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28 mai 2018

Les deux épiclèses eucharistiques

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Les deux épiclèses eucharistiques


Homélie pour la fête du Corps et du Sang du Christ / Année B
03/06/2018

Cf. également :

Les trois blancheurs
Emmaüs : mettre les 5 E dans le même panier
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédek
 

- « Elle était bien, votre messe, M. l’Abbé ! »
Le paroissien enthousiaste croit faire plaisir au prêtre qui présidait l’eucharistie de dimanche.
Une autre paroissienne renchérit :
- « J’aime bien quand c’est vous qui célébrez. »
La mine renfrognée, le prêtre se dit qu’il est temps de se lancer dans une catéchèse solide  sur l’eucharistie… Car qui célèbre, sinon l’Église tout entière ? Qui consacre, sinon l’Esprit Saint lui-même ? Qui fait l’eucharistie sinon l’Église !

Alors, en cette fête du Saint-Sacrement, dite également du Corps et du Sang du Christ, reprenons quelques éléments théologiques fondamentaux sur l’eucharistie.

 

La théologie des trois corps

Où est le corps du Christ ?
Nous en avons perdu l’habitude, mais le Moyen Âge avait popularisé une très belle conception du corps du Christ appelé théologie des trois corps.

Les deux épiclèses eucharistiques dans Communauté spirituelle 119299804_oEn effet, il y a d’abord le corps personnel de Jésus ressuscité.

Celui avec lequel il a été élevé dans la gloire du père. Ce corps glorieux, ou spirituel, est ajusté au monde de la Résurrection. Il est à la fois radicalement nouveau (les apôtres ne le reconnaissent pas tout de suite) et fidèlement hérité de sa vie humaine (cf. les traces des clous qu’exige de voir Thomas). Ce corps-là du Christ ressuscité est absent, invisible. Il échappe à notre espace-temps car il appartient au monde nouveau à venir.

Il y a ensuite le corps ecclésial du Christ.

« Vous êtes le corps du Christ » ne cesse de répéter Saint-Paul, plaçant le Christ à la Tête de cet organisme vivant dont nous sommes membres les uns des autres, reliés par le lien de la paix et de la charité dans l’Esprit. Ce corps ecclésial a pour vocation d’être uni au Christ-Tête pour rayonner de son amour à travers le monde.

Il y a enfin le corps sacramentel du Christ, sous les espèces eucharistiques du pain et du vin. C’est ce corps que nous fêtons aujourd’hui. Notons au passage qu’au Moyen Âge, on appelait corps vrai le corps ecclésial, et corps mystique le corps eucharistique. Puis, sous l’influence de crises successives contestant la transformation eucharistique, on a (malheureusement) inversé les deux termes.

On peut par exemple lire chez Guillaume de St Thierry (XI°-XII° siècles) :

Chaque fois que le prudent lecteur trouvera dans les livres quelque chose concernant la chair ou le corps du Dieu Jésus, qu’il ait recours à cette triple définition de sa chair ou de son corps, telle que je ne l’ai pas trouvée dans ma présomption ni forgée par mon sens propre, mais telle que je l’ai tirée des sentences des Pères…
Il faut en effet se représenter autrement cette chair ou ce corps qui pendit au bois et est sacrifié sur l’autel, – autrement sa chair ou son corps qui est Vie demeurant en celui qui l’a mangé, – autrement enfin sa chair ou son corps, qui est l’Église : car l’Église est dite la chair du Christ…  […]
Car le corps du Christ pour autant qu’il est en lui, se livre à tous en nourriture de vie éternelle, et il fait que ceux qui le reçoivent fidèlement vivent en unité avec lui, et par l’amour spirituel et par le partage de sa propre nature, à lui qui est la Tête du Corps de l’Église [1].

L’eucharistie sym-bolise, c’est-à-dire met ensemble, réunit les deux autres corps du Christ, personnel et ecclésial, de façon à ce que le Christ soit réellement présent en plénitude dans notre humanité sans quitter pour autant sa divinité.

On peut voir une trace de ce travail sacramentel de l’eucharistie dans les deux épiclèses  des prières eucharistiques. On appelle épiclèse une invocation de l’Esprit au-dessus de personnes ou d’objets. Or, écoutez bien : il y a deux épiclèses dans les prières eucharistiques (sauf le canon romain, la Prière eucharistique n° 1, qui illustre ainsi le déficit d’importance accordée à l’Esprit en Occident pendant des siècles).

La 1° épiclèse est faite sur le pain et le vin : « Dieu notre Père, nous te prions : Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit ; qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur » (Prière Eucharistique n° 2).

La 2°est faite sur l’assemblée (sur l’ekklèsia = l’Église) : « Humblement, nous te demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps » (PE n° 2).

On a donc la structure suivante pour les prières eucharistiques, où se joue liturgiquement l’union du Christ et de son Église :

a) 1° épiclèse sur les dons (épiclèse consécratoire)

b) récit de l’Institution (+ anamnèse)

c) 2° épiclèse, sur l’assemblée – ekklèsia (épiclèse de communion)

d) intercession-supplication dans la communion de toute l’Église, du ciel et de la terre.

On pourrait faire une lecture ecclésiologique de cette structure fondamentale, en se souvenant de la théologie des trois corps qui présidait à la compréhension de l’Église.

