cet agneau immolé par la méchanceté humaine, comment continuer à mettre des agneaux à mort pour le plaisir de l’assiette ? Comment prétendre fêter l’Agneau de Dieu par un gigot pascal ?

 

Agneau Mystique (Gand) des frères Van EyckD’ailleurs, le terme grec mis par Jean sur les lèvres de Jean-Baptiste pour désigner l’agneau (μνς = amnos) n’est pas celui que la liturgie juive emploie pour l’agneau du sacrifice rituel (πρβατον = probaton). La liturgie au Temple sacrifiait matin et soir deux beaux agneaux à Dieu : « Voici ce que tu mettras sur l’autel : des agneaux de l’année, deux par jour, perpétuellement. Le premier agneau (πρβατον), tu le mettras le matin ; et le second agneau (πρβατον), au coucher du soleil. (…) Tel sera l’holocauste perpétuel que vous ferez d’âge en âge » (Ex 29,38‑42). Les chrétiens ont peut-être identifié trop vite ces deux sortes d’agneau. Il n’y a en effet que 2 occurrences du mot μνς dans les Évangiles, et c’est dans la bouche de Jean qui parle de l’Agneau de Dieu (sens filial). Les deux autres usages sont déjà des relectures sacrificielles après coup. Ainsi les Actes des Apôtres attestent que les premières communautés chrétiennes ont relu Isaïe et son serviteur–agneau à la lumière de la déclaration de Jean-Baptiste. Le diacre Philippe explique à l’eunuque éthiopien dans son char la lecture d’Isaïe qui l’intrigue : « Le passage de l’Écriture qu’il lisait était celui-ci : Comme une brebis (πρβατον), il fut conduit à l’abattoir ; comme un agneau (μνς) muet devant le tondeur, il n’ouvre pas la bouche » (Ac 8,32 citant Is 53,7). Ce qui superpose clairement les deux interprétations : filiale (μνς) et sacrificielle (πρβατον). 

 

Pour l’Exode, Moïse demande de sacrifier un agneau sans tache : « Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. » (Ex 12, 5). Pierre y verra la préfiguration du sacrifice du Christ : « Vous le savez : ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ » (1 P 1, 18‑19). Jean renforcera ce sens sacrificiel en mentionnant que, comme pour l’agneau pascal, « les soldats ne brisèrent pas les jambes à Jésus, [...] Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé » (Jn 19,33.36 citant Ex 12,46 et Ps 34, 21). Le sang qui jaillit de son côté ouvert rappelle le sang de l’agneau sur le linteau des maisons des hébreux, les protégeant de la mort des nouveau-nés etc.

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Le mot agneau évoque donc irrésistiblement un sens sacrificiel : animal égorgé (sacrifice de communion) ou brûlé (holocauste). Quand on projette l’interprétation sacrificielle sur l’Agneau de Dieu de Jean-Baptiste, cela renforce encore davantage la portée animalière de ce sacrifice : trancher la gorge à des agneaux pour fêter le Christ serait l’immoler une deuxième fois ! Tuer le nouveau-né innocent, c’est annuler la dénonciation de la violence meurtrière que symbolise l’Agneau immolé toujours vivant de l’Apocalypse !

 

Si le vrai sacrifice est l’offrande de soi, uni au Christ, comment continuer les pratiques archaïques et finalement idolâtres des sacrifices d’animaux ?

 

Chaque fois qu’on vous servira une assiette d’un délicieux gigot aillé, d’une brochette rôtie ou d’une épaule juteuse, redites-vous la phrase de Jean-Baptiste : « voici l’Agneau de Dieu », et voyez alors si vous êtes capable de cautionner la violence qui a tué le Christ.…

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE

« Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49, 3.5-6)

 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Le Seigneur m’a dit : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. » Maintenant le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force. Et il dit : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »

 

PSAUME

(Ps 39 (40), 2abc.4ab, 7-8a, 8b-9, 10cd.11cd)
R/ Me voici, Seigneur, je viens faire ta volonté. (cf. Ps 39, 8a.9a)

 

D’un grand espoir j’espérais le Seigneur :
il s’est penché vers moi
Dans ma bouche il a mis un chant nouveau,
une louange à notre Dieu.

 

Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice,
tu as ouvert mes oreilles ;
tu ne demandais ni holocauste ni victime,
alors j’ai dit : « Voici, je viens. »

 

Dans le livre, est écrit pour moi
ce que tu veux que je fasse.
Mon Dieu, voilà ce que j’aime :
ta loi me tient aux entrailles.

