L'homélie du dimanche (prochain)

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7 juin 2020

Les 4 présences eucharistiques

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Les 4 présences eucharistiques

Homélie pour la fête du Corps et du Sang du Christ / Année A
14/06/2020

Cf. également :

Bénir en tout temps en tout lieu
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie

Les origines de la Fête-Dieu

Procession de la Fête-Dieu à Bamberg en Allemagne en 2007Les plus anciens d’entre nous ont encore des pétales de rose dans les yeux lorsqu’on leur demande de raconter les processions qui accompagnaient la Fête-Dieu de leur enfance. C’était en effet des processions spectaculaires : les enfants jetaient des pétales de fleurs sur le chemin du dais eucharistique promenant solennellement l’hostie consacrée dans l’ostensoir à travers les rues des villes et des villages… C’était au XIX° siècle l’occasion de véritables  démonstrations de force de la chrétienté ‘assiégée’ par le pouvoir laïc.

Cette fête, la ‘Fête de Dieu’, a été fondée en 1264 par le Pape Urbain IV, à la suite de visions faites à Ste Julienne de Mont-Cornillon en Belgique, dans la banlieue de Liège. À partir de 1209 elle eut de fréquentes visions mystiques. Une vision revint à plusieurs reprises, dans laquelle elle vit une lune échancrée, c’est-à-dire rayonnante de lumière, mais incomplète, une bande noire la divisant en deux parties égales. Elle resta longtemps sans comprendre la signification de cette vision, et sans en parler à personne. Puis elle interpréta la bande noire de ce rêve (Sigmund Freud l’aurait peut-être fait autrement…) comme l’absence d’une fête liturgique au milieu de l’Église (la lune) pour honorer le Saint Sacrement. Devenu pape, Urbain IV  se souvint qu’il avait été archidiacre à Liège sous son nom de Jacques Pantaléon, et a réalisé le vœu de Ste julienne en introduisant cette Fête-Dieu à Rome plus tard.

La solennité aurait été dans un certain sens préparée par le débat théologique et par le réveil de la dévotion eucharistique survenu après l’hérésie de Bérenger de Tours au XI° siècle qui niait la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Ce réveil s’accompagnait d’un désir de pouvoir contempler l’hostie pendant la messe : c’est à Paris, en 1200, que l’existence du rite de « l’élévation » au moment de la consécration est attestée pour la première fois. Et l’on voyait les dévots courir de messe en messe dans les églises de Paris le dimanche matin uniquement pour voir l’hostie s’élever au moment de la consécration, en criant très fort : « plus ! plus haut ! ». L’hostie était alors devenue matière à adorer plus qu’à manger, à cause de l’exigence de « l’état de grâce » pour communier. À tel point que le IV° concile du Latran (1215) avait obligé les chrétiens à communier au moins un fois l’an (« faire ses Pâques »), sinon ils ne communiaient jamais…

Urbain IV chargea Thomas d’Aquin de composer un office du St Sacrement pour la fête nouvelle. Appelée  Festum Corporis Domini, elle se célébrait initialement le jeudi (en mémoire du Jeudi saint) après l’octave de Pentecôte, avant que le Concordat de 1802, puis la réforme liturgique actuelle ne la déplace au Dimanche suivant. Le titre actuel de « Fête du Corps et du Sang du Christ » rend mieux compte de son contenu que l’ancien nom de « Fête-Dieu ». Il est à noter que le Pape n’a pas établi la Fête pour exposer en évidence le Saint Sacrement, ni pour le porter en procession. Ni la bulle d’institution, ni l’office de St Thomas ne parlent de ces solennelles démonstrations envers l’hostie. Il y est seulement question d’une « mémoire » « plus particulière et plus solennelle » « d’un si grand sacrement », mémoire dans laquelle l’Église est invitée à laisser déborder sa joie et son action de grâces dans la messe associée à cette fête.


Les 4 présences du Christ dans l’eucharistie
L‘adoration du Saint Sacrement exposé dans l’ostensoir ne doit pas nous faire oublier les autres formes de présence du Christ, indissolublement liées entre elles.
La Présentation Générale du Missel Romain dit très explicitement au n° 9 :
« En effet, dans la célébration de la messe où est perpétué le sacrifice de la croix, le Christ est réellement présent dans l´assemblée elle-même réunie en son nom, dans la personne du ministre, dans sa parole et aussi, mais de façon substantielle et continuelle, sous les espèces eucharistiques ».

Quand le Christ vient à notre table, il se fait présent à nous, de 4 manières :

1) dans l’assemblée elle-même : « là où 2 ou 3 sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18,20).
Dans une équipe de catéchèse, d’adultes, de liturgie ou d’art floral, dans l’assemblée du Dimanche, nous apprenons à faire Corps, à laisser le Christ nous relier les uns aux autres. Nous communions au Corps du Christ en acceptant de faire Corps ensemble, tout simplement rassemblés au nom du Christ. Se saluer en début et en fin de messe, s’échanger le baiser de paix (quand le Coronavirus nous en laissera à nouveau la possibilité !), s’asseoir sans choisir son voisin de chaise à l’église : tous ces gestes manifestent que le Christ fait de nous son corps lorsque nous nous laissons rassembler par lui. La fraternité et la joie simple qui règnent dans nos messes sont des signes tangibles de cette réalité sacramentelle qui s’opère en chaque eucharistie.


2) dans la présence des prêtres/diacres/évêques au milieu de nous.
Les ministres ordonnés sont là pour nous signifier que c’est un Autre qui nous appelle à faire Corps. Parce qu’ils sont différents, ils nous obligent à ne pas réduire le Christ à ce que nous connaissons de lui. Grâce à eux, le Christ continue de conduire son Église, de nourrir son Corps. Ils sont donnés à l’Église pour qu’elle s‘éprouve comme aimée d’un Autre, nourrie par le Christ, conduite par l’Esprit. Paul décrivait ainsi leur rôle : « C’est le Christ qui a donné (sous-entendu : à l’Église) certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme évangélistes, d’autres enfin comme chargés d’enseignement, afin de mettre les saints (= les baptisés) en état d’accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ » (Ep 4, 11-12). Les ministres ne sont pas au-dessus des autres, mais par leur ordination, ils sont mis à part – non pas séparés – pour que l’Église tout entière puisse « bâtir le Corps du Christ » :

« Par leur vocation et leur ordination, les prêtres de la Nouvelle Alliance sont, d’une certaine manière, mis à part au sein du peuple de Dieu ; mais ce n’est pas pour être séparés de ce peuple, ni d’aucun homme quel qu’il soit ; c’est pour être totalement consacrés à l’œuvre à laquelle le Seigneur les appelle. Ils ne pourraient être ministres du Christ s’ils n’étaient témoins et dispensateurs d’une vie autre que la vie terrestre, mais ils ne seraient pas non plus capables de servir les hommes s’ils restaient étrangers à leur existence et à leurs conditions de vie » (Vatican II, Presbyterorum ordinis n° 3).


