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9 août 2020

Marie et le drapeau européen

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Marie et le drapeau européen

Homélie pour la fête de l’Assomption de la Vierge Marie / Année A
15/08/2020

Cf. également :

Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter
Assomption : Ne vous faites pas voler votre espérance
Assomption : les sentinelles de l’invisible
L’Assomption de Marie, étoile de la mer
L’Assomption de Marie : une femme entre en Résistance
Marie, parfaite image de l’Église à venir
Marie en son Assomption : une femme qui assume !
Toussaint : le bonheur illucide

Le clash de Mélenchon

Vous souvenez-vous du clash de Jean-Luc Mélenchon peu après l’élection présidentielle de 2017 ? Il voulait retirer la bannière bleue à douze étoiles de l’hémicycle de l’Assemblée Nationale au motif qu’il s’agirait d’un « symbole confessionnel ». Le chef de file de La France Insoumise avait déposé, avec les autres députés de son parti, un amendement, rejeté mercredi 11 octobre 2017 par les députés, visant à retirer le drapeau européen de l’Assemblée Nationale, pour le remplacer par celui de l’Organisation des Nations Unies. Pour sanctuariser sa présence, le président Emmanuel Macron souhaite au contraire reconnaître officiellement le drapeau européen, présent dans l’Hémicycle depuis 2008. Jean-Luc Mélenchon s’est indigné de cette annonce, en publiant un communiqué dans lequel il explique son rejet de cet « emblème européen confessionnel », contraire à la laïcité française selon lui :

« Monsieur le Président, vous n’avez pas le droit d’imposer à la France un emblème européen confessionnel. Il n’est pas le sien et la France a voté contre son adoption sans ambiguïté.
Je rappelle que notre opposition à cet emblème ne tient pas au fait qu’il prétend être celui de l’Europe, mais parce qu’il exprime une vision confessionnelle de l’Union, et cela à l’heure où plus que jamais religion et politique doivent être séparées.
Le refus du traité constitutionnel de 2005, dans lequel cet emblème était proposé, vaut décision du peuple français sur le sujet. »

La première lecture de la fête de l’Assomption (Ap 11,19-12,10) est en effet ce passage grandiose de l’Apocalypse où l’on voit une femme enceinte, couronnée de 12 étoiles, être emmenée au désert pour que son fils à naître échappe au dragon cherchant à le dévorer dès sa naissance :

« Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. […] L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place ».

Bien sûr, la femme fait immédiatement penser à Marie, sa place préparée par Dieu au désert fait penser à son Assomption, sa couronne d’étoiles au couronnement de la Vierge si souvent peint et sculpté, la lune-piédestal et le soleil-manteau à son rôle cosmique de Vierge-Mère.

Y aurait-il un lien entre l’Apocalypse et le drapeau européen, entre l’Assomption et le projet politique des 27 pays adhérents à l’Union Européenne ?
Oui dans la pensée de son concepteur. Non dans les commentaires officiels qu’en donnent les organisations européennes.

 

L’inspiration mariale d’Arsène Heitz

Le drapeau européen a été créé en 1955, à l’origine pour symboliser non pas l’Union européenne, ni même son ancêtre la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), mais bien le Conseil de l’Europe, une modeste organisation de défense des droits de l’homme et de la culture.
Plusieurs projets de drapeaux sont proposés et successivement rejetés, expliquait en 1985  Robert Bichet, président du comité ad hoc pour un emblème européen :

•   un grand « E » vert sur fond blanc, symbole du Mouvement européen, dont l’esthétique a été critiquée (il était comparé à « un caleçon qui sèche sur un pré ») ;
•   un cercle doré barré d’une croix, sur fond bleu : proposition que les Français et les Turcs (membres du Conseil de l’Europe) ont refusée en raison justement du symbole religieux ;
•   des constellations d’étoiles, complexes à reproduire, ou une quinzaine d’étoiles en cercle, représentant le nombre de membres du Conseil à l’époque – mais les Allemands ne souhaitaient pas que la Sarre y soit comptée comme un État membre.

Finalement, le projet retenu reprend un cercle d’étoiles sur un fond azur. Pas 15 ni 14 étoiles (à cause la Sarre), pas 13 étoiles (nombre maudit…), mais 12, nombre qui parle à tous. Le fonctionnaire européen qui a dessiné le drapeau, Arsène Heitz, était un fervent catholique. Il a raconté bien plus tard qu’il avait tiré son inspiration de la médaille miraculeuse de la Vierge Marie, qui la représente entourée de douze étoiles d’or. Heitz se disait « très fier que le drapeau de l’Europe soit celui de Notre-Dame ».

[image]

 

La médaille miraculeuse de la Rue du Bac

Médaille Miraculeuse enversLe 27 novembre 1830, en fin d’après-midi, alors que la jeune religieuse Catherine Labouré prie dans la chapelle de la rue du Bac à Paris, elle voit se dessiner deux tableaux au-dessus de l’autel. Sur le second tableau (qui sera le verso de la médaille), Catherine voit apparaître le « M » de Marie, entrelacé avec la croix de Jésus, comme pour rappeler le lien indéfectible qui les unit. Autour, sont dessinées les douze étoiles de la « Reine du ciel ». Deux cœurs se tiennent côte à côte. À gauche, celui de Jésus reconnaissable à la couronne d’épines qui l’entoure. Sur sa droite, un cœur transpercé par un glaive, comme pour représenter la douleur d’une mère voyant son enfant souffrir. C’est le cœur de Marie.

En février 1832 éclate à Paris une terrible épidémie de choléra, qui fera plus de 20 000 morts. En juin, les premières médailles réalisées par l’orfèvre Vachette sont distribuées par les Filles de la Charité. Aussitôt guérisons, conversions, protections se multiplient. C’est un raz-de-marée. Le peuple de Paris appelle la médaille de l’Immaculée la « médaille miraculeuse ».

 

Heitz ou Lévy ?

Marie et le drapeau européen dans Communauté spirituelle 440px-EU_Flag_specification.svgAgent au service du courrier du Conseil de l’Europe, Arsène Heitz prend le projet très au sérieux. De 1952 à 1955, il dessine plusieurs croquis différents. L’un d’entre eux représente un rectangle bleu uni, orné d’un cercle de quinze étoiles, dont une en son centre. Le drapeau plaît au directeur de la presse du Conseil, Paul Michel Gabriel Lévy, et au rapporteur Robert Bichet. Mais le nombre d’étoiles est ramené de quinze à douze: le Conseil de l’Europe compte bien quinze membres à cette période, mais à cause du statut  problématique de la Sarre d’après-guerre, à cause du nombre de pays pouvant être amené à varier, on lui préfère le douze. En 1955, le drapeau définitif est adopté à l’unanimité par l’Assemblée parlementaire. Depuis 1986, il est la bannière de la totalité des institutions européennes.

