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19 décembre 2021

Noël : assumer notre généalogie

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Noël : assumer notre généalogie

 Homélie pour la fête de Noël / Année C
25/12/2021

Cf. également :

Noël : La contagion du Verbe
Y aura-t-il du neuf à Noël ?
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Tenir conte de Noël
Noël : solstices en tous genres
Noël : Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune…
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Noël : croyance dure ou croyance molle ?
Le potlatch de Noël
La bienveillance de Noël
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Noël : « On vous écrira… »
Enfanter le Verbe en nous…

Raconter notre histoire familiale

African music roots Senegal Soundioulou Sissoko cora kora griot musique africaine traditional traditionnelle anthologyJe me souviens de funérailles en Afrique noire, il y a bien longtemps. Des funérailles immenses à la mesure du défunt, chef important d’un village important. Il y eut trois jours de festivités, avec une foule incroyable qui arrivait et repartait sans cesse, des sacrifices d’animaux par dizaines, des danses, des masques… Je me souviens notamment de l’éloge funèbre prononcé par le griot devant la case du chef, sa veuve étant sur le seuil sans franchir son confinement symbolique. Pendant longtemps, très longtemps, le griot accompagné d’un tambour a chanté les louanges du chef en racontant l’histoire de sa famille depuis aussi loin que la mémoire humaine le pouvait. Je me faisais traduire, et j’écoutais les noms défiler, leurs hauts faits, leurs alliances, leurs victoires.

Depuis, en relisant la généalogie de ce jour de Noël, j’ai à chaque fois l’impression que Matthieu s’est transformé en griot pour nous présenter le héros de son livre ! C’est vrai que le début de l’Évangile de Matthieu nous met d’emblée devant l’histoire d’un nom, d’une famille, sur des générations. Matthieu fait de cette généalogie une nouvelle Genèse ; il utilise le même mot : commencement (genêsis en grec, bereshit en hébreu) que lors de la création du monde (Gn 1,1). On doit faire ici la distinction entre origine et commencement : l’origine concerne l’histoire-avant, le commencement est ce qui naît à partir de. Matthieu n’est pas intéressé par l’origine de Jésus, mais par son commencement. L’enjeu du récit familial n’est donc pas archéologique, mais existentiel.

Quels sont les commencements qui prennent corps dans mon histoire ?

Quand on sait que Matthieu terminera son Évangile par la perspective grandiose de la fin des temps (« et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » Mt 28,20), on voit que Matthieu veut embrasser toute histoire humaine, du commencement à sa fin. Et la généalogie en est sa porte d’entrée.
« Engendrer » est l’unique verbe employé dans ces versets. Sa répétition vaut pour une insistance sur la cohérence et la progression du déroulement des événements : la naissance de Jésus est ici racontée en termes d’accomplissement.

Et nous ? Sommes-nous capable de raconter d’où nous venons et ce qui naît en nous ? Les hauts et les bas de notre famille sur plusieurs générations ?
Il existe d’ailleurs un métier qui consiste à aider des anciens à coucher par écrit leur histoire et celle de leurs aïeux avant qu’ils ne s’en aillent. Un proverbe africain ne dit-il pas : « un vieux qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » ?
Fêter Noël, c’est d’abord selon Matthieu reconstituer l’histoire qui nous a façonnés, pour y discerner ce dont elle accouche. Histoire familiale bien sûr. Mais également l’histoire de notre pays (ce que l’on appelle le roman historique national), par exemple de Lascaux à Clovis, de Clovis à Charlemagne, de Charlemagne à Louis XVI, de la révolution aux guerres mondiales etc. L’humanité elle-même a besoin de se raconter son histoire globale depuis les origines. Le succès du livre « Sapiens : Une brève histoire de l’humanité » (2011), de Yuval Noah Harari, est à ce titre révélateur. D’où les grandes cosmogonies (récits de conception du monde) qui caractérisent chaque culture : la création par les divinités, le déluge, et aujourd’hui le Big-bang ou le vide quantique etc.
Pour le Messie de Noël comme pour chacun de nous, impossible de naître vraiment sans se rattacher à une histoire longue, qu’il faut pouvoir raconter à d’autres pour dire qui nous sommes, et pour la transmettre à nos enfants [1].
Que puis-je raconter de mon histoire familiale, depuis les origines ?

 

Périodiser l’histoire

Les généalogies de JésusMatthieu a travaillé avec soin son découpage de sa généalogie. En 3 périodes égales, de 14 générations chacune. Avec 2 moments charnières entre les périodes : David et l’exil à Babylone.
3 est le chiffre divin (Dieu 3 fois Saint, la Trinité) : distinguer 3 périodes est pour Matthieu le moyen le plus simple d’affirmer que Dieu est à l’œuvre dans cette généalogie. Un regard de foi va permettre de relire la succession des noms humains comme la trace de l’œuvre de Dieu en faveur de son peuple, jusqu’à lui donner le Messie (Christ), l’homme du 8e jour.
14 est un nombre très humain : c’est le chiffre du couple homme-femme (2) multiplié par 7 (le chiffre de la première création en 7 jours). C’est donc toute l’histoire humaine en attente de la 2e création. Rien que par la symbolique de ces nombres 3, 14, 2 et 7, Matthieu nous avertit que l’histoire familiale de Jésus est humaine, très humaine, et que Dieu va porter à son accomplissement l’effort de cette succession de générations pour l’amener de 2 à 3, de 7 à 8.

Ce découpage répond également à un autre besoin : pouvoir mémoriser facilement cette généalogie afin de la raconter sans se tromper le soir autour du feu, à la manière du griot accompagné du tambour. Périodiser notre histoire familiale, personnelle et collective, demande de déceler les époques-charnières, les moments-pivots où quelqu’un, quelque chose a changé le cours des événements. Matthieu a choisi 2 événements clés pour découper ces 3 périodes : la royauté de David et l’exil à Babylone. Le premier est judicieux : c’est un choix qui parle au cœur de tous les juifs. Le grand roi David incarne en effet un idéal de roi juste et religieux, couronné de paix et de prospérité, grâce à l’onction messianique reçue de Samuel. À tel point que « fils de David » sera le titre le plus populaire décerné à Jésus par les foules en attente. Par contre, le choix de la déportation à Babylone a dû choquer les lecteurs de Matthieu. Un peu comme si on faisait de la conférence de Wannsee (1942) sur la solution finale le repère de l’histoire juive contemporaine ! Rappeler Babylone pour Matthieu correspondant donc à un choix délibéré. Avant David, il aurait pu choisir le don de la loi au Sinaï, après lui le retour d’exil. Mais non : le seul nom de Babylone rappelait aux lecteurs que Jésus est né dans une lignée ayant connu bien des catastrophes, bien des revers. Ce n’est pas à la force du poignet qu’Israël a engendré le Messie, parce qu’il aurait été le plus fort ou le plus juste. C’est par don gratuit de Dieu. Insérer Babylone dans la généalogie de Jésus oblige à rester humble, à ne pas écrire l’histoire du point de vue des vainqueurs seulement.

Quels sont les moments charnières où notre histoire personnelle a basculé ?
Quels sont nos David et nos Babylone dont nous devons croiser les fils pour notre propre récit sur nos origines ?

Dans une famille, il y a toujours des figures glorieuses qu’on veut mettre en avant. Il y a inévitablement d’autres figures qu’on préférerait taire, des ‘cadavres dans le placard’ (suicides, divorces, prisons, faillites etc.) dont le silence sur elles engendre mal-être et troubles divers chez les descendants.
À nous d’enquêter s’il le faut pour reconstituer une histoire honnête et franche, sans l’embellir (Babylone) ni la dévaloriser (David).

