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30 novembre 2024

Notre Dame de Paris : « Le sanctuaire, c’est vous »

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 30 min

Notre Dame de Paris : « Le sanctuaire, c’est vous » dans Communauté spirituelle Les-premieres-images-de-Notre-Dame-de-Paris-le-29-novembre-2024-1987372Alors que la réouverture de la cathédrale Notre Dame de Paris suscite des flots d’éloges (justifiés et légitimes) dans tous les médias, apportons une petite note critique : pour les disciples du Christ, les pierres c’est bien, les humains c’est mieux !

Le vrai sanctuaire n’est pas un monument historique, mais le corps du Christ que nous formons ; le vrai Temple de l’Esprit de Dieu n’est pas sous les voûtes gothiques, mais dans le corps personnel de chacun.

De quoi relativiser l’enthousiasme ambiant légèrement idolâtre !

« Frères, ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. » (1Co 3,16)

Si nous avons remis le bâtiment debout, c’est pour que Dieu habite en nous, car il n’habite pas les pierres… : « Ils me feront un sanctuaire, et j’habiterai en eux » (Ex 25,8)

Étienne, premier martyr, rappelait à ses juges : « Le Très-Haut n’habite pas dans ce qui est fait de main d’homme, comme le dit le prophète : Le ciel est mon trône, et la terre, l’escabeau de mes pieds. Quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, quel sera le lieu de mon repos ? N’est-ce pas ma main qui a fait tout cela ? » (Ac 7,48-50)

 

Voici à nouveau l’article publié le 15 Avril 2019 au moment où l’incendie éclatait.

 

Incendie de Notre Dame de Paris : « Le sanctuaire, c’est vous »

L’incendie de « la forêt » (la charpente) de Notre Dame de Paris nous bouleverse, nous émeut aux larmes. En ce début de semaine sainte, elle est déjà crucifiée, l’effondrement de sa charpente la marquant d’un immense stigmate rouge flamboyant dans le ciel de Paris. Des milliers de parisiens la contemplent, incrédules, dans un impressionnant silence qu’on aurait auparavant qualifié « de cathédrale ». Des millions de par la terre entière se sont joints à eux par leurs écrans envahis de reportages en direct. Choqués, ils ont fait bruisser les réseaux sociaux d’une immense rumeur de stupéfaction, de chagrin, de colère aussi.

Incendie Notre Dame de Paris

Viendra le temps du bilan, puis de l’analyse des causes, des responsabilités, et ensuite de la reconstruction.

Ce soir c’est une immense tristesse qui étreint les amoureux de la beauté de cette cathédrale, des œuvres d’art qu’elle recèle, de l’histoire de France qui lui est intimement liée.

Cependant, la foi chrétienne sait bien que les demeures des hommes ne sont pas éternelles. Jésus lui-même a choqué les habitants de Jérusalem en annonçant qu’il ne resterait pas pierre sur pierre de son Temple pourtant magnifique (Lc 21, 5-11). Et Paul nous demande de ne pas nous tromper de sanctuaire :

« Frères, ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. » (1Co 3,16)

Non, la nature n’est pas sacrée, ni les bois, ni les pierres. Non, le sanctuaire n’est pas fait d’or ou d’argent, mais de chair et le sang, car « le sanctuaire c’est vous ».

Le peuple hébreu se l’est entendu dire dès le début de l’Exode :

« Ils me feront un sanctuaire, et j’habiterai en eux » (Ex 25,8)

Vous avez bien lu. Le texte ne commet pas de faute. Normalement, on aurait dû lire : « vous construirez ce sanctuaire afin que j’habite en lui ». Mais non ! Israël a construit le Temple pour que Dieu habite dans le cœur de chacun, et non dans les pierres. L’Église construit des cathédrales, non pour y enfermer l’Esprit du Christ, mais pour que l’Esprit du Christ habite en nous. Les bâtiments sont des symboles, des médiations, pour que Dieu fasse de nous son Temple vivant. Même si Notre-Dame de Paris était détruite dans l’incendie ou dans une prochaine guerre, la foi chrétienne n’en serait pas détruite pour autant, car l’inhabitation de Dieu en chacun n’est pas liée au sort de nos cathédrales.

Reste que notre attachement à ce symbole de notre peuple nous fait tous désirer que la reconstruction ne tarde pas. Les collectes, les élans de générosité, les solidarités de tous bords ne manqueront pas, soyons en sûrs. L’espérance non plus.

Puisse ces flammes raviver le désir de devenir nous-mêmes le vrai sanctuaire de Dieu parmi les hommes.

 

NB : Dans son roman « Notre-Dame de Paris » publié en 1831, Victor Hugo avait décrit, avec une imagination qui fait froid dans le dos ce soir, la possibilité de cette destruction de Notre Dame :
« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. Au-dessous de cette flamme, au-dessous de la sombre balustrade à trèfles de braise, deux gouttières en gueules de monstres vomissaient sans relâche cette pluie ardente qui détachait son ruissellement argenté sur les ténèbres de la façade inférieure. À mesure qu’ils approchaient du sol, les deux jets de plomb liquide s’élargissaient en gerbes, comme l’eau qui jaillit des mille trous de l’arrosoir. Au-dessus de la flamme, les énormes tours, de chacune desquelles on voyait deux faces crues et tranchées, l’une toute noire, l’autre toute rouge, semblaient plus grandes encore de toute l’immensité de l’ombre qu’elles projetaient jusque dans le ciel. Leurs innombrables sculptures de diables et de dragons prenaient un aspect lugubre. La clarté inquiète de la flamme les faisait remuer à l’œil. Il y avait des guivres qui avaient l’air de rire, des gargouilles qu’on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée. Et parmi ces monstres ainsi réveillés de leur sommeil de pierre par cette flamme, par ce bruit, il y en avait un qui marchait et qu’on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher comme une chauve-souris devant une chandelle. »

 

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25 août 2024

La Tradition et les traditions

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La Tradition et les traditions

 

Homélie pour le 22° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

01/09/24

 

Cf. également :

Le pur et l’impur en christianisme
La coutume sans la vérité est une vieille erreur 
Toucher les tsitsits de Jésus
Quel type de pratiquant êtes-vous ?
Signes extérieurs de religion
L’événement sera notre maître intérieur
De la santé au salut en passant par la foi
Les deux sous du don…

 

Petit jeu de rentrée scolaire

En cette fin d’été, amusez-vous à tester vos connaissances liturgiques. Sans réfléchir, dites ce que vous évoque chacun des mots de la liste suivante, et quel était son usage :

Chape, chasuble, cordon, amict, manuterge, manipule, corporal, camail, conopée, dalmatique, faldistoire, goupillon, grémial, navette, pale, rochet, surplis …

Autrefois, chacun de ces objets liturgiques était scrupuleusement décrit dans les cérémoniaires, gros livres détaillant le déroulement des cérémonies. On y précisait également les gestes à accomplir : inclination, génuflexion, signation, agenouillement, croisement des mains, des doigts etc., par le prêtre, les enfants de chœur ou l’assemblée. Tout cela était extrêmement codifié.

