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23 février 2023

Trois histoires pour avoir faim d’autre chose

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 8 h 00 min

Trois histoires pour avoir faim d’autre chose

Homélie pour le 1° Dimanche de Carême / Année A

26/02/2023

Cf. également :
Carême : le détox spirituel
Ne vous habituez pas à vivre dans le mensonge
Poussés par l’Esprit
Un méridien décide de la vérité ?
L’île de la tentation
Ne nous laisse pas entrer en tentation
L’homme ne vit pas seulement de pain
Nous ne sommes pas une religion du livre, mais du Verbe
Et plus si affinité…

« L’homme ne vit pas seulement de pain » : l’Évangile de ce premier dimanche de Carême (Mt 4,1-11) est devenu proverbial. Même les militants politiques les plus matérialistes reconnaissent que la dignité humaine, la justice sociale, la réduction des inégalités etc. sont des causes plus grandes que quelques avantages matériels en plus. Et les écologistes prônent une sobriété qui peut devenir heureuse si elle est choisie, raisonnable, respectueuse de l’avenir de la planète, car l’homme a besoin d’autre chose que de consommer et piller les ressources naturelles.

Voilà un terrain d’entente avec beaucoup de familles de pensées non-chrétiennes : l’être humain a faim et soif d’autre chose que de la seule nourriture ou de l’accumulation des richesses. Il aspire à la beauté, au respect, au don de soi, à plus grand que lui. Que ce soit dans l’art, le combat social, sa famille ou sa croyance, l’homme ne se réduit pas à de simples considérations matérielles. Bien sûr, seuls les croyants entendent la seconde partie de la phrase : « mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Reste que pour entendre un jour cette parole, il faut découvrir en soi une faim différente, un manque plus fondamental que le manque de nourriture.

Alors, en ce début de Carême, voici trois histoires vraies pour réveiller en nous cette soif de vivre plus intensément, trois histoires pour avoir faim d’autre chose.


1. Des fleurs avant le pain

Noël 1951 : le Grand-Palais à Paris bruisse d’un brouhaha inhabituel. Des centaines de bénévoles s’activent pour confectionner des milliers de colis de Noël. Ces colis sont pour ceux et celles qu’on appelait les vieillards après-guerre. Dans une France dévastée par les bombardements (regardez l’Ukraine aujourd’hui !), tout était à reconstruire, et beaucoup de vieillards étaient sans logement, sans famille, isolés et en grande précarité. Armand Marquiset avait fondé l’association « Les Petits Frères des Pauvres » en 1946 au sortir de la guerre, justement pour lutter contre la solitude et la précarité des personnes âgées. Armand avait su d’instinct que les pauvres ont autant besoin de beauté que de repas, de considération que d’assistance. Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on doit fêter Noël au rabais. Ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on doit réveillonner à l’hospice. Ce n’est pas parce qu’on est seul qu’on doit avoir honte des grandes soirées de gala où le beau monde se retrouve…
Ce réveillon de 1951 fut suivi de beaucoup d’autres, et encore actuellement [1], car les vieillards n’ont pas seulement besoin d’un panier-repas pour réveillonner, mais surtout de compagnie, de chaleur humaine, de musique, de relation, de danse, de belles nappes…

1er octobre 2022 : des jeunes distribuent des fleurs aux passants du métro en leur disant : ‘Si vous connaissez une personne âgée isolée, allez lui porter cette fleur en signe d’amitié. C’est aujourd’hui la journée internationale des personnes âgées : comment mieux la fêter qu’avec ce geste empreint de respect, d’affection, de proximité humaine ?’
Ainsi chaque année c’est plus de 1 300 bénévoles et salariés des Petits Frères des Pauvres qui parcourent rues, marchés, gares, hôpitaux et maisons de retraite, pour distribuer 78000 roses dans 185 villes de France.
Avec ce geste, les bénévoles font vivre la devise de leur fondateur : « des fleurs avant le pain ». Cela peut choquer. Certains diront que, quand même, le plus important c’est la pension, l’alimentaire, le chauffage etc. Heureusement, Armand Marquiset n’a pas dit : « des fleurs au lieu du pain » ! Il a simplement priorisé les besoins fondamentaux des personnes âgées isolées : on crèvera plus de manque d’amour que du manque de pommes de terre, plus de solitude que de froid (même si cela arrive hélas). Et mettre les fleurs en avant ne dispense absolument pas de donner le pain dans le même geste. Simplement, c’est une question de regard sur la personne : ce vieillard isolé n’est pas d’abord un ventre affamé, mais une personne en attente de liens, de reconnaissance, d’amitié venant rompre sa solitude.
Voir une personne âgée retrouver ainsi sa dignité réveille en nous le désir des liens qui nous maintiennent en vie…


2. Quel est votre petit frère ?

Le 24 juin  2016, les élèves de la prestigieuse école de commerce HEC sont rassemblés pour la remise de leur diplôme. La tradition est d’inviter un orateur, ancien élève, qui va les galvaniser en vantant les hautes responsabilités auxquelles ce diplôme les destine. Cette année-là, c’est le directeur général de Danone qui va parler. Multinationale puissante et redoutées, nul doute que son directeur général va chanter les bienfaits du commerce de masse et le brillant avenir des ‘épiciers’ (comme on appelle les étudiants en prépa HEC). Emmanuel Faber prend la parole. Son discours est plus court que d’habitude. Et surtout plus disruptif [2] ! Il ne parle pas de stratégie d’entreprise, de commerce mondial, ni même de business ethics tant à la mode. Non : il raconte la place qu’a prise son frère Dominique dans sa vie, et qui l’a amené à tout reconsidérer sous un jour différent, sa carrière, sa mission, sa rémunération même [3].

« Qu’est-ce qui m’a le plus marqué pendant mes trois ans ici (à HEC) ? C’est ce coup de fil que je n’aurais jamais voulu recevoir, à 21 heures […] et où j’ai appris que mon frère venait d’être interné pour la première fois en hôpital psychiatrique, diagnostiqué avec une schizophrénie lourde. Ma vie a basculé. Il m’a fallu apprendre le milieu des hôpitaux psychiatriques, apprendre le langage des fous pour ne pas perdre le dialogue, découvrir la beauté de ce langage – la normalité, ça enferme beaucoup -, découvrir l’altérité, m’ouvrir à plein de choses. À cause de lui j’ai découvert l’amitié de SDF, de temps en temps je vais dormir avec eux, j’ai découvert qu’on pouvait vivre avec très peu de choses et être heureux. Je suis allé dans des bidonvilles… »
Vous aurez à surmonter trois grandes écueils qui viendront facilement avec le statut que vous venez d’obtenir par ce diplôme : le pouvoir, l’argent et la gloire.
Oubliez la gloire, c’est une course qui n’en finit jamais et qui ne mène nulle part. La liste de toutes les personnes renommées existe juste pour qu’elles regardent leur propre nom. Elles ne s’intéressent pas à ceux des autres.
L’argent: j’ai rencontré tant de personnes, quand j’étais banquier d’investissement dans la finance, quand j’ai voyagé dans le monde – j’en rencontre encore – qui sont prisonniers de l’argent qu’ils ont gagné. Ne devenez jamais esclaves de l’argent. Restez libres ! Peu importe la raison pour laquelle vous gagnez de l’argent, peu importe ce que vous en faites, restez libres !
Et la puissance : je pense que vous pouvez regarder autour de vous, il y a tant de personnes qui sont puissantes et qui ne font rien, juste pour garder cette puissance, pour qu’elle dure un jour encore. La puissance n’a de sens que dans le service rendu aux autres. Et c’est ce service qui vous fera devenir qui vous êtes en vérité. Le meilleur de vous-même, dont vous n’avez même pas conscience.
J’ai donc une question à vous poser, avec laquelle je vous laisserai, chacun d’entre vous : qui est votre frère ? Qui est ce petit frère, cette petite sœur, qui habite en vous et qui vous connaît mieux que vous-même et qui vous aime plus que vous ne vous aimez vous-même ? C’est cette petite voix, qui parle de vous étant plus grand encore que vous ne pensez l’être. Qui sont-elles ? Elles vous apporteront cette voix, cette musique interne, cette mélodie qui est véritablement la vôtre. Votre mélodie transformera la symphonie du monde qui vous entoure, qu’elle soit grande ou petite, elle le changera ! Le monde en a besoin et vous méritez cela.
Trouvez votre frère, trouvez votre petite sœur ! Et quand vous les rencontrerez dites-leur bonjour de ma part, nous sommes amis ! Portez-vous bien. »