 

Vois, je ne retiens pas mes lèvres,
Seigneur, tu le sais.
J’ai dit ton amour et ta vérité
à la grande assemblée.

 

DEUXIÈME LECTURE

« À vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ » (1 Co 1, 1-3)

 

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Paul, appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre du Christ Jésus, et Sosthène notre frère, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus et sont appelés à être saints avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre.
À vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ.

 

ÉVANGILE

« Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29-34)
Alléluia. Alléluia.« Le Verbe s’est fait chair, il a établi parmi nous sa demeure. À tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. » Alléluia. (cf. Jn 1, 14a.12a)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, voyant Jésus venir vers lui, Jean le Baptiste déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ; c’est de lui que j’ai dit : L’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas ; mais, si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il soit manifesté à Israël. » Alors Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.’ Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »
Patrick Braud

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7 janvier 2023

Épiphanie : que peuvent les religions en temps de guerre ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Épiphanie : que peuvent les religions en temps de guerre ?

 

Homélie pour la fête de l’Épiphanie / Année A 

08/01/2023

 

Cf. également :

Signes de reconnaissance épiphaniques
L’Épiphanie du visage

Épiphanie : tirer les rois
Épiphanie : êtes-vous fabophile ?
Épiphanie : l’économie du don
Épiphanie : Pourquoi offrir des cadeaux ?
Le potlatch de Noël
Épiphanie : qu’est-ce que l’universel ?
L’Épiphanie, ou l’éloge de la double culture
L’inquiétude et la curiosité d’Hérode
Éloge de la mobilité épiphanique
La sagesse des nations

 

Sant’Egidio 2022 - Emmanuel Macron : “les responsables religieux ont un rôle essentiel, ils contribuent à la trame de nos sociétés”Une intervention récente d’Emmanuel Macron est passée inaperçue, sans doute à cause de l’inculture philosophique et religieuse de nos journalistes, de leurs craintes de franchir les sacro-saintes barrières de la laïcité… Il s’agit de son discours devant la communauté Sant’Egidio, le 23 octobre dernier.

On sait le rôle très politique, notamment de médiation, que Sant’Egidio a déjà joué dans le passé dans des conflits armés. Réfléchissant sur la guerre en Ukraine, Sant’Egidio avait invité Emmanuel Macron à parler du rôle que peuvent jouer les religions en temps de guerre, de son point de vue de Président de la République française impliquée avec l’Europe et l’OTAN dans le soutien à l’Ukraine agressée par la Russie. 

« Que peuvent les religions ? Je pense qu’elles peuvent beaucoup et que les politiques que nous sommes, je le dis au sens générique du terme, en tant que femmes et hommes qui ont décidé de s’occuper de la vie de la cité, en ont besoin. (…) Donc je pense que les responsables religieux ont un rôle essentiel en tant qu’ils contribuent à la trame de nos sociétés, à ces relations entre les individus et à un rapport au temps long » [1].

Reconnaissons cependant que le reste de son discours n’était pas toujours très limpide…

Alors exerçons nous, à la lumière de l’Épiphanie fêtée ce dimanche, à plaider pour au moins quatre dimensions du rôle que les chrétiens (pas seulement les clercs !) - et toutes les religions ? - pourraient et devraient assumer en temps de guerre.

 

1. Ne pas instrumentaliser le Nom de Dieu

Le président russe Vladimir Poutine assiste seul à un office pour Noël dans une église du Kremlin, le 6 janvier 2023Hérode - « ce renard » comme dirait Jésus (Lc 13,32) – veut ruser avec les mages pour obtenir le lieu de naissance de son concurrent potentiel. S’il arrive à tuer ce prétendant dans l’œuf – ou du moins dès sa naissance – il aura le champ libre pour se prétendre la seule royauté autorisée par Dieu sur Israël. Se servir de l’Écriture pour justifier ses propres intérêts est le péché originel de tous les clergés, de tous les rois et autres pouvoirs se réclamant de Dieu. Le « Gott mit uns » sur le ceinturon des nazis est repris par le patriarche orthodoxe russe Kirill de Moscou, pour bénir les armées de Poutine et justifier l’injustifiable en Ukraine ! Au nom de la « Sainte Russie », de sa soi-disant mission de civilisation contre l’Occident hérétique et décadent, Kirill fournit au pouvoir russe un appui idéologique majeur, aussi meurtrier que l’était la justification de l’esclavage, de l’apartheid, de la colonisation ou de la peine de mort autrefois par les Églises.