Par exemple :

« Il existe deux sortes de génuflexions. La génuflexion simple (ou sans qualification) se fait en reculant le pied droit et fléchissant le genou droit jusqu’à ce qu’il touche le sol à proximité du talon gauche : on se relève aussitôt, sans aucune attente, et sans fléchissement de la tête ou du corps, qui restent droits. Comme pour les inclinations, il faut veiller à être à l’arrêt et tourné face à la personne ou l’objet qu’on va saluer avant de commencer la génuflexion, éviter toute précipitation et toute attente, et garder le corps droit, sans le pencher ni en avant ni sur le côté.

En outre, il faut absolument résister, lorsqu’on fléchit le genou (et de même lorsqu’on s’agenouille) à toute tentation de relever de la main le devant de la soutane ou de l’aube, geste parfois efféminé et toujours ridicule.

Missale Romanum 2002

 

La Tradition et les traditions dans Communauté spirituelle Missel-exemple-offertoire

Missel avec les rubriques en rouge

Ces livres contenaient des parties imprimées en rouge (ruber en latin, ce qui a donné le mot rubrique) décrivant aux prêtres ce qu’il fallait faire et comment le faire. Exemples :
« Ici on fait trois fois le signe de croix ».
« Réciter à voix haute (ou médiocre, ou basse) [1] ».
« Maintenir l’index et les pouces serrés l’un contre l’autre au niveau des coussinets, afin d’éviter que toute particule d’hostie reconnaissable qui aurait pu adhérer aux doigts ne tombe à l’extérieur du corporal ».

Ces rubriques ne constituent pas le texte des rites, mais indiquent la façon suivant laquelle on doit les célébrer.

Certes, la rubrique essaie de corriger elle-même les abus qu’elle risque d’engendrer, mais ce n’est qu’un correctif :

« Il faut donner une âme à ce geste : afin que le cœur s’incline avec un profond respect devant Dieu, la génuflexion sera faite ni d’une manière empressée ni d’une manière distraite ».


Après le Concile de Trente, au fil des siècles, les rubriques ont occupé une place et une importance de plus en plus grandes. On a même appelé rubricisme cette déformation liturgique où le comment (quo creditur) prend le pas sur le quoi (quod creditur), où le motif formel supplante le contenu. Dont Robert le Gall écrivait : « Le rubricisme est cette exagération qui accorde plus d’attention aux règles de la célébration qu’au sens profond des fonctions liturgiques ». Les périodes d’inflation des rubriques (c’est le cas au moment de la réforme tridentine) sont le signe infaillible qu’une certaine tradition est en train de mourir. La multiplication des rubriques écrites devient alors le moyen de pratiquer une forme d’acharnement thérapeutique, en refusant de voir ce qui meurt et doit être remplacé.

 

Les textes de ce dimanche semblent mettre en scène une opposition frontale entre la première lecture et l’Évangile. En effet, le Deutéronome (Dt 4,1-2.6-8) ordonne : « Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne, et vous n’y enlèverez rien, mais vous garderez les commandements du Seigneur votre Dieu tels que je vous les prescris. Vous les garderez, vous les mettrez en pratique ».

Alors que l’Évangile de Marc  (Mc 7,1-23) critique : « les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes ».

 

La Loi juive (ou les fondamentalismes actuels) serait-elle du côté du rubricisme, alors que l’Évangile serait du côté de la liberté de l’Esprit ? Voyons cela de plus près

 

1. Les traditions et la Tradition

Le texte de Marc énumère quelques-unes de ces coutumes pharisiennes dont l’observance scrupuleuse obsédait les juifs pieux de l’époque :

« Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats ».

Comme pour le rubricisme, l’importance exagérée accordée à l’exécution pointilleuse de ces prescriptions était censée garantir l’efficacité rituelle. Cette énumération est loin d’être complète d’ailleurs, puisque aujourd’hui encore le livre des 613 commandements à observer détaille avec minutie ce que les juifs pratiquants doivent exécuter pour être en règle avec la Torah.

Cette obsession des gestes à faire ou à ne pas faire, des paroles à dire ou à ne pas dire, peut devenir à la longue pathologique, à la limite de l’obsessionnel et du compulsif. Jésus y dénonce surtout une hypocrisie religieuse qui le révolte :

« Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes ».

L’hypocrisie religieuse, c’est de faire ‘ce qu’il faut’ à l’extérieur sans être cohérent à l’intérieur.

À l’extérieur : aller à la messe, donner au Denier de l’Église, faire ses prières, être moralement dans la moyenne. 

À l’intérieur : « pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure ».

À l’extérieur : des riches donations au Trésor du Temple de Jérusalem. 

À l’intérieur : l’offrande d’elle-même d’une pauvre veuve à deux sous.

Souvenez-vous par exemple des révélations fracassantes en juillet dernier au sujet des abus sexuels que l’Abbé Pierre a commis pendant des décennies. À l’extérieur : un prophète charismatique, défenseur des plus pauvres, fondateur des Communautés Emmaüs si précieuses, apôtre du droit au logement. À l’intérieur : un homme malade de ses pulsions incontrôlées. La personnalité préférée des Français (élue 16 fois de suite comme telle dans les sondages !) cachait en réalité un côté obscur.

 

Jésus refuse de canoniser l’extérieur sans accorder d’importance à l’intérieur. Il oppose ainsi radicalement les coutumes et traditions venues des hommes (rites de pureté, piété ostentatoire etc.) au commandement venu de Dieu : l’amour mutuel en Dieu. 

Le problème, c’est que les chefs religieux veulent nous faire croire que leurs traditions  purement humaines viennent de Dieu en direct…

 

La Tradition et les traditions 1 Essai historiqueL’immense théologien dominicain Yves Congar, un des piliers de Vatican II, avait publié en 1960 et 1963 deux volumes encyclopédiques intitulés : « La Tradition et les traditions ». Le T majuscule et le singulier (la Tradition) pointaient vers l’essentiel de la révélation faite à Moïse, accomplie en Jésus : YHWH, communion d’amour trinitaire. Le pluriel et la minuscule (les traditions) pointaient vers la multiplicité des coutumes, habitudes et rituels qui se sont développés au cours des âges. Si la Tradition est le fleuve, les traditions sont les alluvions charriées, puis déposés en strates sédimentaires par le génie culturel de chaque peuple évangélisé.