 

Les femmes du scandale

5 femmes à scandale dans la généalogie de JésusÀ la différence de Luc qui n’en mentionne aucune dans sa généalogie si différente (Lc 3, 23-38), Matthieu nomme 5 femmes dans l’ascendance de Jésus. Et ce sont 5 femmes à scandale [2], hors normes, choisies volontairement par Matthieu qui montre ainsi que Dieu assume nos contradictions, nos écarts pour tracer son chemin.
Tamar est cette veuve sans enfants (double malheur) qui va quand même obtenir par la ruse ce que la vie ne lui accordait pas. Elle se déguise en prostituées et couche avec son beau-père pour donner malgré tout à son mari un fils de son sang (Gn 38).
Et voilà que Jésus compte un inceste dans ses origines !
Puis vient Rahab, la prostituée de Jéricho (Jo 2;6;7) qui a caché les éclaireurs envoyés par Josué pour conquérir la ville. Le fil écarlate accroché à sa fenêtre en guise de signal d’invasion est devenu célèbre.
Et voilà que Jésus compte une prostituée parmi ses ancêtres !
Puis vient Ruth, cette étrangère de Moab, qui séduit Booz à Bethléem, se convertit, devient l’arrière-grand-mère de David (cf. le livre de Ruth).
Et voilà que Jésus est de sang-mêlé, puisqu’il a une étrangère (païenne de surcroît) dans ses origines !
Puis vient la femme d’Ourias. Nous savons qu’elle s’appelle Bethsabée. Mais Matthieu ne la nomme pas, comme pour rappeler le forfait de David qui l’a prise à Ourias, son mari, général d’armée que David va envoyer au front pour l’éliminer. Ainsi il recueillait dans son lit la maîtresse avec qui il avait déjà commis l’adultère en la violant.
Et voilà que Jésus est fils d’un roi adultère, violeur, voleur, assassin !
Puis enfin vient Marie, la seule femme dont Matthieu dit qu’elle ait engendré. Femme hors normes, puisque cela se fait sans Joseph d’après ce que le texte indique.
Et voilà que Jésus a pour mère une vierge !

5 étant le chiffre de la loi (les 5 livres du Pentateuque), on voit que les 5 femmes choisies par Matthieu annoncent une Loi nouvelle, où la vertu morale n’est pas la condition du salut, où la pureté du sang n’est qu’une chimère, où les hors-normes sont des relais de la grâce divine. Matthieu aurait pu citer des femmes bien plus prestigieuses : Sarah, Rebecca, Rachel, Déborah, Esther, Judith ou Anne etc. Mais non : les 5 femmes du scandale font entrer le Messie de Noël dans une humanité où la norme humaine n’est pas divine, où Dieu écrit droit avec des lignes courbes (selon le proverbe portugais que Claudel met en exergue du « Soulier de satin »).

C’est par ces femmes aussi que Jésus est « fils d’Abraham », alors que Luc dans sa  généalogie l’établira « fils d’Adam » : l’un veut montrer l’accomplissement des promesses de l’Alliance d’Abraham en Jésus, l’autre annonce que ces promesses sont étendues à toute l’humanité en Jésus nouvel Adam.

 

Les anonymes, les petits

À partir de la déportation à Babylone, les personnages évoqués ne sont guère connus, même en Israël. On revient à une lignée d’anonymes, de gens simples et modestes qui n’ont guère laissé de traces dans l’histoire. Mais justement, Matthieu veut souligner que Dieu naît aussi au milieu des petits, grâce à eux. Les frasques des puissants sont un peu le miroir aux alouettes des histoires officielles. L’existence des gens simples et ordinaires est tout aussi essentielle pour que Dieu naisse en nous. Matthieu aura particulièrement le souci de ces petits : le massacre des innocents à Noël, les petits du jugement dernier etc.
À nous de réintégrer les petits, les gens simples et ordinaires dans nos récits, nos mémoires, en famille comme en société.

 

Le but du récit : savoir qui je suis

La finale de notre texte dit clairement son intention : « … Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ ». Le but du récit est clairement d’établir l’identité messianique (christique) de Jésus. Les troubles de l’identité viennent souvent d’une absence d’ancrage historique. Matthieu veut établir que le Messie qui prend corps à travers Israël depuis des siècles est bien Jésus, né à Bethléem de Marie.

Si je dois raconter d’où je viens, c’est d’abord pour dire qui je suis. Ce que Paul Ricœur appelle l’identité narrative. C’est en racontant que je prends conscience de ma singularité, et que je peux l’exposer aux autres. Comment savoir qui je suis sans remonter le fil du temps ? À travers les séparations, les brouilles, les oublis, je peux m’inscrire dans une vague de visages et d’événements qui ont leur cohérence.

Noël : assumer notre généalogie dans Communauté spirituelle arbre-de-jesse-920x500

 

Laisser un vide dans le récit

Le jeu du taquin (Michelin)En finale, le lecteur sera un peu surpris de constater… que Matthieu ne sait pas compter ! On effet, il annonce 3 × 14 générations, mais la dernière période n’en compte que 13 et non 14 ! Où est passée la 14e ?
Si Matthieu laisse un blanc, c’est sans aucun doute voulu.
S’il laisse ouverte la liste, c’est pour nous y inscrire.
S’il ne boucle pas la 14e génération, c’est parce qu’elle est là sous nos yeux.
Le vide laissé dans cette succession – à la manière du jeu du taquin – nous permet de nous y insérer. Nous sommes de la génération Jésus-Christ qui couronne l’action de Dieu dans l’histoire en lui faisant porter ses fruits messianiques de justice et de paix, d’amour et de vérité, de pardon et de fidélité.

 

 

Prenons donc place dans cette longue lignée d’illustres et d’obscurs, de pécheurs et de justes, qui a engendré le Messie de Noël et continue de le faire en nos cœurs.

 


[1]. L’ensemble de cet article s’inspire de Céline Rohmer, « L’écriture généalogique au service d’un discours théologique : une lecture de la généalogie de Jésus dans l’évangile selon Matthieu », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires, 2017. Cf. https://journals.openedition.org/cerri/1697

[2]. E. De Luca, Les saintes du scandale, Paris, Mercure de France, 2013.


MESSE DE LA VEILLE AU SOIR

PREMIÈRE LECTURE
« Tu seras la joie de ton Dieu » (Is 62, 1-5)

Lecture du livre du prophète Isaïe

 Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté, et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur dictera. Tu seras une couronne brillante dans la main du Seigneur, un diadème royal entre les doigts de ton Dieu. On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.

PSAUME
(Ps 88 (89), 4-5, 16-17, 27.29)
R/ L’amour du Seigneur, sans fin je le chante ! (cf. Ps 88, 2a)

« Avec mon élu, j’ai fait une alliance,
j’ai juré à David, mon serviteur :
J’établirai ta dynastie pour toujours,
je te bâtis un trône pour la suite des âges. »

Heureux le peuple qui connaît l’ovation !
Seigneur, il marche à la lumière de ta face ;
tout le jour, à ton nom il danse de joie,
fier de ton juste pouvoir.