24 juin 2012 : Elevation de l'évangeliaire lors de la messe d'ordination diaconale célébrée en la cath. Saint André de Bordeaux (33), France June 24, 2012 : Ordination of 5 deacons, cath. Saint André de Bordeaux (33), France3) dans la Parole de Dieu, la Bible, proclamée (et donc entendue, non pas lue par les fidèles sur leur téléphone, une feuille ou un Prions en Église…) à la messe lors de la liturgie de la Parole. C’est une vraie table que celle de la Parole où nous laissons la Bible devenir une Parole vivante qui nous touche. D’ailleurs, il y a bien « deux tables » dans la célébration : « En effet, la messe dresse la table aussi bien de la Parole de Dieu que du Corps du Seigneur, où les fidèles sont instruits et restaurés » (PGMR n° 28). La table de la Parole mérite d’être honorée comme celle de l’autel, car c’est  vraiment le Christ en personne qui s’adresse à nous au travers des lectures bibliques et de l’homélie.
Une manifestation visible de cet entrelacement est la procession d’entrée, qui unit ces 3 présences du Christ : l’assemblée, les ministres ordonnés, le livre de la Parole.


4) dans le Corps et le Sang du Christ. Bien sûr, le pain et le vin eucharistiques sont les signes forts (« de façon substantielle et continuelle ») où le Christ fait de nous son Corps et sa Vie, comme il fait du pain et du vin des signes du monde nouveau, celui de la Résurrection. Ce n’est pas nous qui mangeons le Christ, c’est plutôt Lui qui nous assimile à Lui et fait de nous son Corps. St Augustin écrit dans ses Confessions : « il me semblait que j’entendais Ta voix, venant du haut du ciel : « Je suis la nourriture des forts : grandis et tu me mangeras. Tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ton corps, c’est toi qui seras changé en moi. »


Il est capital de ne pas réduire la présence du Christ à notre table à une seule de ces 4 présences. Notamment pour ceux qui, pour une raison personnelle ou à cause de leur situation conjugale, ne peuvent pas avoir accès à la communion à l’hostie (divorcés remariés, concubins, catéchumènes…). Même si ce geste fort de venir prendre le pain eucharistié n’est plus possible, rien n’empêche de communier au Christ sous les 3 autres formes : l’assemblée, le signe du ministère, la Parole vivante. Et l’on peut bénir par un signe de croix sur le front ceux qui se présentent dans la file de communion les bras croisés…

L’encensement solennel est un autre signe de la sacramentalité multiforme du Corps du Christ. Nous encensons l’autel et les ministres ordonnés au début de la messe après la procession d’entrée, puis le livre de la Parole au moment de l’évangile, puis le pain, le vin, les ministres et toute l’assemblée lors de l’offertoire : ainsi les volutes d’encens tout au long de la célébration enlacent en une seule offrande ces 4 modes de présence du Christ.

Ne réduisons pas le Christ à l’une de ces 4 présences / nourritures, alors qu’elles font système et sont en interaction continuelle dans la messe !
À cette condition, le Christ ne dédaignera pas de venir s’asseoir à notre table, quelle que soit notre indignité…

Les 4 présences eucharistiques dans Communauté spirituelle bandeau-eucharistie

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)
Lecture du livre du Deutéronome

Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

 

PSAUME

(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)

R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem !
Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.

Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.
Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.

Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.
Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.

 

SÉQUENCE

Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges »

Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.
* Le voici, le pain des anges, il devient  le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

ÉVANGILE

« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia.Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51.58)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

 En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

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26 février 2020

Ne vous habituez pas à vivre dans le mensonge

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ne vous habituez pas à vivre dans le mensonge

Homélie du 1° dimanche de Carême / Année A
01/03/2020

Cf. également :

Brûlez vos idoles !
Un méridien décide de la vérité ?
L’île de la tentation
Ne nous laisse pas entrer en tentation
L’homme ne vit pas seulement de pain
Nous ne sommes pas une religion du livre, mais du Verbe
Et plus si affinité…
Les trois tentations du Christ en croix

8 janvier 2020 : un Boeing 737 ukrainien s’écrase quelques minutes après son décollage de l’aéroport de Téhéran, faisant 176 victimes civiles. Après l’assassinat par Donald Trump du général iranien Qassem Soleimani le 3 janvier, le monde entier soupçonne des représailles se trompant de cible. Malgré les preuves s’accumulant dès le 8 janvier, les officiels et la télévision iranienne persistent pendant plusieurs jours à nier l’évidence et à affirmer n’y être pour rien. Les boîtes noires une fois retrouvées, devant la perspective d’une commission d’enquête internationale, le régime est obligé de céder et de reconnaître que ce sont bien des missiles iraniens qui ont abattu – par erreur – l’avion. Trois présentatrices-vedette des chaînes de télévision d’État démissionnèrent pour avoir soutenu l’inverse avec assurance. L’une d’elle (Golare Jabbari), très populaire en Iran, a été encore plus explicite en avouant : « Ce fut pour moi très dur d’admettre que notre propre peuple a été tué […]. Pardonnez-moi de l’avoir su si tard. Et pardonnez-moi de vous avoir menti pendant 13 ans », a-t-elle écrit sur Instagram, le réseau préféré des Iraniens. Aussitôt, le peuple descendit dans la rue, les étudiants en tête, pour dénoncer ce régime autoritaire basé sur le mensonge. Des centaines de milliers de manifestants réclamèrent la destitution des mollahs au pouvoir. Les journaux du monde entier titrèrent :
« Iran. La République islamique ou l’empire du mensonge ».
« L’Iran en révolte contre le mensonge ».
« La légitimité perdue des mollahs » etc.

De tout temps, le mensonge est la base de l’oppression. Les textes de ce dimanche y insistent : le serpent de la Genèse ment pour instaurer une rivalité entre l’humanité et Dieu ; le diable au désert ment à Jésus pour essayer de le détourner de sa vocation de fils unique du Père.
Voyons comment, et comment ce mensonge continue de courir dans nos tentations d’aujourd’hui.

