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8 mai 2022

Ouvrir à tous la porte de la foi

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ouvrir à tous la porte de la foi

Homélie du 5° Dimanche de Pâques / Année C
15/05/2022

Cf. également :

Conjuguer le « oui » et le « non » de Dieu à notre monde
Dieu nous donne une ville
À partir de la fin !
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Persévérer dans l’épreuve
Comme des manchots ?
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
J’ai trois amours
Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses dures
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif
Dieu est un trou noir
Briefer et débriefer à la manière du Christ

Matteo Ricci et la querelle des rites chinois

Matteo RicciAvez-vous déjà entendu parler de cette controverse célèbre ? Elle opposa les jésuites et les Missions Étrangères de Paris (MEP) autour d’une question stratégique pour l’évangélisation de la Chine au XVII° siècle : faut-il occidentaliser l’Église chinoise naissante ou siniser la foi chrétienne ?
En effet, trente années après la mort de François Xavier aux portes de la Chine (1552), des jésuites italiens, Michel Ruggieri et Matteo Ricci, pénètrent dans ce territoire. Ils se font admettre dans la société des lettrés chinois. Leur souci est de respecter les coutumes et la culture chinoise. Ils vont jusqu’à adapter la célébration de la messe, et en 1615 le pape Paul V autorise la liturgie en chinois. Il fut accordé en particulier l’autorisation de célébrer la tête couverte, car tel était le signe du respect en Extrême-Orient. Ce point peut paraître mineur, mais c’était l’indice d’une adaptation possible des rites sacrés, dès lors que leur signification profonde n’en était pas altérée. La Congrégation de la Propagande, créée en 1622 par Grégoire XV, va dans le même sens.
Mais l’arrivée des ordres mendiants en Chine provoque la ‘querelle des rites chinois’. Ils dénoncent « avec horreur les pratiques des jésuites qui permettaient aux chrétiens chinois de rendre à Confucius et aux morts les honneurs traditionnels habituels aux idolâtres de ce pays ». La querelle opposera surtout les jésuites, défenseurs des rites chinois, et les missionnaires des MEP, adversaires.
Dans cette controverse il y avait trois points importants :
- la question de savoir si la commémoration des ancêtres était en pratique un rite civil ou si elle avait une signification religieuse,
- la question de savoir si les cérémonies exécutées en l’honneur de Confucius par des savants chinois étaient séculières ou religieuses,
- la question de savoir si on pouvait trouver un accord concernant le mot chinois le plus approprié pour exprimer le concept « Dieu ».

Après bien des interdictions et autorisations successives, Benoît XIV finit par condamner définitivement dans un décret l’usage des rites chinois en 1742. L’incompréhension dont la papauté fait preuve à l’occasion de la querelle des rites détourne alors nombre de Chinois : en 1717, l’empereur chinois Kangxi, qui avait publié un édit de tolérance en faveur de la foi catholique en Chine, est tellement mécontent de la décision de Rome qu’il retire l’édit en question. Dès 1723, les missionnaires sont expulsés et les chrétiens persécutés, fragilisant une Église qui ne comptait guère plus de 200 000 chrétiens en Chine dès la fin du XVII° siècle. L’Église venait de perdre une occasion de se développer à l’intérieur de la culture chinoise.
Pie XII allait mettre fin en 1939 à l’interdiction de pratiquer les « rites chinois ». Et en 1946 l’Église catholique en Chine sera autorisée et encouragée par le pontife romain à établir une hiérarchie autochtone de plein droit, acceptée par le gouvernement chinois.
Trop tard, pourrait-on dire ! La querelle des rites chinois était une occasion historique dont l’Église n’a pas su tirer parti pour se préparer aux mutations ultérieures.

Dans un premier temps cependant, les autorités romaines avaient pris le parti des jésuites, avec notamment en 1659 une lettre admirable de la Congrégation De Propaganda Fide aux vicaires apostoliques du Tonkin et de Chine. Cette lettre est devenue ensuite une charte de l’évangélisation en pays inconnu, inspirant des missionnaires envoyés en Amérique latine, en Asie, en Afrique, dans les îles et ailleurs les siècles suivants. La lettre énonce les principes de ce qu’on appellerait aujourd’hui l’inculturation de l’Évangile dans des pays non occidentaux :

Ouvrir à tous la porte de la foi dans Communauté spirituelle 220px-Ricci_Guangqi_2« Ne mettez aucun zèle, n’avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs à moins quelles ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois la France, lEspagne, l’Italie ou quelque autre pays d’Europe ? Nintroduisez pas chez eux nos pays, mais la foi, cette foi qui ne repousse ni ne blesse les rites ni les usages daucun peuple, pourvu quils ne soient pas détestables, mais bien au contraire veut quon les protège.

Il est pour ainsi dire inscrit dans la nature de tous les hommes d’estimer, d’aimer, de mettre au-dessus de tout au monde les traditions de leur pays et ce pays lui-même. Aussi n’y a-t-il pas de plus puissante cause d’éloignement et de haine que d’apporter des changements aux coutumes propres à une nation, principalement à celles qui y ont été pratiquées aussi loin que remontent les souvenirs des anciens. Que sera-ce si, les ayant abrogées, vous cherchez à mettre à la place les mœurs de votre pays, introduites du dehors ? Ne mettez donc jamais en parallèle les usages de ces peuples avec ceux de lEurope ; bien au contraire, empressez-vous de vous y habituer.

Admirez et louez ce qui mérite la louange. Pour ce qui ne le mérite pas, s’il convient de ne pas le vanter à son de trompe comme font les flatteurs, vous aurez la prudence de ne pas porter de jugement, ou en tout cas de ne rien condamner étourdiment et avec excès.

Quant aux usages qui sont franchement mauvais, il faut les ébranler plutôt par des hochements de tête et des silences que par des paroles, non sans saisir les occasions grâce auxquelles, les âmes une fois disposées à embrasser la vérité, ces usages se laisseront déraciner insensiblement ».

Il s’agissait donc de ne pas confondre la substance de la foi et son expression culturelle, le fond et la forme, le fruit et sa gangue. Que ce soit en matière de foi, de morale ou de liturgie, il est injuste d’imposer à un peuple des coutumes et des normes occidentales s’il a déjà dans son génie propre de quoi exprimer le cœur de l’Évangile.
La lettre indiquait également qu’il serait sage pour les missionnaires de se tenir à l’écart de toute affaire politique au sein des royaumes chinois, et de renoncer absolument à toute forme d’exercice du pouvoir, en lien avec le pouvoir colonisateur français notamment, pour éviter que l’annonce de l’Évangile soit polluée par des intérêts politiques :

« Aux peuples prêchez l’obéissance à leurs princes (…) ne critiquez pas leurs actions, même celles des princes qui vous persécuteraient. N’accusez pas leur dureté, ne reprenez rien dans leur conduite, mais dans la patience et le silence attendez de Dieu le temps de la consolation. Refusez-vous absolument à semer dans leurs territoires les germes d’aucun parti, espagnol, français, turc, persan ou autre. Bien au contraire, extirpez à la racine autant qu’il est en votre pouvoir toutes les rivalités de ce genre. Et si l’un de vos missionnaires, dûment averti, continue à alimenter de telles dissensions, renvoyez-le immédiatement en Europe, de peur que son imprudence ne mette les affaires de la religion en grand péril ».

Maximum illud. - Aux sources d'une nouvelle ère missionnaireLes objectifs sont clairs : créer un clergé autochtone, s’adapter aux mœurs et aux coutumes du pays tout en évitant de s’ingérer dans les affaires politiques, et enfin, ne prendre aucune décision importante sans en référer à Rome. Ajoutons que la condition de vie des missionnaires devrait s’inspirer de la pauvreté évangélique pour ne pas peser sur les communautés locales, et pour ne pas dépendre de l’argent étranger :

« Vous ne voudrez pas vous rendre odieux pour des questions matérielles. Souvenez-vous de la pauvreté des Apôtres qui gagnaient de leurs mains ce qui leur était nécessaire ».
‘Prêtres au travail’ aurait dû être la condition ordinaire des missionnaires, voire du clergé autochtone…

Benoît XV en rétablissant la légitimité d’une liturgie chinoise rappellera ce critère :

« Si le missionnaire se laisse en partie guider par des vues humaines et se préoccupe, fût-ce partiellement, de servir les intérêts de sa patrie, au lieu de se conduire en tout point en véritable apôtre, toutes ses démarches seront aussitôt discréditées aux yeux de la population ; celles-ci en viendront facilement à s’imaginer que le christianisme n’est que la religion de telle nation étrangère, que se faire chrétien est accepter la tutelle et la domination d’une puissance étrangère et renier sa propre patrie ».
Benoît XV, Maximum illud, 1919

 

