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17 février 2019

Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel

Homélie pour le 7° dimanche du temps ordinaire / Année C
24/02/2019

Cf. également :

Boali, ou l’amour des ennemis
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Pardonner 70 fois 7 fois

« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. »

Avec ce commandement de l’amour des ennemis (Lc 6, 27-38), nous sommes au cœur du christianisme. « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger. S’il a soif, donne-lui à boire. Par-là, ce sera comme si tu lui mettais des charbons ardents sur la tête » (Rm 12,20).

Aucune morale ne s’est jamais structurée autour d’un tel impératif. Aucune doctrine philosophique n’a formulé ce genre de conseil. Aucune sagesse d’Orient ou d’Occident n’a prôné cet amour-là, qui semble injuste, contradictoire et impossible. Le Premier Testament l’a maintes fois approché, même s’il est rempli de batailles meurtrières où exterminer son ennemi semblait rendre gloire à Dieu. Notre première lecture (1S 26,2 23) ne nous montre-t-elle pas David épargnant Saül qui était à portée de sa lance ? Et d’autres passages vont également dans ce sens :

« Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère… car je suis Dieu et non pas homme » (Os 11,9).
« Dieu ne nous traite pas selon nos péchés, ne nous rend pas selon nos fautes » (Ps 103,10).
« Le roi d’Israël dit à Elisée (en voyant ses ennemis à sa merci) :  » Mon père ! dois-je les tuer ?  » Il répondit:  » Ne les tue pas! As-tu l’habitude de tuer ceux que tu fais prisonniers avec ton épée ou avec ton arc ? Sers-leur du pain et de l’eau; qu’ils mangent et boivent et qu’ils s’en aillent vers leur maître.  » Le roi leur fit servir un grand repas; ils mangèrent et ils burent. Puis il les congédia et ils s’en allèrent vers leur maître. Les bandes araméennes cessèrent leurs incursions en terre d’Israël. » (2R 6, 8-23)

Jésus dans l’évangile de Luc en fait le texte clé de notre ressemblance divine [1] : « soyez parfaits que votre père céleste est parfait ». Or Dieu fait pleuvoir sur les bons comme sur les méchants, et lui le premier aime ceux qui le haïssent, car sa nature – elle – émet sans limitation, sans condition.

Aimer ses ennemis n’est pas une affaire de sentiment. « Heureusement que Jésus ne m’a pas demandé de trouver mon ennemi sympathique. Je ne peux pas trouver sympathique celui qui envoie ses chiens sur moi et détruit ma maison. En revanche, je peux l’aimer », confait Martin Luther King avec un brin d’humour…

Alors, comment faire pour entendre cet appel à aimer ceux qui me veulent et me font du mal ?
Explorons cinq étapes qui balisent ce chemin, cet anti-parcours du combattant en quelque sorte.

 

1. Inquiétez-vous si vous pensez ne pas avoir d’ennemis !

Si c’est le cas, soit vous êtes naïfs et aveugles, refusant de constater que certains ne vous aiment pas et ne cherchent qu’à vous nuire, soit vous menez une vie tellement lisse qu’elle ne dérange plus personne.

Dans le premier cas, votre désillusion sera grande lorsque surgiront de l’ombre les attaques, les coups bas, les mépris que vous ne vouliez pas imaginer.

Le second cas est plus grave encore ! Si vous ne dérangez jamais les intérêts des puissants, si vous n’avez nul conflit avec l’injustice, si vous êtes aussi transparents qu’une goutte d’eau dans l’océan, alors la foi chrétienne n’est sûrement pas le moteur de notre existence. Jésus le savait d’expérience, voyant ceux de ses concitoyens qui cherchaient à se faufiler au milieu des controverses de l’époque sans prendre de coups : « Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous !  C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes » (Lc 6,26). Des chrétiens ne suscitant pas d’opposition risquent fort d’être devenus le sel si fade dont parle Jésus qu’on le jette dehors pour le piétiner car il ne sert plus à rien : « Oui, c’est une bonne chose que le sel. Mais si le sel lui-même perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il n’est bon ni pour la terre, ni pour le fumier; on le jette dehors. Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende » (Luc 14,34-35). Que ce soit sur des questions de société comme le respect de toute vie du commencement à la fin, la dignité des plus pauvres, la priorité à donner au bien commun sur les intérêts particuliers etc. ou sur des questions plus individuelles (pardonner  70 fois 7 fois, aimer ses ennemis etc.), il serait contre nature que l’Évangile ne provoque pas discussions, oppositions, et le plus souvent violences et persécutions. C’est d’ailleurs le risque de la petite minorité chrétienne en Europe : se replier sur un christianisme réduit au bien-être, au développement personnel, aux thérapies en tout genre centrées sur le ‘moi’, évitant soigneusement tout point de friction sociale ou idéologique.

Être levain dans la pâte demande de la soulever, avec force et puissance. Sinon ce n’est plus que de la poussière sans effet sur le pain. Or cela ne se fait pas sans générer des résistances !

Ne pas avoir d’ennemis est un symptôme d’insignifiance. Si nous ne suscitons que de l’indifférence polie (ou de la curiosité qu’on accorde aux choses folkloriques), alors c’est que nous avons trahi la grande espérance incarnée par le Christ d’un monde différent où le mal serait vaincu.

Inquiétez-vous donc si vous ne vous connaissez pas d’ennemis ! Mais ne vous réjouissez pas trop vite si vous en avez ! Car il faut encore vérifier que c’est bien à cause de l’Évangile, sinon ce ne serait que des querelles ordinaires trop humaines. Certains leaders politiques n’existent qu’en créant des adversaires qui légitiment ainsi leur combat. Ne fabriquons pas des ennemis pour exister ! Mais acceptons que les choix inspirés par notre attachement au Christ nous vaillent des inimitiés, des obstacles, des oppositions violentes. C’est le contraire qui serait étonnant, et à vrai dire mauvais signe.

 

2. Refuser de haïr ses ennemis

Ainsi donc nous aurons des ennemis, petits ou grands, à la mesure de la vive flamme d’amour qui nous brûle. Qu’en faire ? Le ressentiment naturel serait de leur rendre la pareille. Puisqu’ils nous haïssent, nous trouvons juste et légitime de faire de même. Le piège de la ressemblance se referme alors sur nous : plus nous haïssons nos ennemis, plus nous leur devenons semblables. Ceux qui voulaient ‘casser du Boche’ en 14-18 n’étaient pas meilleurs que leurs agresseurs à casque à pointe. Même la haine antinazie en 1945 a sali la joie de la Libération par des actes innommables longtemps occultés par les vainqueurs.

La haine nous avilit, et nous rabaisse au même rang que nos agresseurs. Or nous pouvons la refuser. Il est en notre pouvoir de décider de ne pas haïr, car c’est un sentiment qui s’entretient : ne pas le nourrir, c’est le faire dépérir à coup sûr.

Vous n'aurez pas ma haineSouvenons-nous de ce message sur Facebook (qui est devenu un livre et une pièce de théâtre) d’un jeune époux et père de famille après les attentats du Bataclan à Paris en 2015 : « vous n’aurez pas ma haine ». Antoine Leiris a perdu sa femme adorée sous les balles des islamistes. Il pourrait légitimement être ivre de colère et de rage. Mais le mal aurait gagné deux fois : en supprimant des êtres chers et en le rendant semblable à ces bourreaux.

