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14 juillet 2019

Le rire fait chair

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le rire fait chair

Homélie pour le 16° Dimanche du temps ordinaire / Année C
21/07/2019

Cf. également :

Choisir la meilleure part
Le je de l’ouïe
Bouge-toi : tu as de la visite !

La Trinité, icône de notre humanitéL’icône de la Trinité de Roublev a immortalisé notre première lecture (Gn 18, 1-10a) : nous y voyons l’hospitalité d’Abraham faire merveille auprès de trois visiteurs inconnus qui lui promettent un fils lors de leur prochain passage. L’alternance étrange entre le Je et le Nous dans la bouche de ces trois personnages fait irrésistiblement penser à la Trinité, et les chrétiens ne se sont pas privés de voir dans cette visite à l’improviste l’annonce du Dieu de Jésus-Christ, capable d’unir le singulier et le pluriel en une seule communion d’amour.

Allons un peu plus loin dans le texte et attardons-nous sur le rire de Sarah, qui a fasciné des générations de lecteurs de la Genèse. Car le rire de Sarah (après celui d’Abraham) est la première évocation du rire dans la Bible et Isaac va être l’héritier de ce rire.

À vrai dire, il y a trois rires dans cette histoire, et même un quatrième.

 

Le rire fait chair dans Communauté spirituelle levy-homme-chapeau-rire

Le premier rire

Le premier est celui d’Abraham lorsqu’il entend la promesse de la naissance d’un fils :

Abraham se jeta face contre terre et il rit ; il se dit en lui-même:  » Un enfant naîtrait-il à un homme de cent ans ? Ou Sara avec ses quatre-vingt-dix ans pourrait-elle enfanter ? (Gn 17,17)

On devine un rire nerveux, plein d’interrogation et de perplexité devant le caractère hautement improbable d’une telle annonce. C’est tellement énorme qu’Abraham éclate de rire ! Alors que cette naissance, il en rêve depuis son mariage avec Sarah, belle comme le jour, mais stérile. « À notre âge, tu es fou Seigneur – et cruel – de nous laisser entrevoir un tel bonheur impossible… On a tout essayé, et j’ai même couché avec ma servante Agar sur le conseil de Sarah pour ne pas être privé totalement de descendance. Ismaël n’est pas tout à fait le fils attendu, mais maintenant j’ai fait mon deuil et je m’en contente ».

Nous rions comme Abraham lorsque nous considérons comme impossible ce que Dieu désire pour nous…

 

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Le deuxième rire

Le deuxième rire est celui de Sarah, beaucoup plus ironique et railleur. Pour elle, l’enjeu est le plaisir tout autant que la fécondité :

Abraham et Sara étaient vieux, avancés en âge, et Sara avait cessé d’avoir ce qu’ont les femmes. Sara se mit à rire en elle-même et dit:  » Tout usée comme je suis, pourrais-je encore jouir ? Et mon maître est si vieux!  » (Gn 18, 11-12)

Sans fausse pudeur, Sarah constate devant Dieu que le désir, le plaisir, la jouissance sexuelle ont disparu de sa vie de couple avec les années. Et l’on devine une pointe de regret dans ce constat amer. Son rire sonne comme une défense devant une promesse incroyable qui réveille en elle la nostalgie du plaisir perdu et d’une fécondité que la vie lui a refusée. Dieu sait bien ce qu’il y a de négatif dans ce rire, et le reproche à Sarah via Abraham :

Le Seigneur dit à Abraham:  » Pourquoi ce rire de Sara ? Et cette question:  » Pourrais-je vraiment enfanter, moi qui suis si vieille ?  » Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le Seigneur ? (Gn 18,13)

Elle se justifie en bricolant un mensonge :

Sara nia en disant:  » Je n’ai pas ri « , car elle avait peur (Gn 18,15).

Mais Dieu n’est pas dupe : « Non. Tu as ri ». « Assume ! Assume ce que tu ressens, et je t’exaucerai au-delà de ton désir ».

Nous rions comme Sarah lorsque nous ne voulons pas réveiller nos désirs les plus vrais enfouis en nous…

 

Rire à tout âge

Vieille femme rire avec beaucoup de ridesNotons au passage que cette question de la vie sexuelle pendant le grand âge devient de plus en plus actuelle [1]. Avec l’allongement de l’espérance de vie, le boum des seniors nés après-guerre, la multiplication des habitats collectifs pour les plus de 70 ans (EHPAD, Résidences services, Maisons de retraite, Foyer logements etc.), la promiscuité qui y est plus ou moins bien gérée, le veuvage de la majorité qui les rend à nouveau disponibles pour d’autres relations, le suivi médical, toutes ces conditions créent la possibilité et l’envie de jouir de la vie, dans tous les sens du terme, jusqu’au bout. Et la Bible, qui appelle un chat un chat, semble bien approuver cette revendication des seniors à une sexualité épanouie ! La naissance d’Isaac marquera le retour de ce que Sarah croyait disparu. Le plaisir et la jouissance sexuelle sont ici un don de Dieu lui-même, à tout âge, pour faire réussir la promesse faite à Abraham d’avoir une descendance aussi nombreuse que les étoiles dans le ciel ! On retrouve cette connotation sexuelle du rire dans le terme employé pour décrire les caresses amoureuses d’Isaac envers Rébecca, sa femme, plus tard :

Comme son séjour à Gérare se prolongeait, il arriva qu’Abimélech, roi des Philistins, regardant par la fenêtre, aperçut Isaac qui riait avec sa femme (traduit souvent par : jouait, faisait des caresses à Rebecca) (Gn 26,8).

Pour l’hébreu, rire et jouer physiquement avec l’autre sont de la même racine…

 

Le troisième rire

Le troisième rire est celui d’Ismaël. Lors d’un banquet donné pour fêter le sevrage de son demi-frère Isaac, Ismaël rit (Gn 21,9), et Sarah interprète ce rire comme une moquerie vis-à-vis d’Isaac. Elle décide alors de chasser Ismaël avec sa mère Agar. Le rire d’Ismaël a provoqué sa chute en déclenchant la jalousie de Sarah : elle ne supporte plus de voir son ancienne déchéance sans cesse évoquée sous ses yeux par la seule présence d’Ismaël. Quant à lui, s’il a ri, rien ne nous empêche d’y déceler une nuance d’amertume, une souffrance, celle d’un aîné évincé de son droit d’aînesse par un cadet, au destin privilégié et fixé « arbitrairement ». Vu sous cet angle, le comportement d’Ismaël pourrait être rapproché de celui d’Ésaü, le frère du patriarche Jacob….

