L'homélie du dimanche (prochain)

20 juillet 2025

Que faire des Sodomites ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Que faire des Sodomites ?


Homélie pour le 17° Dimanche du Temps Ordinaire / Année C
27/07/25

Cf. également :
INRI : annulez l’ordre injuste !
La prière et la Loi de l’offre et de la demande
Que demander dans la prière ?
La force de l’intercession
Les 10 paroles du Notre Père
Intercéder comme Marie
Ne nous laisse pas entrer en tentation
La loi, l’amour, l’épikie

1. Sodoma : enquête sur un Vatican inavouable

SODOMAEn 2019 paraissait un pavé de plus de 600 pages [1] sur l’homosexualité au Vatican. Le journaliste Frédéric Martel y aligne tout une série d’interviews tendant à montrer que les prélats gays sont légion dans la Curie romaine et dans tout l’appareil ecclésiastique. Qualifié du brûlot sans preuves par les uns, de révélations épouvantables par d’autres, Sodoma est désormais traduit dans plus de vingt langues et a dépassé les 700 000 exemplaires à travers le monde.

D’après Frédéric Martel, les séminaires seraient des viviers ultra-masculins où, pendant six années d’études et plus, les candidats au sacerdoce découvrent pour beaucoup leur attirance pour les garçons. Devenir prêtre était d’ailleurs autrefois une stratégie de beaucoup d’homosexuels pour avoir un alibi social ‘’honnête’’ derrière lequel cacher leur double vie, surtout avant les lois sur le mariage pour tous et l’homophobie.

D’après ce qu’attestent de nombreuses sources citées par le journaliste, l’homosexualité est si « omniprésente » qu’elle est tolérée dans l’Église, à condition qu’elle ne soit pas publiquement affichée. Pour l’auteur, seule une minorité de prêtres resterait fidèle au vœu de célibat prononcé lors de l’ordination. Les prélats inventeraient de nouvelles formes de concubinage, entre un supérieur et son assistant par exemple. L’auteur raconte son entretien avec un cardinal, « parmi les plus hauts gradés du Saint-Siège », qui vit avec son compagnon dans un appartement du Vatican. Quand le compagnon surgit à la fin de l’échange, le cardinal, gêné, le présente à l’auteur comme le « beau-frère de sa sœur décédée ».

 

Cette imprégnation homosexuelle du clergé semble incompatible avec l’apparente rigueur morale du discours de l’Église sur le sujet. Mais on sait que ce sont souvent les plus concernés qui sont les plus impitoyables avec leurs semblables ! Le pape François avait fait de cette « schizophrénie existentielle » la huitième « maladie de la Curie » qu’il dénonçait avec courage devant des prélats médusés le 22/12/2014 :

« C’est la maladie de ceux qui ont une double vie, fruit de l’hypocrisie typique du médiocre et du vide spirituel progressif que les diplômes et les titres académiques ne peuvent combler. Une maladie qui frappe souvent ceux qui, abandonnant le service pastoral, se limitent aux tâches bureaucratiques et perdent ainsi le contact avec la réalité, avec les personnes concrètes. Ils créent ainsi un monde parallèle, à eux, où ils mettent de côté tout ce qu’ils enseignent sévèrement aux autres et où ils commencent à vivre une vie cachée et souvent dissolue. La conversion est assez urgente et indispensable pour lutter contre cette maladie extrêmement grave ».

 

En français, sodomite était devenu synonyme d’homosexuel, et la sodomie désigne par extension toute pratique du coït anal. Tout ça à cause de notre première lecture (Gn 18,20‑32) et des chapitres suivants, où l’on voit les habitants de Sodome vouloir violer les étrangers accueillis par Lot, avant d’être détruits par YHWH lui-même dans le feu et le soufre, que l’intercession d’Abraham n’a pu éviter.

 

De quoi la Bible accuse-t-elle les habitants de Sodome en réalité ?

 

2. Les 3 péchés de Sodome

Il y a 87 occurrences du nom de cette ville dans la Bible en grec. En examinant ces passages, on peut repérer 3 reproches majeurs fait aux Sodomites (habitants de Sodome) :

a) l’inhospitalité

b) le viol homosexuel

c) la négation de la différence homme-femme

 

a) l’inhospitalité

L'hospitalitéLe prophète Ézéchiel insiste fortement sur ce premier péché de Sodome : « Voici quelle fut la faute de Sodome, ta sœur : orgueil, voracité, insouciance désinvolte ; oui, telles furent ses fautes et celles de ses filles ; elles ne fortifiaient pas la main du pauvre et du malheureux » (Ez 16,49). Le livre de la Sagesse enfonce le clou : « Il était juste qu’ils souffrent en raison de leurs crimes, car ils avaient vraiment fait preuve d’une haine cruelle envers les étrangers. D’autres, jadis, n’avaient pas accueilli des inconnus de passage, mais eux réduisirent en esclavage des étrangers qui étaient leurs bienfaiteurs. Bien plus : les premiers n’échapperont pas à l’intervention divine pour avoir reçu les étrangers de façon odieuse, mais eux, après avoir accueilli par des fêtes ceux qui partageaient déjà les mêmes droits, se mirent à les maltraiter, les soumettant à de terribles corvées ! Eux aussi furent donc frappés de cécité, comme les premiers devant la porte du juste : ils étaient enveloppés de ténèbres sans fond, et chacun cherchait un passage vers sa propre porte » (Sg 19,13–17).

 

Ce mépris des pauvres par les opulents de la cité va jusqu’à refuser d’accueillir l’étranger. Parce que Lot a accueilli chez lui des immigrés illégaux, les Sodomites lui demandent de livrer ses voyageurs à leur convoitise. Lot leur propose alors de leur offrir ses filles, ce qui nous paraît incompréhensible ! Qui livrerait ses enfants au viol pour épargner des étrangers ?! Pourtant, c‘est ce que fait Lot (Gn 19,8), soulignant l’atrocité de ce que lui demandent ses interlocuteurs : si Lot parle de donner ses filles, ce qui représente la pire chose qu’un père puisse proposer, alors combien le fait de violer des étrangers, des hôtes, est un crime immense ! L’alternative proposée par Lot n’en est pas une. Il s’agit pour lui de nommer l’innommable : ce que vous me demandez est pire que de sacrifier mes filles…

 

Regarder les étrangers comme des « anges de Dieu » de passage changerait bien des regards !…

La Commission biblique pontificale à fortement souligné elle aussi cette inhospitalité de Sodome [2]  :

« Le récit n’entend pas présenter l’image d’une ville entière dominée par des convoitises incontrôlables de nature homosexuelle ; il dénonce plutôt le comportement d’une entité sociale et politique qui ne veut pas accueillir l’étranger avec respect, et prétend donc l’humilier, le forçant à subir un infâme traitement de soumission. Lot est également menacé de la même pratique dégradante, parce qu’il a pris sous sa responsabilité l’étranger « qui est venu à l’ombre de son toit » ; et cela révèle la nature du mal moral de la ville de Sodome, qui non seulement refuse l’hospitalité, mais ne supporte pas qu’en son sein, quelqu’un ait au contraire ouvert sa maison à l’étranger. […]

En conclusion, nous devons donc dire que l’histoire de la ville de Sodome illustre un péché qui consiste dans le manque d’hospitalité, à quoi s’ajoutent l’hostilité et la violence envers l’étranger. Un comportement qui est jugé très grave et mérite donc la punition la plus sévère, parce que le rejet de la différence, de l’étranger nécessiteux et sans défense, est un facteur de désintégration sociale, portant en soi une violence mortifère qui mérite une punition adéquate ».

L’intérêt de cette lecture est d’alerter sur le côté « Sodomite » des politiques migratoires façon Trump ou autres. Quand l’opulence d’un pays le conduit à refuser d’accueillir les migrants, il n’est pas loin de ressembler à Sodome !

 

Un bémol cependant : se limiter au péché d’inhospitalité ne serait pas fidèle aux textes bibliques. Ce n’est pas le seul péché à reprocher à Sodome. Il est difficile d’effacer les autres accusations, notamment celle d’homosexualité qui est faite aux Sodomites. On peut donc prendre quelques distances avec l’affirmation du document romain : « Nous ne trouvons pas dans les traditions narratives de la Bible d’indications concernant les pratiques homosexuelles, ni comme des comportements à blâmer, ni comme des attitudes tolérées ou favorisées »…

 

b) le viol homosexuel

Car l’Ancien Testament est très clair sur le sujet : « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination » (Lv 18 22). « Quand un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, tous deux commettent une abomination ; ils seront mis à mort, leur sang retombera sur eux » (Lv 20,13).

Que faire des Sodomites ? dans Communauté spirituelle 1220-bible-moralisee-miniaturaLe chapitre 19 de la Genèse montre la foule des Sodomites réclamant de prendre de force les étrangers accueillis chez Lot. « Ils n’étaient pas encore couchés que les hommes de la ville, ceux de Sodome, cernèrent la maison, des plus jeunes aux plus vieux, toute la population sans exception. Ils appelèrent Loth et lui dirent : “Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit ? Amène-les : nous voulons nous unir à eux.” » (Gn 19,4–5).

L’homosexualité et la violence vont ici ensemble, et c’est ce cocktail meurtrier qui va se retourner contre les auteurs de ces violents.

Un autre passage, atrocement sanglant, montre également l’homosexualité comme une infamie en raison de son caractère violent, dominateur et inhospitalier : « Pendant qu’ils se restauraient, des hommes de la ville, de vrais vauriens, cernèrent la maison. Ils frappèrent à coups redoublés contre la porte et dirent au vieillard, propriétaire de la maison : “Fais sortir l’homme qui est entré chez toi pour que nous le connaissions !” » (Jg 19,22).

 

Dans le Nouveau Testament, Jude est le plus clair au sujet de cette association Sodome–homosexualité : « Sodome et Gomorrhe et les villes voisines se livrèrent à l’impudicité (κπορνεω = ekporneuō) et à des vices contre nature (απελθουσαι οπισω σαρκος ετερας allant vers la chair) ; elles sont données en exemple, subissant la peine d’un feu éternel » (Jude 1,7). Les autres apôtres condamnent explicitement ces pratiques : « Ne savez-vous pas que ceux qui commettent l’injustice ne recevront pas le royaume de Dieu en héritage ? Ne vous y trompez pas : ni les débauchés, les idolâtres, les adultères, ni les dépravés (μαλακς = malakos = efféminés) et les sodomites (ρσενοκοτης = arsenokoitēs) » (1Co 6,9). « On le sait bien, une loi ne vise pas l’homme juste, mais les sans-loi et les insoumis, les impies et les pécheurs, les sacrilèges et les profanateurs, les parricides et matricides, et autres meurtriers, débauchés, sodomites, trafiquants d’êtres humains, menteurs, parjures, et tout ce qui s’oppose à l’enseignement de la saine doctrine » (1Tm 1,9-10).