Kirill, le primat de l’Église orthodoxe russe, avait donné sa bénédiction à l’opération militaire spéciale en mars 2022, en la présentant comme un affrontement eschatologique entre l’Occident décadent et la Russie championne des valeurs traditionnelles. Lors d’un sermon en septembre 2022, il était allé plus loin en affirmant que la mort au front en Ukraine était un « sacrifice qui lavait tous les péchés que l’on a commis ».

Dans une homélie au ton très politique, prononcée dimanche 27 février 2022 à la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou, Kirill a fustigé ceux qui luttent – qualifiés de « forces du mal » – contre l’unité historique de la Russie et de l’Ukraine.

Il a félicité Vladimir Poutine, vendredi 7 octobre, pour son 70° anniversaire : « Dieu vous a placé au pouvoir pour que vous puissiez effectuer une mission d’une importance particulière et d’une grande responsabilité pour le sort du pays et de son peuple qui vous a été confié », a assuré le patriarche, âgé de 75 ans. « Que le Seigneur préserve la terre russe. (…) Une terre dont font partie aujourd’hui la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie (…) ».

 

Épiphanie : que peuvent les religions en temps de guerre ? dans Communauté spirituelle 309536_167643693329755_167581906669267_298812_1174912345_nInstrumentaliser le Nom de Dieu est le propre des gens très (trop) religieux, qui finissent par vouloir imposer leur conception du monde, et convoquent Dieu pour servir leurs intérêts. 

Pourtant le Tétragramme YHWH interdit aux juifs de prononcer le Nom de Dieu, justement pour ne pas l’instrumentaliser en croyant savoir qui il est. La charia est le type même de ce genre d’absolutisme prétendant dicter la voix de Dieu à la société et ne servant en réalité que les intérêts des oulémas, des mâles, barbus, s’enrichissant sur le dos du peuple. Les Afghanes, les Iraniennes, les Saoudiennes, les Yéménites etc. en savent quelque chose, hélas !

 

Pourtant c’est l’un des commandements du Décalogue : « Tu n’invoqueras pas en vain le Nom du Seigneur ton Dieu, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son Nom » (Ex 20,7).

 amour dans Communauté spirituelleCouvrir les ambitions de Poutine par l’encens et l’or des liturgies orthodoxes, soumettre les femmes par l’imposition d’un Coran ou d’une charia écrite de mains d’hommes, bénir les croisades, les dictatures de tous poils, justifier les pires crimes au nom de la défense d’une Église… : nous n’en avons pas fini avec cette hypocrisie religieuse qui à force de génuflexions et de prières finit par lapider l’innocent et crucifier le prophète.
L’Église orthodoxe russe notamment doit renoncer à la théorie de la « symphonie des pouvoirs » symbolisée par l’aigle bicéphale présent sur tous les drapeaux derrière Poutine (tout comme l’Église de Rome a fini par renoncer à la « théorie des deux glaives », qui subordonnait le pouvoir temporel au pouvoir spirituel, l’empereur au pape). Selon cette théorie, le patriarche de Moscou s’occupe des âmes pendant que le tsar s’occupe des corps, et les deux pouvoirs marchent main dans la main pour établir le royaume de Dieu sur la terre.

Le premier rôle des chrétiens est donc de dénoncer toute instrumentalisation de leur foi, qui n’est pas au service d’Hérode, ni de Pilate.

 

2. Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent (Ps 85,11)

À l’Épiphanie, les mages pratiquent l’amour en offrant leurs cadeaux, mais ils acceptent de faire pour cela une « opération vérité » : ils reconnaissent que non, les astres ne sont pas de minis-dieux dictant nos destinées. D’ailleurs l’étoile des mages s’efface à Jérusalem devant la lecture de la Bible, bien plus éclairante pour trouver le Messie que la lumière des astres. Et quand l’étoile réapparaît, c’est pour valider en quelque sorte l’interprétation biblique, et reconnaître que c’est elle qui a donné la bonne direction, pas l’astrologie ! Pas d’amour sans faire la vérité sur nos pratiques idolâtres…

À l’inverse, la pax romana qu’Hérode maintenait par la force en Israël était une paix injuste, extorquant impôts et taxes au petit peuple pour enrichir les puissants, les collabos, foulant aux pieds l’identité et la culture juive ne reconnaissant que YHWH comme empereur… Pas de paix sans justice !