Ainsi l’Orient a développé le culte des icônes et l’Occident celui du Saint Sacrement.
Ainsi les rituels eucharistiques se sont multipliés : syriaque, syro-malabar, copte égyptien ou  copte éthiopien, melkite, de saint Basile, de Saint Pie V… 

Ainsi on fait le signe de croix de gauche à droite en Occident et de droite à gauche en Orient.
On se met assis pour écouter l’Évangile au Zaïre, par respect. On se lève ailleurs, par respect toujours. Etc.

 

Ces traditions alluvionnaires ont comme les alluvions des conséquences fertiles. Le limon charrié par les eaux du Nil rend ses berges cultivables et généreuses. Les traditions liturgiques et ecclésiales propres à chaque peuple honorent sa particularité, sa culture, son sens de la foi.

Mais avec le temps ces dépôts s’accumulent, et finissent par obstruer le flux d’eau vive comme elles envasent le delta du Nil. Si bien que les croyants ordinaires ne savent plus ce qui est important : avoir fait ses Pâques ou aimer les hérétiques, organiser une belle  procession ou renoncer à la pensée magique…

 

2. Un rapport critique à la Tradition

Le moins que l’on puisse dire est que Jésus est sacrément critique vis-à-vis de ces traditions-là ! Non seulement il dénonce l’hypocrisie religieuse qui les sous-tend, mais en plus il critique ouvertement des prescriptions ajoutées par les chefs religieux pour exercer leur domination sur le peuple. Il va encore plus loin en relativisant ce que Moïse lui-même avait cru devoir légiférer pour les hébreux au désert : l’interdit absolu de travailler le jour du shabbat, de manger les pains de consécration de l’arche d’alliance, de toucher des lépreux, des impurs, des adultères, de pardonner aux transgresseurs de la Loi au lieu de leur couper la main ou de les lapider, d’inclure des femmes dans le groupe des disciples etc.

Tous ces interdits sont alluvionnaires.

Ils ont été rajoutés par des hommes, en un siècle donné, pour guider le peuple vers plus de liberté. La loi sert de pédagogue, dira Paul. Mais, la période changeant, la fidélité à la Tradition demande d’abandonner certaines traditions pour en adopter d’autres, et à tout le moins d’épurer le stock impressionnant de coutumes accumulées qui risquent d’étouffer la flamme initiale.

 

61cboyVl9xL._SL1082_ critique dans Communauté spirituelle« D’un côté, Jésus ne met pas en doute que la Loi, dont ses interlocuteurs se réclament,  constitue le chemin d’une vie bonne. Sous cet angle, il les invite bien à déchiffrer leur  présent à la lumière de cette tradition dont ils proviennent. Il n’est pas l’homme de la tabula rasa, celui qui rejette le passé et la tradition d’un revers méprisant de la main.

D’un autre côté cependant, Jésus invite ses interlocuteurs à s’interroger sur l’authenticité de leur fidélité à la Loi ; il met en lumière les contradictions de leurs attitudes, la manière dont leur référence à la Loi et la tradition des Pères en pervertit l’intention profonde. Sous cet angle, Jésus institue « un rapport critique à la tradition » en dénonçant l’infidélité foncière d’une soumission aveugle de ses interlocuteurs à la Loi : ils tentent de la réduire à un code dont la mise en application réclame des procédures d’interprétation sophistiquées sans doute, mais cependant univoques (littérales), qui ont l’immense « avantage » de dispenser le sujet de s’engager en liberté (spirituellement) dans le travail du discernement. C’est ce travail que Jésus réclame en soumettant l’interprétation de la Loi à ce que Paul désignera plus tard comme la dialectique de l’esprit et de la lettre (Rm 2,29;7,6; 2Co 3,6) » [2].

 

La fidélité à l’Esprit du Christ demande de relativiser la lettre de la Loi, de nettoyer régulièrement les traditions alluvionnaires qui risquent en s’accumulant de boucher la source d’eau vive. Purifier les traditions humaines (les alluvions) en remontant à la Tradition (la source jaillissante) originelle : telle est la réforme permanente que Jésus opère en régime juif et que son Église devra poursuivre en régime romain, ou grec, ou français etc., sous la conduite de l’Esprit qui nous conduit vers la vérité tout entière.

Impossible alors d’obéir aveuglément à des prescriptions trop humaines, trop datées, trop liées à une culture ou à un monde disparus. Les Églises ont pu justifier autrefois l’esclavage, l’apartheid, l’Inquisition, la domination masculine, la peine de mort etc., et enseigner cela dans leur catéchisme. Il est clair pour nous aujourd’hui qu’il nous faut abandonner ces interprétations et en chercher de plus fidèles.

Impossible de sacraliser un moment de la Tradition en la figeant dans ses expressions (liturgique, morale, disciplinaire, sociale, ecclésiale) d’un lieu et d’un temps.

 

Jésus nous invite donc à demeurer critiques

Il l’est lui-même, au grand scandale de ses auditeurs juifs : « on vous a dit : … eh bien, moi je vous dis : … » (Mt 5). Jésus radicalise le message biblique, au sens où il revient à sa racine, coupant les branches multiples qui ont poussé depuis. L’énumération de Mt 5 où  Jésus nettoie l’arsenal législatif juif sur la colère, l’adultère, le divorce, le parjure, la vengeance, la haine des ennemis, montre qu’il veut retrouver la Tradition la plus radicale (à la racine) au-delà des accommodements (alluvions) développées au cours des siècles. Ce mouvement est toujours à poursuivre. Le concile de Jérusalem (Ac 15) a montré la voie en osant ne plus imposer la circoncision, ni l’interdit de manger des viandes consacrées aux idoles, ou de ne manger qu’entre juifs.

Nous vénérons la Tradition venue des Apôtres, à condition d’entretenir un rapport critique à toutes les traditions censées l’incarner.

 

3. La tradition d’un rapport critique à la Tradition

Que transmettent les Apôtres ? L’expérience d’une rencontre avec un vivant, ce qui échappe à toute définition ; la mémoire de la Passion d’un crucifié, condamné au nom de la Loi pour blasphème et usurpation royale, ce qui conteste toute absolutisation de la Loi.

Transmettons à notre tour la mémoire de ce crime qui critique l’application aveugle de la Loi. Le crucifié que la tradition juive rejette (comme celle du Coran), nous le proclamons Messie accomplissant la Tradition, scandale pour les juifs et folie pour les païens.

Sans cette transmission d’un rapport critique à la Tradition, nous serions juifs ou musulmans, pas chrétiens.

 

Ouverture du concile Vatican II le 11 octobre 1962 en présence de 2500 évêquesQu’a fait le concile Vatican II sinon toiletter les alluvions entassées depuis le XVI° siècle, et revenir à la tradition la plus ancienne ? Les conservateurs veulent figer la Tradition à un instant de l’histoire. Ils se conduisent en pratique comme si l’Esprit ne conduisait pas l’Église à aller ailleurs. Ce sont des fixistes. Vatican II veut retrouver le souffle de l’Esprit, source de la fécondité authentique. Et qui pourrait figer ce souffle ?