Nous rions comme Ismaël lorsque nous jalousons ce que l’autre a, ce que l’autre est, qui le transforme à nos yeux en un rival…

moquer_2-2b291 Isaac

 

Le quatrième rire

Ajoutons le quatrième rire que Sarah nous annonce :

Sara s’écria:  » Dieu m’a donné sujet de rire! Quiconque l’apprendra rira à mon sujet (Gn 21,6).

Boule et BillFaut rigoler !Le lecteur est donc impliqué dans le récit, car lui aussi rira en entendant l’histoire de Sarah ! Son rire (mon rire) sera-t-il de perplexité comme Abraham, de raillerie amère comme Sarah, de jalousie comme Ismaël ? Ou sera-t-il l’avant-goût du plaisir à venir comme il l’est devenu pour Sarah dans sa vieillesse, comme il arriva à Isaac (dont le nom signifie : « il rira ») caressant sa femme Rébecca ? À vous de décider !

En tout cas, nous sommes tous concernés : en riant de ce qui arrive à Sarah, nous nous exposons nous-mêmes à ce qu’il nous arrive une belle aventure semblable !

Et comme si Sarah nous disait : ‘vous qui pensez que le plaisir a disparu de votre vie, riez avec moi de bon cœur, car ce qui vous paraît impossible aujourd’hui pour tout un tas de raisons vous sera donné sans que vous sachiez comment’.

 

 

masque rire

Le rire dans la Bible

Les lecteurs de la Bible ont depuis longtemps remarqué que le rire n’y tient pas une grande place ; et quand il est mentionné, c’est souvent sous ce sous un angle négatif. Dans le Nouveau Testament, non seulement on ne dit jamais que Jésus a ri, mais quand il parle du rire, c’est pour dire : « malheur à vous qui riez maintenant, demain vous pleurerez » (Lc 6,25). Pas très réjouissant…

C’est que le rire dans la Bible est toujours une expression contre quelqu’un. Quand Dieu rit, le rire divin surgit explicitement sous forme d’ironie ou même de colère… Les exemples en ce sens, ne sont pas rares. Parmi d’autres :

- Puisque vous avez repoussé tous mes conseils (…) en retour, je rirai moi de votre malheur, je vous raillerai quand éclatera votre épouvante (Pr 1,25-26).
- Si un cataclysme entraîne des morts soudaines, Dieu se rit de l’épreuve des innocents (Job 9,23)

Le rire humain est souvent associé à l’ivresse. Ainsi lors la débauche idolâtre, dans la faute du Veau d’or :

- Le peuple s’assit pour manger et pour boire ; puis ils se levèrent pour rire (Ex 32,6).

Le rire peut également faire allusion à la sexualité de caractère illicite, dans l’épisode de séduction manquée, entre la femme de Putiphar et Joseph :

- II est venu vers moi pour coucher avec moi (…) L’esclave hébreu, que tu nous as amené, est venu vers moi pour rire de (dans) moi (Gn 34,14-17)

Il peut préluder au meurtre, en référence au Livre 2 de Samuel :

- Et Avner dit à Yoav : que les plus jeunes s’avancent, jouent, rient (s’escriment) devant nous (2S 2,14).

Il est la plupart du temps synonyme de moquerie :

- Ainsi parle le Seigneur Dieu: La coupe de ta sœur, tu la boiras; elle est profonde, elle est large. Elle sera l’occasion de rire et de moquerie, à cause de sa grande contenance (Ez 23,32)
- Comment ! il s’est effondré ! hurlez ! Comment ! de honte, Moab tourne le dos ! Moab provoque rire et stupeur chez tous ses voisins (Jr 48,39).
- Tu nous exposes aux outrages de nos voisins, à la moquerie et au rire de notre entourage (Ps 44,14).
- Tu fais de nous la querelle de nos voisins, et nos ennemis ont de quoi rire (Ps 80,7).

La sagesse des Proverbes constate, désabusée, que le rire masque mal le chagrin qui pointe toujours derrière :

- Même dans le rire le cœur s’attriste, et la joie finit en chagrin (Pr 14,13).

Et l’Ecclésiaste en a fait le tour, comme du reste :

- Du rire, j’ai dit : » C’est fou !  » Et de la joie:  » Qu’est-ce que cela fait ?  » (Qo 2,2)
- Mieux vaut le chagrin que le rire, car sous un visage en peine, le cœur peut être heureux (Qo 7,3)

Le rire est éphémère et insignifiant en fin de compte :

- Car, tel le pétillement des broussailles sous la marmite, tel est le rire de l’insensé. Mais cela aussi est vanité (Qo 7,6)

Jésus et Jacques dans le Nouveau Testament sont les héritiers de cette longue tradition qui dénonce le rire comme la domination des puissants sur les faibles :

- Malheureux, vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! (Lc 6,25)
- Reconnaissez votre misère, prenez le deuil, pleurez; que votre rire se change en deuil et votre joie en abattement ! (Jc 4,9)

Le rire biblique est donc ambivalent, et les quatre rires de Gn 17-18 n’y échappent pas.

 

Notre vieille Église rira !

L’hospitalité d’Abraham peut devenir la nôtre : en accueillant des inconnus de passage, qui sait si un plaisir oublié ou d’une fécondité impossible ne nous sera pas donnée ?

Cette promesse ne vaut pas que pour les individus : elle vaut également pour l’Église en tant que communauté. Surtout dans la vieille Europe, la figure de Sarah peut changer notre regard sur nos communautés vieillissantes, sur une histoire chargée de siècles en clair-obscur. La France qui a engendré autrefois tant de saints et de saintes, tant de missionnaires, tant de théologiens reconnus semblent aujourd’hui à bout de souffle sur le plan spirituel. Pas besoin d’énumérer les statistiques des vocations, des baptêmes, des pratiquants etc. Nos assemblées clairsemées et aux cheveux blancs (sauf dans certains quartiers des métropoles) auraient bien du mal à ne pas rire si on leur promettait un avenir radieux.

Et pourtant…

300px-Communes_du_plateau_de_Millevaches SaraEn 1970, le vicaire général du diocèse de Limoges, Hervé de Bellefon, a écrit un texte remarquable appelant les communautés de la Creuse à l’espérance. Ce message, intitulé : « Pourquoi ris-tu Sarah ? » a rencontré un énorme écho, pas seulement diocésain. Il lisait dans la situation de Sarah celle de son Église en Creuse, apparemment faible et sans descendance, mais promise à un renouveau inespéré. Elle portera des fruits pour tous. Elle saura accueillir le don de Dieu à travers les mutations sociales et économiques du plateau de Millevaches.