Et Pierre n’est guère plus tendre : « Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature. De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne le salaire dû à leur égarement » (Rm 1,26‑27).

Difficile donc de prôner une lecture « inclusive » de la Bible où l’homosexualité ne serait qu’une manière de vivre parmi d’autres… !

 

c) la négation de la différence homme-femme

1_4 homosexualité dans Communauté spirituellePour la Genèse, la différence homme-femme vécue dans le couple est constitutive de l’image divine de l’humanité, présente en chaque être humain : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1,27).

Aimer « le même » (homo) est par définition constituer un couple homme-homme ou femme-femme, jusqu’à un amour conjugal, affectif et sexuel qui ne peut être « image de Dieu » car Dieu est différence, et communion dans cette différence. Aimer « l’autre » (hétéro) sexe inscrit l’altérité sexuelle comme le sceau de notre image et ressemblance divine. Pour tous les monothéismes, la différence homme-femme n’est pas anecdotique ! N’en déplaise aux LGBTQIA+, ce n’est pas une construction sociale, un « genre » qu’on pourrait modeler ou dont on pourrait se défaire à volonté. N’est-il pas étonnant d’ailleurs que les mêmes écologistes qui prônent le respect de la nature et du donné environnemental ne voient aucun problème à s’affranchir de cette même nature en l’abolissant ou en la manipulant jusqu’à l’extrême en ce qui concerne la sexualité humaine ? Dire que l’homosexualité est « contre nature » n’est pas une injure : c’est pour la Bible le moyen de rappeler notre vraie nature, image des relations trinitaires en Dieu, dont la communion entre l’homme et la femme est un signe, un sacrement vivant.

 

Ces 3 péchés de Sodome font système. On ne saurait en minimiser un pour ne voir que les autres. Ni Trump ni les LGBT ne vont aimer relire les passages bibliques mentionnant Sodome et l’homosexualité !

 

3. Les interprétations patristiques

Impossible de tout citer. Quelques extraits suffiront à montrer que la Tradition unanime est constante sur cette question de l’homosexualité.

Les-Peres-01-scaled hospitalitéSaint Jean Chrysostome s’écrie en chaire :

« Toutes les passions portent un caractère de honte, mais rien de plus ignominieux que le délire pour gens de même sexe, et l’âme est plus dégradée, plus couverte d’opprobres par le péché, que le corps ne l’est par les maladies physiques. Les hommes, dit saint Paul, ont changé les plaisirs légitimes de l’union conjugale, contre des plaisirs abominables, rejetant l’alliance des sexes conforme à la nature. Songez à cette pluie qui embrasa Sodome. C’est une image en ce monde du feu réel qui brûle l’impudique en enfer. Qu’il doit être énorme le péché qui appelle l’enfer sur la terre ! O homme ! Peux-tu bien dégrader à ce point ta noblesse ! » (Quatrième homélie sur l’épître de saint Paul aux Romains).

Saint Grégoire le Grand commente :

« C’est pour s’être embrasés des désirs pervers venus d’une chair fétide que les Sodomites ont mérité de périr à la fois par le feu et par le soufre, afin qu’un juste châtiment leur apprît ce qu’ils avaient fait dans un injuste désir » (Moralia in Job, livre 14, n°23) .

Saint Augustin affirme :

« Les turpitudes contre-nature doivent être partout et toujours détestées et punies, celles par exemple des habitants de Sodome. Quand même tous les peuples imiteraient Sodome, ils tomberaient tous sous le coup de la même culpabilité, en vertu de la loi divine qui n’a pas fait les hommes pour user ainsi d’eux-mêmes » (Les confessions, livre 3, ch. 8).

Saint Thomas d’Aquin, conformément à l’unanimité des Pères de l’Église, enseigne que les habitants de Sodome ont été punis pour avoir commis le péché contre-nature entre personnes de même sexe (Commentaire du ch. 1 de l’épître aux Romains).

 

4. Alors, que faire des Sodomites ?

Il y a au moins 3 stratégies bibliques face à cette prolifération des péchés de Sodome.

 

a) négocier avec Dieu pour le salut de tous

71CMvM6j-kL._SL1500_ SodomeDonald Trump ne connaît sûrement pas notre première lecture (Gn 18,20–32), mais il ne renierait pas la discussion ‘de marchand de tapis’ entre Abraham et YHWH, lui qui a écrit en 1987 un livre sur… l’art du deal !

La négociation d’Abraham en faveur de Sodome rejoint la prise de tête que l’ami de la parabole de ce dimanche inflige à son ami pour nourrir un autre ami (Lc 11,1-13). Avec en toile de fond une conviction qui parcourt toute la Bible : l’intercession d’un seul a plus de puissance que le mal commis par beaucoup. Ou encore, comme l’écrit saint Jacques : « la supplication fervente du juste a beaucoup de puissance » (Jc 5,6).

Abraham n’approuve rien de la conduite de Sodome, mais il se bat bec et ongles pour sauver cette ville, en s’appuyant sur les justes qui y vivent. Nous aussi, nous pouvons – nous devons – « casser la tête » à Dieu, être « sans-gêne », pour obtenir de lui de quoi nourrir tous ceux qui sont dans le besoin.

La technique de négociation d’Abraham est subtile : elle semble relever du marchandage, puisque Abraham discute le prix du salut de Sodome, en le faisant baisser au maximum : 50 justes, 45, 40, 30, 20, 10. Un vrai négociateur apparemment, puisqu’il réussit à obtenir la même promesse de salut pour cinq fois moins cher. Abraham ne descend pas en dessous de 10, car c’est le nombre minimum d’hommes prescrits par la loi juive pour constituer une assemblée de prière légitime : le miniane.

 

Voilà une première piste, biblique : intercéder pour obtenir de Dieu le salut de ceux qui se perdent. Ce salut viendra de Dieu, pas d’Abraham. Dans cette prière, ce n’est pas à nous de changer les choses, et encore moins imposer notre morale. Nous devons seulement supplier, intercéder, espérer, marchander pour tous !

 

b) le feu et le soufre

« Alors l’Éternel fit pleuvoir du soufre et du feu sur Sodome et sur Gomorrhe. Cela venait du ciel, de la part de l’Éternel. Il détruisit ces villes, toute la plaine, tous les habitants des villes et les plantes du sol. » (Gn 19,24)

Le nom même de Sodome évoque en hébreu « une pierre qui brûle ». Le soufre brûle en effet dans l’air avec une flamme bleue, produisant du dioxyde de soufre : le fait que le soufre provienne des profondeurs du sol et que le dioxyde de soufre puisse être senti dans les fumées des volcans a encore alimenté l’imagination des gens sur ce que doit être l’Enfer.


Sodome et Gomorrhe en feu de Jacob Jacobsz de Wet, 1680

 

Des phénomènes naturels historiques (attestés par des données géologiques, climatologiques et archéologiques), pourraient expliquer le récit biblique évoquant la destruction de la région par le feu et le soufre. En effet, à la fin de l’âge du bronze ancien (c’est-à-dire vers 2000 av. JC), la plaine de Sodome était assez fertile, avant de subir un violent tremblement de terre. Selon les travaux des géologues David Neev and Kenneth Emery [3], ce tremblement de terre aurait pu déclencher l’inflammation des hydrocarbures présents sous la mer Morte, permettant ainsi des explosions massives de bitume et des incendies. Selon leurs travaux et leurs théories, ceci expliquerait la mention du soufre et du feu dans le texte biblique racontant la destruction de Sodome et Gomorrhe.

Le livre de l’Apocalypse promet feu et soufre à tous ceux qui s’égarent loin de Dieu (Ap 9,17-18 ; 19,20 ; 20,10) …

 

Faire tomber le feu et le soufre sur les pratiques homosexuelles est encore courant en islam. Dans la quasi-totalité des pays dont la population est essentiellement musulmane, l’homosexualité est considérée comme un délit conduisant à des peines allant jusqu’à 10 ans de prison. La loi punit l’homosexualité dans 69 pays, et on sait que l’Afrique noire la réprouve traditionnellement. Cette pratique est même passible de la peine de mort dans 11 pays : Mauritanie, Nigéria, Somalie, Arabie Saoudite, Yémen, Brunei, Iran, Afghanistan, Émirats arabes unis, Qatar, Pakistan.

Il faut dire que le Coran est aussi clair que la Bible sur le sujet ! La sourate 15 répète l’épisode de Sodome : « Ils se confondaient dans leur délire. Alors, au lever du soleil le Cri (la catastrophe) les saisit. Et Nous renversâmes [la ville] de fond en comble et fîmes pleuvoir sur eux des pierres d’argile dure. Voilà vraiment des preuves, pour ceux qui savent observer ! Elle [cette ville] se trouvait sur un chemin connu de tous. Voilà vraiment une exhortation pour les croyants ! »

Cette condamnation de l’homosexualité est reprise en de multiple sourates :

« Accomplissez-vous l’acte charnel avec les mâles de ce monde ? Et délaissez-vous les épouses que votre Seigneur a créées pour vous ? Mais vous n’êtes que des gens transgresseurs ». Ils dirent : « Si tu ne cesses pas, Lot, tu seras certainement du nombre des expulsés ». Il dit : « Je déteste vraiment ce que vous faites » (S 26,165-168).

« [Et rappelle-leur] Lot, quand il dit à son peuple : « Vous livrez-vous à la turpitude [l'homosexualité] alors que vous voyez clair ?. Vous allez aux hommes au lieu de femmes pour assouvir vos désirs ? Vous êtes plutôt un peuple ignorant » (S 27,54-55)

« Et Lot, quand il dit à son peuple : « Vous livrez-vous à cette turpitude que nul, parmi les mondes, n’a commise avant vous ? Certes, vous assouvissez vos désirs charnels avec les hommes au lieu des femmes ! Vous êtes bien un peuple outrancier » » (S 7,80-81).