 

Le mensonge des origines

Rusé, le serpent de la Genèse sait bien qu’il suffit de tordre légèrement une parole pour lui donner une tout autre signification, comme quelques dixièmes de degré d’écart dans la trajectoire d’une balle la font dévier de plusieurs mètres. Aussi, au lieu de rappeler fidèlement les mots mêmes de Dieu : « Tu pourras manger de tout arbre du jardin, mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais car, du jour où tu en mangeras, tu devras mourir (Gn 2,17) », il les transforme presque imperceptiblement : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? ».Mais la différence est grande. L’interdit sur un arbre n’est pas l’interdit sur tous les arbres. Et cet interdit n’est pas castrateur contrairement aux apparences : il fonde au contraire la relation au monde et aux autres en posant une limite salutaire. Comme le soulignait Lacan, l’interdit en français est ce qui est dit entre deux sujets (inter-dit), et donc ce qui fonde la parole, le dialogue, la communion entre les deux en respectant une certaine distance. Lorsque cet interdit est transgressé (interdit de l’inceste, du meurtre, du vol…), il y a effectivement des morts physiques, psychologiques ou spirituelles. C’est le sens de l’avertissement divin : si vous mangez de ce fruit-là (les autres sont possibles) vous mourrez. Non pas par suite d’un quelconque châtiment divin, mais par conséquence de votre déni de relations. L’interdit de YHWH au jardin d’Éden était une mise en garde paternelle : attention, ce fruit est mortel, n’y touchez pas ! Un peu comme on avertit des ramasseurs de champignons de ne pas cueillir d’amanites phalloïdes… Le serpent transforme cet interdit salutaire en censure générale : aucun fruit ! Et il sous-entend que Dieu ferait périr les transgresseurs, alors que la transgression porte en elle-même son fruit de mort.

Le deuxième mensonge vient d’Ève, à son insu semble-t-il. Troublée et déstabilisée par les insinuations du serpent, elle défend Dieu en rappelant qu’un seul arbre est interdit, mais elle se trompe d’arbre : « pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ‘Vous n’en mangerez pas » ». Or l’arbre hors d’atteinte n’était pas celui-ci ! Au milieu du jardin est l’arbre de la vie, alors que Dieu désigne l’arbre de la connaissance du bien et du mal comme mortel. Non seulement la vie n’est pas interdite comme semble le dire Ève, mais elle est abondamment disponible et offerte au milieu de ce jardin. Par contre, connaître le bien et le mal, décider à la place de Dieu ce qui est bien et ce qui est mal, voilà qui est suicidaire et dont nous devons nous abstenir sous peine de nous faire périr nous-mêmes. Le serpent exploite à fond cette confusion d’Ève : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal ». Ce mensonge est ici proprement diabolique, puisque le but est vrai (devenir participant de la nature divine cf. 2P 1,4) mais le chemin pour y arriver est mensonger (prendre au lieu de recevoir, rivalité mimétique au lieu de communion gracieuse). Notons que ce n’est pas la connaissance en général qui est inter-dite, mais la connaissance du bien et du mal. Nous sommes les acteurs de la connaissance (par la sagesse, les arts, les techniques et les sciences) mais pas les auteurs de la délimitation entre bien et mal (malgré le mensonge démocratique qui veut nous faire croire que ce que pense la majorité est forcément bien).

La conséquence de ce double mensonge partagé avec Adam sera l’obligation de se dissimuler sans cesse : « Leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus. Ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des pagnes » (Gn 3,7). Impossible désormais d’être « nu » l’un devant l’autre en vérité, car le mensonge est venu s’insérer dans le regard, en y introduisant la convoitise, la rivalité, le mimétisme, l’envie de prendre et la violence qui l’accompagne. Le rêve rousseauiste des naturistes ne peut se vivre qu’en pointillé, de façon exceptionnelle et clôturée, sans que la nudité physique soit garante des autres nudités tout aussi importantes (de sentiment, d’intelligence, de pensée etc.).

Le diable des 40 jours

Dans l’Évangile, le diable recourt à la même ruse du mensonge que le serpent de la Genèse. Par trois fois, il essaiera de s’appuyer sur la dignité de « Fils de Dieu », sur une citation de l’Écriture (partielle, voire tronquée) ou sur la gloire de Dieu pour leur faire dire l’inverse de leur intention originelle. Le diable fait mentir l’Écriture en suggérant à Jésus qu’elle l’autoriserait à assouvir sa convoitise de nourriture (« si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains »), de pouvoir miraculeux (« si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre »), de gloire universelle (« Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi »).

Par trois fois Jésus dé-tord cet usage malhonnête de la parole de Dieu en appliquant ce qu’on appellerait aujourd’hui un principe de cohérence : on ne peut pas faire dire à un verset ou un concept quelque chose qui contrarierait gravement l’ensemble des Écritures. Car pour l’ensemble de la Bible, la faim spirituelle est plus fondamentale que la faim physique. Le pouvoir miraculeux est pour guérir et sauver les faibles et non pour un intérêt égoïste. La gloire universelle est donnée par Dieu et non conquise par l’homme se prosternant devant des idoles.

Les tentations de ce premier dimanche de Carême reposent sur le mensonge. D’où l’intérêt de discerner les mensonges qui irriguent actuellement notre vie personnelle et collective.

 

Les mensonges collectifs récents

Ne vous habituez pas à vivre dans le mensonge dans Communauté spirituelle alexsolCollectivement, on a déjà cité les régimes islamiques fondés sur le mensonge permanent. Pas simplement le mensonge d’État comme pour le Boeing abattu, mais un mensonge sur l’homme, bien plus profond et difficile à éradiquer. Ce mensonge islamique a pris le relais du mensonge communiste à l’Est pendant le XX° siècle. Soljenitsyne avait averti ses concitoyens que l’État soviétique mentait sur pratiquement tout : les goulags, les résultats économiques, les succès sportifs (dopage institutionnalisé), la liberté religieuse, la pauvreté, les libertés individuelles… Dans tous ces domaines, une propagande officielle aveuglait jusqu’à l’intelligentsia occidentale fascinée par l’utopie égalitaire qui semblait réussir à l’Est.
Jusqu’aux chars du Printemps de Prague, jusqu’aux témoignages des déportés, jusqu’à l’ouverture des archives sur les famines, les tortures, les millions de morts, jusqu’aux grèves de Gdansk ou de RDA, nul ne pouvait imaginer avant 1989 que le colosse communiste avait des pieds d’argile et allait bientôt s’écrouler lorsque ses mensonges seraient dévoilés. Il en sera de même pour tous les régimes actuels fondés sur le mensonge.
La chute du régime soviétique n’exonère pas pour autant les sociétés occidentales, elles aussi minées de l’intérieur par un certain mensonge sur l’homme. Car la personne humaine dont la Bible fonde la dignité n’est pas l’individu néolibéral dont les puissances d’argent cherchent à nous convaincre. Le corps humain n’est pas une marchandise à disposition, de la conception à la fin de vie. Devenir sans cesse plus riche n’est pas un objectif. Réussir dans la vie n’est pas la même chose que réussir sa vie. Accumuler sans cesse ne rend pas plus heureux. La croissance économique n’est pas innocente de la dégradation de la planète. Faire passer le droit avant le bien est fondamentalement injuste. La démocratie représentative n’est pas l’ultime système politique. Etc.

Tous ces mensonges génèrent une violence sociale, sourde et imperceptible au début, mais qui finissent par déferler comme en 1981… L’Église elle-même n’est pas exempte des mensonges – nombreux et graves – qui parsèment son histoire hélas.