3 corps 2 épiclèses

d) intercession

a) La première épiclèse invoque l’Esprit pour sanctifier les dons, le pain et le vin, « afin que le Christ Jésus réalise au milieu de nous la présence de son corps et de son sang ». Le repas va « prendre corps », grâce à l’Esprit, afin que l’offrande de Jésus, son unique sacrifice accompli une fois pour toutes, continue de s’actualiser dans et par son Église, l’ekklèsia localement rassemblée. En rigueur de termes, c’est donc l’Esprit-Saint qui est l’acteur principal de la transformation des espèces eucharistiques. Le lien Église-Esprit est ici évident, et le sera encore plus en c), soulignant la dimension épiclétique de l’assemblée qu’est l’Église.

b) le récit de l’Institution est bâti comme une sorte de contraction et d’arrangement des quatre textes principaux (Mt, Mc, Lc, 1Co). Il fait donc partie intégrante de la PE. Impossible d’être chrétien sans cet ancrage historique.

c) la deuxième épiclèse a une portée ecclésiologique capitale. L’Église invoque le Christ pour qu’elle devienne une seule offrande avec le Christ. Elle désire être envahie par l’Esprit, afin de se laisser entraîner dans l’offrande sacrificielle de son Sauveur, dans la communion avec le Père. L’Église, par la puissance de l’Esprit, devient une seule offrande, dans le Christ, à la louange de la gloire du Père. C’est l’enlacement symbolique du Christ et de l’Église qui s’effectue ainsi dans l’eucharistie, selon la si belle formule de St Augustin: « soyez ce que vous voyez, recevez ce que vous êtes ». C’est l’Esprit qui fait de l’Église le corps ecclésial du Christ, « rassemblée par l’Esprit-Saint en un seul corps, pour qu’ils soient eux-mêmes dans le Christ une vivante offrande à la louange de ta gloire » (PE 4). On ne peut donc séparer le corps eucharistique du corps ecclésial : celui-ci est fait pour celui-là, celui-là devient lui-même grâce à celui-ci. Les conséquences, notamment pour le culte de l’eucharistie en-dehors de la messe, sont énormes : toute césure entre l’eucharistie et l’Église serait « meurtrière », pour reprendre l’expression du Père de Lubac.

19237_apercu corps dans Communauté spirituelle

 Qui consacre, qui célèbre ?

L’épiclèse souligne avec une précision superbe l’humilité du ministère sacerdotal. Parfois on dit que le prêtre consacre. En rigueur de termes, l’affirmation ne tient pas. L’épiclèse révèle en tout cas très exactement ce que fait le prêtre : il dit la prière par laquelle la communauté célébrante demande au Père d’envoyer son Esprit Saint sur le pain et sur le vin pour qu’ils deviennent le corps et le sang de Jésus.

La Prière eucharistique III dit explicitement : « Nous te supplions de consacrer toi-même les offrandes que nous apportons. Sanctifie-les par ton Esprit pour qu’elles deviennent le corps et le sang de ton Fils. » C’est donc le Père qui consacre par son Esprit. Il revient au prêtre de dire la prière, au nom de la communauté, pour qu’il en soit ainsi.

Pie XII, citant Bellarmin dans Mediator Dei (20/11/1947), redit la foi commune de l’Église depuis les origines : « le sacrifice est offert principalement dans la personne du Christ. C’est pourquoi l’offrande qui suit la consécration atteste en quelque sorte que toute l’Église consent à l’oblation faite par le Christ et offre avec Lui ». L’hésitation de la Prière eucharistique n° 1 (« nous t’offrons pour eux, ou ils t’offrent pour eux-mêmes ») est la trace de cette conviction, malgré la survalorisation sacrificielle du rôle du prêtre.

D’ailleurs, le « nous » de la PE n’est pas un pluriel de majesté : même s’il est seul ministre ordonné, le prêtre dit « nous » pour exprimer qu’il dit la prière de l’Église, au nom de l’Église et avec elle. Encore une fois; répétons que tous célèbrent, mais pas de la même manière. Le Catéchisme de l’Église catholique est là-dessus très clair : « La liturgie est ‘action’ du ‘Christ tout entier’ (Christus totus). Ceux qui dès maintenant la célèbrent au-delà des signes sont déjà dans la liturgie céleste, là où la célébration est totalement communion et Fête. » (CEC n° 1136, question : Qui célèbre ?)

Les numéros suivants développent l’argumentation, qui est eschatologique : parce que la liturgie anticipe la louange finale, tous y sont associés, et tous célèbrent.

« C’est à cette liturgie éternelle que l’Esprit et l’Église nous font participer lorsque nous célébrons le mystère du salut dans les sacrements. C’est toute la Communauté, le Corps du Christ uni à son Chef (Caput = sa Tête) qui célèbre. ‘Les actions liturgiques ne sont pas des actions privées, mais des célébrations de l’Église, qui est le ‘sacrement de l’unité’, c’est-à-dire le peuple saint réuni et organisé sous l’autorité des évêques. C’est pourquoi elles appartiennent au Corps tout entier de l’Église, elles le manifestent et elles l’affectent; mais elles atteignent chacun de ses membres, de façon diverse, selon la diversité des ordres, des fonctions et de la participation effective’ (SC 26).

C’est pourquoi aussi ‘chaque fois que les rites, selon la nature propre de chacun, comportent une célébration commune, avec fréquentation et participation active des fidèles, on soulignera que celle-ci, dans la mesure du possible, doit l’emporter sur leur célébration individuelle et quasi privée’ (SC 27).

L’assemblée qui célèbre est la communauté des baptisés qui, ‘par la régénération et l’onction de l’Esprit Saint, sont consacrés pour être une maison spirituelle et un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels’ (LG 10).