« Et Lot, quand il dit à son peuple : « Vraiment, vous commettez la turpitude où nul dans l’univers ne vous a précédés. Aurez-vous commerce charnel avec des mâles ? Pratiquerez-vous le brigandage ? Commettrez-vous le blâmable dans votre assemblée ? » » (S 29,28-30).

« Et Lot ! Nous lui avons apporté la capacité de juger et le savoir, et Nous l’avons sauvé de la cité où se commettaient les vices; ces gens étaient vraiment des gens du mal, des pervers » (S 21,74).

 

On a vu que le judaïsme ancien préconisait la peine de mort en cas de pratiques homosexuelles (Lv 18,22 ; 20,13). Le judaïsme moderne n’applique plus cette peine, mais la réprobation morale subsiste.

 

Le problème avec toutes ces condamnations rigoristes est qu’elles se substituent à Dieu : or seul YHWH a le pouvoir de détruire Sodome, pas Abraham ! Ce n’est pas le rôle des rabbins, des oulémas ou des inquisiteurs. Nous relevons plutôt des avocats du barreau que des juges du parquet…

 

Reste que dénoncer fermement l’inhumanité des pratiques homosexuelles est dans la Bible un vrai service à rendre au bien commun.

 

c) accueillir les personnes homosexuelles sans cautionner leurs pratiques

9782712215491_largeC’est la traditionnelle distinction entre le péché et le pécheur, dont témoigne par exemple la plupart des Églises orthodoxes, fidèles en cela à la Tradition des premiers siècles :

« L’Église orthodoxe russe éprouve amour et compassion pour le pécheur mais pas pour ses péchés. Tel est l’enseignement moral de la Bible. Le péché, c’est l’adultère, l’infidélité, des relations sexuelles irresponsables et tous les actes qui altèrent la conscience de l’homme. (…) Si certains se livrent à une propagande en faveur de l’homosexualité, il est du devoir de l’Église de dire où est le Bien car l’homosexualité est une maladie qui modifie la personnalité de l’homme. Ce n’est donc pas l’une de ces pathologies dont on peut parler avec détachement comme de la kleptomanie par exemple. (…) Ces convictions ne doivent conduire à aucune discrimination » (Déclaration du Patriarche orthodoxe de Moscou et de toute la Russie Alexis II devant l’assemblée du Conseil de l’Europe, en octobre 2007).

 

C’est également la position officielle – que le pape François n’a pas modifiée – du Catéchisme de l’Église catholique :

N° 2357 : L’homosexualité désigne les relations entre des hommes ou des femmes qui éprouvent une attirance sexuelle, exclusive ou prédominante, envers des personnes du même sexe. Elle revêt des formes très variables à travers les siècles et les cultures. Sa genèse psychique reste largement inexpliquée. S’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les présente comme des dépravations graves (cf. Gn 19, 1-29 ; Rm 1, 24-27 ; 1 Co 6, 10 ; 1 Tm 1, 10), la Tradition a toujours déclaré que “ les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés ” (“Persona humana” n° 8). Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas.

 

N° 2358 : Un nombre non négligeable d’hommes et de femmes présente des tendances homosexuelles foncières. Cette propension, objectivement désordonnée, constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste. Ces personnes sont appelées à réaliser la volonté de Dieu dans leur vie, et si elles sont chrétiennes, à unir au sacrifice de la croix du Seigneur les difficultés qu’elles peuvent rencontrer du fait de leur condition.

 

La généreuse ouverture du pape François ouvrant la possibilité de bénir des couples homosexuels (déclaration « Fiducia supplicans » du 18/12/2023) n’évite pas une certaine ambiguïté, ce qui a troublé beaucoup d’Églises (africaines notamment, mais pas seulement) :

 

N° 11 … il est nécessaire que ce qui est béni puisse correspondre aux desseins de Dieu inscrits dans la Création et pleinement révélés par le Christ Seigneur. C’est pourquoi, étant donné que l’Église a toujours considéré comme moralement licites uniquement les relations sexuelles vécues dans le cadre du mariage, elle n’a pas le pouvoir de conférer sa bénédiction liturgique lorsque celle-ci peut, d’une certaine manière, offrir une forme de légitimité morale à une union qui se présente comme un mariage ou à une pratique sexuelle non matrimoniale.

 

N° 31 Dans l’horizon ainsi tracé, il est possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sous une forme qui ne doit pas être fixée rituellement par les autorités ecclésiales, afin de ne pas créer de confusion avec la bénédiction propre au sacrement du mariage.

 

On le voit : la ligne de crête est étroite !

Le feu et le soufre tombant sur Sodome nous obligent à rappeler que le sort des migrants est un des enjeux du texte.

Les textes bibliques condamnant les pratiques homosexuelles nous obligent à dénoncer les idéologies actuelles prônant la confusion et l’indifférenciation des sexes.

 

Que l’Esprit de discernement nous apprenne à accueillir tous et chacun, inconditionnellement, sans cautionner automatiquement pour autant leurs idéologies et leurs pratiques !

_____________________

[1]. Frédéric Martel, Sodoma : Enquête au cœur du Vatican, Éd. Robert Laffont, 2019.

[2]. Commission biblique pontificale : Qu’est-ce que l’homme ? Un itinéraire d’anthropologie biblique, 30/09/2019.
Original italien ici : https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/pcb_documents/rc_con_cfaith_doc_20190930_cosa-e-luomo_it.html

[3]. David Neev and Kenneth O. Emery, The Destruction of Sodom, Gomorrah and Jericho. Geological, Climatological, and Archaeological Background, New York, Oxford : Oxford University Press, 1995.

 

Lectures de la messe

 

Première lecture
« Que mon Seigneur ne se mette pas en colère si j’ose parler encore » (Gn 18, 20-32)

 

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, les trois visiteurs d’Abraham allaient partir pour Sodome. Alors le Seigneur dit : « Comme elle est grande, la clameur au sujet de Sodome et de Gomorrhe ! Et leur faute, comme elle est lourde ! Je veux descendre pour voir si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu’à moi. Si c’est faux, je le reconnaîtrai. » Les hommes se dirigèrent vers Sodome, tandis qu’Abraham demeurait devant le Seigneur. Abraham s’approcha et dit : « Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les faire périr ? Ne pardonneras-tu pas à toute la ville à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? Loin de toi de faire une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le coupable, traiter le juste de la même manière que le coupable, Loin de toi d’agir ainsi ! Celui qui juge toute la terre n’agirait-il pas selon le droit ? » Le Seigneur déclara : « Si je trouve cinquante justes dans Sodome, à cause d’eux je pardonnerai à toute la ville. » Abraham répondit : « J’ose encore parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre. Peut-être, sur les cinquante justes, en manquera-t-il cinq : pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? » Il déclara : « Non, je ne la détruirai pas, si j’en trouve quarante-cinq. » Abraham insista : « Peut-être s’en trouvera-t-il seulement quarante ? » Le Seigneur déclara : « Pour quarante, je ne le ferai pas. » Abraham dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère, si j’ose parler encore. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement trente ? » Il déclara : « Si j’en trouve trente, je ne le ferai pas. » Abraham dit alors : « J’ose encore parler à mon Seigneur. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement vingt ? » Il déclara : « Pour vingt, je ne détruirai pas. » Il dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère : je ne parlerai plus qu’une fois. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement dix ? » Et le Seigneur déclara : « Pour dix, je ne détruirai pas. »

 

Psaume
(Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 6-7ab, 7c-8)
R/ Le jour où je t’appelle, réponds-moi, Seigneur.
 (cf. Ps 137, 3)

 

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.

 

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

 

Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble ;
de Loin, il reconnaît l’orgueilleux.
Si je marche au milieu des angoisses, tu me fais vivre,
ta main s’abat sur mes ennemis en colère.

 

Ta droite me rend vainqueur.
Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.

 

Deuxième lecture
« Dieu vous a donné la vie avec le Christ, il nous a pardonné toutes nos fautes » (Col 2, 12-14)

 

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. Vous étiez des morts, parce que vous aviez commis des fautes et n’aviez pas reçu de circoncision dans votre chair. Mais Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix.

 

Évangile
« Demandez, on vous donnera » (Lc 11, 1-13)
Alléluia. Alléluia.
Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; c’est en lui que nous crions « Abba », Père. Alléluia. (Rm 8, 15bc)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. » Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : ‘Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes, nous pardonnons aussi à tous ceux qui ont des torts envers nous. Et ne nous laisse pas entrer en tentation. » Jésus leur dit encore : « Imaginez que l’un de vous ait un ami et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander : ‘Mon ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir.’ Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : ‘Ne viens pas m’importuner ! La porte est déjà fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner quelque chose’. Eh bien ! je vous le dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »
Patrick BRAUD

 

 

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13 juillet 2025

Êtes-vous marthaliste ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Êtes-vous marthaliste ?


Homélie pour le 16° Dimanche du Temps Ordinaire  / Année C
20/07/25
 
 
Cf. également :
Marthe + Marie = Lydie !

Jesus, don’t you care ?
Le rire fait chair
Choisir la meilleure part
Le je de l’ouïe
Bouge-toi : tu as de la visite !
Dieu trop-compréhensible
« J’ai renoncé au comparatif »


Un dîner en ville

Un repas comme il y en a tant, entre gens qui se connaissent un peu, mais pas trop. Inévitablement, la conversation roule sur le métier des uns et des autres. Se tournant vers l’un des convives, le maître de maison l’interroge :

Retraite- « Toi qui est à la retraite depuis janvier, comment tu t’occupes ? Tu ne t’ennuies pas ? »

Le jeune retraité se sent alors obligé de se justifier en déclarant par le menu de tous ses occupations, pour prouver qu’il fait presque autant de choses qu’avant, sinon plus. L’idéal est de dérouler une liste impressionnante d’activités et d’engagements, et de conclure dans un soupir de satisfaction :

- « Depuis que je suis à la retraite, je suis débordé ».

Hochements de tête admiratifs autour de la table. Le maître de maison poursuit son animation en se tournant vers moi : « Et toi, qu’est-ce que tu fais ? Tu dois avoir plein d’engagements ! » Je réfléchis un instant : pas question de m’aligner sur le discours ambiant. Je réponds alors, avec un petit air énigmatique :

- « Je goûte ce temps béni avec délices. Je me découvre un tempérament contemplatif, aimant la solitude autant que j’aime les gens, heureux d’être sans faire, sans pour autant renoncer à faire pour être, si besoin… »

Silence interrogatif, voir gêné.