Bien sûr, le danger existe de jeter le bébé avec l’eau du bain. Sous prétexte d’aggiornamento, il ne faut pas perdre l’essentiel. C’est toujours un travail de discernement – dans l’Esprit – que de passer les traditions ecclésiales au tamis de l’Évangile pour voir celles qui demeurent et celles qu’il faut changer. Sans ce discernement spirituel, on risque de s’aligner sur les idéologies de son temps, ce qui est une autre forme d’infidélité.

 

Célébrer en langue locale plutôt qu’en latin, face au peuple plutôt que dos à l’assemblée, admettre la présence des femmes dans le chœur et dans les instances de décision de l’Église, leur confier des ministères, revivifier le diaconat permanent là où c’est utile… : les réformes issues de Vatican II sont traditionnelles, car elles réévaluent les traditions de vingt siècles à l’aune du retour à l’Écriture et de la tradition la plus ancienne. 

« Au commencement, il n’en était pas ainsi… » (Mc 10,5)

 

Ayons le courage d’éduquer les baptisés de tous âges à l’Esprit critique, plutôt qu’à la soumission aveugle ou non d’une tradition figée et idéalisée. Seul ce discernement spirituel préserve la folie de la croix et la sagesse de l’Évangile.

 

Le recours inlassable à l’Écriture est le tamis qui permet de passer au crible nos habitudes, nos croyances, nos coutumes.
Le discernement dans l’Esprit est l’indispensable décapage pour purifier l’Église de ses traditions trop humaines…

 

Quelles sont « mes traditions » que je devrais réévaluer à la lumière de « la Tradition » ?

_______________________________________

[1]. Dans la liturgie tridentine, il y avait trois tons de voix :
- certaines parties dites à voix haute ;
- d’autres à voix médiocre, audible par les proches seulement,  (les deux mots Orate, fratres ; le Sanctus ; les trois mots Nobis quoque peccatoribus vers la fin du Canon ; les quatre mots Domine, non sum dignus à trois reprises) ;
- d’autres enfin à voix basse (audible par le seul célébrant).

[2]. H.J. Gagey, La nouvelle donne pastorale, Ed. de l’Atelier, 1999, pp 53-54.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne… vous garderez les commandements du Seigneur » (Dt 4, 1-2.6-8)

 

Lecture du livre du Deutéronome

Moïse disait au peuple : « Maintenant, Israël, écoute les décrets et les ordonnances que je vous enseigne pour que vous les mettiez en pratique. Ainsi vous vivrez, vous entrerez, pour en prendre possession, dans le pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères. Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne, et vous n’y enlèverez rien, mais vous garderez les commandements du Seigneur votre Dieu tels que je vous les prescris. Vous les garderez, vous les mettrez en pratique ; ils seront votre sagesse et votre intelligence aux yeux de tous les peuples. Quand ceux-ci entendront parler de tous ces décrets, ils s’écrieront : ‘Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation !’ Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ? Et quelle est la grande nation dont les décrets et les ordonnances soient aussi justes que toute cette Loi que je vous donne aujourd’hui ? »

 

PSAUME
(Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5)
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? (Ps 14, 1a)

 

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.

Il met un frein à sa langue.

Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.

À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.

Il ne reprend pas sa parole.

Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Mettez la Parole en pratique » (Jc 1, 17-18.21b-22.27)

 

Lecture de la lettre de saint Jacques

Mes frères bien-aimés, les présents les meilleurs, les dons parfaits, proviennent tous d’en haut, ils descendent d’auprès du Père des lumières, lui qui n’est pas, comme les astres, sujet au mouvement périodique ni aux éclipses. Il a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures. Accueillez dans la douceur la Parole semée en vous ; c’est elle qui peut sauver vos âmes. Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde.

 

ÉVANGILE
« Vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes » (Mc 7, 1-8.14-15.21-23)
Alléluia. Alléluia. Le Père a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures. Alléluia. (Jc 1, 18)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. – Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats. Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. » Jésus leur répondit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »
Appelant de nouveau la foule, il lui disait : « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »
Il disait encore à ses disciples, à l’écart de la foule : « C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »
.Patrick Braud

 

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4 août 2024

Tuer la mort ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Tuer la mort ?

 

Homélie pour le 19° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

11/08/24

 

Cf. également :

L’antidote absolu, remède d’immortalité
Bonne année !
Le peuple des murmures
Le caillou et la barque
Traverser la dépression : le chemin d’Elie
Reprocher pour se rapprocher
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »
Un nuage d’inconnaissance

La « réserve eschatologique »


1. La mort de la mort

« La mort survient à un âge différent selon les espèces, mais elle n’a rien d’obligatoire ni d’inévitable… du moins pour une humanité maîtrisant les technologies NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives). Une révolution médicale et philosophique est en marche. Le combat contre la mort va s’intensifier, annonce ainsi le chirurgien-urologue français Laurent Alexandre. La mort deviendra un choix et non plus notre destin » [1]. Il se dit convaincu que les hommes qui vivront mille ans sont déjà nés… Avec le transhumanisme [2], un nouveau paradigme religieux émerge : ce n’est plus le renoncement de l’athée qui se voit seul dans l’Univers, c’est désormais l’affirmation fière de ce que l’homme peut tout faire, y compris créer du vivant et se recréer lui-même » [3].

Laurent Alexandre a fait fortune en fondant le site Doctissimo, qu’il a vendu ensuite pour devenir futurologue. Sa conférence TEDX à Paris, en 2012, sur « le recul de la mort », recueille plus de 1,4 million de vues en ligne [4]. Il prévoit la disparition du cancer « dans une quinzaine d’années », et considère que « la science donnera à l’homme le pouvoir d’un dieu. L’homme va remodeler l’univers ».

Évidemment, cette espérance technologique est très éloignée de l’Évangile de ce dimanche (Jn 6,41-51) : « Celui qui croit a la vie éternelle ». « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ». Remplacez le pain par les NBIC, et Jésus par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et vous vous apercevrez que l’utopie transhumaniste est en fait une version sécularisée de l’espérance chrétienne. Tout comme la vision de l’humanité augmentée, fusionnant le cerveau avec les NBIC, est une version sécularisée de l’Homme Nouveau dont Paul expérimente le surgissement en Christ : « Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité »  (Ep 4,24).

Ce thème de l’Homme Nouveau a déjà été exploité par la Révolution française croyant régénérer le monde par le Progrès, les Lumières, la science (mais aussi la violence de la Terreur…), ou encore par le marxisme visant à établir une société sans classes, où l’Homme Nouveau ne serait plus un loup pour l’homme.

