L'homélie du dimanche (prochain)

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19 septembre 2021

Ma main à couper !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ma main à couper !

26° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
26/09/2021

Cf. également :

Scandale ! Vous avez dit scandale ?
Contre tout sectarisme
La jalousie entre nature et culture
« J’ai renoncé au comparatif »
La nécessaire radicalité chrétienne
Le coup de gueule de saint Jacques
La bande des vautrés n’existera plus
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?

L’orteil de Lully

Ma main à couper ! dans Communauté spirituelle tumblr_mk72qyokgO1s56m4jo1_500Au XVII° siècle, sous Louis XIV, Jean-Baptiste Lully était le musicien le plus influent du royaume. Il devint danseur à la cour, surintendant de la musique de chambre du roi, organisateur des ballets et opéras royaux, fondateur de l’Académie royale de musique, compositeur et chef d’orchestre réputé, exerçant un quasi-monopole, immensément riche. Le 8 janvier 1687, il dirige une répétition de son Te Deum qu’il vient de composer. Dans l’église des Feuillants, rue Saint-Honoré à Paris, Lully trouve que l’orchestre traîne et ne respecte pas le tempo indiqué. Le fougueux musicien s’énerve, s’emporte et frappe le sol avec sa lourde canne comme pour imprimer la bonne cadence. Avec violence et colère, Lully frappe par terre pour entraîner l’orchestre. Mais le lourd bâton dévie un peu et heurte méchamment son orteil du pied droit. Il a mal, mais poursuit la répétition stoïquement. Une plaie apparaît, qui bientôt s’infecte. La gangrène se déclare. À l’époque, il n’y a pas d’autres remèdes que l’amputation du membre gangrené. Terrible ! Amputer l’orteil signifierait pour Lully la fin de sa carrière de danseur. Orgueilleux et obstiné, il refuse l’amputation. Les médecins, devant le mal qui progresse, lui conseillent ensuite de couper le pied. Têtu, Lully refuse encore. Il préfère payer fort cher un charlatan dont les emplâtres et potions ne pourront rien contre la fièvre et la septicémie qui se généralise. Lully meurt le 22 mars 1687. En moins de 3 mois, la star royale s’éteint, faute d’avoir accepté l’amputation pour juguler la gangrène. Ironie du sort, son maître Louis XIV mourra lui aussi de la gangrène à la jambe gauche, dans de terribles souffrances, quelques années après, en 1715.

 coran dans Communauté spirituelleAu XVII° siècle, l’anesthésie n’existait pas. On ne pouvait opérer sans l’accord et même la participation du patient. Pour une amputation, l’opéré devait rester immobile malgré la douleur, adopter une position particulière pour la précision du geste, voire stopper sa propre hémorragie. Les récits des guerres napoléoniennes sont remplis de ces cas de soldats aux membres déchiquetés suppliant d’être amputés pour échapper à la gangrène, ou au contraire refusant farouchement l’amputation quitte à risquer l’infection généralisée.

La gangrène existe depuis la nuit des temps. Nul doute que Jésus l’a croisée par dizaines sur les chemins de Palestine où on lui amenait les estropiés, les lépreux, les malades en masse. Il se peut que sa parole dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 9, 38-48) s’enracine d’abord dans cette réalité très physique où l’amputation vaut mieux que l’infection :
« si ta main t’entraîne au péché, coupe-la. Il vaut mieux entrer manchot dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux mains dans la géhenne, là où le feu ne s’éteint pas.
Si ton pied t’entraîne au péché, coupe-le. Il vaut mieux entrer estropié dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne.
Si ton œil t’entraîne au péché, arrache-le. Il vaut mieux entrer borgne dans le royaume de Dieu que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas. »

En français, quand quelqu’un dit : « j’en mettrais ma main à couper ! », il fait référence sans le savoir à ces ordalies anciennes où l’on s’exposait à avoir la main tranchée si on avait menti.

Les commentateurs, effrayés par une telle violence charnelle, préfèrent tous spiritualiser  le plus vite possible ces paroles, en les appliquant à tout ce qu’il nous faut couper de nos relations, de nos mœurs, de nos mauvaises habitudes avant qu’elles ne compromettent notre santé spirituelle globale. Ces interprétations sont certes légitimes, mais elles passent trop rapidement par-dessus le sens littéral.

 

Le châtiment du Coran

Victime des shebab, Saïd Ahmed Hassan a eu la main coupéeL’islam s’en est offusqué, et est revenu quant à lui au premier sens de ce genre de préceptes :
« La récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager, et qui s’efforcent de semer la corruption sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées en diagonale leur main et leur jambe [« opposées» comprendront les juges], ou qu’ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l’ignominie ici-bas; et dans l’au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment.
Le voleur et la voleuse, à tous deux, coupez la main… » (Coran 5,37-38).

Un hadith rapporté par Ibn Taymiyya montre d’ailleurs Mohamed lui-même être contraint d’appliquer strictement cette sentence :
« Safwan Ibn Umaiyya dormait sur son manteau dans la mosquée du Prophète. Survint un voleur qui s’enfuit avec le manteau. Safwan l’arrêta et le mena au Prophète qui ordonna de lui couper la main. « Est-ce pour mon manteau, lui demanda Safwan, que tu lui coupes la main ? Je le lui donne. Que ne l’as-tu fait, répondit le Prophète avant de me l’amener ? » Et Muhammad lui fit couper la main». Selon Ibn Taymiyya, le Prophète voulait dire: « II fallait lui pardonner avant de me l’amener. Mais une fois que tu me l’as amené, il ne m’était plus possible d’arrêter l’application de la peine; ni le pardon, ni l’intercession, ni le don de l’objet volé, plus rien ne pouvait alors suspendre l’application de cette peine ».

Nous redoutons tous de voir à nouveau en Afghanistan les images terribles de voleurs à qui l’on coupe la main pour les punir de leur délit…

 

La radicalité de Jésus

Jésus serait-il du côté de ces fondamentalistes adeptes des châtiments corporels ? Vous avez peut-être noté la différence entre l’Évangile et le Coran sur ce point. Jésus ne veut pas d’une loi extérieure qui s’appliquerait automatiquement : il demande à chacun de pratiquer sur lui-même les amputations nécessaire. Il ne s’agit pas pour lui de fonder un ordre religieux comme la charia imposant des sanctions de l’extérieur. Il en appelle au discernement et à la libre volonté de chacun pour agir sur lui-même avant que le mal ne se généralise.

