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25 juin 2018

Petite théologie du football

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Petite théologie du football


Homélie pour le 13° dimanche du temps ordinaire / Année B
01/07/2018

Cf. également :

La générosité de Dieu est la nôtre
Les matriochkas du 12
Coupe du monde de rugby : petit lexique à usage théologique
Petite théologie du rugby pour la Coupe du Monde


« Le football est un jeu très simple : 22 hommes courent après une balle pendant 90 mn, et à la fin ce sont les Allemands qui gagnent »
 : cette boutade de Gary Lineker (ancien international anglais) nous plonge d’emblée dans une atmosphère quasi-biblique pendant cette Coupe du Monde, avec cette notion de peuple élu que serait l’Allemagne (ou le Brésil) pour incarner le dieu football…

Puisque la coupe du monde de football bat son plein en Russie, essayons – comme nous l’avons fait pour le rugby – de reconsidérer quelques éléments de ce sport sous un éclairage philosophique et théologique.

Il y a d’abord tous les éléments communs aux sports en général. Et en premier lieu la ritualisation de la violence : plutôt que d’en venir aux mains entre bandes rivales, mieux vaut mettre en jeu la rivalité en la mettant en scène sur un terrain de manière régulée, régulière, et la ritualiser avec quelques-uns représentant tout le groupe. Le jeu de balle se pratique depuis environ 3000 ans, et on a des exemples célèbres où il a permis de désamorcer les conflits.
Petite théologie du football dans Communauté spirituellePar exemple au Mexique au XVI° siècle. Deux rois de la triple alliance aztèque Nezahualpilli (Roi de Texcoco) et Motecuzoma II (Roi de Tenochtitlan et empereur des aztèques) se sont livrés en 1519 un combat singulier : un partie de jeu de balle (jeu connu à Chichen Itza dans l’actuel Mexique depuis le VI° siècle av JC 
[1]). Le match-duel se termina par la victoire sans conteste du roi de Texcoco (pourtant moins puissant que l’empereur). Il fit passer la balle dans l’anneau scellé au mur, exploit suprême. L’empereur se retrouva contraint de céder au vœu de pacifisme du roi de Texcoco formulé avant le match en cas de victoire. Le récit du match se trouvait aussi bien dans les annales de Texcoco que de celle de Tenochtitlan.

Exorciser la violence en la ritualisant, en la codifiant, en la symbolisant est une fonction quasi religieuse. Les sacrements font-ils autrement autre chose dans la foi chrétienne que d’exorciser la mort par le baptême, la violence sacrificielle par l’eucharistie, la guerre des sexes par le mariage ?

Dans les sports collectifs il y a bien d’autres éléments qui relèvent du religieux.
On peut évoquer rapidement le désir de se dépasser, témoin de la transcendance qui habite en nous, la ferveur qui unit les supporters touche à la communion au sens le plus fort et le plus spirituel du terme (on sait que le sport est un opérateur de convivialité, autour d’un apéro entre le voisin, famille, amis ou d’un barbecue…). Les manifestations d’unité en 1998 en France lorsque nous avons été champions du monde sont encore dans toutes les mémoires. On peut évoquer encore l’apprentissage de l’échec et l’humilité qui en découle ; le rôle si important du juge arbitre, référence inconsciente au jugement dernier où chacun est sanctionné pour ses fautes et salué lorsqu’il atteint son but etc.

Essayons de repérer quelques éléments propres au football.

 

Une quasi-religion, plus populaire et universelle que les grandes religions

Le football parle à tous, mais avec prédilection aux plus pauvres. Il leur fait entendre une promesse de gloire, une fierté d’appartenance, une espérance de salut hors de la misère quotidienne. Comme avec la religion : ce qui fait dire au théologien protestant Paul Tillich que le football est une quasi-religion, populaire, mondiale. Par exemple, la Coupe du Monde de la FIFA 2014 a attiré plus de 3,2 milliards de téléspectateurs ; 1 milliard ont suivi tout ou partie de la finale selon les chiffres définitifs de la FIFA et de KantarSport… Quelle religion peut en dire autant ?

 

La main interdite
Curieuse, cette interdiction de toucher le ballon avec les mains !

argentine-1986-away-main-de-dieu-et-but-du-siecle coupe dans Communauté spirituelleC’est ce qui oblige chacun à déployer des trésors de virtuosité avec ses pieds, sa tête, ses genoux, sa poitrine. C’est comme si le rôle fondateur de l’interdit était discrètement rappelé, alors que jouer à la main est aussi désirable que le fruit de l’arbre de la Genèse ! Heureusement, Daniel Webb Ellis en 1823 transgressera cet interdit, et le rugby fera jouer tout le corps humain (mais avec d’autres interdits, comme l’en-avant ! Comme quoi on ne peut pas se passer d’interdit…).
Le gardien est le seul à être dispensé de cet interdit : joueur à part, situation unique dans les sports collectifs. Un peu comme les cohen (prêtres juifs) qui seuls avaient le droit de rentrer dans le parvis réservé et le sanctuaire. Le gardien est le seul à pouvoir mettre la main sur le ballon dans la surface de réparation. D’ailleurs, faire entrer la balle dans les filets adverses ne revient-il pas à prendre possession du Temple de Jérusalem comme le firent Nabuchodonosor et l’empire romain en leur temps ? Il s’agirait alors de déposséder le Dieu de l’autre de son prestige et de sa force.

 

La notion de réparation

shoot 2 goal ligue mondiale 2018 jeu de foot capture d'écran 2En Israël, il y avait des sacrifices d’animaux en guise de réparation d’une faute commise envers Dieu. En football, il y a une surface pour cela, dont le but tient lieu de Temple. Toute faute commise dans cet espace donne lieu à un penalty (pénalité en anglais) car sa gravité est proportionnelle à la proximité du lieu saint ! Le penalty est un peu le sacrifice de réparation après une grave entorse au règlement de la violence codifiée. La surface de réparation est le parvis symbolique où l’on sacrifie les animaux pour rétablir la paix avec Dieu.