Ouvrir aux nations la porte de la foi

Voyage_Paul_1 Camus dans Communauté spirituellePaul et Barnabé de retour à Antioche racontent leur voyage autour de la Méditerranée : Lystre, Iconium, Antioche de Pisidie, la Pamphylie, Pergé, Attalia, et finalement retour à Antioche de Syrie d’où ils étaient partis, envoyés par l’Église qui leur avait imposé les mains pour cela. Notre première lecture (Ac 14,21-27) montre ces deux envoyés faire leur débrief : ils racontent comment l’Esprit « a ouvert aux nations païennes la porte de la foi ». Superbe expression ! Pour en mesurer toute la portée, il faut se souvenir qu’aujourd’hui encore devenir juif implique d’accepter toutes les obligations et coutumes juives, de la circoncision au shabbat en passant par le châle de prière, les tsitsits etc. Les premiers chrétiens n’étaient jamais que des juifs messianiques, ils auraient pu vouloir obliger les païens à adopter toutes ces règles pour se convertir au Christ. D’ailleurs, c’est ce qui a failli arriver, sous la pression des juifs un peu traditionalistes de Jérusalem. Il aura fallu une assemblée plénière (« le premier concile ! ») et une vigoureuse intervention de Pierre racontant le baptême du centurion Corneille pour adopter une philosophie missionnaire dont la lettre de 1659 est très proche : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent : vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles, du sang, des viandes non saignées et des unions illégitimes. Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela. Courage ! » (Ac 15,28-29).

Du coup, on comprend qu’ouvrir aux nations la porte de la foi implique de ne rien leur imposer qui serait étranger au cœur du message. Et surtout ne pas confondre l’expression sémitique de la foi naissante avec son substrat essentiel. Sinon, comme il faut être de mère juive pour être juif, le christianisme des premiers siècles serait resté une petite secte confidentielle…
Il y avait tant d’interdits et d’obligations qui auraient rebuté les païens et les auraient empêché d’entrer dans l’Église : la circoncision pour les hommes, les bains rituels pour les femmes, la cacherout, les strictes obligations du shabbat, l’hébreu, les vêtements, l’interdiction de manger avec des impurs etc. Le passage aux païens a décanté la foi juive de son habillage, certes légitime en Israël, mais superflu et même contre-productif ailleurs.

Malheureusement, la querelle des rites chinois montre que, à partir de l’Édit de Milan environ (313), l’Église de Rome imposera souvent ses coutumes romaines, sa liturgie, sa langue, ses fêtes aux peuples colonisés. Byzance, la seconde Rome, fera de même à l’exception notable de Cyrille et Méthode au IX° siècle : ils créeront l’alphabet slave pour traduire le génie des peuples de l’Est, leur inventer une liturgie propre, et leur évangélisation intégrera le meilleur des cultures slaves.

Laisser Dieu ouvrir aux nations la porte de la foi demande donc de ne pas faire de copier-coller dans l’évangélisation, et de discerner les pierres d’attente qui dans chaque culture permette d’enraciner l’Évangile, au lieu de badigeonner une société d’un vernis de foi occidentale qui se lézarderait et disparaîtrait aussi vite que les Églises chrétiennes du nord de l’Afrique sous les coups de boutoir de l’islam dès le VII° siècle…

 

L’inculturation

Couverture Inculturation et problématique de l'unité de l'EgliseMais que signifie inculturer l’Évangile ? À vrai dire, les juifs avaient déjà commencé à tenir compte des cultures non sémitiques, notamment pour les juifs exilés qui devaient y vivre leur foi. On pense évidemment à la LXX (Septante), la traduction grecque de la Torah hébreu. C’est tellement difficile à avaler pour les traditionalistes de l’époque – on ne touche pas à la langue sacrée ! – qu’il a fallu inventer la légende des 70 vieillards pour légitimer la traduction grecque de la Torah. On aurait confié cette difficile tâche de traduction à 70 savants chevronnés qui travaillaient chacun de leur côté, sans communiquer, mais arrivèrent au final à la même version grecque, mot pour mot ! Belle légende que ce miracle qui fonde l’inculturation de la Bible, et toute l’exégèse. Oui, il est légitime de traduire la Bible dans une autre langue que l’original ! Les musulmans ne franchiront jamais le pas, et continuent d’apprendre le Coran par cœur en arabe. Juifs et chrétiens ont découvert que chaque langue peut porter la révélation du Dieu unique.

Il n’y a pas que la LXX qui témoigne de l’effort incessant d’inculturation du peuple choisi. La Commission Théologique Internationale rappelle qu’Israël a emprunté aux peuples voisins la plupart de ses rites et de ses fêtes :

« Les plus anciennes institutions d’Israël (par exemple la circoncision, le sacrifice du printemps, le repos du sabbat) ne lui sont pas spécifiques. Il les a empruntées aux peuples voisins. Une grande partie de la culture d’Israël a une origine semblable. Cependant, le peuple de la Bible a fait subir à ces emprunts de profonds changements quand il les a incorporés à sa foi et à sa pratique religieuse. Il les a passés au crible de la foi au Dieu personnel d’Abraham, libre créateur et sage ordonnateur de l’univers, en qui le péché et la mort ne sauraient trouver leur source. C’est la rencontre de ce Dieu, vécue dans l’Alliance, qui permit de comprendre l’homme et la femme comme des êtres personnels et de rejeter en conséquence les comportements inhumains inhérents aux autres cultures ».
Commission Théologique Internationale, Foi et inculturation, 1988, n° 2,3

Le génie d’Israël a été d’historiciser ces fêtes et coutumes, c’est-à-dire de les rattacher à des moments-clés de l’histoire du peuple (l’Exode, l’Exil, la Création etc.), superposant ainsi une signification monothéiste aux significations naturelles, rurales, intégrées dans la fête nouvelle. Saint Martin évangélisait la Gaule en pratiquant ce type d’inculturation, reprenant des lieux sacrés païens pour y construire des églises, baptisant des sources et des bois pour en faire des lieux de pèlerinage, s’inspirant des personnages des contes et légendes pour en faire des héros chrétiens etc.

La Commission Théologique Internationale précise que l’inculturation est un processus, c’est-à-dire un échange permanent entre Églises :

« Le processus d’inculturation peut être défini comme l’effort de l’Église pour faire pénétrer le message du Christ dans un milieu socioculturel donné, appelant celui-ci à croître selon toutes ses valeurs propres, dès lors que celles-ci sont conciliables avec l’Évangile. Le terme inculturation inclut l’idée de croissance, d’enrichissement mutuel des personnes et des groupes, du fait de la rencontre de l’Évangile avec un milieu social ».
Commission Théologique Internationale, Foi et inculturation, 1988, n° 1,11

Apôtres des Slaves (Slavorum Apostoli - Lettre encyclique) (Documents d'Église) par [Jean-Paul II]Le Synode des évêques de 1985, qui célébrait le vingtième anniversaire de la clôture du concile Vatican II, a parlé de l’inculturation comme de « l’intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme, et l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines ».

La même année, Jean-Paul II fêtant Cyrille et Méthode la définissait simplement :

« L’inculturation est l’incarnation de l’Évangile dans les cultures autochtones et, en même temps, l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Église ».
Jean-Paul II, Lettre encyclique Slavorum Apostoli à l’occasion du 11° centenaire de l’œuvre d’évangélisation des saints Cyrille et Méthode, 1985, n°21.

On le voit : il ne s’agit pas de canoniser trop vite tous les éléments d’une culture, car certains seront contraires à l’Évangile. Par exemple : l’excision des fillettes, la culture de la mafia, les discriminations hommes-femmes, la peur animiste devant l’invisible, l’individualisme moderne etc. De même, il serait injuste d’occidentaliser une Église naissante sous prétexte de lui annoncer la foi. Il s’agit en somme de « conjuguer le oui et le non de Dieu à notre monde » : en chaque culture, des éléments magnifiques témoignent du travail de l’Esprit bien avant l’arrivée de missionnaires chrétiens. Et d’autres éléments sont au contraire foncièrement opposés à l’Évangile. Entre ces deux extrêmes, beaucoup de valeurs locales demandent à être travaillées, transformées, baptisées pour porter le plus fidèlement possible le cœur de la foi.

C’est sur le plan liturgique que l’inculturation est la plus spectaculaire. Par exemple, le passage du latin aux langues locales dans la liturgie grâce à Vatican II a fait grincer bien des dents, mais sans cette inculturation de la liturgie, où en serions-nous ? Le passage au latin à Rome au IV° siècle, alors que seul le grec était la langue noble, avait déjà choqué les tenants d’une Tradition figée, immobile. En Afrique, on est allé plus loin en africanisant les rites des funérailles chrétiennes, en parlant de l’Église comme d’une famille africaine, ou même au Zaïre en célébrant la messe selon un rite propre, le rite zaïrois approuvé par Rome depuis 1988. Tous ceux qui ont vécu des messes en Afrique noire savent que les danses, les costumes traditionnels, les youyous des femmes, l’omniprésence des ancêtres etc…, tout cela est repris et assumé dans la liturgie eucharistique où l’assemblée se reconnaît, adhère, participe avec joie, corporellement et affectivement, sans rien perdre du contenu essentiel de la foi.