- « Mais, quand même, tu dois bien t’occuper à quelque chose ? »

J’ai eu un mal fou ce soir-là à leur faire comprendre que pour être, il n’y a pas besoin de faire en permanence (et je n’y suis pas arrivé). Et que la retraite pourrait justement être ce temps de la contestation du règne de l’activisme forcené.

 

Je me souviens – en lisant Zola ou Van der Meersch – que l’existence au XIX° siècle n’était que labeur, 12 heures par jour, sans congés payés ni week-end, comme des bêtes de somme. Je me souviens que le temps libre a été une conquête incroyable à partir de 1936, pour ne pas résumer l’être humain à son travail. Je me souviens des épitaphes qui ornent les tombeaux de cette époque : « Après le travail, le repos ». « Qu’il repose en paix » (RIP),  « Dona eis Requiem aeternam ». Je me souviens qu’on chantait le Requiem pour un défunt, en lui souhaitant justement ce repos, cette béatitude de la contemplation éternelle où enfin il n’y aura plus besoin de travailler !

 

Notre époque a peur du vide. Les jeunes générations n’apprennent plus à s’ennuyer. Alors ils gaspillent le temps gagné sur le labeur en scrollant frénétiquement plus de 5 heures par jour sur leur téléphone…  

 

Le pape François s’adresse à la Curie romaine, le 22 décembre 2014.Se noyer dans son activité jusqu’à perdre le sens de tant d’efforts, c’est la maladie que le pape François appelait le « marthalisme », en référence à l’Évangile de ce dimanche (Lc 10,38-42). Devant des cardinaux médusés par tant d’audace verbale, cinglante et violente à leur encontre, il a listé 15 maladies qui minent la Curie romaine de l’intérieur. La deuxième maladie est le « marthalisme », ce culte de l’hyperactivité où l’on croit toujours être plus en faisant toujours plus :

Autre maladie : le « marthalisme » (qui vient de Marthe) ou l’activité excessive. 

Elle concerne ceux qui se noient dans le travail et négligent inévitablement « la meilleure part » : s’asseoir aux pieds de Jésus (cf. Lc 10, 38-42). C’est pourquoi Jésus a demandé à ses disciples de « se reposer un peu » (cf. Mc 6, 31), car négliger le repos nécessaire conduit au stress et à l’agitation. Le temps du repos, pour celui qui a mené à bien sa mission, est une nécessité, un devoir, et doit être vécu sérieusement : en passant un peu de temps avec sa famille et en respectant les jours fériés comme des moments pour se ressourcer spirituellement et physiquement. Il faut retenir ce qu’enseigne Qohéleth : « Il y a un moment pour tout » (Qo 3, 1-15).

La Curie romaine et le Corps du Christ, 

Discours du pape François lors de la présentation des vœux de Noël
à la Curie romaine le 22 décembre 2014.

 

Définir l’être humain par le faire est si dangereux ! C’est à cause de cette réduction anthropologique qu’on en est arrivé à considérer les personnes handicapées comme des fardeaux inutiles, les enfants comme des charges qui nous empêchent de faire ce qu’on veut, les vieillards comme des paquets inertes à stocker en EHPAD, les malades mentaux comme des gens qui n’auraient pas dû naître (l’eugénisme contemporain s’y emploie, d’ailleurs)… Ceux qui ne peuvent rien faire sont indignes d’exister.

 

Être là, sans rien faire, sinon contempler, écouter, être présent à soi-même, à la Création, à autrui… : voilà une attitude qui dérange si elle n’est pas privée, discrète, secrète.

Les marthalistes pullulent en entreprise, au bureau, dans les paroisses ou les affaires de la Curie romaine !

L’excès du faire sur l’être trahit le plus souvent une sourde angoisse : que vais-je devenir si je m’arrête d’agir, si je ne m’agite plus en tous sens pour prouver que je suis sur-occupé, irremplaçable, activement utile ? C’est l’angoisse du cycliste qui se demande ce qui arrivera lorsqu’il entra de pédaler ; ou l’angoisse du hamster qui se sent revivre lorsqu’il fait tourner la roue …

 

Attention cependant au contresens classique : le texte grec de l’évangile ne dit pas que Marie a choisi ‘la meilleure part’, mais la bonne (γαθς  = agathos) part.

Jésus n’établit donc pas de hiérarchie entre la cuisine et la présence, le service et l’écoute, l’action et la contemplation. Il ne dit pas que Marie a choisi la meilleure part, mais la part qui lui correspond, qui en cela est la bonne part pour elle.

Il n’y a pas de commune mesure entre la plénitude correspondant à Marie et celle convenant à Marthe. Cette incommensurabilité élimine toute hiérarchie, tout comparatif dans la part occupée par chacune.

La bonne part de Marie n’est pas la meilleure. C’est la sienne : elle l’a choisie et la vit intensément.

Jésus ne reproche pas à Marie de faire le service, il lui fait constater qu’elle le subit au lieu de le choisir.

La diaconie comme l’écoute peuvent être la bonne part, si c’est celle que nous choisissons.

 

Mais alors qu’est-ce qui coince dans l’attitude marthaliste ?

La clé de compréhension se trouve dans les verbes employés à propos de Marthe. Elle est « accaparée », elle « s’inquiète » et « s’agite ». Les trois verbes grecs traduisent la préoccupation mentale, la distraction de l’essentiel et l’inquiétude de Marthe : une hyperactivité de l’esprit qui l’empêche d’être dans l’accueil de son hôte.

Examinons de plus près ces 3 verbes qui marquent les 3 reproches faits à Marthe.

 

1. Se laisser accaparer

Luc emploie le verbe περισπω (perispaō) qui est un hapax (= une occurrence unique) dans le Nouveau Testament : « Marthe était accaparée par les multiples occupations du service ». En français, être accaparé par une chose ou une activité a au moins deux caractéristiques :

 

– la partie remplace le tout

Êtes-vous marthaliste ? dans Communauté spirituelle grain-de-beaute-laser-paris-1024x683Préparer la cuisine, mettre la table, veiller aux besoins de chacun, ce n’est jamais qu’une partie de l’hospitalité que Marthe veut offrir à Jésus. Quand cela devient prégnant au point de ne pas assumer les autres facettes de l’accueil (l’écoute, l’échange, l’amitié partagée etc.), cela devient problématique. Un détail envahit tout l’espace. Un grain de beauté empêche de voir le visage. L’arbre cache la forêt.

Cette idolâtrie du détail révèle en creux une angoisse de ne pas être à la hauteur, de ne pas tout maîtriser. Il nous fait perdre de vue la globalité de ce qui est en train de se passer, ici la parole de Jésus comme vraie nourriture offerte à tous les convives.

 

– le moyen se prend pour la fin

Autre corollaire de l’accaparement : on est tellement obnubilé par l’activité à accomplir qu’on en oublie pourquoi on la fait ! Le but de Marthe n’est pas de disparaître dans sa cuisine, mais d’accueillir Jésus chez elle. Appeler Deliveroo ou UberEats aurait peut-être suffi à cela… Mais en se laissant accaparer par ce qui n’est qu’un moyen (le service), elle contredit en pratique le but qu’elle recherchait (accueillir Jésus). Peut-être par désir de correspondre à sa réputation de parfaite maîtresse de maison, peut-être pour « faire le maximum », ou pour ne pas s’aventurer dans autre chose que son rôle social, Marthe ne sait plus pourquoi le gigot doit être rôti juste à point et la sauce réussie.

 

Ces deux inversions (la partie et le tout, le moyen et la fin) éloignent finalement Marthe de son désir initial : « Viens chez moi ».

Avouons que nous avons nous aussi mille manières de perdre de vue en cours de route ce que nous désirons vraiment…

L’obsession de la réussite professionnelle fait oublier l’accomplissement de soi visé dans le travail. L’avidité pour l’accumulation de l’argent nous éloigne de la sécurité recherchée au départ afin de se consacrer à autre chose. Même l’obsession des choses religieuses finit par éloigner de la communion avec Dieu. Et que dire de ceux qui veulent faire carrière dans l’Église, ou apparaître plus religieux que les autres ?

Il y a tant de façons de se laisser accaparer !

 

2. S’inquiéter

91ZgNSzXCeL._SL1500_ Marthe dans Communauté spirituelleLuc emploie 5 fois ce verbe μεριμνω (merimnaō). Pour Marthe d’abord : « Tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses »» (Lc 10,41). Et ensuite dans le chapitre 12 où Jésus demande de ne pas nous inquiéter pour notre défense face à nos persécuteurs (12,11), ni pour notre subsistance ordinaire (11,22), ni pour allonger notre durée de vie (12,25), ni pour tout le reste (12,26) !

Bigre ! N’est-ce pas un peu trop cool, Jésus, de compter sur la Providence au lieu de prévoir et de calculer ? Tous les sondages montrent des Français rongés par l’inquiétude : ils sont inquiets de la baisse du pouvoir d’achat, de l’insécurité, de l’immigration, de la guerre qui se rapproche etc.

C’est là qu’il est bon de se rappeler que foi, confiance, fidélité et fiançailles sont de la même racine : se fier à. La confiance conjure la peur. Elle muselle les cris d’orfraie. Elle donne le courage de prendre des risques, d’assumer l’incertain, de se lancer dans l’inconnu. Sans la foi – au moins l’amour et le support de quelques-uns – pas d’innovation ni de résilience.

Mourir d’inquiétude n’est pas le moindre des dangers qui nous guettent !

 

Le contraire de l’inquiétude pourrait bien être le repos en Dieu. Notre fameux requiem du début. Ce que la tradition orthodoxe appelle l’hésychasme : se tenir en Dieu, en paix et en silence, au milieu de quelque activité que ce soit. Les moniales et les moines témoignent qu’il est possible d’accomplir 8 heures de labeur quotidien dans cet état d’esprit, sans inquiétude excessive. Les béguines du XIV° siècle le faisaient aussi, qui marmonnaient sans cesse leur prière en soignant, éduquant, visitant les pauvres de la cité. Nous pouvons vivre de même nos responsabilités en entreprise, en association, en famille, en Église ! Il suffit de nous établir en Dieu, et de tout vivre à partir de lui. Comme l’écrivait Paul : « Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes » (Ph 4,6).

