L'homélie du dimanche (prochain)

1 octobre 2023

Ce Dieu absent qui ne se venge pas

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ce Dieu absent qui ne se venge pas

Homélie pour le 27° Dimanche du temps ordinaire / Année A
08/10/2023

Cf. également :
Suis-je le vigneron de mon frère ?
Jésus face à la violence mimétique
Les sans-dents, pierre angulaire

Vendange, vent d’anges

Le pipel du camp de Buna
Élie Wiesel était un adolescent juif ordinaire lorsqu’il fut déporté avec sa famille à Auschwitz en 1944. Il lui faudra attendre près de 40 ans après la guerre pour arriver à trouver les mots décrivant l’horreur : son petit livre bouleversant « La nuit » écrit en 1983 demeure un témoignage incontournable. Il arrive enfin à raconter son enfer. Et notamment l’exécution d’un enfant par les SS, qui le marque au fer rouge pour toute son existence :

Ce Dieu absent qui ne se venge pas dans Communauté spirituelle B01C61PWNA.01._SCLZZZZZZZ_SX500_« J’ai vu d’autres pendaisons. Je n’ai jamais vu un seul de ces condamnés pleurer. Il y avait longtemps que ces corps desséchés avaient oublié la saveur amère des larmes. Sauf une fois. L’Oberkapo du 52° kommando des câbles était un Hollandais : un géant, dépassant deux mètres. Sept cents détenus travaillaient sous ses ordres et tous l’aimaient comme un frère. Jamais personne n’avait reçu une gifle de sa main, une injure de sa bouche. Il avait à son service un jeune garçon, un pipel comme on les appelait. Un garçon d’une douzaine d’années au visage fin et beau, incroyable dans ce camp. |…]
Un jour, la centrale électrique de Buna[1] sauta. Appelée sur les lieux, la Gestapo conclut à un sabotage. On découvrit une piste. Elle aboutissait au block de l’Oberkapo hollandais. Et là, on découvrit, après une fouille, une quantité importante d’armes. L’Oberkapo fut arrêté sur-le-champ. Il fut torturé des semaines durant, mais en vain. Il ne livra aucun nom. Il fut transféré à Auschwitz. On n’en entendit plus parler. Mais son petit pipel était resté au camp, au cachot. Mis également à la torture, il resta, lui aussi, muet. Les S.S. le condamnèrent alors à mort, ainsi que deux autres détenus chez lesquels on avait découvert des armes.

Un jour que nous revenions du travail, nous vîmes trois potences dressées sur la place d’appel, trois corbeaux noirs. Appel. Les S.S. autour de nous, les mitrailleuses braquées : la cérémonie traditionnelle. Trois condamnés enchaînés – et parmi eux, le petit pipel, l’ange aux yeux tristes. Les S.S. paraissaient plus préoccupés, plus inquiets que de coutume. Pendre un gosse devant des milliers de spectateurs n’était pas une petite affaire. Le chef du camp lut le verdict. Tous les yeux étaient fixés sur l’enfant. Il était livide, presque calme, se mordant les lèvres. L’ombre de la potence le recouvrait. Le Lagerkapo refusa cette fois de servir de bourreau. Trois S.S. le remplacèrent. Les trois condamnés montèrent ensemble sur leurs chaises. Les trois cous furent introduits en même temps dans les nœuds coulants.
— Vive la liberté ! crièrent les deux adultes. Le petit, lui, se taisait.
— Où est le Bon Dieu, où est-il ? demanda quelqu’un derrière moi.
Sur un signe du chef de camp, les trois chaises basculèrent. Silence absolu dans tout le camp. À l’horizon, le soleil se couchait.
— Découvrez-vous ! hurla le chef du camp. Sa voix était rauque. Quant à nous, nous pleurions.
— Couvrez-vous ! Puis commença le défilé. Les deux adultes ne vivaient plus. Leur langue pendait, grossie, bleutée. Mais la troisième corde n’était pas immobile : si léger, le petit garçon vivait encore… Plus d’une demi-heure il resta ainsi, à lutter entre la vie et la mort, agonisant sous nos yeux. Et nous devions le regarder bien en face. Il était encore vivant lorsque je passai devant lui. Sa langue était encore rouge, ses yeux pas encore éteints. Derrière moi, j’entendis le même homme demander :
— Où donc est Dieu ?
Et je sentais en moi une voix qui lui répondait :
— Où il est ? Le voici : il est pendu ici, à cette potence… »

De manière étonnante, le témoignage véridique d’Elie Wiesel rejoint la finale de la parabole des vignerons homicides de ce dimanche (Mt 21,33-43) : Dieu s’est absenté de ce monde, et lorsqu’il revient, ce n’est pas pour se venger du mal qui se déchaîne mais pour s’identifier à ses victimes et construire avec elles, à partir d’elles, un monde nouveau.
Détaillons cette thèse, parabole à l’appui.

 

Dieu s’est absenté de ce monde
 absence dans Communauté spirituelle
Matthieu l’écrit explicitement au verset 33 : « il partit en voyage ». Drôle de patron ! La place du propriétaire n’est-elle pas auprès des équipes qui travaillent pour lui ? N’est-ce pas scandaleux que le patron aille se dorer la pilule en voyage alors que les ouvriers triment dans sa vigne ? N’est-ce pas cela qu’on reproche aux actionnaires du CAC 40 : ne pas toucher d’un cheveu la pénibilité du travail en usine ou dans les champs, mais encaisser le coupon annuel à distance, sans se préoccuper de ceux qui produisent cette richesse ?

C’est étonnant qu’aucun commentaire ne s’étonne de cette absence. Bien sûr, elle reflète l’usage capitalistique des terres en Palestine au premier siècle : les grands propriétaires fonciers louaient leur exploitation à des paysans locaux et vivaient à l’étranger.  Ils ne s’intéressaient qu’à la récolte. Mais quand même ! Jésus aurait pu prendre un autre exemple que ce comportement de riches propriétaires encaissant à distance l’argent pour lequel ils n’ont pas travaillé !

 

Trois explications de l’absence de Dieu
Comment expliquer cette absence du maître dans sa vigne ? Qui pourra justifier l’absence de Dieu à Auschwitz ? Qui pourra innocenter Dieu du crime d’éloignement coupable, d’avidité au gain et de désintérêt pour ses serviteurs ?
Comme toujours, ne répondons pas trop vite et laissons cette question ultra-douloureuse purifier nos fausses représentations.
Explorons ensuite quelques pistes possibles de compréhension.

– Si Dieu est là, il n’y a plus d’Histoire.
Interrupteur différentiel position OFF
La présence de Dieu en direct court-circuiterait l’action humaine, et ferait en quelque sorte sauter le disjoncteur de notre responsabilité. C’est la raison profonde de l’Ascension du Ressuscité : s’il ne part pas, s’il ne s’absente pas, tous attendraient de lui qu’il établisse le royaume de Dieu lui-même. Il n’y aurait plus rien à attendre : tout serait là, présent en Christ. L’absence de Dieu est la garantie d’un à-venir ; elle fonde la possibilité d’une attente active ; elle oriente l’Histoire au lieu de l’annuler.
« Il est bon pour vous que je m’en aille » (Jn 16,7).