« Vendredi soir vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils, mais vous n’aurez pas ma haine. Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes. Si ce dieu pour lequel vous tuez aveuglément nous a fait à son image, chaque balle dans le corps de ma femme aura été une blessure dans son cœur.
Alors non je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère, ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu. Même joueur joue encore. »

Jésus a choisi de ne pas haïr, ni Judas qui le livre, ni les soldats qui le giflent et l’humilient, ni les pharisiens avec qui il est en conflit ouvert, ni ceux qui voulaient le lapider à Nazareth, ni la foule criant ‘Barabbas’ après ‘Hosannah’ etc. En cela également il était Fils de son Père, désirant que les méchants se convertissent et non qu’ils meurent, guettant le fils prodigue de très loin avant même qu’il ait retourné sur ses pas.

Les premiers disciples de Jésus disaient non à la guerre et au service militaire, les considérant comme incompatibles avec l’éthique d’amour de Jésus et avec l’injonction d’aimer ses ennemis. On demandait même aux futurs baptisés de quitter le métier des armes si c’était le leur avant…

 

3. Priez pour nos ennemis

Aimer ceux qui nous font du mal, ce n’est certes pas éprouver de l’affection pour eux, les trouver ‘sympathiques’ comme disait Martin Luther King. C’est plutôt les confier à Dieu, sachant que lui a le pouvoir de faire surgir des enfants d’Abraham à partir des pierres que voici (Mt 3,9). Nous ne savons pas ce qui est le mieux pour eux. Nous sommes incapables d’en prendre soin comme Dieu le fait. Mieux vaut humblement reconnaître - surtout quand la colère est à son apogée avec le mal subi - que nous sommes impuissants à leur faire du bien, à les changer ; mieux vaut les remettre avec confiance entre les mains de Dieu qui saura bien trouver les médiations pour toucher leur cœur, ou faire sortir de ce mal un bien plus grand encore.

Le Père Christian de Chergé./Illustration Dominique Bar pour La CroixSouvenons-nous de la prière de frère Christian de Chergé, juste avant que des assassins (non encore formellement identifiés) viennent couper les têtes des sept moines en Algérie :

« Cette vie perdue totalement mienne et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô mes amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis ! Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet « À-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.
AMEN ! Inch’Allah ! »
Alger, 1
er décembre 1993 / Tibhirine, 1er janvier 1994

Exercez-vous à prier pour vos ennemis. Visualisez tel visage de quelqu’un qui vous a fait ou vous fait du mal. Confiez-le à Dieu et laisser l’amour de Dieu s’en charger, vous libérant ainsi de ce poids de haine qui aurait empoisonné votre vie. Prier pour l’autre n’est pas approuver ce qu’il a fait, mais souhaiter pour lui un avenir meilleur. Dieu devient ainsi le plus court chemin de réconciliation entre ceux que tout oppose actuellement.

 

4. Pardonnez à nos ennemis

« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34).

Si nos ennemis savaient vraiment le mal commis, ils reculeraient, effrayés et horrifiés de leurs actes. Hannah Arendt a bien pointé que seule la « banalité ordinaire du mal » permettait à des nazis cultivés de jouer du Mozart à côté des baraques d’Auschwitz. Se reconnaître pécheurs est une révélation : nous l’esquivons tant de fois pour nous-mêmes que nous devrions le comprendre chez nos adversaires. Pardonner à ses ennemis, c’est imiter Dieu ou plutôt retrouver son image et sa ressemblance au plus profond de nous. C’est enlever le dard du ressentiment qui lentement inocule son désespoir dans nos veines depuis la blessure infligée par l’ennemi.

Joseph a embrassé ses frères qui pourtant l’avaient trahi :

«  »Je suis Joseph votre frère, dit-il, moi que vous avez vendu en Égypte ». […]
Il se jeta au cou de son frère Benjamin en pleurant et Benjamin pleura à son cou. Il embrassa tous ses frères et les couvrit de larmes, puis ses frères s’entretinrent avec lui. » (Gn 45, 13-15)

Puis Joseph a pardonné à ses frères leur jalousie qui les avait amenés à le vendre comme esclave :
« Voyant que leur père était mort, les frères de Joseph se dirent: « Si Joseph allait nous traiter en ennemis et nous rendre tout le mal que nous lui avons causé ! » Ils demandèrent à Joseph: « Ton père a donné cet ordre avant sa mort : Vous parlerez ainsi à Joseph : « De grâce, pardonne le forfait et la faute de tes frères. Certes, ils t’ont causé bien du mal mais, de grâce, pardonne maintenant le forfait des serviteurs du Dieu de ton père. « Quand ils lui parlèrent ainsi, Joseph pleura. Ses frères allèrent d’eux-mêmes se jeter devant lui et dirent: « N
Forgivenous voici tes esclaves! » Joseph leur répondit: « Ne craignez point. Suis-je en effet à la place de Dieu ? Vous avez voulu me faire du mal, Dieu a voulu en faire du bien : conserver la vie à un peuple nombreux comme cela se réalise aujourd’hui. Désormais, ne craignez pas, je pourvoirai à votre subsistance et à celle de vos enfants. » Il les réconforta et leur parla cœur à cœur. »
Dieu peut donc transformer le mal commis par des ennemis en un bien plus grand encore !

Allez voir au cinéma le film Forgiven avec Forest Whitaker qui vient de sortir en 2019.
En 1994, à la fin de l’apartheid, Nelson Mandela nomme l’archevêque Desmond Tutu président de la commission « Vérité et réconciliation » : aveux contre rédemption. Il se heurte le plus souvent au silence d’anciens tortionnaires. Jusqu’au jour où il est mis à l’épreuve par Piet Blomfield, un assassin condamné à perpétuité. Desmond Tutu se bat alors pour retenir un pays qui menace de se déchirer une nouvelle fois. Il sait que seul le pardon permettra de vivre à nouveau ensemble, à condition que le mal soit désarmé…

 

5. Laisser Dieu aimer nos ennemis en nous

Finalement, l’amour des ennemis est impossible et surhumain. Il l’est tant que nous pensons y parvenir par nos seules forces. Ce qu’il y a d’inouï dans l’Évangile, c’est que cet amour des ennemis est central (contrairement aux autres religions et sagesses) et qu’il nous est donné. Il ne s’obtient pas par l’ascèse, ni par le perfectionnement de soi, ni par un effort moral ou un progrès philosophique. C’est pour cela que ces étapes constituent un anti-parcours spirituel, car c’est Dieu qui le fait en nous et non l’inverse.

Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel dans Communauté spirituelle CTO11-Lapinbleu330C-Ga2_20L’amour des ennemis est un don de l’Esprit de Dieu agissant en nous. Il est à accueillir, suite à l’union au Christ miséricordieux : « je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). Paul comme Pierre en prison se sont défendus avec vigueur et ont refusé l’injustice, mais ils ont aimé leur geôliers jusqu’à leur ouvrir le chemin du salut, et leurs bourreaux jusqu’à intercéder pour eux.

Plus notre communion au Christ vainqueur du mal par l’amour sera intense, plus il nous sera facile de le laisser pardonner, prier, conjurer la haine en nous. L’amour des ennemis ne relève pas du droit, ni de la morale, mais de la vie spirituelle au sens le plus fort, le plus mystique du terme. Si nous n’adoptons pas le point de vue de Dieu jusqu’à devenir « participants de sa nature divine » (2P 1,4), comment reconnaître en tout ennemi un frère, une providence, une promesse ?