 

3. S’agiter

Le syndrome du hamsterCet hésychasme pourrait alors nous éviter de tomber dans le désordre, la confusion, l’activisme, l’agitation forcenée, ce que Jésus appelle : s’agiter (θορυβω = thorubeō). Il n’y a que 4 usages de ce verbe dans le Nouveau Testament. Outre Marthe, ce verbe s’applique à la foule bruyante qui veut couvrir la mort de la fille du chef de synagogue de ses pleurs, de ses cris et de son chagrin démonstratif (à l’orientale !) : « Jésus, arrivé à la maison du notable, vit les joueurs de flûte et la foule qui s’agitait bruyamment » (Mt 9,23 ; cf. Mc 5,39 ; cf. Paul avec Eutyque en Ac 20,10).


Indication précieuse qui montre que faire du bruit et s’agiter relève d’un certain déni de la mort. Ceux qui versent dans l’activisme ont en réalité peur de mourir : ils fuient dans l’action pour se prouver à eux-mêmes qu’ils sont vivants. Le syndrome du hamster revisité, en quelque sorte ! Faire face à la mort – comme le Christ le fait pour la fille de Jaïre ou Paul pour Eutyque – permet de la vaincre. Nul besoin de s’agiter en tous sens, de multiplier les démonstrations ostentatoires. Le « tumulte des nations » (Ps 2,1), l’effervescence des foules, le désordre des gens hyper-occupés sont souvent le signe de la méchanceté à l’œuvre : « Les Juifs, pris de jalousie, ramassèrent sur la place publique quelques vauriens ; ayant provoqué des attroupements, ils semaient le trouble (thorubeo) dans la ville. Ils marchèrent jusqu’à la maison de Jason, à la recherche de Paul et de Silas, pour les faire comparaître devant le peuple » (Ac 17,5).

On voit pourquoi faire semblant ou faire exprès d’avoir un agenda surchargé est un symptôme qui – lui - devrait nous inquiéter…

 

Alors, quand et comment êtes-vous marthaliste ?

Qu’est-ce qui vous accapare, vous inquiète, vous agite au point de perdre de vue l’essentiel ?

Comment allez-vous vous ménager cette semaine la pause pour vous asseoir en Dieu ?
Comment allez-vous vous enraciner dans le repos en Dieu, même au cœur des tâches les plus nécessaires ?

LECTURES DE LA MESSE


1ère lecture 

« Mon seigneur, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur » (Gn 18, 1-10a)


Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour. Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre. Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur. Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre. Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. » Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. » Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer. Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient. Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. » Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »


Psaume
(Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5)
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ?
 (Ps 14, 1a)

 

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.

 

Il met un frein à sa langue.
Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.

 

À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.
Il ne reprend pas sa parole.

 

Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

 

Deuxième lecture
« Le mystère qui était caché depuis toujours mais qui maintenant a été manifesté » (Col 1, 24-28)

 

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. De cette Église, je suis devenu ministre, et la mission que Dieu m’a confiée, c’est de mener à bien pour vous l’annonce de sa parole, le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu’il a sanctifiés. Car Dieu a bien voulu leur faire connaître en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère parmi toutes les nations : le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire ! Ce Christ, nous l’annonçons : nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l’amener à sa perfection dans le Christ.

 

Évangile
« Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part » (Lc 10, 38-42)
Alléluia. Alléluia.
Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance. Alléluia. (cf. Lc 8, 15)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Patrick BRAUD

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6 juillet 2025

Ordo amoris : le samaritain d’abord !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ordo amoris : le samaritain d’abord !


 Homélie pour le 15° Dimanche du Temps Ordinaire  / Année C
 13/07/25
 
 
Cf. également :
Elle est tout près de toi, cette Parole…
Les multiples interprétations du Bon Samaritain
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif
J’ai trois amours
Aime ton Samaritain !
Réintroduisons le long-terme dans nos critères de choix
Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses dures
L’amour du prochain et le « care »
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
La roue de Gaza

 

1. Ordo amoris : François versus J.D. Vance
Le vice-président américain – catholique de fraîche date – a fait le buzz début 2025 en essayant de justifier la brutalité de la politique migratoire de Donald Trump par un vieux concept augustinien qu’il revisitait à sa sauce : l’ordo amoris (l’ordre de l’amour).

Ordo amoris : le samaritain d’abord ! dans Communauté spirituelle vaticanmedis-1« Il y a un concept chrétien qui veut que l’on aime sa famille, puis ses voisins, puis sa communauté et ensuite ses compatriotes – avait-il déclaré – et enfin que l’on donne la priorité au reste du monde ».

Le pape François lui avait vertement répondu, par le biais d’une lettre aux évêques américains du 11/02/25 :

« Les chrétiens savent bien que c’est seulement en affirmant l’infinie dignité de tous que notre identité en tant que personnes et en tant que communautés atteint sa maturité. L’amour chrétien n’est pas une expansion concentrique d’intérêts qui s’étendent peu à peu à d’autres personnes et groupes. En d’autres termes : la personne humaine n’est pas un simple individu, relativement vaste, avec quelques sentiments philanthropiques ! La personne humaine est un sujet digne qui, par la relation constitutive avec tous, en particulier avec les plus pauvres, peut progressivement mûrir dans son identité et sa vocation. Le véritable ordo amoris qu’il faut promouvoir est celui que nous découvrons en méditant constamment sur la parabole du « Bon Samaritain » (Lc 10, 25-37), c’est-à-dire en méditant sur l’amour qui construit une fraternité ouverte à tous, sans exception » (n° 6).

Le 3 février 2025, le pape Léon XIV, alors cardinal Robert Francis Prevost, avait partagé un article d’opinion, sur son compte X, du site catholique National Catholic Reporter, intitulé : « JD Vance a tort : Jésus ne nous demande pas de classer notre amour pour les autres ».

On voit les enjeux des différentes lectures politiques de notre parabole de ce dimanche ! Pour les catholiques conservateurs comme J.D. Vance, le bon samaritain doit l’être pour ses proches, puis peut-être pour ses voisins, et enfin pour les étrangers de son pays si possible. Pour le pape Léon XIV (comme pour François), la fraternité doit être ouverte à tous, sans exception ni privilège. D’ailleurs, quand saint Augustin parle d’ordo amoris, c’est pour ordonner l’amour, c’est-à-dire lui assigner une finalité bonne, et lui éviter le désordre que serait l’amour clanique, l’amour mafieux, l’amour de l’argent ou de la violence. Un amour désordonné hiérarchise ses priorités selon ses centres d’intérêt.

Dans la pensée de saint Augustin, l’amour n’est pas réparti dans des cercles concentriques dont l’ego et ses préférences seraient la norme. Il s’agit d’aimer Dieu plus que tout et d’aimer tout en Dieu. Si donc on a l’idée de cercles concentriques, il faut garder à l’esprit que Dieu est au centre et qu’il éclaire tous les cercles par ses commandements. Or Dieu est absent de la phrase de J. D. Vance. De surcroît, l’ordo amoris n’implique pas d’agir aux dépens des autres. Saint Thomas d’Aquin disait lui-même : « Dans certains cas, on doit, par exemple, aider un étranger dans une situation d’extrême nécessité, plutôt que son propre père, si celui-ci n’est pas dans une situation aussi urgente » (ST, II-Il, q. 31 a. 3).

 

2. Le prochain, c’est le samaritain, pas le blessé !

Le problème avec notre parabole, c’est que pendant des siècles on en a fait une lecture moralisante, compassionnelle, individualiste, du style : « être chrétien, c’est soigner les blessés de la vie en s’approchant de chacun pour le soulager ». Ce qui n’est pas faux en soi, bien sûr. Mais ce n’est pas premier ! good2 parabole dans Communauté spirituelleEt pas besoin d’être chrétien pour pratiquer cela.
Ce qui est premier dans la foi, d’après la parabole, c’est aimer ceux qui ont été mes samaritains !

Le pape François l’avait noté avec finesse :

« Ayant conclu la parabole, Jésus renverse la question du docteur de la Loi et lui demande : « Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ?  »  (v. 36). La réponse est finalement sans équivoque : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui » (v. 37). Au début de la parabole, pour le prêtre et le lévite, le prochain était le mourant ; au terme de celle-ci, le prochain est le samaritain qui s’est fait proche. Jésus renverse la perspective ».

Autrement dit :

« Ne cherche pas à classifier les autres pour voir qui est le prochain et qui ne l’est pas »

Un caillou dans la chaussure de Vance !

 

Qui devons-nous aimer ? Ceux qui nous ont sauvés à un moment ou un autre de notre vie.
Jésus semble dire : avant de hiérarchiser les solidarités (moi, ma famille, mon pays, les étrangers), commence par prendre conscience que tu es aimé, et sois plein d’amour envers ceux qui t’ont fait. Reconnaît que tu es dépendant de ces liens qui t’ont façonné gratuitement. Entend l’avertissement de l’apôtre Paul : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? »  (1Co 4,7)

L’amour, c’est d’abord recevoir.

Ensuite, bien sûr, la réception de ce don produit, appelle et suscite en retour un autre don, à d’autres. C’est ce que l’anthropologue Marcel Mauss appelait la logique du don / réception / contre-don. Ainsi circule entre les êtres une dette d’amour, insolvable, qui en se déplaçant crée entre nous une communion de destin, d’affection, de fraternité ouverte.

 

À ce titre, le premier samaritain de nos vies, c’est le Christ lui-même : reconnaître qu’il s’est approché de moi, m’a relevé de mes blessures et de la mort, a versé sur moi l’huile du baptême et le vin de l’eucharistie, m’a conduit à l’auberge–Église, où il a tout payé d’avance pour moi, c’est aimer le Christ comme mon samaritain à qui je dois tout : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2,20).

 

D’ailleurs, dans l’évangile de Luc, c’est Dieu lui-même qui éprouve la miséricorde (λεος =  eleos) du samaritain. Marie en est témoin la première : dans son Magnificat (« Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. [...] Il relève Israël son serviteur, il se souvient de sa miséricorde » Lc 1,50.54), et dans son partage avec ses voisins (« Ses voisins et sa famille apprirent que le Seigneur lui avait montré la grandeur de sa miséricorde, et ils se réjouissaient avec elle » Lc 1,58).

Zacharie et Élisabeth chantent et célèbrent et se réjouissent du don de la miséricorde accordée à Israël à travers leur couple : « miséricorde qu’il montre envers nos pères, mémoire de son alliance sainte, [...] grâce à la tendresse, à la miséricorde de notre Dieu, quand nous visite l’astre d’en haut » Lc 1,72.78).

Dans le bréviaire (l’office des Heures), nous prions le Magnificat chaque soir et le cantique de Zacharie chaque matin : comment mieux exprimer qu’en christianisme c’est la réception qui est première, avant le faire qu’elle suscite en retour : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).