Inculturer l’Évangile, c’est encore pour chaque Église locale traduire la Bible dans sa langue, ses langues, instaurer des catéchistes laïcs ici ou des diacres permanents là, publier un catéchisme national actualisant le catéchisme de l’Église catholique, discerner ce qui est bon ou dangereux dans les lois votées dans le pays, susciter et accompagner les spiritualités intégrant le génie de chaque peuple etc.

L’inculturation est une œuvre ecclésiale, où chacun de nous a sa part. Car il est de notre devoir de baptisés d’écouter ce que l’Esprit dit à notre Église pour faire évoluer notre culture et mieux y adapter l’expression de notre foi.

 

Ouvrir à mon prochain la porte de la foi

Je%CC%81sus%20frappe%20porte_0 ChineTerminons sur une note plus personnelle, qui impliquera chacun. Car l’inculturation n’est pas qu’une œuvre collective. C’est également une attitude personnelle, qui concerne notre relation à nos collègues, amis, familles qui sont loin du Christ. À nous de trouver les mots qui sauront toucher le cœur de l’autre. Au lieu de réciter un discours appris, à nous de partir de la culture de l’autre pour y greffer notre témoignage, notre annonce. Ouvrir à mon prochain la porte de la foi relève d’une pédagogie pleine de respect et d’attention, pratiquant par questionnements plus que par affirmations, par témoignage plus que par contrainte, afin de mettre l’autre en contact avec le Christ, tel Jean-Baptiste au bord du Jourdain.

Cela nous demande encore de lever les obstacles qui empêchent l’autre de croire, comme un verrou tourné sur la porte de sa foi. C’est par exemple un malheur innocent qui l’éloigne de la possibilité de croire (un deuil, un accident, un handicap…), ou bien une vision déformée de l’Église, ou bien une ignorance de la profondeur humaine de la Bible, ou bien des arguments intellectuels qui demandent à débattre (l’Inquisition, les croisades, l’origine de l’univers, la science etc.). Ouvrir à l’autre la porte de la foi, c’est lever un à un ces verrous, ces obstacles qui l’empêchent, et patiemment lui permettre d’entendre le Christ lui murmurer : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3,20).

Ouvrir la porte de la foi, c’est également fermer celle du malheur. Au sens où Albert Camus décrivait cette porte dans l’Étranger (1942), lorsque Meursault tire sur un arabe qui le menace de son couteau sur la plage :

C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le révolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût.
Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur »…

Nos meurtres, nos enfermements, nos dénis font claquer sur nous la porte du malheur. Seule une pédagogie du pardon, un cheminement de vérité et de réconciliation pourront déverrouiller cette porte pour ouvrir celle de la foi, de la confiance dans la puissance de l’amour sur le mal. Que serait la mission chrétienne sans cette dimension proprement thérapeutique ?

« L’Esprit à ouvert aux nations païennes la porte de la foi ».
Inculturons donc l’Évangile, en général dans la vie de chaque Église, et en particulier dans nos relations avec nos proches, avec nous-même !

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux » (Ac 14, 21b-27)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Paul et Barnabé, retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ; ils affermissaient le courage des disciples ; ils les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. » Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui. Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie. Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé, ils descendirent au port d’Attalia, et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils avaient accomplie. Une fois arrivés, ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi.

Psaume
(Ps 144 (145), 8-9, 10-11, 12-13ab)
R/ Mon Dieu, mon Roi, je bénirai ton nom toujours et à jamais ! ou : Alléluia. (Ps 144, 1)

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

Ils annonceront aux hommes tes exploits,
la gloire et l’éclat de ton règne :
ton règne, un règne éternel,
ton empire, pour les âges des âges.

Deuxième lecture
« Il essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 21, 1-5a)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. » Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »

Évangile
« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 31-33a.34-35)
Alléluia. Alléluia. Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Patrick BRAUD

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1 mai 2022

Dieu fait feu de tout bois

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu fait feu de tout bois

 Homélie du 4° Dimanche de Pâques / Année C
08/05/2022

Cf. également :

Il est fou, le voyageur qui…
Secouez la poussière de vos pieds
Un manager nommé Jésus
Des brebis, un berger, un loup
L’agneau mystique de Van Eyck
« Passons aux barbares »…
Du bon usage des leaders et du leadership
La différence entre martyr et kamikaze ou djihadiste
À partir de la fin !
Comme une ancre jetée dans les cieux
L’événement sera notre maître intérieur
La parresia, ou l’audace de la foi

Le diamant rayé

Dieu fait feu de tout bois dans Communauté spirituelle 280px-JadesteinUn prince possédait une pierre précieuse magnifique dont il était fier à l’extrême. Un jour, par accident, ce joyau fut profondément rayé. Le prince convoque alors les spécialistes les plus habiles pour remettre en état la pierre précieuse. Malgré tous leurs efforts, ils ne peuvent pas effacer la rayure. Mais un jour, arrive dans le pays un tailleur de pierres précieuses d’un génie inégalé. Avec douceur, ténacité, art et patience, il prend la pierre et taille le diamant en forme de rose. Il est assez habile pour utiliser la rayure, l’égratignure, afin d’en faire la tige même de la rose de telle sorte que la pierre précieuse apparut, après la reprise, infiniment plus belle, plus magnifique qu’elle ne l’était auparavant.

Dans notre première lecture (Ac 13,14.43-52), Paul et Barnabé font l’expérience d’une belle rayure dans le diamant de leur foi. Les notables et les « dames de qualité » (mazette !) d’Antioche contestent leur annonce de la résurrection de Jésus, et soulèvent la communauté juive de la synagogue contre eux. Le conflit devient si violent qu’ils expulsèrent les deux apôtres hors de la ville. Luc emploie ce même mot expulser (ἐκβάλλω = ekballō) dans les Actes des Apôtres pour décrire la lapidation d’Étienne (« ils l’entraînèrent hors de la ville et se mirent à le lapider (ἐκβαλόντες) » Ac 7,58) : c’est donc que cette expulsion se veut mortelle.

 

Expulsés, chassés

Paul-Barnabe-envoi expulsion dans Communauté spirituellePaul et Barnabé se font littéralement jeter eux aussi « hors de la ville », comment on jette la cargaison d’un navire à la mer pour l’alléger dans la tempête (« on cherchait à alléger le bateau en jetant (ἐκβαλλόμενοι) les vivres à la mer » Ac 27,38), comme on chasse les démons hors d’un possédé (Lc 11,14–20 ; 13,32) ; comment on chasse le fils hors de la vigne (« après l’avoir jeté hors (ἐκβαλόντες) de la vigne, ils le tuèrent » Lc 20,15). Luc avait promis le bonheur paradoxal à ceux qui seraient ainsi chassés hors de la communauté des hommes : « Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent (ἐκβάλωσιν) votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme » (Lc 6,22).
Ce verbe expulser en français est intéressant : on l’utilise également pour l’accouchement, lorsque la mère doit expulser le fœtus parvenu à maturité. Ce qui est un acte violent se révèle être finalement la chance pour l’enfant de vivre par lui-même…

Faire l’expérience de l’expulsion est toujours une épreuve pour des missionnaires. L’échec semble alors se profiler à l’horizon. La tentation est grande de se décourager, de se recroqueviller sur un compromis bancal pour survivre. La rayure dans la pierre précieuse semble trop profonde.

Pensez au Cardinal Lavigerie constatant que l’évangélisation est impossible en Algérie car le pouvoir colonial refuse les conversions des musulmans. La société missionnaire des Pères Blancs qu’il venait de fonder en 1868 pour cette œuvre paraît compromise. Alors, puisque l’Algérie ne veut pas accepter le libre choix du baptême par ses ressortissants, les Pères Blancs se tourneront vers les ethnies païennes du Sud Sahara. Ainsi démarre l’évangélisation du royaume mossi (l’actuel Burkina Faso) et des autres ethnies d’Afrique de l’Ouest, préparant une moisson extraordinaire d’Églises africaines aujourd’hui en pleine vitalité !

Pensez aux innombrables congrégations religieuses frappées d’interdit après la loi de séparation de 1905. Leurs biens confisqués, les voilà libres de partir ailleurs : la plupart essaimèrent alors en Asie, en Afrique, bénéficiant ainsi d’un renouveau inattendu et remarquable. Cette expulsion de 1905 provoquera en définitive comme pour Paul et Barnabé un rayonnement encore plus grand hors de la ‘chrétienté’ de l’époque !