 

Ces idéologies séculières de l’Homme Nouveau se sont révélés meurtrières, inhumaines, parce qu’elles reposaient sur une anthropologie infirme, où le transcendant était réduit au social, au technique, au matériel.

Le transhumanisme va plus loin : il rend crédible la promesse d’une vie prolongée grâce aux implants neuronaux, aux manipulations génétiques, aux technologies de substitution corps–machine. À y regarder de plus près, le transhumanisme parle plus d’a-mortalité que d’immortalité : ne plus mourir, en régénérant sans cesse le corps humain, est sa promesse majeure. Ce n’est pas tout à fait la vie éternelle promise par Jésus à ceux qui croient !

Google et autres milliardaires investissent des sommes faramineuses pour un but ultime : fusionner l’homme et l’ordinateur, après l’avoir soustrait au vieillissement et à la mort. Il s’agirait alors d’une nouvelle humanité, dont on ne sait encore que peu de choses, sinon qu’elle échapperait à la mort en se régénérant perpétuellement… Si bien qu’il est légitime de se demander si le transhumanisme est encore un humanisme ! Il semble bien que le trans soit plus important que l’humain dans cette quête un peu folle.

Tuer la mort ? dans Communauté spirituelle slide_10

Pourtant, grâce à cette technologie, vieillir mieux et plus longtemps n’est pas incroyable. Et qui refuserait de mieux voir, marcher, penser à 120 ans et davantage ? Pourquoi la foi chrétienne devrait-elle être opposée à ces tentatives d’amélioration de la condition humaine, qui ne font que prolonger les antiques efforts de la médecine, de l’artisanat, et plus récemment de la science occidentale ? L’affaire Galilée résonne encore à nos oreilles comme une dramatique erreur catholique de l’Église refusant d’accepter le réel, même s’il contredit sa lecture des Écritures. Pourquoi refuser à l’humanité de continuer une évolution qui a commencé il y a des dizaines de millions d’années en la faisant émerger péniblement de l’animalité ?


Le Vatican proteste contre les manipulations génétiques ou informatiques de l’humain, au nom de la morale [5] : « changer l’identité génétique de l’homme en tant que personne humaine par la production d’un être infra-humain est radicalement immoral », ajoutant que « le recours à la modification génétique pour produire un surhomme ou un être doté de facultés spirituelles essentiellement nouvelles est impensable, puisque le principe de la vie spirituelle de l’homme […] n’est pas produit par des mains humaines », et puisque la véritable amélioration ne peut survenir que par l’expérience religieuse et la divinisation venant de Dieu.

Mais la morale ne peut rien contre le réel … « Fides et ratio », répétait inlassablement Jean-Paul II : « La foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité ». Si la rationalité des NBIC nous offre une évolution du concept d’humanité, pourquoi se raidir et se figer dans une anthropologie bientôt obsolète ?


2. La quête de l’immortalité

Longtemps, on a cru que seul l’humain avait conscience de la mort. Mais les observations s’accumulent où l’on constate que des animaux ont bien conscience de la mort des autres et en souffrent. Des éléphants restent des heures auprès du cadavre d’un des leurs, le caressent de leurs trompes. Ils sont capables d’enterrer les carcasses de leurs congénères, avec ce qui ressemble à des rites funéraires troublants. Des baleines traînent avec elles la dépouille de leur baleineau mort sur des centaines de kilomètres, ne pouvant s’en défaire, avec des cris déchirants. Etc.

Cependant, dans nulle autre espèce la quête de l’immortalité ne s’est développée autant que chez l’homme, à tel point qu’on ne sait plus qui a engendré qui, comme la poule et l’œuf.

Nécropole mégalithique de Wamar (Sénégal)

Nécropole mégalithique de Wamar (Sénégal)

Sommes-nous devenus humains en cherchant l’immortalité, ou est-ce que parce que nous devenions humains que nous avons cherché à devenir immortels ?

Une chose est sûre : cette quête impossible est une constante de notre histoire. Les premiers sanctuaires et nécropoles mégalithiques d’il y a plus de 50 000 ans en sont une trace imposante. Tailler et déplacer des blocs de pierre de plusieurs dizaines de tonnes pour honorer leurs morts à cette époque témoigne de l’aspiration incompressible des premiers humains à un au-delà de la mort. Les chamanes et les sorciers qui ont pullulé aux temps préhistoriques entretenaient l’image d’un monde des esprits mélangé à celui des vivants, comme s’il existait des forces invisibles venant de l’au-delà. Les civilisations de Sumer et Babylone ont prolongé cette soif d’immortalité avec des mausolées, des sépultures et les premières pyramides censées accompagner un défunt royal dans son voyage au-delà de la mort. Les Égyptiens ont multiplié leurs divinités pour rendre crédible cette survie imaginaire, et leurs orgueilleuses pyramides pharaoniques voulaient garantir aux puissants une résurrection auprès d’Osiris. Notons au passage que, comme dans le transhumanisme, cette survie est extrêmement coûteuse et est en pratique réservée aux riches, aux ‘happy few’ détenant le pouvoir et la fortune …

Les Grecs ont inventé une autre forme d’immortalité, celle que confère l’Histoire aux héros et aux philosophes. Laisser une trace dans l’Histoire est encore aujourd’hui l’obsession, héritée des Grecs, de la plupart des acteurs politiques, de Mitterrand et sa pyramide du Louvre à Poutine et son empire reconstitué…

Les sagesses orientales ont apporté une autre réponse, plus originale, à cette même question de l’immortalité. Elles ont remplacé : ne plus mourir par ne plus vivre. L’extinction du désir dans le nirvana est une fusion avec le Grand Tout de l’Univers : l’immortalité hindoue, bouddhiste ou taoïste rêve d’échapper à l’illusion de ce que nous appelons la vie terrestre.

Le Grand Spinoza d’Amsterdam sécularisera cette intuition en faisant de Dieu la nature avec laquelle ne faire qu’un, dans une forme de panthéisme moderne. Et beaucoup de scientifiques actuels sont plutôt spinozistes, considérant que l’univers est éternel dans ses  cycles de Big Crunch / Big-Bang, et que la mort recycle nos atomes et molécules dans cette perpétuelle succession de contractions–dilatations implacablement programmée.


Toutes ces quêtes d’immortalité coexistent encore aujourd’hui, métissées, relookées, mais pour l’essentiel toujours fidèles à l’énigme originelle : qu’est-ce que la mort ? pourquoi la mort ?


3. Le futur au présent

72_9782259315555_1_75 bios dans Communauté spirituelleEst-ce bien de cette immortalité-là que parle Jésus ? Notre Évangile mélange étonnamment le présent et le futur lorsque Jésus évoque le sujet : « Celui qui croit a la vie éternelle ». « Qui mange ce pain vivra toujours ».