 

De même, celui qui est « ému de compassion » (σπλαγχνζω = splanchnizō) dans l’évangile de Luc n’est autre que Dieu lui-même :

- le Christ, en voyant la détresse de la veuve de Naïm (« Le Seigneur, l’ayant vue, fut ému de compassion pour elle » Lc 7,13),

- Dieu le Père dans la parabole des deux fils (« Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et l’embrassa » Lc 15,20)

- le Samaritain de notre parabole « un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion » (Lc 10,33).

L’ordo amoris nous demande de mettre Dieu en premier, avant nos familles, nos proches ou nous-même…

 

Orthodoxie et orthopraxieSi nous sommes attentifs à la parabole, nous respecterons les deux temps de cette histoire : d’abord aimer le samaritain qui se fait mon prochain, puis faire de même. Dans cet ordre-là !

Sinon, nous réduisons la parabole à une fable moralisante, et la foi à une liste de bonnes actions à faire, ce qui relève de l’activisme mondain.

Continuer à appeler cette parabole « du bon samaritain » s’inscrit d’ailleurs dans cette ligne moralisante ou « être bon » compte plus que « être aimé ». Or comme dit Jésus : « Qui est bon sinon Dieu seul ? » (Lc 18,19)

 

La foi est plus grande que la morale, qui n’est au mieux qu’une conséquence. Ce n’est pas la morale qui a fait entrer le bon larron le premier au paradis, mais sa confiance, sa foi en Jésus : « Souviens-toi de moi… » (Lc 23,42).

 

De plus, les commentaires de notre parabole versent le plus souvent dans une morale individualiste, focalisée sur les relations interpersonnelles, sans voir les interactions systémiques, structurelles, car centrée sur les symptômes à soulager et non sur les causes à éliminer. Soigner les lépreux en se faisant proche de chacun de, c’est bien. Mais trouver le bacille de la lèpre par la recherche scientifique afin d’éradiquer la maladie, c’est mieux ! Les dames patronnesses du XIX° siècle apportaient des paniers de victuailles aux pauvres ouvriers des mines dont Zola dénonçait la misère, mais n’ont rien fait pour changer leur condition.

C’est toute la difficulté de tirer une morale politique des Évangiles. Convaincus de l’imminence de la venue du royaume de Dieu, ni Jésus ni ses disciples n’ont pris la peine de réfléchir à une société plus juste, à des structures plus humaines. Alors que les juifs rêvent d’un État théocratique où la Torah serait la règle, alors que les musulmans imposent la charia comme preuve de la soumission de toute la société à Allah, les chrétiens se sont tournés vers la Jérusalem céleste à venir aux temps derniers, ou vers le royaume de Dieu survenu dans l’intériorité spirituelle du cœur de chacun. Juifs et musulmans veulent déduire l’organisation de la société de leur foi. Les chrétiens sont renvoyés à leur conscience : « Qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » (Lc 12,14).

 

Bref : pas facile d’articuler les dimensions micro et macro (microéconomie / macroéconomie par exemple) à partir du Nouveau Testament ! Jésus et ses apôtres n’ont pas choisi un régime politique, ils n’ont pas parlé des mécanismes financiers à mettre en place (contrairement à la Torah et au Coran), ni du sida, ni de la PMA, ni de l’euthanasie, ni de la gestion des flux migratoires etc. C’est au prix d’une un immense effort, et devant le scandale de la misère ouvrière XIX° siècle, que le magistère romain a fini par développer une pensée sociale cohérente : la Doctrine sociale de l’Église. Même cette doctrine ne prône pas de modèle unique, ni d’organisation impérative. Le discernement est la règle en christianisme, quand l’obéissance est première en judaïsme dans l’islam.

 

Cependant, les chrétiens continuent hélas à procéder par généralisation de l’attitude du samaritain, comme si additionner les générosités individuelles pouvait résoudre les problèmes collectifs de ce siècle…

 

3. Ni le culte, ni la Loi

Qu’est-ce qui peut nous empêcher d’aimer ainsi les Samaritains de notre vie ?

Le culte et la Loi, répond Jésus, avec une certaine impertinence provocatrice.

  • Grand prêtreLe prêtre – le Cohen – est obnubilé par le culte qu’il doit assurer au Temple de Jérusalem. Prendre le temps de s’arrêter, soigner ce blessé, prendre le risque de l’impureté rituelle à son contact, ce serait compromettre sa mission sacerdotale. Certains prêtres mettent ainsi le culte au-dessus de tout – encens, dorures, froufrous, processions, chasubles et statues – jusqu’à exercer une forme de cléricalisme sur leurs fidèles au nom de leur rôle liturgique. À l’extrême, cela donne les 15 maladies de la Curie romaine dénoncées sans ménagement par le pape François le 22/12/2014 devant des cardinaux médusés par tant de violence verbale : se croire indispensable, l’activisme forcené, la pétrification mentale et spirituelle, la fonctionnarisation, la mauvaise coordination, l’Alzheimer spirituelle, la vanité, la schizophrénie existentielle, la médisance, l’idolâtrie des chefs, l’indifférence, le visage dur, l’accumulation, les cercles fermés, l’exhibitionnisme…

  Bigre ! Impressionnant catalogue, qui explique pourquoi les Cohen d’aujourd’hui s’écartent encore des blessés sur leur route…

  • Le lévite quant à lui est obnubilé par la Loi. Il sait que toucher un cadavre est interdit par la Torah. Cette impureté légale l’obligerait à des rites compliqués et coûteux pour lever l’interdit. Le judaïsme et l’Islam ont toujours été particulièrement tentés par ce règne du permis/défendu en guise de religion. Manger casher ou manger halal, faire ses ablutions « comme il faut », porter une kippa ou un voile, éviter les nourritures non casher ou haram (défendu) : juifs et musulmans sont éduqués dans une religion où la liste des choses à faire ou à ne pas faire est plus importante que le contenu de la foi. Or en christianisme, c’est la foi qui sauve, et non les œuvres : c’est une orthodoxie, alors que judaïsme islam sont des orthopraxies.


Roue de Dorothée de GazaLa pointe de la parabole du samaritain n’est pas d’abord : « fais comme le samaritain » mais : « aime ton Samaritain ». La praxis est seconde (pas secondaire) en christianisme.

La parabole dénonce la loi du culte comme inhumaine quand elle est prioritaire sur tout, et le culte de la Loi comme idolâtrique et meurtrier quand il absolutise le permis et le défendu.

Le docteur de la Loi est un bon représentant de cette « maladie » du culte de la Loi. Le pape François notait avec justesse : « Cet homme pose une autre question, qui devient très précieuse pour nous : « Et qui est mon prochain ? » (v. 29), en sous-entendant : « Mes parents ? Mes concitoyens ? Ceux de ma religion ?… « . En somme, il veut une règle claire qui lui permette de classifier les autres entre les « prochains » et les « non-prochains », entre ceux qui peuvent devenir prochains et ceux qui ne peuvent pas devenir prochains ».

N’est-ce pas l’attitude de J.D. Vance, qui hiérarchise ses solidarités en cercles concentriques (et égocentriques !) ?

 

Répétons-le : à eux seuls, ni le culte ni la Loi ne peuvent nous sauver ni rendre le monde meilleur. Pire : la loi du culte pétrifie l’amour, le culte de la loi le rend impossible.

Comme le disait le pape François – qui décidément a longuement et souvent médité cette parabole du samaritain – :

« Que le Seigneur nous délivre des bandits – il y en a tellement ! –, qu’il nous libère des prêtres trop pressés, qui n’ont jamais le temps d’écouter, de voir, et doivent faire leurs choses ; qu’il nous libère des docteurs qui veulent présenter la foi en Jésus Christ comme une règle mathématique; et qu’il nous enseigne à nous arrêter, qu‘il nous enseigne cette sagesse de l’Évangile : « se salir les mains ». Que le Seigneur nous donne cette grâce ».

LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« Elle est tout près de toi, cette Parole, afin que tu la mettes en pratique » (Dt 30, 10-14)


Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple : « Écoute la voix du Seigneur ton Dieu, en observant ses commandements et ses décrets inscrits dans ce livre de la Loi, et reviens au Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme. Car cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. Elle n’est pas dans les cieux, pour que tu dises : ‘Qui montera aux cieux nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ?’ Elle n’est pas au-delà des mers, pour que tu dises : ‘Qui se rendra au-delà des mers nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ?’ Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. »


Psaume
(Ps 68, 14, 17, 30-31, 33-34, 36ab.37)
R/ Cherchez Dieu, vous les humbles et votre cœur vivra.


Moi, je te prie, Seigneur :
c’est l’heure de ta grâce ;
dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi,
par ta vérité sauve-moi.


Réponds-moi, Seigneur,
car il est bon, ton amour ;
dans ta grande tendresse,
regarde-moi.


Et moi, humilié, meurtri,
que ton salut, Dieu, me redresse.
Et je louerai le nom de Dieu par un cantique,
je vais le magnifier, lui rendre grâce.


Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête :
« Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! »
Car le Seigneur écoute les humbles,
il n’oublie pas les siens emprisonnés.


Car Dieu viendra sauver Sion
et rebâtir les villes de Juda.
patrimoine pour les descendants de ses serviteurs,
demeure pour ceux qui aiment son nom.


Deuxième lecture
« Tout est créé par lui et pour lui » (Col 1, 15-20)


Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens
Le Christ Jésus est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature : en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. Les êtres visibles et invisibles, Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui.
Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté. Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel.


Évangile
« Qui est mon prochain ? » (Lc 10, 25-37)
Alléluia. Alléluia.
Tes paroles, Seigneur, sont esprit et elles sont vie ; tu as les paroles de la vie éternelle. Alléluia. (cf. Jn 6, 63c.68c)


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. » Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. » Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté. De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté. Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion. Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : ‘Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.’ Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »
Patrick BRAUD

 

 

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29 juin 2025

Schadenfreude : quelle est la vôtre ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 14 h 30 min

Schadenfreude : quelle est la vôtre ?


Homélie pour le 14° Dimanche du Temps Ordinaire / Année C
 06/07/25
 
 
Cf. également :
Voyagez léger et court-vêtu !
Secouez la poussière de vos pieds
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
Je voyais Satan tomber comme l’éclair
Les 72
Briefer et débriefer à la manière du Christ
Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?

 

Le pas de danse d’Hitler

L’archive audiovisuelle est glaçante. 