Elle était vieille, Sara, vieille et usée.
Abraham accueille les 3 Visiteurs. Sara écoute dans l’embrasure de la porte de la tente, et elle rit quand on prédit qu’elle aura un fils
Elle pensait, Sara, et sans doute avait-elle raison, qu’elle ne pouvait plus donner la vie. C’était trop drôle… elle en riait.
Elle est vieille notre Église de Creuse, vieille et usée.
Elle pense, notre Église de Creuse, et semble avoir raison, que dans ce pays lui-même usé, elle ne peut plus guère donner la vie. Elle se dit : « il n’y a plus qu’à donner l’extrême-onction à ce pays qui meurt ; soyons réalistes, ne rêvons pas : c’est trop risible ! »
Semaine religieuse de Limoges, Octobre 1970

De fait, nombre d’initiatives ecclésiales et associatives sont nées dans la foulée de cette lecture de Gn 18. Et d’autres diocèses s’en sont également largement inspirés.

Avec Abraham, ouvrons notre table aux inconnus de passage.
Avec Sarah, n’ayons pas peur de rire de nos faiblesses.
Avec Isaac (« il rira »), gardons le rire dans notre programme de vie, et jouons de tous les plaisirs par lequel Dieu comble la descendance d’Abraham.

 


[1]. Cf. par exemple : Du rire de Sarah à l’enfant du rire ou le désir des âges dans la bible, Pierre Gibert, dans Gérontologie et société 2012/1 (vol. 35 / n° 140), pages 171 à 178 accessible ici : https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2012-1-page-171.htm

 

 

Lectures de la messe
Première lecture
« Mon seigneur, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur » (Gn 18, 1-10a)

Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour. Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre. Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur. Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre. Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. » Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. » Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer. Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient. Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. » Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »

Psaume
(Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5)
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ?
(Ps 14, 1a)

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.

Il met un frein à sa langue.
Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.

À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.
Il ne reprend pas sa parole.

Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

Deuxième lecture
« Le mystère qui était caché depuis toujours mais qui maintenant a été manifesté » (Col 1, 24-28)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens

Frères, maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. De cette Église, je suis devenu ministre, et la mission que Dieu m’a confiée, c’est de mener à bien pour vous l’annonce de sa parole, le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu’il a sanctifiés. Car Dieu a bien voulu leur faire connaître en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère parmi toutes les nations : le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire !
Ce Christ, nous l’annonçons : nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l’amener à sa perfection dans le Christ.

Évangile
« Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part » (Lc 10, 38-42)
Alléluia. Alléluia.
Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance. Alléluia. (cf. Lc 8, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Patrick BRAUD

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12 mai 2019

Dieu nous donne une ville

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu nous donne une ville

Homélie pour le 5° Dimanche de Pâques / Année C
19/05/2019

Cf. également :

À partir de la fin !
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Comme des manchots ?
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
J’ai trois amours
Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses dures
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif

  • La Cité de Dieu

Dieu nous donne une ville dans Communauté spirituelleL’incendie de la toiture de Notre-Dame de Paris a révélé l’importance d’un tel symbole au cœur d’une métropole. Sans elle, la ville de lumière aurait été comme éborgnée. Comme si les parisiens faisaient corps en partie grâce à elle. Et la nation tout entière se reconnaît en Paris comme Paris se reconnaît en sa cathédrale. Et dans le monde entier !

La question de la ville est au cœur de nos identités modernes. Comment rendre nos mégapoles plus fraternelles malgré l’anonymat et le béton qui sépare ? Comment rendre nos agglomérations plus sûres alors que le crime et la délinquance y prolifèrent ? Comment mélanger ses habitants alors qu’ils ont tendance à s’isoler en une multitude d’îlots juxtaposés, par classes sociales, revenus, religions… ? Comment ouvrir nos villes à l’étranger, aux touristes, aux passants, sans pour autant perdre notre art de vivre ?

En fait, ces questions sur la ville ne sont pas nouvelles. La Bible commence avec Caïn et Abel par le conflit entre nomades et agriculteurs, et la fondation d’une ville - la première – par Caïn le fratricide. Et la Bible se termine par la grandiose image de l’Apocalypse de notre deuxième lecture de ce dimanche :

« Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. » (Ap 21, 1-5)

Entre ce point d’arrivée et le point de départ, l’histoire humaine tente de se déployer, alternant nostalgie et volonté de puissance prométhéenne.

Que retenir de cette promesse d’une cité radieuse (pour parler comme Le Corbusier) telle que l’Apocalypse nous la révèle ?

 

  • Du jardin jadis perdu à la ville

La nostalgie du jardin originel nous taraude toujours. Le mythe de l’Éden de Gn 1 est à l’opposé de Pékin ou New York ! Et nous chantions autrefois :
« Tu nous conduis, Seigneur Jésus vers la fraicheur des sources vives, vers le jardin jadis perdu ».

Or Jean nous affirme que le terme de l’histoire n’est pas un retour au point de départ, comme si l’histoire n’avait rien apporté. Le Coran cède à cette nostalgie en dépeignant le paradis sous l’effet idyllique d’un jardin où tout coule à flots, où les plaisirs terrestres deviennent infinis et permanents. Avec l’Apocalypse, on ne revient pas au jardin jadis perdu. On ne cautionne plus le mythe de l’éternel retour, où le salut serait en arrière, aux origines. Car il y a du neuf avec l’action humaine dont Dieu lui-même tient compte pour bâtir l’avenir. Aucun romantisme christiano-champêtre dans la vision de la Jérusalem céleste ! Avec l’accélération de la migration des campagnes vers les villes (75% de l’humanité fin 20° siècle vs 10% à peine dans l’Antiquité), l’enjeu n’en est que plus actuel.

390007 Jérusalem dans Communauté spirituelle

  • Une ville donnée et non construite de main d’homme

Pourtant la ville est une invention humaine, pas divine. Condamné à l’errance après le meurtre de son frère, Caïn résiste et refuse cette condition trop insécurisante. Il fonde la première ville – Hénoc - et y établit sa famille. Il s’installe au lieu d’errer. Il se protège avec des murailles au lieu d’être exposé à tous les dangers. La ville naît donc de la révolte de l’homme et de sa volonté d’autonomie. Du coup, les cités de la Bible sont à l’image de nos cités contemporaines : des concentrés de l’ambiguïté humaine capable d’édifier des Notre-Dame non loin des bidonvilles ou de la Bourse. Les villes bibliques sont pleines de bruit et de fureur. Sodome et Gomorrhe incarnent le non respect de l’hospitalité et de l’étranger ; Babel la confusion entre les peuples ; Babylone la déportation et l’exil ; Jéricho la ville refermée sur ses murailles ; Ninive la corruption ; Rome l’empire colonisateur etc. Quand nous construisons nos villes, nous y concentrons le pire et le meilleur de nous-mêmes : criminalité et entraide, animations et solitudes, cultures et argent roi, cathédrales et places financières, urbanisme délirant et quartiers magnifiques…

L’Apocalypse nous promet étrangement que Dieu tient compte de nos rêves urbains, en les purifiant de ce qu’ils recèlent d’inhumain. La ville qui descend du ciel n’est pas faite de main d’homme, mais de l’amour de Dieu. La technique de nos métiers ne peut pas la construire, pourtant il y a bien une technique divine qui a réalisé une telle conception. Elle ne ressemble pas à nos cités illustres, au contraire elle invite nos cités à lui ressembler. Cette ville qui descend du ciel est un don à recevoir et non une construction à réussir.