Les étudiants entendent bouche bée un de leurs aînés leur livrer, non pas le secret d’une belle réussite professionnelle, mais sa vraie motivation pour agir, quelle que soit son action.
Ni le pouvoir, ni la richesse, ni la gloire : son frère handicapé a appris à Emmanuel Faber que la fragilité peut changer le monde, et que la vraie réussite ne se lit pas dans le Who’s who ou dans la liste des promotions à la Légion d’honneur.

Quand le succès vous grisera, quand l’argent vous amollira, quand la puissance vous tournera la tête, réécoutez le discours d’Emmanuel Faber à HEC, et posez-vous la question : quel est mon petit frère ?…


3. À la recherche de mon Ikigaï

Trois histoires pour avoir faim d’autre chose dans Communauté spirituelle schema-ikigai-600x567Il est une île dans l’archipel japonais d’Okinawa qui étonne par sa proportion de centenaires. Un américain, Dan Buettner, a voulu étudier au plus près les raisons de cette longévité peu ordinaire. Bien sûr il y a l’alimentation, l’exercice physique, le climat, la culture ambiante etc. Mais il a découvert que ces japonais vivent plus longtemps parce qu’ils vivent mieux, avec une sorte de cohérence profonde de leur être, qui les rend alignés sur leurs convictions, cohérents avec leurs valeurs.
En 2009, il a formalisé son étude autour de 4 cercles de motivation qui peuvent représenter nos raisons d’agir et de vivre : nos passions, nos talents, notre utilité, notre valeur marchande et sociale. À l’intersection de ces 4 cercles, il y a le cœur du cœur de ce que nous sommes : l’Ikigaï, mot japonais intraduisible (la raison d’être, le cœur, le secret, le centre, la joie de vivre, l’élan vital…). Les habitants d‘Okinawa vivent vieux parce qu’ils habitent en leur Ikigaï.

Découvrez votre Ikigaï et vous n’aurez pas peur d’assumer les ruptures, les choix nécessaires pour habiter au centre de vous-même. Car on peut aimer faire des choses sans vraiment y être doué. On peut avoir des compétences, mais qui nous ennuient. On peut toucher un salaire généreux, avec un travail finalement peu utile et sans beaucoup de sens etc.
Chercher son Ikigaï fait écho à la célèbre injonction de Lacan : « désire, et ne cède pas sur ton désir ». Ou à celle de Saint Augustin : « aime, et fais ce que tu veux ».
Le tout est de ne pas se tromper sur son désir personnel le plus vrai. Le tout est de ne pas courir après des amours idolâtres ou adultères qui pullulent autour de nous.
Descendre en soi pour explorer nos vrais moteurs pour agir, partir à la recherche de son Ikigaï, c’est un peu partir au désert et renoncer à ce qui nous comble immédiatement habituellement (jusqu’à nous gaver parfois !), pour éprouver la joie du pêcheur de perles : j’ai trouvé ce dont j’ai faim en vérité…

Que la parole de Dieu agrandisse en nous cette faim d’autre chose !

 


[1]. En 2022 : 31 968 personnes accompagnées toute l’année, 380 équipes locales, 15 133 bénévoles engagés, 28 maisons, 397 logements indépendants.

[3]. En 2016, sa rémunération s’élevait à 4,8 millions d’euros. Le 25 avril 2019, lors de l’assemblée générale des actionnaires de Danone, il fait approuver une résolution baissant sa rémunération en 2018 à 2,8 millions d’euros. Il annonce également renoncer à son indemnité de départ contraint ainsi qu’à sa retraite chapeau de cadre chez Danone qui s’élève à 1,2 million d’euros par an, pour ne toucher que la retraite classique des salariés du groupe.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Création et péché de nos premiers parents (Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7a)

Lecture du livre de la Genèse

Le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé. Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.’ » Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.

PSAUME

(Ps 50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17)
R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. Ps 50, 3)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

DEUXIÈME LECTURE
« Là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5, 12-19)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché.
Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir. Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
Le don de Dieu et les conséquences du péché d’un seul n’ont pas la même mesure non plus : d’une part, en effet, pour la faute d’un seul, le jugement a conduit à la condamnation ; d’autre part, pour une multitude de fautes, le don gratuit de Dieu conduit à la justification. Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance le don de la grâce qui les rend justes.
Bref, de même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie. En effet, de même que par la désobéissance d’un seul être humain la multitude a été rendue pécheresse, de même par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle rendue juste.

ÉVANGILE
Jésus jeûne quarante jours, puis est tenté (Mt 4, 1-11)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. 
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. » Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : 
C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »
Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.
Patrick Braud

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5 février 2023

50 nuances de oui ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

50 nuances de oui ?

Homélie pour le 6° Dimanche du temps ordinaire / Année A
12/02/2023

Cf. également :

La nécessaire radicalité chrétienne
Tu dois, donc tu peux
Donne-moi la sagesse, assise près de toi
Accomplir, pas abolir
Qu’est-ce que « faire autorité » ?
Ma main à couper !
« En même temps » : pas très biblique !

« En même temps »
50 nuances de oui ? dans Communauté spirituelle 41Jl1cc08fL
Notre président est connu pour son fameux « en même temps ». Il veut soutenir l’Ukraine et en même temps ne pas humilier la Russie. Il livre des chars à Kiev tout en disant qu’il faut des garanties de sécurité pour Moscou. Position d’équilibriste, jugée peu crédible à l’Est de l’Europe où l’on sait bien que la Russie ne connaît que les rapports de force… Le jeu du « en même temps » se poursuit dans bien d’autres domaines : faire des chèques pour soutenir les boulangers, les PME, les médecins, et en même temps vouloir limiter les déficits publics ; soutenir l’hôpital et le libéraliser à l’extrême ; combattre l’inflation et diminuer la dette ; fermer Fessenheim et relancer le nucléaire ; relancer le nucléaire et investir dans l’éolien et le solaire ; vouloir une France souveraine et toujours plus de fédéralisme européen etc.

Nul doute que la sentence lapidaire qui conclut notre évangile de ce dimanche (Mt 5,17 37) heurtera de plein fouet ces louvoiements habiles : « que votre oui soit oui, que votre non soit non. Tout le reste vient du Mauvais ».