Par un clin d’œil de l’histoire, hasard de l’agenda, le texte portant adoption du drapeau a été voté un jour avant le calendrier officiel qui prévoyait de le faire le 9 décembre 1955 : c’est donc un 8 décembre que l’Europe s’est dotée du cercle de 12 étoiles d’or sur fond bleu… soit le jour même de la fête de l’Immaculée Conception, si liée à la médaille de la rue du Bac et à son invocation : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous » ! ! !

Pour les dirigeants chrétiens-démocrates à l’origine de la construction européenne (Conrad Adenauer, Robert Schuman, Alcide De Gasperi…), cette inspiration mariale, explicite ou cachée, ne pose pas problème… Mais cette inspiration est totalement absente de la genèse du drapeau telle que décrite par le rapporteur Robert Bichet en 1985, et est démentie dès 1998 par Paul Michel Gabriel Lévy chargé du projet, qui revendique la réduction de quinze à douze étoiles sur fond d’argumentation politique. Il affirme que la ressemblance avec la couronne de Marie n’est qu’une coïncidence qui lui a été indiquée postérieurement à la décision. Elle ne rend pas compte non plus de pourquoi la première soumission de la commission en 1953 avait quinze étoiles. Selon Paul Collowald, témoin de l’avancement du projet auprès de Paul Lévy, Arsène Heitz ne saurait revendiquer la conception car sa participation relève d’un simple concours technique dans l’ultime phase de présentation au Conseil.

Dans le texte de l’Apocalypse, les 12 étoiles symbolisent sans doute les 12 apôtres, et accomplissent les 12 tribus d’Israël. Sur le drapeau européen, on pourrait y voir une allusion aux racines judéo-chrétiennes de l’Europe. Mais ce ne sont pas des étoiles de David, car elles n’ont que cinq branches. Dans le texte de l’Apocalypse, le nombre 12 renvoie plutôt à l’Église, nouvel Israël, image de la Jérusalem céleste ayant 12 portes pour accueillir tous les peuples de l’univers.

Les 12 étoiles disposées en couronne sont devenues le thème classique du couronnement de la Vierge dans l’art occidental à partir du XII° siècle.

La couleur or des étoiles peut faire penser au soleil qui sert de manteau à la femme de l’Apocalypse, mais également à l’or royal des empires et royaumes qui ont marqué l’histoire européenne.

Le bleu est pour nous actuellement la couleur mariale par excellence. Pas une statue de la vierge qui n’ait une touche de bleu ! Bernadette Soubirous à Lourdes en 1858 décrira la Dame de ses apparitions portant une belle ceinture bleue. Pourtant il n’en fut pas toujours ainsi. Cherchez le mot bleu dans la Bible tout entière : il n’y est jamais mentionné ! Ni comme adjectif, ni comme substantif. Associer Marie à la couleur bleue est donc une invention tardive.

 

Le bleu marial

assumption.png« Marie n’a pas toujours été habillée de bleu. Il faut même attendre le XII° siècle pour que dans la peinture occidentale elle soit prioritairement associée à cette couleur. [...]

Auparavant, dans les images, Marie peut être vêtue de n’importe quelle couleur mais il s’agit presque toujours d’une couleur sombre : noir, gris, brun, violet ou vert foncé. L’idée qui domine est celle d’une couleur d’affliction, une couleur de deuil. [...]

C’est aux alentours de 1140 que les maîtres-verriers mettent au point le célèbre « bleu de Saint-Denis », lié à la reconstruction de l’église abbatiale. Ce bleu verrier exprime une conception nouvelle du ciel et de la lumière [...] Plus tard encore, dans les premières décennies du XIII° siècle, quelques grands personnages, à l’imitation de la reine du ciel, se mettent à porter des vêtements bleus, ce qui aurait été impensable deux ou trois générations plus tôt. Saint Louis est le premier roi de France qui le fasse régulièrement.

[...] Avec l’art baroque, une mode nouvelle se met progressivement en place : celle des vierges d’or, ou dorées, couleur passant pour celle de la lumière divine. Cette mode triomphe au XVIII° siècle et se maintient fort avant dans le XIXe. Cependant, à partir du dogme de l’Immaculée Conception – selon lequel, Marie, dès le premier instant de sa conception, par un privilège unique de Dieu a été préservée de la souillure du péché originel -, dogme définitivement reconnu par le pape Pie IX en 1854, la couleur iconographique de la Vierge devient le blanc, symbole de pureté et de virginité. Dès lors, pour la première fois depuis les temps les plus anciens du christianisme, la couleur iconographique de Marie et sa couleur liturgique sont enfin identiques : le blanc. Dans la liturgie en effet, depuis le V° siècle pour certains diocèses et depuis le pontificat d’Innocent III (1198-1216) pour une bonne partie de la Chrétienté romaine, les fêtes de la Vierge sont associées à la couleur blanche. » [1]

Au fil des siècles, la Vierge est ainsi passée par toutes les couleurs ou presque, comme le montre une étonnante statue taillée dans un beau bois de tilleul peu après l’an mil et aujourd’hui conservée au musée de Liège. Cette vierge romane avait d’abord été peinte en noir, comme c’était fréquemment le cas à cette époque. Au XIII° siècle, elle fut repeinte en bleu, selon les canons de l’iconographie et de la théologie gothiques. Mais à la fin du XVII° siècle cette même Vierge fut, comme tant d’autres « baroquisée » et quitta le bleu pour le doré, couleur qu’elle conserva pendant deux siècles environ, avant d’être visitée par le dogme de l’Immaculée Conception et, ce faisant, entièrement badigeonnée de peinture blanche (vers 1880). Cette superposition de quatre couleurs successives en un millénaire d’histoire fait de cette fragile sculpture un objet vivant ainsi qu’un exceptionnel document d’histoire picturale et symbolique. »

 

Les commentaires officiels

exposition-sur-le-drapeau-europeen Assomption dans Communauté spirituelleSur le site officiel de l’Europe, les symboles du drapeau européen sont expliqués indépendamment de toute connotation religieuse.