Ce ‘sacerdoce commun’ est celui du Christ, unique Prêtre, participé par tous ses membres. » (CEC nos 1139-1141)

« Ainsi, dans la célébration des sacrements, c’est toute l’assemblée qui est ‘liturge’, chacun selon sa fonction, mais dans ‘l’unité de l’Esprit’ qui agit en tous. ‘Dans les célébrations liturgiques, chacun, ministre ou fidèle, en s’acquittant de sa fonction, fera seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature de la chose et des normes liturgiques’ (SC 28). » (CEC n° 1144)

Au Moyen-Âge, on affirmait avec audace: « Le prêtre ne sacrifie pas seul, ne consacre pas seul, mais toute l’assemblée des fidèles qui assistent consacre avec lui, sacrifie avec lui [2] ». Le Père Congar confirme : « Toute l’assemblée liturgique est célébrante et consacrante. » Et il ajoute : « Mais ce serait une erreur ecclésiologique et une hérésie liturgique de faire dire les paroles de la consécration par toute l’assemblée. Elle a son président, qui y fonctionne comme président. Et cependant elle est tout entière sacerdotale et célébrante [3]. »

Fêtons donc le Saint Sacrement, en ne séparant pas l’eucharistie de l’Eglise, en nous impliquant dans chaque messe en tant que concélébrants, grâce au prêtre qui préside…

 

 


[1]. Guillaume de Saint-Thierry, Sur le sacrement de l’Autel, ch. 12 (P. L. 180, 361-362) in Catholicisme, Les aspects sociaux du dogme, Œuvres complètes VII, pp. 345-346, tr. fr. Henri de Lubac, Cerf, Paris, 2003.

[2]. Attribué à Guerric d’Igny, Sermo 5,15; PL 185,87 AB : cité par CONGAR Y., Vatican II, Cerf, coll. Unam Sanctam 66, Paris, 1967, p. 252.

[3]. CONGAR Y., Le Concile de Vatican II, Cerf, coll. Théologie Historique 71, Paris, 1984, p. 113.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

PSAUME
(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)
R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem !
Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.

Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.
Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.

Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.
Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.

DEUXIÈME LECTURE
« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.

SÉQUENCE
Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges ».
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants. Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer. Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges. Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères. Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs ! C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution. À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne. L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit. Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui. Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut. C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang. Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature. L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin. Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces. On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier. Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître. Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort. Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent ! Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout. Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué. * Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens. D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères. Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants. Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

ÉVANGILE
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.

Alléluia. (Jn 6, 51.58)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
 En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs :  « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »  Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »  Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous.  Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.  En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson.  Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui.  De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi.  Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

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12 juin 2017

Les trois blancheurs

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Les trois blancheurs


Homélie pour la fête du Corps et du Sang du Christ / Année A
18/06/2017

Cf. également :

Emmaüs : mettre les 5 E dans le même panier
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédek

L’image est saisissante.

Samedi 13 mai 2017, le pape François célèbre l’eucharistie devant un million de pèlerins rassemblés au sanctuaire de Notre-Dame de Fatima pour la canonisation de deux des trois voyants de 1917. Le pape, l’eucharistie, la Vierge immaculée : « trois blancheurs »  catholiques réunies en un moment exceptionnel et symbolique.

En cette fête du Corps et du Sang du Christ (l’ancienne Fête-Dieu), rappeler cette image invite à méditer sur les liens unissant effectivement ces trois blancheurs si souvent déniées ou instrumentalisées.

Les trois blancheurs dans Communauté spirituelle 6945144_nis10qvr_1000x625

La récupération traditionnaliste

Au départ des trois blancheurs, il y a un songe de saint Jean Bosco (1815-1888), qui n’emploie pas cette expression, mais associe la papauté, le Saint-Sacrement et Marie dans une vision très marquée par les luttes de de son époque. La scène principale de ce songe (1862) est représentée sur un tableau qui s’appelle « Les 3 Blancheurs », exposé dans la basilique Maria Auxiliatrice à Turin.

« J’ai vu une grande bataille sur la mer : le navire de Pierre, piloté par le pape et escorté de bateaux de moindre importance, devait soutenir l’assaut de beaucoup d’autres bâtiments qui lui livraient bataille. Le vent contraire et la mer agitée semblaient favoriser les ennemis. Mais au milieu de la mer, j’ai vu émerger deux colonnes très hautes : sur la première, une grande hostie – l’Eucharistie – et sur l’autre (plus basse) une statue de la Vierge Immaculée avec un écriteau : Auxilium christianorum (secours des chrétiens). »

Par la suite, la blancheur commune à ces trois éléments servit de moyen mnémotechnique et pédagogique pour exposer la différence catholique. À tel point que le courant traditionaliste après Vatican II ira puiser dans cette piété pour en faire le modèle de sauvegarde de l’identité catholique, menacée selon eux par les ‘dérives’ modernistes et œcuméniques.

Tapez « trois blancheurs » dans le moteur de recherche de Google, et vous verrez apparaître une liste impressionnante de sites idéologiquement très marqués, allant jusqu’aux extrêmes [1]Il y a même un catéchisme traditionnel qui s’intitule : les trois blancheurs, très en vogue dans les établissements privés hors contrats par exemple. On comprend que l’expression ne soit plus connue ni enseignée ailleurs.

 

Le symptôme d’une foi peu trinitaire

Il y a bien des liens étroits unissant les trois blancheurs. C’est l’Esprit qui en fait est à la source de chacune. En effet, le pape est celui qui préside à l’unité des Églises locales. De même que l’Esprit réalise l’unité entre les différents membres du corps (1Co 12), le ministère confié au successeur de Pierre est de garantir la communion dans la vérité. Il est ordonné évêque de Rome pour cela. L’effusion de l’Esprit que l’imposition des mains lui confère dans le sacrement de l’épiscopat est la source de son pouvoir et de son autorité. La blancheur papale et donc une manifestation de l’Esprit de communion faisant vivre l’Église.