Pensez même aux milliers de protestants – luthériens, calvinistes, huguenots – expulsés hors des royaumes d’Europe au XVI° siècle pour cause d’intolérance religieuse (catholique). À la suite des pèlerins du Mayflower chassés de leur pays, tous ces expulsés deviendront citoyens des États-Unis d’Amérique et initieront une aventure humaine extraordinaire !

Ce qui est vrai des histoires collectives l’est aussi des individuelles.
Cette sculpture de Marco Cianfanelli a été installée en 2012 à l'endroit où Nelson Mandela avait été arrêté 50 ans plus tôt, à KwaZulu-Natal. Une reproduction sera exposée à l'Hôtel de Ville de Paris dans le cadre de l'exposition qui est consacrée à l'ex-président sud-africain (Apartheid Museum)
Pensez à Nelson Mandela, jeté aux oubliettes du bagne de Robben Island en 1964. Il aurait dû être rayé de l’histoire. Mais 27 ans après, il sortira, libre et apaisé, pour servir en tant que Président la réconciliation sud-africaine après l’apartheid.

Pensez à Soljenitsyne, condamné au goulag soviétique par le pouvoir russe, interdit de publication et même d’écriture. Il deviendra une voix puissante qui réveillera la conscience de l’Occident sur les mensonges russes.

Pensez à la traversée du désert du général De Gaulle après la Libération. Pendant de longues années, il fut oublié, voire honni, avant d’être appelé pour aider la France à passer à la V° République.

Les exemples historiques, individuels et collectifs, fourmillent qui témoignent de la transformation d’une catastrophe immédiate ici en moisson plus abondante ailleurs.

 

Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu

Dieu fait feu de tout bois pour nous donner le courage, la force, l’intelligence et le cœur d’imaginer d’autres possibles à partir d’un échec immédiat. Paul osait proclamer – dans les fers, en prison, se préparant à sa décapitation – que « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8,28). Tout : même la persécution, même le déchaînement du mal.
Paul Claudel osera écrire en exergue de son Soulier de satin que « Dieu écrit doit avec lignes courbes ».

41eFY364MhL._SX328_BO1,204,203,200_ PaulLe contresens – hélas si courant ! – serait de rendre Dieu responsable de la rayure. Comme si Dieu provoquait directement les événements qui nous affectent et nous blessent ! Longtemps, on a cru que Dieu était dans le tremblement de terre, ou dans l’épidémie, ou dans le malheur de la guerre, de la pauvreté etc. « Dieu l’a voulu » était le mantra de résignation officiel, prêché par les clercs de tous bords. L’Évangile conteste violemment cette Providence perverse qui ferait de Dieu l’auteur du malheur de l’homme. Souvenez-vous de la réplique cinglante de Jésus à ceux qui voulaient trouver des responsables aux faits divers de son époque : « Ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même » (Lc 13,4-5).
Autrement dit : Dieu n’est pas dans l’événement. Il est dans ce que l’homme fait de l’événement. Dieu ne provoque pas la sécheresse, l’éruption volcanique ou la pandémie. Par contre il provoque le cœur humain à réfléchir sur ce qui arrive, pour agir ensuite en conséquence.
Saint Augustin enseignait que la prière n’a pas pour but d’instruire Dieu, qui n’en a pas besoin, mais de construire l’homme, son désir, sa volonté, sa quête. Ceux qui croient que la prière va changer directement la guerre en Ukraine, le réchauffement climatique ou le cancer d’un proche sont dans la pensée magique, pas chrétienne. Si Dieu change le cours de l’événement, c’est en changeant le cœur humain rendu ainsi capable de transformer l’événement en autre chose. C’est le sens de la fameuse phrase d’Emmanuel Mounier : « l’évènement sera notre maître intérieur ».

9782205042146_cg résilience

Dieu nous inspire pour faire feu de tout bois, mais il ne fait pas tomber le bois mort à nos pieds. L’Esprit suscite en nous des énergies nouvelles pour résister au mal, pour transformer le mal en bien, mais il n’est pas l’auteur du mal. Jésus lui-même n’a pas pensé que Dieu lui envoyait l’infamie de la croix, il savait de quoi la folie des hommes était capable. Mais il croyait que l’Esprit de Dieu ne lui manquerait pas pour traverser cette mise à mort et en faire l’aube d’un monde nouveau. Il a été chassé hors de Jérusalem, expulsé du peuple juif, déshonoré aux yeux de tous. De cette fêlure – faite de main d’homme, non de Dieu – Dieu fera le diamant le plus finement ciselé du monde : la résurrection promise, la divinisation de l’homme !

Des rayures, des fêlures, des échecs, des expulsions, nous en vivons de toutes sortes. Elles peuvent nous détruire. Et trop souvent c’est le cas. Ou nous handicaper pour le reste de notre vie. Avec la foi chevillée au corps, nous pouvons cependant nous construire à partir d’elles, sans nourrir de haine ni de ressentiment envers ceux qui nous ont rejeté. Comme Paul et Barnabé, nos expériences de rejet peuvent nous ouvrir à d’autres horizons, nous tourner vers d’autres publics, nous rendre plus généreux avec d’autres partenaires, nous rendre finalement plus humains.

Il n’est de rayures que nous ne puissions transformer en œuvre d’art, inspirés par l’Esprit du Christ.
Car Dieu en nous fait feu de tout bois.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Nous nous tournons vers les nations païennes » (Ac 13, 14.43-52)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Paul et Barnabé poursuivirent leur voyage au-delà de Pergé et arrivèrent à Antioche de Pisidie. Le jour du sabbat, ils entrèrent à la synagogue et prirent place. Une fois l’assemblée dispersée, beaucoup de Juifs et de convertis qui adorent le Dieu unique les suivirent. Paul et Barnabé, parlant avec eux, les encourageaient à rester attachés à la grâce de Dieu. Le sabbat suivant, presque toute la ville se rassembla pour entendre la parole du Seigneur. Quand les Juifs virent les foules, ils s’enflammèrent de jalousie ; ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient. Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance : « C’est à vous d’abord qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes. C’est le commandement que le Seigneur nous a donné : J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi, le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » En entendant cela, les païens étaient dans la joie et rendaient gloire à la parole du Seigneur ; tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants. Ainsi la parole du Seigneur se répandait dans toute la région. Mais les Juifs provoquèrent l’agitation parmi les femmes de qualité adorant Dieu, et parmi les notables de la cité ; ils se mirent à poursuivre Paul et Barnabé, et les expulsèrent de leur territoire. Ceux-ci secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds et se rendirent à Iconium, tandis que les disciples étaient remplis de joie et d’Esprit Saint.

Psaume
(Ps 99 (100), 1-2, 3, 5)
R/ Nous sommes son peuple, son troupeau. ou : Alléluia.
 (cf. Ps 99, 3c)

Acclamez le Seigneur, terre entière,
servez le Seigneur dans l’allégresse,
venez à lui avec des chants de joie !

Reconnaissez que le Seigneur est Dieu :
il nous a faits, et nous sommes à lui,
nous, son peuple, son troupeau.

Oui, le Seigneur est bon,
éternel est son amour,
sa fidélité demeure d’âge en âge.

Deuxième lecture
« L’Agneau sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie » (Ap 7, 9.14b-17)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. L’un des Anciens me dit : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, et le servent, jour et nuit, dans son sanctuaire. Celui qui siège sur le Trône établira sa demeure chez eux. Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera, puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »

Évangile
« À mes brebis, je donne la vie éternelle » (Jn 10, 27-30)
Alléluia. Alléluia.
 Je suis, le bon Pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, et personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut les arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes UN. »
Patrick BRAUD

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14 avril 2022

Le Vendredi Saint du Serviteur souffrant

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 32 min

Le Vendredi Saint du Serviteur souffrant

Homélie du Vendredi Saint / Année C
15/04/2022

Cf. également :

Le grand silence du Samedi Saint
Vendredi saint : les soldats, libres d’obéir
Vendredi Saint : la Passion musicale
Comme un agneau conduit à l’abattoir
Vendredi Saint : paroles de crucifié
Vendredi Saint : La vilaine mort du Christ
Vendredi Saint : les morts oubliés
Vendredi Saint : la déréliction de Marie
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Bas et hauts

Qu’y a-t-il de commun entre les juifs des camps de concentration et Socrate buvant la ciguë ? Ou bien entre Mandela croupissant en prison et les huguenots obligés de quitter la France ? Entre les esclaves noirs vendus sur le marché et Van Gogh interné dans un asile d’aliénés ? Tous ont en commun ce que notre première lecture appellerait la chute et le relèvement, le mépris et l’exaltation, la catastrophe et le salut. À l’instar de l’énigmatique personnage d’Isaïe 53, ils ont touché le fond, puis ont été rétablis dans leur dignité et plus haut encore, même si ce fut souvent après leur mort.