– L’absence de Dieu est le fondement de notre autonomie.
Liberté & Cie
Isaac Getz, auteur du livre à succès : « Liberté & Cie » sur le management dans les entreprises libérées (Fayard, 2012), raconte l’histoire vraie de Bob Davids, propriétaire du vignoble californien SeaSmoke Cellars, histoire qui ressemble comme deux gouttes d’eau à notre parabole. Le jeune Bob Davids achète en 1999 quelques hectares de vignes produisant un petit vin local californien. Il n’y connaît rien en viticulture car il vient du jeu vidéo, mais il a une vision claire de l’entreprise qu’il veut développer : une société qui cultive la liberté repose précisément sur l’idée qu’il ne faut pas dire aux employés ce qu’ils doivent faire, même si c’est ce qu’ils attendent. Ce comportement doit être initié au sommet, au niveau du directeur général ou du patron d’entité. À l’image du coach, le dirigeant est garant du cadre et se doit d’être à l’écoute de ses salariés et de satisfaire leurs besoins. Bob Davids expose ainsi clairement sa philosophie et sa vision de l’entreprise : Je n’ai pas les compétences qu’il faut pour faire du vin. Je vous donnerai les outils nécessaires et tout ce qu’il faut pour produire le meilleur vin que vous puissiez humainement produire… Tout ce dont vous aurez besoin. Comme ça, vous n’aurez aucune excuse pour venir me voir et me dire : J’aurais pu mieux faire, si seulement vous m’aviez permis de…”. Ce même Bob Davids n’hésite pas à écrire à ses salariés : Je serai absent huit mois. Si vous avez le sentiment qu’il faut absolument me contacter, qu’il faut impérativement que je m’occupe de votre problème, je vous demande de vous allonger. Quand cette impression aura disparu, relevez-vous, réglez le problème et envoyez-moi un e-mail pour me faire connaître la solution”.

Pour ce qui est du vignoble, Bob fait confiance aux experts en rachetant et transformant un ancien ranch. Quant à la gestion au quotidien, Bob fait ce qu’il sait faire de mieux : ne pas manager. Il constitue d’abord une petite équipe avec les meilleurs talents possibles. Puis, il les laisse faire. Son implication au sein de Sea Smoke s’arrête à quelques coups de fil passés aux collaborateurs, pour leur demander s’ils s’amusent encore dans leur travail, et à des coups de main occasionnels notamment pendant les vendanges. Il est garant de la vision de Sea Smoke, mais ne s’implique absolument pas dans la gestion quotidienne du vignoble : ça, c’est le rôle de Victor, qui travaille tous les jours à Sea Smoke.

Aucune permission n’est demandée et aucun ordre n’est donné. Lorsqu’il faut prendre une décision, c’est le collaborateur qui la prend. Il n’y a pas non plus de process, ni de limites prédéterminées : simplement des habitudes prises au cours du temps sur la base du bon sens. Car d’après Victor, s’il recrute des stars dans leurs domaines respectifs, c’est justement pour ne pas avoir à leur dire ce qu’ils ont à faire ou contrôler s’ils le font correctement : ils le savent mieux que lui.

Voilà donc un propriétaire qui a le culot de partir huit mois autour du monde en laissant ses salariés se dépatouiller par eux-mêmes, pour faire monter le vin en qualité. Et ça marche ! Sea Smoke Cellars se voit décerner une médaille d’or en 2004 ; le domaine viticole s’étend. Pourquoi ? Parce que Bob Davids avait une vision d’excellence : produire le meilleur vin possible, vision qu’il a su partager avec ses équipes. Il leur a ensuite laissé toute latitude pour résoudre par eux-mêmes un par un les innombrables obstacles qui se sont dressés sur leur route. Ils l’ont fait parce qu’ils étaient motivés par eux-mêmes, et parce que le patron leur avait laissé le champ libre, sous réserve de servir leur vision commune.

Voilà ce que pourrait être l’absence de Dieu : la chance de notre autonomie, la garantie de notre réussite ! S’il était présent, nous n’arrêterions pas de lui demander ce qu’il faut faire, dire, penser. Et nous obéirions mécaniquement. Mais Dieu veut la collaboration d’hommes libres et non l’obéissance d’esclaves ! Comme l’écrivait le poète : « Dieu a fait l’homme comme la mer a fait les continents : en se retirant » (Hölderlin).

– L’absence de Dieu est incompréhensible, car il est plus grand que tout.
 parabole
Cette troisième piste est la réponse du livre de Job à la longue plainte de l’homme éprouvé dans ses proches, dans ses biens, dans sa chair : ‘où est-il Dieu, dans cette épreuve ? Pourquoi m’a-t-il laissé seul loin de lui ?’

« Job s’adressa au Seigneur et dit : ‘Je sais que tu peux tout et que nul projet pour toi n’est impossible. ‘Quel est celui qui déforme tes plans sans rien y connaître ?’ De fait, j’ai parlé, sans les comprendre, de merveilles hors de ma portée, dont je ne savais rien. Daigne écouter, et moi, je parlerai ; je vais t’interroger, et tu m’instruiras. C’est par ouï-dire que je te connaissais, mais maintenant mes yeux t’ont vu. C’est pourquoi je me rétracte et me repens sur la poussière et sur la cendre.’ » (Jb 42,1-6)…

S’incliner devant la transcendance divine n’est pas forcément capituler ni se résigner mais reconnaître que Dieu est au-delà de ma logique, de la représentation, de mon savoir et de mon intelligence.
Jésus lui-même s’est heurté à cette incompréhensibilité : à Gethsémani, il voit arriver l’infamie de la croix et ne comprend pas pourquoi Dieu l’abandonne à ce moment précis. Sur la croix, il interroge le ciel comme le pipel d’Auschwitz pendu à la potence : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » Pourquoi n’es-tu pas là, avec moi, quand j’ai tant besoin de toi ? Je ne comprends pas…

La réponse à l’énigme de l’absence de Dieu serait alors : « fais confiance, tu comprendras plus tard ». Pas satisfaisant du tout pour un adolescent qui veut tout maîtriser tout de suite, mais profondément libérateur pour le sage qui laisse les choses être sans les arraisonner, sans vouloir les posséder. Le lâcher prise, la dé-maîtrise, le laisser-faire spirituels deviennent alors une autre manière de vivre l’absence, sans cesser d’attendre et de désirer.

 

Les pierres angulaires
Quoiqu’il en soit, l’absence de Dieu ne dure qu’un moment. Le maître de la vigne viendra. Les auditeurs de la parabole écrivent la finale de l’histoire à leur manière, celle de la vengeance : « Ces misérables, il les fera  périr misérablement ». Jésus valide-t-il cette vengeance contre les vignerons homicides ? Dieu répondrait-il à la violence par la violence ? Quelle serait sa revanche ?

pierre_angulaire-300x300 pipelLà encore, les commentaires ne s’étonnent pas assez du décalage énorme entre la réponse ‘normale’ (exterminer les coupables) et celle de Jésus, citant le psaume 118 : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! ». Autrement dit : au lieu de se venger des chefs religieux juifs, Dieu transformera leurs victimes en fondations de sa nouvelle construction. Comme l’a expliqué le pape François, le propriétaire de la vigne avait le droit de se venger, tout comme Dieu pouvait venger son Fils crucifié. Néanmoins, « la déception de Dieu face au mauvais comportement des hommes n’est pas le dernier mot ! Telle est la grande nouveauté du christianisme : un Dieu qui, même déçu par nos erreurs et par nos péchés, ne manque pas à sa parole, ne se ferme pas, et surtout ne se venge pas ! » (Angélus, 8 octobre 2017).