L’eucharistie quant à elle est intimement liée à la première épiclèse sur le pain et le vin : « que ce même Esprit Saint, nous t’en prions Seigneur, sanctifie nos offrandes : qu’elles deviennent ainsi le corps et le sang de ton Fils dans la célébration de ce grand mystère que lui-même nous a laissé en signe de l’alliance éternelle. » (Prière eucharistique n° 4)

C’est l’Esprit qui transforme le pain et le vin en en faisant le sacrement de la présence du Christ parmi nous. La blancheur de l’hostie consacrée est donc une manifestation de l’Esprit sanctifiant toute chose, et tout être, pour nous consacrer à Dieu par toute notre vie.

La deuxième épiclèse des prières eucharistiques nous met d’ailleurs sur la voie du lien Église-eucharistie : « accorde à tous ceux qui vont partager ce pain et boire à cette coupe d’être rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps, pour qu’ils soient eux-mêmes, dans le Christ, une vivante offrande à la louange de ta gloire (Prière eucharistique n°4). Le même Esprit qui a transformé le pain en Corps du Christ transforme également l’assemblée en Corps du Christ véritable, dans le même mouvement. Impossible de dissocier les deux présences réelles, les deux actions de l’Esprit Saint transsubstantiant le pain et le vin et l’assemblée d’un seul et même double mouvement ! Bien des piétés eucharistiques se sont perdues dans le sentimentalisme ou dans l’idéologie parce qu’elles ont oublié ce lien entre l’eucharistie et l’Église. Comme le rappelait l’un des théologiens français à l’origine de Vatican II, en se basant sur l’étude des Pères de l’Église : « l’Église fait l’eucharistie, l’eucharistie fait l’Église (Yves Congar).

« Marie est le premier membre de cette communauté portant l’Esprit : l’Église. L’Esprit concentre d’abord son action sur un être concret et historique, Marie, puis, de ce point, la diffuse sur tous les hommes disposés à dire comme elle « fiat! », qu’il en soit ainsi ! Ce n’est pas sans raison que certains théologiens affirment qu’il existe une relation ontologique de l’Esprit avec l’Église, constituée en mystica persona, personne mystique, avec l’Esprit. Cette incorporation de l’Église à la Personne de l’Esprit-Saint se présente comme le prolongement et le dérivé de celle qui s’est réalisé entre Marie et l’Esprit. De cette façon, l’Esprit remplit une fonction maternelle envers la vie nouvelle et rachetée, qui prend naissance visiblement dans l’histoire avec l’envoi salvifique de l’Esprit et du Fils. Comme il a engendré le Fils Jésus, l’Esprit continue d’engendrer des fils dans le Fils. » [2]

Un des rôles de l’Esprit-Saint est de rendre présent le Christ ressuscité. La dévotion au Saint-Sacrement qui se répand en Occident (non pas en Orient) à partir du XIII° siècle s’enracine dans cette mission de l’Esprit-Saint; mais le risque est de l’oublier…

 

Un certain déficit pneumatologique

À cause de la lutte contre la Réforme protestante du XVI° siècle, l’accent a été mis fortement sur les trois blancheurs comme ‘preuves’ de la vérité catholique, que les protestants abandonnaient avec éclat. En même temps, le processus d’éloignement avec les Églises d’Orient (depuis le schisme de 1054) a conduit l’Église romaine à oublier quelque peu la personne de l’Esprit Saint, ou du moins à en parler peu, pour se concentrer sur ses manifestations explicites (le pape, l’eucharistie, Marie). C’est ce que Congar (toujours lui !) a appelé le « déficit pneumatologique de l’Occident ». Malgré le réveil opéré par les charismatiques, la pratique populaire catholique reste beaucoup plus attachée aux trois blancheurs qu’à la Trinité divine en elle-même. Le pape, la messe, la Vierge ont pu ainsi en pratique se constituer en une sorte de trinité intermédiaire, se substituant presque à une Trinité divine éprouvée comme trop lointaine.

Ce qui n’est pas illégitime au vu de liens unissant les trois blancheurs, à condition de les  rapporter toujours à leur source, et donc à ne pas les absolutiser sous prétexte de vénération.

Les traditionalistes ont bien vu que le dialogue œcuménique, irréversible (Jean-Paul II), engagé depuis Vatican II allait complètement réordonner l’importance de ces médiations.

Rapporter à l’Esprit le ministère de l’évêque de Rome oblige à le convertir à une véritable ecclésiologie de communion (et non pas de domination, de centralisation ou de réintégration des séparés).

Rapporter à l’Esprit la puissance de l’adoration eucharistique nous convertit à une autre vision du Corps du Christ, particulièrement dans les plus méprisés, les plus pauvres de nos sociétés.

Rapporter à l’Esprit le rôle de Marie hier et aujourd’hui, de Nazareth à Fatima, désarme ceux qui voudraient en faire le signe d’un triomphe sur le reste du monde.

En cette Fête-Dieu, recevons l’eucharistie, vénérons-la, en contemplant en elle l’action de l’Esprit Saint consacrant tout et tous, pour « devenir, dans le Christ, une vivante offrande à la louange de la gloire »de Dieu (Prière eucharistique n° 4).

 

 


[1]. Certains essaient d’ancrer l’origine des trois blancheurs dans l’écriture, plus précisément dans Hébreux 9,4 : l’arche de l’alliance entièrement recouverte d’or, dans laquelle se trouvaient une urne d’or contenant 1° la manne, 2° le rameau d’Aaron qui avait poussé, et 3° les tables de l’alliance. « Vous verrez que ces trois choses sont manifestement une préfiguration de l’eucharistie, de l’autorité du pape, et de Marie, table de la loi nouvelle faite de chair. » C’est pousser un peu loin l’exégèse allégorique de la lettre aux Hébreux…

[2]. BOFF L., Je vous salue Marie, Cerf, Coll. Théologies, Paris, 1968, p. 77. Il faut cependant faire quelques réserves sur le lien « ontologique » que Boff croit déceler entre Marie et l’Esprit, comme entre l’Esprit et l’Église. Marie n’est pas une autre mission divine à côté de celle du Verbe, l’Église n’est pas une incarnation de l’Esprit-Saint…

  

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

PSAUME
(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)
R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem !
Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.

Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.
Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.

Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.
Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.

DEUXIÈME LECTURE
« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.

SÉQUENCE
Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges ».
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants. Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer. Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges. Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères. Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs ! C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution. À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne. L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit. Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui. Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut. C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang. Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature. L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin. Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces. On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier. Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître. Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort. Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent ! Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout. Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué. * Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens. D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères. Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants. Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

ÉVANGILE
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.
Alléluia. (Jn 6, 51.58)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
 En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs :  « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »  Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »  Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous.  Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.  En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson.  Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui.  De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi.  Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

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20 février 2017

Se reposer en Dieu

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Se reposer en Dieu


Homélie du 8° dimanche du temps ordinaire / Année A
26/02/2017

Cf. également :

Pour quoi m’as-tu abandonné ?

L’insouciance de Jésus : du fatalisme à la recherche de l’essentiel

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Décevante est la grâce et vaine la beauté

« Laisse faire » : éloge du non-agir

« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus


Il est un refrain obsédant, que l’on chante durant des heures de la nuit à Taizé. C’est un de ces leitmotivs si obsédant qu’il vous met en transe consciente à force de le répéter. Un de ces mantras bibliques qui ne vous quitte plus. Vous le chantez, le murmurez, le fredonnez bouche fermée, vous le criez, vous vous taisez pour laisser les instruments continuer seuls… et voilà : il est niché au creux de votre mémoire spirituelle plus sûrement que la madeleine de Proust, le chapelet musulman ou la rotation des derviches soufis.

Cet air de rien qui envahit tout est tiré de notre Psaume 61 d’aujourd’hui :

« Mon âme se repose en paix sur Dieu seul,
de lui vient mon salut,
oui sur Dieu seul mon âme se repose,
se repose en paix. »

Ces paroles consonent fortement avec celles de Paul (1Co 4,1-5) dans notre deuxième lecture, refusant de se laisser déstabiliser par les jugements de ses opposants :

« Pour ma part, je me soucie fort peu d’être soumis à votre jugement, ou à celui d’une autorité humaine ; d’ailleurs, je ne me juge même pas moi-même. »

Elles annoncent celles de Jésus dans notre évangile de la providence, où il invite à ne pas se soucier du boire ou du manger ou de l’avenir plus que raisonnable (Mt 6,24-34). Puisque demain aura souci de lui-même et que à chaque jour suffit sa peine, la confiance en Dieu sera plus forte que les inévitables contrariétés de la vie.

« Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : ‘Qu’allons-nous manger ?’ ou bien : ‘Qu’allons-nous boire ?’ ou encore : ‘Avec quoi nous habiller ?’ Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. »

En fait, le psaume 61 est un soupir de plénitude : l’auteur se parle à lui-même après un long combat intérieur :

« Ah ! en Elohîms, silence, mon être, mon salut vient de lui !
Ah ! il est mon roc, mon salut, ma culmination ! » (Traduction de Chouraqui)

Il consent enfin à ne plus se battre pour rien. Il se dit que le repos en Dieu vaut mieux que la tension permanente et volontariste. Après avoir été accusé, humilié, le psalmiste découvre par contraste l’altérité d’un Dieu plus grand que l’homme, que tout homme, même puissant ou riche.

La déception lui permet de ne pas idolâtrer ses proches ou ses soutiens. L’épreuve lui fait découvrir la vanité de toute chose. Il utilise d’ailleurs le même terme que Qohélet : la buée, l’inconsistance et la volatile fumée, pour désigner ses adversaires et ses tracas.

Prendre conscience de l’impermanence des choses et des êtres, de leur insoutenable légèreté, de leur inconsistance radicale fait partie du cheminement spirituel biblique. En cela, il est très proche de l’hindouisme, qui ne veut plus se laisser bercer par l’illusion de ce monde.
L’ascète hindou parvient à ce détachement intérieur par la méditation.
Le juste des psaumes relit dans sa prière combien l’épreuve l’a aidé à se détacher de la vaine gloire des hommes.
L’un va chercher un au-delà de la conscience dans un détachement impersonnel, l’autre dans le dialogue avec un dieu aimant.
Tous deux n’auront plus aucun goût à courir après des idoles. Tous deux accueilleront bonheur au malheur apparent avec une égale reconnaissance.

Qu’est-ce donc que se reposer en Dieu ? Serait-ce la douce quiétude du chat près du feu de cheminée ?

Le psaume 61 porte la trace des combats menés auparavant :

« Combien de temps tomberez-vous sur un homme pour l’abattre, vous tous, comme un mur qui penche, une clôture qui croule ?
Détruire mon honneur est leur seule pensée : ils se plaisent à mentir.
Des lèvres, ils bénissent ; au fond d’eux-mêmes, ils maudissent. »

Des blessures reçues naît le constat – amer au début, puis libérateur – que la toute-puissance est une illusion. Même les échecs révèlent une autre façon d’exister : en consentant à ce qui est, en laissant faire activement ce qui advient.

S’appuyer sur sa réussite du moment ? Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir tomber ceux qui hier étaient au sommet…

Compter sur sa force, sa santé, ses diplômes, son carnet de relations ? Tant que tout va bien pour vous, vos amis sont attentifs, vous soutiens ne manquent pas. Beaucoup détourneront la tête et vous retireront de leurs carnets Gmail si vous n’êtes plus fréquentable.