Voici la description officielle du drapeau européen : « Sur le fond bleu du ciel, les étoiles figurant les peuples d’Europe forment un cercle en signe d’union. Elles sont au nombre invariable de douze, symbole de la perfection et de la plénitude. Sur fond azur, un cercle composé de douze étoiles d’or à cinq rais dont les pointes ne se touchent pas. »

« Les étoiles symbolisent les idéaux d’unité, de solidarité et d’harmonie entre les peuples d’Europe. Le nombre d’étoiles n’est pas lié au nombre d’États membres, bien que le cercle soit symbole d’unité. Il y a douze étoiles, car ce chiffre est traditionnellement un symbole de perfection, de plénitude et d’unité. Ainsi, le drapeau restera le même, indépendamment des futurs élargissements de l’Union européenne. »
« Dans différentes traditions, douze est un chiffre symbolique représentant la complétude (il correspond également au nombre de mois de l’année et au nombre d’heures sur le cadran d’une montre). Quant au cercle, il est entre autres un symbole d’unité. »

 

Décidément, politique et religion sont inextricablement mêlées dans l’histoire européenne comme dans ses symboles…

L’essentiel est peut-être pour nous en ce 15 août de contempler en Marie la femme de l’Apocalypse. Comme elle, nous sommes dans les douleurs de l’enfantement : l’enfantement du Verbe en nous.

C’est un travail très personnel, pour que chacun(e) accouche de sa véritable identité (« ce n’est pas moi qui vis, mais Christ qui vit en moi » Ga 2,20).

C’est également un travail collectif, donc politique, pour que nos sociétés accouchent de conditions de vie dignes de la vocation divine de notre humanité. Particulièrement en Europe où le christianisme a puissamment contribué à façonner les institutions, les mentalités, les symboliques depuis 2000 ans.

 


[1]. Michel Pastoureau, Bleu, Histoire d’une couleur, Seuil, 2000, pp 54-55.

 

MESSE DU JOUR

 

PREMIÈRE LECTURE

« Une Femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous les pieds » (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire.
Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. Alors j’entendis dans le ciel une voix forte, qui proclamait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! »

 

PSAUME

(Ps 44, (45), 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16)
R/ Debout, à la droite du Seigneur,se tient la reine, toute parée d’or. (cf. Ps 44, 10b)

Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté.

Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
Alors, les plus riches du peuple,
chargés de présents, quêteront ton sourire.

Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,
vêtue d’étoffes d’or ;
on la conduit, toute parée, vers le roi.

Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ;
on les conduit parmi les chants de fête :
elles entrent au palais du roi.

 

DEUXIÈME LECTURE

« En premier, le Christ ; ensuite, ceux qui lui appartiennent » (1 Co 15, 20-27a)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds.

 

ÉVANGILE

« Le Puissant fit pour moi des merveilles : il élève les humbles » (Lc 1, 39-56)
Alléluia. Alléluia.Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »  Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
Patrick BRAUD

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15 avril 2020

Le bienfait collatéral de la crise

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 8 h 00 min

Le bienfait collatéral de la crise

 

Bien sûr il y a la souffrance des malades, des ventilés qui cherchent leur souffle sur leur lit de réanimation, des familles en deuil qui ne peuvent dire adieu…
Mais il y a également les familles qui sont réunies avec de grands enfants étudiants, les innombrables dévouements ordinaires pour soigner, nourrir, nettoyer, sécuriser etc.
Cette crise – comme toutes les crises – charrie son lot de malheurs et de découvertes, de blessures et de renaissances.

Je voudrais vous citer longuement une romancière, Christiane Singer, qui nous livre quelques éléments fort précieux pour considérer autrement cette période, dans un essai qui s’intitule justement “ du bon usage des crises ”, publié il y a déjà 24 ans.

 

Du bon usage des crises.

Le bienfait collatéral de la crise dans Communauté spirituelle 51dhQ9p6ueL._SX300_BO1,204,203,200_Ne soyons pas mesquins, et disons du bon usage des [déluges], crises, catastrophes, drames, naufrages divers. J’ai gagné la certitude, en cours de route, que les catastrophes sont là pour nous éviter le pire. Et le pire, comment pourrais-je exprimer ce qu’est le pire ? Le pire, c’est bel et bien d’avoir traversé la vie sans naufrages, d’être resté à la surface des choses, d’avoir dansé au bal des ombres, d’avoir pataugé dans ce marécage des on-dit, des apparences, de n’avoir jamais été précipité dans une autre dimension. Les crises, dans la société où nous vivons, sont vraiment ce qu’on a encore trouvé de mieux, à défaut de maître [spirituel], quand on n’en a pas à portée de la main, pour entrer dans l’autre dimension.

Dans notre société, toute l’ambition, toute la concentration est de nous détourner, de détourner notre attention de tout ce qui est important. Un système de fils barbelés, d’interdits pour ne pas avoir accès à notre profondeur.

C’est une immense conspiration, la plus gigantesque conspiration d’une civilisation contre l’âme, contre l’esprit. Dans une société où tout est barré, où les chemins ne sont pas indiqués pour entrer dans la profondeur, il n’y a que la crise pour pouvoir briser ces murs autour de nous. La crise qui sert en quelque sorte de bélier pour enfoncer les portes de ces forteresses où nous nous tenons murés, avec tout l’arsenal de notre personnalité, tout ce que nous croyons être.

Récemment sur une autoroute périphérique de Berlin où il y a de terribles embouteillages, un tagueur de génie avait inscrit sur un pont la formule suivante [...] : “Détrompe-toi, tu n’es pas dans un embouteillage, l’embouteillage, c’est toi !”

Nous sommes tous spécialisés dans l’esquive, dans le détournement, dans le “divertissement” tel que le voyait Pascal. [...] J’ai rencontré, voilà quatre jours, en faisant une conférence à Vienne, une femme ; et c’est une belle histoire qu’elle m’a racontée qui exprime cela à la perfection. Elle me disait, à la perte de son unique enfant, avoir été pendant des mois et des mois ravagée de larmes et de désespoir, et un jour, elle s’est placée devant un miroir, et elle a dit :  “Voilà le visage ravagé d’une femme qui a perdu son enfant unique”, et à cet instant, dans cette fissure, cette seconde de non-identification, où un être sort d’un millimètre de son désastre et le regarde, s’est engouffré la grâce. Dans cet instant, dans une espèce de joie indescriptible, elle a su : “Mais nous ne sommes pas séparés”, et avec cette certitude, le déferlement d’une joie indescriptible qu’exprimait encore son visage. C’était une femme rayonnante de cette plénitude et de cette présence qu’engendre la traversée du désastre”.