Dieu avait déjà retourné comme un gant le désir humain de bâtir grand avec le Temple de Jérusalem. Le grand roi David veut laisser une trace derrière lui (un peu comme Mitterrand avec la pyramide du Louvre ou Macron avec la reconstruction de Notre-Dame…) et se met en tête de bâtir un temple si extraordinaire qu’il établira son prestige et sa renommée pour les siècles des siècles. Heureusement, le prophète Nathan le fait descendre de son piédestal (2S 7) : ‘tu crois que c’est toi qui vas bâtir une demeure pour Dieu alors que c’est l’inverse. Aussi Dieu te donne une descendance royale, mais toi tu ne construiras pas le Temple. C’est ton fils Salomon qui l’achèvera, selon des plans qui lui seront inspirés par la sagesse et non par l’orgueil’.

Avec l’Apocalypse, tout se passe donc comme si Dieu nous disait : ‘tu veux une ville et non l’errance ? D’accord, je te prends au mot. Je vais te donner ce que tu désires, mais non pas selon ton rêve de puissance, de technique et de domination. Tu renonceras à faire habiter Dieu chez toi, à ta manière, parce que c’est toi qui vas habiter en Dieu lui-même.

 

  • La Jérusalem céleste, et non Rome ou Paris

Au moment où Jean écrit l’Apocalypse, Jérusalem n’est plus qu’un tas de ruines fumantes. La révolte des juifs contre l’occupation romaine a entraîné une guerre, puis le siège et la prise de la ville par l’empereur Titus, avec son lot de destructions, d’exactions et de pillages. L’Arc de Triomphe de Titus toujours visible à Rome porte gravé le souvenir de cette humiliation imposée aux juifs en 70 : la destruction du Temple de Jérusalem, le vol de ses trésors, la déportation en esclavage de ses habitants, l’incendie et la ruine de la ville.

L'Arc de Titus (Crédit : CC-BY- Steerpike/Wikimedia Commons)

Si Jean avait rêvé d’une ville forte et puissante à la manière humaine, il nous aurait dépeint une Rome éternelle enfin devenue chrétienne. Eh bien non ! C’est Jérusalem qui devient le symbole de notre avenir, justement parce que la ville est maintenant trop faible pour croire dominer le monde ou rayonner de splendeur par sa seule force. Dieu renverse  les puissants de leur trône, il élève des humbles.

Du coup, on s’aperçoit que la Jérusalem éternelle descendant du ciel n’est pas une copie de l’ancienne, terrestre. C’est plutôt l’inverse : le meilleur de la capitale de David était déjà inspiré parce qu’elle allait devenir en Dieu. Par exemple les murailles : elles protègent, mais n’isolent plus, car les portes nombreuses font respirer et communiquer avec tout l’univers. Ainsi la réconciliation entre juifs et chrétiens : la symbolique des chiffres de la nouvelle Jérusalem l’annonce. Il y a 12 portes comme les 12 tribus d’Israël ou les 12 apôtres. 12 fondations en pierres précieuses, 12 anges aux portes, 12 000 coudées de largeur. Les 12 portes sont une combinaison (4×3) du chiffre cardinal de l’univers (4) combiné à celui de la Trinité (3). Les 144 coudées de hauteur évoquent le carré de 12, c’est-à-dire la plénitude d’Israël et l’Église enfin réunis.

Il y a donc comme une conversion de notre désir de ville dans le don de cette Jérusalem céleste à l’humanité, « ville où tout ensemble ne fait qu’un ».

Dans son ouvrage « Sans feu ni lieu » (1970) Jacques Ellul commente :

« Par amour, Dieu révise ses propres desseins, pour tenir compte de l’histoire des hommes, y compris de leurs plus folles révoltes. […]

Et c’est ici, que se produit le fait le plus étrange. L’homme actuel a raison aussi spirituellement. Inconsciemment et sans le savoir lorsqu’il préfigure l’avenir sous la couleur de la ville, il a raison en vérité. Seulement, il y a un saut à faire. Alors qu’il la voit sous son aspect technique et sociologique, le véritable avenir, le véritable but de l’histoire qui apparaît quand l’histoire s’achève et se clôt est bien une ville, mais une autre que celle imaginée : il s’agit de la Jérusalem céleste ».

 

  • Reconstruire nos villes à partir de la fin

En décrivant la Jérusalem céleste descendant du ciel, Jean nous invite à transformer nos villes à cette image, pour commencer à vivre dès maintenant ce que Dieu veut nous donner pour toujours. Quel urbaniste traduira en plan audacieux la vocation urbaine à rassembler de manière trinitaire, sans confusion ni séparation, sans violence ni indifférence ? Quels architectes inventeront des murailles qui protègent tout en laissant respirer à pleines portes ? Quelles seront les fondations invisibles aussi précieuses que les bâtiments construits dessus ? Quelle Église osera proclamer que le vrai Temple de Dieu c’est l’homme, au point qu’il n’y a plus besoin de cathédrale dans la ville nouvelle ? Et si on construit quand même des cathédrales parce qu’il faut bien des panneaux indicateurs le long de la route tant qu’on n’est pas arrivé au but, comment renverront-elles au vrai sanctuaire qui est le cœur de l’homme ? Comment réconcilier juifs et chrétiens dans cette cité, musulmans et hindous, communautés de toutes religions, ethnies ou opinions comme elles sont appelées à l’être dans la Jérusalem aux 12 portes ? N’attendons pas que les puissants, les princes ou  les présidents fassent ce travail de conversion de notre vie urbaine pour nous, ou à notre place ! Chacun peut dès lors s’engager, les yeux fixés sur la cité radieuse de Jean, pour transformer son immeuble, sa maison, son quartier, sa commune à l’image de sa vocation ultime : rassembler dans une communion fraternelle ceux que tout diviserait autrement.