Nous avons appris – à juste titre – à nous méfier des politiques lorsqu’ils disent oui : c’est uniquement dans l’instant, sous conditions, sans garanties véritables, et on n’est même pas sûr qu’ils ne pensent pas non… Ils invoquent la complexité du monde comme excuse : les technocrates nous expliquent que l’économie et l’État ne sont pas si simples, qu’il faut tenir compte d’un tas de facteurs exogènes… et que finalement il faut leur faire confiance car eux seuls ont toutes les cartes en main. La plupart abdiquent d’ailleurs de leur responsabilité en s’abritant derrière un argument-massue : ‘il n’y a pas d’autre choix possible. C’est la seule solution’. Que ce soit pour la réforme des retraites, de l’assurance-chômage, de l’équilibre budgétaire ou même des lois sur l’éthique, on nous dira : ‘c’est comme ça, vous devez vous y faire, c’est inéluctable’. À tel point que bientôt un bon système expert d’intelligence artificielle remplacerait avantageusement le Parlement…

Pourquoi toutes ces nuances de oui qui le transforment en peut-être et en non ?
C’est souvent une stratégie pour faire plaisir, être aimé (et réélu !). C’est parfois un manque de courage pour assumer ses choix. C’est un parapluie pour ne pas être responsable en cas d’échec (‘je n’étais pas tout à fait pour…’). C’est une tactique pour se ménager une porte de sortie quelle que soit l’issue, tel Talleyrand survivant à tous les régimes. C’est une mauvaise lecture de la complexité du monde qui demande du courage et non un brouillard d’indécision.

Il faut choisir : ne pas décider est criminel
Il faut choisir
Notre première lecture (Si 15,15-20) fait de la sagesse l’objet d’un choix : « il dépend de ton choix de rester fidèle. Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix ». Le Sage réintroduit de la liberté humaine là où les experts imposent l’implacable des lois (de l’économie, de la nature, de la société…).

Or il n’y a rien qui s’imposerait au point de supprimer toute possibilité de choisir, de vouloir. Ce qu’on nous présente comme incontournable n’est que la résultante du choix des autres, ou de nos non-choix. Notre liberté s’exprime dans le refus de tout automatisme qui dicterait nos conduites personnelles et collectives. Méfiez-vous si quelqu’un vous dit : « on n’a pas le choix » ! C’est lui qui a fait ses choix et cherche à vous les imposer comme indiscutables…

Dans la Bible, le peuple de Dieu se laisse ballotter entre YHWH et les idoles, entre la justice et la convoitise, entre le droit et la loi du plus fort etc. Josué est ainsi obligé de mettre les tribus au pied du mur avant d’entrer en Terre promise : « S’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir : les dieux que vos pères servaient au-delà de l’Euphrate, ou les dieux des Amorites dont vous habitez le pays. Moi et les miens, nous voulons servir le Seigneur » (Jos 24,15).

A cloche-piedLe prophète Élie constatera plus tard avec amertume qu’Israël n’a toujours pas réellement choisi en son cœur qui il veut servir. D’où sa colère : ‘dites oui ou non, mais dites-le !’
« Élie se présenta devant la foule et dit : ‘Combien de temps allez-vous clocher des deux jarrets ? Si c’est le Seigneur qui est Dieu, suivez le Seigneur ; si c’est Baal, suivez Baal.’ Et la foule ne répondit mot » (1 R 18,21).
L’archéologie moderne a confirmé la permanence de cette valse-hésitation parmi les douze tribus pendant des siècles en fait. Car on a retrouvé des statuettes de déesses païennes étrangères dans des ruines de villes israélites dans tout Canaan, à toutes les époques. Il semble bien que le monothéisme n’ait jamais complètement réussi à s’imposer dans les esprits hébreux ! D’où l’engueulade d’Élie qui reproche au peuple de vouloir jouer sur tous les tableaux, au cas où… Un Dieu unique pour la sortie d’Égypte, beaucoup de dieux païens pour la pluie, les récoltes, la famille etc. Cette indécision est le marqueur de l’immaturité spirituelle d’Israël.

Déjà, au désert, les hébreux doutaient de la présence de YHWH au milieu d’eux : est-ce qu’on peut vraiment compter sur lui ? « Moïse donna à ce lieu le nom de Massa (c’est-à-dire : Épreuve) et Mériba (c’est-à-dire : Querelle), parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au Seigneur, et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve, en disant : ‘Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ?’ » (Ex 17,7).
Douter du oui de Dieu, c’est douter de Dieu lui-même !

Symétriquement, YHWH doute de son peuple, qu’il voit indécis et changeant :
« Le Seigneur dit à Moïse : Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne, et ainsi je vais le mettre à l’épreuve : je verrai s’il marchera, ou non, selon ma loi » (Ex 16,4).
Même chez Moïse, il devine une hésitation qui le vexe profondément : « Le Seigneur dit à Moïse : ‘La main du Seigneur serait-elle trop courte ? Maintenant tu vas voir si ma parole se réalise pour toi, oui ou non !’ » (Nb 11,23).
D’où ces mises à l’épreuve par lesquelles YHWH cherche à solidifier en quelque sorte le oui d’Israël bien trop faible à l’origine : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? » (Dt 8,2)

Dans le Nouveau Testament, on voit Hérode ne pas choisir entre sa sympathie pour Jean-Baptiste et son amour pour sa compagne Hérodiade (la femme prise à son frère!), ce qui le conduira au meurtre. Ou bien Pilate ne pas choisir entre Barrabas et Jésus : à force de s’en laver les mains, il est passé dans l’histoire comme la figure de l’injustice dont l’indécision est le fruit.

Ne pas décider, c’est « clocher des deux pieds » toute sa vie.
C’est laisser les autres décider pour nous.
C’est n’être ni chaud ni froid, de ces tièdes dont l’Apocalypse nous dit que le Christ les vomit de sa bouche (Ap 3,16).
C’est abdiquer de sa liberté et ressembler à un poisson mort emporté par le courant.

Amen-1024x579 choix dans Communauté spirituelleL’Apocalypse qualifie le Christ d’Amen de Dieu, c’est-à-dire que tout son être est structuré par le Oui à Dieu qu’il incarne : « À l’ange de l’Église qui est à Laodicée, écris : Ainsi parle celui qui est l’Amen, le témoin fidèle et vrai, le principe de la création de Dieu… » (Ap 3,14). Et Paul s’appuie sur cette caractéristique de Jésus pour démontrer la solidité de son enseignement : « Mes projets ne sont-ils que des projets purement humains, si bien qu’il y aurait chez moi en même temps le ‘oui’ et le ‘non’ ? En fait, Dieu en est garant, la parole que nous vous adressons n’est pas ‘oui et non’. Car le Fils de Dieu, le Christ Jésus, que nous avons annoncé parmi vous, Silvain et Timothée, avec moi, n’a pas été ‘oui et non’ ; il n’a été que ‘oui’. Et toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur ‘oui’ dans sa personne. Aussi est-ce par le Christ que nous disons à Dieu notre ‘amen’, notre ‘oui’, pour sa gloire » (2 Co 1,17-20).
On ne saurait être plus clair sur l’exigence d’être clair sur ses choix…

Bien sûr, décider c’est faire des mécontents ; c’est prendre le risque de se tromper ; c’est renoncer à des alternatives intéressantes ; c’est s’obliger à agir…
Décider, c’est se décider !
Quand le choix est difficile et que nous avons envie de fuir, pensons à l’impératif du Christ : « que ton oui soit oui, que ton non soit non ».

Assumer les conséquences de son choix
Il faut donc il y ait un oui (ou un non).
Il faut ensuite que ce oui soit oui (que ce non soit non). C’est-à-dire qu’il nous faut assumer ce qui accompagne notre choix.

 décisionSi vous choisissez de rester avec votre conjoint au lieu de vous séparer, c’est que vous vous mobilisez par là-même afin de renouer le lien, retrouver le dialogue, écouter, pardonner, aimer…
Si vous choisissez de le quitter, alors vous choisissez ce qui va avec : peut-être un déménagement, une diminution de ressources, une solitude pour un temps, la garde des enfants à négocier etc.
On ne peut pas gagner sur tous les tableaux !