Hitler vient inspecter le 21 juin 1940 la clairière de Rethondes, où il a fait venir le wagon-symbole de l’humiliation allemande, celui-là même où l’armistice fut signé par le maréchal Foch et les généraux allemands lors de la défaite de 1918. On voit Hitler descendre du wagon, tout sourire, laissant même éclater sa joie en esquissant un pas de danse comme rarement. Ce triomphe jubilatoire crée en nous malaise et dégoût, à juste titre. Comment peut-on se réjouir du malheur d’autrui à ce point ? Comment se réjouir de la domination, des milliers de morts, de blessés, de réfugiés qui en sont le prix ? La joie d’Hitler est pire encore : il rend le mal pour le mal. Il répond à une humiliation par une autre, plus grande. C’est donc plus qu’un simple plaisir face au malheur : c’est une mise en scène théâtrale de vengeance historique, nourrie par le ressentiment et l’humiliation collective. On pourrait presque parler d’un sadisme politique symbolique, un geste de jouissance narcissique dans l’abaissement de l’autre.

 

Quel rapport entre Hitler à Rethondes et notre Évangile (Lc 10,1–20), me direz-vous ? Lisez bien la dernière phrase du texte : « Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux ».

Les 72 n’esquissent pas de pas de danse, mais leur joie est symétrique de celle d’Hitler, à camps renversés : ils se réjouissent de la défaite totale des forces du mal. Et, après tout, nous ferions sûrement comme eux ! Songez à la liesse populaire lors de la libération de Strasbourg ou Paris, à l’ivresse des Roumains crachant sur les cadavres des Ceausescu, ou plus simplement à la joie bizarre des supporters lorsque le joueur de foot adverse manque son penalty… À Roland-Garros, il est de tradition (mais la tradition se perd !) de ne pas applaudir un point gagné sur une faute directe. Car l’éthique sportive se méfie comme de la peste de cette joie mauvaise qui guette les aficionados : lorsque le malheur des uns fait le bonheur des autres, alors la violence n’est jamais bien loin, et l’inhumanité progresse.

 

SchadenfreudeLes Allemands ont un terme bien spécifique pour nommer cette joie maligne : Schadenfreude. Schaden désigne le dommage causé à autrui : si cela engendre de la joie (Freude) en nous – même si l’autre est dans son tort – nous sommes les 72, à nous tromper de motif pour nous réjouir. 

Nous n’avons pas l’équivalent en français. On parlera de joie mauvaise, ou maligne, de se réjouir du malheur d’autrui, d’éprouver un malin plaisir… 

La Schadenfreude repose sur un sentiment d’injustice réparée : « C’est bien fait ! » « Il l’a bien mérité… ». Mais c’est une réparation « œil pour œil, dent pour dent », qui hélas n’arrête pas la violence. Elle la propage au contraire. Comme le cycle infernal des attentats–représailles entre Gaza et Israël : les militants du Hamas exultaient lors du massacre (pogrom) du 7 octobre 2023, en pensant : « C’est bien fait pour les juifs ! ». Et certains en Israël se réjouissent des frappes en retour sur Gaza : « Les Palestiniens n’ont que ce qu’ils méritent ». Tant que chacun se réjouit du malheur de l’autre, la violence prolifère.

 

D’où vient cette Schadenfreude ? Comment la Bible et les auteurs anciens en ont-ils parlé ? Quel serait l’antidote proposé par Jésus ?

 

Aristote, déjà…

Au IV° siècle avant J.-C., Aristote pointait déjà ce qu’il qualifiait de « vice moral » et qu’il appelait en grec : πχαιρέκκος  = epĭkhairékăkos).

Éthique à NicomaqueCe nom peut se traduire littéralement par : la joie (epi-khaírō = se réjouir de) née du mal (kăkós = le mal). Cette joie-là est incompatible avec les vertus telles que la grandeur d’âme et l’amitié. Aristote la distingue de l’envie et de l’indignation, en la caractérisant par une joie malveillante face au malheur d’autrui.

Aristote distingue plusieurs attitudes face au bonheur ou au malheur d’autrui :

« L’indignation que cause le bonheur immérité d’autrui tient le milieu entre l’envie et la malignité ; ces sentiments ont rapport à la peine et au plaisir causés par ce qui arrive aux autres. C’est qu’en effet l’homme qui ressent cette indignation s’afflige d’un bonheur immérité, tandis que l’envieux, allant plus loin, s’afflige du bonheur d’autrui, en toutes circonstances, et celui qui est réellement atteint de malignité, loin de s’affliger du malheur d’autrui, s’en réjouit » (Éthique à Nicomaque, Livre II, ch. 7 – Sur la malignité). 

Plus loin, dans sa discussion sur la grandeur d’âme (megalopsychia), Aristote souligne que l’homme magnanime « ne se réjouit pas des malheurs d’autrui, mais plutôt s’afflige de leur infortune » (Livre IV, ch. 6). Cela montre que la Schadenfreude est incompatible avec la vertu de grandeur d’âme, qui implique compassion et bienveillance. Elle est également incompatible avec l’amitié : « les amis se réjouissent des biens de leurs amis et s’attristent de leurs maux » (Livre IX, ch. 4). Ainsi, la Schadenfreude est contraire à l’essence même de l’amitié, qui repose sur la sympathie et le partage des émottions.

Thomas d’Aquin a traduit ce terme πχαιρέκκος par l’expression latine : « gaudium de malo » = la joie provenant du malheur fait à autrui.

 

Les philosophes se sont également intéressés à « la joie malsaine ». Nul n’a été plus clair que Schopenhauer, qui l’a rangée du côté de la corruption morale :

« Ressentir de l’envie est humain, se réjouir du malheur d’autrui est diabolique ».

« Il n’y a pas de signe plus infaillible d’un cœur foncièrement mauvais que la Schadenfreude pure et sincère. Il faut éviter à jamais celui en qui on l’a perçue ». « La Schadenfreude est étroitement liée à la cruauté ». 

 

Le révérend Trench, un archevêque britannique du XIX° siècle, a d’ailleurs écrit qu’avoir un mot pour une émotion aussi damnable était la preuve de la corruption d’une culture !

 

Pierre DesprogesÀ l’opposé de Schopenhauer, Nietzsche constatait cyniquement : « Voir les autres souffrir fait du bien ». Dans « Le Voyageur et son ombre », il analyse la Schadenfreude comme une manifestation du désir d’égalité : « La Schadenfreude naît du fait que chacun se sent mal dans certains aspects bien connus de lui-même, éprouve de l’inquiétude, de l’envie ou de la douleur : le malheur qui frappe l’autre le met à égalité avec lui, apaise son envie. [...] La Schadenfreude est l’expression la plus commune de la victoire et du rétablissement de l’égalité, même au sein de l’ordre supérieur du monde. Ce n’est que depuis que l’homme a appris à voir en d’autres hommes ses semblables, donc depuis la fondation de la société, que la Schadenfreude existe ». La revanche du dominé, en quelque sorte.

On comprend que les nazis se soient emparés de cette justification pour rire en brûlant les livres et œuvres d’art « dégénérées », en jouissant et se réjouissant du châtiment frappant les juifs dans les camps de la mort…

Pierre Desproges ne disait-il pas, avec son ironie habituelle :

« Il ne suffit pas d’être heureux, encore faut-il que les autres soient malheureux » ?…

Friedrich Schiller dénonce la Schadenfreude comme une vengeance mesquine contre la grandeur d’autrui : « Apprenez à connaître cette race, fausse et sans cœur ! C’est par la Schadenfreude qu’ils se vengent de votre bonheur, de votre grandeur » (Die Braut von Messina, 1803).

L’Analyse Transactionnelle a repéré que chacun peut rire de lui-même et de ses propres malheurs, dans un réflexe d’auto-dérision où le rire vient confirmer la piètre idée que l’on se fait de soi : « tu n’es vraiment bon à rien »… Une Schadenfreude retournée contre nous-même, que l’on appelle : « le rire du pendu » ! Car certains brigands autrefois pendus à la potence ironisaient sur leur propre fiasco, convaincus de mériter leur fin pitoyable… Cette joie autodestructrice interprète le moindre aléa comme la confirmation de notre nullité, ce qui en coaching relève d’une « croyance limitante », nous paralysant dans notre progression personnelle.


La Schadenfreude dans la Bible

Fins observateurs de la nature humaine, les auteurs bibliques n’ont pas manqué eux aussi de croquer cette inclination à la Schadenfreude, présente même chez les meilleurs, même chez les croyants les plus fidèles. Ainsi le livre des Proverbes avertit explicitement et solennellement : « Si ton ennemi tombe, ne te réjouis pas ; s’il s’effondre, ne jubile pas : le Seigneur verrait cela d’un mauvais œil et détournerait de lui sa colère ! » (Pr 24,17-18). Ici, la Bible va jusqu’à dire que se réjouir du malheur d’un ennemi est mal vu par Dieu lui-même, et peut détourner la justice divine.

Schadenfreude : quelle est la vôtre ? dans Communauté spirituelle LHEVIII_5b111903ae527_moleiro.com-LHEVIII-Jobenelmuladar_6Les textes sapientiaux multiplient les condamnations de cette attitude, car Dieu – lui – fait pleuvoir sur les bons et sur les méchants.

« Qui se moque d’un pauvre insulte Dieu qui l’a fait, qui se réjouit du malheur ne restera pas impuni » (Pr 17,5).

Job lui-même proteste de son innocence en rappelant à Dieu que la Schadenfreude lui est étrangère, ce qui à ses yeux est une preuve de sa justice. « Me suis-je réjoui de la ruine de mon ennemi ? Ai-je bondi de joie quand le malheur le frappait ? Jamais je n’ai laissé ma langue pécher en réclamant sa vie par une imprécation ! » (Jb 31,29–30).

La réprobation des sages est unanime : « Ils [les injustes] prennent plaisir à faire le mal, ils se complaisent dans la pire des perversités » (Pr 2,14).

 

Les prophètes d’Israël dénoncent eux aussi l’inhumanité de ceux qui se réjouissent de la chute de Jérusalem (en -587) : « Tous les passants du chemin battent des mains contre toi ; ils sifflent et hochent la tête devant la fille de Jérusalem : “Est-ce la ville que l’on disait “Toute-belle”, “Joie de toute la terre” ?” Contre toi ils ouvrent la bouche, tous tes ennemis, ils sifflent et grincent des dents ; ils disent : “Nous l’avons engloutie ! Voilà bien le jour que nous espérions : nous y arrivons, nous le voyons !” Le Seigneur fait ce qu’il a résolu, il accomplit sa parole décrétée depuis les jours d’autrefois : il détruit sans pitié ! Il réjouit à tes dépens l’ennemi, il accroît la force de tes adversaires » (Lm 2,15–17). Ce comportement est cruel, injuste, et passible du jugement divin. 