« Il me dira : Tu es mon Père,
mon Dieu, mon roc et mon salut !
Sans fin je lui garderai mon amour,
mon alliance avec lui sera fidèle. »

DEUXIÈME LECTURE
Le témoignage de Paul au sujet du Christ, fils de David (Ac 13, 16-17.22-25)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Invité à prendre la parole dans la synagogue d’Antioche de Pisidie, Paul se leva, fit un signe de la main et dit : « Israélites, et vous aussi qui craignez Dieu, écoutez : Le Dieu de ce peuple, le Dieu d’Israël a choisi nos pères ; il a fait grandir son peuple pendant le séjour en Égypte et il l’en a fait sortir à bras étendu. Plus tard, Dieu a, pour eux, suscité David comme roi, et il lui a rendu ce témoignage : J’ai trouvé David, fils de Jessé ;c’est un homme selon mon cœurqui réalisera toutes mes volontés. De la descendance de David, Dieu, selon la promesse, a fait sortir un sauveur pour Israël : c’est Jésus, dont Jean le Baptiste a préparé l’avènement, en proclamant avant lui un baptême de conversion pour tout le peuple d’Israël. Au moment d’achever sa course, Jean disait : ‘Ce que vous pensez que je suis, je ne le suis pas. Mais le voici qui vient après moi, et je ne suis pas digne de retirer les sandales de ses pieds.’ »

ÉVANGILE
« Généalogie de Jésus, Christ, fils de David » (Mt 1, 1-25)
Alléluia. Alléluia. Demain sera détruit le péché de la terre, et sur nous régnera le Sauveur du monde. Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Commencement (Généalogie) de Jésus, Christ, fils de David, fils d’Abraham.
Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères, Juda, de son union avec Thamar, engendra Pharès et Zara, Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram, Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naassone, Naassone engendra Salmone, Salmone, de son union avec Rahab, engendra Booz, Booz, de son union avec Ruth, engendra Jobed, Jobed engendra Jessé, Jessé engendra le roi David.
David, de son union avec la femme d’Ourias, engendra Salomon, Salomon engendra Roboam, Roboam engendra Abia, Abia engendra Asa, Asa engendra Josaphat, Josaphat engendra Joram, Joram engendra Ozias, Ozias engendra Joatham, Joatham engendra Acaz, Acaz engendra Ézékias, Ézékias engendra Manassé, Manassé engendra Amone, Amone engendra Josias, Josias engendra Jékonias et ses frères à l’époque de l’exil à Babylone.
Après l’exil à Babylone, Jékonias engendra Salathiel, Salathiel engendra Zorobabel, Zorobabel engendra Abioud, Abioud engendra Éliakim, Éliakim engendra Azor, Azor engendra Sadok, Sadok engendra Akim, Akim engendra Élioud, Élioud engendra Éléazar, Éléazar engendra Mattane, Mattane engendra Jacob, Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ.
Le nombre total des générations est donc : depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations ; depuis David jusqu’à l’exil à Babylone, quatorze générations ; depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ, quatorze générations.
Patrick BRAUD

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12 décembre 2021

Bethléem : le pain et la fécondité

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Bethléem : le pain et la fécondité

Homélie du 4° Dimanche de l’Avent  / Année C
19/12/2021

Cf. également :

Marie, vierge et mère
Just visiting
Visiter l’autre
Enfanter le Verbe en nous…
Maigrir pour la porte étroite

Le sceau de l’histoire

Cette piece en argile etait utilisee pour apposer un sceau sur des documents. Le nom de Bethleem y est inscrit en ancien hebreu.En 2012, des archéologues ont découvert un petit sceau en argile sur lequel figurait le nom « Bethléem » et qui pourrait constituer la preuve de l’existence de cette localité à l’époque biblique. « Ce premier objet ancien qui constitue la preuve tangible de l’existence de la cité de Bethléem, qui est mentionnée dans la Bible, a été découvert récemment à Jérusalem », a précisé l’Autorité israélienne des antiquités dans un communiqué. L’objet, une pièce en argile utilisée pour apposer un sceau sur les documents ou d’autres objets, est connu. Il a été mis au jour durant des travaux d’excavation sur le site dit de la Cité de David situé en contrebas des murailles de la Vieille Ville de Jérusalem. Sur le sceau, qui mesure environ 1,5 cm, le nom de Bethléem est inscrit en ancien hébreu. « C’est la première fois que le nom de la cité apparaît en dehors de la Bible dans une inscription datant du premier Temple juif, ce qui prouve que Bethléem était bien une localité du royaume de Juda, voire d’une période antérieure », a affirmé Elik Shukron, directeur des fouilles de l’Autorité. Selon lui, ce sceau fait partie de documents fiscaux de Bethléem envoyés au roi de Jérusalem, dans le cadre d’un système de taxation utilisé dans ce royaume aux VIII° et VII° siècles avant notre ère [1].

Voilà donc établie l’existence historique – dont certains doutaient – de cette petite ville de notre première lecture (Mi 5, 1-4), aujourd’hui célèbre dans le monde entier pour la Nativité de Jésus. Elle est mentionnée 41 fois dans la Bible, signe de son importance. Michée prophétise qu’elle verra naître un chef d’envergure :

Bethléem : le pain et la fécondité dans Communauté spirituelle palestine« Et toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que je ferai sortir celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent aux temps anciens, à l’aube des siècles… » Une prophétie que viendra compléter Isaïe au siècle suivant en ces termes : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur ».
Et bien sûr, Matthieu et Luc y feront naître Jésus, quitte à inventer un recensement soi-disant universel obligeant Joseph à voyager de Nazareth à Bethléem. C’est peu vraisemblable historiquement, car les romains ne pratiquèrent aucun recensement universel. Le recensement effectué par Quirinus, probablement pour établir l’impôt, ne nécessitait aucun déplacement familial et eut lieu en l’an 6, soit 10 ans après la date maintenant retenue de la naissance de Jésus (-4). Mais cela montre l’importance théologique de Bethléem pour les judéo-chrétiens du premier siècle. Il fallait que Jésus y naisse ! Comme l’écrit Jean : « L’Écriture ne dit-elle pas que c’est de la descendance de David et de Bethléem, le village de David, que vient le Christ ? » (Jn 7,42).

Pour Marc et Jean, il n’est pourtant pas essentiel de relier Jésus à Bethléem, car leurs lecteurs ne connaissent pas ces vieux textes hébreux et les événements qu’ils situent dans cette bourgade. On pardonnera à Matthieu et Luc ces entorses historiques si on sait que leur but était de montrer qui était véritablement Jésus, et non pas de faire un reportage journalistique pour un documentaire sur Arte (d’ailleurs, ces documentaires-là sont très construits, et veulent démontrer toujours quelque chose !).

 

Bethléem, ou la féminité de Jésus

Rattachant Jésus à Bethléem, Matthieu le relie à deux femmes, deux immenses figures d’Israël : Rachel et Ruth. Avant même de détailler le symbolisme de chacune, il nous faut relever l’impact considérable de ce détour par Bethléem : Jésus ne peut se comprendre sans se référer à deux femmes immensément aimées en Israël, ayant une place de choix dans la vocation du peuple. Ainsi apparaît en filigrane la féminité de Jésus dès avant sa naissance. L’ombre majestueuse de Rachel et de Ruth plane sur la mangeoire de Bethléem, et l’enfant boira leur histoire avec le lait de sa mère. C’est fou ce que Jésus doit aux femmes ! Impossible de l’oublier en fêtant Noël à Bethléem.

 

Jésus Rachel : la fécondité malgré tout

le tombeau de rachel  marc chagallLa première des 41 occurrences du nom Bethléem dans la Bible est pour raconter la mort de Rachel. Elle est enceinte, sur la route avec son mari Jacob, et s’arrête à Bethléem pour accoucher. La similitude avec Marie et Joseph n’est pas fortuite. Hélas, l’accouchement se passe mal et Rachel meurt dans les bras de Jacob pendant qu’elle donne vie à son deuxième fils. Fou de douleur, Jacob l’enterre à Bethléem, où son tombeau devient vite un lieu de pèlerinage très populaire (c’est toujours actuellement le 3° lieu saint du judaïsme). « Rachel mourut et on l’enterra sur la route d’Ephrata, c’est-à-dire Bethléem » (Gn 35,19 ; 48,7). Rachel symbolise dès lors la fécondité de l’amour prêt à donner sa vie s’il le faut pour que l’autre naisse. Jésus, nouvelle Rachel, donnera lui aussi sa vie en affrontant sa propre mort pour que naisse à la vie éternelle tous les enfants de Dieu qui acceptent de recevoir ce don d’une vie nouvelle, le premier étant le criminel à sa droite sur la croix. D’ailleurs, le fils né de Rachel à Bethléem s’appelle Ben-jamin, ce qui peut vouloir dire « fils de la droite » en hébreu, c’est-à-dire celui qui reçoit la bénédiction paternelle par l’imposition de la main droite sur sa tête (Gn 48,14.17.18). Dans son dernier souffle, Rachel exprime le souhait de l’appeler Ben-Oni, c’est-à-dire « fils de la douleur », car elle a accouché au prix d’une douleur mortelle (Gn 35,18). Mais Jacob n’a pas voulu que ce fils vive avec ce poids sur les épaules, et l’a appelé Benjamin, ce qui peut encore signifier « fils de la félicité » en hébreu. À Bethléem, la douleur est donc changée en félicité, la malédiction en bénédiction, Ben-Oni en Ben-jamin : comment ne pas y voir la clé pour déchiffrer la Passion de Jésus, véritable douleur d’enfantement, transformation de la malédiction de la croix en promesse de bonheur pour tous les peuples ?