 

 guerreLe risque est grand de vouloir résoudre la guerre en Ukraine par une lâcheté organisée : pour ‘avoir la paix’, l’Occident imposerait à l’Ukraine de renoncer à retrouver ses frontières garanties par le droit international. Or juifs et chrétiens ne cessent de proclamer avec le psaume 85 : « justice et paix s’embrassent ». Autrement dit : pas de paix sans justice, pas de justice sans paix. Si la paix est injuste, comme le fut celle après 1870 ou 1918, elle nourrira rancœurs, colères et sentiments de revanche. C’est peut-être l’erreur du monde en 1991, lors de la dislocation de l’empire soviétique : les puissants ont vite réparti les peuples entre des lignes dont on peut douter aujourd’hui de la pertinence totale.

Mais depuis, il y a eu le mémorandum de Budapest, les accords de Minsk, et les obligations du droit international pour garantir les frontières actuelles, sauf libre volonté de tous les pays concernés. Accepter que ces droits soient bafoués préparerait une paix sans justice dans un engrenage de violence à venir ensuite. D’un côté comme de l’autre. Sans compter que cela ouvrirait la voie à d’autres coups de force pour s’emparer violemment de territoires convoités (Taiwan, Arménie, Sahel, États baltes…).

 

Le psaume qui unit justice et paix unit également amour et vérité : « Amour et vérité se rencontrent ». Pas d’amour sans vérité : les chrétiens se battent pour que les mensonges russes (et ukrainiens s’il y en a) soient  démasqués. Dire la vérité sur la nature du régime de Poutine, sur la compromission des orthodoxes russes, sur les crimes de guerre commis par les soldats et le pouvoir russe etc. est au cœur de la mission prophétique de notre Église. On peut quelquefois regretter la trop prudente diplomatie vaticane qui n’ose pas assez élever la voix en la matière [2]. Le précédent du silence pontifical sur les déportations des juifs devrait pourtant nous pousser à dire la vérité sur ce qui se passe sur le terrain…

Pas d’amour sans vérité, donc. Pas de vérité sans amour non plus : nous ne prêchons pas la haine, ni la revanche, mais la justice dans la vérité.
Les Églises de l’Est doivent raconter la vérité sur leurs peuples, et ne pas céder à la mythologisation de l’histoire opérée par le pouvoir russe ou d’autres pouvoirs locaux.

 

 

3. Pratiquer l’amour des ennemis, jusqu’au pardon

De l'amour des ennemis et autres méditations sur la guerre et la politique Olivier AbelNos mages évitent soigneusement Hérode pour rentrer chez eux, car ils savent que ce sera le conflit ouvert s’ils repassent devant lui. Comme disait Sun Tzu dans l’art de la guerre, le meilleur moyen d’être en paix est d’éviter la guerre autant que possible.

À l’inverse, Hérode voit en Jésus un ennemi et n’hésite pas à massacrer tous les nouveau-nés de la région pour éliminer ce rival.

Les chrétiens ont à cœur dans les conflits de ce temps de ne pas diaboliser l’ennemi, quel qu’il soit, de laisser ouverte la porte à la réconciliation (après), de pratiquer l’amour des ennemis sans renoncer au combat pour la justice. Rappelons à tous sans nous lasser qu’aimer nos ennemis n’est pas approuver leurs injustices, leurs crimes. C’est croire que leur dignité d’enfant de Dieu n’est pas effacée mais salie par leurs actes. C’est vouloir réveiller en eux cette dignité en leur tendant l’autre joue, la joue intacte, comme un miroir, la joue non offensée pour qu’eux-mêmes retrouvent en eux l’image divine ensevelie sous les décombres du mal commis.

Les chrétiens ont ainsi déjà témoigné, en Afrique du Sud, au Rwanda, et même en Europe entre Allemands  et Français, que la réconciliation est toujours possible, à condition que vérité soit faite sur les exactions perpétrées.
Ce n’est peut-être pas possible pour les générations actuellement en guerre au vu des atrocités commises, mais elles doivent le préparer pour leurs enfants et petits-enfants.

 

4. Tenir à l’universalisme chrétien

Hérode n’est intéressé que par le Roi des juifs. Les mages cherchent celui à qui même les astres obéissent. Le premier veut rester maître de son territoire. Les seconds quittent leur pays pour chercher le vrai Dieu, le Dieu de tous. La tradition a raison de décrire la composition de cette ambassade comme universelle (selon la géographie de l’époque) : un Africain (Balthazar), un asiatique (Gaspard), un Européen (Melchior).

arton79465 justiceLe Messie nouveau-né fait éclater les prétentions nationalistes étroites. Il est le roi de l’univers, pas seulement de Judée. Autrement dit, les valeurs du christianisme évoquées plus haut sont universelles. Ni occidentales, ni africaines, ni asiatiques : pour tous les peuples, toutes les cultures, tous les régimes politiques. Ne pas instrumentaliser le Nom de Dieu s’impose à tous. Conjuguer amour et vérité, justice et paix est le devoir sacré de toute l’humanité, depuis l’ONU jusqu’au Liechtenstein. Aimer nos ennemis jusqu’à la réconciliation est le défi lancé aux Russes comme Nord-coréens, aux Chinois comme aux Européens. Ce ne sont pas des valeurs occidentales seulement. L’Épiphanie manifeste la dimension universelle du message du Christ, né au Proche-Orient, mûri en Europe, adopté par l’Afrique, promis à l’immense Asie.