 

 

Le génie individuel, ou le messianisme sécularisé

Un hat trick, ou coup du chapeau en françaisUn seul joueur peut renverser le cours d’un match. Le doublé d’un Antoine Griezmann, le coup du chapeau (triplé consécutif) d’un Christiano Ronaldo peuvent à eux seuls décider de l’issue incertaine d’un match. C’est comme si un seul individu, soudain revêtu de grâce (charisme en grec) et de talent, pouvait devenir le sauveur de son équipe, et finalement de son peuple. La nature même du sport et en particulier du football, où une carrière et une vie peuvent basculer grâce un but, semble propice au recours au sacré. Dans nul autre sport collectif le rôle de l’individuel n’est aussi décisif (sauf peut-être le basket-ball). Impossible par exemple pour un rugbyman de faire basculer à lui tout seul le score d’une partie. Même les buteurs fameux comme Wilkinson ont besoin que les autres joueurs poussent les autres à la faute pour pouvoir tranquillement enquiller pénalité sur pénalité. Et d’ailleurs justement, même ici, on retrouve les origines footballistiques du rugby, car ce sont des coups de pied arrêtés, et non des jeux de mains…

L’héroïsme qui distingue l’un des Onze d’une équipe de foot (les Douze moins Judas ?) comme le sauveur, le Messie de tous n’est pas loin du messianisme juif ou chrétien. Un seul homme, Jésus, peut en effet inverser le sort humain. Là où tous ont échoué depuis Adam, il a suffi que lui réussisse (par la croix) pour que tous deviennent vainqueurs en lui et grâce à lui. La concentration sur la figure d’un seul au milieu de tous a bien des affinités avec la mise à part du Christ comme seul sauveur, seul médiateur entre Dieu et les hommes (la fameuse main de Dieu de Maradona en est un exemple poussé à l’extrême !). Il y a donc quelque chose de christique dans la légende vivante qui entoure les héros du football, de Just Fontaine à Lionel Messi, en passant par Pelé et autres Zidane…

 

Un vecteur de l’identité nationale et de la communion entre les peuples

France 10 - T-shirt contrasté HommeÀ l’heure de la globalisation à tout-va, chanter l’hymne national (souvent guerrier) pour se démarquer de l’autre partie du stade qui chantera l’autre l’hymne national, c’est presque une provocation. Le thème de l’identité d’un peuple, renforcé par le drapeau, les couleurs du maillot (la Squadra azzura, les Bleus, les Oranges…) revient ici en force, incompressible, irrépressible. Seuls les nationaux jouent en coupe du monde : pas de mercenaires étrangers, pas d’équipe sans nation. Un pays riche comme le Qatar peut certes s’acheter des stars du ballon rond à coups de milliards pour les naturaliser ensuite, cela ne fait toujours pas une sélection nationale. Renforcer l’identité des participants tout en l’ouvrant à la différence, voilà une belle opération symbolique que le football réussit à merveille, quelquefois bien mieux que les religions établies.

 

Tout gamin de la rue a sa chance

Pelé - naissance d’une légendePelé est la figure de l’ascension sociale fulgurante que peut provoquer le football. Sans école ni formation préalable, un gamin de la rue qui sait d’instinct taper dans le ballon pourra peut-être avoir un avenir exceptionnel. Le football fait la promesse d’élever les humbles et d’offrir à leurs chances aux petits. Le Magnificat n’est pas loin ! Cette promesse n’est pas sans harmoniques évangéliques, même si l’Évangile la fait à tous et pas seulement à quelques vedettes. Reste que la possibilité d’inverser le cours d’une existence, autrement promise à la pauvreté, fait partie du pouvoir de séduction du football. Un peu comme le loto. L’espérance d’une vie meilleure est si fortement chevillée au corps que les pauvres admirent et adulent ceux qui réussissent grâce au football, en s’identifiant à eux. Or c’est également un rôle un des rôles sociaux de la religion que de promouvoir chaque membre de la communauté à une vie meilleure, sur tous les plans, même matériel. Les catholiques ont beaucoup pratiqué ce lien entre baptême et ascension sociale, notamment dans les pays de mission. Actuellement, dans les banlieues et les zones de pauvreté, ce sont plutôt les évangéliques qui relèvent ce défi toujours actuel.

 

La tentation superstitieuse

Plus que les autres sports, le football donne lieu à des manifestations publiques de religiosité étonnantes. Olivier Giroud, l’attaquant de l’équipe de France, s’est tatoué un psaume en latin sur le bras (« le Seigneur est mon Berger, je ne manque de rien »). Une foi affichée et assumée qui devrait engager aussi à l’extérieur des terrains de football…

 footballLe 6 juin 2016, le jeune brésilien Neymar, vainqueur de la ligue des champions avec le FC  Barcelone, revêt le bandeau « 100% Jésus » pour célébrer la victoire. Une inscription plus tard censurée par la FIFA dans une vidéo pour la cérémonie du ballon d’or. Après leur victoire en 2002, l’équipe brésilienne tout entière s’est agenouillée en cercle pour une prière collective intense. Quelques joueurs enlevaient leurs maillots pour laisser apparaître leur T-shirts où était écrit : « J’appartiens à Jésus » (« I belong to Jesus »). L’influence évangéliste sur ce genre de pratiques publiques est manifeste.

Le risque est grand d’utiliser Dieu pour la victoire. « Dieu avec nous » est hélas un vieux slogan que l’on peut trouver chez les meilleurs comme chez les pires. Instrumentaliser Dieu pour le succès a été le péché d’Israël : il croyait que Dieu sortait avec ses armées, et il a fallu une énorme défaite (1 Samuel 4) -  avec pourtant l’arche d’Alliance comme emblème – pour que le peuple redécouvre le commandement du Décalogue : « tu ne prononceras pas le Nom de ton Dieu en vain » (Dt 5,11). La superstition (ou la magie) consiste justement à invoquer des force invisibles pour expliquer ou favoriser le cours des évènements…

 

La tentation du divertissement

« Les hommes, ayant perdu le paradis, se mirent à courir après une balle. »

 rugbyCette citation attribuée à Blaise Pascal nous met sur la piste de l’utilisation du football comme divertissement, au sens pascalien du terme, c’est-à-dire quelque chose qui nous divertit, nous détourne de l’essentiel. Les pouvoirs publics utilisent le football et le sport comme force de légitimation (cf. Hitler et les jeux de Berlin, ou l’URSS et le dopage). Ils savent également que le peuple qui a la tête au football ne manifestera pas dans la rue, et oubliera ses problèmes le temps de la compétition et après. Les individus quant à eux vont chercher à s’étourdir dans l’euphorie des supporters, pour oublier leurs problèmes. Poutine en Russie ou Macron en France n’ont pas laissé passer cette occasion d’instrumentaliser la réussite de leur équipe nationale…

Cette vision pessimiste du plaisir des supporters est très puritaine ! Les catholiques préfèreront voir dans ce divertissement un jeu proprement humain, qui n’est pas sans rappeler le plaisir du jeu dont la Sagesse se délectait auprès du Créateur à l’origine du monde (Proverbes 8)…

 

La tentation du mercenaire

Le revers de cette médaille de réussite est le risque de vendre son âme au succès et à la richesse qui l’accompagne. Plus que tout autre sport, le football actuel est envahi par l’argent. Chaque année, le mercato fait monter le prix de transfert des joueurs pour les clubs à des sommets de plus en plus extravagants. La FIFA estime à 4 milliards d’€ le chiffre d’affaires à réaliser autour de la Coupe du Monde 2018, dont 2 milliards de bénéfices.