« Comment se joue la crise ? On pourrait utiliser ce mot de retournement, de renversement. Qu’est-ce qui se passe dans la crise ? Il se passe à peu près ceci qu’une voix s’adresse à vous, et vous dit : « Tu as construit une vie, oui bravo, eh bien détruis-la ; tu as construit une personnalité, formidable, bravo, détruis-la ; tu t’es battu, tu as été courageux, un courage extraordinaire, mais l’heure de la reddition est venue, à genoux ! ». Ou encore, comme pour Abraham : « Tu as mis un fils au monde, bravo, rends-le moi ! ». Tous ces moments de l’intolérable, de l’inacceptable, qui dans l’ordre des choses vécues, dans l’ordre de l’immédiat sont le scandale absolu ! Rends-moi ce que je t’ai donné ! Pour moi la plus extraordinaire histoire qui les symbolise toutes est celle de Job. J’adore cette histoire de Job, j’y reviens toujours. Job a été vraiment le serviteur de Dieu, l’homme de tous les succès. Une vie accomplie, entourée de richesse, de troupeaux de bœufs, ses femmes, ses fils, ses serviteurs, une richesse que Dieu bénie. Ce même homme, Job maudit, Job sur son tas d’immondices qui gratte ses ulcères, Job qui ne lâche pas prise, qui dit : « Je m’adresserai à Toi mon Dieu, jusqu’à ce que Tu m’expliques la raison qui me ferait accepter l’inacceptable, j’attends de Toi une réponse qui me convainque ». Et cette interrogation qui le pousse pendant des jours et des semaines et des mois, à ne pas lâcher prise et cette phrase qui est pour moi une des phrases les plus poignantes : « Pourquoi ne peux-Tu pas donner raison à l’homme contre Toi-même ? ».

Aussi longtemps que Job demande à Dieu de paraître devant lui, et de lui expliquer l’inexplicable, de lui dire la raison de toute cette horreur, de tout ce désespoir, de tout ce désastre d’une existence : « Viens ! Viens, je n’ai plus que la peau sur les os lui dit-il, viens, parle-moi ». Dieu ne vient pas, Dieu ne parle pas. Arrivent tous les amis, tous les copains, les thérapeutes, qui lui expliquent : « Écoute, je suis persuadé que tu as fait une erreur, écoute, réfléchis, souviens-toi ! » Mais Job ne les écoute pas.  »

Christiane SINGER, Du bon usage des crises, éditions Albin Michel, 1996

 

Dans les six derniers mois de sa vie, en 2006, Christiane Singer affronte le cancer qui devait l’emporter et tient un journal publié sous le titre : Derniers fragments d’un long voyage, dans lequel elle écrit ceci :

« Les Vivants n’ont pas d’âge. Seuls les morts-vivants comptent les années et s’interrogent fébrilement sur les dates de naissance des voisins. Quant à ceux qui voient dans la maladie un échec ou une catastrophe, ils n’ont pas encore commencé à vivre. Car la vie commence au lieu où se délitent les catégories. C’est un immense espace de liberté. (…) On peut aussi monter en maladie vers un chemin d’initiation, à l’affût des fractures qu’elle opère dans tous les murs qui nous entourent, des brèches qu’elle ouvre vers l’infini. Elle devient alors l’une des plus hautes aventures de la vie. Si tant est que quelqu’un veuille me la disputer, je ne céderais pas ma place pour un empire ».

 

 

Nota Bene :

Il faut garder à l’esprit l’échelle du nombre de morts par grande cause dans le monde.
Où l’on voit que les autres épidémies beaucoup plus meurtrières n’émeuvent pas grand monde en comparaison du coronavirus; pourquoi ?….

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22 mars 2020

Inviter Dieu à visiter ce qui nous tue

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Inviter Dieu à visiter ce qui nous tue

Homélie du 5° dimanche de Carême / Année A
29/03/2020

Cf. également :

Reprocher pour se rapprocher
Et Jésus pleura
Une puanteur de 4 jours

La part d’ombre de Jean Vanier

Samedi 22 février 2020. Les responsables de l’Arche communiquent longuement à la presse en faisant une révélation gravissime et douloureuse : leur fondateur Jean Vanier a abusé sexuellement pendant des années de six femmes au moins qu’il accompagnait spirituellement (et qui n’étaient pas des personnes handicapées comme celles accueillies à l’Arche). Stupéfaction et choc immense pour tous les admirateurs de Jean Vanier et de son œuvre (l’Arche, mais aussi Foi et Lumière). La prise de parole des responsables est calme, courageuse : ils enquêtent depuis des mois avec l’aide d’un organisme extérieur, et leur conclusion est sans appel. L’influence néfaste sur Jean Vanier de l’ex-dominicain Thomas Philippe et de sa pseudo-mystique est manifeste (son frère Marie-Dominique Philippe lui aussi dominicain et fondateur des frères de Saint-Jean a également commis viols et agressions révélées en 2013). Ils veulent la vérité. Leur déception est immense. Ils sont effondrés et touchés au plus profond. Par leur parole publique, ils veulent préserver le formidable élan de l’Arche qui permet à des centaines d’adultes handicapés mentalement et physiquement de vivre une vie de famille et de communauté dans les 150 foyers de l’Arche de par le monde. Leur réaction est salutaire. Il leur faudra des mois, des années pour digérer cette terrible nouvelle, et en tirer toutes les conséquences, tant organisationnelles que spirituelles ou ecclésiales.

Sans le savoir, ils rejoignent ainsi les amis de Lazare dans l’Évangile de ce cinquième dimanche de carême, pleurant avec Marthe et Marie sur la mort de leur frère. Ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont dit peut aujourd’hui encore nous inspirer pour traverser les graves crises qui affectent régulièrement nos communautés ou nos vies personnelles.

 

Pleurer avec

Les juifs sont venus réconforter Marthe et Marie dans leur deuil. Comme les amis de Job venus le soutenir [1], ils n’assènent pas de discours bondieusards prônant des explications ou des consolations trop faciles. Non : ils pleurent avec Marie et la réconfortent par leur simple présence plus que par leur parole. C’est cela la compassion : souffrir avec (cum-patire en latin).