Ne renonçons pas à notre universalisme sous prétexte du respect de chaque culture ! Car alors le relativisme ne serait pas loin. Et le relativisme ouvre la porte à toutes les injustices, car ce que vous trouvez mal ici sera déclaré bien ailleurs…

 

Finalement, l’Épiphanie est une fête très politique !

Elle appelle les chrétiens à jouer leur rôle en temps de guerre, à ne pas déserter le témoignage rendu aux quatre valeurs ci-dessus. Elle appelle tous les hommes de bonne volonté à s’examiner loyalement pour entrer en discussion avec l’ennemi. Le Messie adoré par les Mages n’est-il pas venu inaugurer un monde nouveau, où selon la prophétie de Michée : « de leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre » (Mi 4, 3) ? 

 

_______________________________________

[1]https://preghieraperlapace.santegidio.org/pageID/31533/langID/fr/text/4021/Emmanuel-Macron-au-Cri-de-la-Paix.html

[2]. La dénonciation la plus nette est celle du mercredi 23 novembre dernier. Lors de son audience hebdomadaire, le pape François a comparé le « martyre de l’agression » du pays par la Russie à la famine provoquée en Ukraine par Staline au début des années 1930, aussi appelée « génocide du Holodomor », qui a fait de 2 à 5 millions de victimes parmi les ukrainiens. L’Église orthodoxe russe est toujours restée muette sur ce crime…

 

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« La gloire du Seigneur s’est levée sur toi » (Is 60, 1-6)

 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

 

Psaume
(Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13)
R/ Toutes les nations, Seigneur, se prosterneront devant toi.
 (cf. Ps 71,11)

Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !

 

En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !

 

Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

 

Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

 

Deuxième lecture
« Il est maintenant révélé que les nations sont associées au même héritage, au partage de la même promesse » (Ep 3, 2-3a.5-6)

 

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.

 

Évangile
Nous sommes venus d’Orient adorer le roi (Mt 2, 1-12) Alléluia. Alléluia.
Nous avons vu son étoile à l’orient, et nous sommes venus adorer le Seigneur. Alléluia. (cf. Mt 2, 2)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Patrick BRAUD

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25 décembre 2022

Marie, notre sœur

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 14 h 00 min

Marie, notre sœur

 

Homélie pour la fête de Marie Mère de Dieu / Année A 

01/01/2023

 

Cf. également :

Devenir la Mère de Dieu

Marie Theotokos, ou la force de l’opinion publique

Intercéder comme Marie

Quelle place a Marie dans votre vie ?

 

Mère et sœur

Ce dimanche, nous invoquons Marie sous le titre impressionnant de « Mère de Dieu ». Et c’est juste de l’appeler ainsi, puisque son fils est pour nous vrai homme et vrai Dieu. Le texte patristique de l’Office des Lectures de ce dimanche nous met également sur une autre piste : invoquer Marie comme notre sœur en humanité. 

Marie, notre sœur dans Communauté spirituelle grande-soeur-geniale-famille« Marie est notre sœur, puisque nous descendons tous d’Adam »

(St Athanase, IV° siècle). 

Fêter Marie Mère de Dieu le 1er janvier, c’est célébrer en elle la promesse d’une humanité transfigurée, le début d’une ère nouvelle capable d’accueillir en son sein la vie divine. 

Voilà pourquoi cette femme juive est pour nous comme « une introduction à la joie », selon la belle expression d’André de Crète, évêque du VII° siècle. C’est comme l’ouverture sublime d’un opéra, où sont annoncés en filigrane les grands thèmes à venir. Avec elle l’Église contemple l’annonce de son propre re-création ; elle découvre le visage d’une humanité réconciliée. En Marie, dès sa naissance, l’Église se reconnaît, en espérance.
Enfin l’une d’entre nous va pouvoir nous ouvrir la voie sur le chemin du oui à Dieu !
Enfin une sœur de chez nous, une créature comme nous, nous assure dès ses débuts que nous sommes bien faits pour devenir la demeure de Dieu, l’écrin de sa beauté, le Temple de sa présence !