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En bon marxiste, Mélenchon s’en étonne : « comment voulez-vous que je me passionne pour un sport ou des smicards viennent applaudir des milliardaires ? » Devenir footballeur professionnel est un rêve d’enrichissement et de gloire qui hélas transforme la vie des milliers d’enfants, notamment africains, en long exil décevant à travers l’Europe. Pour ceux qui réussissent (en proportion assez rare), l’ascension est fulgurante. Des gamins de 18 ans se retrouvent à amasser des fortunes qui leur brûlent les doigts et leur tournent la tête. Certains deviennent délinquants, voire criminels ; la plupart flambent leur argent en voitures, boîtes de nuit, filles, alcool etc. Sur le terrain, ils ressemblent plus à des mercenaires qu’à des amoureux du ballon rond et d’une identité locale. Ils sont prêts à se vendre au plus offrant. Heureusement, le PSG avec l’argent du Qatar et ses stars si coûteuses ne vaut pas encore le Real Madrid entraîné par Zidane… Reste que le budget d’un club est proportionnel à son succès en Ligue 1 ou Ligue 2, et vice versa hélas. Le mythe du petit Poucet détrônant les pros se réalise de temps en temps en Coupe de France (Guingamp, les Herbiers…). Mais la dure loi de l’argent règne sur les performances des clubs.

Comment ne pas entendre le Christ tonner : « vous ne pouvez servir Dieu et l’argent ? » Ou bien saint Jacques : « malheur à vous les riches. Vos richesses sont pourries ». Quand taper dans un ballon permet à quelqu’un de gagner en un mois plus qu’un ouvrier pourra jamais économiser tout au long de sa vie, on se dit qu’il y a effectivement quelque chose de pourri au royaume du football…

Le pape François a reçu une délégation de footballeurs lundi au Vatican.

Ce ne sont là que quelques linéaments dans le désordre, quelques briques d’une relecture théologique bien incomplète, à affiner davantage.

L’important est dans l’acte même de prendre du recul sur le spectacle de la Coupe du monde qui nous est offert. L’important est de prendre le temps de réfléchir sur ce jeu et sur cet événement mondial : Dieu n’est certes pas absent des stades (le diable non plus !), de la ferveur qui unit des peuple pacifiquement, de l’envie sportive de se dépasser témoignant de la transcendance etc.

Posons un autre regard sur ces réjouissances : un regard de bienveillance qui cherche à discerner les vraies attentes de nos contemporains derrière les enthousiasmes faciles, agréables et fragiles.

 


[1]. On pense, en s’appuyant notamment sur les grandes fresques en bas-reliefs qui entourent le grand terrain de Chichen Itza au Mexique, que lors des grandes fêtes une équipe représentant les forces de l’inframonde (le monde souterrain où les morts se rendaient – symbolisées par des jaguars) affrontait une équipe représentant la lumière (sous la forme d’aigles) avec une balle en caoutchouc (ils maîtrisaient la vulcanisation). Le match pouvait s’étendre sur plus d’un jour et selon les explications des guides sur place, la tête du capitaine de l’équipe perdante était tranchée par le capitaine de l’équipe gagnante et son sang était répandu sur le sol. Les Mayas associaient le sang à la vie et pensaient qu’il permettait donc une fertilisation du sol, améliorant les récoltes. Pour les Mayas, c’était un grand honneur ; on versait la tête était ensuite empalée dans le mur prévu à cet effet juste à côté du stade de ce jeu de balle.

 

 

 

Lectures de la messe
Première lecture
« C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 1, 13-15 ; 2, 23-24)

Lecture du livre de la Sagesse

Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il les a tous créés pour qu’ils subsistent ; ce qui naît dans le monde est porteur de vie : on n’y trouve pas de poison qui fasse mourir. La puissance de la Mort ne règne pas sur la terre, car la justice est immortelle. Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il a fait de lui une image de sa propre identité. C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde ; ils en font l’expérience, ceux qui prennent parti pour lui.

Psaume
(29 (30), 2.4, 5-6ab, 6cd.12, 13)
R/ Je t’exalte, Seigneur : tu m’as relevé. (29, 2a)

Je t’exalte, Seigneur : tu m’as relevé,
tu m’épargnes les rires de l’ennemi.
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.

Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu’un instant,
sa bonté, toute la vie.

Avec le soir, viennent les larmes,
mais au matin, les cris de joie.
Tu as changé mon deuil en une danse,
mes habits funèbres en parure de joie.

Que mon cœur ne se taise pas,
qu’il soit en fête pour toi,
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu,
je te rende grâce !

Deuxième lecture
« Ce que vous avez en abondance comblera les besoins des frères pauvres » (2Co 8, 7.9.13-15) 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, puisque vous avez tout en abondance, la foi, la Parole, la connaissance de Dieu, toute sorte d’empressement et l’amour qui vous vient de nous, qu’il y ait aussi abondance dans votre don généreux ! Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. Il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres, il s’agit d’égalité. Dans la circonstance présente, ce que vous avez en abondance comblera leurs besoins, afin que, réciproquement, ce qu’ils ont en abondance puisse combler vos besoins, et cela fera l’égalité, comme dit l’Écriture à propos de la manne : Celui qui en avait ramassé beaucoup n’eut rien de trop, celui qui en avait ramassé peu ne manqua de rien.

Évangile
« Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! » (Mc 5, 21-43)
Alléluia. Alléluia. Notre Sauveur, le Christ Jésus, a détruit la mort ; il a fait resplendir la vie par l’Évangile. Alléluia. (2 Tm 1, 10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus regagna en barque l’autre rive, et une grande foule s’assembla autour de lui. Il était au bord de la mer. Arrive un des chefs de synagogue, nommé Jaïre. Voyant Jésus, il tombe à ses pieds et le supplie instamment : « Ma fille, encore si jeune, est à la dernière extrémité. Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. » Jésus partit avec lui, et la foule qui le suivait était si nombreuse qu’elle l’écrasait.
Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans… – elle avait beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins, et elle avait dépensé tous ses biens sans avoir la moindre amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré – … cette femme donc, ayant appris ce qu’on disait de Jésus, vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement. Elle se disait en effet : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. » À l’instant, l’hémorragie s’arrêta, et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal. Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule, et il demandait : « Qui a touché mes vêtements ? » Ses disciples lui répondirent : « Tu vois bien la foule qui t’écrase, et tu demandes : “Qui m’a touché ?” » Mais lui regardait tout autour pour voir celle qui avait fait cela. Alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. Jésus lui dit alors : « Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal. »
Comme il parlait encore, des gens arrivent de la maison de Jaïre, le chef de synagogue, pour dire à celui-ci : « Ta fille vient de mourir. À quoi bon déranger encore le Maître ? » Jésus, surprenant ces mots, dit au chef de synagogue : « Ne crains pas, crois seulement. » Il ne laissa personne l’accompagner, sauf Pierre, Jacques, et Jean, le frère de Jacques. Ils arrivent à la maison du chef de synagogue. Jésus voit l’agitation, et des gens qui pleurent et poussent de grands cris. Il entre et leur dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort. » Mais on se moquait de lui. Alors il met tout le monde dehors, prend avec lui le père et la mère de l’enfant, et ceux qui étaient avec lui ; puis il pénètre là où reposait l’enfant. Il saisit la main de l’enfant, et lui dit : « Talitha koum », ce qui signifie : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi! » Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher – elle avait en effet douze ans. Ils furent frappés d’une grande stupeur. Et Jésus leur ordonna fermement de ne le faire savoir à personne ; puis il leur dit de la faire manger.
Patrick BRAUD