Les 6 millions de fantômes humains décharnés des camps nazis engendrèrent une terre – Eretz Israël - qui avait disparu depuis 2000 ans, fière, forte, redoutée, critiquée et admirée. Après 27 ans de cellule, le matricule 46664 de la prison de Robben Island devint ce premier président noir d’Afrique du Sud, immensément respecté et aimé. Socrate fut condamné pour avoir corrompu la jeunesse, mais ses écrits et sa pensée font désormais partie des fondations de l’Occident. Les huguenots exilés sont devenus les riches marchands des pays du Nord puis les premiers Américains, tout aussi puissants. Les esclaves noirs donnèrent à l’humanité le Gospel tant qu’ils étaient dans les fers, puis des poètes à foison et des hommes d’État admirables ensuite. Van Gogh termina lamentablement dans la folie, mais ses tableaux sont aujourd’hui unanimement reconnus, célébrés, exposés.

L’histoire est pleine de ces alternances chute / relèvement, mépris / exaltation, catastrophe / salut.
Notre première lecture (Is 52,13–53,12) connaît bien cette dialectique à l’œuvre dans nombre de parcours historiques. Isaïe décrit la trajectoire d’un mystérieux serviteur de YHWH, tombant au plus bas du mépris et de l’abandon par tous, puis relevé pour être le salut d’une multitude.

 

Qui est ce Serviteur souffrant ?

Le Vendredi Saint du Serviteur souffrant dans Communauté spirituelle couv_peb_71_serviteurL’expression est passée dans le commun biblique, grâce à un exégète qui a repéré en 1892 ce qu’on appelle depuis les quatre « chants du Serviteur souffrant » : 42,1-9 ; 49,1-7 ; 50,4-11 et 52,13-53,12.
N’est-il pas étrange cependant qu’un serviteur fidèle soit soumis à la souffrance ? Et plus étrange encore qu’il chute, immergé dans un océan de réprobation ?
Bien avant les chrétiens, les juifs se sont interrogés sur ces textes et leur portée les concernant. Les rabbins ont exploré successivement plusieurs hypothèses :

– Ce serviteur est peut-être une évocation d’Abraham, fidèle parmi les fidèles, obligé de quitter son pays, mais devenu une bénédiction pour tous les peuples de la terre.
Cependant, ça ne colle pas totalement, car le serviteur est frappé, châtié au nom de Dieu, ce qui n’est pas le cas d’Abraham.

– On pensa alors à Job : fidèle serviteur lui aussi, subissant malheur sur malheur, soi-disant infligés par Dieu injustement, et rétabli ensuite dans son honneur, sa dignité et sa richesse.
Là encore, ça ne colle pas tout à fait. Car le Serviteur souffrant devient le salut d’une multitude, pas Job.

- Alors les rabbins pensèrent à Joseph. Lui aussi fut comme le Serviteur souffrant vendu par ses frères, méprisé et humilié comme esclave, fidèle et sans péché puisqu’il a repoussé les avances de la femme de Putiphar. Lui, l’ancien esclave hébreu, va pourtant devenir le numéro deux du royaume de Pharaon, puissant, adulé. Il pourra ainsi sauver sa famille de la famine, lorsqu’ils viendront de Canaan pour quémander du blé à la riche Égypte. Sans Joseph, pas d’installation en Égypte, donc pas d’Exode ensuite, donc pas de Pâques…

– D’autres personnages peuvent prétendre au titre de Serviteur souffrant, notamment ceux qui ont permis la reconstruction du Temple détruit par l’envahisseur. Ainsi les rois Yoyakin et Zorobabel ont traversé l’épreuve de l’exil à Babylone pour redonner espérance à leur peuple de retour sur leur terre, et sont salués du titre de « serviteur de YHWH » par les prophètes Aggée et Zacharie.

– Finalement, les rabbins se dirent que le Serviteur souffrant était peut-être tout autant un personnage du futur que du passé. Ils y virent un portrait du Messie à venir, dont le salut ne serait pas limité à Israël.

Les chrétiens n’auront évidemment aucun mal à emboîter le pas à ces différentes interprétations rabbiniques, pour les appliquer à Jésus, Messie crucifié, injustement méprisé, condamné, éliminé par tous, mais relevé par Dieu pour être la lumière de toutes les nations. C’est pourquoi la grande liturgie non-eucharistique du Vendredi Saint commence par cette lecture du Serviteur souffrant d’Isaïe : la véritable eucharistie est de faire de sa vie une offrande telle que le Serviteur souffrant l’incarnait, de sa déchéance initiale à sa réussite finale.

 

Le concept de personnalité corporative

15235062 Isaïe dans Communauté spirituelleReprenons le fil des exégèses rabbiniques. Recouvrant l’ensemble des grandes figures d’Israël, le Serviteur souffrant pourrait être en définitive le peuple lui-même, s’incarnant tour à tour en Abraham, Job, Joseph, Zorobabel ou le Messie. C’est un procédé biblique assez fréquent que les spécialistes appellent « corporate personnality ». En bon français, cela signifie que le groupe est une unité synchronique et diachronique qui peut agir, parler ou être traité comme un seul homme. La notion de personnalité corporative est cet aspect de la psychologie hébraïque qui rend compte du fait que « tout le groupe englobant les membres antérieurs, présents et futurs peut agir comme un seul individu, par l’entremise de n’importe quel membre conçu comme représentant du groupe » (Henry Wheeler Robinson, 1935). Elle implique une relation étroite et dans certains cas une identification de l’individu à son groupe.

Au sein d’une grande entreprise actuelle, « résonner corporate » dans le jargon managérial implique que chacun adhère aux intérêts du groupe pris dans son ensemble, et qu’entre le groupe et lui il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes. Isaïe raisonne corporate lorsqu’il met en scène un Serviteur qui est lié au peuple comme le peuple se lie à lui. Pour les rabbins, c’est alors ce petit peuple à la nuque raide, souvent persécuté et humilié, qui devient dans l’histoire humaine l’instrument du salut de YHWH pour toutes les nations.

Pour les chrétiens, le Serviteur souffrant désigne bien sûr le Christ, dans sa Passion-exaltation, mais également le corps du Christ, l’Église qui fait resplendir la lumière du Messie crucifié sur toute l’humanité, comme la lune fait malgré la nuit resplendir le soleil en son absence.

 

Changer de regard

Voilà pourquoi contempler le Serviteur souffrant en ce Vendredi Saint nous appelle à un triple changement de regard :

les-grands-vaincus-de-l-histoire Metz– changer notre regard sur les vaincus de l’histoire.
Apparemment, le Serviteur souffrant a été balayé de la scène. On a voulu l’éliminer des mémoires et pas seulement physiquement. On a voulu nier son droit à exister et pas seulement l’exterminer. L’histoire aurait dû s’écrire sans lui, comme l’histoire officielle de l’empire romain ne fait aucune mention d’un obscur crucifié juif d’une province reculée. La ‘revanche de Dieu’, c’est justement la réinscription de la mémoire des vaincus dans le récit collectif. C’est la réhabilitation – même post-mortem – de ceux que les puissants avaient jetés aux oubliettes de leurs manuels scolaires.
Le théologien Jean-Baptiste Metz y voit l’une des missions les plus signifiantes de l’Église : transmettre ce souvenir dangereux et libérant de Jésus Messie humilié, qui presse le présent et le met en question, qui libère de toute absolutisation de quelque pouvoir que ce soit, qui permet de critiquer la société, ses orientations vers le succès, la rationalité et la production, et qui permet de s’engager à la suite de Jésus envers les plus démunis parmi les frères. Ce souvenir dangereux implique solidarité avec le passé, avec les morts, les vaincus ; l’Église transmet cette mémoire dangereuse dans les structures de la vie sociale.
Le thème de la « mémoire des vaincus » avait déjà, quelques années avant Jean-Baptiste Metz, hanté les écrits de Walter Benjamin. En 1940, dans ses thèses « Sur le concept d’histoire », le philosophe juif avait refusé de passer par pertes et profits les défaites et désastres humains jonchant l’histoire de l’humanité. Il s’était dressé contre « l’histoire des vainqueurs » qui avale, digère et oublie la souffrance des vaincus.
Pour Jean-Baptiste Metz, c’est en étant « souvenir dangereux de la liberté de Jésus-Christ » que la foi chrétienne conserve une pertinence. Une pertinence spirituelle, mais aussi « pratique », sociale et politique. Dans des sociétés où les promesses de libération héritées des Lumières n’ont pas encore été réalisées, où nombre d’humains ne peuvent encore être sujets de leur propre existence, la mémoire chrétienne doit provoquer un réveil. Elle vient « briser le cercle enchanteur de la conscience dominante ». Elle se dresse contre le mythe d’un ‘Progrès’ qui ne voudrait pas voir ce qu’il brise sur son chemin.
La mémoire met en péril l’assurance des puissants, des installés, de ceux qui semblent profiter du système en place. Elle ouvre sur une solidarité avec les exclus. Elle ne permet plus à la foi de se réduire à une attitude intellectualiste ou à une posture privée. Pour Metz, l’Église a désormais pour raison d’être de porter ce projet de liberté dans la société. L’Église doit se définir et s’attester comme celle qui témoigne et transmet publiquement un souvenir dangereux de la liberté dans les systèmes de notre société oublieuse des perdants.