D’où l’importance d’être fidèle à son oui (à son non).
Fidèle au oui du mariage, je ferai tout pour le nourrir et le faire grandir.
F
idèle au oui à moi-même, j’aurais le courage de refuser ce qui ne me ressemble pas (au travail par exemple), de résister à des opinions ou des modes de vie qu’on m’impose.
Fidèle au non de mon baptême (« je renonce à Satan »), je combattrai avec humilité pour ne jamais être complice.
Fidèle au non des commandements négatifs du Décalogue, je dénoncerai sans relâche le meurtre, le vol, le mensonge, la convoitise, l’instrumentalisation du Nom de Dieu, et d’abord en moi-même. 

Jésus a osé très clairement, avec douceur et violence, dire oui ou dire non à ses interlocuteurs. Par exemple au sujet de la primauté de l’observance du sabbat : « Jésus s’adressa aux docteurs de la Loi et aux pharisiens pour leur demander : ‘Est-il permis, oui ou non, de faire une guérison le jour du sabbat ?’ » (Lc 14,3).
Il n’est pas tendre avec les intégristes de de la Loi : « hypocrites ! La loi est faite pour l’homme et non l’homme pour la Loi » (Mc 2,27). Et donc oui, bien sûr, il est permis de guérir le jour du sabbat !
Ou encore quand on veut le piéger à propos de l’impôt levé par l’occupant romain : « Nous est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? » (Lc 20,22). Sa réponse est claire, et va au-delà de la stricte observance : oui il faut payer l’impôt. Mais pas forcément comme vous le croyez ! D’où l’étrange épisode où Pierre trouvera l’argent de l’impôt dans la gueule des poissons de sa pêche.
Il en est de même pour la prière : Dieu exauce-t-il notre prière, oui ou non ? Oui ! Mais pas comme nous le croyons…

Couv_309174 nonLa liberté étonnante du Christ pour dire oui ou non à la Loi, au pouvoir romain, oui à l’amour au-delà de toute frontière (lépreux, femmes adultères, prostituées, collaborateurs, hérétiques, étrangers, païens etc.), non au mal sous toutes ses formes (cf. les trois  tentations au désert), cette liberté affolante lui vaudra les pires ennuis si l’on peut dire : être rangé au rang des séditieux par les Romains, des maudits de Dieu pour les juifs, des révolutionnaires ratés pour les autres, jusqu’à la croix.

Jacques reprend mot à mot l’impératif du Christ pour encourager les communautés chrétiennes tentées par les compromissions : « Et avant tout, mes frères, ne faites pas de serment : ne jurez ni par le ciel ni par la terre, ni d’aucune autre manière ; que votre ‘oui’ soit un ‘oui’, que votre ‘non’ soit un ‘non’ ; ainsi vous ne tomberez pas sous le jugement. » (Jc 5,12).

Alors ne soyons pas surpris si notre oui nous attire des ennuis à nous aussi.
Ne soyons pas affolés si notre non nous expose à des conséquences.

« Que ton oui soit oui, que ton non soit non » : la prochaine fois qu’un dilemme travaillera notre esprit, faisons tourner et retourner en nous cet impératif. Si notre décision est prise en Christ, nous goûterons alors la joie et la paix qui suivent les décisions authentiques, les décisions vraies, celles qui nous font grandir en humanité.
Contre cette sagesse il n’y a pas de loi qui tienne.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Il n’a commandé à personne d’être impie » (Si 15, 15-20)

Lecture du livre de Ben Sira le Sage

Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix. Car la sagesse du Seigneur est grande, fort est son pouvoir, et il voit tout. Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes. Il n’a commandé à personne d’être impie, il n’a donné à personne la permission de pécher.

PSAUME

(Ps 118 (119), 1-2, 4-5, 17-18, 33-34)
R/ Heureux ceux qui marchent suivant la loi du Seigneur ! (cf. Ps 118, 1)

Heureux les hommes intègres dans leurs voies
qui marchent suivant la loi du Seigneur !
Heureux ceux qui gardent ses exigences,
ils le cherchent de tout cœur !

Toi, tu promulgues des préceptes
à observer entièrement.
Puissent mes voies s’affermir
à observer tes commandements !

Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,
j’observerai ta parole.
Ouvre mes yeux,
que je contemple les merveilles de ta loi.

Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ;
à les garder, j’aurai ma récompense.
Montre-moi comment garder ta loi,
que je l’observe de tout cœur.

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25 décembre 2022

Marie, notre sœur

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 14 h 00 min

Marie, notre sœur

 

Homélie pour la fête de Marie Mère de Dieu / Année A 

01/01/2023

 

Cf. également :

Devenir la Mère de Dieu

Marie Theotokos, ou la force de l’opinion publique

Intercéder comme Marie

Quelle place a Marie dans votre vie ?

 

Mère et sœur

Ce dimanche, nous invoquons Marie sous le titre impressionnant de « Mère de Dieu ». Et c’est juste de l’appeler ainsi, puisque son fils est pour nous vrai homme et vrai Dieu. Le texte patristique de l’Office des Lectures de ce dimanche nous met également sur une autre piste : invoquer Marie comme notre sœur en humanité. 

Marie, notre sœur dans Communauté spirituelle grande-soeur-geniale-famille« Marie est notre sœur, puisque nous descendons tous d’Adam »

(St Athanase, IV° siècle). 

Fêter Marie Mère de Dieu le 1er janvier, c’est célébrer en elle la promesse d’une humanité transfigurée, le début d’une ère nouvelle capable d’accueillir en son sein la vie divine. 

Voilà pourquoi cette femme juive est pour nous comme « une introduction à la joie », selon la belle expression d’André de Crète, évêque du VII° siècle. C’est comme l’ouverture sublime d’un opéra, où sont annoncés en filigrane les grands thèmes à venir. Avec elle l’Église contemple l’annonce de son propre re-création ; elle découvre le visage d’une humanité réconciliée. En Marie, dès sa naissance, l’Église se reconnaît, en espérance.
Enfin l’une d’entre nous va pouvoir nous ouvrir la voie sur le chemin du oui à Dieu !
Enfin une sœur de chez nous, une créature comme nous, nous assure dès ses débuts que nous sommes bien faits pour devenir la demeure de Dieu, l’écrin de sa beauté, le Temple de sa présence !


Éphrem le syrien, poète de Marie au IV° siècle, s’écriait :

« Certes, elle est ta mère, elle l’est, elle seule ; mais avec tous, ta sœur » (Hymne Nativité 4911).

Notre sœur en humanité est pour nous aujourd’hui le signe d’une humanité déjà transfigurée, renouvelée.  Réjouissons-nous, car c’est bien cela notre avenir déjà à l’œuvre en nos vies : naître, renaître, laisser Dieu naître en nous pour enfin naître à nous-même…

« Que toute la création chante et danse, qu’elle contribue de son mieux à la joie de ce jour.
Que le ciel et la terre forment aujourd’hui une seule assemblée, que tout ce qui est dans le monde et au-dessus de lui s’unisse dans le même concert de fête.

Aujourd’hui en effet s’élève le sanctuaire créé où résidera le créateur de l’univers, et une créature, par cette disposition toute nouvelle, est préparé pour offrir au créateur une demeure sacrée ».

(André de Crète ; Homélie pour la Nativité de la Ste Mère de Dieu)

Vatican II unit Marie à chacun de nous : loin d’être à part, coupée de son peuple, Marie de Nazareth est l’une d’entre nous : « elle se trouve aussi, comme descendante d’Adam, réunie à l’ensemble de l’humanité qui a besoin de salut » (Vatican II, LG 53).

 

Quelles conséquences sur notre prière si en plus d’invoquer la Mère de Dieu nous lui disions avec confiance : Marie, toi notre sœur… ?