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23 avril 2018

Le témoin venu d’ailleurs

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le témoin venu d’ailleurs

Homélie pour le 5° dimanche de Pâques / Année B
29/04/2018

Cf. également :

Que veut dire être émondé ?
La parresia, ou l’audace de la foi
Persévérer dans l’épreuve
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société

Le témoin venu d’ailleurs

Hervé a fait de la prison. Moins d’un an, « pour une bêtise ». À sa sortie, pas grand-monde pour l’accueillir. Ses frères et sœurs dispersés dans toute la France lui envoient un vague message. Il ose quand même se montrer à la réunion de famille suivante. Évidemment, tout le monde ‘tord le nez’ devant lui, évitant de parler de choses qui fâchent, ne le saluant que du bout des lèvres. Tout le monde, sauf un beau-frère autrefois distant, qui prend le temps d’échanger, de lui tendre la perche pour raconter ce qu’il souhaite raconter. Intrigué, Hervé se demande pourquoi il y a que Médéric - cette pièce rapportée - pour lui accorder un peu de valeur. L’interrogeant à son tour, il comprend que Médéric, dont les parents sont d’origine maghrébine, est toléré dans le cercle familial, mais pas vraiment admis ni adopté. Entre moutons noirs, ils se sont reconnus. Pour Hervé, le soutien n’est pas venu de ses proches, mais du deuxième cercle, d’un témoin qui vient d’ailleurs et se révèle un allié inattendu.

Les réunions, le mouton noir du travail – 3 principales raisons de se réunir

Trouver des alliés là où on ne l’attendait pas… N’avez-vous jamais fait cette expérience au travail, en famille, entre amis ?

Pour surmonter les exclusions qui nous rendent douloureusement étranger à nos proches, c’est parfois l’appui d’un étranger qui nous est offert. C’est en tout cas l’expérience que Barnabé fait vivre à la première communauté chrétienne de Jérusalem dans notre première lecture (Ac 9,26-31). Ils ont connaissance des persécutions que Saul inflige à leurs frères en Syrie. Dans ce contexte de dénonciation et d’emprisonnement, ils ont peur d’être exclus des synagogues, livrés au pouvoir romain, accusés de blasphème et d’hérésie. Mais voilà que Barnabé plaide la cause de Saul. Il raconte longuement ce qui lui est arrivé sur le chemin de Damas. Il atteste que Saul est devenu un prédicateur de haute volée pour convaincre les juifs de langue grecque de la résurrection de Jésus.

Grâce à Barnabé, l’Église de Jérusalem découvre qu’elle peut recevoir une aide inattendue venue d’ailleurs. Il lui est donné le renfort d’un témoin exceptionnel, Saul, qu’elle n’a pas formé ni même évangélisé. Plus encore : ce témoin venu d’ailleurs est issu des rangs ennemis. Un ancien persécuteur ! « Paul ne respirait autrefois que menaces et carnage à l’égard des disciples du Seigneur » (Ac 9,1), et le voilà prêchant avec assurance (parresia) au nom du Seigneur !

Voilà d’ailleurs au passage pourquoi aimer ses ennemis n’a rien d’illogique, car Dieu peut faire surgir de l’ennemi d’aujourd’hui le meilleur allié de demain ! Il suffit d’y croire, de se laisser surprendre, et surtout de ne jamais enfermer définitivement quelqu’un dans des actes commis à un moment de son existence.

Nul doute que l’assurance de Saul a contribué à imposer le respect parmi les non-chrétiens, et à garantir à l’Église la paix que décrit le livre des Actes des apôtres.

Nous recevons souvent une aide d’horizons inconnus. Nous sommes compris par ceux  que nous ne comprenions pas. Nous recevons soutien et appui de ceux qui sont qui ont eux-mêmes connus l’exclusion et la marginalisation. Et nous sommes surpris de découvrir tel visage en renfort alors que nous en attendions d’autres plus proches.

pape Amazonie

Demeurer ouvert aux témoins venus d’ailleurs est donc une force du salut. La consanguinité en tout n’a jamais été une bonne chose… Même en entreprise, les alliés venus d’ailleurs se révèlent souvent plus efficaces que les structures bien en place depuis longtemps dans la société. À condition d’avoir cette ouverture d’esprit qui pousse à regarder ailleurs, à écouter d’autres discours, à recruter d’autres talents.

 

En relisant Ac 9,26-31, chacun de nous peut s’identifier aux trois acteurs principaux :

- l’Église de Jérusalem

Former une communauté n’est pas s’isoler, se protéger, et limiter l’accès aux seuls semblables. Savoir écouter, accueillir, intégrer les témoins venus d’ailleurs est un enjeu vital pour une paroisse, un groupe de prière, une chorale. Aujourd’hui, des parcours étranges nous troublent et frappent à notre porte : des gens venant du New Age, de l’écologie, du développement personnel, de voyages autour du monde, de recherches sur Internet, de lectures solitaires, d’expériences mystiques etc…
Les chercheurs de Dieu actuels sont déroutants pour les ‘vieux’ chrétiens. Ce sont pourtant les témoins que Dieu nous envoie pour rajeunir et revigorer notre vieille Église. Saurons-nous leur offrir une place, comme l’Église de Jérusalem associant Saul qui « allait et venait d’en Jérusalem avec eux » ?

- Barnabé

Barnabé est médiateur. Il introduit Saul dans l’Église. Il le parraine. Il s’en porte garant. Il apaise la peur que suscite le parcours inquiétant de cet ex-persécuteur. Il raconte ce qui est arrivé à Saul. Il atteste de sa transformation, de son « assurance au nom du Seigneur ». Sans Barnabé, difficile pour Paul d’entrer dans une communauté apparemment fermée sur elle-même et sa peur.

Soyons de ces Barnabés qui authentifient l’expérience spirituelle vécue par d’autres hors de notre Église, et qui les présentent à la communauté pour qu’elle s’en enrichisse ! Le catéchuménat des adultes est en première ligne pour faire ainsi évoluer les mentalités et nourrir l’Église de ce qu’elle a n’a pas semé.

Le témoin venu d'ailleurs dans Communauté spirituelle pauletbanabe

Il nous faut des Barnabés curieux de l’action de Dieu hors-les-murs, assez courageux pour accompagner des parcours hors-normes, missionnés en retour pour présenter à l’Église ces témoins venus d’ailleurs. Les équipes d’accompagnement au mariage, les équipes deuil auront elles aussi de ces histoires à raconter de gens apparemment très loin témoignant en réalité d’une profondeur, d’une qualité de recherche, d’une soif de la Bible etc. qui feraient du bien à l’assemblée dominicale !