Mais contrairement aux commentaires spiritualisants, il évoque avec un réalisme bien concret l’amputation sans en masquer la violence (‘arracher’, ‘couper’) sous prétexte de leçon de morale. Consentir ou non au mal est une question de vie ou de mort. On peut affadir, exténuer cet enseignement en le réduisant au rang d’une image pour faire peur. Mais si les martyrs des trois premiers siècles n’avaient pas pris au sérieux ces paroles radicales de Jésus, ils ne seraient jamais allés jusqu’à offrir leurs membres aux dents des fauves, le plus souvent en chantant…

Des siècles de moralisation instrumentalisant le christianisme comme ciment social ont enlevé leur saveur et leur puissance à bon nombre de paroles radicales du Christ comme celles sur l’œil et la main.
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Il est venu jeter un feu sur la terre (Lc 12,49), mais on vous explique que c’est un gentil feu de cheminée qui ronronne doucement pour vous apporter lumière, chaleur et confort.
Il est venu apporter l’épée et non la paix (Mt 10,34), mais on le transforme en doux Jésus, et on caricature sa non-violence en faiblesse presque maladive.
Il prêche la pauvreté radicale (« va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi.’ » Mc 10, 21). Il l’incarne lui-même au point de ne pas avoir de pierre où reposer sa tête (Mt 8,20). Mais son Église s’enrichira de bâtiments somptueux, d’or, d’argent, d’esclaves, au point de ressembler à Babylone la Grande.
Il annonce des châtiments terribles pour ceux qui ne l’ont pas reconnu (« éloignez-vous de moi, maudits… » Mt 25,41). Mais on transformera le Jugement dernier en aimables retrouvailles avec ceux que nous avons aimés.
Il demande de tendre l’autre joue (Mt 5,39), et d’aller au-delà de ce que le méchant exige : « si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui » (Mt 5, 41). Mais Thomas d’Aquin adoucira cette exigence en développant le concept de guerre juste qui servira pour les croisades ou les guerres des rois « très chrétiens »…
Jésus questionne radicalement les liens du sang, jusqu’à relativiser la famille humaine au profit de la fraternité spirituelle : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple » (Lc 14, 26). « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? Puis, étendant la main vers ses disciples, il dit : ‘Voici ma mère et mes frères. Car celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère.’ » (Mt 12, 48 50) Mais les catéchismes tordront ces paroles pour ériger la famille conventionnelle en modèle absolu.
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Il demande à ses disciples de porter leur croix, littéralement (« celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi (Mt 10,38). Et les prédicateurs demanderont aux pauvres de se résigner à leur humiliation en attendant d’être heureux dans l’au-delà.
Il déclare qu’un regard de convoitise équivaut à un adultère (« Eh bien ! Moi, je vous dis : tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur » Mt 5, 28), et nos médias cultivent la convoitise du corps de l’autre tout en s’indignant quand certaines frontières sont franchies.
Il appelle à pardonner 70 fois 7 fois (Mt 18,22) : essayez de comptabiliser vos pardons réels, et vous verrez que votre crédit n’est pas encore épuisé !
Il ordonne d’aimer nos ennemis (Mt 5, 44 45). Mais on nous dit qu’un chrétien est gentil et donc ne doit pas avoir d’ennemis.
Il nous appelle à choisir : « vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Mt 5, 44-45). Mais on dira que les deux ne sont pas incompatibles…
Il récuse le culte des morts, fussent-ils des pères (« laisse les morts enterrer leurs morts » Mt 8,22). Mais nous déplaçons le curseur vers la piété filiale traditionnelle, conservatrice.
Il radicalise l’exigence de fidélité dans le couple et interdit le divorce : (« celui qui renvoie sa femme… » Mt 5,32). Mais il faut bien tenir compte de l’évolution des mœurs et oublier cette parole qui ne passe plus.
Il réclame un rôle unique dans l’histoire : « personne ne va vers le Père sans passer par moi » (Jn 14, 6). Et nous laissons le relativisme ambiant nous interdire de hiérarchiser les choix de chacun…

À force de ne pas prendre au sérieux ces paroles paradoxales, on transforme l’Évangile en guimauve bondieusarde, ou - pire encore - en code moral légitimant les intérêts des puissants…

La liste des paroles radicales de Jésus est si longue et si structurante que les enlever des Évangiles fait de nous des invertébrés spirituels, des mollusques sans consistance.

Le christianisme en Occident souffre d’avoir perdu sa radicalité évangélique. Pas celle des talibans ; pas celle des fondamentalistes de tous poils. La radicalité de Jésus, tout simplement, qui envisageait sérieusement de s’arracher un œil ou de se couper une main plutôt que délaisser le mal nous gangréner petit à petit.

Mgr Oscar RomeroLe pape François plaide pour un retour à cette radicalité première. Lors de la messe canonisation de Mgr. Oscar Romero (l’archevêque de San Salvador assassiné alors qu’il célébrait une messe) en 2018, il appelait à retrouver cette puissance que procurent les choix exigeants et sans compromission à la suite du Christ :
« Jésus est radical. Il donne tout et demande tout : il donne un amour total et demande un cœur sans partage. Aujourd’hui également, il se donne à nous comme Pain vivant ; pouvons-nous lui donner en échange des miettes ? À lui qui s’est fait notre serviteur jusqu’à aller sur la croix pour nous, nous ne pouvons pas répondre uniquement par l’observance de quelques préceptes. À lui qui nous offre la vie éternelle, nous ne pouvons pas donner un bout de temps. Jésus ne se contente pas d’un ‘‘pourcentage d’amour’’ : nous ne pouvons pas l’aimer à vingt, à cinquante ou à soixante pour cent. Ou tout ou rien ! (…)
Aujourd’hui, Jésus nous invite à retourner aux sources de la joie, qui sont la rencontre avec lui, le choix courageux de prendre des risques pour le suivre, le goût de quitter quelque chose pour embrasser sa vie. Les saints ont parcouru ce chemin. »

Les saints ont fait le choix d’une vie ‘tranchante’. Sinon,  parlerait-on encore d’eux ?

Jésus nous avait avertis : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens » (Mt 5,13). Et l’Apocalypse nous prévient : « Je connais tes œuvres. Je sais que tu n’es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant ! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche » (Ap 3, 15-16).

N’affadissons pas la radicalité des exigences évangéliques !

 

 

Lectures de la messe

1ère lecture : L’Esprit de Dieu souffle où il veut (Nb 11, 25-29)
Lecture du livre des Nombres

Le Seigneur descendit dans la nuée pour s’entretenir avec Moïse. Il prit une part de l’esprit qui reposait sur celui-ci, et le mit sur les soixante-dix anciens du peuple. Dès que l’esprit reposa sur eux, ils se mirent à prophétiser, mais cela ne dura pas.
Or, deux hommes étaient restés dans le camp ; l’un s’appelait Eldad, et l’autre Médad. L’esprit reposa sur eux ; bien que n’étant pas venus à la tente de la Rencontre, ils comptaient parmi les anciens qui avaient été choisis, et c’est dans le camp qu’ils se mirent à prophétiser.
Un jeune homme courut annoncer à Moïse : « Eldad et Médad prophétisent dans le camp ! »
Josué, fils de Noun, serviteur de Moïse depuis sa jeunesse, prit la parole : « Moïse, mon maître, arrête-les ! »
Mais Moïse lui dit : « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux, pour faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! »

Psaume : 18, 8, 10, 12-13, 14

R/ La loi du Seigneur est joie pour le c?ur.

La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.

La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes
et vraiment équitables.