 


[1]. Pour Jean, c’est plutôt l’amour mutuel au sein de la communauté : « à ceci on vous reconnaîtra pour mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,35). Est-ce parce qu’en 90 les persécutions romaines et juives étaient plus violentes ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur » (1 S 26, 2.7-9.12-13.22-23)

Lecture du premier livre de Samuel

 En ces jours-là, Saül se mit en route, il descendit vers le désert de Zif avec trois mille hommes, l’élite d’Israël, pour y traquer David. David et Abishaï arrivèrent de nuit, près de la troupe. Or, Saül était couché, endormi, au milieu du camp, sa lance plantée en terre près de sa tête ; Abner et ses hommes étaient couchés autour de lui. Alors Abishaï dit à David : « Aujourd’hui Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Laisse-moi donc le clouer à terre avec sa propre lance, d’un seul coup, et je n’aurai pas à m’y reprendre à deux fois. » Mais David dit à Abishaï : « Ne le tue pas ! Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ? » David prit la lance et la gourde d’eau qui étaient près de la tête de Saül, et ils s’en allèrent. Personne ne vit rien, personne ne le sut, personne ne s’éveilla : ils dormaient tous, car le Seigneur avait fait tomber sur eux un sommeil mystérieux. David passa sur l’autre versant de la montagne et s’arrêta sur le sommet, au loin, à bonne distance. Il appela Saül et lui cria : « Voici la lance du roi. Qu’un jeune garçon traverse et vienne la prendre ! Le Seigneur rendra à chacun selon sa justice et sa fidélité. Aujourd’hui, le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur. »

Psaume
(Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13)
R/ Le Seigneur est tendresse et pitié.
(Ps 102, 8a)

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

Aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés ;
comme la tendresse du père pour ses fils,
la tendresse du Seigneur pour qui le craint !

Deuxième lecture
« De même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel » (1 Co 15, 45-49)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, l’Écriture dit : Le premier homme, Adam, devint un être vivant ; le dernier Adam – le Christ – est devenu l’être spirituel qui donne la vie. Ce qui vient d’abord, ce n’est pas le spirituel, mais le physique ; ensuite seulement vient le spirituel. Pétri d’argile, le premier homme vient de la terre ; le deuxième homme, lui, vient du ciel. Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel. Et de même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel.

Évangile
« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 27-38)
Alléluia. Alléluia.
Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.
Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »

Patrick BRAUD

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10 février 2019

Les malheuritudes de Jésus

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Les malheuritudes de Jésus


Homélie pour le 6° dimanche du temps ordinaire / Année C
17/02/2019

 Cf. également :

Le bonheur illucide
Aimer Dieu comme on aime une vache ?
La « réserve eschatologique »

Comment peut-on dire à quelqu’un : « malheur à toi ? » Ou pire encore : « maudit sois-tu ! » Nous sommes (relativement) à l’aise avec les quatre béatitudes de Luc dans l’Évangile aujourd’hui (Lc 6, 17.20-26). Mais on passe souvent sous silence les quatre « malheuritudes » (néologisme pour désigner le contraire des béatitudes) qui suivent : « malheur à vous les riches ! à vous riez ! à vous qui êtes repus ! à vous dont tout le monde dit du bien ! » Or la conception du texte montre que ces quatre déclarations de malheur, exactement symétrique des quatre béatitudes, sont nécessaires à l’ensemble pour qu’il y ait une alternative, un choix possible. C’est parce que cette version de Luc est plus dure, plus difficile à porter qu’elle est moins populaire que celle de Matthieu, avec ses huit belles et amples béatitudes sans contrepartie (Mt 5, 1-11). Or l’Évangile de Luc est à juste titre surnommé « l’Évangile de la miséricorde » : y aurait-il contradiction ?

Les malheuritudes de Jésus dans Communauté spirituelle 20080901173755_image_aujourdhuiSi on ne peut enlever ces lignes de Luc, c’est donc que déclarer « malheur ! » à quelqu’un fait partie intégrante de notre fonction prophétique d’aujourd’hui, et de la miséricorde que nous devons à notre époque. Sans tomber dans l’excès où nous ne deviendrions plus que des prophètes de malheur, il nous appartient de prendre au sérieux le tragique de l’existence, d’avertir quelqu’un/un groupe/un peuple du malheur qui va fondre sur lui s’il ne change rien. Car béatitudes et malheuritudes ne sont pas des récompenses ni des sanctions : ce sont des constats. Si vous êtes riches, vous avez déjà votre consolation : l’avenir ne vous apportera rien, votre malheur en sera immense. Si vous êtes repus alors que les autres ont faim, vous vous excluez vous-même de la table commune à laquelle tous seront invités. Si vous riez – et c’est souvent aux dépens des autres – vous endurcissez votre cœur en ne ressentant plus de compassion, et vous vous préparez un avenir glacé, amputé de la joie de communier aux autres. Si vous recherchez la renommée, la gloire, l’adulation, vous n’aurez plus la force de contrarier les puissants, de dénoncer les tyrans, de contester les injustices ; vous serez comme les faux prophètes n’annonçant aux princes que ce que les princes ont envie d’entendre…

François Clavairoly, Président de la Fédération protestante de France, fait ainsi le diagnostic du malheur qui s’abat sur Judas après la Cène :

autun-cap017-t béatitude dans Communauté spirituelle« De même, Judas, dans le récit de l’évangile, n’est condamné par quiconque. À l’inverse de Pierre qui n’est pas pris de remord alors qu’il vient sans vergogne de renier son maitre, Judas veut revenir sur sa décision et rendre l’argent de la trahison, il veut faire marche arrière, mais il ne se pardonnera pas son geste ni n’attendra aucun pardon et il se perdra lui-même. Judas est plongé, piégé lui-aussi  dans son malheur, et il s’y noiera, comme Jésus l’avait pressenti  au moment du dernier repas en disant, sans le nommer, d’ailleurs : « Malheur à cet homme par qui le Fils de l’homme est livré ! Mieux eût-il  valu pour lui qu’il ne fût pas né, cet homme-là »

Le suicide est un geste, comme je le disais, placé sous le signe du malheur. Non pas de la malédiction, car alors Dieu prononcerait un verdict de jugement,  mais, pour employer un mot qui n’existe pas et qui dit exactement l’inverse de la béatitude, Judas est sous l’emprise d’une « malheuritude » qui l’enferme et il se perd lui-même, seul, dans sa propre nuit d’une responsabilité trop lourde à porter et que personne ne veut partager autour de lui. » [1]

Dire « malheur à vous ! » est dans la bouche de Jésus un acte d’amour : c’est l’avertissement – porteur de salut – que la voie choisie par certains est une forme de suicide, une impasse, et ne peut que les mener au malheur.

vanner%2B2 malheurJérémie pratiquait cette arme prophétique (première lecture : Jr 17,5-8) : « maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel tandis que son cœur se détourne du Seigneur : il ne verra pas venir le bonheur ». Transposez cette remarque à la construction européenne par exemple, et vous aurez une idée des ennuis qui vont vous tomber dessus comme ils ont plu sur Jérémie…

Le psaume 1 reprend cette même pédagogie de l’avertissement : « les méchants sont comme de la paille balayée par le vent ; leur chemin se perdra ». C’est là encore un constat désolé et non une condamnation. C’est l’adolescent délinquant qu’on secoue par les épaules avec amour pour lui dire : « réveille-toi, tu es en train de te perdre toi-même ». C’est l’ami confident qui ose reprocher à son ami ses infidélités conjugales, faute de quoi sa famille va dans le mur. C’est plus trivialement le panneau : « attention danger ! » avec une tête de mort qui avertit le promeneur trop curieux qu’il entre dans une zone militaire, un générateur haute tension ou une route effondrée, avec beaucoup de risques et de périls. Ce sont les phrases et photos terribles sur les paquets neutres de cigarettes : « fumer tue ». Et Paul dans la deuxième lecture  (1 Co 15, 12-20) avertit les Corinthiens baptisés : « si nous avons mis cet espoir dans le Christ pour cette vie-ci seulement, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes ». Rétrécir l’espérance chrétienne au bien-être dans cette vie-ci nous empêche finalement d’accueillir la vie éternelle promise en Christ au-delà de la mort.