- Saul

Eh oui ! Chacun de nous peut devenir le Saul de quelqu’un d’autre !

Saul ne garde pas pour lui la rencontre éblouissante du chemin de Damas. Saul comprend qu’aimer le Christ sans aimer son corps qui est l’Église n’est pas un amour authentique. Il « cherche à se joindre aux disciples », alors que ceux-ci le rejettent encore par peur de son passé meurtrier. Il accepte humblement de passer par la médiation de Barnabé plutôt que de s’imposer par lui-même. « Il va et vient dans  Jérusalem avec les disciples », comme un catéchumène avec ses compagnons, avant d’accepter d’être envoyé par eux à Tarse. Bref, il joue le jeu ecclésial, tout en se battant pour que la greffe prenne entre lui – pharisien expert en Écritures, citoyen romain, parlant grec couramment – et les pêcheurs un peu frustres choisis par Jésus autour du lac de Galilée…

Ne pas renoncer à sa différence tout en étant passionné de la communion entre tous : Saul ne reste pas isolé, il désire faire corps. À nous de garder cette double passion (de la différence, de la communion) au sein de nos assemblées.

Soyons tour à tour et les uns pour les autres Saul, Barnabé, les disciples de Jérusalem.
Et reconnaissons que les témoins venus d’ailleurs sont une bénédiction pour nos évolutions personnelles…

 

 

LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Barnabé leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur » (Ac 9, 26-31)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là,arrivé à Jérusalem,Saul cherchait à se joindre aux disciples,mais tous avaient peur de lui,car ils ne croyaient pasque lui aussi était un disciple.Alors Barnabé le prit avec luiet le présenta aux Apôtres ;il leur raconta comment, sur le chemin,Saul avait vu le Seigneur, qui lui avait parlé,et comment, à Damas, il s’était exprimé avec assuranceau nom de Jésus.Dès lors, Saul allait et venait dans Jérusalem avec eux,s’exprimant avec assurance au nom du Seigneur.Il parlait aux Juifs de langue grecque,et discutait avec eux.Mais ceux-cicherchaient à le supprimer.Mis au courant,les frères l’accompagnèrent jusqu’à Césaréeet le firent partir pour Tarse.
L’Église était en paixdans toute la Judée, la Galilée et la Samarie ;elle se construisaitet elle marchait dans la crainte du Seigneur ;réconfortée par l’Esprit Saint,elle se multipliait.

PSAUME
(21 (22), 26b-27, 28-29, 31-32)
R/ Tu seras ma louange, Seigneur,dans la grande assemblée.
ou : Alléluia ! (cf. 21, 26a)

Devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses.
Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ;
ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent :
« À vous, toujours, la vie et la joie ! »

La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur,
chaque famille de nations se prosternera devant lui :
« Oui, au Seigneur la royauté,
le pouvoir sur les nations ! »

Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ;
on annoncera le Seigneur aux générations à venir.
On proclamera sa justice au peuple qui va naître :
Voilà son œuvre !

DEUXIÈME LECTURE
« Voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de Jésus Christ et nous aimer les uns les autres » (1 Jn 3, 18-24)
Lecture de la première lettre de saint Jean

Petits enfants,n’aimons pas en paroles ni par des discours,mais par des actes et en vérité.Voilà comment nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité,et devant Dieu nous apaiserons notre cœur ;car si notre cœur nous accuse,Dieu est plus grand que notre cœur,et il connaît toutes choses.
Bien-aimés,si notre cœur ne nous accuse pas,nous avons de l’assurance devant Dieu.Quoi que nous demandions à Dieu,nous le recevons de lui,parce que nous gardons ses commandements,et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux.Or, voici son commandement :mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ,et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé.Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu,et Dieu en lui ;et voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné part à son Esprit.

ÉVANGILE
« Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit » (Jn 15, 1-8)
Alléluia. Alléluia.
Demeurez en moi, comme moi en vous,dit le Seigneur ;celui qui demeure en moi porte beaucoup de fruit.
Alléluia. (Jn 15, 4a.5b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là,Jésus disait à ses disciples :« Moi, je suis la vraie vigne,et mon Père est le vigneron.Tout sarment qui est en moi,mais qui ne porte pas de fruit,mon Père l’enlève ;tout sarment qui porte du fruit,il le purifie en le taillant,pour qu’il en porte davantage.Mais vous, déjà vous voici purifiésgrâce à la parole que je vous ai dite.Demeurez en moi, comme moi en vous.De même que le sarmentne peut pas porter de fruit par lui-mêmes’il ne demeure pas sur la vigne,de même vous non plus,si vous ne demeurez pas en moi.
Moi, je suis la vigne,et vous, les sarments.Celui qui demeure en moiet en qui je demeure,celui-là porte beaucoup de fruit,car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent. Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples.
Patrick BRAUD

 

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11 février 2018

Cendres : soyons des justes illucides

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Cendres : soyons des justes illucides 


Homélie pour le Mercredi des Cendres / Année B
14/02/2018

Cf. également :

Déchirez vos cœurs et non vos vêtements
Mercredi des cendres : de Grenouille à l’Apocalypse, un parfum d’Évangile
La radieuse tristesse du Carême
Carême : quand le secret humanise
Mercredi des Cendres : 4 raisons de jeûner
Le symbolisme des cendres
Toussaint : le bonheur illucide
Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter


Matriona ou la non-remarquée des hommes

La_maison_de_Matriona_et_autres_recits avenir dans Communauté spirituelleUn village perdu de l’ex-URSS. Une femme âgée vivait là, dans une cabane misérable, apparemment seule avec ses animaux. Alexandre Soljenitsyne raconte que dans l’été 1953, de retour d’exil, sans attache et sans le sou, il trouve un petit emploi de professeur de mathématiques en Russie. Dans le village, une vieille femme – Matriona – accepte de l’héberger, plus pour lui rendre service qu’autre chose. L’auteur nous raconte la vie misérable de Matriona, et le terme accidentel de son existence : la brave femme encaisse tous les travers et n’agit que pour aider son prochain. Le livre : « la maison de Matriona » s’achève par cette phrase superbe : « … elle n’avait pas accumulé d’avoir pour le jour de sa mort. Une chèvre blanc sale, un chat bancal, des ficus… Et nous tous qui vivions à ses côtés, n’avions pas compris qu’elle était ce juste dont parle le proverbe et sans lequel il n’est village qui tienne. Ni ville. Ni notre terre entière. »
Au milieu de ce village se tenait cette vieille femme, Matriona, que personne ne connaissait vraiment, mais qui pourtant soutenait le village à bout de bras de manière  invisible, sans même en avoir conscience …

Cela rejoint l’étonnement d’un ami devant cette phrase de notre évangile du Mercredi des Cendres (Mt 6, 1-6.16-18) : « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment oublier ce que je fais de bien et pourquoi ? Tout le passage d’évangile est d’ailleurs basé sur ce leitmotiv : « ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer ». Jusqu’à s’inclure soi-même dans ceux devant qui il est inutile de briller par sa générosité : « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite ».