Aussi ton serviteur en est illuminé ;
à les garder, il trouve son profit.
Qui peut discerner ses erreurs ?
Purifie-moi de celles qui m’échappent.

Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil :
qu’il n’ait sur moi aucune emprise.
Alors je serai sans reproche,
pur d’un grand péché.

2ème lecture : Contre la richesse (Jc 5, 1-6)
Lecture de la lettre de saint Jacques

Écoutez-moi, vous, les gens riches ! Pleurez, lamentez-vous, car des malheurs vous attendent.
Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille vous accusera, elle dévorera vos chairs comme un feu. Vous avez amassé de l’argent, alors que nous sommes dans les derniers temps !
Des travailleurs ont moissonné vos terres, et vous ne les avez pas payés ; leur salaire crie vengeance, et les revendications des moissonneurs sont arrivées aux oreilles du Seigneur de l’univers.
Vous avez recherché sur terre le plaisir et le luxe, et vous avez fait bombance pendant qu’on massacrait des gens.
Vous avez condamné le juste et vous l’avez tué, sans qu’il vous résiste.

Evangile : Contre le sectarisme et contre le scandale (Mc 9, 38-43.45.47-48)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Ta parole, Seigneur, est vérité : dans cette vérité, consacre-nous. Alléluia. (cf. Jn 17, 17)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un chasser des esprits mauvais en ton nom ; nous avons voulu l’en empêcher, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Jésus répondit : « Ne l’empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous.
Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense.
Celui qui entraînera la chute d’un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer.
Et si ta main t’entraîne au péché, coupe-la. Il vaut mieux entrer manchot dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux mains dans la géhenne, là où le feu ne s’éteint pas.
Si ton pied t’entraîne au péché, coupe-le. Il vaut mieux entrer estropié dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne.
Si ton oeil t’entraîne au péché, arrache-le. Il vaut mieux entrer borgne dans le royaume de Dieu que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne,
là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas. »
Patrick Braud

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22 août 2021

Le pur et l’impur en christianisme

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le pur et l’impur en christianisme

22° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
29/08/2021

Cf. également :

La coutume sans la vérité est une vieille erreur
Toucher les tsitsits de Jésus
Quel type de pratiquant êtes-vous ?
Signes extérieurs de religion
L’événement sera notre maître intérieur
De la santé au salut en passant par la foi

Le pur et l’impur en christianisme dans Communauté spirituelle 342472_0-674x405Un musulman qui se prépare entrer dans la mosquée sait-il qu’il reproduit le geste de Moïse devant le buisson ardent en enlevant ses chaussures ? Lui a-t-on appris qu’il reproduit les gestes des prêtres juifs (les cohens) lorsqu’il se lave les mains, les pieds et le visage avant d’entrer (cf. Dt 30, 147-21 ; 40, 30-32) ? Pourrait-il expliquer à un occidental que ces ablutions ne sont pas des règles d’hygiène, mais des rituels symboliques de pureté religieuse ?
Comme souvent, l’islam pratique un retour au judaïsme, en annulant la formidable libération que Jésus a pourtant formellement initiée en ne se lavant pas les mains avant de passer à table, et en défendant ses disciples qui s’affranchissaient comme lui de ces « traditions humaines » datées. L’Évangile de notre dimanche  (Mc 7, 1-23) est en effet très clair :
« En ce temps-là, les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. – Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats. Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. » Jésus leur répondit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. Appelant de nouveau la foule, il lui disait : « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur ».

Depuis cette parole fondatrice sur le pur et l’impur, les chrétiens n’ont plus à multiplier les gestes extérieurs de nettoyage, lavage, purification en tous genres qui étaient devenus envahissants, et stigmatisaient ceux qui ne les appliquaient pas scrupuleusement, ‘comme il faut le faire’, la plupart du temps sans savoir pourquoi il faut le faire ainsi (à part les savants).

 

Pourquoi se laver les mains avant de passer à table ?

Soyons justes : les pharisiens aimaient Dieu de tout leur cœur, et cherchaient ce qui correspondait le mieux à sa sainteté. L’intuition d’origine est belle : sanctifier chaque moment de la vie quotidienne en y apposant le sceau de la foi en YHWH grâce à des gestes simples et concrets qui permettent de rester dans l’Alliance avec Lui. On a déjà évoqué par exemple la richesse symbolique des tsitsits, ces franges portées en permanence la journée par les hommes à leurs vêtements pour ne pas perdre de vue les 613 commandements de la Torah. Il suffit de lire le Lévitique, le livre des Nombres et le Deutéronome pour accumuler un nombre impressionnant de prescriptions à observer pour sacrifier un animal, pour faire la prière, pour ne pas manger n’importe quelle viande n’importe comment, pour se purifier le matin, le soir, avant ou après avoir fait telle chose, touché tel objet etc.

La Loi mosaïque expliquait ce qui pouvait rendre impur, notamment les écoulements corporels (règles, sperme etc. cf. Lv 15), la lèpre (Lv 13) ou le contact avec les cadavres d’humains ou d’animaux (Nb 19,13-16). Elle donnait aussi des instructions sur la façon de se purifier : en faisant des sacrifices, en se lavant ou en faisant des aspersions (Lv 11-15 ; Nb 19) etc. Les rabbins interprétaient chaque détail de ces lois. Un ouvrage rapporte que chaque cause d’impureté était soumise à un examen : quelles circonstances pouvaient entraîner l’impureté, comment et dans quelle mesure elle pouvait se transmettre à d’autres, quels ustensiles ou objets étaient susceptibles ou pas de devenir impurs et enfin, par quels moyens ou rites il fallait se purifier. Ils se livraient à de grandes discussions pour décider quel récipient devait être utilisé pour ce rituel, quel type d’eau convenait, qui devait la verser et quelle surface des mains devait être couverte par l’eau. Les sages d’Israël réfléchissant sur toutes ses obligations très concrètes, y ont vu un sens caché plus important encore. Pour le lavage des mains qui nous occupe ce dimanche, laissons une tradition juive nous en développer une signification symbolique :

 ablution dans Communauté spirituelle« Néanmoins, des différences existent également. La première est la façon de verser l’eau. Le matin, au lever, on se lave trois fois chaque main, en alternance. On prend le récipient de la main droite, on le fait passer dans la main gauche, on verse de l’eau sur la main droite, puis sur la gauche. On refait, au total, trois fois ce même geste. Avant le repas, on lave aussi trois fois chaque main, mais sans alternance. On prend alors le récipient dans la main droite, on le passe dans la main gauche, on lave la main droite trois fois de suite, puis trois fois la gauche. Pendant que les mains sont encore mouillées, l’une est frottée contre l’autre. Enfin, on lève les deux mains et l’on dit la bénédiction.

L’élévation des sentiments est possible de deux façons. La première, le lavage des mains du matin, a pour but de se défaire de l’esprit d’impureté qui découle de l’obscurité, inhérente aux comportements du monde. Les mains sont alors lavées par alternance, étape par étape. L’élévation est progressive et concerne, tour à tour, chaque sentiment, jusqu’à ce qu’elles parviennent toutes à la perfection.