En Jésus, Dieu s’identifie à ceux que l’on élimine pour s’accaparer la richesse commune. Jésus sur la croix ne veut pas la mort de ses juges ni de ses bourreaux. Il assure au criminel à sa droite qu’il sera le premier à inaugurer le paradis avec lui.
La vraie revanche de Dieu n’est pas de châtier les violents comme feraient les humains, mais de relever leurs victimes pour construire avec elles, à partir d’elles, un Temple nouveau dont elles seront les pierres angulaires. Dès cette vie-ci, il est possible avec Jésus de subvertir la violence subie pour transformer les victimes en fondation d’un monde nouveau.
En s’identifiant aux vaincus de l’histoire, en faisant corps avec les damnés de la terre, le crucifié inaugure un renversement révolutionnaire : les rejetés deviennent les maîtres d’œuvre, les exclus les bâtisseurs, les maudits des frères, les victimes des sources de justice. Du fils unique tué et jeté hors de la vigne par les chefs religieux naîtra un corps fraternel dénonçant toute violence. Dieu ne répond pas à la violence par la violence. Dieu ne remplacera pas la caste sacerdotale juive par une autre caste sacerdotale – ce qui ne serait que changer de maître – mais par une nation libre, une nation où tous seront prêtres, prophètes et rois selon la promesse messianique.

François Mauriac a essayé d’exprimer cette espérance dans l’Avant-propos qu’il a écrit pour « La nuit » d’Elie Wiesel. Il témoigne :

« Je compris alors ce que j’avais aimé dès l’abord dans le jeune Israélien : ce regard d’un Lazare ressuscité, et pourtant toujours prisonnier des sombres bords où il erra, trébuchant sur des cadavres déshonorés. Pour lui, le cri de Nietzsche exprimait une réalité presque physique : Dieu est mort, le Dieu d’amour, de douceur et de consolation, le Dieu d’Abraham, Isaac et de Jacob s’est à jamais dissipé, sous le regard de cet enfant, dans la fumée de l’holocauste humain exigé par la Race, la plus goulue de toutes les idoles. Et cette mort, chez combien de juif pieux ne s’est-elle pas accomplie ? Le jour horrible, entre ces jours horribles, où l’enfant assista à la pendaison (oui !) d’un autre enfant qui avait, nous dit-il, le visage d’un ange malheureux, il entendit quelqu’un derrière lui gémir : « Où est Dieu ? Où est-il ? Où donc est Dieu ? Et en moi une voix lui répondait : où il est ? Le voici : il est pendu ici, à cette potence ».

Christ de Saint Jean de la Croix par Salvador DaliLe dernier jour de l’année juive l’enfant assiste dans le camp à la cérémonie solennelle de Roch Hashana. Il entend ces milliers d’esclaves crier d’une seule voix : « béni soit le nom de l’Éternel ! ». Naguère encore, il se fût prosterné, lui aussi, avec quelle adoration, quelle crainte, quel amour ! Et aujourd’hui, il se redresse, il fait front. La créature humiliée et offensée au-delà de ce qui est concevable pour l’esprit et pour le cœur défie la divinité aveugle et sourde : « aujourd’hui, je n’implorais plus. Je n’étais plus capable de gémir. Je me sentais au contraire très fort. J’étais l’accusateur. Et l’accusé : Dieu. Mes yeux s’étaient ouverts et j’étais seul, terriblement seul dans le monde, sans Dieu, sans hommes. Sans un mot ni pitié. Je n’étais plus rien que cendres, mais je me sentais plus fort que ce Tout-Puissant auquel on avait lié ma vie si longtemps. Au milieu de cette assemblée de prière, j’étais comme un observateur étranger ».

Et moi, qui crois que Dieu est amour, que pouvais-je répondre à mon jeune interlocuteur dont l’œil bleu gardait le reflet de cette tristesse d’ange apparue un jour sur le visage de l’enfant pendu ? Que lui ai-je dit ? Lui ai-je parlé de cet Israélien, ce frère qui lui ressemblait peut-être, ce crucifié dont la croix a vaincu le monde ? Lui ai-je affirmé que ce qui fut pour lui pierre d’achoppement est devenu pierre d’angle pour moi et que la conformité entre la croix et la souffrance des hommes demeure à mes yeux la clé de ce mystère insondable où sa foi d’enfance s’est perdue ?
Sion a resurgi pourtant des crématoires et des charniers. La nation juive est ressuscitée d’entre ces millions de morts. C’est par eux qu’elle est de nouveau vivante. Nous ne connaissons pas le prix d’une seule goutte de sang, d’une seule larme. Tout est grâce. Si l’Éternel est l’Éternel, le dernier mot pour chacun de nous lui appartient. Voilà ce que j’aurais dû dire à l’enfant juif. Mais je n’ai pu que l’embrasser en pleurant ».


[1]. Près d’Auschwitz, l’usine de Buna-Werke de la société IG Farben est une fabrique de caoutchouc où près de 12 000 détenus sont envoyés travailler. Elle devient le camp de travail Auschwitz III.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël » (Is 5, 1-7)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Je veux chanter pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne.
Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en retourna la terre, en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais.
Et maintenant, habitants de Jérusalem, hommes de Juda, soyez donc juges entre moi et ma vigne ! Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? J’attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ? Eh bien, je vais vous apprendre ce que je ferai de ma vigne : enlever sa clôture pour qu’elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu’elle soit piétinée. J’en ferai une pente désolée ; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie.
La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. Le plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda. Il en attendait le droit, et voici le crime ; il en attendait la justice, et voici les cris.

PSAUME

(Ps 79 (80), 9-12, 13-14, 15-16a, 19-20)
R/ La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. (cf. Is 5, 7a)

La vigne que tu as prise à l’Égypte,
tu la replantes en chassant des nations.
Elle étendait ses sarments jusqu’à la mer,
et ses rejets, jusqu’au Fleuve.

Pourquoi as-tu percé sa clôture ?
Tous les passants y grappillent en chemin ;
le sanglier des forêts la ravage
et les bêtes des champs la broutent.

Dieu de l’univers, reviens !
Du haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-la,
celle qu’a plantée ta main puissante.

Jamais plus nous n’irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !
Seigneur, Dieu de l’univers, fais-nous revenir ;
que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Mettez cela en pratique. Et le Dieu de la paix sera avec vous » (Ph 4, 6-9)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens
Frères, ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus. Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d’être aimé et honoré, tout ce qui s’appelle vertu et qui mérite des éloges, tout cela, prenez-le en compte. Ce que vous avez appris et reçu, ce que vous avez vu et entendu de moi, mettez-le en pratique. Et le Dieu de la paix sera avec vous.

ÉVANGILE

« Il louera la vigne à d’autres vignerons » (Mt 21, 33-43)
Alléluia. Alléluia. C’est moi qui vous ai choisis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure, dit le Seigneur. Alléluia. (cf. Jn 15, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Écoutez cette parabole : Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage. Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième. De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon. Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : ‘Ils respecteront mon fils.’ Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : ‘Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !’ Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. » Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. »
Patrick BRAUD

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19 mars 2023

Déliez-le, et laissez-le aller

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Déliez-le, et laissez-le aller

 

Homélie pour le 5° Dimanche de Carême / Année A 

26/03/2023

 

Cf. également :

Inviter Dieu à visiter ce qui nous tue

Reprocher pour se rapprocher

Et Jésus pleura

Une puanteur de 4 jours


Il ne faut pas réveiller la momie qui dort !

Déliez-le, et laissez-le aller dans Communauté spirituelle 286958Vous avez peut-être frissonné en suivant les aventures de Tom Cruise dans le film « La Momie » (2017). Par malheur, une ancienne princesse égyptienne qui avait été momifiée vivante est réveillée par des aventuriers. Grosse erreur ! Parce qu’elle a été consciencieusement enterrée dans un tombeau au fin fond d’un insondable désert, cette princesse va déverser sur notre monde des siècles de rancœurs accumulées et de terreur dépassant l’entendement humain. Des sables du Moyen Orient aux pavés de Londres en passant par les ténébreux labyrinthes d’antiques tombeaux dérobés, La Momie nous transporte dans un monde à la fois terrifiant et merveilleux, peuplé de monstres et de divinités, dépoussiérant au passage un mythe vieux comme le monde.