Parce qu’il est symboliquement né là où Rachel est enterrée, là où Benjamin a vu le jour grâce au sacrifice de Rachel, Jésus va pouvoir incarner le don de soi pour l’autre, et l’inversion du malheur. C’est à Rachel qu’il le doit.

 

Jésus Ruth : l’amie prodigieuse

RuthLa deuxième femme dont le nom brille de mille feux à l’évocation de Bethléem est une étrangère : Ruth la Moabite. Un livre entier de la Bible lui est consacré : c’est dire combien Israël aime cette femme qui vient « d’ailleurs » pour aider le Messie à naître ! En effet, veuve sans enfants (double malédiction) Ruth suit sa belle-mère qui revient dans son pays d’origine, Bethléem. Elle est recueillie par un juif, Booz, qui la voit glaner des épis d’orge dans les champs autour de Bethléem. Ruth l’épouse, se convertit au judaïsme, et devient l’arrière-grand-mère du grand roi David. Cette irruption féminine étrangère dans la préparation de la venue du roi-Messie est si frappante que Matthieu prendra bien soin de la mentionner dans sa généalogie de Jésus. Ruth l’étrangère est l’une des 5 femmes apparaissant dans l’arbre généalogique du Messie-Jésus (Mt 1, 1-17) avec Tamar, coupable  d’inceste, Rahab la prostituée, la femme d’Uri – Bethsabée - victime d’adultère, de viol et de l’assassinat de son mari par David !, et bien sûr Marie.

Intégrer Ruth dans l’ascendance du Messie, voilà qui est légèrement scandaleux pour les juifs, puisqu’elle est d’origine étrangère et païenne. Mais, par amour, en se convertissant, elle annonce le rayonnement universel de la foi juive que Jésus va porter à son apogée. Faisant naître Jésus à Bethléem, ville de Ruth, Matthieu veut montrer la messianité royale de Jésus, lui qui vient d’ailleurs, pour étendre la royauté divine à tout l’univers. Si en plus on se souvient que Ruth signifie l’amie en hébreu, on mesure tout ce que Jésus doit à Ruth, l’amie prodigieuse par qui le fils de David fera entrer toutes les nations dans la nouvelle Alliance. Ruth – dont le nom signifie brebis – est l’universalisation de la messianité du fils de David, rassemblant tous les peuples en un seul troupeau.

 

Le Messie-prêtre vient de Bethléem

EphodUn épisode peu connu (Jg 17) raconte comment un lévite de Bethléem devient en quelque sorte le premier grand prêtre, en recevant l’éphod (le pectoral constitué des 12 pierres des 12 tribus) des mains d’un certain Mika. Les racines sacerdotales du Messie viennent de Bethléem ! Rappelons que le rôle du grand prêtre était d’offrir des sacrifices d’animaux pour le peuple, ce que Jésus accomplira au plus haut point en s’offrant lui-même au lieu des animaux, pour le salut du monde. Cette dimension sacerdotale de la messianité de Jésus est fortement soulignée dans notre deuxième lecture (He 10, 5-10) : « Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Tu n’as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors, je t’ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté, car c’est bien de moi que parle l’Écriture ».
Après le Messie-roi donné ou peuple à travers Rachel et Ruth, voici donc le Messie-prêtre annoncé par l’éphod de Bethléem.

 

L’onction messianique de David à Bethléem

Onction de David par Samuel à BethléemBethléem est devenu bien plus célèbre encore à cause de l’onction de David comme Messie-roi sur Israël par le prophète Samuel. L’épisode est frappant (1S 16). Dieu demande à Samuel d’aller choisir un roi pour Israël parmi les fils d’un certain Isaï à Bethléem. Isaï a  8 fils - les premiers sont magnifiques et forts - et Samuel demande à les voir un par un. Dieu va choisir le premier fils, l’aîné, beau et déjà renommé, se dit Samuel. Eh bien non ! Alors le deuxième ? Pas davantage. Samuel passe en revue les 7 premiers fils sans qu’aucun ne trouve grâce aux yeux de YHWH. Il demande alors de faire venir le dernier, le 8e, qui est aux champs en train de garder les troupeaux autour de Bethléem. C’est donc le plus petit. Mais c’est le 8e, et 8 est le chiffre messianique par excellence : le jour de la nouvelle création après les 7 premiers jours, le jour où le Messie viendra, le jour de la résurrection du Christ un dimanche matin (donc le 8e jour de la semaine juive qui commence le samedi soir).

David est roux. Ce qui devrait l’éloigner du trône, car on a peur des roux à l’époque, suspects de porter le feu de la malédiction divine. C’est pourtant lui que YHWH choisit, car « il élève les humbles et renverse les puissants de leur trône » comme le chantera Marie dans son Magnificat. À Bethléem, Samuel prend donc une corne d’huile et la verse sur la tête de David : par cette onction, David devient Messie (massiah = oint en hébreu) sur Israël, héritant de la puissance prophétique de Samuel pour exercer sa future fonction royale.

Naître à Bethléem fait de Jésus un nouveau David, Messie prophète et roi surgit parmi les humbles de la terre pour établir son peuple dans un royaume de justice et de paix.

Au final, quand on rassemble les références à Rachel, Ruth, le lévite à l’éphod, Samuel et David, le seul nom de Bethléem indique que Jésus est le Messie-prêtre-prophète-roi que le peuple attendait.

 

Beth-léem, « maison du pain »

Pain et féconditéC’est l’étymologie courante du nom Bethléem en hébreu. Jean dira de Jésus qu’il est « le pain vivant descendu du ciel »(Jn 6,51). Les synoptiques décriront deux multiplications des pains dont la tonalité eucharistique est évidente. La naissance à Bethléem annonce que cet enfant est la vraie nourriture des croyants, le pain vivant donné par Dieu lui-même pour faire grandir dans la vie divine. Ce pain est d’abord la parole du Christ, lui qui est le Verbe de Dieu. Ce pain est ensuite l’eucharistie, vraie nourriture pour ne pas défaillir en chemin. Ce symbolisme du pain à Bethléem est renforcé par le fait que Marie couche son nouveau-né dans une mangeoire, ce qui le désigne justement comme « à manger », comme on dit d’un bébé qu’il est à croquer !

 

Ephrata, lieu de la fécondité

Ephrata, le deuxième nom de Bethléem (« et toi Bethléem Ephrata … ») est beaucoup moins connu, son étymologie également. C’est bien dans ce « lieu de la fécondité » que Jésus est né, rejoignant ainsi le don de soi pour donner la vie que rappelle le tombeau de Rachel à Bethléem. Et aussi la fécondité de Ruth l’étrangère qui va engendrer l’ascendance de David, et donc du fils de David qu’est Jésus.