Éphrem le syrien, poète de Marie au IV° siècle, s’écriait :

« Certes, elle est ta mère, elle l’est, elle seule ; mais avec tous, ta sœur » (Hymne Nativité 4911).

Notre sœur en humanité est pour nous aujourd’hui le signe d’une humanité déjà transfigurée, renouvelée.  Réjouissons-nous, car c’est bien cela notre avenir déjà à l’œuvre en nos vies : naître, renaître, laisser Dieu naître en nous pour enfin naître à nous-même…

« Que toute la création chante et danse, qu’elle contribue de son mieux à la joie de ce jour.
Que le ciel et la terre forment aujourd’hui une seule assemblée, que tout ce qui est dans le monde et au-dessus de lui s’unisse dans le même concert de fête.

Aujourd’hui en effet s’élève le sanctuaire créé où résidera le créateur de l’univers, et une créature, par cette disposition toute nouvelle, est préparé pour offrir au créateur une demeure sacrée ».

(André de Crète ; Homélie pour la Nativité de la Ste Mère de Dieu)

Vatican II unit Marie à chacun de nous : loin d’être à part, coupée de son peuple, Marie de Nazareth est l’une d’entre nous : « elle se trouve aussi, comme descendante d’Adam, réunie à l’ensemble de l’humanité qui a besoin de salut » (Vatican II, LG 53).

 

Quelles conséquences sur notre prière si en plus d’invoquer la Mère de Dieu nous lui disions avec confiance : Marie, toi notre sœur… ?

 

« Béni sois-tu Seigneur, qui ne m’a pas fait femme »

157_COUV-737x1024 berakah dans Communauté spirituelleMarie renverse la table des anciennes hiérarchies sociales que même le peuple juif a sacralisées dans sa prière. En effet, au cours des premiers siècles après Jésus, les rabbins ont formalisé dans le Talmud les différentes prières du jour, et notamment celle du matin qui comprend une triple bénédiction récitée obligatoirement par les hommes aujourd’hui encore : « béni sois-tu Seigneur de ne m’avoir fait ni esclave, ni femme, ni non-juif ». Pendant que les hommes bénissent de ne pas être femme, les femmes elles doivent se contenter de leur sort et bénir Dieu pour cela en disant : « béni sois-tu Seigneur de m’avoir faite selon ta volonté ».

 

Incroyable ! Bénir Dieu de ne pas être une femme ! 

Embarrassés par la lettre de cette berakah insupportable aujourd’hui, les rabbins ont multiplié les commentaires pour tenter d’expliquer cette misogynie apparente.

- Une première ligne d’interprétation constate simplement que le sort des hommes est plus enviable que celui des femmes dans toutes les sociétés traditionnelles (domination masculine, infériorité féminine etc.). Mais de là à bénir Dieu pour ce rapport de force injuste…

- Une autre ligne de commentaires rappelle que la femme n’est pas soumise au commandement (mitsvots) liés au temps, car elle a en elle une autre mesure du temps biologique (cycle menstruel) qui prime sur tout. Ainsi la femme a moins de mitsvots à observer que l’homme (comme la soukka, le shofar ou le loulav etc.). L’homme peut alors bénir Dieu qui lui a donné plus de travail religieux en quelque sorte en lui prescrivant plus de commandements à observer. L’homme aime tellement la Torah qu’il se réjouit de devoir en faire plus que la femme !
Cette exégèse du Talmud de Jérusalem est un peu tirée par les cheveux. Au moins, elle réhabilite la différence homme-femme comme structurante de la vie d’Israël.

- Pire encore, certains rabbins estiment que l’observation des mitsvots détournerait la femme de sa soi-disant vocation domestique, en l’empêchant d’assumer la cuisine, le linge, la tenue de la maison etc. ! Interprétation culturellement datée, hélas encore trop courante.

- Éliette Abécassis (écrivaine contemporaines juives) est plus réaliste. Elle revient au constat terrible de la sujétion féminine toujours actuelle [1] :

« Merci de ne pas m’avoir fait femme ». Je comprends cette bénédiction ainsi : Les femmes portent le poids du monde. Elles portent leur enfant pendant neuf mois, elles accouchent dans des conditions difficiles, elles allaitent et s’occupent de leur enfant, mais aussi elles ont chaque mois la vie qui naît et meurt en elles. Tout joue contre elle : avoir ou ne pas avoir d’enfant, le travail, l’âge, la société qui ne cesse de les asservir. On vend leur corps, on achète leur esprit. Aujourd’hui, elles sont même victimes de la marchandisation de leur utérus. Elles sont esclaves. Elles sont enlevées et vendues.