Il y avait déjà eu un film sur ce thème de la vengeance de la momie réveillée d’entre les morts en 1939, puis un remake en 1999, puis la suite avec « Le retour de la Momie » en 2001, sans oublier les films très proches : « Le Roi scorpion » (2002), « La tombe de l’empereur Dragon » (2008) etc.

Bref : la momie qui se réveille est un filon hollywoodien très populaire depuis plus d’un siècle !

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Il faut croire que Jean l’évangéliste a des talents de cinéaste ! Dans l’Évangile de ce 4e dimanche de Carême (Jn 11,1-45), il met en scène la sortie du tombeau de Lazare avec force détails : la puanteur du cadavre (depuis 4 jours déjà !), les rites funéraires, les pleureuses, le village rassemblé pour soutenir la famille etc.

« Jésus cria d’une voix forte : ‘Lazare, sors dehors !’ Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : ‘Déliez-le, et laissez-le aller’ ».

Voilà donc notre momie-Lazare réveillée d’entre les morts, non pour accomplir une malédiction hollywoodienne, mais au contraire pour que la foule croit que Jésus est l’Envoyé du Père.


Déliez-le et laissez-le aller

Visu-1-6 Carême dans Communauté spirituelleLa scène est impressionnante ; et d’autant plus bizarre qu’on se demande comment Lazare a pu sortir du tombeau alors qu’il était ligoté de partout, pieds et mains liés ! On le voit mal sauter à pieds joints ligoté dans ses bandelettes…

Évidemment, Jean ménage ses effets, et veut insister sur ce qui se passe après la réanimation du corps : il faut le délier de ses linges, et lui redonner sa liberté au lieu de le confiner dans sa famille ou dans le village. La différence avec la résurrection de Jésus saute aux yeux : au matin de Pâques, les bandelettes qui ont entouré le corps du crucifié sont soigneusement roulées et rangées à part, ainsi que le linge qui maintenait sa mâchoire fermée autour de son visage. « Simon-Pierre entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place » (Jn 20,6-7). Le Christ n’a pas besoin d’aide humaine pour être relevé d’entre les morts : c’est de Dieu qu’il reçoit directement cette puissance. Il n’a pas besoin d’être délié par les femmes au tombeau. Il n’a pas besoin d’être autorisé pour aller librement à sa guise là où il veut.
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Si Jésus avait la puissance de ressusciter Lazare pourquoi n’a-t-il pas roulé la pierre lui-même ?

Pourquoi n’a-t-il pas transporté miraculeusement Lazare hors du tombeau ?

Pourquoi ne l’a-t-il pas lui-même délivré de ses bandelettes ?

Et si cette mise en scène étrange et prodigieuse avait un sens plus profond que celui déjà tout à fait extraordinaire de la résurrection ?

Pour Lazare, c’est-à-dire pour nous associer à la résurrection du Christ, il faut la médiation de ses amis, de sa famille, de sa communauté. Autrement dit : il faut la médiation de l’Église pour achever en nous la résurrection du Christ : nous délier, nous laisser aller.

Mais de quels liens l’Église peut-elle nous défaire pour nous faire vivre ?


Les liens qui nous retiennent dans la mort

Résurrection de LazareVous sentez-vous parfois comme entravé par des boulets que vous traînez derrière vous depuis des années ? Vous sentez-vous prisonnier de telle habitude, telle dépendance ? Les biens et richesses que vous possédez vous possèdent-ils aussi ? Telle relation mortifère vous empêche-t-elle de respirer à pleins poumons ?…

Alors vous comprenez que la résurrection n’est pas le tout de la foi chrétienne : il faut qu’elle soit complétée en quelque sorte par une libération complète de tout ce qui nous retient encore dans le royaume de la mort.

Le bateau qui s’élance sans couper les amarres sera violemment rappelé à quai.

Quelles sont donc ces amarres, ces bandelettes qui comme Lazare nous empêchent de mettre en œuvre la liberté du Ressuscité ?

Le texte grec dit : λύσατε αυτό = déliez-le. Le verbe grec λω (luō) qui est employé ici l’est également dans d’autres passages du Nouveau Testament qui nous éclairent sur les liens à détacher pour aller librement comme Lazare. Parcourons quelques usages de ce verbe λω  afin d’évoquer ce dont Lazare et nous-mêmes sommes déliés.


Les liens du mutisme

JESUSexorcise délier« Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia (luō), et il parlait correctement » (Mc 7,35).

Le possédé de Transjordanie ne sait plus parler. Il vocifère. Sa parole est en lambeaux comme ses vêtements en haillons et son corps lacéré d’automutilations. Jésus lui rend la possibilité de communiquer humainement avec ses semblables, au lieu de mugir comme une bête blessée.

Voilà une délivrance qui nous sera utile tôt ou tard : apprendre à articuler notre douleur, à trouver les mots pour dire notre souffrance – notre bonheur – et ainsi ne plus nous enfermer dans le mutisme ou l’inaudible. Se taire, vociférer, grogner sont des bandelettes qui nous enserrent et nous maintiennent dans des tombeaux de solitude pires que celui de Lazare.


Les liens qui nous empêchent de servir

Jésus monte un âne ; les gens se servent de palmes pour le saluer, et étendent des vêtements et des branchages sur la route.« Jésus leur dit : Allez au village qui est en face de vous. Dès que vous y entrerez, vous trouverez un petit âne attaché, sur lequel personne ne s’est encore assis. Détachez-le (luō) et amenez-le » (Mc 11,2).

Nous sommes cet ânon attaché au piquet, attendant qu’on nous réquisitionne pour une cause juste… Et porter Jésus dans son entrée à Jérusalem, quelle cause plus belle pour un âne ? Mais si personne ne nous appelle, nous resterons longtemps à nous demander pourquoi nous sommes ainsi au piquet. Rappelez-vous que les chrétiens sont des ekkletoi en grec =  des appelés, ceux que l’Église (ekklesia) appelle pour servir le Christ en nos frères.

Comment servir si personne ne m’appelle ? Je resterai un âne, inutile, tant que je n’entendrai pas les amis de Jésus me dire en quoi ils ont besoin de moi.
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Tant de salariés sont attachés à leur emploi comme l’ânon au piquet : sans savoir à quoi ils servent vraiment, sans voir d’utilité sociale, écologique ou même personnelle à leur job qui est alimentaire avant tout.

Tant de jeunes gaspillent leur énergie, leur force, leur créativité dans la drogue, la délinquance, les écrans, l’étourdissement des plaisirs faciles. Ils attendent – le plus souvent sans le savoir – qu’on les appelle, qu’on les détache, qu’on leur donne un objectif noble à servir.

Je suis cet âne qu’il faut délier pour servir la Pâque…


Les courroies de sa sandale

7W2y-sarnTi_d6pWh8tsmz4GZQ4@150x110 Lazare

« C’est lui qui vient derrière moi, et je ne suis pas digne de délier (luō) la courroie de sa sandale » (Jn 1,27).

Variante de l’appel précédent, le Baptiste évoque l’humble service domestique de l’esclave qui défait les lacets des chaussures de son maître. Quand j’étais enfant, c’était une joie d’accueillir mon père revenant de sa journée de travail à l’usine en lui tendant ses chaussons : « tiens mon petit papa, mets-toi à l’aise, souffle un peu, tu es chez nous ».

Désormais, le baptême nous rend dignes de soulager autrui de ce qui est lourd et douloureux pour lui, afin de lui procurer le repos et le réconfort du foyer.


Les liens qui nous possèdent

la-femme-courbee momie« Cette femme, une fille d’Abraham, que Satan avait liée voici dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer (luō) de ce lien le jour du sabbat ? » (Lc 13,16).