 

Les mensonges de chacun

Dans nos vies personnelles également le mensonge est à l’œuvre. Nous nous y sommes tellement habitués qu’il faut un choc extérieur pour en prendre conscience. Une lecture (biblique notamment) peut nous dévoiler nos petits arrangements avec la vérité, comme Jean-Baptiste reprochant à Hérode d’avoir pris la femme de son frère, ou comme le prophète Nathan reprochant à David d’avoir pris Bethsabée à son mari qu’il a fait tuer à la guerre. Une rencontre peut nous ouvrir les yeux sur les faux discours dont nous couvrons nos intérêts, comme le lépreux pour François d’Assise ou le mendiant en haillons pour saint Martin. Une discussion avec des gens d’opinions différentes peut nous inviter à relativiser nos affirmations trop péremptoires. Le témoignage de rescapés des ‘camps de la mort’ d’aujourd’hui (bidonvilles, migrants, travail des enfants, eugénisme…) peut nous presser de nous engager au lieu de fermer les yeux etc.

Les insinuations du serpent de la Genèse peuvent prendre tant de visages ! Les déformations de la vérité par le diable des 40 jours de Jésus au désert peuvent nous paraître si appétissantes ! Difficile de résister aux mensonges sans se faire aider : un accompagnement spirituel délicat, de vrais amis osant dire les choses, une exigence intellectuelle et spirituelle à partager avec d’autres…

Le contraire de la vérité n’est pas l’erreur, mais le mensonge, proprement diabolique au sens où il divise (dia-balein en grec = jeter en dispersant) les humains entre eux et d’avec Dieu.

Pendant ces 40 jours, asseyons-nous et relisons tranquillement les grandes convictions qui animent notre course : où le mensonge pourrait-il s’y nicher, consciemment ou non ? Qui pourrait m’aider à y voir plus clair ? Suis-je résolu à ne jamais m’habituer à « vivre dans le mensonge » [1] comme l’écrivait Soljenitsyne ?

 


[1]. Soljenitsyne, « Ne pas vivre dans le mensonge », dernier texte publié en URSS en 1974, en samizdat (article clandestin), juste avant son expulsion.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Création et péché de nos premiers parents (Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7a)

Lecture du livre de la Genèse

Le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé. Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.’ » Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.

PSAUME

(Ps 50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17)
R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. Ps 50, 3)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

DEUXIÈME LECTURE
« Là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5, 12-19)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché.
Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir. Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
Le don de Dieu et les conséquences du péché d’un seul n’ont pas la même mesure non plus : d’une part, en effet, pour la faute d’un seul, le jugement a conduit à la condamnation ; d’autre part, pour une multitude de fautes, le don gratuit de Dieu conduit à la justification. Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance le don de la grâce qui les rend justes.
Bref, de même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie. En effet, de même que par la désobéissance d’un seul être humain la multitude a été rendue pécheresse, de même par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle rendue juste.

ÉVANGILE
Jésus jeûne quarante jours, puis est tenté (Mt 4, 1-11)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. » Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »
Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.
Patrick Braud

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3 novembre 2019

D’Amazonie monte une clameur

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

D’Amazonie monte une clameur

Homélie du 32° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
10/11/2019

Cf. également :

Mourir pour une côtelette ?
Aimer Dieu comme on aime une vache ?
N’avez-vous pas lu dans l’Écriture ?
Sur quoi fonder le mariage ?

document préparatoire synode Amazonie spiritualités païennes anticolonialismeAmazonie, Allemagne : de ces deux immenses régions du monde - l’une par sa taille, l’autre par son poids historique et économique - monte une immense clameur qui retentit jusqu’à Rome : donnez-nous la possibilité d’ordonner des hommes mariés et de confier des ministères ordonnés à des femmes ! Le synode de l’Amazonie qui s’est conclu au Vatican les 26 et 27 octobre dernier a remis au pape François cette demande express (avec d’autres demandes concernant l’écologie, la déforestation, les inégalités sociales etc.) : « établir des critères et des dispositions par l’autorité compétente, d’ordonner des prêtres appropriés et reconnus de la communauté qui ont un diaconat permanent fécond et reçoivent une formation adéquate pour le sacerdoce, pouvant avoir une famille légitimement constituée et stable, pour soutenir la vie de la communauté chrétienne par la prédication de la Parole et la célébration des sacrements dans les zones les plus reculées de la région amazonienne ». Ce Document final a recueilli 128 voix pour et 40 contre.

L’une des raisons de ce vote est la dispersion géographique des communautés chrétiennes dans l’immense territoire amazonien : beaucoup ne voient un prêtre qu’une fois par an, de passage. Sauf à dire que le ministère ordonné n’est pas essentiel à la croissance d’une communauté chrétienne, on voit mal comment cette situation pourrait durer sans compromettre l’avenir de cette Église particulière. D’autant que - et c’est la deuxième raison - la concurrence des évangéliques se fait pressante. Ils pourraient devenir majoritaires en quelques décennies si rien n’est décidé.

En Allemagne, c’est le départ massif des catholiques qui inquiète, suite notamment aux scandales sexuels. En 2018, 216078 catholiques ont quitté l’Église. Ordonner des hommes mariés est un enjeu de santé affective pour le clergé selon les Allemands. La place des femmes dans l’animation et la vitalité des paroisses/aumôneries etc. est si importantes que l’opinion publique ne comprend plus qu’elles soient exclues des ministères et donc des prises de décision au plus haut niveau de l’Église. Ordonner des femmes diacres serait pour une majorité d’Allemands une juste réponse à la légitime aspiration à l’égalité hommes/femmes.

À vrai dire, il n’y a pas que l’Amazonie et l’Allemagne pour désirer une réforme des ministères ordonnés et du gouvernement de l’Église…

La dispute de Jésus avec les Sadducéens en ce dimanche peut nous aider à réfléchir sur cette brûlante question d’actualité. Bien sûr la pointe de cette controverse porte sur la résurrection des morts. Mais au passage, nous en apprenons beaucoup sur le statut conjugal et son avenir en Dieu. En nous appuyant sur ce texte, développons un raisonnement en trois temps : le mariage dit l’intensité de l’amour divin ; le célibat annonce l’universalité de cet amour ; les ministères ordonnés ont donc besoin des deux.

 

1. Le mariage dit l’intensité de l’amour divin.

page_le_mariageDe la création du monde au Cantique des cantiques, l’alliance homme/femme s’enracine dans la communion d’amour trinitaire. C’est ensemble et diiférents que l’homme et la femme sont « à l’image de Dieu », l’Unique et le Tout-Autre (d’où d’ailleurs la réticence biblique envers l’homosexualité qui ne peut porter cette symbolique d’altérité). Parce qu’ils sont différents et pourtant appelés à s’unir, l’homme et la femme dans le mariage disent quelque chose de cette intensité de relation qui unit le Père au Fils dans l’Esprit. Saint Paul élèvera cette union au rang de mystère (mysterion en grec = sacramentum en latin), c’est-à-dire de symbole désignant et rendant présent l’amour qui unit le Christ à son Église :

« C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère est grand : moi, je déclare qu’il concerne le Christ et l’Église » (Ep 5,31-32).