Toussaint : le bonheur illucide dans Communauté spirituelle 9782020251556FSOn peut appeler illucide [1] le juste qui accomplit sa justice sans comptabiliser pour lui-même, sans même en être conscient. Le juste illucide ne tient pas la liste des personnes secourues, ni des aides accordées. Il oublie le bien qu’il fait au moment même où il l’accomplit.

On peut penser à l’industriel allemand Schindler qui se met à sauver des juifs dans son usine en 39-45 sans trop réfléchir. Le film « La liste de Schindler » a immortalisé cette démarche presque naïve, car sans aucun repli sur elle-même. Si vous allez d’ailleurs au mémorial de Yad Vashem en Israël, vous verrez le nom de Schindler parmi des milliers d’autres justes. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les vrais justes sont connus de Dieu plus que des hommes.

Cela rejoint le thème du bonheur illucide déjà rencontré pour la fête de Toussaint avec les Béatitudes. Les pauvres sont heureux parce qu’ils possèdent le Royaume des cieux, mais ils ne le savent pas. De même pour les doux, les assoiffés de justice, les artisans de paix…

Le bonheur comme la justice ne se possèdent pas. Leur illucidité est la conséquence de cette non-possession. Comme le disait Jeanne d’Arc à ses juges qui lui demandaient si elle était en état de grâce : « Si je ne suis pas, Dieu m’y mette. Si j’y suis, Dieu m’y mette ». Autrement dit : il ne me revient pas de savoir si je suis heureux ou juste. Cela appartient à Dieu seul. Il me revient par contre de ne pas m’attacher à mes œuvres, de ne pas comptabiliser mes bonnes actions, jusqu’à ignorer même ce que j’aurais pu faire de bien.

D’où la surprise promise par Jésus lors du jugement dernier (Mt 25). « Comment ? Je t’ai vu nu et je t’ai habillé ? En prison et je t’ai visité ? Mais où et quand l’ai-je fait ? » C’est donc que le juste ne peut pas fournir la liste de ses dons et de ses visites. Il est étonné, car sa main gauche ignore ce que fait sa main droite.

Nous connaissons tous de ces personnes qui rayonnent d’une grande bonté sans s’en apercevoir. Elles le font quasi naturellement, sans calcul, sans stratégie. Elles irradient sans compter. Être reconnues des hommes leur importe peu, car elles ne le font pas pour cela, et n’ont d’ailleurs pas conscience de le faire.

L’humilité évangélique est elle aussi illucide, comme le notait Luther avec finesse :

« La vraie humilité ne sait jamais qu’elle est humble, car, si elle le savait, elle tirerait orgueil de la contemplation de cette belle vertu : au contraire, elle s’attache par le cœur, les pensées et tous les sens aux choses viles: elle les a sans relâche devant les yeux; c’est là l’image dont elle est pleine, et parce qu’elle a ces choses sous les yeux, elle ne peut pas se voir elle-même ni s’apercevoir qu’elle existe, et encore moins prendre conscience des choses élevées : c’est pourquoi, l’honneur et l’élévation lui échoient forcément à l’improviste et la surprennent forcément dans des pensées tout à fait étrangères à l’honneur et à l’élévation : c’est là ce que dit Luc .
La fausse humilité, en revanche, ne sait jamais qu’elle est orgueil (car, si elle le savait, elle deviendrait vite humble à la vue de ce vilain défaut); au contraire, elle s’attache par le cœur, la pensée et les sens aux choses élevées et les tient sans relâche sous ses yeux. » (Commentaire du Magnificat).

Ainsi l’Esprit de Dieu en Marie l’entraînait à exalter/exulter, sans même s’en rendre compte : son Magnificat jaillit sans retenue, exprimant le fond de son être, en toute humilité.

 

Pourquoi ignorer ce que je fais de bien ?

Tout simplement parce que la gratuité est au cœur du salut offert en Jésus-Christ. Ce n’est pas à la force du poignet que je pourrai me hisser à la sainteté du Christ : c’est un cadeau offert sans condition. Ce n’est pas en accumulant les bonnes œuvres que j’obtiendrai mon passeport vers la vie éternelle : il me suffit de croire et d’accueillir, comme le criminel crucifié à la droite de Jésus.

Si l’amour de Dieu est gratuit, alors je n’ai pas à le mériter, ni même à chercher à le mériter. J’arriverai devant Dieu au terme de ma vie « les mains vides » comme l’écrivait Thérèse de Lisieux.

 

Comment arriver à cette illucidité ?

Elle viendra comme conséquence et non un but atteint. Libéré de l’obsession d’être juste par mes propres forces, je peux me recentrer sur l’expérience de l’amour inconditionnel. Et si je laisse cette gratuité m’habiter au point de devenir intime, plus intime que le fait de respirer ou de faire battre mon cœur – activités ordinairement illucides s’il en est – alors, sans effort, cette gratuité se répandra dans tous les actes comme le sang dans l’organisme, au point de ne plus savoir ce que je fais de bien, car aucune comptabilité n’est nécessaire.

 

Nous sommes tous des soldats inconnus

Les saints authentiques ne savent pas eux-mêmes qu’ils vivent en odeur de sainteté – comme dit la sagesse populaire – car ce n’est pas cela qui les intéresse. Ils n’agissent pas pour obtenir une récompense des hommes, mais « Dieu le leur rendra »  comme dit Jésus, sans qu’on sache ni comment ni quand.

Anne Frank, Etty Hillesum, Irena Sendler sont trois jeunes femmes qui ont vécu l’horreur nazie, à Amsterdam ou Varsovie. Nous reconnaissons en elles aujourd’hui des figures d’humanité absolument remarquables. Mais à leur époque, elles passèrent inaperçues. Sans le journal intime d’Anne ou d’Etty, sans l’enquête d’historiens postcommunistes pour Irena, jamais nous n’aurions distingué leur justice. Elles s’en moquaient d’ailleurs. Ce n’est qu’après coup, une fois leur visage évanoui, que nous avons pris conscience de leur sainteté. Il y en a sans doute des milliers d’autres, oubliés des hommes, connus de Dieu.

Cendres : soyons des justes illucides dans Communauté spirituelle known-unto-god_dsc_0290Dans les cimetières militaires aux milliers de croix impeccablement alignées, les tombes de soldats inconnus anglais portent justement cette épitaphe : known unto God (connu de Dieu seul). À ce titre, nous sommes chacun ce soldat inconnu des hommes, connu de Dieu seul. « Mieux vaut compter sur Dieu que de s’appuyer sur des mortels », chantaient déjà les psaumes (Ps 118,8).