Tout indique qu’il y a un futur déjà offert en présent, et un présent si intense qu’il ouvre sur un futur réellement infini.

Ce battement présent/futur est une caractéristique de la foi chrétienne : le royaume de Dieu est déjà là, présent en chacun de nous, et il n’adviendra en plénitude qu’au retour du Christ (sans que nous sachions exactement comment, où et quand ce retour se produira). La vie éternelle est déjà là pour celui qui croit, et en même temps il y a bien quelque chose de plus grand à attendre par-delà la mort physique. Le futur est présent, offert gracieusement ici et maintenant, et ce présent ouvre sur un futur infini…

Dans les siècles passés, l’Église utilisait la peur de l’enfer et la promesse du paradis pour détourner les pauvres de la transformation sociale. L’eschatologie engloutissait l’histoire. Depuis les Lumières, c’est l’inverse : les sécularisations diverses de l’expérience chrétienne ont braqué les projecteurs sur l’amélioration de la seule vie terrestre, sans plus se préoccuper de l’après. Le Progrès et les sciences ont rendu l’eschatologie moins crédible, moins intéressante que la transformation du présent.


4. La vie zoè, pas la vie bios

Notre défi de croyants et de tenir ensemble l’histoire et l’eschatologie, le présent et le futur, l’effort et la grâce. Nous taire sur l’au-delà serait nous prosterner devant les idoles modernes sans transcendance. Nous réfugier dans un discours ancien rempli de magie et de superstition sur l’au-delà nous ferait régresser aux temps préscientifiques, mutilant ainsi la foi et la raison.

Comment espérer réellement en un au-delà sans dénaturer ni affaiblir la transformation de l’aujourd’hui ?

 eschatologie
Une piste pourrait nous être donnée par l’évangile de ce dimanche. Jean en effet parle de vie (éternelle) en employant le terme grec : ζω (zoé, 49 usages chez Jean), et pas seulement celui de βος (bios, 2 usages).

La différence est signifiante : le bios relève de ce qui est nécessaire à la survie, à la prolongation (biologique) de l’espèce. Zoé relève du spirituel, du souffle qui anime, du principe vital différenciant du non-vivant. La vie bios est une question de quantité ; la vie z est une question de qualité. Immortalité d’un côté, vie éternelle de l’autre. Prolongation versus intensité.

Nous vivons parfois des instants qui ont un goût d’éternité. Nous expérimentons alors ce qu’est le vrai bonheur mais de manière tellement fugace ! Cette vie bienheureuse nous échappe alors même que nous la désirons. Et, au fond, nous ne savons pas vraiment ce qu’elle est. « L’expression “vie éternelle” cherche à donner un nom à cette réalité connue inconnue », expliquait Benoît XVI dans l’encyclique Spe salvi.

Ne nous y trompons pas : la « vie » dont il est question n’est pas celle que nous connaissons, ce chemin fait d’épines plus que de roses. Quant à l’adjectif « éternel », il n’est pas à comprendre dans le sens d’interminable. « L’éternité n’est pas une succession continue des jours du calendrier (…). Il s’agirait du moment de l’immersion dans l’océan de l’amour infini (…), tandis que nous sommes simplement comblés de joie », poursuivait le pape.


En ce sens la vie éternelle n’est pas la vie qui vient après la mort. Elle est la vie elle-même, la vraie vie dès maintenant, celle que rien ni personne ne peut détruire. Cette vie surabondante, que saint Jean, en grec, appelle « zoè », la distinguant ainsi du « bios », peut être vécue ici et maintenant, embrassée dans le temps. Comment ? Comment vivre pleinement au lieu de se contenter d’exister ? Jésus nous met sur la voie dans sa grande prière sacerdotale : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jean 17, 3).

Et Benoît XVI de commenter dans son Jésus de Nazareth : « L’homme a trouvé la vie, quand il s’attache à celui qui est lui-même la vie. (…) C’est la relation avec Dieu en Jésus Christ qui donne cette vie qu’aucune mort n’est en mesure d’enlever ». Ce vers quoi tend l’espérance chrétienne

La vie éternelle de notre Évangile n’est pas l’amortalité transhumaniste. Elle relève d’une intensité que l’amour, la beauté, l’art, la gratuité nous font parfois côtoyer dans des moments d’extase où le temps est aboli, où la communion est réelle, où le bonheur d’être à l’autre transcende toutes les limites. C’est de cette densité de relation que parle Jésus, et non du simple fait d’exister pour toujours. L’immortalité transhumaniste pourrait fort bien se révéler malheureuse et triste si elle est solitaire ou sans amour. La vie éternelle, c’est d’aimer au point de ne plus exister…

Saint Irénée parlait avec enthousiasme de cette vie éternelle : « Ceux qui voient Dieu sont en Dieu et participent à sa splendeur. (…) La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ». La vie éternelle, c’est donc une vie où enfin, nous « verrons », où nous serons dans le « ravissement », dans un bonheur qui nous dépasse. Nous serons « vivants » très intensément, pleinement, et cette éternité, ce moment exceptionnel, ne passera pas.


« Celui qui croit a la vie éternelle » 
: prenons au sérieux cette déclaration de Jésus.

En venant communier à l’autel, nous laissons le Christ devenir notre trait d’union avec le Père, dans la communion d’amour de l’Esprit.

Cette communion nous fait vivre en lui.

Dès maintenant.

Intensément.

C’est-à-dire : éternellement.


______________________________________

[1]. Laurent Alexandre, La Mort de la mort, J.-C. Lattès, 2011.

[2]. Le transhumanisme veut promouvoir, selon la définition du biologiste Julian Huxley (frère d’Aldous Huxley), « un homme qui reste un homme, mais se transcende lui-même en déployant de nouveaux possibles de et pour sa nature humaine » (Huxley, 1957)

[3]. Laurent Alexandre, La guerre des intelligences, J.-C. Lattès, 2017.

[5]. Commission Théologique Internationale, Communion et service : la personne humaine créée à l’image de Dieu, 2004.

 


LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Fortifié par cette nourriture, il marcha jusqu’à la montagne de Dieu » (1 R 19, 4-8)

Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, le prophète Élie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. » Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit. Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! » Il regarda, et il y avait près de sa tête une galette cuite sur des pierres brûlantes et une cruche d’eau. Il mangea, il but, et se rendormit. Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. » Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.
 
PSAUME
(Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7, 8-9)
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (Ps 33, 9a)

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Magnifiez avec moi le Seigneur,
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond :
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

Qui regarde vers lui resplendira,
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend :
il le sauve de toutes ses angoisses.