La seconde façon est le lavage des mains qui précède le repas. Celui-ci est réalisé d’un seul trait, car il n’a pas pour but de se libérer du mal, mais plutôt de sanctifier les émotions. L’ordre établi doit alors être respecté. Puis, on frotte les mains l’une contre l’autre, afin de souligner l’interdépendance des sentiments, car, dans le domaine de la sainteté, toutes doivent être parfaitement unies. C’est, par exemple, le cas de l’amour et de la crainte. N’avoir que l’une ou l’autre est insuffisant. Toutes à la fois doivent être gouvernées par la compréhension. Dès lors, elles s’unissent et agissent conjointement pour concourir au meilleur résultat. C’est de cette façon que l’homme parvient à la perfection » [1].

On le voit : le lavage des mains n’a rien d’une règle d’hygiène !

Ignace Semmelweis: l'homme qui avait compris l'importance pour les médecins de SE LAVER LES MAINSRappelons d’ailleurs que ce n’est qu’au XIX° siècle qu’on a mis en évidence le rôle prophylactique du lavage des mains. On le doit à Ignace Philippe Semmelweis, médecin obstétricien hongrois. Il démontra l’utilité du lavage des mains après la dissection d’un cadavre, avant d’effectuer un accouchement. Il démontra également que le lavage des mains diminuait le nombre des décès causés par la fièvre puerpérale des femmes après l’accouchement. Jusqu’alors les médecins accoucheurs essayaient en vain de comprendre d’où venaient les fièvres puerpérales en faisant de nombreuses autopsies. Ce fut un coup terrible pour ceux qui furent finalement convaincus par les idées de Semmelweis : il s’avérait qu’eux-mêmes transmettaient involontairement la maladie.

Les occidentaux très matérialistes voudraient ramener les ablutions rituelles et interdits alimentaires juifs ou musulmans à de simples précautions sanitaires (inconnues de l‘époque). On ne mange pas de porc à l’époque – disent-ils – pour des raisons de mauvaise conservation de la viande et de risques de contamination. Mais alors, pourquoi interdire le lapin ou le homard ? l’escargot ou le chameau ? le mélange du lait et de la viande ? En fait, le principe de la cacherout n’est pas hygiénique mais théologique : respecter la séparation entre les ordres du vivant, car Dieu crée par séparation (cf. le livre de la Genèse). Les animaux qui transgressent cette séparation sont impurs, car ils contribuent en quelque sorte à la dé-création du monde en ne respectant pas les différences. Ainsi ceux qui ont le sabot fendu mais qui ne sont pas des ruminants alors qu’ils devraient l’être (Lv 11,28) : le porc, le chameau… ou les poissons sans écailles : mollusques, anguilles etc.

On retrouve ici le sens du mot saint, kaddosh en hébreu, qui veut dire séparé. Être saint, c’est être séparé des autres qui ne le sont pas. D’ailleurs les pharisiens eux-mêmes se voulaient séparés, selon l’étymologie de leur nom. Et leurs successeurs actuels, les ultra religieux hassidim, se regroupent dans des quartiers à part à Jérusalem car le contact avec les autres – impurs – pourrait les souiller.

Les rites d’ablution sont une frontière qui sépare le pur de l’impur, les saints des pécheurs, et fait passer du profane au sacré. La contestation par Jésus de la pureté légale est cohérente avec sa critique radicale du sacré par séparation. Dans la foi chrétienne, rien n’est sacré parce que tout est à consacrer.

 

Jésus abolit la frontière entre pur et impur, sacré et profane

acceptation-des-migrants-avec-la-fronti%C3%A8re-ouverte-60281094 ipmpuretéJésus a contesté radicalement cette conception de la sainteté par la seule séparation, pour la compléter par l’indispensable communion. Lui, le Saint de Dieu, est venu faire corps avec les pécheurs, depuis le baptême du Jourdain au milieu de la file des pénitents jusqu’au supplice de la croix faisant de lui un criminel et un maudit. Pour Jésus, être saint n’est pas être séparé mais être avec, en communion. C’est la sainteté d’amour de la Trinité, communion des Trois Personnes divines, à laquelle il nous offre de participer gratuitement.

Pour en revenir au lavage des mains avant le repas, le souci n’est donc pas hygiénique mais symbolique. À tel point que les sages d’Israël préconisent de se laver les ongles et les mains s’ils sont sales avant de pratiquer le rituel de l’ablution à table ! Il faut avoir les mains propres pour pouvoir faire l’ablution rituelle. C’est donc que le but de l’ablution n’est pas sanitaire, mais religieux. La tradition juive citée plus haut l’interprète en termes de modération des sentiments (dont l’appétit à table est une figure) grâce à l’intelligence, à la raison qui doivent tempérer l’avidité des désirs et des sentiments.

Les passages de l’Écriture qui font allusion à un lavage des mains l’interprètent en termes d’innocence : « Tous les anciens de cette ville qui se sont approchés de la victime se laveront les mains au-dessus de la génisse dont la nuque a été brisée dans le torrent. Et ils déclareront : ‘Nos mains n’ont pas répandu le sang de cet homme’… » (Dt 21, 6 9). Un psaume mentionne ce geste pour aller à l’autel : « Je lave mes mains en signe d’innocence pour approcher de ton autel, Seigneur » (Ps 26, 6). Depuis la destruction du Temple de Jérusalem, la table familiale est considérée comme le petit autel de substitution, si bien que les rites du Temple ont été transposés dans l’univers familial juif. Pilate refera devant la foule juive ce geste si parlant pour elle, afin de témoigner de son innocence : « Pilate, voyant que ses efforts ne servaient à rien, sinon à augmenter le tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, en disant : ‘Je suis innocent du sang de cet homme : cela vous regarde !’ » (Mt 27, 24)

L’univers musulman n’a fait que reprendre les traditions juives bien connue du temps de Mahomet. Mais l’islam, en tant que judaïsme universel, annule hélas au passage la révolution que Jésus a accomplie entretemps  sur le pur et l’impur…

 

Que conclure de tout cela pour nous aujourd’hui ?

D’abord que nous sommes libérés de l’obsession rituelle du pur ou de l’impur, de ce qui est péché ou non (comme le disent les musulmans) dans l’habillement, la cuisine, les aliments, les gestes soi-disant à faire ou à ne pas faire. Tout cela n’est que « traditions humaines », respectables certes à une époque donnée, mais obsolètes à l’époque d’après ! On peut très bien se laver les mains avant de passer à table par souci hygiénique. Mais on peut très bien également ne pas se les laver (si elles sont déjà propres) avant de passer à table, et cela ne nous rend pas impurs pour autant !