Les justes n’agissent pas pour être remarqués des hommes. Ils laissent simplement déborder l’amour reçu. Ils s’appuient sur Dieu seul, et Dieu seul sonde les reins et les cœurs. Les généreux, les solidaires ne calculent pas leur déduction fiscale : ils donnent  comme la rose fleurit, sans pourquoi. Les partageux ignorent ce que donne leur main droite, car leur attention est ailleurs.

Ne cherchons donc pas à devenir ces justes illucides dont parle Jésus. Cela nous sera donné, par surcroît, lorsque justement nous aurons cessé de vouloir être justes.

Car il suffit d’accueillir…

 


[1] . Lucide = qui a conscience, qui juge, voit clairement, objectivement les choses dans leur réalité (Larousse). Vient du latin lux, lucis = lumière (élucider = mettre en pleine lumière). Illucide = qui n’a pas conscience de lui-même.

 

 

 

PREMIÈRE LECTURE
« Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » (Jl 2, 12-18)

Lecture du livre du prophète Joël

Maintenant – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et laisser derrière lui sa bénédiction : alors, vous pourrez présenter offrandes et libations au Seigneur votre Dieu. Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre ! Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : “Où donc est leur Dieu ?” »
Et le Seigneur s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple.

PSAUME(50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17)

R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. 50, 3)

Pitié pour moi, mon Dieu,
dans ton amour, selon ta grande miséricorde,
e
fface mon péché.

Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.

Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.

Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint.
Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

DEUXIÈME LECTURE
« Laissez-vous réconcilier avec Dieu. Voici maintenant le moment favorable » (2 Co 5, 20 – 6, 2)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui. Car il dit dans l’Écriture: Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut.

ÉVANGILE

« Ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 1-6.16-18)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (cf. Ps 94, 8a.7d)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.

Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. »
Patrick BRAUD

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11 décembre 2017

Que dis-tu de toi-même ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Que dis-tu de toi-même ?


Homélie du 3° Dimanche de l’Avent / Année B
17/12/2017

Le Verbe et la voix
Un présent caché
La joie parfaite, et pérenne
Tauler, le métro et « Non sum »
Crier dans le désert
Êtes-vous plutôt centripètes ou centrifuges ?

Qui es-tu ?

Si l’on vous posait la question à brûle pourpoint, que répondriez-vous ?
Après avoir décliné votre identité (nom, prénom, adresse…), on vous relancerait :
- Cela ne nous suffit pas pour te connaître. Qui es-tu vraiment ?
Vous pourriez alors évoquer votre métier, vos passions, votre vie de famille etc. et en même temps, vous sentiriez le piège : cette commission d’enquête qui m’assaille de ses questions doit bien avoir une idée derrière la tête… Elle cherche à me ranger dans une de ses cases préétablies. Mais peut-on définir quelqu’un en quelques signalements ? Le mystère de chacun est si grand qu’il résiste à toute réduction à son métier, sa taille, son origine ou autre. Son identité échappe à toute classification savante.
- Une fois que je vous aurai dit mon nom, mon métier, ma famille, mes hobbies, saurez-vous qui je suis ?

Que dis-tu de toi-même ? dans Communauté spirituelle mp-je-est-un-autre« Je est un autre », écrivait Rimbaud avec son expérience poétique du caractère insondable du mystère de chacun. La psychanalyse a souligné le trait en explorant la part d’inconscient qui nous façonne. « Wo es war, soll Ich werden » (là où ça était, je dois advenir) : la maxime de Freud indique le ‘je suis’ comme un travail sur soi, long, onéreux et patient labeur de parole et d’analyse. Les sciences sociales lui ont emboîté le pas : la sociologie avec le déterminisme social qui prédestine notre identité à reproduire le comportement normatif de sa classe ; l’anthropologie avec les lois et les structures sculptant l’identité d’une ethnie ; l’économie avec d’autres lois qui aliènent ou libèrent celui qui se définit par son travail etc. Bref : l’être humain est un mystère, et bien malin qui pourra répondre « je suis ceci où je suis cela », comme si c’était suffisant pour le définir.

D’ailleurs, Dieu lui-même ne fait pas autre chose. Quand Moïse insiste plusieurs fois : « qui es-tu ? », Dieu répond par l’énigmatique Tétragramme YHWH, qui unifie les trois modalités du verbe être en une seule identité (« je suis qui je serai » est la moins mauvaise traduction sans doute). Comme quoi l’identité divine elle aussi - et elle la première - échappe à toute mainmise humaine, à toute définition ou classement (et c’est d’ailleurs pour cela que le Tétragramme ne doit pas être prononcé dans la foi juive).

Voilà le piège tendu à Jean-Baptiste par la commission d’enquête composée de prêtres et de lévites envoyée par les fonctionnaires du Temple de Jérusalem. S’il répond en cochant une des cases de leur questionnaire (Élie, le Messie, le grand prophète qui doit venir), il sera accusé de blasphème ou traité d’usurpateur. S’il ne répond rien, on le traitera de pauvre fou - avec ses poils de chameau et ses sauterelles - qui ne sait même pas qui il est.

Ce piège nous est souvent tendu à nous également, pourtant bien moins gênants et bien moins prophétiques que Jean-Baptiste ! Au travail, en politique, en famille, la question revient pour nous enfermer sous telle ou telle étiquette : qui es-tu ? que dis-tu de toi-même ?

Jean-Baptiste déjoue ce piège par trois fois en affirmant d’abord ce qu’il n’est pas. Je ne suis pas (cf. le sermon de Tauler intitulé : non sum) Élie, ni le Messie, ni le grand prophète. L’identité personnelle chez Jean-Baptiste est d’abord négative. Il faut éliminer les fausses images préconçues à son sujet pour découvrir qui il est.
La fécondité de cette identité négative est toujours aussi étonnante pour nous aujourd’hui. Je ne suis pas le sauveur du monde (ni de mon conjoint ou de mes enfants). Je ne suis pas l’indispensable maillon de mon entreprise. Je ne suis pas le champion aux exploits indépassables… Cette série de confessions de non-être peut devenir très libératrice, car je n’ai plus besoin alors de courir après des modèles héroïques imposés par d’autres. Elle peut également devenir joyeuse, car faire le deuil de ce que je ne suis pas me recentre avec bonheur sur ce qui me correspond vraiment.

À l’instar de Jean-Baptiste, faites donc votre liste de « non sum », pour ne pas vous laisser embarquer dans des courses à une identité étrangère à la vôtre.

 

Que dis-tu de toi-même ?

Vient ensuite le moment crucial où il ne suffit plus de décrocher les grappins des identités autres que la vôtre.
- Que dis-tu de toi-même ?
Il faut bien répondre quelque chose. Mais quoi ?
- « J’ai telles qualités, tels défauts ? » (on dirait un mauvais entretien d’embauche).
- « Je gagne tant par an, j’ai telles responsabilités et telles médailles » ? (cela sonne comme un éloge funèbre)…

9782251334318 Jean BaptisteLe génie de Jean-Baptiste est là encore de ne pas rester centré sur soi, mais sur un autre. « Je suis la voix qui crie dans le désert… » Or la voix ne peut exister sans le corps qui la porte. Or la voix n’est rien sans la parole au service de laquelle elle met son timbre, sa couleur, sa largeur de tessiture etc.