Les nations voisines, comme Édom et Moab, jubilent en voyant la chute du royaume de Juda. Leur joie malveillante leur vaudra le châtiment de Dieu en retour : « Ne regarde pas avec plaisir le jour de ton frère, le jour de son désastre. Ne te réjouis pas au sujet des fils de Juda, le jour de leur perdition. N’aie pas le verbe haut, le jour de la détresse » (Abdias 1,12). Dieu condamne cette Schadenfreude collective, vue comme une trahison fraternelle.

« Ainsi parle le Seigneur Dieu : Parce que tu as battu des mains et tapé du pied, que tu as eu une joie profonde, un mépris total pour ce qui arrivait à la terre d’Israël… » (Ez 25,6). Ici encore, des peuples se réjouissent activement et publiquement du malheur d’Israël — avec des gestes physiques de joie. Dieu y voit une profanation. Amos leur transmet la conséquence inévitable de leur manque de compassion : « Ainsi parle le Seigneur : À cause de trois crimes d’Édom, et même de quatre, je l’ai décidé sans retour ! Parce qu’il a poursuivi de l’épée son frère, étouffant sa pitié, et entretenu sans fin sa fureur, gardant à jamais sa rancune, j’enverrai un feu dans Témane, et il dévorera les palais de Bosra » (Am 1,11–12).

 

Dans le livre d’Esther, le premier ministre perse Amane jubile à l’idée de faire pendre Mardochée, le juif. Il prépare même la potence. Finalement, grâce à Esther, c’est lui-même qui sera pendu sur cette même potence ! La Schadenfreude d’Amane devient son châtiment. C’est là une des constantes de la Bible : le mal finit toujours par se retourner contre son auteur, et par causer sa perte.

 

Bosch Portement de croixLe Nouveau Testament reprend ce triste constat de l’inhumanité de ceux qui se réjouissent du malheur d’autrui. Ainsi les spectateurs de la crucifixion de Jésus (les foules exultent souvent aux exécutions) : « Les passants l’injuriaient en hochant la tête » (Mt 27,39). On y entend l’écho de la Schadenfreude des contempteurs de Jérusalem applaudissant sa destruction : « Tous les passants du chemin battent des mains contre toi ; ils sifflent et hochent la tête devant la fille de Jérusalem… » (Lm 2,15–17).…

Jésus avait prévenu ses disciples : le monde se réjouira de les voir livrés aux fauves dans les arènes romaines, ou lapidés par les juifs, ou brûlés en torches humaines par Néron : « Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie » (Jn 16,20).

 

Les grands prêtres se réjouissent de la trahison de Judas qui leur livre leur adversaire sur un plateau : « Judas Iscariote, l’un des Douze, alla trouver les grands prêtres pour leur livrer Jésus. À cette nouvelle, ils se réjouirent et promirent de lui donner de l’argent. Et Judas cherchait comment le livrer au moment favorable » (Mc 14,10–11).

 

Dans la parabole du fils prodigue, le fils aîné témoigne d’une forme subtile de ‘Schadenfreude inversée’ en quelque sorte : il voulait voir son frère souffrir en expiation de sa désertion familiale, et cela l’aurait réjoui, car à ses yeux ce ne serait que justice. D’où son amertume devant la miséricorde imméritée accordée par son Père. Il refuse de se réjouir du retour de son frère, et semble déçu qu’il n’ait pas été puni : « Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !” » (Lc 15,28-30)

L’amertume face à la miséricorde accordée à autrui est un indice de l’emprise de la Schadenfreude sur nous…

 

La dénonciation biblique de la Schadenfreude met en évidence les racines cachées de ce mépris :

– une conception mécanique de la justice, conçue comme essentiellement punitive : « il l’a bien mérité ! ». Or la justice divine est salvifique, et non meurtrière : « Je ne veux pas la mort du méchant, mais qu’il se convertisse » (Ez 18,23).

– l’absence d’empathie : si vous arrivez à « chausser les mocassins de votre ennemi », à vous mettre à sa place, vous aurez du mal à vous réjouir de son malheur.

- le ressentiment : si une mésaventure arrive à une personne que nous n’aimons pas ou qui s’est mal comportée avec nous, la sensation serait liée à un sentiment de restauration de l’ordre naturel, rétablissant en quelque sorte à l’équilibre. C’est la revanche du dominé.

- la déshumanisation. Déshumaniser autrui – que ce soit l’ennemi juif ou gazaoui, ukrainien ou russe, le migrant mexicain ou l’adversaire politique – permet de ressentir de la joie face à l’échec d’une personne ou d’un groupe. Chaque fois qu’on traite quelqu’un de noms d’animaux, de choses grossières ou d’objets repoussants, on prépare l’opinion à rire de son malheur. L’antisémitisme nazi avait bien compris ce ressort de la haine populaire…

– l’aveuglement sur nous-mêmes. Ceux qui n’ont pas d’intériorité, de vie spirituelle ou morale auront du mal à discerner les mouvements qui les animent, et plus encore à les qualifier. Applaudir au malheur d’autrui leur semblera aussi naturel que de prendre de force ce qu’ils convoitent. Sans une éducation au discernement de nos émotions, sans une pédagogie d’apprentissage de l’empathie, comment s’étonner que certains cèdent à la Schadenfreude sans complexe ?

 

L’antidote de Jésus à la Schadenfreude

« Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux ».

Luc-1017-24 72 dans Communauté spirituelleVoilà l’antidote : non seulement refuser de céder à l’inclination à la joie malsaine, mais orienter sa joie vers ce qui – en Dieu – est positivement une bonne nouvelle, inaliénable : « nos noms sont écrits dans les cieux ». Paul le redira à sa manière : « L’amour ne se réjouit pas de ce qui est injuste, il trouve sa joie dans ce qui est vrai » (1Co 13,6).

Dans un premier temps, la menace de nous exposer à ce que notre mépris se retourne contre nous devrait nous faire réfléchir lorsque nous sommes tentés de rire du malheur d’autrui. C’est la version Schadenfreude du constat de Jésus : « celui qui vit par l’épée périra par l’épée » (Mt 26,52).

Cet avertissement ne suffit pas : nous pouvons apprendre à désirer ce qui est vrai, ce qui est bien, ce qui est beau, au lieu de nous laisser avilir à des réjouissances malsaines. Et Jésus oriente notre désir vers la contemplation de la gratuité absolue du salut qui nous est offert en lui : « Vos noms sont écrits dans les cieux ». C’est fait ; c’est déjà réalisé ! Pas besoin d’angoisser ni de vouloir le « mériter » : il suffit d’accueillir ! Marie le sait d’expérience, depuis la parole de Gabriel : « L’ange entra chez elle et dit : « Réjouis-toi (χαρω = chairō), comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi ! » (Lc 1,28 ; cf. So 3,14 ; Za 9,9).

 

Il y a une manière divine d‘écrire les noms humains pour les graver à jamais en lui. 

Name and rejoice en quelque sorte, au lieu de Name and shame… 

 JésusCe que nous pouvons faire nous aussi avec ceux que nous aimons à jamais. À la manière du grand-prêtre qui portait sur sa poitrine les noms des douze tribus d’Israël : « Les pierres étaient aux noms des fils d’Israël ; comme leurs noms, elles étaient douze, écrites (gravées) dans la pierre à la manière d’un sceau ; chacune portait le nom de l’une des douze tribus » (Ex 39,14). À la manière également de Paul qui chérit les communautés qu’il a engendrées, et les compare à une lettre écrite par le Christ dans le cœur des fidèles : « Notre lettre de recommandation, c’est vous, elle est écrite dans nos cœurs, et tout le monde peut en avoir connaissance et la lire. De toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2Co 3,2-3).

Nos noms sont inscrits dans les cieux, gravés sur le pectoral du Grand-Prêtre, écrits en nos cœurs par l’Esprit du Dieu vivant, formant en nous une lettre de chair au lieu de la Loi de pierre… À la fin des temps, nous auront la surprise de découvrir notre vrai nom écrit sue la caillou que Dieu remettra en chacun en signe de sa véritable identité divine : « Au vainqueur je donnerai de la manne cachée, je lui donnerai un caillou blanc, et, écrit sur ce caillou, un nom nouveau que nul ne sait, sauf celui qui le reçoit » (Ap 2,17).

Pour la Bible, écrire le nom de quelqu’un sur la pierre, dans les cieux, dans les cœurs ou sur la terre – comme Jésus pourrait l’avoir fait face à ses accusateurs devant la femme adultère – est donc lourd de sens !

 

Lorsque nous aurons envie de sourire, de rire ou d’applaudir au malheur d’autrui ‑ même le plus cruel de nos ennemis – rappelons-nous le pas de danse d’Hitler dans la clairière de Rethondes. Rappelons-nous surtout la bonne nouvelle affirmée par Jésus : « Vos noms sont écrits dans les cieux ».

La Schadenfreude est réellement inhumaine.

Mais, au fait : quelle est la vôtre ?…

 

Lectures de la messe


Première lecture
« Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve » (Is 66, 10-14c)


Lecture du livre du prophète Isaïe
Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez !
Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire. Car le Seigneur le déclare : « Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. » Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ; et vos os revivront comme l’herbe reverdit. Le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs.


Psaume
(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur !
 (cf. Ps 65, 1)


Acclamez Dieu, toute la terre ;

fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom
Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.


Il changea la mer en terre ferme :

ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
Il règne à jamais par sa puissance.


Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu :

je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ;
Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !


Deuxième lecture
« Je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus » (Ga 6, 14-18)


Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates
Frères, pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis, c’est d’être une création nouvelle. Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie et pour l’Israël de Dieu, paix et miséricorde. Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter, car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus. Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen.


Évangile
« Votre paix ira reposer sur lui » (Lc 10, 1-12.17-20)
Alléluia. Alléluia.
Que dans vos cœurs, règne la paix du Christ ; que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse. Alléluia. (Col 3, 15a.16a)


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, parmi les disciples, le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’ S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : ‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ » Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.’ Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. »
Les 72 disciples revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »
Patrick BRAUD

 

 

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