Naître à Bethléem traduit l’extraordinaire fécondité de la mission de cet enfant. Il donnera vie à tous ceux qui s’approchent de lui - fût-ce au prix de la sienne - et cette vie comme son royaume n’aura pas de fin.

 

Le pain et la fécondité : en devenant des Christs par le baptême, nous naissons tous et chacun à Bethléem, appelés à donner la vie autour de nous, et à nourrir ceux que nous engendrons ainsi à la vie nouvelle.

Par le baptême, nous sommes oints de l’Esprit qui fait de nous des prêtres, des prophètes et des rois comme le Messie de Bethléem.
Entraînons-nous à naître à Bethléem, jour après jour…

 


1ère lecture : Le Messie viendra de Bethléem (Mi 5, 1-4)

Lecture du livre de Michée

Parole du Seigneur :
Toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que je ferai sortir celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent aux temps anciens, à l’aube des siècles.
Après un temps de délaissement, viendra un jour où enfantera celle qui doit enfanter, et ceux de ses frères qui resteront rejoindront les enfants d’Israël.
Il se dressera et il sera leur berger par la puissance du Seigneur, par la majesté du nom de son Dieu. Ils vivront en sécurité, car désormais sa puissance s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre, et lui-même, il sera la paix !

Psaume : Ps 79, 2.3bc, 15-16a, 18-19

R/ Dieu, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés !

Berger d’Israël, écoute,
toi qui conduis ton troupeau, resplendis !
Réveille ta vaillance
et viens nous sauver.

Dieu de l’univers, reviens !
Deu haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-la,
celle qu’a plantée ta main puissante.

Que ta main soutienne ton protégé,
le fils de l’homme qui te doit sa force.
Jamais plus nous n’irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !

2ème lecture : « Je suis venu pour faire ta volonté » (He 10, 5-10)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, en entrant dans le monde, le Christ dit, d’après le Psaume : Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Tu n’as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors, je t’ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté, car c’est bien de moi que parle l’Écriture.
Le Christ commence donc par dire : Tu n’as pas voulu ni accepté les sacrifices et les offrandes, les holocaustes et les expiations pour le péché que la Loi prescrit d’offrir. Puis il déclare : Me voici, je suis venu pour faire ta volonté. Ainsi, il supprime l’ancien culte pour établir le nouveau. Et c’est par cette volonté de Dieu que nous sommes sanctifiés, grâce à l’offrande que Jésus Christ a faite de son corps, une fois pour toutes.

Evangile : La Visitation (Lc 1, 39-45)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Chante et réjouis-toi, Vierge Marie : celui que l’univers ne peut contenir demeure en toi. Alléluia. (cf. So 3, 14.17)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ces jours-là, Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée.
Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint,
et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.
Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
Car, lorsque j’ai entendu tes paroles de salutation, l’enfant a tressailli d’allégresse au-dedans de moi.
Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
Patrick Braud

 

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5 septembre 2021

Étanche à l’insulte

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Étanche à l’insulte

24° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
12/09/2021

Cf. également :

Le vertige identitaire
Yardén : le descendeur
Prendre sa croix
Croire ou agir ? La foi ou les œuvres ?
Faire ou croire ?
Jésus évalué à 360°
De l’art du renoncement
C’est l’outrage et non pas la douleur
Prendre sa croix chaque jour
Talion or not talion ?
Jésus face à la violence mimétique
Exigeante et efficace : la non-violence
Non-violence : la voie royale

Étanche à l’insulte dans Communauté spirituelle l_insulte_afficheUn film très original a récemment été diffusé sur Arte. Il s’intitule : L’insulte (de Ziad Doueiri, 2017). Un chrétien libanais arrose par mégarde la tête d’un Palestinien du haut de son balcon. Une dispute éclate et une insulte est proférée. Les deux hommes finissent au tribunal. Peu importe qui a tort ou qui a raison. Ce film de prétoire démontre que la haine engendre la haine, jusqu’à ici atteindre l’absurde, il milite fiévreusement pour la réconciliation, entre les deux antagonistes, et de manière plus générale entre les peuples. Brillant, bouleversant.

Chacun de nous pourrait raconter comment l’insulte envenime des relations normalement paisibles, que ce soit au volant, en famille, entre collègues ou amis… L’étymologie du mot indique qu’il s’agit bien d’une violence délibérée, destinée à faire mal : in sultum = assaut contre quelqu’un. L’insulte a quelque chose d’un acte de guerre, d’un commando verbal, d’une expédition punitive violente. À tel point qu’elle est facilement qualifiée de délit si elle porte atteinte à l’intégrité voire à la dignité d’autrui. Les insultes racistes, homophobes, sexistes etc. sont désormais sévèrement punies par la loi française. Jésus avait lui-même durci la législation juive sur le sujet – si l’on peut dire – en assimilant l’insulte à un crime verbal passible du tribunal : « Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu’un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu » (Mt 5, 22).

Le pape François commentait en privé (14/06/2018) :

la-capitaine-haddock-est-celebre-pour-ses-jurons-tres-sophistiques-1475149553 insulte dans Communauté spirituelle« En substance, le Seigneur dit : l’insulte ne finit pas en elle-même ; l’insulte est une porte qui s’ouvre, c’est commencer une route qui finira en tuant, parce qu’insulter c’est commencer à tuer, c’est disqualifier l’autre, lui ôter le droit d’être respectable, c’est le rejeter, c’est le tuer dans la société. Nous sommes habitués à respirer l’air des insultes. Du reste, il suffit de conduire sa voiture aux heures de pointe (à Rome tout particulièrement ! NDLR). Mais l’insulte détache, brise la communauté et tue l’autre, elle commence par ternir la bonne réputation, puis elle va au-delà, au-delà, au-delà. Même les petites insultes que l’on prononce par hasard aux heures de pointe quand nous conduisons la voiture, deviennent, ensuite, de grosses insultes. Et ce ne sont pas que des insultes avec la bouche: mais avec le cœur. Précisément c’est ce qui tue : l’insulte. Et l’insulte efface le droit d’une autre personne. »

Dans la première lecture de ce dimanche (Is 50, 5-9a), affronter l’insulte est au cœur de la fidélité du Serviteur souffrant d’Isaïe à sa mission :

« J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. »

Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu mon visage dur comme pierre » : elle exprime la résolution et le courage. En français, on dit quelquefois « avoir le visage défait »; eh bien ici le Serviteur affirme : « vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure, parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force : « Le Seigneur Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages ».

Qui est ce mystérieux serviteur ? Pourquoi réagit-il ainsi à l’outrage et aux crachats ?

L’identité de ce serviteur a fait l’objet d’innombrables commentaires. On peut les synthétiser en avançant que le portrait de ce personnage superpose au moins 4 figures historiques selon les chrétiens : Israël, le prophète Isaïe, Jésus, l’Église.

illustrations_1156_photo_2-1-300x225 IsaïeL’interprétation la plus courante voit dans ce Serviteur souffrant des chapitres d’Isaïe (42, 1-9, 49, 1-7, 50, 4-11 et 52,13-53,12) l’incarnation du peuple d’Israël en exil à Babylone (entre -587 et -537). Loin de ceux qui sont restés à Jérusalem, les déportés juifs (déjà !) subissent mépris et vexations. Ils sont employés comme esclaves aux chantiers de Nabuchodonosor à Babylone, dont la célèbre ziggourat a inspiré le récit de la tour de Babel (Gn 11, 1-9). Ils sont moqués pour leur foi en un soi-disant Dieu unique tout-puissant et universel, qui pourtant ne les a pas protégés de la débâcle, et paraît insignifiant à côté de Mardouk et autres divinités babyloniennes au sommet de leur gloire. Pourtant, malgré l’opposition, la déchéance, la dérision qui l’entoure, ce petit reste d’Israël continue à y croire. Impuissant à se révolter militairement, il fait le dos rond, attendant avec patience et espérance que YHWH se manifeste à nouveau. Il l’a bien fait en Égypte autrefois, alors pourquoi pas à Babylone maintenant ?