L’ange du Seigneur campe alentour
pour libérer ceux qui le craignent.
Goûtez et voyez : le Seigneur est bon !
Heureux qui trouve en lui son refuge !

 
DEUXIÈME LECTURE
« Vivez dans l’amour, comme le Christ » (Ep 4, 30 – 5, 2)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, n’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, qui vous a marqués de son sceau en vue du jour de votre délivrance. Amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes, tout cela doit être éliminé de votre vie, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ. Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur.
 
ÉVANGILE
« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel » (Jn 6, 41-51)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. » Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : ‘Je suis descendu du ciel’ ? » Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi. Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père. Amen, amen, je vous le dis : il a la vie éternelle, celui qui croit. Moi, je suis le pain de la vie. Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
.Patrick Braud

 

 

 

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21 juillet 2024

Le coup d’œil d’André

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le coup d’œil d’André

 

Homélie pour le 17° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

28/07/24

 

Cf. également :

Afin que rien ni personne ne se perde
De l’achat au don
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie
Foule sentimentale
Multiplication des pains : une catéchèse d’ivoire
Le festin obligé
Épiphanie : l’économie du don
Donnez-leur vous mêmes à manger
Les deux sous du don…
Le jeu du qui-perd-gagne
Un festin par-dessus le marché
L’eucharistie selon Melchisédek
L’ « effet papillon » de la foi

André, le Protoclet


Détecter les HPI

Audrey Fleurot est Morgane Alvaro dans la série "HPI" diffusée sur TF1.La série cartonne sur TF1 : Morgane, une jeune femme rousse, délurée et excentrique, faisait le ménage dans les bureaux de la PJ de Lille lorsqu’elle tombe sur le dossier d’une affaire non résolue. En deux coups d’œil, elle repère les anomalies, fait les croisements nécessaires et met les enquêteurs sur la bonne piste ! La commissaire repère le phénomène, et lui demande d’aider la brigade comme consultante externe. Elle a su reconnaître le haut potentiel de cette femme atypique sans formation ni diplôme académique.

HPI, Haut Potentiel Intellectuel : ces 3 lettres nous invitent désormais à voir autrement les personnes qui manifestent une lecture décalée des événements, une autre forme d’intelligence des choses.

Dans le récit de la multiplication des pains de ce dimanche (Jn 6,1-15), arrêtons-nous sur le rôle d’André. Alors que Philippe doute et reste dans l’interrogative (« Où allons-nous trouver… ? » « Qu’est-ce que cela… ? »), André – lui - agit. Il parcourt des yeux la foule considérable rassemblée en ce lieu sauvage, et y décèle le haut potentiel dont Jésus va pouvoir faire quelque chose : un gamin avec cinq pains et deux poissons.

 

Détecter les hauts potentiels (évangéliques) n’est pas l’apanage des cabinets de chasseurs de têtes, des DRH ou recruteurs de tous bords. C’est un charisme lié à notre baptême : l’Esprit du Christ nous donne de voir les êtres autrement, et d’amener au Christ ceux qui peuvent porter du fruit en lui.

Parcourons quelques facettes de ce rôle confié à André tout au long des Évangiles, afin de découvrir notre propre vocation chrétienne de détecteurs de talents.

 

Voir le désir de l’autre

Le coup d’œil d’André dans Communauté spirituelle marieuse-a-temps-partielSouvent nous ne savons pas nous-même ce que nous cherchons en vérité. C’est par la médiation d’un autre que notre vocation nous est révélée : un professeur qui nous fait aimer sa matière, un champion de tennis qui brille à Roland-Garros, un proche qui nous offre une guitare ou un violon, une demande d’un coup de main etc. André a l’intuition que son frère Simon-Pierre va être bouleversé s’il le présente à Jésus. Il sait que Pierre espère un Messie, que c’est un homme travaillé par l’Esprit de Dieu lui faisant désirer une vie pleine et accomplie. Alors André amène son frère à Jésus (Jn 1,42).

Autrefois les marieuses faisaient cela : présenter une jeune fille à un jeune homme, pressentant qu’ils pourraient faire un joli couple. André est un peu le marieur du Jourdain : il partage avec son frère la rencontre de cet homme extraordinaire dont Jean-Baptiste le premier a su discerner le haut potentiel évangélique, et met Simon en contact avec Jésus.

Deviner le désir de l’autre est donc ce qui permet à André de proposer à son frère la rencontre de Jésus.

 

Le psychanalyste Jacques Lacan le disait avec justesse : aimer, ce n’est pas désirer l’autre, c’est désirer le désir de l’autre.

Désirer l’autre est une forme de consommation, d’instrumentalisation de celui-ci pour ma propre jouissance. Désirer le désir de l’autre est crucifiant, mais libérateur pour l’autre qui alors est soutenu dans sa quête la plus personnelle.

André voit le désir de son frère (l’attente du Messie) et il désire au plus profond de lui que Pierre aille jusqu’au bout de cette quête, pour devenir réellement lui-même. Il ne le force pas, ne lui impose rien, n’assène aucune vérité. Il lui propose une relation. La foi au Christ ne s’impose pas, ne se transmet pas, ne s’enseigne pas : elle se propose, à l’image d’André amenant son frère au rabbi du Jourdain…

 

Si nous prenions le temps comme André de connaître les soifs, les attentes, les espoirs de nos proches, alors nous saurions trouver les médiations, les occasions, les moments pour leur proposer de rencontrer le Christ.

 

Un autre moment évangélique où André fait preuve de radar spirituel lui permettant de détecter le désir d’autrui est le passage où, avec Philippe à nouveau, il transmet à Jésus le désir des Grecs de le connaître : 

« Il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque. Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : “Nous voudrions voir Jésus.” Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare : “L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,20–24). 

Philippe et André sont bien placés pour transmettre cette demande, car leur prénom traduit leur culture grecque. Philippe signifie en grec : « qui aime les chevaux » (philéô / híppos), et André : « homme » (andros). Ces deux-là détonnent parmi les Douze, par leur culture grecque qui les différencie des dix autres, hébreux, fils d’hébreux. Leur double culture leur permet pourtant de faire le pont entre l’Église – hébraïque à l’origine – et le monde grec. D’ailleurs, André deviendra la figure de l’Église grecque du patriarcat de  Constantinople, présenté comme le frère du patriarcat de Rome – l’Église latine – représentée par Pierre [1].

André est passé de Jean-Baptiste, le dernier prophète de l’Ancien Testament, à Jésus, premier prophète du Nouveau. Il aidera l’Église à passer de l’univers juif à la sagesse grecque. Après la Pentecôte, il partit prêcher l’Évangile, au cours d’un long périple, tout autour des côtes de la mer Noire. Ses voyages l’amenèrent en Bithynie (côte turque), à Éphèse, en Mésopotamie, en Ukraine actuelle, en Thrace (région entre le Bosphore et le Danube), à Byzance et finalement en Achaïe (région au nord du Péloponnèse), où il finit crucifié, sous l’empereur Néron, à Patras (Grèce) en l’an 60.