Les possessions à l’époque de Jésus désignent toutes les maladies, infirmités et attachements qui amoindrissent une existence, la rendant inhumaine. Cette femme qui a visiblement une vie tordue comme son dos était emprisonnée dans ce handicap comme Lazare dans son tombeau. Aujourd’hui, la médecine s’occupe des liens organiques. Mais les  liens spirituel demeurent, et il en est d’épouvantables qui maintiennent des êtres comme au tombeau : la haine, l’addiction sous toutes ses formes, l’idolâtrie (argent, sexe, pouvoir, gloire…). Ils sont nombreux ces liens que ‘Satan’ utilise pour ligoter une liberté !

À chacun d’examiner honnêtement ce qui le possède et le manipule, telle une marionnette prenant plaisir à faire le mal…


Les liens du péché

442px-Emblem_of_the_Papacy_SE.svgFinalement, les liens de possession les plus forts relèvent de ce que nous appelons le péché. Et c’est bien pour nous rendre libres face au péché que le Christ a fondé son Église.

Pour ouvrir nos cadenas, il a confié le pouvoir des clés, à Pierre d’abord : « Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié (luōsur la terre sera délié (luōdans les cieux » (Mt 16,19). Puis finalement à toute l’Église que nous sommes : « Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié (luō) sur la terre sera délié (luōdans le ciel » (Mt 18,18).

Délier du péché, c’est faire sortir notre Lazare intérieur du tombeau ! Par le sacrement de réconciliation bien sûr, mais d’abord par le pardon mutuel, l’oubli des fautes, l’amour des ennemis, l’alliance fraternelle renouvelée sans cesse, jusqu’à pardonner 70 fois 7 fois…


Les liens du livre et des 7 sceaux

« Puis j’ai vu un ange plein de force, qui proclamait d’une voix puissante : ‘Qui donc est digne d’ouvrir le Livre et d’en briser (luōles sceaux ?’ [...] Mais l’un des Anciens me dit : ‘Ne pleure pas. Voilà qu’il a remporté la victoire, le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David : il ouvrira (luōle Livre aux sept sceaux’ » (Ap 5,2.5).

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La promesse de la résurrection nous ouvre l’avenir dès maintenant : le livre de nos vies n’est plus fermé, les 7 sceaux qui scellaient notre histoire personnelle et collective sont rompus. Un horizon se dessine, un avenir est ouvert : voilà ce que nous – momies éblouies par le retour de la lumière – nous expérimentons à l’appel de du Christ uni à son Église.

L’absurde n’aura pas le dernier mot.

La résurrection libère notre intelligence pour briser les sceaux, lire, déchiffrer, espérer ce qui autrefois était inaccessible.


Les liens de la mort

10572804« Dieu l’a ressuscité en le délivrant (luōdes douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir » (Ac 2,24).

De manière ultime, les derniers liens que Dieu vaincra en nous mieux que les bandelettes de Lazare sont les liens de la mort elle-même !

Ce que Dieu a fait en Christ, il le réalise en nous dès maintenant : il nous fait sortir hors de nos tombeaux, il nous donne des frères et des sœurs pour nous délier et apprendre à vivre libres, il nous délie de la mort dès maintenant et à jamais…
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Que la momie Lazare nous fasse entendre pour nous-mêmes l’appel du Christ à son Église : « déliez-le et laissez-le aller »… !

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez » (Ez 37, 12-14)

 

Lecture du livre du prophète Ézékiel

Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. Vous saurez que Je suis le Seigneur, quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai remonter, ô mon peuple ! Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez ; je vous donnerai le repos sur votre terre. Alors vous saurez que Je suis le Seigneur : j’ai parlé et je le ferai – oracle du Seigneur.

 

PSAUME

(Ps 129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8)
R/ Près du Seigneur est l’amour, près de lui abonde le rachat. (Ps 129, 7bc)

 

Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur,
Seigneur, écoute mon appel !
Que ton oreille se fasse attentive
au cri de ma prière !

 

Si tu retiens les fautes, Seigneur,
Seigneur, qui subsistera ?
Mais près de toi se trouve le pardon
pour que l’homme te craigne.

 

J’espère le Seigneur de toute mon âme ;
je l’espère, et j’attends sa parole.
Mon âme attend le Seigneur
plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.

 

Oui, près du Seigneur, est l’amour ;
près de lui, abonde le rachat.
C’est lui qui rachètera Israël
de toutes ses fautes.

 

DEUXIÈME LECTURE

« L’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus habite en vous » (Rm 8, 8-11)

 

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, ceux qui sont sous l’emprise de la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.

 

ÉVANGILE

« Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11, 1-45)
Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi. Moi, je suis la résurrection et la vie, dit le Seigneur. Celui qui croit en moi ne mourra jamais. Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi. (cf. Jn 11, 25a.26)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

 En ce temps-là, il y avait quelqu’un de malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, sa sœur. Or Marie était celle qui répandit du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux. C’était son frère Lazare qui était malade. Donc, les deux sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade. » En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait. Puis, après cela, il dit aux disciples : « Revenons en Judée. » Les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? » Jésus répondit : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n’est pas en lui. » Après ces paroles, il ajouta : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. » Les disciples lui dirent alors : « Seigneur, s’il s’est endormi, il sera sauvé. » Jésus avait parlé de la mort ; eux pensaient qu’il parlait du repos du sommeil. Alors il leur dit ouvertement : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! » Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! »
À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà. Comme Béthanie était tout près de Jérusalem – à une distance de quinze stades (c’est-à-dire une demi-heure de marche environ) –, beaucoup de Juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère. Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. » Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. » Ayant dit cela, elle partit appeler sa sœur Marie, et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t’appelle. » Marie, dès qu’elle l’entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus. Il n’était pas encore entré dans le village, mais il se trouvait toujours à l’endroit où Marthe l’avait rencontré. Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu’elle allait au tombeau pour y pleurer. Marie arriva à l’endroit où se trouvait Jésus. Dès qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé, et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. » Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »
Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : « Enlevez la pierre. » Marthe, la sœur du défunt, lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. » Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. » Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. » Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.
Patrick Braud

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22 janvier 2023

La fierté illucide

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La fierté illucide

 

Homélie pour le 4° Dimanche du temps ordinaire / Année A 

29/01/2023

 

Cf. également :

Défendre la veuve et l’orphelin

Le petit reste d’Israël, ou l’art d’être minoritaires
Le bonheur illucide
Agents de service
Le maillon faible
Éthique de conviction, éthique de responsabilité

Toussaint : le bonheur illucide


Une vie sans éclat ?

La fierté illucide dans Communauté spirituelle femme-en-ehpad-en-fauteuil-roulantÀ 88 ans, elle s’est éteinte en quelques jours sans déranger personne. Depuis plus de 20 ans en EHPAD et toute sa vie en institution, Jeanine était de ces personnes apparemment inutiles et un peu là par erreur, sans aucune famille pour l’entourer. Mais de son fauteuil roulant qu’elle ne quittait plus, elle trouvait la vie pourtant belle, souriait quand on lui adressait la parole, riait de bon cœur sur une blague, ou essayait de fredonner une chanson des années 60 avec la chorale de la résidence. Simple et douce comme la pluie, elle s’accrochait à son pèlerinage annuel à Lourdes avec l’Hospitalité pour faire provision d’espérance pour 12 mois. Elle a rien accompli aux yeux de la société : ni travail, ni couple, ni enfant, 88 ans de dépendance totale, à charge. Au moment de ses obsèques, nous n’étions que trois autour de son cercueil, avec le sentiment étrange que c’était quelqu’un de grand qui nous réunissait. Le psaume de la célébration exprimait à merveille l’humilité de son existence :

« Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; 

Je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. 

Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; 

Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. 

Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais » (Ps 131)

Voilà de quoi comprendre ce que dit Paul dans notre deuxième lecture :
« Aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu. […] Ainsi, comme il est écrit : Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur » (1Co 1,29‑31) [1]. Il répète sa conviction mot à mot en 2Co 10,17, signe que cela doit être important pour lui.


À contre-courant de notre époque !

 fierté dans Communauté spirituelleDans un entretien d’embauche, on vous posera la question : ‘de quoi êtes-vous fiers dans votre parcours professionnel ?’ Si vous répondez en citant 1Co 1,29‑31, vous n’aurez pas le job !

Dans les techniques de développement personnel, on vous intimera de retrouver la fierté en vous-même, on vous coachera pour cela : vos réussites, vos défis surmontés, vos qualités intrinsèques etc. Si vous dites : la fierté est une non-question pour moi à cause de ma foi, vous ferez jeter du stage, de la formation ou du séminaire !

Et si vous n’est pas fier de l’équipe de France pour son très beau parcours pendant la coupe du monde de football, on vous prendra pour un traître à la patrie…

Alors, que veut dire : mettre sa fierté dans le Seigneur ?


Fier de quoi ?

De quoi peut-on être légitimement fier dans la vie ?

Meilleur ouvrier de France logo médailleDe nos qualités (santé, intelligence, force, énergie) ? Elles nous ont été données, sans mérite aucun. Si les gènes nous ont favorisés, pourquoi nous en vanter ? C’est même légèrement méprisant pour ceux qui, comme Jeanine, sont totalement dépourvus de ces qualités innées…

De nos talents, de notre travail pour les développer ? Mais le serviteur inutile de la parabole percute de plein fouet ces satisfactions apparemment légitimes : « De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ » (Lc 17, 10).

On peut encore être fier de sa famille, de son pays, de ses collègues de travail. Attention cependant : cela peut devenir malsain si on essentialise ! Exemple : ‘je suis fier d’être français’ peut sous-entendre que les autres nationalités n’ont pas vraiment de quoi être fières, pas autant… Telle l’étincelle entre deux silex, la violence surgit très rapidement des rapprochements de ces fiertés nationales… Car être fier de quelque chose va facilement avec le symétrique : se sentir supérieur, reprocher aux autres leur origine, leur marqueur social etc.

Déjà, au temps des Juges, YHWH savait bien que la tentation serait forte pour Israël de se glorifier de ses victoires militaires. Alors de temps en temps il lui inflige des défaites, histoire de lui rappeler que ce n’est pas lui qui mène le bal : « Le Seigneur dit à Gédéon : Le peuple qui est avec toi est trop nombreux pour que je livre Madiane entre ses mains. Israël pourrait s’en glorifier et dire : ‘C’est ma main qui m’a sauvé’ » (Jg 7,2).

Paul tranche la question : « Qui donc t’a mis à part ? Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1Co 4,7) Pour lui c’est clair : nos œuvres ne nous sauvent pas, mais la grâce seule. Pourquoi alors être fier de ce qu’on l’on a accompli ? « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des actes : personne ne peut en tirer orgueil » (Ep 2,8-9).


Fier de qui ?

Peut-être notre fierté est-elle à mettre dans des personnes et non dans des choses ?

photographe-famille-grenoble-08 illucideC’est vrai qu’être fier de ses enfants, c’est plus noble. Et cela paraît juste : on y est bien pour quelque chose, non ? Mais la dérive possessive n’est pas loin… L’enfant ne vous appartient pas, et il devra tracer son propre chemin sans dépendre du jugement – même élogieux – que vous portez ou non sur lui.

Un professeur a envie d’être fier de ses élèves. Est-ce vraiment leur rendre service ? Si cela se traduit par trop d’exigence ou au contraire trop d’aveuglement, mieux vaudrait laisser cette envie de côté.

L’ultime personne dont nous souhaitons être fier est… nous-même ! Être fier de soi, c’est dans un premier temps s’accepter soi-même avec lucidité et réalisme, et se réassurer dans l’existence. Bravo ! : Tu as réussi à t’arrêter de fumer ; tu es aligné sur tes valeurs ; tu es respecté et estimé… tu peux être fier de toi !

Pas faux ; mais on voit poindre derrière ces satisfecit le pharisien debout au Temple énumérant en lui-même tout ce qui le rend impeccable (Lc 18,9-14).

De la fierté à l’orgueil il n’y a qu’un pas, que nous franchissons souvent sans nous en rendre compte : « Et voilà que vous mettez votre fierté dans vos vantardises. Toute fierté de ce genre est mauvaise ! » (Jc 4,16).

Tiens ! L’orgueil est la plupart du temps illucide ! Si les orgueilleux se rendaient compte combien ils sont bouffis d’eux-mêmes, ils auraient honte.

Sans le savoir, on devient orgueilleux et seuls nos proches voient le changement : nous sommes aveuglés par la recherche de nos fiertés. Cela nous rend durs et intransigeants à l’égard de ceux qui n’y arrivent pas comme nous. Cela nous empêche de comprendre les personnes comme Jeanine qui n’ont rien à mettre en avant.

Si l’orgueil est illucide (en négatif), on pressent que la fierté devrait l’être également (en positif).  Car se priver de toute fierté risque de vous faire basculer dans la dévaluation de soi. Il doit bien y avoir une façon de se réjouir d’être soi sans verser dans l’orgueil… !

« Celui qui veut se glorifier, qui se glorifie dans le Seigneur ». Et si la fierté illucide de Paul nous indiquait la voie : ni auto-dévaluation, ni orgueil, dans le Seigneur.

Qu’est-ce à dire ?


La fierté illucide

Icoon_kleur_2 PaulOn a déjà cité le psaume 131 qui nous invite à une égale confiance en Dieu, sans l’angoissante recherche de nos qualités : « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse… »

On pourrait citer aussi le psaume 139 : « Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis : étonnantes sont tes œuvres, toute mon âme le sait » (Ps 139,14). Pas de triomphalisme dans cet acte de reconnaissance : seulement la joie d’être en Dieu et Dieu en nous, ce qui nous confère une dignité merveilleuse, qui vient de Dieu et y conduit.

Et bien sûr, Marie est la première en chemin sur cette route d’une fierté illucide : « mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon sauveur. Il s’est penché sur son humble servante, toutes les générations me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles… » (Lc 1,46-55). Aucun repli sur soi dans son Magnificat : la fierté de Marie n’est pas en elle-même, mais dans l’action de Dieu en elle, dans la présence de Dieu en son sein.

Est illucide une fierté qui comme celle de Marie ne s’appartient pas, n’a pas conscience d’elle-même, et rapporte tout à Dieu en y collaborant de tout son être.

On est loin des fiertés (prides) agressives revendiquées par des minorités inquiètes de leur identité. La fierté de Paul ou de Marie ne se conquiert pas à la force du poignet, elle se reçoit ; elle ne s’étale pas pour s’imposer, elle est cachée en Dieu (Col 3,3), selon les paroles d’un autre psaume : « Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose à l’ombre du Puissant, je dis au Seigneur : ‘Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr !’ (Ps 91,1) ou encore : « Garde-moi comme la prunelle de l’œil ; à l’ombre de tes ailes, cache-moi » (Ps 17,8).