« Malheur à vous… » : Luc et Matthieu sont d’ailleurs spécialistes de cette formule-choc destinée à sortir l’aider de sa torpeur spirituelle, de sa complicité avec le mal.

Mais malheureux êtes-vous, Pharisiens, vous qui versez la dîme de la menthe, de la rue et de tout ce qui pousse dans le jardin, et qui laissez de côté la justice et l’amour de Dieu. C’est ceci qu’il fallait faire, sans négliger cela.
Malheureux êtes-vous, Pharisiens, vous qui aimez le premier siège dans les synagogues et les salutations sur les places publiques.
Malheureux, vous qui êtes comme ces tombes que rien ne signale et sur lesquelles on marche sans le savoir.
Vous aussi, légistes, vous êtes malheureux, vous qui chargez les hommes de fardeaux accablants, et qui ne touchez pas vous-mêmes d’un seul de vos doigts à ces fardeaux.
Malheureux êtes-vous, légistes, vous qui avez pris la clé de la connaissance: vous n’êtes pas entrés vous-mêmes, et ceux qui voulaient entrer, vous les en avez empêchés. (Lc 11, 42-44.46.52)

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Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui versez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, alors que vous négligez ce qu’il y a de plus grave dans la Loi: la justice, la miséricorde et la fidélité; c’est ceci qu’il fallait faire, sans négliger cela.
Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui purifiez l’extérieur de la coupe et du plat, alors que l’intérieur est rempli des produits de la rapine et de l’intempérance.
Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui ressemblez à des sépulcres blanchis: au-dehors ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d’ossements de morts et d’impuretés de toutes sortes (Mt 23,22.25.27).

L’être humain est ainsi fait : si personne ne l’avertit à temps de ses dérives dangereuses, il est capable de s’enfermer lui-même dans un malheur sans fin. Il aurait fallu plus de ces prophètes de malheur pour empêcher la cupidité bancaire de déclencher la crise de 2008, pour détourner les musulmans de l’islamisme, pour éviter les explosions de colère des oubliés un peu partout en Europe…

crise-cac40-subprimes-2008 prophète

Au nom de notre vocation prophétique, nous ne pouvons pas renoncer à diagnostiquer et rendre public le malheur en train de préparer sa venue et sa domination.

Ce faisant, nous perdrons sans aucun doute l’estime de beaucoup. Nous serons peut-être haïs, insultés, méprisés – selon les mots des Jésus – car nous heurterons de front des intérêts et des idéologies extrêmement puissantes et répandues.

Ce faisant, nous découvrirons que les quatre béatitudes font système, comme hélas les quatre malheuritudes symétriques. Impossible en effet de résister aux attaques sans avoir un cœur de pauvre qui met son espérance en Dieu et non dans les mortels. Impossible de dénoncer l’injustice sans en payer le prix d’une manière ou d’une autre, sans éprouver la faim, sans pleurer devant le mal progressant sous nos yeux.

Le malheur déclaré à l’autre (« malheur à vous ! ») n’est jamais que l’heure du mal (mal-heur), la conséquence implacable de sa liberté humaine. Pourtant, par essence, cette déclaration est réversible : « si tu changes de voie, alors le malheur s’éloignera de toi ». Et par essence, cette déclaration témoigne de l’attachement à l’autre, sinon on laisserait se perdre en pensant : « bien fait pour lui, je m’en fiche ». Eh bien non ! Comme la correction fraternelle obligeant à révéler un péché à son frère, la malheuritude est le fruit d’un amour inquiet de la perdition de l’autre.

Comment retrouver aujourd’hui cette force de contestation prophétique ?

Peut-être en commençant par se l’appliquer à soi-même, à l’image de Paul : « malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! » (1Co 9,16). Chacun de nous peut décliner cette malheuritude pour lui-même : « malheur à moi si j’oublie ceci, si je m’éloigne de cela, si je deviens complice de…. »

mt14l2233webEnsuite, nous aurons besoin de nous enraciner longuement en Dieu avant de constater telle ou telle menace sur le bonheur humain. C’est après avoir descendu de la montagne que Jésus enseigne les foules : c’est donc que l’intimité avec Dieu (lors de sa solitude en montagne auparavant) nourrit sa parole démasquant les impasses malheureuses. À parler trop vite, nous risquerions de n’être le porte-voix que de notre ego ou de nos idéologies trop humaines. Sans cette intense fréquentation de l’Esprit de discernement, à travers la prière, l’étude biblique, le silence, l’écoute des événements, nous resterons prisonniers de ce que nous prétendons dénoncer.

Reste que le devoir d’annoncer l’Évangile, à temps et à contretemps, nous fera nous aussi comme le Christ proclamer : « malheur à vous si… », avec les conséquences que cela entraîne.

N’ayons pas peur d’assumer ce rôle prophétique, en politique ou en entreprise, entre voisins ou entre membres d’une association. Car notre bonheur est de voir l’autre (et nous-mêmes !) se détourner du malheur annoncé…

 


[1]. Cf. Le suicide : éléments de réflexion dans une perspective protestante (27 janvier 2016) :  http://www.protestants.org/index.php?id=34057#_msocom_1

 

 

Lectures de la messe

 Première lecture
« Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel. Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur » (Jr 17, 5-8)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Ainsi parle le Seigneur :
Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel, qui s’appuie sur un être de chair, tandis que son cœur se détourne du Seigneur. Il sera comme un buisson sur une terre désolée, il ne verra pas venir le bonheur. Il aura pour demeure les lieux arides du désert, une terre salée, inhabitable.
Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance. Il sera comme un arbre, planté près des eaux, qui pousse, vers le courant, ses racines. Il ne craint pas quand vient la chaleur : son feuillage reste vert. L’année de la sécheresse, il est sans inquiétude : il ne manque pas de porter du fruit.

Psaume
(Ps 1, 1-2, 3, 4.6)
R/ Heureux est l’homme qui met sa foi dans le Seigneur.
(Ps 39, 5a)

Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants,
qui ne suit pas le chemin des pécheurs,
ne siège pas avec ceux qui ricanent,
mais se plaît dans la loi du Seigneur
et murmure sa loi jour et nuit !

Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau,
qui donne du fruit en son temps,
et jamais son feuillage ne meurt ;
tout ce qu’il entreprend réussira.

Tel n’est pas le sort des méchants.
Mais ils sont comme la paille balayée par le vent.

Le Seigneur connaît le chemin des justes,
mais le chemin des méchants se perdra.

Deuxième lecture
« Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans valeur » (1 Co 15, 12.16-20)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, nous proclamons que le Christ est ressuscité d’entre les morts ; alors, comment certains d’entre vous peuvent-ils affirmer qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? Car si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans valeur, vous êtes encore sous l’emprise de vos péchés ; et donc, ceux qui se sont endormis dans le Christ sont perdus. Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. Mais non ! le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis.

Évangile
« Heureux les pauvres ! Quel malheur pour vous les riches ! » (Lc 6, 17.20-26)
Alléluia. Alléluia.
Réjouissez-vous, tressaillez de joie, dit le Seigneur, car votre récompense est grande dans le ciel.
Alléluia. (Lc 6, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus descendit de la montagne avec les Douze et s’arrêta sur un terrain plat. Il y avait là un grand nombre de ses disciples, et une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon.
Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes.
Mais quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »
Patrick BRAUD

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4 novembre 2018

Quelle est la vraie valeur de ce que nous donnons ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Quelle est la vraie valeur de ce que nous donnons ?