Les oubliés de l’histoire aujourd’hui pourraient bien être les Arméniens dont la Turquie voudraient effacer le génocide de 1915-16 ; ou les Ouïghours que la Chine communiste voudrait cacher dans des camps loin de toute caméra, comme elle a dispersé les tibétains pour coloniser le Tibet ; ou l’Ukraine, les pays baltes, la Géorgie à qui on a soustrait l’Ossétie du sud et l’Abkhazie : ils seront priés de souffrir en silence sous la patte de l’ours russe etc… Le Serviteur souffrant sera encore la figure collective de ces minorités religieuses non-hindoues persécutées en Inde, ou non-musulmanes persécutées dans les États musulmans. Et comment penser sans frémir aux millions de vies humaines interrompues chaque année volontairement avant leur naissance ? L’eugénisme se banalise sans que nos consciences s’en émeuvent…

 

61ltNL6-+tS._AC_SY445_ Passion– changer notre regard sur les méprisés
La dimension singulière, personnelle du Serviteur souffrant nous appelle à le reconnaître sur le visage de ceux que tous méprisent. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les invisibles de nos sociétés disparaissent de nos préoccupations. Les SDF (plus de 150 000 en France !) font partie de la misère jugée incompressible, et on s’y habitue. On n’en parle plus.
Chaque être humain rejeté et stigmatisé retrouve sa vraie dignité sous les traits du Serviteur souffrant : « il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien ».

Nous ne nous battons pas seulement pour des causes collectives, mais en même temps pour des visages, des personnes, Pierre, Aïcha, Raja ou Itzhak. La dimension personnelle du Serviteur souffrant nous oblige à ne pas traiter que des statistiques ou de la macro-économie : c’est mon voisin, mon collègue, le clochard de ma rue… Se battre pour leur redonner un nom, un visage, une identité singulière est la première fidélité aux chants du Serviteur souffrant.

 

du-pourquoi-vers-le-pour-quoi-article-eb-consult serviteur- changer notre regard sur nos épreuves
Les minorités oubliées, les personnes méprisées : la troisième incarnation du Serviteur souffrant, c’est moi-même ! Uni au Christ dans sa Passion, je peux vivre les épreuves qui m’accablent avec la force de sa résurrection. « Durcissant mon visage comme pierre », je peux résister aux catastrophes qui parfois semblent s’acharner sur moi en faisant corps avec ce Serviteur souffrant qu’Isaïe nous promet victorieux de tout mal. Lui qui est juste peut sauver les injustes que nous sommes. Mon épreuve peut alors changer de sens : au lieu de m’épuiser à me demander pourquoi cela m’arrive, je vais chercher pour quoi elle me transforme, c’est-à-dire ce vers quoi elle peut finalement me conduire. L’exaltation du Serviteur souffrant m’annonce la traversée de mon épreuve pour l’ouvrir sur autre chose, que Dieu seul connaît, qui relève de son don gracieux.

En ce Vendredi Saint, contemplons l’homme des douleurs de la Passion, en y reconnaissant les traits du Serviteur d’Isaïe. Plus nous le contemplerons, plus notre regard sur les Passions actuelles changera…

 

Lectures de l’Office de la Passion

Première lecture
« C’est à cause de nos fautes qu’il a été broyé » (Is 52, 13 – 53, 12)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme. Il étonnera de même une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que, jamais, on ne leur avait dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler.
Qui aurait cru ce que nous avons entendu ? Le bras puissant du Seigneur, à qui s’est-il révélé ? Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous.
Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. Arrêté, puis jugé, il a été supprimé. Qui donc s’est inquiété de son sort ? Il a été retranché de la terre des vivants, frappé à mort pour les révoltes de son peuple. On a placé sa tombe avec les méchants, son tombeau avec les riches ; et pourtant il n’avait pas commis de violence, on ne trouvait pas de tromperie dans sa bouche. Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira.
Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs.

Psaume
(30 (31), 2ab.6, 12, 13-14ad, 15-16, 17.25)
R/ Ô Père, en tes mains je remets mon esprit.
 (cf. Lc 23, 46)

En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ;
garde-moi d’être humilié pour toujours.
En tes mains je remets mon esprit ;
tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité.

Je suis la risée de mes adversaires
et même de mes voisins ;
je fais peur à mes amis,
s’ils me voient dans la rue, ils me fuient.

On m’ignore comme un mort oublié,
comme une chose qu’on jette.
J’entends les calomnies de la foule :
ils s’accordent pour m’ôter la vie.

Moi, je suis sûr de toi, Seigneur,
je dis : « Tu es mon Dieu ! »
Mes jours sont dans ta main : délivre-moi
des mains hostiles qui s’acharnent.

Sur ton serviteur, que s’illumine ta face ;
sauve-moi par ton amour.
Soyez forts, prenez courage,
vous tous qui espérez le Seigneur !

Deuxième lecture
Il apprit l’obéissance et il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel (He 4, 14-16 ; 5, 7-9)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours. Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

Évangile
Passion de notre Seigneur Jésus Christ (Jn 18, 1 – 19, 42)
Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur.
 Pour nous, le Christ est devenu obéissant, jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom. Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. (cf. Ph 2, 8-9)

La Passion de notre Seigneur Jésus Christ selon saint Jean
Indications pour la lecture dialoguée : les sigles désignant les divers interlocuteurs sont les suivants :
X = Jésus ; L = Lecteur ; D = Disciples et amis ; F = Foule ; A = Autres personnages.

L. En ce temps-là, après le repas, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron ; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec ses disciples. Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, lui aussi, car Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. Judas, avec un détachement de soldats ainsi que des gardes envoyés par les grands prêtres et les pharisiens, arrive à cet endroit. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils lui répondirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Il leur dit : X « C’est moi, je le suis. » L. Judas, qui le livrait, se tenait avec eux. Quand Jésus leur répondit : « C’est moi, je le suis », ils reculèrent, et ils tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils dirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Jésus répondit : X « Je vous l’ai dit : c’est moi, je le suis. Si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. » L. Ainsi s’accomplissait la parole qu’il avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. » Or Simon-Pierre avait une épée ; il la tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malcus. Jésus dit à Pierre : X « Remets ton épée au fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, vais-je refuser de la boire ? » L. Alors la troupe, le commandant et les gardes juifs se saisirent de Jésus et le ligotèrent. Ils l’emmenèrent d’abord chez Hanne, beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là. Caïphe était celui qui avait donné aux Juifs ce conseil : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple. » Or Simon-Pierre, ainsi qu’un autre disciple, suivait Jésus. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans le palais du grand prêtre. Pierre se tenait près de la porte, dehors. Alors l’autre disciple – celui qui était connu du grand prêtre – sortit, dit un mot à la servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre. Cette jeune servante dit alors à Pierre : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un des disciples de cet homme ? » L. Il répondit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un feu de braise pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer. Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui répondit : X « Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu ? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont entendu. Eux savent ce que j’ai dit. » L. À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : A. « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! » L. Jésus lui répliqua : X « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » L. Hanne l’envoya, toujours ligoté, au grand prêtre Caïphe. Simon-Pierre était donc en train de se chauffer. On lui dit : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un de ses disciples ? » L. Pierre le nia et dit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, insista : A. « Est-ce que moi, je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? » L. Encore une fois, Pierre le nia. Et aussitôt un coq chanta. Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire. C’était le matin. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal. Pilate sortit donc à leur rencontre et demanda : A. « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » L. Ils lui répondirent : F. « S’il n’était pas un malfaiteur, nous ne t’aurions pas livré cet homme. » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le suivant votre loi. » L. Les Juifs lui dirent : F. « Nous n’avons pas le droit de mettre quelqu’un à mort. » L. Ainsi s’accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir. Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : A. « Es-tu le roi des Juifs ? » L. Jésus lui demanda : X « Dis-tu cela de toi-même, Ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » L. Pilate répondit : A. « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » L. Jésus déclara : X « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » L. Pilate lui dit : A. « Alors, tu es roi ? » L. Jésus répondit : X « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » L. Pilate lui dit : A. « Qu’est-ce que la vérité ? » L. Ayant dit cela, il sortit de nouveau à la rencontre des Juifs, et il leur déclara : A. « Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais, chez vous, c’est la coutume que je vous relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ? » L. Alors ils répliquèrent en criant : F. « Pas lui ! Mais Barabbas ! » L. Or ce Barabbas était un bandit. Alors Pilate fit saisir Jésus pour qu’il soit flagellé. Les soldats tressèrent avec des épines une couronne qu’ils lui posèrent sur la tête ; puis ils le revêtirent d’un manteau pourpre. Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : F. « Salut à toi, roi des Juifs ! » L. Et ils le giflaient. Pilate, de nouveau, sortit dehors et leur dit : A. « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Jésus donc sortit dehors, portant la couronne d’épines et le manteau pourpre. Et Pilate leur déclara : A. « Voici l’homme. » L. Quand ils le virent, les grands prêtres et les gardes se mirent à crier : F. « Crucifie-le! Crucifie-le! » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Ils lui répondirent : F. « Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » L. Quand Pilate entendit ces paroles, il redoubla de crainte. Il rentra dans le Prétoire, et dit à Jésus : A. « D’où es-tu? » L. Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors : A. « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » L. Jésus répondit : X « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un péché plus grand. » L. Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher ; mais des Juifs se mirent à crier : F. « Si tu le relâches, tu n’es pas un ami de l’empereur. Quiconque se fait roi s’oppose à l’empereur. » L. En entendant ces paroles, Pilate amena Jésus au-dehors; il le fit asseoir sur une estrade au lieu dit le Dallage – en hébreu : Gabbatha. C’était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure, environ midi. Pilate dit aux Juifs : A. « Voici votre roi. » L. Alors ils crièrent : F. « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! » L. Pilate leur dit : A. « Vais-je crucifier votre roi ? » L. Les grands prêtres répondirent : F. « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. » L. Alors, il leur livra Jésus pour qu’il soit crucifié. Ils se saisirent de Jésus. Et lui-même, portant sa croix, sortit en direction du lieu dit Le Crâne (ou Calvaire), qui se dit en hébreu Golgotha. C’est là qu’ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. » Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, parce que l’endroit où l’on avait crucifié Jésus était proche de la ville, et que c’était écrit en hébreu, en latin et en grec. Alors les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : F. « N’écris pas : “Roi des Juifs” ; mais : “Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs.” » L. Pilate répondit : A. « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. » L. Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : A. « Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura. » L. Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture : Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats. Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : X « Femme, voici ton fils. » L. Puis il dit au disciple : X « Voici ta mère. » L. Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : X « J’ai soif. » L. Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : X « Tout est accompli. » L. Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. (Ici on fléchit le genou, et on s’arrête un instant.) Comme c’était le jour de la Préparation (c’est-à-dire le vendredi), il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé. Un autre passage de l’Écriture dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. À cause de la Préparation de la Pâque juive, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.
Patrick BRAUD