L’enseignement le plus important de Jésus n’est pas cette relativisation des coutumes trop humaines, mais l’attention qu’il nous invite à porter sur l’intérieur de nous-même, plutôt que sur l’extérieur (les choses à faire ou ne pas faire). « Rien de ce qui sort de l’homme ne le rend impur. C’est de l’intérieur… » Cette déclaration reste révolutionnaire, pour toutes les mentalités religieuses attachées aux rites, aux ablutions, aux interdits alimentaires etc. Nous ne sommes pas des fétichistes de la pureté ! L’impureté n’est pas dans la viande de porc, mais lorsque l’homme se conduit comme un porc. Elle n’est pas dans des mains sales à table, mais dans des gens qui se salissent les mains par la corruption, la cupidité, la malhonnêteté, les activités mafieuses etc. Jésus s’appuyait sur Isaïe pour rappeler que rien ne sert d’honorer Dieu par gestes extérieurs si l’intérieur n’est pas d’abord tourné vers lui : « Ce peuple s’approche de moi en me glorifiant de la bouche et des lèvres, alors que son cœur est loin de moi, parce que la crainte qu’ils ont de moi n’est que précepte enseigné par les hommes » (Is 29, 13). Jacques rappelle cette exigence de la conversion intérieure et non pas extérieure : « Approchez-vous de Dieu, et lui s’approchera de vous. Pécheurs, enlevez la souillure de vos mains ; esprits doubles, purifiez vos cœurs » (Jc 4, 8).

Voilà pourquoi nous sommes libérés des prescriptions juives et musulmanes sur la nourriture (cacherout, halal), sur les vêtements (kippa, voile), sur la pureté rituelle (ablutions).

Pas besoin de se déchausser, ni de se laver les mains, le visage ou les pieds pour entrer dans l’église : il vaut mieux laver son cœur (c’est le rôle du rite pénitentiels au début de la messe), purifier sa relation à autrui (c’est le sens du geste de paix), et communier à l’unique sainteté de Dieu (c’est le rôle de la communion eucharistique) au lieu de vouloir se séparer des pécheurs (que nous sommes !).

Le christianisme n’est pas une religion du pur et de l’impur, à la différence du judaïsme et de l’islam (et de bien d’autres). Nous prônons la communion et non la séparation. Cherchons à transformer ce qui sort de notre bouche, notre cœur, notre intelligence, et non à adopter des habits, une nourriture ou des pratiques rituelles n’agissant que sur l’extérieur, magique et fétichiste.

Rien de ce qui entre dans l’homme ne peut le rendre impur. C’est de l’intérieur de nous-mêmes que sort ce qui peut nous rendre impur.

Où en suis-je de mon propre rapport au pur et à l’impur ?

 


 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne… vous garderez les commandements du Seigneur » (Dt 4, 1-2.6-8)

Lecture du livre du Deutéronome

Moïse disait au peuple : « Maintenant, Israël, écoute les décrets et les ordonnances que je vous enseigne pour que vous les mettiez en pratique. Ainsi vous vivrez, vous entrerez, pour en prendre possession, dans le pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères. Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne, et vous n’y enlèverez rien, mais vous garderez les commandements du Seigneur votre Dieu tels que je vous les prescris. Vous les garderez, vous les mettrez en pratique ; ils seront votre sagesse et votre intelligence aux yeux de tous les peuples. Quand ceux-ci entendront parler de tous ces décrets, ils s’écrieront : ‘Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation !’ Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ? Et quelle est la grande nation dont les décrets et les ordonnances soient aussi justes que toute cette Loi que je vous donne aujourd’hui ? »

PSAUME
(Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5)
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? (Ps 14, 1a)

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.
Il met un frein à sa langue.

Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.
À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.

Il ne reprend pas sa parole.
Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

DEUXIÈME LECTURE
« Mettez la Parole en pratique » (Jc 1, 17-18.21b-22.27)

Lecture de la lettre de saint Jacques

Mes frères bien-aimés, les présents les meilleurs, les dons parfaits, proviennent tous d’en haut, ils descendent d’auprès du Père des lumières, lui qui n’est pas, comme les astres, sujet au mouvement périodique ni aux éclipses. Il a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures. Accueillez dans la douceur la Parole semée en vous ; c’est elle qui peut sauver vos âmes. Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde.

 

ÉVANGILE
« Vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes » (Mc 7, 1-8.14-15.21-23)
Alléluia. Alléluia.Le Père a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures. Alléluia. (Jc 1, 18)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. – Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats. Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. » Jésus leur répondit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres,mais son cœur est loin de moi.C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »
Appelant de nouveau la foule, il lui disait : « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »
 Il disait encore à ses disciples, à l’écart de la foule : « C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »
.Patrick Braud

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25 avril 2021

Les chrétiens sont tous des demeurés

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 30 min

Les chrétiens sont tous des demeurés

Homélie du 5° Dimanche de Pâques / Année B
02/05/2021

Cf. également :

Le témoin venu d’ailleurs
Que veut dire être émondé ?
La parresia, ou l’audace de la foi
Vendange, vent d’anges
Suis-je le vigneron de mon frère ?

Une citation de Blaise Pascal a fait florès sur les réseaux sociaux depuis le premier confinement en mars 2020 :

Les chrétiens sont tous des demeurés dans Communauté spirituelle« Divertissement.
Quand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre » (Blaise Pascal Pensées n° 139).

Pascal constatait avec réalisme que la plupart de ses contemporains avaient peur de rester face à eux-mêmes, et s’étourdissaient de plaisirs mondains pour fuir l’angoisse de leur condition humaine. Les confinements ont fait découvrir à beaucoup d’entre nous que demeurer chez soi, tranquilles, n’était pas si pénalisant que cela (à condition que le chez-soi permette ce ressourcement). Ceux qui partent tôt et rentrent tard du boulot sont peut-être ceux qui fuient leur foyer, pour de multiples raisons. En tout cas, nous avons réappris à demeurer ‘chez soi’, pour lire, être en famille, travailler, se cultiver, être seul, se distraire etc.
Il se pourrait bien que le reste relève du divertissement que Pascal dénonçait : une tentative pathétique de nous détourner de l’essentiel, de nous faire courir après d’autres objectifs que nous-même…

Savoir demeurer chez soi, en soi, est un art que peu de gens pratiquent.

Du coup, les disciples de Jésus ont été fortement impressionnés par sa capacité à demeurer en Dieu, quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise. Il était toujours aligné avec son centre de gravité intérieur : la présence de Dieu en lui, et de lui en Dieu. Ses paroles et ses actes jaillissaient de cette inhabitation réciproque. Des plus violentes (le fouet au Temple) aux plus douces (la miséricorde envers la femme adultère), ses actions ne le mettaient jamais ‘hors de lui’ : au contraire, c’est parce qu’il était centré sur son identité filiale qu’il a pu prendre tous les risques politiques, transgresser les barrières religieuses, déranger les mœurs et les coutumes de son époque.

Pour que ses disciples atteignent cette même cohérence, il les invite à demeurer en lui, comme lui demeure en son Père. Le verbe demeurer signifie être stable, prolonger son séjour, se sentir bien là où l’on est.