La fierté lucide est celle que nous donnons à nous-même. Paul connaît bien cette fierté des juifs ultra-pratiquants par exemple, qui se glorifient d’observer les 613 commandements de la Loi juive : « toi qui mets ta fierté dans la Loi, tu déshonores Dieu en transgressant la Loi » (Rm 2,23 ; Rm 2,17 ; Ga 6,13). Du coup il a choisi de se glorifier non pas de ses forces, mais de ses faiblesses, afin de montrer que c’est Dieu qu’il faut louer et non celui à travers qui il agit : « [Dieu] m’a déclaré : ‘Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse.’ C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure » (2Co 12,9). Sa seule fierté est dans la croix du Christ : « pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde » (Ga 6,14). D’ailleurs il ne s’appartient plus lui-même : « ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

Comment être fier de soi si soi est en Dieu, sinon justement en mettant sa fierté dans le Seigneur ?

Le verbe « se glorifier », « être fier de » (καυχάομαι, kauchaomai en grec) apparaît 38 fois dans le Nouveau Testament, dont 35 usages sous la seule plume de Paul ! On voit que c’est un de ses vieux démons avec lesquels il s’est battu jusqu’au bout. D’ailleurs, Paul reconnaît lui-même avoir une certaine tendance à l’autoritarisme : « Même si je suis un peu trop fier de l’autorité que le Seigneur nous a donnée sur vous pour construire et non pour démolir, je n’aurai pas à en rougir » (2Co 10,8). Il devait avoir un sale caractère et un ego surdimensionné ! À tel point que le doux Barnabé a failli se bagarrer physiquement avec lui et a préféré le planter là plutôt que de continuer à supporter son arrogance : « Leur désaccord s’aggrava tellement qu’on faillit en venir aux mains ; ils partirent chacun de leur côté. Et Barnabé, prenant Marc avec lui, s’embarqua pour l’île de Chypre » (Ac 15,39).

Peut-être est-ce une trace de la fameuse « écharde dans la chair » (2Co 12,7) qui justement empêchait Paul d’être trop fier, trop mal fier


Une non-question

Finalement, se poser la question : ‘de qui, de quoi être fier ?’ n’est pas pertinent aux yeux de la foi. La fierté est une non-question : elle n’a pas lieu d’être, puisque celui qui est caché en Dieu ne fait plus qu’un avec Lui, et ne le sait pas (sinon, il serait extérieur à Dieu). Celui qui voit la flamme n’est pas dans la flamme. De l’intérieur, celui qui est Dieu ne sait pas s’il est dans la lumière ou dans l’obscurité. Celui qui ne fait qu’un avec Dieu ne se pose pas la question de ses réussites ou de ses échecs, de ses forces de ses faiblesses, de ses qualités ou de ses défauts… S’il est fier, c’est comme dit Paul dans le Seigneur : uni à Lui, il se réjouit d’être en Dieu et que Dieu soit en lui.

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Ruminons donc avec insistance les mots du psaume 131, en pensant à ceux qui ont incarné à nos yeux cette douce humilité de qui s’abandonne à Dieu :

« Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; 

Je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. 

Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; 

Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. 

Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais » (Ps 131)  

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[1]. Libre citation de Jr 9,23-24 : « celui qui se vante, qu’il se vante plutôt de ceci : avoir de l’intelligence pour me connaître, moi, le Seigneur qui exerce sur la terre la fidélité, le droit et la justice ».

1ère lecture : « Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit » (So 2, 3 ; 3, 12-13)


Lecture du livre du prophète Sophonie

Cherchez le Seigneur, vous tous, les humbles du pays, qui accomplissez sa loi. Cherchez la justice, cherchez l’humilité : peut-être serez-vous à l’abri au jour de la colère du Seigneur. Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit ; il prendra pour abri le nom du Seigneur. Ce reste d’Israël ne commettra plus d’injustice ; ils ne diront plus de mensonge ; dans leur bouche, plus de langage trompeur. Mais ils pourront paître et se reposer, nul ne viendra les effrayer.

 

Psaume : Ps 145 (146), 7, 8, 9ab.10b
R/ Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! ou : Alléluia ! (Mt 5, 3)

Le Seigneur fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain,
le Seigneur délie les enchaînés.

 

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes.

 

Le Seigneur protège l’étranger,
il soutient la veuve et l’orphelin,
le Seigneur est ton Dieu pour toujours.

 

2ème lecture : « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi » (1 Co 1, 26-31)

 

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est ; ainsi aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu. C’est grâce à Dieu, en effet, que vous êtes dans le Christ Jésus, lui qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification, rédemption. Ainsi, comme il est écrit : Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur.

 

Evangile : « Heureux les pauvres de cœur » (Mt 5, 1-12a)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! 
Alléluia. (Mt 5, 12)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »
Patrick BRAUD

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7 janvier 2023

Épiphanie : que peuvent les religions en temps de guerre ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Épiphanie : que peuvent les religions en temps de guerre ?

 

Homélie pour la fête de l’Épiphanie / Année A 

08/01/2023

 

Cf. également :

Signes de reconnaissance épiphaniques
L’Épiphanie du visage

Épiphanie : tirer les rois
Épiphanie : êtes-vous fabophile ?
Épiphanie : l’économie du don
Épiphanie : Pourquoi offrir des cadeaux ?
Le potlatch de Noël
Épiphanie : qu’est-ce que l’universel ?
L’Épiphanie, ou l’éloge de la double culture
L’inquiétude et la curiosité d’Hérode
Éloge de la mobilité épiphanique
La sagesse des nations

 

Sant’Egidio 2022 - Emmanuel Macron : “les responsables religieux ont un rôle essentiel, ils contribuent à la trame de nos sociétés”Une intervention récente d’Emmanuel Macron est passée inaperçue, sans doute à cause de l’inculture philosophique et religieuse de nos journalistes, de leurs craintes de franchir les sacro-saintes barrières de la laïcité… Il s’agit de son discours devant la communauté Sant’Egidio, le 23 octobre dernier.

On sait le rôle très politique, notamment de médiation, que Sant’Egidio a déjà joué dans le passé dans des conflits armés. Réfléchissant sur la guerre en Ukraine, Sant’Egidio avait invité Emmanuel Macron à parler du rôle que peuvent jouer les religions en temps de guerre, de son point de vue de Président de la République française impliquée avec l’Europe et l’OTAN dans le soutien à l’Ukraine agressée par la Russie. 

« Que peuvent les religions ? Je pense qu’elles peuvent beaucoup et que les politiques que nous sommes, je le dis au sens générique du terme, en tant que femmes et hommes qui ont décidé de s’occuper de la vie de la cité, en ont besoin. (…) Donc je pense que les responsables religieux ont un rôle essentiel en tant qu’ils contribuent à la trame de nos sociétés, à ces relations entre les individus et à un rapport au temps long » [1].

Reconnaissons cependant que le reste de son discours n’était pas toujours très limpide…

Alors exerçons nous, à la lumière de l’Épiphanie fêtée ce dimanche, à plaider pour au moins quatre dimensions du rôle que les chrétiens (pas seulement les clercs !) - et toutes les religions ? - pourraient et devraient assumer en temps de guerre.

 

1. Ne pas instrumentaliser le Nom de Dieu

Le président russe Vladimir Poutine assiste seul à un office pour Noël dans une église du Kremlin, le 6 janvier 2023Hérode - « ce renard » comme dirait Jésus (Lc 13,32) – veut ruser avec les mages pour obtenir le lieu de naissance de son concurrent potentiel. S’il arrive à tuer ce prétendant dans l’œuf – ou du moins dès sa naissance – il aura le champ libre pour se prétendre la seule royauté autorisée par Dieu sur Israël. Se servir de l’Écriture pour justifier ses propres intérêts est le péché originel de tous les clergés, de tous les rois et autres pouvoirs se réclamant de Dieu. Le « Gott mit uns » sur le ceinturon des nazis est repris par le patriarche orthodoxe russe Kirill de Moscou, pour bénir les armées de Poutine et justifier l’injustifiable en Ukraine ! Au nom de la « Sainte Russie », de sa soi-disant mission de civilisation contre l’Occident hérétique et décadent, Kirill fournit au pouvoir russe un appui idéologique majeur, aussi meurtrier que l’était la justification de l’esclavage, de l’apartheid, de la colonisation ou de la peine de mort autrefois par les Églises.