Futur Présent Passé

À Noël, nous chantions : « un enfant nous est né, un fils nous est donné ». En ces temps qui sont les derniers, nous chantons avec l’Apocalypse : « une ville nous est donnée ».

Venant de la fin des temps, une ville nous est donnée pour inspirer nos cités en conjurant leur dureté, leur violence. Non faite de main d’homme, la Jérusalem céleste descend du ciel pour que nos constructions ou reconstructions de Paris, de Rome ou de New York sachent accueillir la présence de Dieu en chacun et lui servent d’écrin.

Comment pouvons-nous nous engager à recevoir ce don d’une ville plus « divine » ?
Par quels engagements de quartier, d’associations culturelles ou sportives ?
Par quelle réconciliation entre groupes séparés, juxtaposés ou opposés ?
Par quels témoignages spirituels au cœur de la ville pour appeler à recevoir plutôt qu’à construire ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux » (Ac 14, 21b-27)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Paul et Barnabé, retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ; ils affermissaient le courage des disciples ; ils les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. » Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui. Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie. Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé, ils descendirent au port d’Attalia, et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils avaient accomplie. Une fois arrivés, ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi.

Psaume
(Ps 144 (145), 8-9, 10-11, 12-13ab)

R/ Mon Dieu, mon Roi,
je bénirai ton nom toujours et à jamais !
ou : Alléluia.
(Ps 144, 1)

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

Ils annonceront aux hommes tes exploits,
la gloire et l’éclat de ton règne :
ton règne, un règne éternel,
ton empire, pour les âges des âges.

Deuxième lecture
« Il essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 21, 1-5a)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. » Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »

Évangile
« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 31-33a.34-35)
Alléluia. Alléluia. Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Patrick BRAUD

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28 avril 2019

Quand tu seras vieux…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quand tu seras vieux…

Homélie pour le 3° Dimanche de Pâques / Année C
05/05/2019

Cf. également :

Le courage pascal
Les 153 gros poissons
Le premier cri de l’Église
Le devoir de désobéissance civile
Bon foin ne suffit pas
Les 7 mercenaires

Une amie m’a téléphoné tard un soir de cette semaine : « c’est horrible. J’ai retrouvé cet après-midi Alain affalé au pied de l’arbre au milieu de la cour. Je me suis approchée ; j’ai vu le fusil, puis la tête ou ce qu’il en restait, à moitié arrachée par la violence du coup de feu »… Son mari venait de se suicider. Une raison possible était son angoisse de la déchéance de la maladie. À 70 ans, opéré lourdement, ayant perdu presque toute mobilité, il ne pouvait supporter de se voir vieillir dans la dépendance absolue et la souffrance physique et morale qui allait l’accompagner. Impossible de savoir exactement si c’était la seule raison, et encore moins de juger. Mais cette fin dramatique renvoie à toutes les fins de vie que nous accompagnons, dont la nôtre n’est pas la moindre. Vieillir, bien vieillir, jusqu’à mourir dans la dignité, devient une problématique occidentale majeure avec l’accroissement de l’espérance de vie. Le grand débat national en France avait d’ailleurs soulevé la question de la qualité de vie des retraités, de la prise en charge de la dépendance pour le quatrième et cinquième âge.

Jésus n’a pas vécu bien vieux – 33 ans à peine ! – mais il savait que ses disciples seraient confrontés au temps qui passe. Loin d’en avoir une vision pessimiste, il mise au contraire sur l’âge pour qu’ils acquièrent la sagesse spirituelle :

« Quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller ». Après la pêche des 153 gros poissons (symbolisant la mission de l’Église pour toute l’humanité), Pierre aurait pu tomber dans le piège du succès facile et euphorisant. Jésus le ramène à la réalité, d’abord au travers des trois « m’aimes-tu » qui lui rappellent son triple reniement, puis avec cette prophétie énigmatique : « quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller ». Et Jean interprète : « Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu » (Jn 21, 1-19).

vieux, brel, jacques, vieillard, visage, ride, âge, personne, homme, femme… Vieillards, Portrait Noir Et Blanc, Photo Noir Et Blanc, Photographie De Portraits, Photographie Noir Et Blanc, Vieux Visages, Sans Abris, Vieillesse, Images InspirantesL’enjeu de la vieillesse, c’est donc pour le Christ d’apprendre à se laisser conduire par l’Esprit Saint. Jeune et fougueux, chacun veut être maître de sa vie, organiser son parcours professionnel, acheter un logement, fonder une famille. Les 40 ou 50 premières années de l’existence sont toutes dédiées à cette trajectoire très volontariste, si rien ne vient la perturber. À partir du mi-temps de l’existence, la fameuse crise de milieu de vie remet en cause cette agitation effrénée pour construire à tout prix quelque chose à laisser derrière soi : est-ce vraiment moi ? serai-je en train de jouer un rôle que d’autres ont décidé pour moi ? est-ce bien pour cela que je suis sur terre ?

Alors les années, l’expérience et la réflexion peuvent peu à peu produire autre chose que l’illusion de tout maîtriser. La sagesse selon l’Esprit de Dieu consiste à se laisser conduire là où l’on n’aurait jamais pensé aller, si c’est par appel de Dieu. Les événements deviennent des aiguillages, les ennuis de santé invitent à écouter son corps, les échecs à écouter son cœur. Le papier de verre des inévitables difficultés qui s’accumulent nous polit et nous aide à nous débarrasser du superflu pour nous concentrer sur l’essentiel. Dans la vie spirituelle, on laisse peu à peu les rênes à l’Esprit, qui souffle où il veut, pas où je veux. Ainsi Pierre a été conduit à Rome alors qu’il n’imaginait pas quitter Jérusalem, en prison alors qu’il voulait prêcher dans les synagogues, crucifié dans l’arène romaine comme un esclave et non comme un juif religieux.