Homélie pour le 32° dimanche du temps ordinaire / Année B
11/11/2018

Cf. également :

Le Temple, la veuve, et la colère
Les deux sous du don…
Défendre la veuve et l’orphelin
De l’achat au don
Épiphanie : l’économie du don
Le potlatch de Noël

La SNSM de Saint-Tropez

Saint-Tropez pas inquiet pour ses yachtsCet été, le bateau de la Société Nationale des Sauveteurs en Mer (SNSM) est resté à quai à Saint-Tropez. Il lui manquait des pièces essentielles hors d’usage, et le budget pour les acquérir. Solidarité marine oblige, ils adressent une demande à chaque yacht du port, en se disant que le manque financier sera vite comblé grâce à eux. Ces yachts sont nombreux, et visiblement signes de grosses fortunes (un million d’euros par mètre environ…). Eh bien, croyez-le ou non, la SNSM n’a reçu aucun chèque de ces riches propriétaires, pas même une réponse. Les sauveteurs ont laissé éclater leur colère dans le journal local [1] : comment ? Nous sauvons des vies chaque année, nous secourons tous types de bateaux – dont les yachts – et personne ne nous donne un coup de pouce pour reprendre la mer ? Écœurant…

 

Les pauvres plus généreux que les riches ?

Voilà un fait divers qui ruine l’idée reçue selon laquelle les riches donnent plus volontiers que les pauvres. Bien d’autres études confirment cette tendance hélas.

- Aux Pays-Bas par exemple, une enquête de la Vrije Universiteit d’Amsterdam [2] montre que les riches donnent en valeur absolue bien plus d’argent pour des œuvres de bienfaisance que les pauvres. Mais en termes de pourcentage de leurs revenus, ce montant est plus faible que pour les personnes aux revenus plus modestes. Les personnes gagnant moins de 8000 € par an donnent ainsi en moyenne 2,45% de leurs revenus pour des œuvres séculières et 1,71% pour des œuvres à caractère religieux. Dans le groupe des revenus les plus élevés, soit plus de 48.000 euros par an, ces pourcentages s’élèvent à respectivement 0,87% et 0,77%. Les personnes pauvres sont relativement plus généreuses que les riches, conclut Pamala Wiepking, responsable de l’étude.

- À Londres, une autre étude a été menée sur les ressorts psychologiques du don. Des chercheurs de l’Université Queen Mary de Londres ont montré sur un panel de joueurs que les personnes gagnant plus d’argent sont moins enclines à donner que celles qui gagnent moins [3]. Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont proposé à des gens de jouer pour de l’argent. Au début de l’étude, on détermine le statut de chaque joueur : « les statuts élevés » et « les statuts bas ». Les premiers recevant plus d’argent au début de l’expérience que les seconds. Dans cette expérience, les « joueurs » doivent choisir quel montant ils veulent garder et combien ils donnent à un fonds commun. On distingue dans les riches ceux qui ont acquis cette richesse par hasard et ceux qui ont fait des efforts. Les chercheurs ont alors constaté lors de cette étude que les participants plus pauvres donnent plus au fonds commun que les plus riches. Et parmi les plus riches, ceux qui ont travaillé pour l’être donnent encore moins que ceux qui ont acquis leur richesse par hasard ou chance, comme si leur mérite les rendait plus durs envers les autres.

- En France également, si l’on compare les dons versés au revenu disponible par tranche d’âge, on constate que les plus jeunes (moins fortunés) sont plus généreux que les plus âgés :

Ventilation des donateurs et des montants de don moyen par tranche d’âges en 2016

Ventilation des dons 2016

Source : Direction générale des finances publiques. Traitement Recherches & Solidarités.
Lecture : Les donateurs de  moins de 30 ans représentent 4% du total des donateurs et déclarent ensemble 3% des dons. Sur 100 foyers fiscaux de moins de  30 ans, 3 déclarent un don, et le don moyen annuel correspondant est de 335 euros. Si l’on rapport e le montant moyen de ce don  au revenu moyen annuel de l’ensemble des contribuables de cette tranche d’âge, on obtient un  résultat de 2,4%.

- Le passage de l’ISF à l’IFI fragilise les dons

Les dons aux associations seraient en baisse de 50% depuis la suppression de l’ISF [4].
Depuis le remplacement de l’Impôt Sur la Fortune par l’Impôt sur la Fortune Immobilière (qui concerne moins de contribuables), les dons aux associations auraient diminué de 50% selon le président de France Générosités. Au total, le manque à gagner serait compris entre « 130 et 150 millions d’euros ». Il faut dire que le nombre de personnes assujetties à l’impôt sur la fortune était de 350.000 avant de tomber entre 150.000 et 180.000 lors du remplacement de l’ISF par l’IF. Or, les contribuables soumis à l’ISF, ou désormais à l’IFI, peuvent déduire de leur impôt jusqu’à 75% du montant des dons versés aux associations. C’est donc que fiscalité et générosité sont très liées…

- Inquiétude autour du prélèvement à la source.
Le passage au prélèvement à la source en Janvier prochain pourrait affecter à la baisse les dons aux associations. D’après le président de France Générations, « les dons qui résultent de l’impôt sur le revenu, c’est 2,6 milliards », soit bien plus que ceux résultant de l’Impôt sur la Fortune Immobilière. Or, le risque existe que les contribuables donateurs, voyant leur pouvoir d’achat baisser avec le passage au prélèvement à la source, se montrent moins généreux car ils ne récupéreront leur réduction d’impôt qu’au mois de septembre de l’année d’après.

On peut déduire de ces baisses de dons qu’un puissant moteur qui pousse les riches à donner est … de payer moins d’impôts !

D’ailleurs, de manière générale, notre don est rarement désintéressé : nous espérons toujours des remerciements, ou recevoir en retour, ou une bonne image auprès des autres, ou une bonne conscience vis-à-vis de nous-mêmes etc. Les vitraux des églises reconstruites après-guerre portant les mentions : « Don de la famille xxx » attestent de ce désir dérisoire de laisser une trace dans la mémoire collective du village, et une trace glorieuse bien sûr.
Au moins l’anonymat au Moyen-Âge (des artistes et des donateurs) évitait-il cet écueil…
Nous voulons le plus souvent reprendre d’une main ce que l’autre a donné !

 

Jésus sait discerner la vraie valeur du don

http://4.bp.blogspot.com/_cHz8Dt_DO4w/St1exfsPtXI/AAAAAAAAApE/PZ4WePwziC4/s320/la+pauvre+veuve+2.jpgDevant le Temple de Jérusalem, Jésus observe (Mc 12, 38-44) ; ses disciples également. Pierre et les Douze sont impressionnés par le cliquetis des pièces s’agglutinant dans l’entonnoir des vases destinés à la collecte. Les aumônes des riches font grand bruit. Ils en sont fiers. Les  disciples en sont tout émoustillés : quelle puissance que cette institution du Temple ! Quelle richesse que de pouvoir susciter des dons aussi importants et nombreux ! Qui d’entre nous ne s’est pas laissé éblouir par le clinquant de ces charités publiques, du Téléthon français aux fastueux banquets de lever de fonds américains pour associations  charitables ?