L’incarnation de l’amour divin dans le couple est si forte qu’elle débouche naturellement sur la fécondité. Être ensemble à l’image de Dieu se traduit naturellement par cette générosité divine de donner la vie. D’où la loi du lévirat (Dt 25, 5-10) que les Sadducéens utilisent fort habilement dans l’Évangile de ce dimanche pour tendre un piège à Jésus. Laisser la femme de son frère sans enfant après son veuvage serait un affront, une humiliation, reléguant la veuve à une grande précarité matérielle et sociale. Le frère se devait donc autrefois d’assurer une descendance à la femme du défunt. Après sept tentatives infructueuses, le piège est alors en place : à la résurrection des morts, de qui cette femme sera-t-elle l’épouse puisqu’elle a eu les sept comme mari ? La réponse de Jésus est très claire : 

« Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection. »

Autrement dit, le mariage est pour ici-bas. Le mariage est un sacrement de l’amour divin qui s’arrête avec la mort, ou plutôt qui sera transfiguré à travers la mort. Il ne peut donc être absolutisé. Il a besoin de l’autre état de vie - le célibat - pour signifier la plénitude de l’amour. Car la limite de l’amour humain est de devoir privilégier une relation (et une seule à la fois de préférence !) pour atteindre cette intensité. Or l’amour divin ne se limite pas à un seul peuple, ni au roi seul, ni même aux seuls juifs ou chrétiens. Il faut donc qu’une autre manière d’aimer signifie cette ouverture à tous que le mariage ne peut porter.

 

2. Le célibat annonce l’universalité de l’amour divin.

Le Célibat religieuxViendra un temps où il n’y aura plus besoin de privilégier une relation pour aimer.

Pour annoncer le monde de la résurrection, certain(e)s restent célibataires, afin de témoigner de notre espérance en un monde où « Dieu sera tout en tous » (1Co 15,28). Le célibat de Jésus - anormal pour un juif d’une trentaine d’années, rabbin de surcroît - puise ses racines dans son espérance en la résurrection. Signe eschatologique, le célibat conteste la prétention du mariage à épuiser la réalité de l’amour par sa conjugalité et sa fécondité. Il annonce un monde où il n’est plus besoin d’exclure pour aimer, d’engendrer pour survivre. D’ici là, le mariage symbolise la puissance de l’amour trinitaire, et lutte contre l’extinction de la famille humaine à travers l’engendrement de ses enfants.

Mariage et célibat ont besoin l’un de l’autre : le premier atteint une telle intensité – corporelle surtout - qu’il rend présent le feu de l’amour divin ; le second atteint une telle universalité qu’il empêche le lien amoureux de s’enclore sur lui-même. Le célibat annonce un monde où l’intensité de toutes les relations sera élevée à l’intensité amoureuse, et même mille fois au-delà !

 

3. Les ministères ordonnés ont besoin des deux.

Quelle est la finalité des ministères ? C’est d’ordonner l’Église au Christ, collectivement et personnellement. C’est-à-dire de permettre à l’épouse (l’Église) d’être unie à l’Époux (le Christ) comme le corps à sa tête, selon une équation du type :

diacres/prêtres/évêques  Ξ     Christ

assemblée (ekklèsia)                Église

pere yuriy et sa famille petit

C’est un rapport d’équivalence et non d’identité : les ministres ne sont pas le Christ (ni d’autres christs) mais permettent à l’assemblée (dont ils font partie) de s’éprouver comme unie au Christ. Comme ce lien est d’amour, les ministres mariés signifient l’intensité de cette communion (dans le lien mariage/eucharistie par exemple), alors que les ministres célibataires rappellent l’universalité de ce lien, et la nécessaire ouverture à tous (catholicité) de l’assemblée.

Les orthodoxes ont gardé la tradition la plus ancienne : clergé marié et clergé célibataire coexistent (non sans tension parfois) depuis 2000 ans. Les protestants ont abandonné la sacramentalité du ministère pour en faire une simple fonction ; c’est pourquoi ils ont moins de mal à instituer des pasteurs mariés, des femmes pasteurs ou diaconesses. Si l’Église catholique franchissait le pas d’ordonner prêtres des hommes mariés/célibataires, et diaconesse des femmes mariées/célibataires, ce ne serait finalement que le retour à la tradition la plus ancienne, que l’Occident a infléchi au Moyen Âge pour des raisons essentiellement économiques (les problèmes liés à l’héritage des clercs !) mais pas de manière irréversible. D’ailleurs, les prêtres mariés des Églises catholiques de rite oriental (maronites, melkites etc. au Liban et ailleurs) en témoignent avec noblesse depuis toujours.

En outre, ce serait une autre manière d’annoncer le monde de la résurrection cher à Jésus. Car, comme le rappelle saint Paul : « en Christ, il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni l’homme ni la femme » (Ga 3,28). Ces distinctions sont pour un temps seulement ; elles seront abolies dans le monde à venir. Anticiper cette espérance en conjuguant mariage/célibat, masculin/féminin au sein de tous les ministères serait un témoignage très fort rendu à la résurrection !

 

4. Pour que les brebis du Christ ne meurent pas de faim…

Un dernier argument pour l’ordination d’hommes (et de femmes) mariés pourrait venir… du Concile de Trente ! En effet, ce concile au XVI° siècle a réaffirmé la célébration en latin (et non en langue vernaculaire) pour l’Occident - à l’exception notable des Églises ayant déjà l’autorisation de célébrer en langue locale - . Pourtant, il a introduit l’obligation pour les prêtres d’expliquer fréquemment en langue locale au cours de la messe et même de prononcer l’homélie en cette langue. L’argument était le besoin des fidèles de se nourrir des paroles de la messe et de ses lectures bibliques :

Bien que la messe contienne un grand enseignement pour le peuple fidèle, il n’a pas cependant paru bon aux pères qu’elle soit célébrée çà et là en langue vulgaire. C’est pourquoi, tout en gardant partout le rite antique propre à chaque Église et approuvé par la sainte Église romaine, Mère et maîtresse de toutes les Églises, pour que les brebis du Christ ne meurent pas de faim et que les petits ne demandent pas du pain et que personne ne leur en donne (Lm 4,4), le saint concile ordonne aux pasteurs et à tous ceux qui ont charge d’âme de donner quelques explications fréquemment, pendant la célébration des messes, par eux-mêmes ou par d’autres, à partir des textes lus à la messe, et, entre autres, d’éclairer le mystère de ce sacrifice, surtout les dimanches et les jours de fête. (Concile de Trente, 22° session, ch8 n° 1749&1759)

Ce même argument vaut pour l’Amazonie aujourd’hui : pour que les brebis du Christ ne meurent pas de faim, pour que les communautés ne demandent le pain eucharistique sans que personne leur en donne, il est urgent d’ordonner des prêtres parmi les hommes mariés de ces communautés, afin qu’elles puissent baptiser, se nourrir de l’eucharistie et assumer leur croissance numérique et spirituelle.