Quant à l’insouciance du fort qui croit triompher de tout, il suffira d’attendre pour la voir piteusement se défaire tôt ou tard devant la résistance du réel, devant la mort qui de toute façon aura raison de tout.

Le prophète Isaïe, dans cette ligne de remise en cause généralisée, ose même questionner l’amour maternel. S’il est une affection humainement fondatrice, solide et permanente, c’est bien celle d’une mère pour ses enfants. Et pourtant des enfants sont abandonnés, des fils oubliés ; des époux séparés renoncent à être parents etc. Isaïe a fait cette expérience bouleversante d’un amour plus fidèle que celui d’une mère, d’une femme, d’un enfant :

« Jérusalem disait : « Le Seigneur m’a abandonnée, mon Seigneur m’a oubliée. »
Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas, – dit le Seigneur. » (Is 49, 14-15)

Le psalmiste est donc passé par ces étapes déceptives où les liens les plus forts se révèlent aussi inconsistants que la fumée dans l’air, la buée se dégageant de la rosée du matin :

« Ah ! fumée, les fils de l’humain; tromperie, les fils de l’homme !
Aux balances, pour monter, ils sont ensemble moins qu’une fumée ! »

Une fois dissipés ces mirages de solidité dans l’être, reste la formidable source d’existence de Dieu en lui-même, gratuite, inconditionnelle, sans calcul ni manipulation.


Oui sur Dieu seul mon âme se repose.

Sur Dieu seul : pas de compromission avec des héros trop humains, avec des stratégies d’alliances intéressées. Pas de colosses aux pieds d’argile pour me faire illusion. Pas de sauveur providentiel à qui s’en remettre aveuglement, ni de leader charismatique à qui il faudrait tout jurer. Pas de conjoint adoré au point de trop lui demander, ni d’enfants instrumentalisés pour essayer de survivre à travers eux.

Le monde aurait beau s’écrouler, Dieu lui ne chancelle pas :

Car les montagnes peuvent s’écarter
et les collines chanceler,
mon amour ne s’écartera pas de toi,
mon alliance de paix ne chancellera pas,
dit Yahvé qui te console. (Is 54,10)


Le repos en Dieu au cœur de la Shoah

Une jeune femme juive a vécu cet enracinement en Dieu au milieu d’un chaos nazi envahissant le ghetto de Varsovie et les camps d’extermination polonais. Etty Hillesum est lucide sur le sort qui attend les juifs. Entre 1941 et 1943, à 27 ans, elle tient son journal qui va la faire parcourir un chemin d’approfondissement intérieur éblouissant. Sans le savoir, elle se met à fredonner et faire couler sur ses lèvres le psaume 61 :

Résultat de recherche d'images pour "hillesum etty une vie bouleversée"« Je me suis coupé les ongles des orteils, j’ai bu une tasse de vrai cacao Van Houten et mangé  une tartine de miel, le tout avec une vraie passion. J’ai ouvert la Bible au hasard, mais le passage n’apportait aucune réponse à ce début de matinée. Cela ne fait rien, du reste, Car il n’y avait pas de questions, seulement une grande confiance et une profonde reconnaissance pour la beauté de la vie, et c’est pourquoi ce jour est historique : non pas parce que je dois me rendre tout à l’heure à la Gestapo avec S., mais parce que malgré cela, je trouve la vie si belle.

Dieu n’a pas à nous rendre de comptes pour les folies que nous commettons. C’est à nous de rendre des comptes ! J’ai déjà subi mille morts dans mille camps de concentration. Tout m’est connu. Aucune information nouvelle ne m’angoisse plus. D’une façon ou d’une autre, je sais déjà tout. Et pourtant je trouve cette vie belle et riche de sens. À chaque instant. […]

Je sais tout, je suis capable de tout supporter, je deviens de plus en plus forte, et en même temps j’ai une certitude : je trouve la vie belle, digne d’être vécue et riche de sens. En dépit de tout. Cela ne veut pas dire qu’on se maintienne toujours sur le sommet et dans de pieuses pensées. On peut être brisée de fatigue d’avoir longtemps marché, d’avoir passé des heures à faire la queue, mais cela aussi c’est la vie, et quelque part en vous il y a quelque chose qui ne vous quittera plus jamais. » [1]

Le secret de ce repos en Dieu est dans l’intensité de chaque moment avec lui et en lui.

Combien d’heures n’ai-je pas vécu dont je disais : cette heure a été toute une vie, et si je devais mourir bientôt, ne vaudrait-elle pas tout le reste de ma vie ? J’en ai tant vécu de ces heures-là. Qu’est ce qui m’empêche de vivre aussi dans le ciel ? Le ciel existe, pourquoi n’y vivrait-on pas ? Mais en fait c’est plutôt l’inverse, c’est le ciel qui vit en moi. Cela me fait penser à une expression d’un poème de Rilke : univers intérieur (Weltinnenraum).  (page 201)

On croirait entendre Paul : « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

Le repos en Dieu est donc le repos de Dieu en moi, au sens où l’on laisse des feuilles  de thé reposer au fond de la tasse, l’imprégnant par osmose de leur essence jusqu’à en changer la couleur, le goût et l’odeur, jusqu’à se déposer au fond, tout au fond, matière noire, dans un secret échange poursuivant secrètement son alchimie avec ténacité, quoi qu’il arrive…

 

Mon âme se repose…

Si la vanité de vos soutiens humains vous apparaît soudain – heureuse exception -
Si la beauté de la vie vous bouleverse et vous invite à regarder plus haut – heureux éblouissement -
Si vous sentez approcher le moment du consentement à ce qui vous arrive, à vous-même – heureuse sagesse -
Si vous expérimentez dans le silence une confiance inexplicable que Dieu dépose en vous, et qu’ainsi vous reposez en Dieu,

alors ne cessez pas de cantiller, de laisser tournoyer en vous ce refrain intérieur. Ces paroles d’abandon vous établiront dans une paix sans fond :

Mon âme se repose en paix sur Dieu seul,
de lui vient mon salut,
oui sur Dieu seul mon âme se repose,
se repose en paix.