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13 février 2022

La force de la non-violence

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Efficace non-violence

Homélie du 7° Dimanche du temps ordinaire / Année C
20/02/2022

Cf. également :

Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
Boali, ou l’amour des ennemis
Pardonner 70 fois 7 fois

Quand Gandhi s’envolait…
Gandhi avait été fortement impressionné par la lecture de l’Évangile de ce dimanche (Lc 6, 27-38), dans la version de Matthieu : « Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre » (Mt 5,39). On raconte que dans les années 1888-1891, lorsque le jeune Gandhi étudiait le droit à Londres, il avait un professeur du nom de Peters avec qui la relation était tendue, notamment parce que le professeur blanc ne supportait pas que son élève indien ne baisse pas les yeux devant lui. Un jour, M. Peters prenait son repas à la cafétéria de l’Université, Gandhi est venu avec son plateau et s’est assis à côté de lui. Le professeur lui dit avec sa morgue habituelle : « M. Gandhi vous ne comprenez pas … Un porc et un oiseau ne s’assoient pas ensemble pour manger ». Gandhi lui répondit : « pas de soucis professeur, je m’envole », et il alla s’asseoir à une autre table…
Cette anecdote londonienne montre que, très jeune, Gandhi concevait déjà l’humour comme alternative à la réponse physique, la non-violence comme un combat et non une résignation passive. Tendre l’autre joue à son adversaire, c’est le désarçonner, le mettre devant la vérité pour qu’il puisse changer. La doctrine politique de la non-violence a permis à Gandhi de conduire une décolonisation beaucoup plus tôt et dans de bien meilleures conditions que d’autres colonies de par le monde…

 

Desmond Tutu, ou la force de la non-violence
L’Afrique du Sud a récemment célébré un autre apôtre de la non-violence : l’archevêque anglican du Cap, Desmond Tutu, décédé en décembre 2021. Lors de la cérémonie d’adieu à Nelson Mandela en 2013, Desmond Tutu lui avait rendu un hommage à sa façon, mélange de danse, d’humour, de mime et de prière : « Dieu, je te demande de bénir notre pays. Tu nous as donné un trésor merveilleux, avec cette icône de la réconciliation (Mandela)… », s’était-il écrié en afrikaner, la langue des blancs, la langue du pouvoir de l’apartheid autrefois, comme pour sceller la nouvelle alliance entre noirs et blancs d’Afrique du sud. Traiter Mandela d’icône de la réconciliation était si juste ! Desmond Tutu faisait danser sa soutane violette au service de l’égalité entre tous, et il est lui-même associé pour toujours à l’immense œuvre de réconciliation voulue par Madiba. Il a présidé pendant 3 ans la Commission nationale Vérité et Réconciliation, dont le slogan : « aveux contre rédemption » a permis de refonder une cohésion nationale fragile. En échange du récit de leurs exactions, les anciens tortionnaires de l’apartheid et leurs complices pouvaient espérer le pardon et le droit de vivre comme des citoyens à part entière. En 1998, après avoir auditionné 30 000 personnes, la commission remet un rapport de 3000 pages et plaide pour l’amnistie des coupables. Tutu ne disait-il pas : « Il faut aller plus loin que la justice. Il faut arriver au pardon, car sans pardon il n’y a pas d’avenir » ?

Desmond Tutu a exporté cette pédagogie de la transformation d’ennemis en partenaires au Rwanda : après le génocide rwandais (1 million de morts !), le pays aurait pu imploser lui aussi. Grâce à cet apôtre infatigable du pardon, l’amour des ennemis a pris une figure politique extraordinaire. Mieux que le procès de Nuremberg où il s’agissait en dévoilant leurs crimes de punir et d’éliminer les anciens nazis, mieux que les procès israéliens (dont celui d’Eichmann) visant à rendre justice aux victimes de la Shoah, la commission Vérité et Réconciliation a su promouvoir une justice restauratrice, et pas seulement punitive.

Voilà une traduction très réaliste – et très puissante – du passage d’évangile de ce dimanche : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue ».
Ce ne sont pas les paroles d’un doux rêveur, car Jésus les a signées de son sang et a pratiqué l’amour des ennemis jusque sur le bois de la croix : envers ses bourreaux romains, envers la foule juive haineuse, envers les criminels qui l’insultaient à ses côtés.
Non ce n’est pas une marque de faiblesse que de répondre au mal par le bien : c’est la marque de notre identité divine.
Non ce n’est pas illusoire de pratiquer la non-violence jusqu’au bout : au contraire, c’est le chemin le plus efficient pour établir une paix durable.

 

Joue droite, joue gauche
Au temps de Jésus, les Messies autoproclamés et violents pullulaient, qui voulaient tous libérer Israël de l’occupation romaine. L’histoire ne se souvient que de quelques-uns, parce que leur fiasco a été particulièrement lamentable. Simon Bar Kochba (« fils de l’étoile ») est le plus célèbre, et souvent présenté comme « l’anti-Jésus ». Au II° siècle, il réussit à fédérer le peuple juif pour le soulever contre Rome et chasser par l’épée de la révolte la légion qui gardait Jérusalem. Il rétablit ainsi un État en Judée, juif et indépendant, pendant quelques années, battant même sa propre monnaie. L’empereur Hadrien ne pouvait tolérer cette enclave dans l’empire, et la reconquête de Jérusalem fut sanglante. Pas moins de 12 légions romaines écrasèrent le soulèvement militaire de Bar Kochba, et dévastèrent Jérusalem et son Temple, illustrant ainsi tristement le constat prophétique de Jésus : « celui qui vit par l’épée périra par l’épée ». Dans ses moments de découragement dans sa lutte non-violente, Gandhi se raccrochait lui aussi à ce constat historique : « Quand je désespère, je me souviens qu’à travers toute l’histoire, les chemins de la vérité et de l’amour ont toujours triomphé. Il y a eu des tyrans et des meurtriers, et parfois ils ont semblé invincibles, mais à la fin, ils sont toujours tombés. Pensez toujours à cela ».
Que ce soit le soulèvement des vaincus ou l’expansion guerrière des vainqueurs, on a toujours vu au final les dictateurs périr, les tyrans être châtiés et chassés, les violents périr par la violence.