Jésus quant à lui garde la tête froide. Peut-être a-t-il fait le calcul du pourcentage de ce que représentent les pièces des riches par rapport à leurs revenus réels. Peut-être est-il gagné par une sourde colère – comme plus tard pour les marchands du Temple – en voyant que les pauvres sont contraints de donner eux aussi, et de leur nécessaire, pour un Temple de pierres bientôt détruit et inutile.

« Quand le pauvre donne au riche, le diable rit. »  (Proverbe provençal)
Jésus sait que le diable rit de l’obole de la veuve. Lui ne rit pas – il ne rit jamais d’ailleurs – mais voit un acte d’amour là où des militants dénonceront une soumission volontaire à des structures injustes. Sans s’arrêter aux apparences, il discerne dans les deux sous de cette pauvre femme une immense attente vis-à-vis de Dieu, et une confiance en lui sans calcul.

« Dieu ne regardera pas ce qu’on donne, mais de quel cœur on le donne » [5].

Savons-nous porter ce même regard sur la circulation de l’argent autour de nous ? Discerner les manipulateurs qui font sonner de la trompette lorsqu’ils donnent, en réalité très peu ? Ramener les dons de chacun à leur juste proportion, car « à celui qui a on demandera davantage » ? Valoriser les petits riens dans les chaînes de solidarité entourant les plus faibles…?

Nul n’est si pauvre qu’il ne puisse rien donner.

Jésus sait d’expérience que ceux qui ont été ou sont encore confrontés à la précarité, à l’écroulement d’une vie, à la survie grâce aux aides sociales ou privées, ceux-là connaissent dans leurs tripes la souffrance de leurs semblables. Et ils sont prêts à sacrifier de leur nécessaire pour que l’autre soit un peu moins dans la mouise.

Le Temple de Jérusalem sera détruit en 70 par l’empereur Titus. Le Temple du corps du Christ est debout depuis Pâques : il n’exige plus d’argent, il ne comptabilise plus la dîme. Au contraire, c’est lui qui donne : le pain de vie, la parole qui libère, le vin du Royaume, le pardon des péchés, la fraternité vécue… Donateur par essence et non collecteur, le nouveau Temple fait confiance en la capacité de chacun à faire fructifier le don reçu, et à  rendre quatre fois ce qui avait été dérobé auparavant (cf. Zachée).

La pauvre veuve ne le sait pas encore. Parce qu’elle donne de son nécessaire, Jésus voit en elle une sœur, sa sœur, prête à livrer sa vie entière par amour de Dieu.

La pointe de cet épisode évangélique n’est peut-être pas de donner davantage d’argent, mais de faire de notre vie une offrande spirituelle.

 

Le poète écrit ce que ses yeux ont su voir

Pour finir, revenons aux gens de la mer avec un extrait de la Légende des siècles de Victor Hugo. La dure condition des pêcheurs au XIX° siècle les rivait à une pauvreté matérielle normalement incompatible avec l’accueil de trop de bouches à nourrir. Or la voisine d’un couple de pêcheurs, mère seule avec deux petits, vient de mourir. Personne pour reprendre les deux enfants à charge. Hugo dépeint avec cœur la réaction du couple de pêcheurs d’à côté.

Nous pouvons devenir ce couple capable d’accueillir et de donner au-delà de ce qui est raisonnable.

Elle dit : « A propos, notre voisine est morte.
C’est hier qu’elle a dû mourir, enfin, n’importe,
Dans la soirée, après que vous fûtes partis.
Elle laisse ses deux enfants, qui sont petits.
L’un s’appelle Guillaume et l’autre Madeleine;
L’un qui ne marche pas, l’autre qui parle à peine.
La pauvre bonne femme était dans le besoin. »

Une famille malgache aidant  le père à porter son bateau pour aller pêcher. Photo prise par Rhett A. Butler.

L’homme prit un air grave, et, jetant dans un coin
Son bonnet de forçat mouillé par la tempête :
« Diable! diable! dit-il, en se grattant la tête,
Nous avions cinq enfants, cela va faire sept.
Déjà, dans la saison mauvaise, on se passait
De souper quelquefois. Comment allons-nous faire?
Bah! tant pis! ce n’est pas ma faute. C’est l’affaire
Du bon Dieu. Ce sont là des accidents profonds.
Pourquoi donc a-t-il pris leur mère à ces chiffons?
C’est gros comme le poing. Ces choses-là sont rudes.
Il faut pour les comprendre avoir fait ses études.
Si petits! on ne peut leur dire : Travaillez.
Femme, va les chercher. S’ils se sont réveillés,
Ils doivent avoir peur tout seuls avec la morte.
C’est la mère, vois-tu, qui frappe à notre porte;
Ouvrons aux deux enfants. Nous les mêlerons tous,
Cela nous grimpera le soir sur les genoux.
Ils vivront, ils seront frère et sœur des cinq autres.
Quand il verra qu’il faut nourrir avec les nôtres
Cette petite fille et ce petit garçon,
Le bon Dieu nous fera prendre plus de poisson.
Moi, je boirai de l’eau, je ferai double tâche,
C’est dit. Va les chercher. Mais qu’as-tu ? Ça te fâche ?
D’ordinaire, tu cours plus vite que cela.

— Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà ! »

(Victor Hugo, La Légende des siècles, 1859)

 


[5]. Saint Bède le Vénérable, commentaire de l’évangile selon saint Marc.

 


Lectures de la messe

Première lecture
« Avec sa farine la veuve fit une petite galette et l’apporta à Élie » (1 R 17, 10-16)

Lecture du premier livre des Rois

En ces jours-là, le prophète Élie partit pour Sarepta, et il parvint à l’entrée de la ville. Une veuve ramassait du bois ; il l’appela et lui dit : « Veux-tu me puiser, avec ta cruche, un peu d’eau pour que je boive ? » Elle alla en puiser. Il lui dit encore : « Apporte-moi aussi un morceau de pain. » Elle répondit : « Je le jure par la vie du Seigneur ton Dieu : je n’ai pas de pain. J’ai seulement, dans une jarre, une poignée de farine, et un peu d’huile dans un vase. Je ramasse deux morceaux de bois, je rentre préparer pour moi et pour mon fils ce qui nous reste. Nous le mangerons, et puis nous mourrons. » Élie lui dit alors : « N’aie pas peur, va, fais ce que tu as dit. Mais d’abord cuis-moi une petite galette et apporte-la moi ; ensuite tu en feras pour toi et ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre. » La femme alla faire ce qu’Élie lui avait demandé, et pendant longtemps, le prophète, elle-même et son fils eurent à manger. Et la jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur l’avait annoncé par l’intermédiaire d’Élie.

Psaume
(Ps 145 (146), 6c.7, 8-9a, 9bc-10)
R/ Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur !
(Ps 145, 1b)

Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.

Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

Deuxième lecture
« Le Christ s’est offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude » (He 9, 24-28)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, figure du sanctuaire véritable ; il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu. Il n’a pas à s’offrir lui-même plusieurs fois, comme le grand prêtre qui, tous les ans, entrait dans le sanctuaire en offrant un sang qui n’était pas le sien ; car alors, le Christ aurait dû plusieurs fois souffrir la Passion depuis la fondation du monde. Mais en fait, c’est une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice. Et, comme le sort des hommes est de mourir une seule fois et puis d’être jugés, ainsi le Christ s’est-il offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude ; il apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché, mais pour le salut de ceux qui l’attendent.

Évangile
« Cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres » (Mc 12, 38-44) Alléluia. Alléluia.

Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, dans son enseignement, Jésus disait aux foules : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes. Une pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie. Jésus appela ses disciples et leur déclara : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »

Patrick BRAUD

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29 octobre 2018

Conjuguer le verbe aimer à l’impératif

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Conjuguer le verbe aimer à l’impératif


Homélie pour le 31° dimanche du temps ordinaire / Année B
04/11/2018

Cf. également :

Simplifier, Aimer, Unir
J’ai trois amours
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Aime ton Samaritain !

Sans condition, ni délai
Boali, ou l’amour des ennemis
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?


« Tu aimeras » : que ce soit pour aimer Dieu, son prochain ou soi-même, Jésus use aujourd’hui d’un impératif catégorique qui devrait nous étonner :

En ce temps-là, un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » (Mc 12, 28b-34)

Conjuguer le verbe aimer à l'impératif dans Communauté spirituelle Lapinbleu323C-Dt6_51

N’y a-t-il pas en effet une contradiction dans les termes ? Interrogez vos proches, vos amis. Ils vous diront que l’amour est un sentiment, qu’on n’y peut rien lorsqu’il vous tombe dessus (d’ailleurs on « tombe » amoureux comme on tombait enceinte autrefois !), qu’il vaut mieux s’y résoudre en se séparant lorsqu’il s’absente etc. Cette conception moderne (à partir du 18° siècle) de l’amour-sentiment imprègne la littérature romantique et la philosophie des Lumières. Ainsi Emmanuel Kant :

« L’amour est une affaire de sentiment et non de volonté ; je ne peux aimer parce que je le veux, encore moins parce que je le dois ; il s’ensuit qu’un devoir d’aimer est un non-sens. » [1]

Bertrand Russell, philosophe du 20° siècle, dans Le Mariage et la morale, en remet une couche :

« L’amour ne peut fleurir que s’il reste libre et spontané. Nous dire que c’est notre devoir d’aimer telle personne, c’est le moyen le plus sûr de nous la faire haïr ».

Comment le Christ peut-il commander d’aimer ? Peut-il ordonner d’éprouver du sentiment pour l’autre, surtout quand celui-ci n’est pas aimable ?

Albert Camus pourtant voulait tenir ensemble l’obligation et l’amour :
« Je ne connais qu’un devoir : c’est celui d’aimer. » [2]

Comment se sortir de ce dilemme ?

Procédons en deux étapes :

1. L’amour ne se réduit pas au sentiment, loin de là

2. L’obligation d’aimer n’est pas morale, mais un fruit de l’Esprit.

 

1. L’amour ne se réduit pas au sentiment, loin de là

Le mariage d'amour a-t-il échoué ? par BrucknerLes historiens comme Georges Duby, Le Roy Ladurie, Denis de Rougemont dans son histoire de l’amour en Occident ou même Luc Ferry ont bien montré que la conception romantique de l’amour est finalement assez tardive. L’idéalisation du sentiment naît avec l’amour courtois dès le haut Moyen Âge, et se focalise ensuite au 18° siècle sur l’émotion ressentie dans les bras de l’aimé ou loin de lui (cf. Lamartine, Baudelaire…). Auparavant, il n’en était pas ainsi. Et d’ailleurs nombre de cultures (Afrique, Asie…) ont conservé une autre approche : le couple n’est pas d’abord le lieu du sentiment, mais de l’entraide mutuelle, de l’accueil de la vie, du rayonnement social. Si avec le temps vient l’amour-émotion – et c’est souvent le cas – tant mieux, mais c’est un plus, une cerise sur le gâteau. Voilà pourquoi les mariages forcés ne choquaient pas les mentalités. C’est en assumant ensemble leur place et leur mission que les époux apprenaient à s’apprécier et à développer tendresse et affection. Dans cette vision traditionnelle, le temps construisait l’amour, alors que c’est l’inverse en Occident désormais.

Or réduire l’amour au sentiment, au cœur qui bat, appauvrit l’amour, qui est bien plus grand que cela.

Saint Augustin dans ses Confessions distingue trois stades dans son évolution amoureuse, qui peuvent nous éclairer pour pressentir ce qu’aimer en vérité signifie.

Amare amari

Les Confessions de Saint augustinLe premier stade est celui de l’amour adolescent : amare amari (aimer être aimé).

Ma plus vive jouissance n’était-elle pas d’aimer et d’être aimé ? Mais je ne m’en tenais pas à ces liens d’âme à âme, sur la chaste lisière de l’amitié spirituelle. D’impures vapeurs s’exhalaient des fangeuses convoitises de ma chair, de l’effervescence de la puberté ; elles couvraient et offusquaient mon cœur : la sérénité de l’amour était confondue avec les nuages de la débauche. L’une et l’autre fermentaient ensemble, et mon imbécile jeunesse était entraînée dans les précipices des passions et plongeait dans le gouffre du libertinage. (Confessions II,2)

L’adolescent aime être aimé, parce qu’il retire un plaisir immense du trouble amoureux, dont il découvre la profondeur et le vertige. Peu importe l’objet ou la personne aimée à la limite, l’essentiel pour lui est de se fondre, de vibrer, de s’immerger dans un océan fusionnel avec l’autre (dont Freud ne manquera pas de souligner le caractère narcissique et régressif). Beaucoup de gens sont encore adolescents lorsqu’ils affirment : « si je ne ressens rien pour l’autre, je ne peux pas l’aimer, et nul ne peut m’y forcer ».

Amare amare

Le deuxième stade de l’amour est celui de l’amour adulte : amare amare (aimer aimer).

102567857 amour dans Communauté spirituelleJ’aime aimer, non plus pour recevoir en retour, mais pour construire quelque chose de vrai et de durable.

Je vins à Carthage, où bientôt j’entendis bouillir autour de moi la chaudière des sales amours. Je n’aimais pas encore, et j’aimais à aimer; et par une indigence secrète, je m’en voulais de n’être pas encore assez indigent. Je cherchais un objet à mon amour, aimant à aimer; et je haïssais ma sécurité, ma voie exempte de pièges. Mon cœur défaillait, vide de la nourriture intérieure, de toi-même, mon Dieu; et ce n’était pas de cette faim-là que je me sentais affamé ; je n’avais pas l’appétit des aliments incorruptibles: non que j’en fusse rassasié; je n’étais dégoûté que par inanition. (Confessions III,1,1)

Devenir mari/femme, puis père/mère relève de cette volonté de se donner pour que d’autres vivent. L’amitié sincère s’inscrit également dans ce mouvement qui mobilise la volonté, l’intelligence, les ressources financières etc. au service de la croissance de l’autre. C’est un amour responsable, qui ne fait pas dépendre son investissement ni sa durée du nombre de battements de cœur ressentis pour l’autre.

Amare

Le troisième stade selon Augustin est celui de l’amour gratuit, inconditionnel, totalement désintéressé : amare (aimer).

Saint Bernard le dit en ces termes :

L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche pas hors de lui-même sa raison d’être : son fruit, c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime, j’aime pour aimer (Saint-Bernard, sermon sur le cantique des cantiques).

Aimer, sans autre raison que l’amour même.

Le pur amour dont Fénelon et Mme Guyon  débattaient avec Bossuet.

Les Grecs l’appelaient agapè, qui a donné le mot français agapes pour désigner des repas fraternels et aimants. Parce qu’il est sans pourquoi, l’Agapè peut choisir de se porter sur ce que le sentiment ne choisirait jamais, et que l’amour responsable n’assumerait pas : aimer ses ennemis, aimer ceux qu’on présente comme des monstres inhumains, aimer les effrayants mourants de Calcutta ou les SDF repoussants de Paris, aimer ceux à qui on dénie toute dignité du tout début à la toute fin de leur existence…

Comment aimer ceux qui sont laids, répugnants, tombés en déchéance, si ce n’est en voulant les aimer et en choisissant de se faire leur serviteur ?