 ____________________________________________________________

 1. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Seuil, coll. Points, 1995, pp. 105 / 140 / 143.

 

 

PREMIÈRE LECTURE
« Moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49, 14-15)
Lecture du livre du prophète Isaïe

Jérusalem disait : « Le Seigneur m’a abandonnée, mon Seigneur m’a oubliée. »
Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ?
Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas, – dit le Seigneur.

PSAUME

(Ps 61 (62), 2-3, 8, 9)
R/ En Dieu seul, le repos de mon âme. (cf. Ps 61, 2a)

Je n’ai de repos qu’en Dieu seul,
mon salut vient de lui.
Lui seul est mon rocher, mon salut,
ma citadelle : je suis inébranlable.

Mon salut et ma gloire
se trouvent près de Dieu.
Chez Dieu, mon refuge,
mon rocher imprenable !

Comptez sur lui en tous temps,
vous, le peuple.
Devant lui épanchez votre cœur :
Dieu est pour nous un refuge.

DEUXIÈME LECTURE

« Le Seigneur rendra manifestes les intentions des cœurs » (1 Co 4, 1-5)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, que l’on nous regarde comme des auxiliaires du Christ et des intendants des mystères de Dieu. Or, tout ce que l’on demande aux intendants, c’est d’être trouvés dignes de confiance. Pour ma part, je me soucie fort peu d’être soumis à votre jugement, ou à celui d’une autorité humaine ; d’ailleurs, je ne me juge même pas moi-même. Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n’est pas pour cela que je suis juste : celui qui me soumet au jugement, c’est le Seigneur. Ainsi, ne portez pas de jugement prématuré, mais attendez la venue du Seigneur, car il mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et il rendra manifestes les intentions des cœurs. Alors, la louange qui revient à chacun lui sera donnée par Dieu.

ÉVANGILE

« Ne vous faites pas de souci pour demain » (Mt 6, 24-34) Alléluia. Alléluia.
Elle est vivante, énergique, la parole de Dieu ; elle juge des intentions et des pensées du cœur.
Alléluia. (cf. He 4, 12)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent.
 C’est pourquoi je vous dis : Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Vous-mêmes, ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? Qui d’entre vous, en se faisant du souci, peut ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’était pas habillé comme l’un d’entre eux. Si Dieu donne un tel vêtement à l’herbe des champs, qui est là aujourd’hui, et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien davantage pour vous, hommes de peu de foi ? Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : ‘Qu’allons-nous manger ?’ ou bien : ‘Qu’allons-nous boire ?’ ou encore : ‘Avec quoi nous habiller ?’ Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. »
Patrick BRAUD

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28 septembre 2016

Les deux serviteurs inutiles

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Les deux serviteurs inutiles

Homélie du 27° Dimanche du temps ordinaire / Année C
02/10/2016

Cf. également :

L’ « effet papillon » de la foi
L’injustifiable silence de Dieu
Jesus as a servant leader
Servir les prodigues
Entre dans la joie de ton maître
Restez en tenue de service

 

L’art pour rien

La prochaine fois que vous sortirez de la gare SNCF Paris Nord, laissez-vous étonner par un drôle de bâtiment de travers. Il s’agit d’une maison, avec de vraies fenêtres, ports, murs, toit… mais une maison qui penche, toute inclinée, émergeant du sol avec un rien d’ivresse.

Maison GDN

Les voyageurs qui acceptent de se laisser surprendre s’arrêtent, penchent la tête, tordent le cou pour retrouver l’axe familier d’une maison bien droite. Ils sourient, sortent leur smartphone pour immortaliser l’objet, en parler aux collègues, à la famille : « regardez ce qu’ils ont mis Gare du Nord ! »

Détruisez cet abri Naf-Naf factice et tout continuera comme avant : les trains seront toujours en retard, les foules iront du métro aux quais et des quais au métro, les brasseries vous proposeront leurs croque-monsieur avec le demi-pression et le petit noir qui les accompagnent si bien. Bref, cette maisonnée est réellement non-nécessaire.

Elle ne sert à rien, et c’est bien cela qui fait sa magie. Elle peut susciter un étonnement quasi-philosophique, ou l’indifférence des gens importants et pressés d’avoir – eux au moins – une tâche à accomplir.

La maison-tour-de-Pise est inutile : quel bonheur de la voir là, sans raison, sans prétention d’efficacité ou de rentabilité !

L’art et l’inutile ont bien un air de famille.

Si vous êtes sensible à l’art dans votre quotidien, vous serez également touché par ces serviteurs inutiles de la parabole de Jésus (Lc 17, 5-10). À l’instar de cette maisonnette-pour-rien, ils nous disent quelque chose d’essentiel sur la vraie beauté de la vie, et cela tourne évidemment autour du service désintéressé.

 

Les deux serviteurs inutiles

« Nous ne sommes que des serviteurs inutiles ».
Célébrissime réplique d’une parabole souvent commentée (Lc 17, 5-10). Parfois, des traductions essaient d’atténuer la dureté du propos en traduisant : serviteurs « ordinaires », ou « simples » serviteur comme la traduction liturgique de ce dimanche. Au moins, être ordinaire ne supprimerait pas toute utilité ! La tentation d’être un « président ordinaire » en quelque sorte…
Le texte grec ne dit pas ordinaires ni simples mais ἀχρεῖοί (achreioi) = inutiles, sans profit.