Autrement dit : l’identité de Jean-Baptiste (et la nôtre !) est relationnelle. Elle vient d’un autre (comme la voix vient du corps), et elle est pour un autre encore (comme la voix est pour la parole ou le chant). Elle est un trait d’union entre des personnes. Les sciences humaines diraient : « je » n’advient comme sujet que dans l’interaction avec d’autres sujets émergeant eux-mêmes de ce réseau de relations, de parole, de communion entre des êtres. Saint Thomas d’Aquin osait dire qu’en Dieu il n’y a pas d’abord l’être (la nature divine) puis les trois Personnes. « En Dieu, la relation est substantielle », disait-il, c’est-à-dire : c’est la communion d’amour unissant le Père et le Fils dans l’Esprit qui fait exister chacune des trois Personnes avec son identité propre.

Notre identité humaine, à l’image de Dieu, n’est pas figée, pré-écrite. Elle n’est pas anarchique non plus. C’est dans à la relation, mieux : dans la communion d’amour avec d’autres que je deviens qui je suis réellement.

« Deviens qui tu seras » est la maxime des chrétiens qui attendent de voir pleine révélation des fils de Dieu dans le Christ en gloire. Alors « nous connaîtrons comme nous sommes connus ». D’ici là, nous ne nous voyons nous-mêmes que de manière floue, comme dans un miroir, en énigme, en attendant que se lève le voile d’ignorance posée sur notre propre connaissance de nous-mêmes (cf. 2Co 13,12).

 

Église, que dis-tu de toi-même ?

Terminons en mentionnant que la question : que dis-tu de toi-même ? vaut pour l’identité collective comme pour l’identité personnelle. Ce fut la principale question au cœur des travaux et des débats du concile Afficher l'image d'origineVatican II. Mgr. Philips, l’un des principaux artisans du texte sur l’Église (Lumen Gentium) le raconte longuement. Il affirme que dès le départ la question centrale pour les Pères est celle-ci : « Église de Dieu que dis-tu de toi-même ? Quelle est ta profession de foi sur ton être et sur ta mission ? » [1].

Pendant quatre ans (de 1962 à 1965), l’Église catholique a parcouru à sa manière le chemin de Jean-Baptiste pour répondre à cette question centrale. Elle l’a fait en répondant d’abord par la négative : non l’Église n’est pas pyramidale. Non elle n’est pas toute entière concentrée à Rome. Non elle n’est pas l’Église des riches et des puissants. Le geste prophétique des papes du concile accompagnèrent ces dénégations successives. Jean XXIII renonça à la tiare et à la chaise à porteurs. Il se fit enterrer dans un simple cercueil de bois nu. Paul VI sortit du diocèse de Rome pour voyager à travers le monde entier. Il se faisait appeler serviteur des serviteurs…

Et puis vint la réponse positive à la manière de Jean-Baptiste.
- Église, que dis-tu de toi-même ?
- Pour parler de moi, je parlerai de ma relation à un autre, le Christ, dont la lumière inonde mon visage pour que je la réfléchisse vers tous les peuples de la terre.
D’où le titre de la constitution conciliaire : le Christ est la lumière des nations (Lumen Gentium) et l’Église renvoie quelque chose de cette lumière à tous pour qu’ils ne marchent plus dans la nuit. Mieux encore, le plan de la constitution conciliaire reprend la dynamique suggérée par l’image de la voix criant dans le désert. L’Église en effet naît de la Trinité (comme la voix sort du corps), elle porte l’Évangile à toute créature (comme la voix est au service de la parole), et elle retourne à la Trinité avec dans ses bagages la part d’humanité qui a écouté sa voix et son message.
Méditez sur le plan de Lumen Gentium : ces huit chapitres sont – dans leurs intitulés et leur succession – un petit bijou spirituel nous aidant à penser notre propre identité, ouverte, relationnelle, communionnelle…

La prochaine fois qu’on vous pressera de questions sur votre identité : qui es-tu ? que dis-tu de toi-même ? (ou équivalent), pensez à l’humble réponse de Jean-Baptiste : je ne suis pas… Je suis la voix…

 


[1]. Mgr Philips, L’Église et son mystère au deuxième Concile du Vatican : histoire, texte et commentaire de la Constitution Lumen Gentium, coll. Unam Sanctam, Tome I, Paris, Desclée et Cie, 1967, p. 15.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je tressaille de joie dans le Seigneur » (Is 61, 1-2a.10-11)
Lecture du livre du prophète Isaïe

L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur.  Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu. Car il m’a vêtue des vêtements du salut, il m’a couverte du manteau de la justice, comme le jeune marié orné du diadème, la jeune mariée que parent ses joyaux. Comme la terre fait éclore son germe, et le jardin, germer ses semences, le Seigneur Dieu fera germer la justice et la louange devant toutes les nations.

 

CANTIQUE
(Lc 1, 46b-48, 49-50, 53-54)
R/ Mon âme exulte en mon Dieu.   (Is 61, 10) 

Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.

Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
Saint est son nom !
Sa miséricorde s’étend d’âge en âge
sur ceux qui le craignent.

Il comble de biens les affamés,
renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël son serviteur,
il se souvient de son amour

DEUXIÈME LECTURE
« Que votre esprit, votre âme et votre corps soient gardés pour la venue du Seigneur » (1 Th 5, 16-24)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens

Frères, soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal. Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers ; que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ. Il est fidèle, Celui qui vous appelle : tout cela, il le fera.

ÉVANGILE

« Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas » (Jn 1, 6-8.19-28)
Alléluia. Alléluia. L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Alléluia. (cf. Is 61, 1)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Il y eut un homme envoyé par Dieu ; son nom était Jean. Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. Cet homme n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.  Voici le témoignage de Jean, quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : « Qui es-tu ? » Il ne refusa pas de répondre, il déclara ouvertement : « Je ne suis pas le Christ. » Ils lui demandèrent : « Alors qu’en est-il ? Es-tu le prophète Élie ? » Il répondit : « Je ne le suis pas. – Es-tu le Prophète annoncé ? » Il répondit : « Non. » Alors ils lui dirent : « Qui es-tu ? Il faut que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dis-tu sur toi-même ? » Il répondit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert :Redressez le chemin du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe. » Or, ils avaient été envoyés de la part des pharisiens. Ils lui posèrent encore cette question : « Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ? » Jean leur répondit : « Moi, je baptise dans l’eau. Mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ; c’est lui qui vient derrière moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. »  Cela s’est passé à Béthanie, de l’autre côté du Jourdain, à l’endroit où Jean baptisait.
Patrick BRAUD

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