Nul doute que cette identification du Serviteur souffrant au peuple d’Israël a nourri la prière, l’espoir et la supplication des millions de juifs déportés dans les camps nazis au XX° siècle. Et le souhait de chaque fête de Pâques : « l’an prochain à Jérusalem ! » a fini par se réaliser quelques années après la fin du cauchemar nazi. Cela avait commencé par les insultes d’Hitler contre l’identité juive dans une brasserie munichoise, puis dans Mein Kampf. Et puis l’insulte a pris corps, le mépris s’est incarné, les crachats sont devenus physiques, les outrages abominables. Revenu sur la terre de Canaan, Israël doit à nouveau assumer sa vocation prophétique face aux nations. Cette fois-ci, avec son armée high-tech, il est farouchement déterminé à rendre coup pour coup, pour que la débâcle ne se reproduise jamais. Pas sûr que cet engrenage de l’insulte répondant à l’insulte, de la violence répliquant à l’agression, des missiles en représailles des mortiers soient très biblique ni très efficace. Seule la non-violence prônée par Isaïe pourra désamorcer le cycle infernal des assauts/vengeances endeuillant juifs et palestiniens sans fin.

Une 2e interprétation voit Isaïe lui-même dépeint sous les traits du Serviteur souffrant. En butte à l’hostilité que suscite la Parole qu’il répand – Parole de conversion et de réforme radicale – Isaïe ne se décourage pas, et compte sur son Dieu pour le défendre et laver son honneur. Tout baptisé, de par sa vocation prophétique, peut se reconnaître en Isaïe outragé, méprisé, lorsqu’il proclame une Parole tranchante contredisant l’opinion ou les mœurs majoritaires.

mockingofchrist1700 PassionCe qui prépare la voie à la 3e interprétation, où les chrétiens reconnaissent en Jésus tout ce qu’Isaïe décrivait des serviteurs de YHWH. « Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice » (1P 2,23). Porteur d’une parole radicalement exigeante, Jésus sera non-violent jusqu’au bout. Fra Angelico a immortalisé les injures, la dérision, les soufflets, les crachats qui ont accompagnés la descente aux enfers de Jésus dans sa Passion. En aimant ses ennemis, en pardonnant à ses bourreaux, en se confiant à son Père jusqu’à l’ultime, Jésus incarne au plus haut point ce serviteur centré sur sa mission, jusqu’à se rendre étanche à l’insulte pour ne pas en dévier. « Il durcit son visage comme pierre » (Chouraqui traduit : « j’ai mis mes faces comme un silex ») pour montrer sa détermination à ne pas se laisser détourner de sa mission par l’hostilité ambiante. Luc reprendra ces termes pour montrer Jésus monter à Jérusalem avec courage, alors qu’il sait fort bien que cela va très mal se terminer : « Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus durcit sa face et prit la route de Jérusalem » (Lc 9, 51)

Lisant le Serviteur souffrant en filigrane au travers du Christ, les chrétiens n’avaient aucune peine à exulter de joie avec Isaïe dans son chant final dans lequel il voit l’annonce de la résurrection : « Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme. Il étonnera de même une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que, jamais, on ne leur avait dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler » (Is 52, 13-15).

800px-Jesus_graffito serviteurLa 4e interprétation découle de la première : l’Église, « véritable Israël de Dieu », est elle aussi soumise à l’opprobre, à l’insulte, à la persécution depuis son origine. Se propageant grâce au sang des martyrs, caricaturée très tôt sous les traits d’un crucifié à tête d’âne gravé dans la pierre (Charlie Hebdo n’a rien inventé !), insultée à cause de sa foi ou de ses (réelles) fautes nombreuses et lourdes dans l’histoire, l’Église baisse la tête mais pas le pavillon de l’espérance. Si elle sait traverser sans violence le flot des insultes charriées contre elle, elle pourra avec le Christ découvrir la fidélité de Dieu à son désir de salut universel. Paul écrivait : « On nous insulte, nous bénissons. On nous persécute, nous le supportons » (1 Co 4, 12).

Ce parcours des interprétations du Serviteur souffrant d’Isaïe ne serait pas complet si on n’y ajoutait pas la 5e interprétation : le Serviteur souffrant, c’est moi, c’est vous. Sans prétention aucune, sans orgueil ni démesure. Chacun de nous a rencontré ou rencontrera dans sa vie l’insulte, l’outrage, les crachats. Pire, chacun en sera l’auteur. Relire Isaïe peut alors nous aider à durcir notre visage comme la pierre pour affronter l’adversité le cœur en paix. L’Esprit du Christ saura nous rendre étanche à l’insulte, c’est-à-dire garder fermement la main sur la barre du gouvernail pour maintenir le cap malgré les déferlantes et les vents contraires. Il ne s’agit pas de devenir insensible de cœur, ni étranger au drame qui se joue. Il s’agit de ne pas laisser l’opprobre pénétrer en nous et fissurer le roc de notre confiance en Dieu. Être étanche à l’insulte, c’est ne pas prendre pour soi la colère de notre interlocuteur, ne pas lui répondre sur le même ton ni le même plan, bref « tendre l’autre joue », c’est-à-dire montrer à l’agresseur un autre visage que celui d’une victime ou d’un bourreau en retour : « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18, 23) Voilà pourquoi ne pas renchérir à l’insulte est plus efficace que de lever le poing : tourner la clé de contact avant que le moteur ne s’emballe évitera les surchauffes dangereuses.

effet-hydrophobeÊtre imperméable à l’insulte demande parfois de savoir mettre de la distance entre soi et l’agresseur, jusqu’à fuir s’il le faut plutôt que d’engager un cycle de violence inarrêtable. Cela demande aussi de garder les yeux fixés sur le cap à suivre, s’il est juste. Ainsi un syndicaliste annonçant une grève à son patron, ou à l’inverse un DRH annonçant des licenciements inéluctables et nécessaires. Ou bien une femme insultée et harcelée dans la rue pour sa tenue vestimentaire. Cet endurcissement du visage ne signifie pas renoncer à ses droits, ni à sa dignité. Jésus demande calmement à ses insulteurs d’en rendre compte ; il demande de recourir au tribunal pour juger de la gravité d’une insulte. Et Isaïe n’a pas peur de comparaître devant des juges pour faire valoir son bon droit face à ses insulteurs : « Quelqu’un veut-il plaider contre moi ? Comparaissons ensemble ! Quelqu’un veut-il m’attaquer en justice ? Qu’il s’avance vers moi ! Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ? » On croirait déjà entendre Paul crier sa confiance face à ses juges : « Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? Dieu est celui qui rend juste : alors, qui pourra condamner ? » (Rm 8, 33 34)

A côté des réponses bibliques à l’insulte, les causes de l’insulte méritent également d’être analysées : pourquoi insulte-t-on ?
Une première cause évidente : la haine, la violence de celui qui insulte.
Une deuxième cause moins visible : l’absence ou la faiblesse d’argumentations remplacées par des injures, des amalgames ou des invectives de mépris. La violence verbale remplace le raisonnement.
Une troisième cause plus subtile est l’exploitation de l’émotivité pour faire exploser l’interlocuteur qui répond par des insultes tandis que l’agresseur réel reste calme (technique rhétorique).
Enfin une dernière cause de l’insulte est le cynisme de celui qui promet et ne tient pas et se fait traiter de menteur. Mais à ce niveau-là est- ce encore une insulte ?
Attirer volontairement les insultes peut être aussi une façon de se « blanchir » ou d’apparaître comme une victime pour se dédouaner d’une conduite indigne.