Les deux premiers stades sont connus de tous, même si beaucoup s’arrêtent au premier. Le troisième est plus subtil, à contre-courant des mentalités de ce siècle. Il ne s’apprend qu’au contact de ceux qui le vivent eux-mêmes, bien souvent sans en avoir conscience, et qui l’irradient sans rien faire qu’être eux-mêmes.

Ainsi Jésus salue dans le scribe de ce dimanche un alter ego : comme lui, cet homme a appris à distinguer l’essentiel de l’accessoire dans la loi juive (au milieu de 613 commandements !). Il a appris grâce à l’étude comment simplifier et unir les trois amours au cœur du judaïsme (Dieu/soi-même/le prochain). Jésus et lui se reconnaissent, se saluent, et chacun laisse l’autre aller son chemin sans que cet éloignement soit une distance entre eux, au contraire.

 

2. L’obligation d’aimer n’est pas morale, mais un fruit de l’Esprit.

Les philosophes modernes comme Kant et Russell font du commandement : « tu aimeras » une obligation morale. Or dans la foi chrétienne, aimer est une conséquence de l’union à Dieu et non un préalable. « Tu aimeras » est donc une obligation spirituelle et non morale, au sens où c’est l’Esprit de Dieu qui vient aimer en moi parce que, par le Christ et avec lui, je suis en communion profonde avec Dieu. À ce moment-là, ce n’est plus une obligation, car cela découle de l’amour même qu’est Dieu, se donnant gratuitement, sans calcul ni retour.

Il n’y a donc pas lieu de se forcer à éprouver quelque sentiment que ce soit pour Hitler ou Pol Pot ! Il s’agit d’abord de laisser le Christ m’unir à lui, afin que son Esprit vienne m’inspirer des paroles, des gestes, des pensées qui conviendront pour témoigner à l’autre – même horrible – qu’il est aimé, et que cela peut changer son existence. Si l’autre accueille Dieu à travers moi, il se détournera du mal commis. S’il refuse, il n’en sera pas moins aimé de Dieu, de moi uni à Dieu.

On pourrait presque jouer avec les temps, et transformer l’impératif en futur. « Tu aimeras » résonne comme une promesse : ‘si tu es uni à Dieu, tu aimeras comme lui et toi-même et ton prochain’…

Facile à dire… Mais quand on est face à un bourreau, un violent, un malfaisant, la répulsion prend le dessus. L’objection est réelle : elle souligne le travail intérieur auquel je dois me livrer pour laisser Dieu aimer en moi au lieu de vouloir aimer comme Dieu.

Paul a suivi ce chemin de communion spirituelle avec Jésus ressuscité, au point de s’écrier : « ce n’est plus moi qui vis, mais Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

Rien ne sert être volontariste pour aimer. Sinon, il y aura toujours quelque intérêt caché qui entachera notre désir d’aimer. Car on peut se montrer aimant et en réalité rechercher des félicitations, de la gloire, des remerciements, des avantages en retour, ne serait-ce qu’une bonne image de soi et une bonne réputation. Loin de chercher la morale pour elle-même, nous la pratiquons pour des raisons extérieures à elle. Nous nous soumettons à la loi morale pour ne pas perdre l’amour de nos parents, de nos proches, pour sauvegarder notre image sociale, pour ne pas subir les sanctions des uns et des autres etc.

41-no-m60cL._ commandementLa seule manière d’aimer impérativement chacun est de lâcher prise sur cette volonté elle-même. Si nous communions à la vie divine, Dieu fera son œuvre en nous mille fois mieux que nous pourrons faire l’œuvre de Dieu.

Ce que la jeune juive Etty Hillesum écrivait en 1943 à Amsterdam de l’écoute intérieure vaut également pour le mouvement de l’amour de Dieu en nous :

Même un corps maladif n’empêchera pas l’esprit de continuer à fonctionner et apporter ses fruits. Ni de continuer à aimer, à être à l’écoute de soi-même, des autres, de la logique de cette vie, et de toi (mon Dieu). Hineinhörchen, écouter au-dedans : je voudrais disposer d’un verbe bien hollandais peux dire la même chose. De fait, ma vie n’est qu’une perpétuelle écoute au-dedans de moi-même, des autres, de Dieu. Et quand je dis que j’écoute au-dedans, en réalité c’est plutôt Dieu en moi qui est à l’écoute. Ce qu’il y a de plus essentiel et de plus profond en moi écoute l’essence et la profondeur de l’autre. Dieu écoute Dieu[3]

« Dieu aime Dieu en moi » si je laisse son Esprit m’unir à lui. Alors, même le soldat nazi du camp de Westerbrok apparaissait à Etty comme un frère en humanité qu’elle pouvait aimer de toutes ses forces, de toute son intelligence, quel que soit le sentiment du moment.

Cette unification intérieure naît de l’amour pour Dieu, le premier amour qui engendre tous les autres.

Mais aujourd’hui, qui ose appeler à aimer Dieu d’abord et en toutes choses ?

 


[1]. Emmanuel KANT, Doctrine de la vertu, Introduction, XII, c, « De l’amour des hommes », Vrin, 1968, pp. 73-74.

[2]. Albert Camus, Carnets II, janvier 1942 – mars 1951 (1964).

[3]. Etty Hillesum, Une vie bouleversée (Journal 1941-43), Seuil, coll. Points, 1995, pp 207-208.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Écoute, Israël : Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur » (Dt 6, 2-6)

Lecture du livre du Deutéronome

Moïse disait au peuple : « Tu craindras le Seigneur ton Dieu. Tous les jours de ta vie, toi, ainsi que ton fils et le fils de ton fils, tu observeras tous ses décrets et ses commandements, que je te prescris aujourd’hui, et tu auras longue vie. Israël, tu écouteras, tu veilleras à mettre en pratique ce qui t’apportera bonheur et fécondité, dans un pays ruisselant de lait et de miel, comme te l’a dit le Seigneur, le Dieu de tes pères.
Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.
Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur. »

Psaume
(Ps 17 (18), 2-3, 4, 47.51ab)
R/ Je t’aime, Seigneur, ma force.
(Ps 17, 2a)

Je t’aime, Seigneur, ma force :
Seigneur, mon ro ma forteresse,
Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite,
mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !

Louange à Dieu !
Quand je fais appel au Seigneur,
je suis sauvé de tous mes ennemis.
Vive le Seigneur ! Béni soit mon Rocher !

Qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire,
Il donne à son roi de grandes victoires,
il se montre fidèle à son messie.

Deuxième lecture
« Jésus, parce qu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce qui ne passe pas » (He 7, 23-28)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, dans l’ancienne Alliance, un grand nombre de prêtres se sont succédé parce que la mort les empêchait de rester en fonction. Jésus, lui, parce qu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce qui ne passe pas. C’est pourquoi il est capable de sauver d’une manière définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu, car il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur.
C’est bien le grand prêtre qu’il nous fallait : saint, innocent, immaculé ; séparé maintenant des pécheurs, il est désormais plus haut que les cieux. Il n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses péchés personnels, puis pour ceux du peuple ; cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même. La loi de Moïse établit comme grands prêtres des hommes remplis de faiblesse ; mais la parole du serment divin, qui vient après la Loi, établit comme grand prêtre le Fils, conduit pour l’éternité à sa perfection.

Évangile
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Tu aimeras ton prochain » (Mc 12, 28b-34) Alléluia. Alléluia.

Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Le scribe reprit : « Fort bien, Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. » Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.
Patrick BRAUD

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