D’Amazonie monte une clameur dans Communauté spirituelle

Le pape François donnera sa réponse vers Noël ou au printemps 2020 : prions pour qu’il entende la clameur qui monte des fidèles d’Amazonie, d’Allemagne et d’ailleurs, avant qu’ils ne se détournent de l’Église catholique, engendrant une déforestation ecclésiale dramatique…

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 M 7, 1-2.9-14)

Lecture du deuxième livre des Martyrs d’Israël

En ces jours-là, sept frères avaient été arrêtés avec leur mère. À coups de fouet et de nerf de bœuf, le roi Antiocos voulut les contraindre à manger du porc, viande interdite. L’un d’eux se fit leur porte-parole et déclara : « Que cherches-tu à savoir de nous ? Nous sommes prêts à mourir plutôt que de transgresser les lois de nos pères. » Le deuxième frère lui dit, au moment de rendre le dernier soupir : « Tu es un scélérat, toi qui nous arraches à cette vie présente, mais puisque nous mourons par fidélité à ses lois, le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle. » Après cela, le troisième fut mis à la torture. Il tendit la langue aussitôt qu’on le lui ordonna et il présenta les mains avec intrépidité, en déclarant avec noblesse : « C’est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de ses lois je les méprise, et c’est par lui que j’espère les retrouver. » Le roi et sa suite furent frappés de la grandeur d’âme de ce jeune homme qui comptait pour rien les souffrances. Lorsque celui-ci fut mort, le quatrième frère fut soumis aux mêmes sévices. Sur le point d’expirer, il parla ainsi : « Mieux vaut mourir par la main des hommes, quand on attend la résurrection promise par Dieu, tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection pour la vie. »

 

PSAUME
(Ps 16 (17), 1ab.3ab, 5-6, 8.15)

R/ Au réveil, je me rassasierai de ton visage, Seigneur. (Ps 16, 15b)

Seigneur, écoute la justice !
Entends ma plainte, accueille ma prière.
Tu sondes mon cœur, tu me visites la nuit,
tu m’éprouves, sans rien trouver.

J’ai tenu mes pas sur tes traces,
jamais mon pied n’a trébuché.
Je t’appelle, toi, le Dieu qui répond :
écoute-moi, entends ce que je dis.

Garde-moi comme la prunelle de l’œil ;
à l’ombre de tes ailes, cache-moi,
Et moi, par ta justice, je verrai ta face :
au réveil, je me rassasierai de ton visage.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Que le Seigneur vous affermisse « en tout ce que vous pouvez faire et dire de bien » (2 Th 2, 16 – 3, 5)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens

Frères, que notre Seigneur Jésus Christ lui-même, et Dieu notre Père qui nous a aimés et nous a pour toujours donné réconfort et bonne espérance par sa grâce, réconfortent vos cœurs et les affermissent en tout ce que vous pouvez faire et dire de bien. Priez aussi pour nous, frères, afin que la parole du Seigneur poursuive sa course, et que, partout, on lui rende gloire comme chez vous. Priez pour que nous échappions aux gens pervers et mauvais, car tout le monde n’a pas la foi. Le Seigneur, lui, est fidèle : il vous affermira et vous protégera du Mal. Et, dans le Seigneur, nous avons toute confiance en vous : vous faites et continuerez à faire ce que nous vous ordonnons. Que le Seigneur conduise vos cœurs dans l’amour de Dieu et l’endurance du Christ.

 

ÉVANGILE

« Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Lc 20, 27-38)
Alléluia. Alléluia.Jésus Christ, le premier-né d’entre les morts, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Alléluia. (Ap 1, 5a.6b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, quelques sadducéens – ceux qui soutiennent qu’il n’y a pas de résurrection – s’approchèrent de Jésus et l’interrogèrent : « Maître, Moïse nous a prescrit : Si un homme a un frère qui meurten laissant une épouse mais pas d’enfant,il doit épouser la veuvepour susciter une descendance à son frère. Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; de même le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi. Eh bien, à la résurrection, cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour épouse ? »
Jésus leur répondit : « Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection. Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »
Patrick BRAUD

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4 août 2019

Avec le temps…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Avec le temps…

Homélie pour le 19° Dimanche du temps ordinaire / Année C
11/08/2019

Cf. également :

Restez en tenue de service
Agents de service
Jesus as a servant leader
Éveiller à d’autres appétits

Avec le temps
avec le temps, va, tout s’en va
on oublie le visage et l’on oublie la voix
le cœur, quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller chercher plus loin, faut laisser faire et c’est très bien

Avec le temps
avec le temps, va, tout s’en va
l’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie
l’autre qu’on devinait au détour d’un regard
entre les mots, entre les lignes et sous le fard
d’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit
avec le temps tout s’évanouit

Avec le temps
avec le temps, va, tout s’en va
mêm’ les plus chouett’s souv’nirs ça t’as un’ de ces gueules
à la gal’rie j’farfouille dans les rayons d’la mort
le samedi soir quand la tendresse s’en va tout’ seule

Avec le temps.
Avec le temps, va, tout s’en va
l’autre à qui l’on croyait pour un rhume, pour un rien
l’autre à qui l’on donnait du vent et des bijoux
pour qui l’on eût vendu son âme pour quelques sous
devant quoi l’on s’traînait comme traînent les chiens
avec le temps, va, tout va bien

Avec le temps
avec le temps, va, tout s’en va
on oublie les passions et l’on oublie les voix
qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid

Avec le temps
avec le temps, va, tout s’en va
et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu
et l’on se sent glacé dans un lit de hasard
et l’on se sent tout seul peut-être mais peinard
et l’on se sent floué par les années perdues- alors vraiment
avec le temps on n’aime plus

La célèbre chanson triste de Léo Ferré (1970) vient inévitablement à trotter dans la tête en entendant l’Évangile de ce dimanche (Lc 12, 32-48) :

« Si le serviteur se dit en lui-même : ‘Mon maître tarde à venir’, et s’il se met à frapper les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des infidèles. »

Jésus décrit l’effet du temps qui passe sur les serviteurs attendant le retour de leur maître. Au début on est fidèle, voire enthousiaste. Puis viennent les premières difficultés pour les chrétiens : les persécutions, les dénonciations, les trahisons, les lapsi (ceux qui renient leur baptême sous la menace du pouvoir) etc. Pire encore : avec le temps, les clercs eux-mêmes céderont aux tentations de la richesse, de l’abus de pouvoir, de la violence envers ceux qui pensent différemment etc. Les papes seront complices des pires crimes, des évêques s’enrichiront, mèneront une double vie, conduiront des croisades, des prêtres sombreront dans l’alcoolisme… On peut dire que Jésus est réaliste et par avance a averti ses disciples de la corruption généralisée qui va abîmer l’Église au cours des siècles, et les scandales actuels ne sont hélas que le prolongement de cette dégradation ecclésiale avec le temps.