Répondre à la force par la force ne suffit pas, même si cela peut être légitime dans un premier temps, celui de la légitime défense (à condition que la riposte soit proportionnée à l’agression). Après les millions de morts de la première guerre mondiale, le Traité de Versailles n’a pu ramener la paix, car les vainqueurs prenaient leur revanche et imposaient par la force des conditions injustes et impossibles aux vaincus. Ce traité violent qui humiliait les ennemis a malheureusement préparé la guerre suivante. Prions pour qu’on ne rejoue pas un scénario semblable entre la Russie et l’OTAN, avec l’Ukraine au milieu…

Plus près de nous hélas, la présence des soldats français au Sahel s’enlise dans une démonstration de force inefficace. Plus le temps passe, plus les populations locales se rapprochent des djihadistes. Plus les armes sont puissantes, moins l’avenir est assuré. Le triste exemple des interventions en Libye, en Syrie, en Afghanistan, en Iran, en Irak et ailleurs aurait dû nous avertir ! La violence n’est jamais la solution, et l’issue ne peut être militaire seulement…

S’il n’y a pas la diplomatie, c’est-à-dire le dialogue avec l’ennemi pour le changer en partenaire, la victoire violente d’un jour engendrera la défaite sanglante d’un autre jour. Le but ultime de la non-violence est de résoudre la crise comme un conflit se terminant sans rancœur, où les ennemis deviennent des amis.

Ce qui est vrai entre les États l’est également entre les individus. Jésus le savait d’expérience : la violence engendre la violence, la punition fabrique le désir de représailles, la force couve la révolte. D’où la phrase devenue proverbiale : « à celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue ». Chez Mathieu, le texte est plus précis : « si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre » (Mt 5,39). Car, pour frapper quelqu’un sur la joue droite avec la main droite (la main gauche est impure en Orient et en Afrique, réservée aux besoins hygiéniques naturels), il faut le faire du revers de la main, ce qui est plus humiliant et dévalorisant (la loi juive prescrivait d’ailleurs une amende de 200 zuzims – un zuzim était une pièce de 3,7 grammes d’argent – en cas de gifle avec la paume, et de 400 zuzims en cas de gifle d’un revers de main). Un peu comme le « soufflet » du Moyen Âge, où le gant de l’offenseur claquant sur la joue de l’offensé valait un duel à fleurets non mouchetés…

 

triangle Karpmann

Sortir du triangle infernal
Que faire alors ? Répondre par une claque équivalente, c’est tomber dans le cycle infernal violence–représailles dénoncé plus haut. Se plaindre, pleurer, c’est rester devant son offenseur à lui tendre la même joue meurtrie, sans autre perspective que de jouer le rôle de victime. Une ancienne version du triangle de Karpman en somme, où l’identification au rôle de persécuteur, de sauveur ou de victime induit des situations de manipulation et de domination psychologique au sein d’un groupe ou d’un couple. Le persécuteur croit qu’il peut dominer par la force. Le sauveur croit qu’il peut y répondre par une force plus grande. La victime s’installe dans un état de soumission permanente et présente toujours sa même joue meurtrie à qui la frappe.

Tendre l’autre joue pour Jésus, c’est sortir de ce piège triangulaire : non, je ne suis pas la victime qui se résigne, je suis ton égal en humanité, et ma part de visage non meurtri est semblable au tien. À travers le visage apparaît à la fois la vulnérabilité de l’être et sa transcendance. La découverte du visage de l’autre homme me fait prendre conscience à la fois de la possibilité et l’impossibilité du meurtre; cette prise de conscience est l’affirmation de ma conscience morale. « La relation au visage, affirme le philosophe Emmanuel Lévinas, est d’emblée éthique. Le visage est ce qu’on ne peut tuer, ou du moins ce dont le sens consiste à dire : « Tu ne tueras point » » (Éthique et Infini).

Je ne suis pas la victime qui se résigne. Je ne suis pas non plus le sauveur, super-héros qui rêve de faire tomber le persécuteur pour enfin renverser les rôles. Combien de victimes d’une domination se sont révélées être à leur tour des bourreaux une fois la situation renversée ? La dictature soviétique du prolétariat, la longue marche de Mao, la résistance de Fidel Castro ou du Che, la soif de libération des Khmers rouges, les colonnes infernales en Vendée… : tant de révolutions n’ont fait qu’intervertir les maîtres sans supprimer la violence !

En famille, c’est encore plus vrai. Et le triangle de Karpman fait des ravages lorsqu’il n’y a pas la parole et le pardon pour conjurer la violence. Combien de couples se déchirent lors d’une séparation pour la garde des enfants, de la maison, des appareils ménagers ou des objets de valeur ? Même « à l’amiable », un divorce demande de sortir du triangle violent persécuteur/sauveur/victime pour établir de nouvelles relations pacifiques. Le pardon est l’arme la plus efficace pour cela. Pardon envers soi-même, car la culpabilité à raison nous taraude. Pardon envers l’autre, car lui aussi se débat dans ses contradictions, et seule la non-violence permettra de trouver la juste distance.

 

La force de la non-violence dans Communauté spirituelle 2008-03-lmrj-fra

Une justice restauratrice
Au-dessus de la justice punitive, il y a la justice restauratrice. La première emploie la force (amende, prison), la deuxième mise sur le dialogue et le pardon.
Jésus giflé humilié par les soldats romains lors de son procès en donne une incarnation : « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18, 23). Il empêche ses partisans de réagir par le glaive lors de l’arrestation à Gethsémani : « L’un de ceux qui étaient avec Jésus, portant la main à son épée, la tira, frappa le serviteur du grand prêtre, et lui trancha l’oreille. Alors Jésus lui dit : Rentre ton épée, car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée » (Mt 26, 51 52).
Il lui demande de pardonner 70 fois 7 fois (Mt 18,22), comme lui le fera à ceux qui l’insulteront et l’élimineront comme un déchet de la société : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).
Les Messies violents fascinent les foules, connaissent leur heure de gloire, puis périssent sous les coups de la même violence qui les a portés au pouvoir. Machiavel a vraiment tout faux lorsqu’il fait de son cynique calcul à court terme la clé de l’exercice du pouvoir ! Tout violent rencontrera plus violent que lui et sera défait (même s’il faut comme pour Lénine et Staline attendre parfois des années après sa mort pour voir sa statue déboulonnée !).
Jésus est le non-violent par excellence, c’est sans doute pour cela que son royaume n’aura pas de fin. Car, basé sur le pardon, il rétablit la relation de communion avec l’adversaire d’hier au lieu de l’éliminer. Basé sur la parole, il refuse d’endosser le rôle de victime, de bourreau ou de sauveur, et désire seulement rétablir l’autre dans son égale humanité.

Puissions-nous apprendre ce que tendre l’autre joue signifie !
Heureux ceux qui seront assez forts pour mettre cela réellement en pratique, sans lâcheté ni vengeance !

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur » (1 S 26, 2.7-9.12-13.22-23)

Lecture du premier livre de Samuel
 En ces jours-là, Saül se mit en route, il descendit vers le désert de Zif avec trois mille hommes, l’élite d’Israël, pour y traquer David. David et Abishaï arrivèrent de nuit, près de la troupe. Or, Saül était couché, endormi, au milieu du camp, sa lance plantée en terre près de sa tête ; Abner et ses hommes étaient couchés autour de lui. Alors Abishaï dit à David : « Aujourd’hui Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Laisse-moi donc le clouer à terre avec sa propre lance, d’un seul coup, et je n’aurai pas à m’y reprendre à deux fois. » Mais David dit à Abishaï : « Ne le tue pas ! Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ? » David prit la lance et la gourde d’eau qui étaient près de la tête de Saül, et ils s’en allèrent. Personne ne vit rien, personne ne le sut, personne ne s’éveilla : ils dormaient tous, car le Seigneur avait fait tomber sur eux un sommeil mystérieux. David passa sur l’autre versant de la montagne et s’arrêta sur le sommet, au loin, à bonne distance. Il appela Saül et lui cria : « Voici la lance du roi. Qu’un jeune garçon traverse et vienne la prendre ! Le Seigneur rendra à chacun selon sa justice et sa fidélité. Aujourd’hui, le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur. »

Psaume
(Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13)
R/ Le Seigneur est tendresse et pitié.
 (Ps 102, 8a)

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

Aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés ;
comme la tendresse du père pour ses fils,
la tendresse du Seigneur pour qui le craint !

Deuxième lecture
« De même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel » (1 Co 15, 45-49)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, l’Écriture dit : Le premier homme, Adam, devint un être vivant ; le dernier Adam – le Christ – est devenu l’être spirituel qui donne la vie. Ce qui vient d’abord, ce n’est pas le spirituel, mais le physique ; ensuite seulement vient le spirituel. Pétri d’argile, le premier homme vient de la terre ; le deuxième homme, lui, vient du ciel. Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel. Et de même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel.

Évangile
« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 27-38)
Alléluia. Alléluia. 
Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants. Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »
Patrick BRAUD

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