Ce verbe demeurer (μένω = meno) revient 8 fois dans l’Évangile de la vigne de notre dimanche et 12 fois au total dans le chapitre 15 de l’Évangile de Jean [1]., nombres symboliques de la Résurrection et de l’Église. C’est donc que demeurer est une caractéristique pascale (8) et ecclésiale (12). Parce que le Christ a vaincu la mort, nous pouvons demeurer attachés à lui, mieux que le sarment attaché au cep pour porter du fruit. Parce que sa résurrection est pour tous, nous attacher à lui nous relie à nos frères et sœurs, les autres sarments de la vigne-Église.

Quand on dit de quelqu’un qu’il est un peu ‘demeuré’, on le considère comme un simplet dont  l’intelligence est restée  bloquée au niveau inférieur, et n’a pas pu se développer normalement. Dans l’Évangile, être demeuré serait plutôt une qualité : savoir prendre le temps, s’enraciner en Dieu, être solide et stable, inspirer confiance au point d’attirer des disciples qui désirent demeurer avec leur maître. En ce sens, les chrétiens sont tous des demeurés qui témoignent que rester attaché au Christ est source d’une grande cohésion personnelle et d’une fécondité à nulle autre pareille. Ce qui les rend un peu étranges aux yeux de leurs concitoyens, qui les traitent volontiers de ‘demeurés’, au sens premier du terme, afin de mieux les disqualifier.

Oui, décidément, les chrétiens sont tous des demeurés…
Mais que peut bien signifier demeurer en Christ pour nous aujourd’hui ?

 

- Il y a d’abord l’attachement du cœur et de l’esprit. L’éblouissement devant ce que Jésus a dit et fait ne s’efface pas de la mémoire des convertis. La trace en demeure à jamais dans leur intelligence, leur cœur, leur manière de voir le monde. Si bien que nulle idole ne peut prendre sa place : ni la réussite professionnelle, ni l’argent, ni le pouvoir ou la gloire, ni le plaisir ou le confort ne prendront sa place dans le cœur des croyants. Demeurer en Christ permet de résister aux idoles. C’est la source du courage pour résister aux modes éphémères, aux séductions majoritaires, aux faux prophètes de tous ordres. Demeurer en Christ est la source de notre énergie, pour déployer de manière cohérente notre activité humaine en faisant fructifier nos talents de façon construite et sensée.

 

- Jésus nous donne un moyen pour rester attaché à lui : demeurer en sa parole, et laisser sa parole demeurer en nous : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples » (Jn 8, 31).

%C3%89vangile-du-jour-%E2%80%93-Vivre-dans-la-parole-de-Dieu-c%E2%80%99est-demeurer-en-Christ commandement dans Communauté spirituelleVoilà une piste très concrète. Car habiter la parole du Christ demande de la connaître, d’en être familier. « Ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ », rappelait Saint Jérôme. Mais combien de baptisés connaissent vraiment la Bible ? Certes, c’est l’affaire de toute une vie, et personne ne peut prétendre connaître la Bible à fond. Cependant, dimanche après dimanche, lecture après lecture, oraison après oraison, chacun de nous peut devenir familier de la parole du Christ. La langue française a fait ce travail en traduisant dans la sagesse populaire quelques grands acquis du Nouveau Testament : ‘s’en laver les mains’ ; ‘jeter la première pierre’ ; ‘pardonner au fils prodigue’ ; ‘ne pas séparer le bon grain de l’ivraie’ ; ‘suer sang et eau’ etc. Et autrefois, quand le peuple ne savait pas lire, l’art roman inscrivait au cœur du village dans les sculptures de nos églises romanes les grandes références bibliques qui devenaient familières aux paysans, aux seigneurs, aux soldats.

Nous demeurons en sa parole lorsqu’elle s’infiltre en nous mieux que la rosée sur la terre fraîchement labourée, lorsqu’elle inspire inconsciemment nos choix, nos façons de voir, nos réactions. Il suffit pour cela de la fréquenter régulièrement : 10 minutes par jour pour lire la lecture de la messe sur un smartphone, un quart d’heure par semaine pour revenir sur les textes du dimanche, et de temps en temps une lecture continue d’un livre de la Bible, une retraite dans un monastère etc.

N’espérons pas demeurer en sa parole sans la fréquenter assidûment, avec ténacité, voire obstination. Ensuite, c’est une affaire d’ouverture du cœur, d’intelligence des textes, de mémorisation de nos trouvailles…

 

- Jésus nous donne encore un autre moyen de demeurer en lui : garder ses commandements. « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour » (Jn 15, 10).
1024px-Parties_d%27un_arc_en_plein_cintre demeurer
Cette piste conviendra aux hommes d’action : on ne peut pas rester tout le temps à lire, méditer et réfléchir ! Il faut bien sortir pour agir ! Oui, et justement : sortir pour agir n’est pas sortir du cercle de la présence du Christ en moi, et de moi en lui. Car ses commandements sont des boussoles pour l’action, et bien sûr le grand commandement de l’amour en premier. Passer des heures sur un fichier Excel ou sur un patient à opérer peut se faire en demeurant en Christ : il suffit pour cela de rattacher ce labeur à sa signification profonde, à son but ultime. Et de travailler en ne perdant pas de vue les relations humaines au sein de l’équipe, avec les patients etc. Si par hasard il n’était pas possible de demeurer attaché au Christ pendant son travail, c’est qu’il faudrait en changer (pensez au commandant d’un camp de déportation, ou au patron d’un réseau de prostitution).

banksy09 paroleOn peut demeurer en Christ sans penser à lui, pas besoin d’être confit en dévotion ou de faire semblant d’être ultra religieux. Non : la cohérence de nos actions est un bon critère pour savoir en qui nous demeurons, ce à quoi nous restons attachés au plus intime. Demeurer en Christ, c’est faire de lui la clé de voûte de notre construction humaine, pour reprendre l’image de dimanche dernier. S’il est la clé de voûte de notre existence, alors, même lorsque nous avons l’impression d’être loin de lui, en fait nous continuons à nous appuyer sur lui, à recevoir de lui notre solidité, à organiser à partir de lui la cohérence de tout ce que nous entreprenons. À la manière des pierres de l’arc s’appuyant sur la clé de voûte, même les plus éloignées. Point besoin de laisser sa foi au vestiaire, comme disait Pasteur avant d’entrer dans son laboratoire, car la foi n’est pas un vêtement pour se couvrir, mais un moteur pour aller toujours plus loin. Saint Paul le disait à sa manière : « tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père »(Col 3, 17).

 

Garder en mémoire l’éblouissement christique de notre cœur et de notre esprit ; fréquenter les Écritures jusqu’à devenir familier du Christ grâce à elles ; faire du commandement de l’amour la clé de voûte de nos engagements en ce monde : quelle sera votre piste à vous pour demeurer en Christ ? Quelle sera votre manière de la mettre en œuvre ?