Il y a d’ailleurs une analogie possible avec la dégradation de l’amour conjugal que pleurait Léo Ferré.

L'Usure du tempsAvec le temps, l’habitude et la routine s’installent entre les deux qui se découvraient avec émerveillement au début. La répétition usante de tous ces ‘comme d’habitude’ (clin d’œil à Claude François) peut lentement tuer le sentiment d’origine, un peu comme le frottement de la corde sur le rocher peut l’effilocher jusqu’à la rupture. De même, la répétition des gestes liturgiques identiques pendant des siècles peut devenir obsessionnelle, et engendrer chez les clercs un rubricisme liturgique sans âme qui fait fuir les fidèles.

Avec le temps, la tentation d’aller voir ailleurs est quasi inévitable dans un couple. D’autant plus que le doublement ou triplement de l’espérance de vie oblige à durer si longtemps ensemble qu’il est évident que l’infidélité, passagère ou durable, est hautement plus probable. Si plus d’un mariage sur deux se termine par un divorce en France, c’est bien parce que les années multiplient les occasions d’essayer d’autres partenaires, surtout si la grisaille de la routine a terni l’élan originel. De même, avec la mondialisation qui élargit l’offre religieuse, il est tentant pour les chrétiens d’aller voir ailleurs : le bouddhisme et autres philosophies orientales séduisent beaucoup les occidentaux, l’islam désormais proche devient un autre possible, l’athéisme tranquille sous sa forme de désintérêt pour l’au-delà devient la norme… Et ce d’autant plus que le christianisme souffre de sa position majoritaire voire ultra-dominante en Occident dans les siècles passés, et apparaît ainsi comme une vieille dame qui n’a plus grand-chose à offrir.

Avec le temps, les objectifs vrais de chacun dans le couple émergent, souvent incompatibles. La carrière professionnelle, le nombre et la place des enfants, la réussite sociale, amicale, associative, le rapport à l’argent, la spiritualité : si le sentiment n’a pas dès le début intégré la poursuite d’objectifs et d’activités communes, la divergence des intérêts de chacun rendra l’éloignement du cœur quasi inévitable. De même, les objectifs du Christ et ceux de l’Église connaîtront des périodes de tensions et de contradictions dramatiques. Non-violence, pauvreté, esprit de service, défense des petits, attente du Royaume de Dieu d’un côté, et exactement l’inverse de l’autre…

Tant d’autres facteurs peuvent séparer ceux qui s’aiment ! La différence de maturité, ou la maturité tardive par exemple : beaucoup ne deviennent vraiment adultes, conscients de leurs désirs et de leur personnalité, qu’après la trentaine. Or la vie en couple commence d’autant plus tôt que la maturité arrive plus tard : il est logique que les séparations soient très fréquentes dans les dix premières années de vie commune. De même, une forte proportion des nouveaux baptisés adultes abandonne en pratique l’Église dans les dix premières années après leur baptême. On pourrait citer encore le poids des familles, l’idéologie ambiante donnant tous les droits à la revendication strictement individuelle, le relativisme généralisé qui fait que tout se vaut même en matière familiale etc.

Décidément, le constat désabusé de Léo Ferré est peut-être en deçà de la réalité : avec le temps, un couple sur deux s’autodétruira, sans garantie de qualité ni de durée pour les survivants…

Il y a un petit parfum de Qohélet dans cette litanie des effets du temps sur l’amour ou sur la foi : « vanité des vanités, tout est vanité ». Pourtant, si Jésus est réaliste dans sa parabole du maître absent longtemps, ce n’est pas pour désespérer ses disciples. C’est pour les avertir : lorsque ces événements arriveront, courage, relevez la tête, ne vous laissez pas abattre !

De fait, dans l’histoire, à chaque fois que l’usure du temps a fait chuter l’Église, des réactions salutaires ont permis au Peuple de Dieu de ne pas sombrer avec l’infidélité du moment.

Le Veau d'Or : Ex 32-34- Au désert pendant l’Exode, alors que Moïse tardait à descendre de la montagne où il était parti chercher les 10 commandements (l’usure du temps), le peuple s’est fondu un veau d’or, retrouvant ainsi l’idolâtrie. Moïse, de colère, a brisé les tables de la Loi, et obligé les Hébreux à boire l’or fondu de l’idole. Mais ensuite il a intercédé pour eux et obtenu les nouvelles tables de la Loi, de faire jaillir l’eau du rocher ou de guérir des serpents grâce au serpent de bronze. Finalement, l’impatience du peuple aura engendré la tradition orale (les tables brisées), le ministère de Moïse, d’Aaron et des 70, les 40 ans de maturation au désert etc. Pas si mal !

- Israël s’est ensuite installé en Canaan en oubliant progressivement (l’effet du temps toujours) que cette terre lui avait été donnée par Dieu pour le servir. Le peuple a voulu croire que cette terre, il l’avait conquise par ses seules forces et son mérite pour s’enrichir et dominer sur ses voisins. Le conflit israélo-palestinien ne date pas de 1948…
La tentation d’être « une nation comme les autres » a fait surgir l’envie de royauté (alors que YHWH seul est roi sur Israël), d’un Temple magnifique à Jérusalem (alors que le vrai sanctuaire de Dieu, c’est nous) où l’on peut mettre la main sur Dieu grâce aux sacrifices d’animaux (or le vrai sacrifice, c’est un cœur brisé par le repentir) etc. La réaction divine à cette tentation d’installation temporelle d’Israël sur sa terre a d’abord été l’appel des prophètes qui ont osé critiquer ouvertement – à leurs dépens – les dérives royales et sacerdotales. Les livres prophétiques de la Bible témoignent de la pédagogie divine : inlassablement, il envoie ses serviteurs rappeler l’Alliance, la Torah, l’amour de Dieu. Lorsque cette litanie interminable de prophètes se révèle finalement inefficace, Dieu se résout (c’est du moins l’interprétation biblique) à la catastrophe de l’Exil à Babylone en -587, avec la déportation du roi Sédécias et la destruction du Temple de Jérusalem. Il faudra à nouveau de longues années de réflexion en exil, et des prophètes comme Isaïe ou Osée, pour que le retour devienne possible, avec une réforme religieuse de grande ampleur pour revenir à l’Alliance du Sinaï. Hélas, quelques siècles après, (l’effet du temps encore) les Romains achèveront de ruiner l’État d’Israël et disperseront le peuple dans tout l’empire.

L’histoire de l’Église (des Églises !) n’échappe pas à cette usure du temps et aux réactions salutaires qui heureusement la rénovent périodiquement.