Alors je comprends que ce soit une bénédiction de ne pas souffrir de tous ces maux. Cette bénédiction rappelle à l’homme chaque matin qu’il doit protéger sa femme, sa fille, sa sœur. Car la femme est toujours dans une position de faiblesse ».

Cette triple bénédiction négative devait déjà être plus ou moins en vogue du temps de Jésus, car il invente à partir du quotidien de la synagogue et du Temple la parabole du publicain et du pharisien, où ce dernier bénit Dieu au Temple de ne pas être comme le  publicain : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain » (Lc 18, 11). 

Comment peut-on bénir Dieu de ne pas être (négation) ? De ne pas être comme (comparaison) ? 

 

Il n’y a plus ni l’homme ni la femme

IS_140505_bo5p3_transgenres-illustration-2_sn1250 femmeOn comprend mieux la révolution par laquelle Paul a dynamité cette misogynie de la liturgie juive ! En effet, il affirme qu’en Christ « il n’y a plus ni juif, ni grec, ni esclave ni homme libre, ni l’homme ni la femme » (Ga 3,28). Il prend en cela l’exact contre-pied de la triple bénédiction matinale du Talmud (et de la séparation hommes/femmes à la synagogue toujours en vigueur, comme à la mosquée) ! Là où le judaïsme orthodoxe fige les différences en les sacralisant, le christianisme naissant annonce que c’est la communion qui est l’horizon ultime, relativisant ainsi des différences actuelles qui ne sont que temporaires. Paul invite ainsi les hommes et les femmes à renouer avec le meilleur de la tradition des psaumes : « je te bénis Seigneur pour la merveille que je suis » (Ps 138,3).

Et cela commence par Marie ! Elle se réjouit d’être femme. Elle se sait aimée de Dieu son Seigneur, son Sauveur, qui se penche sur son humble servante. Elle ose même annoncer que tous les âges la diront bienheureuse, elle, une femme, la première créature à être ainsi proposée en icône du bonheur à toute l’humanité ! Car le Christ n’est pas une créature humaine (« engendré non pas créé »), et donc Marie est bien la première créature à être ainsi élevée au plus haut point.

Depuis Marie, depuis Paul, il ne devrait plus y avoir aucune misogynie dans la prière et l’action de l’Église. Puisque Marie est notre sœur, elle abolit toute échelle de comparaison, d’infériorité, de négation entre l’homme et la femme, dans quelque domaine que ce soit.

 

Tu es notre sœur

Les femmes de ce temps peuvent trouver en Marie le courage de surmonter toutes les discriminations dont on les accable.

Elle est une créature humaine, formée de la même argile fragile et merveilleuse avec laquelle nous sommes tous formés. Il y a eu un temps où Marie n’existait pas. Elle a des parents, une famille, un peuple, une tradition.

Comme nous, Marie est passée par les divers âges de la vie. Elle n’a pas la vie faite par anticipation. Elle expérimente la faiblesse, la fatigue, la douleur (Lc 2,35) et la mort ; c’est un être humain qui fait des découvertes et qui a aussi des moments ou des phases de perplexité et d’incompréhension (Lc 2,41-51). Elle est notre sœur.

Lors de la Présentation de Jésus au Temple, quarante jours après sa naissance, ses parents apportent une paire de tourterelles ou deux colombes (Lc 2,24) : c’est l’offrande des pauvres. Les pauvres qui travaillent de leurs mains peuvent dire : c’est notre sœur.

 

Les Iraniennes qui se coupent les cheveux en public et manifestent suite à la mort de Masha Amini reconnaîtront en Marie une femme libre à qui on a imposé le voile sans parvenir à tuer sa liberté d’engendrer : tu es notre sœur.

Les Ukrainiennes qui sont violées par les soldats russes devant leurs enfants pourront se tourner vers Marie qui a connu la honte d’une grossesse non conforme : tu es notre sœur.