Faites la liste des personnes, des lieux, des activités ou des choses que la vie vous a amené à fréquenter avec le temps : c’est rarement ce que vous auriez prévu à 20 ans ! Il faut du temps pour apprendre à se laisser guider plutôt qu’à tout décider soi-même. « Fleuris là où  Dieu t’a planté », aimait à répéter saint François de Sales. Répondre à des appels successifs peut vous conduire à des engagements associatifs, des solidarités nouvelles, à de nouveaux modes de vie impensables avant. C’est plus facile de se détacher de ce qu’on possède, de ce qu’on a réalisé lorsque la perspective de la fin commence à réorienter nos choix, notre liberté, nos désirs. Devenir vieux peut devenir une formidable opportunité pour naviguer en zone libre : libre du qu’en-dira-t-on, de l’obsession d’accumuler, du vain désir de gloire… Le vieil évêque de Smyrne, Polycarpe, raconte avec humour à son bourreau que ce n’est pas à 86 ans qu’il va se mettre à adorer César :

Le proconsul le fit comparaître devant lui et lui demanda s’il était Polycarpe.
« Oui », répondit celui-ci. Alors il essaya de le faire abjurer : « Respecte ton âge », disait-il.
Suivaient toutes les paroles que l’on tenait en pareil cas :
« Jure par la fortune de César, rétracte-toi, crie : à mort les impies ! »
(les chrétiens étaient considérés comme impies  parce qu’ils refusaient de reconnaitre César comme Dieu). […]
Polycarpe répondit : « Si tu t’imagines que je vais jurer par la fortune de César, comme tu dis, en feignant d’ignorer qui je suis, écoute-le donc une bonne fois : je suis chrétien. Voilà quatre-vingt-six ans que je le sers et il ne m’a fait aucun mal. Comment pourrais-je insulter mon roi et mon sauveur ? Si le christianisme t’intéresse, donne-toi un jour pour m’entendre ».
Martyre de Polycarpe, Smyrne en l’an 156

Bien sûr, cette sagesse spirituelle ne dépend pas du nombre des années : les jeunes Kisito (martyr de l’Ouganda), Dominique Savio, Maria Goretti, Francisco Marto et sa sœur Jacinta et autres béatifiés de moins de 20 ans nous montrent que la voie de l’enfance et de la sagesse vont bien ensemble. C’est d’ailleurs ce qu’on envie chez l’enfant : sa capacité à faire confiance, à prendre la main tendue, à se laisser câliner, à explorer ce qu’on lui désigne.

Nietzsche disait que l’enfance est le troisième âge de la maturité humaine, après le chameau et le lion. L’être humain commence par jouer le chameau, se charger des plus lourds fardeaux, endurer les pires épreuves, histoire de s’assurer de son courage. Et de trouver son désert, sa solitude propre. Pour se rendre libre, il se métamorphose en lion, maîtrise le désert, dit « Je veux ». Il s’affranchit ainsi du devoir, refuse de se soumettre à l’impérieux « Tu dois » qui fait plier le genou aux chameaux. Il pourrait en rester là. « Pourquoi faut-il que le lion féroce devienne enfant ? », demande Zarathoustra. La réponse ne tarde pas : « L’enfant est innocence et oubli, un nouveau commencement et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, un « oui » sacré. »chameau-lion-enfant

Il ne s’agit pas de retomber en enfance, mais au contraire de changer pour devenir enfin comme des enfants, sans cela le royaume de Dieu nous est impossible (Lc 18,17). La marque de cette vieillesse-sagesse-enfance spirituelle, c’est d’étendre les mains et d’accepter qu’un autre nous mette la ceinture aux reins, pour aller là où Dieu nous conduit.

Quand tu seras vieux… dans Communauté spirituelle Aide-a-lhabillage-et-a-la-toiletteSe laisser habiller est la douloureuse expérience des personnes âgées, en EHPAD  notamment. C’est aussi le signe de la Pâque, qu’on doit manger ceinture aux reins (Ex 12,11) : nul ne choisit sa Pâque, elle nous est donnée. Les morts / résurrections que nous avons à traverser avec les années ne sont pas celles que nous aurions choisies, mais elles seront fécondes si nous nous laissons dé-router par les événements pour aller dans l’imprévu. Même la maladie, la grande dépendance, même la mort peuvent finalement être retournées en occasions de « rendre gloire à Dieu » selon les mots de Jean dans l’évangile d’aujourd’hui. Nous avons tous connus des seniors rayonnants malgré leur santé dégradée.

Ces imprévus ne sont pas toujours dramatiques.

Nelson Mandela devient président d’Afrique du Sud après 40 ans de détention : c’est un destin improbable et imprévisible, mais une fin heureuse pour « Madiba ».
Le vieux pape Jean XXIII qu’on croyait de transition fait une annonce toute simple dans une sacristie italienne en 1959 : « j’ai décidé de convoquer un concile œcuménique ». Et toute l’Église est renouvelée par ce coup de folie d’un vieux pape finalement très sage.
La religieuse qui - à la quarantaine - quitta son univers doré d’écoles catholiques pour bonnes familles indiennes pour un seau et un sari blanc-bleu auprès des mourants prendra le visage ridé de mère Teresa, symbole mondial de compassion et de miséricorde.
Les exemples sont nombreux de gens qui au bénéfice de l’âge prennent des tournants heureux et bénéfiques.

Alors changeons de regard sur les « vieux » qui nous entourent : ils peuvent nous émerveiller, nous surprendre, nous impressionner.

Et nous-mêmes, transformons les décennies qui passent en autant d’invitations à hisser la voile et laisser le vent la gonfler à sa guise. « Quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller »…

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Nous sommes les témoins de tout cela avec l’Esprit Saint » (Ac 5, 27b-32.40b-41)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, les Apôtres comparaissaient devant le Conseil suprême. Le grand prêtre les interrogea : « Nous vous avions formellement interdit d’enseigner au nom de celui-là, et voilà que vous remplissez Jérusalem de votre enseignement. Vous voulez donc faire retomber sur nous le sang de cet homme ! » En réponse, Pierre et les Apôtres déclarèrent : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice. C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. » Après avoir fait fouetter les Apôtres, ils leur interdirent de parler au nom de Jésus, puis ils les relâchèrent. Quant à eux, quittant le Conseil suprême, ils repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus.

Psaume
(Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13)
R/ Je t’exalte, Seigneur, tu m’a relevé. ou : Alléluia.
(Ps 29, 2a)

Quand j’ai crié vers toi, Seigneur,
mon Dieu, tu m’as guéri ;
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.

Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu’un instant,
sa bonté, toute la vie.

Avec le soir, viennent les larmes,
mais au matin, les cris de joie !
Tu as changé mon deuil en une danse,
mes habits funèbres en parure de joie !

Que mon cœur ne se taise pas,
qu’il soit en fête pour toi ;
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu,
je te rende grâce !

Deuxième lecture
« Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse » (Ap 5, 11-14)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Moi, Jean, j’ai vu : et j’entendis la voix d’une multitude d’anges qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens ; ils étaient des myriades de myriades, par milliers de milliers. Ils disaient d’une voix forte : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. » Toute créature dans le ciel et sur la terre, sous la terre et sur la mer, et tous les êtres qui s’y trouvent, je les entendis proclamer : « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, la louange et l’honneur, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. » Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! » ; et les Anciens, se jetant devant le Trône, se prosternèrent.