 

 


[1]. On compte 41 occurrences du verbes demeurer (meno) dans l’évangile de Jean, et 25 dans ses deux épîtres, ce qui montre l’importance de ce thème johannique.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Barnabé leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur » (Ac 9, 26-31)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, arrivé à Jérusalem, Saul cherchait à se joindre aux disciples, mais tous avaient peur de lui, car ils ne croyaient pas que lui aussi était un disciple. Alors Barnabé le prit avec lui et le présenta aux Apôtres ; il leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur, qui lui avait parlé, et comment, à Damas, il s’était exprimé avec assurance au nom de Jésus. Dès lors, Saul allait et venait dans Jérusalem avec eux, s’exprimant avec assurance au nom du Seigneur. Il parlait aux Juifs de langue grecque, et discutait avec eux. Mais ceux-ci cherchaient à le supprimer. Mis au courant, les frères l’accompagnèrent jusqu’à Césarée et le firent partir pour Tarse.
L’Église était en paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie ; elle se construisait et elle marchait dans la crainte du Seigneur ; réconfortée par l’Esprit Saint, elle se multipliait.

PSAUME
(21 (22), 26b-27, 28-29, 31-32)
R/ Tu seras ma louange, Seigneur, dans la grande assemblée. ou : Alléluia ! (cf. 21, 26a)

Devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses.
Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ;
ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent :
« À vous, toujours, la vie et la joie ! »

La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur,
chaque famille de nations se prosternera devant lui :
« Oui, au Seigneur la royauté,
le pouvoir sur les nations ! »

Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ;
on annoncera le Seigneur aux générations à venir.
On proclamera sa justice au peuple qui va naître :
Voilà son œuvre !

DEUXIÈME LECTURE
« Voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de Jésus Christ et nous aimer les uns les autres » (1 Jn 3, 18-24)

Lecture de la première lettre de saint Jean

Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité. Voilà comment nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité, et devant Dieu nous apaiserons notre cœur ; car si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses.
Bien-aimés, si notre cœur ne nous accuse pas, nous avons de l’assurance devant Dieu. Quoi que nous demandions à Dieu, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux. Or, voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ; et voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné part à son Esprit.

 

ÉVANGILE
« Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit » (Jn 15, 1-8)
Alléluia. Alléluia. Demeurez en moi, comme moi en vous, dit le Seigneur ; celui qui demeure en moi porte beaucoup de fruit. Alléluia. (Jn 15, 4a.5b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage. Mais vous, déjà vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite. Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi.
Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent. Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples. »
Patrick Braud

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28 février 2021

Assumer notre colère

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Assumer notre colère

Homélie pour le 3° Dimanche de Carême / Année B
07/03/2021

Cf. également :
Le Corps-Temple
De l’iconoclasme aux caricatures
Une Loi, deux tables, 10 paroles
La prière et la loi de l’offre et de la demande

Les coups de gueule célèbres
La colère a mauvaise presse dans notre inconscient collectif. On en fait un défaut, voire un péché capital. On dit qu’elle est mauvaise conseillère. On lui attribue un aveuglement fait de haine, de revanche, de violence, donc incompatible avec une vie moralement saine.

Pourtant, dans l’histoire, bien des choses n’auraient pas changé s’il n’y avait pas eu quelques cris de colère devant l’injustice ou l’absurde. Sans remonter à Moïse brisant les tables de la Loi ou Clovis cassant le vase de Soissons, on peut se souvenir que les cahiers de doléances préparant les États généraux de 1789 étaient de véritables condensés de la colère populaire qui grondait depuis des décennies contre les inégalités, la famine, le manque de liberté. Ensuite, s’il n’y avait pas eu le fameux « J’accuse » d’Émile Zola dans le journal L’Aurore en 1898, l’antisémitisme français n’aurait pas été démasqué. Plus tard, quand l’Abbé Pierre en l’hiver 1954 voit à Paris le corps gelé d’une femme morte dans la rue, son sang ne fait qu’un tour ; il va crier sa révolte dans le micro de radio Luxembourg :  »Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… » En septembre 1985, Coluche lui emboîtera le pas en s’indignant, qu’on puisse encore crever de faim dans le cinquième pays le plus riche du monde à l’époque : « Je lance l’idée comme ça ». « On est prêts à recevoir les dons de toute la France. Quand il y a des excédents de bouffe et qu’on les détruit pour maintenir les prix sur le marché, nous on pourrait peut-être les récupérer… »

Ces coups de gueule célèbres – et il y en a eu tant d’autres ! – ont comme vertu de ne pas accepter l’inacceptable, de réveiller la conscience de l’opinion publique, d’enclencher une action immédiate.
Voilà déjà de quoi nous faire voir la colère sous un jour plus sympathique !

Dans l’Évangile de ce dimanche des marchands chassés du Temple de Jérusalem (Jn 2, 13-25), la colère de Jésus se faisant un fouet avec des cordes est devenue légendaire elle aussi, au point d’incarner ce qu’on français on appelle « une sainte colère », en référence à celle de Jésus.

 

Les colères de Jésus
Car le « doux Jésus » est capable de pousser lui aussi des coups de gueule fort dérangeants ! Ici, c’est pour préserver la gratuité de la relation à Dieu, contre ceux qui font de la religion – quelle qu’elle soit – un trafic d’avantages, un marchandage de grâces. Mais ce n’est pas la seule fois, visiblement ! Les évangélistes nous ont transmis au moins six situations où la colère de Jésus se manifestait (c’est donc qu’il y en a eu beaucoup d’autres…) :

contre l’endurcissement des pharisiens, pour la liberté de faire passer l’esprit de la Loi avant sa lettre, en vue de guérir, dans l’épisode rapporté par Mc 3,5 : « Alors, promenant sur eux un regard de colère, navré de l’endurcissement de leurs cœurs, il dit à l’homme : “Étends la main.” Il l’étendit, et sa main redevint normale ».

- contre l’hypocrisie, Jésus explose de colère avec ses « Malheureux êtes-vous ! » si rarement lus en liturgie (Mt 23,13-22).

- contre le figuier qui ne produit pas de fruits alors qu’il est visité par le Messie : « il dit au figuier : “Que jamais plus personne ne mange de tes fruits !” Et ses disciples avaient bien entendu » (Mc 11, 12 14).

- contre le lépreux qui va l’obliger à s’exposer trop tôt : « Avec colère, Jésus le renvoya aussitôt » (Mc 1, 43)

- contre ceux qui veulent écarter les enfants de Jésus : « Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : Laissez les enfants venir à moi… » (Mc 10, 14)

- contre le trafic se substituant à la religion, dans notre évangile d’aujourd’hui.

Ces saintes colères n’ont évidemment rien à voir avec la haine, la revanche ou la volonté de faire du mal. C’est une preuve d’amour de pouvoir se mettre en colère ainsi : enfin un homme qui témoigne que Dieu est Dieu, que la personne est le sommet de toute la création, que les dispositifs liturgiques et sociaux les mieux huilés ne sauvent pas et ne suffisent pas ! En les émondant pour qu’elles portent du fruit, Jésus pratique l’assistance à personnes en danger…

Par contre ses colères utilisent bien la violence (verbale comme contre les pharisiens, ou même physique contre les marchands) pour sortir les concernés de leur torpeur morale ou spirituelle. Le royaume de Dieu ne demande-t-il pas qu’on emploie parfois ce type de violence afin qu’il advienne ? « La Loi et les Prophètes vont jusqu’à Jean le Baptiste ; depuis lors, le royaume de Dieu est annoncé, et chacun met toute sa force (violence) pour y entrer » (Lc 16, 16).