Inutile implique que le maître pourrait fort bien se passer des services de ce domestique qui pourtant a trimé toute la journée, bien au-delà du cadre des 35 heures !

De fait, Dieu n’avait pas besoin de l’homme. Il l’a créé sans nécessité aucune, par pure gratuité de l’amour voulant se communiquer.

De fait, Dieu pourrait fort bien se passer de l’homme, et peut-être cela arrivera-t-il un jour si, comme les dinosaures en leur temps, nous ne voyons pas venir les ‘météorites’ capables de nous faire disparaître de la surface de la Terre.

Nous ne sommes donc pas utiles à Dieu, et croire que nous pourrions mériter quoi que ce soit envers lui relève d’un l’orgueil démesuré.

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De même, Dieu ne nous est pas utile : nous ne croyons pas en lui pour obtenir la santé, la richesse, la gloire, contrairement à ce que prêchent tant d’évangélistes et de fondamentalistes chrétiens. Nous ne le servons pas pour obtenir une récompense.

Labourer, mettre les tables, servir le repas n’est pas un calcul pour se faire bien voir, être félicité et distingué devant tous. Il y a là d’ailleurs de quoi transformer l’état d’esprit de tout salarié vis-à-vis de son entreprise ou de ses chefs…

Remplacez le labour par votre activité professionnelle, en entreprise ou ailleurs, remplacez le service des tables par vos actions solidaires, généreuses, humanistes, et vous aurez ainsi une remise en cause radicale de tous vos motif plus ou moins intéressés pour faire ceci ou cela.

Le Christ nous fait une recommandation décisive, dont les orgueils et les pouvoirs que l’Église a si souvent brigués au cours de ses 20 siècles d’histoire montrent qu’elle n’est pas inutile : la recommandation de ne jamais se prévaloir devant Dieu du service accompli dans la communauté.

Ajoutons que dans la parabole de Jésus, ce n’est pas le maître qui appelle ses serviteurs « inutiles ». Ce sont eux qui sont invités à le reconnaître par eux-mêmes. « Dites : nous ne sommes que des serviteurs inutiles ». C’est la prise de conscience des disciples qui est sollicitée d’eux.

Découvrez par vous-même qu’agir par intérêt n’est que vanité.
Expérimentez alors la joie qu’il y a à servir en abandonnant toute notion d’utilité ou de profit.
La diaconie chrétienne ne relève ni de l’utilitarisme ni de l’intéressement.
« La rose fleurit sans pourquoi » (Angélus Silesius).

 

Les deux usages de l’expression

Afficher l'image d'origineL’expression « serviteurs inutiles » ne se retrouve que deux fois dans toute la Bible, et uniquement dans le Nouveau Testament. La première occurrence est ici en Luc 10,7 avec notre parabole des serviteurs inutiles. La deuxième occurrence est en Matthieu 25,30, dans la parabole dite des talents. Cette fois-ci, c’est bien le maître qui dit au serviteur apeuré ayant enfoui son argent (ses talents) :

« Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (Mt 25, 29-30)

Le rapprochement entre ces deux seuls usages est terriblement exigeant. Tout serviteur est invité à se découvrir inutile, et pourtant s’il n’apporte pas une plus-value à Dieu, il est jeté dans les ténèbres ! S’il trime 20 heures par jour, il ne peut en attendre aucune reconnaissance ! Si à l’inverse il se tourne les pouces en laissant ses talents dormir, il se fera taper durement sur les doigts. S’il reçoit peu, ce n’est pas pour en faire peu. S’il reçoit beaucoup, c’est pour donner beaucoup. S’il a réussi une mission, ce n’est pas pour la médaille. S’il enchaîne les missions, ce n’est pas pour laisser une œuvre derrière lui, un nom, un héritage. Bigre !

La vraie raison d’être du service est en lui-même. Rabindranath Tagore l’exprimait avec poésie :

« Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie.
Je m’éveillais et je vis que la vie n’est que service.
Je servis et je compris que le service est joie ».

Les sculpteurs, maître-verriers et peintres du Moyen Âge ne signaient pas leurs chefs-d’œuvre : l’important pour eux n’était pas de passer à la postérité, mais de réjouir les passants, les visiteurs de toutes conditions. L’anonymat et le service vont bien ensemble. Ste Bernadette Soubirous à Nevers pratiquait cette humilité de retrait : « Quand on soigne un malade, il faut se retirer avant de recevoir un remerciement. On est suffisamment récompensé par l’honneur de lui donner des soins. »

Afficher l'image d'origineLe serviteur inutile de Luc ne peut ni ne veut s’enorgueillir de ce qu’il accomplit. À l’inverse, le serviteur inutile de Mathieu est jeté dehors à cause de sa stérilité.

Le paradoxe chrétien est donc de tenir ensemble ces deux figures contradictoires : travailler d’arrache-pied pour transformer ce monde et lui faire produire des fruits de justice et de paix tout en ne s’attachant pas à nos réussites, sans non plus stériliser aucun des talents reçus, et sans d’autre attente que la joie de servir pour elle-même.

 

Devant Dieu, quel mérite pourrions-nous avancer ? Il nous a façonnés gratuitement. Il nous aime gratuitement.
Jésus prescrivait aux Douze envoyés en mission : « vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).
Réexaminons toutes nos raisons d’agir à la lumière de ce désintéressement caractéristique de l’Évangile du Christ.

 

 

1ère lecture : « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)

Lecture du livre du prophète Habacuc

Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.

Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

Psaume : Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9

R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !

(cf. Ps 94, 8a.7d)

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

2ème lecture : « N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

Evangile : « Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée.
Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.

Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Patrick BRAUD

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