 

« Béni sois-tu Seigneur, qui ne m’a pas fait femme »

157_COUV-737x1024 berakah dans Communauté spirituelleMarie renverse la table des anciennes hiérarchies sociales que même le peuple juif a sacralisées dans sa prière. En effet, au cours des premiers siècles après Jésus, les rabbins ont formalisé dans le Talmud les différentes prières du jour, et notamment celle du matin qui comprend une triple bénédiction récitée obligatoirement par les hommes aujourd’hui encore : « béni sois-tu Seigneur de ne m’avoir fait ni esclave, ni femme, ni non-juif ». Pendant que les hommes bénissent de ne pas être femme, les femmes elles doivent se contenter de leur sort et bénir Dieu pour cela en disant : « béni sois-tu Seigneur de m’avoir faite selon ta volonté ».

 

Incroyable ! Bénir Dieu de ne pas être une femme ! 

Embarrassés par la lettre de cette berakah insupportable aujourd’hui, les rabbins ont multiplié les commentaires pour tenter d’expliquer cette misogynie apparente.

- Une première ligne d’interprétation constate simplement que le sort des hommes est plus enviable que celui des femmes dans toutes les sociétés traditionnelles (domination masculine, infériorité féminine etc.). Mais de là à bénir Dieu pour ce rapport de force injuste…

- Une autre ligne de commentaires rappelle que la femme n’est pas soumise au commandement (mitsvots) liés au temps, car elle a en elle une autre mesure du temps biologique (cycle menstruel) qui prime sur tout. Ainsi la femme a moins de mitsvots à observer que l’homme (comme la soukka, le shofar ou le loulav etc.). L’homme peut alors bénir Dieu qui lui a donné plus de travail religieux en quelque sorte en lui prescrivant plus de commandements à observer. L’homme aime tellement la Torah qu’il se réjouit de devoir en faire plus que la femme !
Cette exégèse du Talmud de Jérusalem est un peu tirée par les cheveux. Au moins, elle réhabilite la différence homme-femme comme structurante de la vie d’Israël.

- Pire encore, certains rabbins estiment que l’observation des mitsvots détournerait la femme de sa soi-disant vocation domestique, en l’empêchant d’assumer la cuisine, le linge, la tenue de la maison etc. ! Interprétation culturellement datée, hélas encore trop courante.

- Éliette Abécassis (écrivaine contemporaines juives) est plus réaliste. Elle revient au constat terrible de la sujétion féminine toujours actuelle [1] :

« Merci de ne pas m’avoir fait femme ». Je comprends cette bénédiction ainsi : Les femmes portent le poids du monde. Elles portent leur enfant pendant neuf mois, elles accouchent dans des conditions difficiles, elles allaitent et s’occupent de leur enfant, mais aussi elles ont chaque mois la vie qui naît et meurt en elles. Tout joue contre elle : avoir ou ne pas avoir d’enfant, le travail, l’âge, la société qui ne cesse de les asservir. On vend leur corps, on achète leur esprit. Aujourd’hui, elles sont même victimes de la marchandisation de leur utérus. Elles sont esclaves. Elles sont enlevées et vendues.

Alors je comprends que ce soit une bénédiction de ne pas souffrir de tous ces maux. Cette bénédiction rappelle à l’homme chaque matin qu’il doit protéger sa femme, sa fille, sa sœur. Car la femme est toujours dans une position de faiblesse ».

Cette triple bénédiction négative devait déjà être plus ou moins en vogue du temps de Jésus, car il invente à partir du quotidien de la synagogue et du Temple la parabole du publicain et du pharisien, où ce dernier bénit Dieu au Temple de ne pas être comme le  publicain : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain » (Lc 18, 11). 

Comment peut-on bénir Dieu de ne pas être (négation) ? De ne pas être comme (comparaison) ? 

 

Il n’y a plus ni l’homme ni la femme

IS_140505_bo5p3_transgenres-illustration-2_sn1250 femmeOn comprend mieux la révolution par laquelle Paul a dynamité cette misogynie de la liturgie juive ! En effet, il affirme qu’en Christ « il n’y a plus ni juif, ni grec, ni esclave ni homme libre, ni l’homme ni la femme » (Ga 3,28). Il prend en cela l’exact contre-pied de la triple bénédiction matinale du Talmud (et de la séparation hommes/femmes à la synagogue toujours en vigueur, comme à la mosquée) ! Là où le judaïsme orthodoxe fige les différences en les sacralisant, le christianisme naissant annonce que c’est la communion qui est l’horizon ultime, relativisant ainsi des différences actuelles qui ne sont que temporaires. Paul invite ainsi les hommes et les femmes à renouer avec le meilleur de la tradition des psaumes : « je te bénis Seigneur pour la merveille que je suis » (Ps 138,3).

Et cela commence par Marie ! Elle se réjouit d’être femme. Elle se sait aimée de Dieu son Seigneur, son Sauveur, qui se penche sur son humble servante. Elle ose même annoncer que tous les âges la diront bienheureuse, elle, une femme, la première créature à être ainsi proposée en icône du bonheur à toute l’humanité ! Car le Christ n’est pas une créature humaine (« engendré non pas créé »), et donc Marie est bien la première créature à être ainsi élevée au plus haut point.

Depuis Marie, depuis Paul, il ne devrait plus y avoir aucune misogynie dans la prière et l’action de l’Église. Puisque Marie est notre sœur, elle abolit toute échelle de comparaison, d’infériorité, de négation entre l’homme et la femme, dans quelque domaine que ce soit.

 

Tu es notre sœur

Les femmes de ce temps peuvent trouver en Marie le courage de surmonter toutes les discriminations dont on les accable.

Elle est une créature humaine, formée de la même argile fragile et merveilleuse avec laquelle nous sommes tous formés. Il y a eu un temps où Marie n’existait pas. Elle a des parents, une famille, un peuple, une tradition.

Comme nous, Marie est passée par les divers âges de la vie. Elle n’a pas la vie faite par anticipation. Elle expérimente la faiblesse, la fatigue, la douleur (Lc 2,35) et la mort ; c’est un être humain qui fait des découvertes et qui a aussi des moments ou des phases de perplexité et d’incompréhension (Lc 2,41-51). Elle est notre sœur.

Lors de la Présentation de Jésus au Temple, quarante jours après sa naissance, ses parents apportent une paire de tourterelles ou deux colombes (Lc 2,24) : c’est l’offrande des pauvres. Les pauvres qui travaillent de leurs mains peuvent dire : c’est notre sœur.

 

Les Iraniennes qui se coupent les cheveux en public et manifestent suite à la mort de Masha Amini reconnaîtront en Marie une femme libre à qui on a imposé le voile sans parvenir à tuer sa liberté d’engendrer : tu es notre sœur.

Les Ukrainiennes qui sont violées par les soldats russes devant leurs enfants pourront se tourner vers Marie qui a connu la honte d’une grossesse non conforme : tu es notre sœur.

Les Saoudiennes, les Afghanes, les filles et femmes de ces États musulmans où les sourates misogynes du Coran sont appliquées au pied de la lettre, jusqu’à être considérées comme mineures, soumises à des règles de pureté légale insupportables, corvéables à merci, suspectées de sorcellerie, inférieures à l’homme pour l’héritage, le permis de conduire, le compte bancaire, le droit de voyager seule, de s’habiller librement, de divorcer, d’étudier etc., toutes les femmes musulmanes peuvent se tourner vers Marie : tu es notre sœur

Voilà pourquoi proclamer cette jeune femme de Nazareth Mère de Dieu est un événement considérable dans l’histoire des relations homme-femme ! C’est la contestation de toute inégalité, même et surtout dans l’Église ! C’est l’appel à ne plus comparer, à bénir d’être soi et non de ne pas être autrui, à mettre les différences au service de la communion au lieu de les sacraliser etc.

Nous commençons à peine à tirer le fil rouge des conséquences sociales, ecclésiales, personnelles etc. de cette double proclamation : Marie, tu es notre sœur, tu es la Mère de Dieu. Sur ce point comme sur tant d’autres, le christianisme ne fait que commencer.