Notre propre responsabilité dans l’insulte subie est donc à examiner avec honnêteté.
Ne pas répondre à l’insulte par l’insulte demande de comprendre pourquoi l’autre réagit ainsi, afin d’y ajuster notre attitude.

Reste que pour Isaïe comme pour Jésus, rendre coup pour coup n’arrange rien.
Rendre coup pour coup n’arrange rien.
Mais la non-violence n’abolit pas le droit ni la justice, au contraire.
L’étanchéité à l’insulte rend intraitable sur le respect dû à chacun.
Répondre à l’insulte n’est pas insulter en retour, mais faire condamner cet acte dégradant pour celui qui prononce l’insulte plus encore que pour sa victime, si elle sait se protéger.

Entraînons-nous à pratiquer cette forme de courage.
Durcissons notre visage comme pierre lorsqu’il nous faut aller au bout de nos Passions…

 

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient » (Is 50, 5-9a)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. Il est proche, Celui qui me justifie. Quelqu’un veut-il plaider contre moi ? Comparaissons ensemble ! Quelqu’un veut-il m’attaquer en justice ? Qu’il s’avance vers moi ! Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ?

Psaume
(Ps 114 (116 A), 1-2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants. ou : Alléluia ! (Ps 114, 9)

J’aime le Seigneur :
il entend le cri de ma prière ;
il incline vers moi son oreille :
toute ma vie, je l’invoquerai.

J’étais pris dans les filets de la mort,
retenu dans les liens de l’abîme,
j’éprouvais la tristesse et l’angoisse ;
j’ai invoqué le nom du Seigneur :
« Seigneur, je t’en prie, délivre-moi ! »

Le Seigneur est justice et pitié,
notre Dieu est tendresse.
Le Seigneur défend les petits :
j’étais faible, il m’a sauvé.

Il a sauvé mon âme de la mort,
gardé mes yeux des larmes
et mes pieds du faux pas.
Je marcherai en présence du Seigneur
sur la terre des vivants.

Deuxième lecture
« La foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte » (Jc 2, 14-18)

Lecture de la lettre de saint Jacques

Mes frères, si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il ? Sa foi peut-elle le sauver ? Supposons qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : « Allez en paix ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim ! » sans leur donner le nécessaire pour vivre, à quoi cela sert-il ? Ainsi donc, la foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte. En revanche, on va dire : « Toi, tu as la foi ; moi, j’ai les œuvres. Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi. »

Évangile
« Tu es le Christ… Il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup » (Mc 8, 27-35) Alléluia. Alléluia.
Que la croix du Seigneur soit ma seule fierté ! Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Alléluia. (Ga 6,14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? » Ils lui répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. » Et lui les interrogeait : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. » Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne. Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. Jésus disait cette parole ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches. Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »
Patrick BRAUD

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27 juin 2021

Je t’envoie vers les nations rebelles

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Je t’envoie vers les nations rebelles

Homélie pour le 14° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
04/07/2021

Cf. également :

Nul n’est prophète en son pays
Quelle est votre écharde dans la chair ?
Le Capharnaüm de la mémoire : droit à l’oubli, devoir d’oubli
La grâce étonne ; c’est détonant !
Un nuage d’inconnaissance
La parresia, ou l’audace de la foi
Secouez la poussière de vos pieds
Avez-vous la nuque raide ?

Peuple d’élite…

 de Gaulle Les Juifs un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur« Un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » : la sortie du général De Gaulle en pleine Guerre des six jours (qu’il désapprouvait) est célèbre [1]. Remarque cinglante qui cache mal une certaine admiration au travers de la condamnation apparente. Car enfin, voilà un petit peuple qui aurait dû être rayé de l’Histoire plusieurs fois, et qui à chaque fois est rené de ses cendres, des décennies ou des siècles après l’esclavage en Égypte, l’Exil à Babylone, la Diaspora romaine, la Shoah nazie… Pourtant, la Bible n’est pas tendre avec ce petit peuple décrit comme ayant « la nuque raide », refusant de courber la tête devant YHWH. Ézéchiel particulièrement ne mâche pas ses mots envers Israël. Notre première lecture (Ez 2, 2-5) se fait l’écho de la sévère condamnation portée contre Israël qualifié de « nations rebelles » qui se sont « révoltées » contre YHWH : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers ces nations rebelles qui se sont révoltées contre moi » [2].

 

La relecture faite par Ézéchiel

Le rédacteur du livre n’a pas de mots assez durs envers la génération qui a précédé l’Exil à Babylone (-597) : sa responsabilité dans le désastre de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor est écrasante. C’est parce qu’il s’est rebellé contre YHWH, multipliant les infidélités avec les dieux étrangers, n’obéissant plus à la loi de justice transmise par Moïse, que ce peuple a si facilement été conquis, massacré, déporté. Relecture de l’histoire très courante dans les temps antiques : on cherchait les causes d’une défaite nationale dans les fautes de la nation, et l’on attribuait à Dieu le pouvoir de punir ainsi ceux qui lui avaient désobéi. Aujourd’hui, on n’oserait évidemment pas expliquer la Shoah par le péché des juifs ! Ce serait insupportable religieusement et non pertinent sur le plan historique. Bien d’autres causes ont provoqué ces catastrophes pour le peuple juif. Au VI° siècle avant J. C., c’était la corruption, les ambitions démesurées des monarchies israélites, les injustices, le mépris des pauvres… Tout cela entretenait un délitement intérieur du pays et une cohésion sociale de plus en plus faible.

Je t’envoie vers les nations rebelles dans Communauté spirituelle 382328

Toutefois, la relecture religieuse d’Ézéchiel selon laquelle l’Exil est dû à la rébellion des juifs contre YHWH peut nous servir d’avertissement très contemporain : chaque fois qu’un peuple tourne le dos à ce qui le structure (ses valeurs, son sens de la justice, son Dieu), il le paie cash.
Au XX° siècle, l’effondrement des fascismes allemand et italien, du communisme russe, des rêves d’empire japonais etc. peuvent très bien être analysés avec cette grille de lecture. Si la France – voire l’Europe ou l’Occident – deviennent également des « nations rebelles » à ce qu’elles portent de plus sacré en elles, alors leur déclin est proche. Les Ézéchiel du XXI° siècle pourraient prophétiser un exil intérieur, et bientôt la destruction de l’équivalent du Temple de Jérusalem.
Nos défaites sont souvent les conséquences de nos reniements.
Nos exils résultent largement de nos infidélités.
Nos déportations sont rendues possibles par nos lâchetés.
La destruction de nos temples fait suite à nos rebellions insensées.

 

Nations, rebelles, révoltées

Ézéchiel emploie 3 mots assassins pour qualifier la responsabilité des fils d’Israël : nations (2,3), rebelles (2,5), révoltées (2,3).