Vieille église délabrée du 17ème siècle Banque d'images - 14204713- Dès la fin des persécutions, avec l’empereur Constantin, l’Église s’installe dans le pouvoir politique, la possession des richesses, le baptême de convenance.
Heureusement, des figures extraordinaires ont protesté contre ce glissement ecclésial vers le temporel et dénoncé ses excès. Ce sont les ermites, ceux qu’on appelle les Pères du désert : fuyant au désert en Égypte ou ailleurs, ils mènent une vie simple, pauvre, fraternelle, dans la contemplation et la louange, tout en ayant un immense rayonnement intellectuel et spirituel.

- Du III° siècle au Moyen Âge, les séparations vont se succéder, comme dans un couple moderne ! Les hérésies des premiers siècles ont largement déchiré l’unité ecclésiale du début. Le schisme Orient – Occident de 1054 aura des conséquences dramatiques pour les chrétiens d’Orient face à l’islam notamment. Le schisme d’Occident autour de Luther et de sa réforme au XVI° siècle fera couler le sang et la division dans toute l’Europe, en contradiction flagrante avec l’Évangile dont chaque Église se réclame.
Heureusement, le mouvement œcuménique né au XX° siècle entreprend de réparer patiemment ces déchirures : les excommunications réciproques sont levées, des avancées sans précédent sont conclues, du mariage mixte à une traduction commune de la Bible en passant par la reconnaissance du baptême de chaque Église etc.

Avec le temps... dans Communauté spirituelle Francois-va-224x300- Régulièrement, l’Église (les Églises) s’est assoupie au fil des siècles, s’embourbant dans l’argent, le pouvoir, le sexe. En France, l’anticléricalisme se nourrit toujours de siècles d’exploitation du peuple par les clercs, des abus de richesse et de domination de la part des évêques ou des abbés des monastères.
Heureusement, des réformateurs se sont régulièrement levés pour purifier l’Église (les Églises) en revenant à la radicalité de l’Évangile. Ainsi les béguines dans le nord de l’Europe ont inventé dès le XII° siècle une vie fraternelle dont l’indépendance féminine était novatrice. François d’Assise au XIII° siècle a été le pacificateur de l’Europe du Sud en adoucissant le capitalisme naissant grâce à ses communautés franciscaines simples et pauvres, et en prêchant le retour à l’Évangile dans une Église corrompue. Les religieuses ont anticipé le service des malades, des enfants, des vieillards que la république laïque reprendra et prolongera. Les figures de sainteté se sont multipliées, particulièrement en France, corrigeant les dérives ecclésiales grâce à leurs choix de vie évangélique, enthousiasmant des croyants comme au début de l’aventure avec le Christ.

Réparons l’Église : prenez la parole

Que retenir de cette comparaison entre l’usure de l’amour dans un couple et dans l’Église ?

1. Le premier élément encourageant est que chaque abus ou dérive a provoqué une réaction salutaire proportionnée. Soyons donc fermes dans notre foi : Dieu n’abandonne pas son peuple à ses contradictions, il l’accompagne en suscitant sans cesse les prophètes, les saints, les réformateurs dont nous avons besoin pour surmonter les crises et aller de l’avant.

2. Le deuxième élément encourageant est que le retour à l’Évangile constitue toujours l’élément structurant de la réponse à l’usure du temps. C’est en revenant à la pauvreté, la fraternité, à l’espérance incarnée par le Christ que l’Église, son épouse, a été profondément rajeunie et renouvelé lors des mues de son histoire.

Prenons ces deux points pour nous pareillement :

- ne pas douter que chaque crise due au temps qui passe (que ce soit dans le couple, la famille ou la foi) générera pour moi son antidote ;

- revenir régulièrement à l’Évangile, seul garant de la fidélité à l’amour des origines.

Alors le triste constat de Léo Ferré se changera en chant d’espoir d’Apocalypse : « un jour, Dieu sera tout en tous ».

 

Lectures de la messe

Première lecture
« En même temps que tu frappais nos adversaires, tu nous appelais à la gloire » (Sg 18, 6-9)

Lecture du livre de la Sagesse

La nuit de la délivrance pascale avait été connue d’avance par nos Pères ; assurés des promesses auxquelles ils avaient cru, ils étaient dans la joie. Et ton peuple accueillit à la fois le salut des justes et la ruine de leurs ennemis. En même temps que tu frappais nos adversaires, tu nous appelais à la gloire. Dans le secret de leurs maisons, les fidèles descendants des justes offraient un sacrifice, et ils consacrèrent d’un commun accord cette loi divine : que les saints partageraient aussi bien le meilleur que le pire ; et déjà ils entonnaient les chants de louange des Pères.

Psaume
(Ps 32 (33), 1.12, 18-19,20.22)
R/ Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu.
(Ps 32, 12a)

Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes !
Hommes droits, à vous la louange !
Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu,
heureuse la nation qu’il s’est choisie pour domaine !

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

Deuxième lecture
« Abraham attendait la ville dont le Seigneur lui-même est le bâtisseur et l’architecte » (He 11, 1-2.8-19)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, la foi est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas. Et quand l’Écriture rend témoignage aux anciens, c’est à cause de leur foi.
Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait.
Grâce à la foi, il vint séjourner en immigré dans la Terre promise, comme en terre étrangère ; il vivait sous la tente, ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers de la même promesse, car il attendait la ville qui aurait de vraies fondations, la ville dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l’architecte.
Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses. C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable.
C’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses, qu’ils sont tous morts ; mais ils l’avaient vue et saluée de loin, affirmant que, sur la terre, ils étaient des étrangers et des voyageurs. Or, parler ainsi, c’est montrer clairement qu’on est à la recherche d’une patrie. S’ils avaient songé à celle qu’ils avaient quittée, ils auraient eu la possibilité d’y revenir. En fait, ils aspiraient à une patrie meilleure, celle des cieux. Aussi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu, puisqu’il leur a préparé une ville.
Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et entendu cette parole : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom. Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration.

Évangile
« Vous aussi, tenez-vous prêts » (Lc 12, 32-48)
Alléluia. Alléluia.
Veillez, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y pensez pas que le Fils de l’homme viendra. Alléluia. (cf. Mt 24, 42a.44)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur n’approche pas, où la mite ne détruit pas. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir. S’il revient vers minuit ou vers trois heures du matin et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure le voleur viendrait, il n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. » Pierre dit alors : « Seigneur, est-ce pour nous que tu dis cette parabole, ou bien pour tous ? » Le Seigneur répondit : « Que dire de l’intendant fidèle et sensé à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! Vraiment, je vous le déclare : il l’établira sur tous ses biens. Mais si le serviteur se dit en lui-même : ‘Mon maître tarde à venir’, et s’il se met à frapper les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des infidèles. Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’a rien préparé et n’a pas accompli cette volonté, recevra un grand nombre de coups. Mais celui qui ne la connaissait pas, et qui a mérité des coups pour sa conduite, celui-là n’en recevra qu’un petit nombre. À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. » Patrick BRAUD

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