Lorsque quelque chose de mortel fait irruption dans nos vies, que ce soit la révélation sur Jean Vanier pour l’Arche ou le deuil pour Marthe, il est important de se laisser blesser, d’accepter d’être vulnérable, d’en pleurer de douleur, de déception, de dégoût ou de tristesse, de remords ou de rage, comme Pierre sur son reniement ou comme la pécheresse versant ses larmes sur les pieds de Jésus à Béthanie. D’ailleurs Jésus lui-même ne retient pas son émotion devant les pleurs de Marie et de ses amis. Il en est bouleversé. Et devant le tombeau, il pleure. Au lieu de se durcir pour paraître fort, le Christ nous invite à accueillir nos émotions devant les catastrophes qui nous dévastent, à ne pas retenir nos larmes. Mieux vaut pleurer sur les abus de Jean Vanier que de nier ou de faire comme si on allait vite passer à autre chose. Mieux vaut pleurer avec ceux qui sont dévastés par une épreuve que de leur faire la morale ou de leur dire tout de suite ce qu’ils devraient faire. Rilke conseillait à un jeune poète de prendre le temps d’habiter ses questions, d’y demeurer, avant de leur apporter une réponse.

« Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s’agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses. » [2]

Il en va de même pour les coups mortels que nous subissons : prendre le temps d’habiter notre douleur est indispensable ; ne pas trop vite passer à autre chose est vital.
Et si nous voulons accompagner ceux qui souffrent, commençons par nous asseoir à leurs côtés. Pleurer avec ceux qui pleurent est le premier signe de l’amitié touchée par le malheur de l’autre.


« Où l’avez-vous mis ? »

Inviter Dieu à visiter ce qui nous tue dans Communauté spirituelle RsurrectiondeLazare2Jésus demande alors : « Où l’avez-vous mis ? »

« Excellente question. Qu’avons-nous fait de notre frère souffrant ? L’avons-nous enterré dans un coin pour qu’il ne nous dérange pas avec son odeur de mort ? Qu’avons-nous fait de cette part de nous-même qui est souffrante et que nous laissons pourrir dans un coin ? Qu’avons-nous fait de nos injustices passées, les nôtres et celles de notre peuple, celles de notre parti, de notre église, de notre famille ? Les voilons-nous sous de faux prétextes pour nous justifier à nos propres yeux : il y a là un risque de gangrène, un poison de mort. « Où l’avez-vous mis ? » nous dit Jésus, dans quels placards avez-vous caché vos cadavres ? […] Cela demande une double confiance, confiance dans la capacité de Dieu à faire quelque chose, et confiance dans sa capacité à nous aimer malgré cette puanteur, comme seul un véritable ami peut le faire. « Seigneur, viens voir » et je serai ressuscité » [3].

Chaque famille a ses secrets, chaque personne sa part d’ombre, chaque paroisse sa face cachée, chaque Église ses turpitudes… : autant de cadavres dans le placard qui finissent par sentir mauvais à la longue à force de vouloir les dissimuler. Le Christ nous demande où sont nos Lazare morts. Non pas pour nous juger ou nous accabler. Mais un médecin ne peut soigner une plaie sans qu’on la lui expose, même nue, souillées et dangereuse. Avec une compassion et une douceur infinies, le Christ nous demande de lui dévoiler nos cachettes honteuses, les non-dits qui nous empoisonnent, les secrets malsains qui nous gangrènent, les cadavres qui hantent nos placards. Il le demande en ami pleurant sur notre mal et non en inquisiteur cherchant une preuve.
Comment ne pas être bouleversé à notre tour de son désir de rejoindre même le côté le plus obscur de nous-mêmes ?

 

« Seigneur, viens et vois ! »

Au début, sur les bords du lac de Galilée, c’est Jésus qui avait formulé cette invitation à Jean et André : « venez et voyez » (Jean 1,34). La demande ici s’inverse : ce sont les amis de Lazare qui invitent Jésus à venir voir son tombeau. Inviter Dieu à visiter ce qui nous tue et le chemin pour nous ouvrir à sa puissance de résurrection. Plutôt que de cacher nos morts spirituelles ou morales, (comme on cache aujourd’hui les corps des défunts dont on a peur, qu’on ne touche plus et qu’on ne veille plus), le Christ nous donne le courage de lui révéler publiquement les recoins où la mort nous taraude, les puanteurs que bientôt nous ne pourrons plus contenir, à l’image du tombeau de Lazare au quatrième jour.

« Viens ! » : Jean n’emploie ce verbe (ρχου en grec) que neuf fois : 2 fois dans son Évangile (Jn 1,46 ; 11,34) et 7 fois dans l’Apocalypse [4].
Dans l’Apocalypse, par 4 fois un animal du Tétramorphe crie : « viens ! » lorsqu’un sceau est ouvert [5]. Le sceau symbolise une nouvelle étape dans l’histoire personnelle ou collective ; cela signifie donc qu’à chaque impulsion nouvelle de notre histoire nous pouvons crier « viens ! »  pour que le Seigneur visite, guérisse et féconde ce jalon de notre parcours, qu’il soit joyeux ou douloureux. « Viens ! » est donc le cri du désir humain attendant activement la visite de l’amour divin dans tout son être, bon grain et ivraie inextricablement mêlés. « Viens ! » est le dernier cri de l’Apocalypse, et donc le désir ultime ponctuant toute la Bible en ce point d’orgue :

« L’Esprit et l’épouse disent: Viens ! Que celui qui entend dise : Viens ! »  (Ap 22,17)
« Celui qui atteste cela dit : Oui, je viens bientôt. Amen, viens Seigneur Jésus ! » (Ap 22,20).

C’est bien un cri d’amour : inviter Dieu à visiter ce qui nous tue est l’élan vital de l’épouse se languissant de l’union à son bien-aimé par qui la santé et le salut lui sont donnés. De manière étonnante, Jésus répond au « viens et vois ! » des amis de Lazare par un « viens dehors ! » adressé à Lazare. Désirer que Dieu visite notre part d’ombre nous permet d’entendre son appel à sortir de nos tombeaux : ce qui lui a été exposé sera guéri, la mort qui ne lui est plus cachée sera vaincue, la puanteur qui n’est plus enfermée sera dissipée à l’air libre. Si nous voulons nous relever des crises qui nous abattent, mieux vaut s’en ouvrir au Christ sans rien cacher. Si nous voulons aider les autres comme les amis de Lazare pour Marthe et Marie, mieux vaut ne pas avoir peur de ce qui sent mauvais.