Évangile
« Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson » (Jn 21, 1-19)
Alléluia. Alléluia.
Le Christ est ressuscité, le Créateur de l’univers, le Sauveur des hommes. Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment. Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre, avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples. Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. » Ils lui répondent : « Nous aussi, nous allons avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.
Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus leur dit : « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui répondirent : « Non. » Il leur dit : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons. Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau. Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ; la terre n’était qu’à une centaine de mètres. Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. » Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré. Jésus leur dit alors : « Venez manger. » Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? » Ils savaient que c’était le Seigneur. Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson. C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.
Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. » Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. » Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? » Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »
Patrick BRAUD

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19 avril 2019

Pâques : il vit, et il crut

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 23 h 30 min

Pâques : il vit, et il crut

Homélie pour le Dimanche de Pâques / Année C
21/04/2019

Cf. également :

Deux prérequis de Pâques
Pâques : Courir plus vite que Pierre
Les Inukshuks de Pâques
Pâques n’est décidément pas une fête sucrée
Comment annoncer l’espérance de Pâques ?
Incroyable !
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Les sans-dents, pierre angulaire

« Moi je suis comme saint Thomas : je ne crois que ce que je vois ». Combien de fois n’avons-nous pas entendu cet argument pour justifier le scepticisme vis-à-vis de la foi ? Or ce soi-disant argument comporte de nombreuses failles, dont l’une a trait à l’Évangile de Pâques lu ce dimanche.

 

1. Il n’y a pas pire sourd…

Pâques : il vit, et il crut dans Communauté spirituelleLes contemporains de Jésus ont vu ses miracles, et n’ont pas cru pour la plupart. Ils connaissaient l’aveugle-né et sa famille, ils évitaient soigneusement les dix lépreux avant qu’ils soient guéris, ils ont pleuré sur Lazare au tombeau, ils ont croisé au Temple l’homme à la main desséchée etc. Aucun de ces faits se déroulant sous leurs yeux ne les a convaincus. Alors, comme dit Jésus : « s’ils n’écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus (Lc 16,31) ».

Les miracles officiels reconnus à Lourdes ne convainquent toujours personne ou presque. Car la foi ne repose pas sur du prodigieux, du magique qui s’imposerait à tous. Au contraire, comme l’amour, elle se donne à qui veut l’accueillir, sans autre preuve qu’elle-même et ses effets induits dans l’existence des croyants.

 

2. Méfiez-vous de ce que vous voyez

Aujourd’hui encore les gens ne croient que ce qu’ils ont envie de croire, quelle que soit la réalité. On a déjà évoqué le concept de post-vérité, qui traduit le bricolage numérique notamment que chacun et chaque groupe fait des événements pour y retrouver les croyances qui le réconfortent. Rappelons sa définition : le terme post-vérité décrit une situation dans laquelle il est donné plus d’importance aux émotions et aux opinions qu’à la réalité des faits.

On savait déjà, en économie par exemple, que les croyances ne s’appuient sur rien, mais peuvent produire beaucoup d’impact. Ainsi les prophéties auto-réalisatrices  (self fulfilling prophecy) annoncent une tendance économique ou boursière, et parce que les acteurs économiques leur font confiance (à leurs auteurs, leur réputation) il se passe exactement ce qui était annoncé, car tous agissent en fonction de ce qu’ils  pensent voir arriver, et le font arriver par là-même ! Les cracks boursiers en sont hélas de lugubres exemples.

On pourrait également rappeler que la monnaie est toujours fiduciaire, c’est-à-dire qu’elle repose sur la confiance que font les acteurs de l’échange à un bout de papier, une ligne électronique dans un compte de banque, une monnaie de bronze ou d’argent. Si cette confiance s’en va, la valeur de la monnaie s’écroule, la banque fait faillite, car elles ne reposent que sur ce que les acteurs leur accordent comme valeur : pas de monnaie sans foi !

Bref, celui qui demande des preuves pour croire se cache derrière cet alibi pour justifier sa volonté de ne pas croire. C’est ce qu’on appelle… de la mauvaise foi.  Jésus a souvent pesté contre cette fringale de preuves qui en demande toujours plus sans pour autant se laisser toucher : « Cette génération est une génération mauvaise; elle demande un signe ! En fait de signe, il ne lui en sera pas donné d’autre que le signe de Jonas » (Lc 11,29).

Nos sens nous trompent : le réel est au-delà des apparences.

Une vidéo est devenue virale sur Internet et a été vue des millions de fois. On y voit Barack Obama critiquer vertement (et même insulter !) son successeur à la Maison-Blanche. Jusqu’à ce qu’un acteur vienne expliquer que ce n’est qu’un montage, un trucage digne de Photoshop mais en vidéo !

« Nous entrons dans une ère où nos ennemis peuvent faire croire que n’importe qui dit n’importe quoi à n’importe quel moment », peut-on entendre dans la bouche de Barack Obama. « Ainsi, ils pourraient me faire dire des choses comme, je ne sais pas, (…) le président Trump est un idiot total et absolu ! » lâche-t-il dans cette  vidéo partagée par le média Buzzfeed. Très vite, le subterfuge est révélé : il s’agit d’un montage d’images réalisé avec l’aide du cinéaste Jordan Peele et d’une intelligence artificielle spécialisée dans les « deepfake », ces faux créés à l’aide de méthodes d’intelligence artificielle particulièrement sophistiquées.

Nous devons apprendre, et apprendre à nos enfants, à nous méfier des documents ou témoignages produits par les médias, les réseaux sociaux, la communication officielle des États et des groupes de tous ordres. Il faut au minimum prendre le temps d’analyser, de croiser les sources, de soumettre à plusieurs expertises techniques etc. Il sera de plus en plus difficile de savoir si ce que l’on entend ou voit est vrai ou non (truqué, tronqué, coupé de son contexte). Le risque est grand de voir pulluler les mouvements d’opinion suite à des fake news ou deepfake, chacun se repliant sur ce qu’il a envie de croire quelle que soit l’avalanche d’informations dont on le bombarde.
Il est donc très dangereux de croire ce que l’on voit ou ce que l’on entend !
La nature également nous trompe, et nos sens ne sont pas assez fins pour discerner ce qu’il y a derrière tel phénomène optique, tel camouflage naturel, telle ruse de l’évolution…

 

4. Le suaire et les bandelettes

Au matin de Pâques, point de journalistes, point de caméras ni de blogueurs. Au contraire, des femmes : les moins fiables des témoins possibles à l’époque. Du coup, Jean et Pierre veulent faire l’expérience par eux-mêmes, et après tout c’est bien le mouvement de la foi : pouvoir dire « je » comme les samaritains retrouvant Jésus au puits. « Ce n’est plus seulement à cause de tes dires que nous croyons ; nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde » (Jn 4,42).
Pierre est alourdi par l’embonpoint et l’âge ; il court moins vite que le jeune Jean. Celui-ci penche la tête vers le tombeau vide ; il remarque le linge qui enveloppait le corps roulé à part, les bandelettes qui tenaient les mâchoires de la tête également pliées et rangées.