Les Saoudiennes, les Afghanes, les filles et femmes de ces États musulmans où les sourates misogynes du Coran sont appliquées au pied de la lettre, jusqu’à être considérées comme mineures, soumises à des règles de pureté légale insupportables, corvéables à merci, suspectées de sorcellerie, inférieures à l’homme pour l’héritage, le permis de conduire, le compte bancaire, le droit de voyager seule, de s’habiller librement, de divorcer, d’étudier etc., toutes les femmes musulmanes peuvent se tourner vers Marie : tu es notre sœur

Voilà pourquoi proclamer cette jeune femme de Nazareth Mère de Dieu est un événement considérable dans l’histoire des relations homme-femme ! C’est la contestation de toute inégalité, même et surtout dans l’Église ! C’est l’appel à ne plus comparer, à bénir d’être soi et non de ne pas être autrui, à mettre les différences au service de la communion au lieu de les sacraliser etc.

Nous commençons à peine à tirer le fil rouge des conséquences sociales, ecclésiales, personnelles etc. de cette double proclamation : Marie, tu es notre sœur, tu es la Mère de Dieu. Sur ce point comme sur tant d’autres, le christianisme ne fait que commencer.

 

Pour prolonger cette méditation, je vous propose de prier le poème suivant, d’Hervé Aubin, saluant l’humanité de Marie comme un chemin ouvert devant nos pas : 

 

Notre mère
et notre sœur humaine


Vierge Marie,
notre mère et notre sœur humaine!
Tu as fait, toi aussi,
l’expérience de ne pas connaître l’avenir
et d’ignorer où te mèneraient
les chemins du Seigneur.

À certains jours,
ses projets t’ont bouleversée.
Plus d’une fois,
tes pourquoi sont restés sans réponse.
Et pourtant, jamais tu n’as cessé
de faire confiance à Dieu.
Même en deuil de ton fils,
tu as continué d’espérer,
alors qu’il n’y avait plus d’espoir…

Heureuse es-tu, toi qui as cru !
En toi s’est accomplie
la parole du Seigneur.
« Car rien n’est impossible à Dieu. »

Un avenir est promis
à ceux qui placent en Dieu leur espérance
et s’appliquent à marcher dans ses chemins.

C’est pourquoi nous refusons de perdre espoir
et de nous laisser aller au découragement et à la peur.

Malgré les misères de notre monde,
nous savons que Jésus est avec nous;
que l’énergie de sa résurrection
est à l’œuvre en vue d’un monde nouveau
où la tristesse et la mort auront disparu.

Nous t’en prions, Marie !
Obtiens-nous de collaborer
à ce royaume de justice et d’amour
pour lequel ton fils a voulu naître et mourir.
Sois avec nous sur la route,
ô toi, notre espérance et notre consolation !

Nous voulons croire comme toi.
Espérer comme toi.
Aimer ce Dieu qui nous aime
et nous appelle à marcher ensemble
vers la vie du monde à venir. Amen.


Hervé Aub
in, Prières, souffle de vie, Novalis, 2001.

 

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[1]https://www.tenoua.org/la-benediction-controversee/ 

 

 

 

LECTURES DE LA MESSE


1ère lecture : Vœux de paix et de bonheur (Nb 6, 22-27)


Lecture du livre des Nombres

Le Seigneur dit à Moïse :
« Voici comment Aaron et ses descendants béniront les fils d’Israël :
‘Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il se penche vers toi ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix !’ C’est ainsi que mon nom sera prononcé sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai. »

 

Psaume : 66, 2b.3, 5abd, 7.8b

R/ Que Dieu nous prenne en grâce et qu’il nous bénisse !

Que son visage s’illumine pour nous ;
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations. 


Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
sur la terre, tu conduis les nations.


La terre a donné son fruit ;
Dieu, notre Dieu, nous bénit.
Et que la terre tout entière l’adore !

2ème lecture : Le Fils de Dieu, né d’une femme (Ga 4, 4-7)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Galates

Frères, lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils ; il est né d’une femme, il a été sous la domination de la

vous êtes des fils : envoyé par Dieu, l’Esprit de son Fils est dans nos cœurs, et il crie vers le Père en l’appelant « Abba ! ». Ainsi tu n’es plus esclave, mais fils, et comme fils, tu es héritier par la grâce de Dieu.

 

Evangile : Jésus fils de Marie (Lc 2, 16-21)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Jadis, par les prophètes, Dieu parlait à nos pères ; aujourd’hui sa parole vient à nous en son Fils. Alléluia. (cf. He 1, 1-2)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Quand les bergers arrivèrent à Bethléem, ils découvrirent Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire. Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant. Et tout le monde s’étonnait de ce que racontaient les bergers. Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son coeur. Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu selon ce qui leur avait été annoncé.
Quand fut arrivé le huitième jour, celui de la circoncision, l’enfant reçut le nom de Jésus, le nom que l’ange lui avait donné avant sa conception.
Patrick Braud

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