Ouvrir les tombeaux plutôt que de sceller nos secrets malsains : voilà la démarche courageuse qu’ont choisie les responsables de l’Arche en révélant la face obscure de Jean Vanier, plutôt que de dissimuler ou d’excuser ou de minimiser. Nul doute que l’Arche pourra, à l’issue d’une cure longue et difficile, se libérer des liens à Jean Vanier qui obstrueraient sa marche comme les bandelettes enserraient le corps réanimé de Lazare…

Chacun de nous peut inviter le Christ à visiter ce qui le tue : « Seigneur, viens et vois ! »
Viens visiter mes secrets malodorants, mes cadavres dans le placard, les liens qui m’empêchent de « sortir dehors ».
Collectivement, en paroisse, dans une équipe de partage de vie ou de bénévolat solidaire, nous devons également crier vers le médecin suprême : « viens et vois ce qui nous tue ! ».

 

 


[1]. « De loin, fixant les yeux sur lui, ils ne le reconnurent pas. Alors ils éclatèrent en sanglots. Chacun déchira son vêtement et jeta de la poussière sur sa tête. Puis, s’asseyant à terre près de lui, ils restèrent ainsi durant sept jours et sept nuits. Aucun ne lui adressa la parole, au spectacle d’une si grande douleur. » (Job 2, 12-13)

[2]. R.M. Rilke, Lettres à un jeune poète, 1929.

[3]. Extrait de la très belle prédication du pasteur Marc Pernot lors d’un culte le 5 juin 2011, à qui j’emprunte son titre et son inspiration. Cf. : https://oratoiredulouvre.fr/libres-reflexions/predications/inviter-dieu-a-visiter-ce-qui-nous-tue-jean-11

[4]. Le symbolisme de ces chiffres est connu : 2 renvoie à l’unité homme-femme ou homme-Dieu, 7 aux sept jours de la Création, 4 aux quatre points cardinaux signifiant l’universalité.

[5]. Quand l’agneau ouvrit le premier des sept sceaux, j’entendis le premier des quatre animaux s’écrier d’une voix de tonnerre: Viens !  (Ap 6,1)
Quand il ouvrit le deuxième sceau, j’entendis le deuxième animal s’écrier: Viens !  (Ap 6,3)
Quand il ouvrit le troisième sceau, j’entendis le troisième animal s’écrier: Viens ! (Ap 6,5)
Quand il ouvrit le quatrième sceau, j’entendis le quatrième animal s’écrier: Viens ! (Ap 6,7)

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez » (Ez 37, 12-14)

Lecture du livre du prophète Ézékiel

Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. Vous saurez que Je suis le Seigneur, quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai remonter, ô mon peuple ! Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez ; je vous donnerai le repos sur votre terre. Alors vous saurez que Je suis le Seigneur : j’ai parlé et je le ferai – oracle du Seigneur.

PSAUME

(Ps 129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8)
R/ Près du Seigneur est l’amour, près de lui abonde le rachat. (Ps 129, 7bc)

Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur,
Seigneur, écoute mon appel !
Que ton oreille se fasse attentive
au cri de ma prière !

Si tu retiens les fautes, Seigneur,
Seigneur, qui subsistera ?
Mais près de toi se trouve le pardon
pour que l’homme te craigne.

J’espère le Seigneur de toute mon âme ;
je l’espère, et j’attends sa parole.
Mon âme attend le Seigneur
plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.

Oui, près du Seigneur, est l’amour ;
près de lui, abonde le rachat.
C’est lui qui rachètera Israël
de toutes ses fautes.

 

DEUXIÈME LECTURE

« L’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus habite en vous » (Rm 8, 8-11)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, ceux qui sont sous l’emprise de la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.

 

ÉVANGILE

« Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11, 1-45)
Gloire à toi, Seigneur,gloire à toi.Moi, je suis la résurrection et la vie, dit le Seigneur. Celui qui croit en moi ne mourra jamais. Gloire à toi, Seigneur,gloire à toi. (cf. Jn 11, 25a.26)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

 En ce temps-là, il y avait quelqu’un de malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, sa sœur. Or Marie était celle qui répandit du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux. C’était son frère Lazare qui était malade. Donc, les deux sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade. » En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait. Puis, après cela, il dit aux disciples : « Revenons en Judée. » Les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? » Jésus répondit : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n’est pas en lui. » Après ces paroles, il ajouta : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. » Les disciples lui dirent alors : « Seigneur, s’il s’est endormi, il sera sauvé. » Jésus avait parlé de la mort ; eux pensaient qu’il parlait du repos du sommeil. Alors il leur dit ouvertement : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! » Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! »
À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà. Comme Béthanie était tout près de Jérusalem – à une distance de quinze stades (c’est-à-dire une demi-heure de marche environ) –, beaucoup de Juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère. Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. » Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. » Ayant dit cela, elle partit appeler sa sœur Marie, et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t’appelle. » Marie, dès qu’elle l’entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus. Il n’était pas encore entré dans le village, mais il se trouvait toujours à l’endroit où Marthe l’avait rencontré. Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu’elle allait au tombeau pour y pleurer. Marie arriva à l’endroit où se trouvait Jésus. Dès qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé, et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. » Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »
Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : « Enlevez la pierre. » Marthe, la sœur du défunt, lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. » Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. » Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. » Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.
Patrick Braud

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26 janvier 2020

Chandeleur : les relevailles de Marie

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Chandeleur : les relevailles de Marie

Homélie pour la fête de la Présentation du Seigneur au Temple / Année A
02/02/2020

Cf. également :

Chandeleur et Vie Religieuse : vos Vœux nous Intéressent
S’endormir en paix
Vendredi Saint : la déréliction de Marie
Lumière des nations

Les crêpes faciles de la chandeleur- « La fête des crêpes » ! ! !
Les yeux de Léa pétillaient déjà du plaisir de voir blondir la pâte dans la poêle, puis de l’enduire de confiture ou de Nutella… Elle était sûre de sa réponse, Léa, quand ses parents lui ont demandé ce qu’était la Chandeleur. Du haut de ses neuf ans, pas de doute : les crêpes méritent bien leur fête spéciale !