Il vit et il crut. Aurait-il eu plus de chance que Thomas ? Non, car ce n’est pas le ressuscité qu’il voit ici, mais son absence. Il voit les traces en creux d’une disparition qui vient en un flash éclairer et donner sens à tout ce qu’il a connu de Jésus auparavant. Comme sur le négatif d’une photographie argentique, il lit dans le suaire, les bandelettes, le vide du sépulcre autant d’indices concordants que la résurrection de Jésus est bien crédible. Sans être pour autant l’unique explication possible, car les autorités juives par exemple feront courir le bruit que les disciples sont allés voler le cadavre la nuit pour inventer une rumeur.

Jean « voit » l’absence, et il croit.

C’est peut-être dans les absences de nos histoires humaines qu’il faut chercher de quoi nourrir notre foi. Lorsque l’océan se retire lors des grandes marées, les grèves sont jonchées d’algues, de coquillages sur des kilomètres. Celui qui les parcourt peut deviner que la mer était là. Si l’archéologue sait déchiffrer les fossiles pétrifiés des forêts américaines ou des déserts africains, il pourra reconstituer ce qui s’est passé et qui témoigne de l’immersion de ces régions jadis. C’est donc nous aussi en retrouvant et déchiffrant patiemment les traces de l’action de Dieu dans notre histoire que nous pourrons y fonder nos raisons de croire aujourd’hui.

Il faut peut-être une certaine capacité – voire un certain courage – de scruter le vide autour de soi et en soi pour se découvrir croyant.
Tombeau-vide1-300x214 bandelettes dans Communauté spirituelleEt puis il y a le suaire « affaissé », les bandelettes (mentonnière) « roulées à part » : ces indices, presque des détails, qui nous mettent sur la voie. Ce n’est pas d’abord du suaire de Turin dont il s’agit (d’ailleurs son historicité reste débattue, et il ne convertit que peu de monde même s’il fascine les foules). Le suaire que Dieu vient « poser à plat » dans nos tombeaux vides est sans doute plus personnel : une pacification intérieure inexplicablement donnée après une épreuve, une mauvaise habitude qui s’en va sans effort, des béquilles psychologiques sociales qui deviennent inutiles, un deuil qui enfin accepte sereinement la perte, un regard d’amitié ou d’amour qui rend le rôle de composition inutile…

Nous passons tant de temps et d’énergie à envelopper les cadavres de nos vies ! Nous ferions mieux d’entendre l’ordre de Jésus aux proches de Lazare : « déliez-le, et laissez-le aller » (Jn 11,44).

Le Saint Suaire de Turin à Montigny-Montfort - Journées du Patrimoine 2016Restent les bandelettes, ces franges de tissu qui entouraient la tête pour maintenir les mâchoires fermées avant que la rigidité cadavérique ne déforme le visage sinon (cf. la trace de ces bandelettes le long des joues du visage sur le suaire de Turin). Comme si on voulait faire taire les morts. Avec l’embaumement, cela faisait partie des rites funéraires relevant de la thanatopraxie : autrefois on voulait que les morts soient les plus beaux possibles. Aujourd’hui encore certes (et surtout après des attentats ou des accidents de voiture), mais la vue des corps morts est actuellement insupportable à nos mentalités occidentales. Nos sociétés cachent cette réalité : dans les maisons funéraires, à l’écart du domicile. On fait des courtes visites, mais plus de longues veillées auprès du corps. On ne fait plus de masque mortuaire ni de photos sur le lit de mort (ce qui était encore très populaire dans les années 50), on ne touche plus les morts (on les embrassait autrefois) et on interdit aux enfants de s’en approcher de peur que cela les traumatise. Les bandelettes du sépulcre traduisaient le respect et l’affection pour un visage qu’on voulait jusqu’au bout préserver de la déchéance. Lorsqu’elles sont vides et rangées à part, Jean y voit un signe de la transfiguration de Jésus, dont le visage rayonnait d’une telle gloire que rien ne peut la contenir.

Peut-être nous faut-il prendre soin de la beauté des autres, de la dignité du visage des oubliés, pour nous aussi pressentir que leur carcan de souffrance et de misère les défigurant est désormais hors d’usage, roulé à part. Leur visage est libre de parole ; il n’est plus enserré par les liens du tombeau où on voulait les figer en leur imposant le silence.

Jean vit, et il crut.

Pas à la manière de Thomas. Plutôt à la manière du renard du petit Prince. Les yeux de la foi déchiffrent en creux dans les traces qui jonchent les grèves de nos existences les indices concordants qui font que le cœur s’affole et que l’intelligence s’éclaire : « il est vivant ! »

 

 

MESSE DU JOUR DE PÂQUES

Première lecture
« Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts » (Ac 10, 34a.37-43)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, quand Pierre arriva à Césarée chez un centurion de l’armée romaine, il prit la parole et dit : « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage : Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »

Psaume
(Ps 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23)
R/ Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !
(Ps 117, 24)

Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !

Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !
Non, je ne mourrai pas, je vivrai,
pour annoncer les actions du Seigneur.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.

Deuxième lecture
« Purifiez-vous des vieux ferments, et vous serez une Pâque nouvelle » (1 Co 5, 6b-8)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ? Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté. Car notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ.  Ainsi, célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments, non pas avec ceux de la perversité et du vice, mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité.

Séquence

À la Victime pascale, chrétiens, offrez le sacrifice de louange.
L’Agneau a racheté les brebis ; le Christ innocent a réconcilié l’homme pécheur avec le Père.
La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne.
« Dis-nous, Marie Madeleine, qu’as-tu vu en chemin ? »
« J’ai vu le sépulcre du Christ vivant, j’ai vu la gloire du Ressuscité.
J’ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements.
Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! Il vous précédera en Galilée. »
Nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts.
Roi victorieux, prends-nous tous en pitié ! Amen.

Évangile
« Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jn 20, 1-9)
Alléluia. Alléluia.
Notre Pâque immolée, c’est le Christ ! Célébrons la Fête dans le Seigneur ! Alléluia. (cf. 1 Co 5, 7b-8a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.
Patrick BRAUD

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