MINUI_NANTE_1956_01_L204 exil dans Communauté spirituelle- Traiter les fils d’Israël de « nations » (goïm) est suprêmement insultant pour les juifs. Car Israël s’est toujours considéré comme un peuple à part, distinct des autres nations païennes et idolâtres, au point d’employer deux mots différents. Aujourd’hui encore, les juifs appellent goy un non-juif. Les goïm sont donc normalement des incirconcis, des polythéistes, des adorateurs de faux dieux. Et voilà qu’Ézéchiel traite Israël de goïm ! Ses infidélités font tomber le peuple bien bas, au niveau des autres nations, comme s’ils avaient annulé l’Alliance qui les distinguait des autres. Qui plus est, goïm est un pluriel (les nations) là où YHWH avait commencé à façonner un peuple uni, « son épouse bien-aimée », « la joie de ses yeux » comme il le dira à Ézéchiel pleurant sa femme décédée brutalement (Éz 24,15–27). Se détournant de YHWH, Israël a perdu son unité, il est devenu pluriel, il est réduit au rang de nations. L’éparpillement, la dispersion, la désunion nous guettent dès lors que nous nous détournons de la présence de Dieu au milieu de nous…

 

9782203318236 Ezéchiel- Le 2e terme employé par Ézéchiel pour qualifier la responsabilité d’Israël est l’adjectif « révoltées ». Rien à voir avec la révolte au sens d’Albert Camus, nécessaire et juste réaction contre l’absurdité ou l’oppression. Non : la révolte d’Israël était contre lui-même en fait, une sorte de pulsion de mort dont la folie suicidaire effrayait les prophètes : « ils ont été rebelles, ils se sont révoltés contre toi, ils ont rejeté ta Loi derrière leur dos ; ils ont tué les prophètes qui les adjuraient de revenir à toi ; ils ont été coupables de grands blasphèmes » (Ne 9, 26). Ézéchiel emploie 4 fois ce terme de révoltées pour dénoncer les ruptures d’Alliance dont Israël s’est rendu coupable, répétitions mortelles du Veau d’or…

 

detail-representant-jugement-menees-enfer-facade-occidentale-Notre-Dame-Paris_0 Israël- Il en rajoute (si l’on peut dire) en qualifiant 15 fois les juifs de « famille de rebelles » comme dans notre première lecture (2,5). Pourquoi rebelles ? Parce qu’ils refusent d’écouter les prophètes leur révélant leurs déviances. Ils sont dans le déni de leur responsabilité dans la chute de Jérusalem, l’Exil, puis la destruction du Temple (-587). Ils vont chercher auprès d’étrangers et de leurs dieux des alternatives pour échapper à leur conversion. Ils refusent le retour vers YHWH qui les rétablirait dans l’Alliance, la paix et la prospérité.

Cette rébellion n’a rien de romantique, rien de social. C’est vraiment la nuque raide, l’obstination dans le mal dont Israël est capable et qui le ravale au rang des autres nations.

On est loin du « peuple dominateur et sûr de lui » décrit par De Gaulle… Ou plutôt on en serait tout proche si l’Israël d’aujourd’hui se comportait à nouveau en « nations révoltées et rebelles » contre son Dieu, ce qui n’est jamais à exclure hélas.

Reste qu’Ézéchiel est envoyé vers ces nations révoltées et rebelles qu’est devenu Israël, et pas vers d’autres.
Devenus prophètes en Christ par le baptême, nous sommes nous aussi envoyés vers les rebelles de ce siècle, vers les nations en voie de désunion, vers les révoltées refusant toute transcendance autre que la leur. Nous ne sommes pas envoyés vers les gentils (au sens bisounours du terme), mais vers les gentils (au sens païen du terme goïm). « Comme des agneaux au milieu des loups », précisera même Jésus gravement (Mt 10,16).

 

Qui sont nos rebelles d’aujourd’hui ?

Couv_203506 rebelleSi l’on suit Ézéchiel, ce sont ceux qui sont responsables de catastrophes comme un exil, une destruction de l’identité nationale (dont le Temple de Jérusalem était la figure), de ruptures d’alliance (infidélités à la loi divine, injustices, corruptions, oppressions). Pas si simple d’être envoyé à ces gens-là…
Je pense aux martyrs de l’Ouganda (au XIX°), ces premiers chrétiens osant affronter leur roi et sa cour aux mœurs douteuses et au pouvoir tyrannique.
Je pense à l’enseignement courageux des papes sur le danger du communisme russe, appelant les nations de l’Est à retrouver leurs racines.
Je pense au Père Joseph Wrezinski révélant les processus d’exclusion maintenant le Quart-Monde à la marge de notre société depuis des générations, et appelant à bâtir à partir de ces familles et avec elles.
Et à tant d’autres…

Autour de nous

repas1Regardez bien autour de vous : il y a sûrement des rebelles, des révoltés, des nations à qui nous devons une parole de vérité et un appel courageux à changer de voie.
Car la bonne nouvelle d’Ézéchiel, c’est bien sûr le retour possible à Jérusalem, même après 50 ans d’exil. La bonne nouvelle que nous devons à ceux vers qui nous somme envoyés est celle de la responsabilité personnelle : ce que leur infidélité a défait peut être restauré par une fidélité retrouvée. Ce que le péché a provoqué de délitement, de dispersion, d’exil peut-être retourné comme un gant s’ils choisissent une autre voie. Le petit reste d’Israël qui a su tirer les conséquences de l’Exil a finalement préparé le retour improbable en Terre promise. Il suffirait donc aujourd’hui d’une poignée de rebelles qui se convertissent pour ouvrir de nombreux chemins d’avenir (économiques, politiques, écologiques…). Rien ne sert de demeurer dans l’entre soi de bons cathos de service : nous sommes envoyés vers les violents, les destructeurs, les loups d’aujourd’hui. Non pour les punir : pour qu’ils reviennent à Dieu, qu’ils changent leur cœur et renoncent au mal.

En nous

Regardons également en nous : il y a un rebelle en chacun ! Notre part d’ombre est justement celle qui résiste à être révélée par l’Écriture. Nous sommes à ce titre envoyés vers nous-mêmes : quelle est ma part de responsabilité dans les exils intérieurs qui me rongent ? les destructions qui me navrent ? les catastrophes qui s’abattent sur moi ? À bien s’examiner, chacun détectera les rebellions, les révoltes, les infidélités et compromissions qui délitent son unité intérieure, sa cohérence de vie. Et si vous n’en trouvez pas, demandez à ceux qui ne vous aiment pas ! Ils vous donneront des pistes…

« Fils d’homme, va je t’envoie vers ces nations rebelles » : en nous et autour de nous, cet envoi nous oblige. C’est notre vocation de prophètes en tant que baptisés, dont l’enjeu est le retour d’exil, de nos exils collectifs et personnels.

 


[1]. « Et certain même redoutait que les juifs, jusqu’alors dispersés, et qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent – une fois qu’ils seraient rassemblés dans les sites de son ancienne grandeur – n’en viennent à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis 19 siècles :  » l’an prochain à Jérusalem « . » (27/11/1967).

[2]
. La traduction liturgique n’est pas fidèle au texte hébreu qui parle de nations (gō·w·yim) au pluriel.

 

 LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« C’est une engeance de rebelles ! Qu’ils sachent qu’il y a un prophète au milieu d’eux ! » (Ez 2, 2-5)

Lecture du livre du prophète Ézékiel

En ces jours-là, l’esprit vint en moi et me fit tenir debout. J’écoutai celui qui me parlait. Il me dit : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers une nation rebelle qui s’est révoltée contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi. Les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné ; c’est à eux que je t’envoie. Tu leur diras : ‘Ainsi parle le Seigneur Dieu…’ Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas – c’est une engeance de rebelles ! – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »

PSAUME
(Ps 122 (123), 1-2ab, 2cdef, 3-4)
R/ Nos yeux, levés vers le Seigneur, attendent sa pitié. (cf. Ps 122, 2)

Vers toi j’ai les yeux levés,
vers toi qui es au ciel,
comme les yeux de l’esclave
vers la main de son maître.

Comme les yeux de la servante
vers la main de sa maîtresse,
nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu,
attendent sa pitié.

Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous :
notre âme est rassasiée de mépris.
C’en est trop, nous sommes rassasiés
du rire des satisfaits, du mépris des orgueilleux !

DEUXIÈME LECTURE
« Je mettrai ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure » (2 Co 12,7-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, les révélations que j’ai reçues sont tellement extraordinaires que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. Par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.

ÉVANGILE
« Un prophète n’est méprisé que dans son pays » (Mc 6, 1-6)
Alléluia. Alléluia.L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia.(Lc 4, 18ac)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

 En ce temps-là, Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet. Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi. Alors, Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.
.Patrick Braud

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