 

Pour prolonger cette méditation, je vous propose de prier le poème suivant, d’Hervé Aubin, saluant l’humanité de Marie comme un chemin ouvert devant nos pas : 

 

Notre mère
et notre sœur humaine


Vierge Marie,
notre mère et notre sœur humaine!
Tu as fait, toi aussi,
l’expérience de ne pas connaître l’avenir
et d’ignorer où te mèneraient
les chemins du Seigneur.

À certains jours,
ses projets t’ont bouleversée.
Plus d’une fois,
tes pourquoi sont restés sans réponse.
Et pourtant, jamais tu n’as cessé
de faire confiance à Dieu.
Même en deuil de ton fils,
tu as continué d’espérer,
alors qu’il n’y avait plus d’espoir…

Heureuse es-tu, toi qui as cru !
En toi s’est accomplie
la parole du Seigneur.
« Car rien n’est impossible à Dieu. »

Un avenir est promis
à ceux qui placent en Dieu leur espérance
et s’appliquent à marcher dans ses chemins.

C’est pourquoi nous refusons de perdre espoir
et de nous laisser aller au découragement et à la peur.

Malgré les misères de notre monde,
nous savons que Jésus est avec nous;
que l’énergie de sa résurrection
est à l’œuvre en vue d’un monde nouveau
où la tristesse et la mort auront disparu.

Nous t’en prions, Marie !
Obtiens-nous de collaborer
à ce royaume de justice et d’amour
pour lequel ton fils a voulu naître et mourir.
Sois avec nous sur la route,
ô toi, notre espérance et notre consolation !

Nous voulons croire comme toi.
Espérer comme toi.
Aimer ce Dieu qui nous aime
et nous appelle à marcher ensemble
vers la vie du monde à venir. Amen.


Hervé Aub
in, Prières, souffle de vie, Novalis, 2001.

 

___________________________

[1]https://www.tenoua.org/la-benediction-controversee/ 

 

 

 

LECTURES DE LA MESSE


1ère lecture : Vœux de paix et de bonheur (Nb 6, 22-27)


Lecture du livre des Nombres

Le Seigneur dit à Moïse :
« Voici comment Aaron et ses descendants béniront les fils d’Israël :
‘Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il se penche vers toi ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix !’ C’est ainsi que mon nom sera prononcé sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai. »

 

Psaume : 66, 2b.3, 5abd, 7.8b

R/ Que Dieu nous prenne en grâce et qu’il nous bénisse !

Que son visage s’illumine pour nous ;
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations. 


Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
sur la terre, tu conduis les nations.


La terre a donné son fruit ;
Dieu, notre Dieu, nous bénit.
Et que la terre tout entière l’adore !

2ème lecture : Le Fils de Dieu, né d’une femme (Ga 4, 4-7)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Galates

Frères, lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils ; il est né d’une femme, il a été sous la domination de la

vous êtes des fils : envoyé par Dieu, l’Esprit de son Fils est dans nos cœurs, et il crie vers le Père en l’appelant « Abba ! ». Ainsi tu n’es plus esclave, mais fils, et comme fils, tu es héritier par la grâce de Dieu.

 

Evangile : Jésus fils de Marie (Lc 2, 16-21)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Jadis, par les prophètes, Dieu parlait à nos pères ; aujourd’hui sa parole vient à nous en son Fils. Alléluia. (cf. He 1, 1-2)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Quand les bergers arrivèrent à Bethléem, ils découvrirent Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire. Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant. Et tout le monde s’étonnait de ce que racontaient les bergers. Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son coeur. Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu selon ce qui leur avait été annoncé.
Quand fut arrivé le huitième jour, celui de la circoncision, l’enfant reçut le nom de Jésus, le nom que l’ange lui avait donné avant sa conception.
Patrick Braud

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11 septembre 2022

Mi-Abbé Pierre, mi-Mélenchon : Amos !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Mi-Abbé Pierre, mi-Mélenchon : Amos !

Homélie pour le 25° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
18/09/2022

Cf. également :

Trompez l’Argent trompeur !
Peut-on faire l’économie de sa religion ?
Éthique de conviction, éthique de responsabilité
Prier pour la France ?
La 12° ânesse
Épiphanie : l’économie du don

L’invasion russe en Ukraine ne cesse de provoquer des remous sur toute la planète. En Europe, l’inflation frôle un taux à deux chiffres ; les peuples se préparent à un hiver sans gaz russe ; les dettes nationales s’envolent à nouveau pour soutenir le pouvoir d’achat et se procurer de l’énergie ailleurs. En Afrique, la pénurie de céréales ukrainiennes peut engendrer une famine en Égypte, au Maroc, et priver d’engrais azotés des millions de cultivateurs. La Chine se sent pousser des ailes pour faire avec Taïwan ce que Poutine a fait avec le Donbass. L’Inde en profite pour devenir plus ultranationaliste que jamais. Et chaque semaine apporte son lot de crimes de guerre, de tortures, d’exactions contre des civils, d’exodes de populations ukrainiennes par milliers.

Mi-Abbé Pierre, mi-Mélenchon : Amos ! dans Communauté spirituelle 412Z6MJ6AJL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_« Rien de nouveau sous le soleil », dirait la Bible (Qo 1,9). À lire l’Ancien Testament, on parcourt les mêmes agressions violentes des empires conquérant des territoires par la force injuste ; les mêmes inégalités prolifèrent entre les nantis et les petites gens ; la même inhumanité est à l’œuvre envers des rivaux étrangers, des opposants intérieurs, des minorités ethniques etc.
Akkad, Sumer, Babylone, Memphis ou Rome n’étaient pas plus tendres que Moscou ou Pékin. La corruption y était aussi grande, les injustices et les inégalités y sévissaient de même.

Mais, en Israël, il y avait les prophètes !

Ces voix courageuse s’élevaient, au prix de leur liberté et de leur vie, pour dénoncer les exactions des puissants, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. La première lecture de ce dimanche nous fait entendre la protestation véhémente d’Amos (Am 8,4-7), qu’il faudrait faire tonner avec fracas dans nos églises au lieu de la lire gentiment à mi-voix au micro… :

« Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! » Le Seigneur le jure par la Fierté de Jacob : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits ».


Crier fort pour tous ceux qu’on écrase

Voilà donc la première mission des prophètes (dont nous sommes depuis notre baptême !) : élever la voix pour dénoncer publiquement ce qui offense Dieu dans le sort fait aux pauvres.
Imaginez que vous vouliez honorer le Christ en l’embrassant et que pour cela vous lui montiez sur les pieds avec de gros souliers ferrés : « eh bien – tonne saint Augustin – le Christ criera plus fort pour ses pieds qu’on écrase que pour sa tête qu’on honore ! »

Au VIII° siècle avant J.-C., le royaume du Nord en Israël était florissant. Il semblait puissant et riche. Seulement, en marge des nantis, il y avait tout une frange de la population qui était exploitée, appauvrie, opprimée par les classes dirigeantes. Oui, il y avait des gens qui devaient se vendre pour une paire de sandales (Am 2,6), qui n’avaient pas de quoi se couvrir la nuit (2,8), qui étaient réduits en esclavage pour n’avoir pas pu payer leurs dettes (8,6), qui étaient victime de magouilles et autres malversations dans le commerce (8,5), les tribunaux (2,7 ; 5,12) etc.

L’anéantissement des petits (8,4) ne doit pas, ne peut pas être accepté passivement. Amos élève la voix, et vocifère à la mesure inverse du silence imposé par les forts à leurs victimes. Il proclame que ces comportements sont des ruptures d’Alliance. Il avertit que tout cela va conduire à la ruine du royaume si rien ne change.