Bien sûr il y a du vrai puisque la forme ronde des crêpes fait penser au disque solaire dont les Anciens fêtaient le renouveau début février. L’Église a essayé – avec succès – de christianiser ces festivités romaines ou barbares marquant la fin de l’hiver et le début des semailles. Mais les racines de la Chandeleur sont d’abord juives. Impossible de l’oublier avec l’évangile de ce 2 février qui pour une fois tombe un dimanche, 40 jours après Noël. Jésus y est présenté comme « la lumière des nations », selon la belle expression reprise par Vatican II pour son document majeur sur l’Église (Lumen Gentium). Marie y joue également un grand rôle : c’est le temps de sa « purification », et on lui annonce qu’un glaive lui transpercera le cœur.

Quel intérêt pour nous de continuer à commémorer ces rituels aujourd’hui oubliés ? Quelle actualité peuvent avoir ces versets parlant de Marie montant à Jérusalem son premier-né dans les bras, avec Joseph à ses côtés ?

 

La judéité de Marie et la nôtre

La PRÉSENTATION de JÉSUS au TEMPLE et la PURIFICATION de MARIE 111Marie accomplit ici deux prescriptions de la loi de Moïse : la purification pour elle (Lv 12), et l’offrande du premier-né pour Jésus (Ex 13, 1-16). En effet, toute femme juive ayant accouché était déclaré légalement « impure » pendant 40 jours, le temps pour elle de se remettre de l’événement, qui la dispensait des obligations habituelles mais la coupait ainsi de la communauté. Pour la loi, impureté n’est pas péché : c’est un état de vie qui empêche la pleine communion avec Israël. Le rituel de la purification – essentiellement une bénédiction d’un Cohen au Temple – marque symboliquement la fin du temps de l’accouchement, et réintègre pleinement la jeune maman dans la vie sociale et religieuse de sa communauté. Le fait que Marie observe scrupuleusement cette obligation rituelle montre combien toute sa vie de famille était emplie de l’amour de la Loi. Quoique sans péché, elle accomplit sa purification sans hésitation, éduquant son fils dans cet esprit d’accomplissement et non de destruction de la Loi. « Je suis venu accomplir, non abolir » (Mt 5,17).

Elle observe également ce que cette même Loi juive demande pour son fils : la circoncision le 8° jour, puis la présentation au Temple le 40° jour. Quel dommage que la réforme liturgique ne nous fasse plus fêter la circoncision (Brit Mila en hébreu [1]) de Jésus ! Car vous pressentez que l’enjeu de tous ces rappels est de nous garder greffés sur l’olivier juif (comme dit Paul en Rm 11), de ne jamais renier nos racines, et de repousser au loin tout démon d’antisémitisme qui hélas a pu prospérer naguère dans les rangs chrétiens. Pourtant Vatican II a écrit des choses admirables sur nos relations avec nos « frères aînés », dans sa déclaration Nostra Aetate. Fêter la circoncision de Jésus – comme les Orientaux continuent de le faire – oblige à prendre en compte sa judéité, et nous rapproche d’ailleurs en même temps de nos cousins musulmans qui la pratiquent toujours en fidélité à Moïse et Abraham. Fêter sa Présentation au Temple nous rappelle que Jésus a été sujet de la Loi juive, l’observant de tout cœur avant de l’accomplir radicalement en la dépassant.

Impossible d’être antisémite donc si on célèbre la Chandeleur comme la manifestation aux nations de la « gloire d’Israël » venant illuminer « ceux qui gisent dans l’ombre de la mort ». Si un jour des vents mauvais revenaient en Europe ou ailleurs, charriant leur lot de haine  envers les juifs, les chrétiens devraient être en première ligne pour défendre ce peuple qui est celui de leur Messie et de sa mère tant vénérée…

Le rôle social des relevailles

Une autre actualité de la Chandeleur réside dans le rôle joué par ces 40 jours après l’accouchement et avant la purification. On appelait autrefois relevailles cette fête qui marquait la fin d’une période familiale chamboulée par l’arrivée d’un enfant. La mère se relevait enfin de son lit et des soins si accaparants prodigués nuit et jour au bébé nouveau-né. Grande sagesse en réalité que de ménager ainsi des sas temporels pour s’accoutumer à une réalité nouvelle ! Il en reste quelque chose dans le congé maternité/paternité que la loi prévoit en France pour justement donner aux parents le temps d’apprivoiser leurs nouveaux rythmes de vie, leurs nouvelles obligations découlant de la naissance. Les femmes en parlent bien mieux que les hommes :

« Ça y est, bébé était là !
Puis les premières heures et les premiers jours se sont écoulés, avec les hauts et les bas que connaissent les toutes jeunes mamans, les remous de l’allaitement, les montagnes russes hormonales et les apprentissages nécessaires autour du nouveau-né. Une nouvelle page s’ouvre, et pourtant, chaque maman pourra en témoigner, dans ce temps juste après la naissance, nous sommes encore entre deux eaux, entre deux identités qui se chevauchent, presque entre deux corps, celui de la grossesse et celui de maintenant, éprouvée par la naissance, et notre nouvelle et unique préoccupation : entièrement tournée vers ce nouvel être à aimer, à protéger, et à rencontrer.

Dans ce temps de vulnérabilité, de transformation et d’apprentissages, je crois que les femmes et les parents ont plus que jamais besoin de soutien et d’accompagnement, de s’entendre dire que tout va bien, qu’ils font bien, qu’ils peuvent s’écouter, et se faire confiance.

Puis, une semaine passe, encore une autre, et petit à petit, les parents, les mères trouvent, ou plutôt créent, de nouveaux repères, de nouvelles habitudes, un nouvel équilibre. Le temps de la rencontre, le temps de la naissance, se ferme pour laisser la place à une nouvelle étape, qui s’ouvre en grand et se déploie devant nous: celui de la vie avec un bébé.

Ce temps, entre deux, peut être doux, remuant, chaotique, exalté, inspirant, fatigant, bouleversant, lumineux, il peut devenir un souvenir heureux ou être une marque de notre nouvel héroïsme de mère, mais, quelle que soit la façon dont nous le vivons, ce temps est unique, et nous nous en souviendrons probablement toujours. […] » [2]

Les relevailles ont formellement disparu de notre France urbanisée, mais l’importance  sociale d’une période d’accompagnement particulier juste après l’accouchement demeure. On pourrait avec audace faire le parallèle avec l’autre période – symétrique – après la mort d’un proche. La période de deuil d’autrefois avec ses signes extérieurs (catafalques sur le devant des maisons, brassard au bras, habits noirs etc.) a pratiquement disparu, mais pas le besoin de « faire son deuil » comme on dit, ce qui demande du temps, de la patience, de l’affection des proches etc.