 

Présenter au Christ la requête de cultures non chrétienne est le magnifique rôle confié à André et Philippe, qui nous revient également aujourd’hui.

Les « Grecs » qui veulent voir Jésus sont parmi nos contemporains ceux qui ont soif d’une spiritualité authentique, ceux qui cherchent une grande et juste cause à laquelle se donner, ceux qui s’étourdissent dans les plaisirs de l’Occident sans pourtant y trouver leur compte etc. La culture de ces « Grecs » est truffée de numérique, de technologique, mais aussi de mondialisation, de revendications individuelles etc. Tous ces éléments sont aussi étrangers à la culture biblique que les Grecs étaient étrangers à Jérusalem sous la domination romaine… 

« Amener les Grecs au Christ » comme André et Philippe relève alors d’un formidable travail d’inculturation, à peine entamé en réalité. Écouter ces cultures, y repérer les hauts potentiels, discerner ceux et ce qui peut y porter du fruit ou non, les présenter au Christ et réciproquement : ce travail théologique et spirituel incombe à toute l’Église, et pas seulement à quelques-uns.

 

Qui puis-je amener au Christ de ces « Grecs » autour de moi ?

Que pourrais-je présenter au Christ de leur culture pour qu’il la féconde et en multiplie les fruits mieux que les cinq pains et deux poissons ?

 

Repérer le peu et le petit

La-multiplication-des-pains-08 André dans Communauté spirituelleNourrir les foules : Philippe ne voit que l’ampleur impossible de la tâche. André agit, et s’appuie sur ce qu’il peut, c’est-à-dire pas grand-chose au début. Il a le coup d’œil pour repérer un enfant (c’est petit) avec 5 pains et 2 poissons (c’est peu). Là où Philippe ne voit qu’une disproportion dérisoire et désespérante, André refuse de juger, et veut seulement  faire confiance à ce que fera Jésus.

À l’image de la graine de moutarde, le royaume de Dieu commence souvent par de petites choses faites par de petites gens. L’humble bergère de Lourdes a transformé son siècle mieux que l’empereur Napoléon III. Un petit livre de Soljenitsyne a suffi à ébranler l’empire du mensonge russe. Quelques étudiants sur la place Tien-An-Men ont dévoilé pour toujours la force dictatoriale du parti communiste chinois. Pendant l’hiver 54 un jeune curé ensoutané, bien seul, se révolte devant un bébé mort de froid dans les rues de Paris, et ose lancer un appel sur la radio RTL, déclenchant une énorme « insurrection de la bonté »  débouchant sur la formation des communautés Emmaüs etc.

 

À notre échelle, il est de notre responsabilité de repérer comme André le peu et le petit à partir de quoi / de qui le Christ pourra nourrir les foules. C’est peut-être un collègue, un sans-grade prenant des risques pour la justice au travail. C’est parfois un voisin plein d’humanité et de compassion. C’est dans une association quelqu’un qui a le talent de parler, d’accompagner ou d’organiser…

Le christianisme est une religion des commencements : à partir de peu de choses commence à germer un univers nouveau ; à partir de gens de peu commence à germer un Peuple de Dieu. Ces 5 pains et 2 poissons ne cessent de se multiplier sous nos yeux, si nous savons chausser les lunettes d’André scrutant la foule au désert.

Prions pour que ce coup d’œil d’André devienne le nôtre.

Cette semaine, quel est le peu et le petit que je pourrais amener au Christ ?

 

___________________________

[1]. Les latins comprendront mal l’évolution ultérieure de Byzance – Constantinople fondée par André. À tel point que les Croisés, lors du triste saccage de Constantinople de la 4° croisade en 1204 – pillages et tueries impardonnables de frères chrétiens – volèrent des reliques de l’apôtre et ramenèrent fièrement son crâne en Italie. Ce vol manifeste dura des siècles, au grand dam légitime des orientaux. Il aura fallu le génie de charité du pape Paul VI pour remettre en 1964 à l’évêque de Patras le crâne d’André qui n’aurait jamais dû quitter la Grèce. André est ainsi un emblème de l’œcuménisme entre les deux Églises-sœurs de Constantinople et Rome. La fameuse icône représentant les deux frères Pierre et André unis affectueusement fut offerte par le patriarche Athënagoras à Paul VI lors de leur rencontre historique pour la fête de l’Épiphanie en 1964, en plein concile Vatican II.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« On mangera, et il en restera » (2 R 4, 42-44)

Lecture du deuxième livre des Rois
En ces jours-là, un homme vint de Baal-Shalisha et, prenant sur la récolte nouvelle, il apporta à Élisée, l’homme de Dieu, vingt pains d’orge et du grain frais dans un sac. Élisée dit alors : « Donne-le à tous ces gens pour qu’ils mangent. » Son serviteur répondit : « Comment donner cela à cent personnes ? » Élisée reprit : « Donne-le à tous ces gens pour qu’ils mangent, car ainsi parle le Seigneur : ‘On mangera, et il en restera.’ » Alors, il le leur donna, ils mangèrent, et il en resta, selon la parole du Seigneur.

PSAUME
(Ps 144 (145), 10-11, 15-16, 17-18)
R/ Tu ouvres la main, Seigneur : nous voici rassasiés. (Ps 144, 16)

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

Les yeux sur toi, tous, ils espèrent :
tu leur donnes la nourriture au temps voulu ;
tu ouvres ta main :
tu rassasies avec bonté tout ce qui vit.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Il est proche de tous ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

DEUXIÈME LECTURE
« Un seul Corps, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » (Ep 4, 1-6)


Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous exhorte à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous.


ÉVANGILE
« Ils distribua les pains aux convives, autant qu’ils en voulaient » (Jn 6, 1-15)

Alléluia. Alléluia. Un grand prophète s’est levé parmi nous : et Dieu a visité son peuple. Alléluia. (Lc 7, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus passa de l’autre côté de la mer de Galilée, le lac de Tibériade. Une grande foule le suivait, parce qu’elle avait vu les signes qu’il accomplissait sur les malades. Jésus gravit la montagne, et là, il était assis avec ses disciples. Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche. Jésus leva les yeux et vit qu’une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire. Philippe lui répondit : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain. » Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit : « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! » Jésus dit : « Faites asseoir les gens. » Il y avait beaucoup d’herbe à cet endroit. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes. Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, il les distribua aux convives ; il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient. Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples : « Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde. » Ils les rassemblèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge, restés en surplus pour ceux qui prenaient cette nourriture.

À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde. » Mais Jésus savait qu’ils allaient l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul.
.Patrick Braud

 

 

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