Il y a des accents « amosiens » dans le cri d’appel au secours de l’Abbé Pierre sur les ondes de RTL en plein hiver 1954 : « Mes amis, au secours ! Cette nuit un bébé est mort de froid dans la rue… » Il y a quelques accents « amosiens » dans le bruit et la fureur que Mélenchon voulait répandre pour dénoncer les inégalités en France (ce qui ne valide en rien ses propositions de solutions !)…


La dés-Alliance économique et sociale

Ces deux figures – bien différentes – de la contestation sociale sont dans le droit fil prophétique de l’Ancien Testament. Leur critique est cependant très ‘horizontale’, très sécularisée, alors que celle d’Amos est foncièrement religieuse. Pour Amos, maltraiter les pauvres est une blessure de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Truquer les balances et les procès, c’est rendre caduques les belles processions au Temple avec leur sacrifices d’animaux par centaines. Exploiter les indigents, c’est annuler la somptueuse liturgie pleine d’encens qui ravit les juifs pieux. S’habituer au malheur des pauvres, c’est briser les Tables de la Loi une seconde fois.

Les tables brisèesLe non-respect des droits économiques et sociaux des humbles a pour Amos une portée spirituelle : l’idolâtrie de valeurs trop humaines, et une portée religieuse : la rupture de l’Alliance entre YHWH et son peuple. La fidélité rituelle d’Israël cache mal à ses yeux une infidélité éthique. Le rite devient hypocrite et vain lorsqu’il ne s’incarne pas dans une éthique cohérente. Le patriarche Kirill devrait relire Amos avant de célébrer les fastes de la divine liturgie devant Poutine et ses sbires…

« Vous crachez à la face de YHWH si vous méprisez les pauvres gens », ose reprocher Amos aux pratiquants de son époque.
Le même reproche est à crier aujourd’hui encore aux oreilles des chrétiens, des juifs ou des musulmans qui pratiquent en même temps leur liturgie, ses rites et ses croyances, et la violence armée, la déportation des populations, l’annexion par la force, l’enrichissement sans vergogne aux dépens des humbles…

La pratique de la justice sociale est donc un élément constitutif de la foi en YHWH. Est-elle ignorée ou rejetée, c’est la connaissance du Seigneur elle-même qui est amputée ou compromise. « Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile qui est la mission de l’Église pour la rédemption de l’humanité et sa libération de toute situation oppressive ».[1]

D’ailleurs, tôt ou tard, des comportements économiques et sociaux injustes conduisent à l’idolâtrie pure et simple, comme le constate amèrement Amos :

« Ils écrasent la tête des faibles dans la poussière, aux humbles ils ferment la route.
Le fils et le père vont vers la même fille et profanent ainsi mon saint nom.
Auprès des autels, ils se couchent sur les vêtements qu’ils ont pris en gage. Dans la maison de leur Dieu, ils boivent le vin de ceux qu’ils ont frappés d’amende » (Am 2,7-8).
La prostitution sacrée n’est jamais bien loin de l’idolâtrie religieuse au cœur des cultes de fertilité si présents en Canaan…
L’injuste devient vite idolâtre, et réciproquement…


La dé-Création économique et sociale

Amos va plus loin encore. Il présente les crimes contre la justice – qu’ils soient commis par des juifs ou des non-juifs – comme des péchés (pešā‘îm en hébreu, cf. Am 2,6; 3,14; 5,12) contre Dieu créateur.

art_img_8562 alliance dans Communauté spirituelle

En effet, en instaurant le désordre dans le règne de sa Création, les auteurs des exactions énumérées en Am 5,7.10-12 et de celles dénoncées dans les autres oracles du livre (Am 2,6-8; 3,9-10;4,1;6,4-6;8,4-6) s’opposent à Dieu ou entrent en sédition contre Celui qui s’attelle constamment à maintenir un ordre juste et harmonieux dans l’univers. En conséquence, toute situation d’injustice devient indubitablement une atteinte au projet créateur parce qu’elle instaure la confusion au sein de la création. En définitive, Amos révèle que les injustices sont des actes de « dé-Création » : elles font retourner la société au chaos.

Israël a accepté la Torah comme règle de son Alliance avec YHWH. Les autres nations ne sont pas dépourvues pour autant de leurs propres lois d’alliance. C’est ce que la Bible appelle les lois noachiques [2] : après le Déluge, Dieu a fait alliance avec Noé pour que le monde ne soit plus livré au chaos, et cette alliance noachique englobe tous les peuples. Un œil moderne verrait là une des sources des Droits de l’Homme actuels : un minimum à respecter pour être humain, quelle que soit sa nationalité, son ethnie, sa religion. La faiblesse des Droits de l’Homme est de n’être fondée que sur la nature humaine (que certains soupçonnent d’y être très – trop ? – occidentale). La force de l’alliance noachique est d’être fondée en Dieu, ce qui garantit son universalité et son inviolabilité.

Sans le savoir ou non, les Chinois qui déportent les Ouïgours ou les Tibétains violent l’Alliance originelle, et contribuent à décréer le monde. Sans le savoir ou non, les Russes qui veulent éradiquer l’identité ukrainienne à tout prix sont complices des forces obscures qui défont l’univers. Et c’est vrai également des Américains qui napalmaient le Vietnam, des Français qui colonisaient par la force, des musulmans qui soumettaient des royaumes par le sabre et développaient la traite des esclaves dans toute l’Afrique dès le VII° siècle etc.

Voici ce qu’Amos reproche aux non-juifs :

- Il proteste contre l’inhumanité brutale de l’armée syrienne : « … (les Syriens) ont foulé Galaad avec des herses de fer » (1,2).
Quelles armées en conquête ne sont pas brutales ?…

– Il proteste contre la déportation des civils, réfugiés livrés à eux-mêmes sans défense. À la suite d’une attaque sur Juda et Israël, une population en fuite cherche un asile en Philistie. Mais les Philistins les repoussent dans les bras des Édomites (v.6). De la même manière, la Phénicie, qui voit d’un mauvais œil l’arrivée massive des étrangers à ses frontières, n’hésite pas, au nom de la sauvegarde de ses intérêts, à trahir le traité de fraternité qui la lie à Israël (1R 5,26, 9,14). Les conséquences sont désastreuses : toute une population de réfugiés, qui a été abandonnée à Édom, devient rapidement une marchandise sur le marché international.
C’est presque un reportage sur les charniers et les massacres des civils en Syrie, en Ukraine, au Yémen, au Mali…

– Le prophète dénonce aussi les actes de cruauté sauvages que les Ammonites perpétuent alors qu’ils cherchent à étendre leur territoire. Ainsi, ils ont éventré les femmes enceintes du Galaad afin d’agrandir leur territoire (v. 13).
Rien de nouveau sous le soleil…

– Il dénonce la colère jamais assouvie, violente et impitoyable. Ainsi « (les Édomites) ont poursuivi leur frère (Israël) avec l’épée en étouffant leur compassion » (v. 11).
Quels soldats aujourd’hui font preuve de compassion envers leurs ennemis ?

– Finalement, Amos s’oppose à la haine qui cherche à effacer jusqu’à la toute dernière trace de son ennemi: « (les Moabites) ont brûlé, calciné, les ossements du roi d’Édom » (2,1). Ainsi, Moab prive le roi d’Édom des honneurs de funérailles décentes que l’on doit même à ses ennemis (1R 2,31; 2R 9,34). Dans l’Ancien Testament, brûler un corps était un fait extrêmement rare (1S 31,12) et essentiellement un signe du jugement de Dieu. Cela démontre à quel point l’identité de l’homme était liée au corps. Or Moab récupérait les corps abandonnés sur le champ de bataille dans un but industriel (faire de la chaux). Ainsi, les considérations économiques dépassent même les honneurs dus à la mémoire d’un homme. Les nazis n’ont rien inventé…

Nos pratiques économiques injustes, notre mépris social des petits – et on ajouterait aujourd’hui : nos habitudes anti-écologiques – sont des actes de dé-Création.
Ce ne sont pas seulement des offenses faites à la nature, et c’est déjà trop.
Ce ne sont pas seulement des violences insupportables faites aux petits, et c’est déjà moralement injustifiable.
C’est – dans le même mouvement – une rupture de l’Alliance créatrice qui unit l’humanité à Dieu.
C’est une blessure qui défigure notre ressemblance avec Dieu.
C’est une offense à nous-même et à Dieu qui rend hypocrite et vaine toute forme de religiosité qui s’accommoderait de ces pratiques inhumaines.