Fêter les relevailles de Marie, c’est se souvenir que toute naissance nous rend fragiles, et qu’il nous faut du temps pour apprivoiser la vie soudainement présente, comme il nous faut du temps pour apprivoiser l’absence soudainement définitive… Réinventer des rituels sociaux et religieux pour consacrer ces périodes si particulières, pour en célébrer la fin lorsqu’on peut réintégrer pleinement la vie sociale ordinaire, serait fort utile.

 

Le glaive et la méditation

Une troisième dimension de la Chandeleur réside dans les paroles vieux Syméon à Marie : « un glaive de transpercera le cœur ». Bigre : drôle de cadeau pour une fête au Temple ! Marie vient chercher la joie en consacrant son premier-né à Dieu comme autrefois les hébreux avant la nuit de l’Exode. Et voilà qu’on lui gâche la fête avec cette annonce de malheur, terrible prédiction qui a dû angoisser Marie serrant son fils en se demandant ce que pourrait bien être ce glaive si cruel. Les commentateurs essaient d’adoucir cette effrayante annonce faite à Marie en évoquant le symbolisme du glaive dans la Bible, qui renvoie autant à la Parole de Dieu tranchante et coupante qu’à une épée militaire. Paul, l’apôtre représenté glaive à la main par nos statues, décrit en effet la puissance quasi-chirurgicale de la Parole de Dieu : « vivante, en effet, est la Parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur » (He 4,12).

Aujourd'hui 15 sept. : Fête de Notre-Dame des Douleurs Jc3a9sus-nice_-_c3a9glise_saint-jacques-le-majeur_-_chapelle_saint-joseph_-2

Syméon semble suivre ce fil, car il met en relation le glaive avec « la révélation des pensées de beaucoup ». Comme le scalpel sépare les chairs, la Parole de Dieu incarnée en Jésus va révéler l’iniquité et le mal habitant le cœur de beaucoup, qui vont se mettre à le haïr, le tourner en dérision, jusqu’à l’éliminer physiquement.
Noël n’est décidément pas une fête sucrée, avec son cycle se terminant sur cette prophétie inquiétante !
C’est donc que présenter Jésus au monde nous expose comme Marie à recevoir des coups de glaive douloureux, à endurer l’exclusion dont Jésus sera marqué.
La Tradition a reconnu ce glaive dans le coup de lance dont un soldat a transpercé le cœur de Jésus sur la croix (Jn 19,34). Nul doute que Marie en a été intimement et profondément blessée. Nul doute que Marie a partagé la déréliction de son fils sur le bois du gibet. « Notre-Dame des douleurs » a eu son cœur transpercé par les insultes, les crachats, les coups de fouet et les clous qui atteignaient son fils.

Chandeleur : les relevailles de Marie dans Communauté spirituelle 220px-Santa_Maria_degli_Scalzi_%28Venice%29_-_E._Meyring_Estasi_su_santa_Teresa_di_Ges%C3%B9Depuis, la tradition spirituelle a inventé le mot transverbération pour décrire ce phénomène mystique où par exemple Sainte Thérèse d’Avila est comme blessée au cœur par l’amour de Dieu, jusqu’à en être affectée physiquement. Si un jour vous avez été étreint à l’oppression par la contemplation de l’amour de Dieu pour nous – que ce soit dans l’oraison, la liturgie, l’art ou les Écritures – alors vous savez de quoi Thérèse parle en évoquant son cœur transpercé. Seuls les cœurs durs comme la pierre ne se laissent jamais atteindre par la souffrance des autres ou la beauté du monde…

Marie ne s’est pas laissé déstabiliser cependant par cette prophétie énigmatique de Syméon. Elle est rentrée chez elle avec Joseph, et l’épisode de Jésus resté au Temple de Jérusalem à l’âge de douze ans lors d’un pèlerinage familial nous livre le secret de la paix de Marie malgré tous ces imprévus : elle « conservait toutes ces choses, les méditant dans son cœur » (Lc 2, 19). Autrement dit, elle ne cessait de les garder présentes à son esprit pour s’y préparer et se préparer elle-même à soutenir Jésus le moment venu.

Le glaive et la méditation vont de pair pour Marie : ruminer les événements, les plus joyeux comme les plus douloureux, ruminer les parole entendues à la lumière des Écritures peut nous aider comme elle à accueillir ce qui nous arrive sans perdre cœur.

Fêtons la Chandeleur, cierge à la main, crêpes pas loin, les yeux rivés sur la jeune femme juive portant la lumière du monde dans ses bras…

 

 


[1]. « L’alliance par la coupure », en hébreu. Il est intéressant de noter que le tranchant passe d’abord dans le corps de Jésus avant d’être annoncé dans le cœur de Marie.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez » (Ml 3, 1-4)

Lecture du livre du prophète Malachie

Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient – dit le Seigneur de l’univers. Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs. Il s’installera pour fondre et purifier : il purifiera les fils de Lévi, il les affinera comme l’or et l’argent ; ainsi pourront-ils, aux yeux du Seigneur, présenter l’offrande en toute justice. Alors, l’offrande de Juda et de Jérusalem sera bien accueillie du Seigneur, comme il en fut aux jours anciens, dans les années d’autrefois.

PSAUME

(Ps 23 (24), 7, 8, 9, 10)
R/ C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ;c’est lui, le roi de gloire. (Ps 23, 10bc)

Portes, levez vos frontons,
élevez-vous, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !

Qui est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur, le fort, le vaillant,
le Seigneur, le vaillant des combats.

Portes, levez vos frontons,
levez-les, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !

Qui donc est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ;
c’est lui, le roi de gloire.

DEUXIÈME LECTURE

« Il lui fallait se rendre en tout semblable à ses frères » (He 2, 14-18)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Puisque les enfants des hommes ont en commun le sang et la chair, Jésus a partagé, lui aussi, pareille condition : ainsi, par sa mort, il a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves. Car ceux qu’il prend en charge, ce ne sont pas les anges, c’est la descendance d’Abraham. Il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu, afin d’enlever les péchés du peuple. Et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion, il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve.

ÉVANGILE

« Mes yeux ont vu ton salut » (Lc 2, 22-40)
Alléluia. Alléluia.Lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. Alléluia. (Lc 2, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculinsera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterellesou deux petites colombes.
Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »
Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »
Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de 84 ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Patrick Braud

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