Comme toute la Bible, Jésus se révèle ainsi paradoxal : il est « doux et humble de cœur », il appelle à la non-violence : « heureux les doux ! », mais il sait discerner quand la violence est utile, et quel type de violence.

Il souligne que se mettre en colère contre son frère est très grave, passible du tribunal (Mt 5,22). Et pourtant il n’hésite pas à laisser éclater sa colère lorsqu’elle peut sauver l’autre en le réveillant. Il respecte infiniment le Temple de Jérusalem, au point de vouloir le purifier de ses trafics ; et en même temps il le relativise au point d’annoncer qu’il n’en restera pas pierre sur pierre (Lc 21, 5-11), et que finalement le vrai Temple, c’est son corps, bientôt détruit par la croix, relevé au bout de trois jours par la résurrection.

Impossible d’enfermer Jésus dans tel ou tel comportement seulement ! Ce qui devrait nous rassurer sur nous-mêmes…

Paul en recueillera quelque chose dans son conseil en Ep 4,26 : « Si vous vous mettez en colère, ne péchez pas. Que le soleil ne se couche pas sur votre colère ». Ce verset ne nous demande pas d’éviter la colère, encore moins de la refouler ou de l’ignorer, mais de l’exprimer avec justesse (« sans pécher »), au bon moment, et de la mettre au service de la suite.

 

Assumer nos propres colères
Car la complexité de l’être humain est également sa chance. S’il n’était que douceur, où trouverait-il l’énergie pour secouer les jougs qui l’oppriment ? S’il n’était que colère, comment éviterait-t-il de prendre la place des dictateurs renversés ? La colère de la révolution française a débouché sur la Terreur. Celle de l’Abbé Pierre ou de Coluche sur Emmaüs et les Restos du cœur. La colère de Jésus au Temple de Jérusalem est une réforme religieuse en actes : purifier la foi et ses pratiques de ce qui la dénature.

Nos propres colères ont cette ambivalence. Certaines sont destructrices : elles entraînent des ruptures irréparables, elles infligent des blessures indélébiles. D’autres sont pleines de promesses : elles nous libèrent de la soumission, elles crient à l’autre un besoin vital non respecté, elles affirment une valeur qui nous est chère, elles renversent les comptoirs de ceux qui nous maintiennent en leurs calculs. Pour devenir saintes, nos colères doivent se mettre au service d’une cause juste et grande. Ce dimanche, c’est le culte au Temple qui est en jeu. Notre colère serait mesquine si elle ne poursuivait que des objectifs superficiels ou égoïstes. La première question à se poser quand notre colère monte est donc : qu’est-ce qui vaut vraiment la peine que je me mette en colère ? Si vous arrivez à répondre à cette question, alors votre colère vous apportera une foule d’éléments positifs :

– une alarme (très physique : rougeur, grosse voix, tremblements, taper du poing sur la table etc.). Il se passe quelque chose d’important on vous, et vous devez y accorder de l’attention en laissant s’exprimer ce qui veut sortir.

Assumer notre colère dans Communauté spirituelle 51ZcSamNjTL._SX347_BO1,204,203,200_- un message : le plus souvent, le message porte sur un de vos besoins fondamentaux non satisfait (ex : ‘je ne me sens pas reconnu dans cette discussion qui me met en colère’), sur une valeur très importante que vous sentez bafouée en cette occasion (ex : ‘où est la justice dans ce que tu me dis ?’). Le message peut également toucher à vos limites, à ce que vous n’arrivez plus à supporter (ex : ‘j’explose de colère parce que je n’en peux plus que tu m’en demandes toujours plus’). Enfin le message peut être objectivement une vraie prise de conscience adressée à l’autre : (ex : ‘ne vois-tu pas que ce que tu es en train de faire est… ?’).

– une énergie : de couleur rouge, l’émotion–colère libère une énergie incroyable pour faire changer les choses ! Elle permet de soulever des fardeaux dix fois plus lourds que d’ordinaire ; elle bouscule les habitudes, les complicités établies. En se calmant (la ‘descente en pression’), elle invite à trouver de nouveaux chemins pour tenir compte de ce qu’elle a exprimé.

Certains tempéraments sanguins devront se méfier des fausses colères qui envahissent leurs réactions au point de brouiller leur communication aux autres. Le piège des colériques est de prendre pour une atteinte personnelle le désaccord des autres : se croyant remis en cause personnellement, ils réagissent comme une bête blessée, sans voir qu’ils s’infligent le mal à eux-mêmes.

D’autres tempéraments plus empathiques (ou soumis) devront travailler au contraire à s’autoriser la colère : ‘oui, j’ai le droit de dire à l’autre ce qui me blesse, et la colère peut m’y aider. Elle peut me donner le courage de savoir dire non’. Le piège des faux-calmes est de mettre un couvercle sur leur colère, jusqu’à ce que la cocotte-minute émotionnelle explose de façon meurtrière.

Parvenir à la sainte colère du Christ est un long travail, pour chacun, avec beaucoup d’essais et d’erreurs…

Reste que l’épisode du fouet chassant les marchands du Temple peut nous aider à nous réconcilier avec nos propres colères : l’indignation qui bout en nous devant le mal, l’injustice ou l’absurde peut transformer l’inacceptable en changement salutaire !

Que l’Esprit du Christ nous apprenne à discerner les justes colères que nous assumerons avec amour…

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
La Loi fut donnée par Moïse (Ex 20, 1-17)

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, sur le Sinaï, Dieu prononça toutes les paroles que voici : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux : chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur montre ma fidélité jusqu’à la millième génération. Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son nom.
Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage ; mais le septième jour est le jour du repos, sabbat en l’honneur du Seigneur ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’immigré qui est dans ta ville. Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié. Honore ton père et ta mère, afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu. Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne commettras pas de vol. Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient. »

 

PSAUME
(18b (19), 8, 9, 10, 11)
R/ Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle. (Jn 6, 68c)

La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.

Les préceptes du Seigneur sont droits,
ils réjouissent le cœur ;
le commandement du Seigneur est limpide,
il clarifie le regard.

La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes
et vraiment équitables :

plus désirables que l’or,
qu’une masse d’or fin,
plus savoureuses que le miel
qui coule des rayons.

DEUXIÈME LECTURE
« Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les hommes, mais pour ceux que Dieu appelle, il est sagesse de Dieu » (1 Co 1, 22-25)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient juifs ou grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

 

ÉVANGILE
« Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 13-25)

Gloire au Christ,Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur
Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que ceux qui croient en lui aient la vie éternelle.
Gloire au Christ,Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (Jn 3, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment. Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.
Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite. Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait. Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.
 Patrick BRAUD

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