La postérité d’Amos

Il n’y a pas que Mélenchon et l’Abbé Pierre pour prendre le relais d’Amos ! Les Pères de l’Église ont eu des accents prophétiques incroyables !

Pour notre époque, il est intéressant par exemple de relever les 3 citations de notre première lecture opérées dans le Catéchisme de l’Église Catholique (1992) :

Famine rouge : la guerre de Staline en Ukraine– la 1° citation s’applique directement aux marchands de la faim qui cherchent à exploiter le conflit ukrainien à leur avantage, avec pénuries et famines à la clé comme Staline en 1932-33 provoquant 4 millions de morts en Ukraine  :

L’acceptation par la société humaine de famines meurtrières sans s’efforcer d’y porter remède est une scandaleuse injustice et une faute grave. Les trafiquants, dont les pratiques usurières et mercantiles provoquent la faim et la mort de leurs frères en humanité, commettent indirectement un homicide. Celui-ci leur est imputable (cf. Am 8,4-10). (CEC n° 2269)

– la 2° citation d’Amos vise les spéculateurs, les fraudeurs et les optimisations fiscales de tout poil qui exploitent les failles des législations protégeant les droits de chacun :

Toute manière de prendre et de détenir injustement le bien d’autrui, même si elle ne contredit pas les dispositions de la loi civile, est contraire au septième commandement. Ainsi, retenir délibérément des biens prêtés ou des objets perdus ; frauder dans le commerce (cf. Dt 25,13-16) ; payer d’injustes salaires (cf. Dt 24,14-15 JC 5,4) ; hausser les prix en spéculant sur l’ignorance ou la détresse d’autrui (cf. Am 8,4 6). (CEC n° 2409)

– la 3° citation invite à faire une démarche spirituelle – et pas seulement ‘horizontale’ – en reconnaissant la présence du Christ dans les pauvres :

Dès l’Ancien Testament, toutes sortes de mesures juridiques (année de rémission, interdiction du prêt à intérêt et de la conservation d’un gage, obligation de la dîme, paiement quotidien du journalier, droit de grappillage et de glanage) répondent à l’exhortation du Deutéronome :  » Certes les pauvres ne disparaîtront point de ce pays ; aussi je te donne ce commandement : tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays  » (Dt 15,11). Jésus fait sienne cette parole :  » Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous : mais moi, vous ne m’aurez pas toujours  » (Jn 12,8). Par là il ne rend pas caduque la véhémence des oracles anciens :  » Parce qu’ils vendent le juste à prix d’argent et le pauvre pour une paire de sandales …  » (Am 8,6), mais il nous invite à reconnaître sa présence dans les pauvres qui sont ses frères (cf. Mt 25,40) (CEC n° 2449).

Amos a toujours inspiré la Doctrine sociale de l’Église.
À titre d’exemple encore, voici un extrait du message des évêques du Congo Brazzaville en 2018 sur la situation économique de leur pays [3]. Ils commencent par citer intégralement notre lecture d’Amos 8,4–7 en la destinant aux créanciers du Congo :

« À tous les créanciers de la République du Congo, nous adressons ce cri du prophète Amos… »

Ils développent ensuite :

Le Congo bénéficie d’une nouvelle extension de sa dette à l'égard de la France. journaldebrazza.com

« À cause de la corruption, de la concussion et du vol, aujourd’hui notre pays est incapable de payer les salaires des travailleurs, les pensions des retraités, les bourses des étudiants qui sont abandonnés à leur triste sort au pays comme à l’étranger. Nos hôpitaux sont délabrés ou ferment, les malades refoulés, la mortalité ne cesse d’augmenter, les cas de suicide se multiplient, tandis dans que nos écoles l’opération du gouvernement sur les tables-bancs n’a pas eu les effets attendus. Dans les familles, même le repas unique qui était devenu la règle apparaît de plus en plus comme un privilège, parce que le prix des denrées alimentaires ne cesse d’augmenter, en dehors de celui de la bière qui ne fait que baisser. Au chômage des jeunes qui était déjà endémique s’ajoute aujourd’hui celui de tous ceux qui perdent leur emploi à cause de la récession.
Cette situation sociale dramatique interpelle notre conscience de Pasteurs, d’autant que certains citoyens exhibent leur richesse, acquise « miraculeusement » en un temps record, tandis que la majorité des congolais croupit dans la misère. Des scandales de corruption de concussion ont été révélés, mais la justice de notre pays peine à les élucider. »

Ne croyons pas qu’Amos soit une vocation à part ! Car l’onction d’huile de notre baptême fait de chacun un prophète en Christ.

Comment pouvons-nous, chacun et ensemble, reprendre avec courage l’avertissement d’Amos : « Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles… » ?

 

 


[1]. Justitia in mundo, Déclaration du Synode des Évêques, 30/11/1971.

[2]. Le Talmud de Babylone les résume ainsi : Ne pas adorer les idoles / Ne pas maudire Dieu / Ne pas commettre de meurtre / Ne pas commettre d’adultère, de bestialité ou d’immoralité sexuelle / Ne pas voler / Ne pas manger de chair arrachée à un animal vivant / Créer des cours de justice.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Contre ceux qui « achètent le faible pour un peu d’argent » (Am 8, 4-7)

Lecture du livre du prophète Amos
Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! » Le Seigneur le jure par la Fierté de Jacob : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits.

PSAUME
(Ps 112 (113), 1-2, 5-6, 7-8)
R/ Louez le nom du Seigneur : de la poussière il relève le faible. ou : Alléluia !
(Ps 112, 1b.7a)

Louez, serviteurs du Seigneur,
louez le nom du Seigneur !
Béni soit le nom du Seigneur,
maintenant et pour les siècles des siècles !

Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ?
Lui, il siège là-haut.
Mais il abaisse son regard
vers le ciel et vers la terre.

De la poussière il relève le faible,
il retire le pauvre de la cendre
pour qu’il siège parmi les princes,
parmi les princes de son peuple.

DEUXIÈME LECTURE
« J’encourage à faire des prières pour tous les hommes à Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 1-8)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre à Timothée
Bien-aimé, j’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. Cette prière est bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, car il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. En effet, il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous. Aux temps fixés, il a rendu ce témoignage, pour lequel j’ai reçu la charge de messager et d’apôtre – je dis vrai, je ne mens pas – moi qui enseigne aux nations la foi et la vérité. Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en élevant les mains, saintement, sans colère ni dispute.

ÉVANGILE
« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent » (Lc 16, 1-13)
Alléluia. Alléluia.
Jésus Christ s’est fait pauvre, lui qui était riche, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. Alléluia. (cf. 2 Co 8, 9)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le convoqua et lui dit : ‘Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.’ Le gérant se dit en lui-même : ‘Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.’ Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : ‘Combien dois-tu à mon maître ?’ Il répondit : ‘Cent barils d’huile.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.’ Puis il demanda à un autre : ‘Et toi, combien dois-tu ?’ Il répondit : ‘Cent sacs de blé.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu, écris 80’.
Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande. Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ? Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »
Patrick BRAUD

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