Kirill, le primat de l’Église orthodoxe russe, avait donné sa bénédiction à l’opération militaire spéciale en mars 2022, en la présentant comme un affrontement eschatologique entre l’Occident décadent et la Russie championne des valeurs traditionnelles. Lors d’un sermon en septembre 2022, il était allé plus loin en affirmant que la mort au front en Ukraine était un « sacrifice qui lavait tous les péchés que l’on a commis ».

Dans une homélie au ton très politique, prononcée dimanche 27 février 2022 à la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou, Kirill a fustigé ceux qui luttent – qualifiés de « forces du mal » – contre l’unité historique de la Russie et de l’Ukraine.

Il a félicité Vladimir Poutine, vendredi 7 octobre, pour son 70° anniversaire : « Dieu vous a placé au pouvoir pour que vous puissiez effectuer une mission d’une importance particulière et d’une grande responsabilité pour le sort du pays et de son peuple qui vous a été confié », a assuré le patriarche, âgé de 75 ans. « Que le Seigneur préserve la terre russe. (…) Une terre dont font partie aujourd’hui la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie (…) ».

 

Épiphanie : que peuvent les religions en temps de guerre ? dans Communauté spirituelle 309536_167643693329755_167581906669267_298812_1174912345_nInstrumentaliser le Nom de Dieu est le propre des gens très (trop) religieux, qui finissent par vouloir imposer leur conception du monde, et convoquent Dieu pour servir leurs intérêts. 

Pourtant le Tétragramme YHWH interdit aux juifs de prononcer le Nom de Dieu, justement pour ne pas l’instrumentaliser en croyant savoir qui il est. La charia est le type même de ce genre d’absolutisme prétendant dicter la voix de Dieu à la société et ne servant en réalité que les intérêts des oulémas, des mâles, barbus, s’enrichissant sur le dos du peuple. Les Afghanes, les Iraniennes, les Saoudiennes, les Yéménites etc. en savent quelque chose, hélas !

 

Pourtant c’est l’un des commandements du Décalogue : « Tu n’invoqueras pas en vain le Nom du Seigneur ton Dieu, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son Nom » (Ex 20,7).

 amour dans Communauté spirituelleCouvrir les ambitions de Poutine par l’encens et l’or des liturgies orthodoxes, soumettre les femmes par l’imposition d’un Coran ou d’une charia écrite de mains d’hommes, bénir les croisades, les dictatures de tous poils, justifier les pires crimes au nom de la défense d’une Église… : nous n’en avons pas fini avec cette hypocrisie religieuse qui à force de génuflexions et de prières finit par lapider l’innocent et crucifier le prophète.
L’Église orthodoxe russe notamment doit renoncer à la théorie de la « symphonie des pouvoirs » symbolisée par l’aigle bicéphale présent sur tous les drapeaux derrière Poutine (tout comme l’Église de Rome a fini par renoncer à la « théorie des deux glaives », qui subordonnait le pouvoir temporel au pouvoir spirituel, l’empereur au pape). Selon cette théorie, le patriarche de Moscou s’occupe des âmes pendant que le tsar s’occupe des corps, et les deux pouvoirs marchent main dans la main pour établir le royaume de Dieu sur la terre.

Le premier rôle des chrétiens est donc de dénoncer toute instrumentalisation de leur foi, qui n’est pas au service d’Hérode, ni de Pilate.

 

2. Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent (Ps 85,11)

À l’Épiphanie, les mages pratiquent l’amour en offrant leurs cadeaux, mais ils acceptent de faire pour cela une « opération vérité » : ils reconnaissent que non, les astres ne sont pas de minis-dieux dictant nos destinées. D’ailleurs l’étoile des mages s’efface à Jérusalem devant la lecture de la Bible, bien plus éclairante pour trouver le Messie que la lumière des astres. Et quand l’étoile réapparaît, c’est pour valider en quelque sorte l’interprétation biblique, et reconnaître que c’est elle qui a donné la bonne direction, pas l’astrologie ! Pas d’amour sans faire la vérité sur nos pratiques idolâtres…

À l’inverse, la pax romana qu’Hérode maintenait par la force en Israël était une paix injuste, extorquant impôts et taxes au petit peuple pour enrichir les puissants, les collabos, foulant aux pieds l’identité et la culture juive ne reconnaissant que YHWH comme empereur… Pas de paix sans justice !

 

 guerreLe risque est grand de vouloir résoudre la guerre en Ukraine par une lâcheté organisée : pour ‘avoir la paix’, l’Occident imposerait à l’Ukraine de renoncer à retrouver ses frontières garanties par le droit international. Or juifs et chrétiens ne cessent de proclamer avec le psaume 85 : « justice et paix s’embrassent ». Autrement dit : pas de paix sans justice, pas de justice sans paix. Si la paix est injuste, comme le fut celle après 1870 ou 1918, elle nourrira rancœurs, colères et sentiments de revanche. C’est peut-être l’erreur du monde en 1991, lors de la dislocation de l’empire soviétique : les puissants ont vite réparti les peuples entre des lignes dont on peut douter aujourd’hui de la pertinence totale.

Mais depuis, il y a eu le mémorandum de Budapest, les accords de Minsk, et les obligations du droit international pour garantir les frontières actuelles, sauf libre volonté de tous les pays concernés. Accepter que ces droits soient bafoués préparerait une paix sans justice dans un engrenage de violence à venir ensuite. D’un côté comme de l’autre. Sans compter que cela ouvrirait la voie à d’autres coups de force pour s’emparer violemment de territoires convoités (Taiwan, Arménie, Sahel, États baltes…).

 

Le psaume qui unit justice et paix unit également amour et vérité : « Amour et vérité se rencontrent ». Pas d’amour sans vérité : les chrétiens se battent pour que les mensonges russes (et ukrainiens s’il y en a) soient  démasqués. Dire la vérité sur la nature du régime de Poutine, sur la compromission des orthodoxes russes, sur les crimes de guerre commis par les soldats et le pouvoir russe etc. est au cœur de la mission prophétique de notre Église. On peut quelquefois regretter la trop prudente diplomatie vaticane qui n’ose pas assez élever la voix en la matière [2]. Le précédent du silence pontifical sur les déportations des juifs devrait pourtant nous pousser à dire la vérité sur ce qui se passe sur le terrain…

Pas d’amour sans vérité, donc. Pas de vérité sans amour non plus : nous ne prêchons pas la haine, ni la revanche, mais la justice dans la vérité.
Les Églises de l’Est doivent raconter la vérité sur leurs peuples, et ne pas céder à la mythologisation de l’histoire opérée par le pouvoir russe ou d’autres pouvoirs locaux.

 

 

3. Pratiquer l’amour des ennemis, jusqu’au pardon

De l'amour des ennemis et autres méditations sur la guerre et la politique Olivier AbelNos mages évitent soigneusement Hérode pour rentrer chez eux, car ils savent que ce sera le conflit ouvert s’ils repassent devant lui. Comme disait Sun Tzu dans l’art de la guerre, le meilleur moyen d’être en paix est d’éviter la guerre autant que possible.

À l’inverse, Hérode voit en Jésus un ennemi et n’hésite pas à massacrer tous les nouveau-nés de la région pour éliminer ce rival.

Les chrétiens ont à cœur dans les conflits de ce temps de ne pas diaboliser l’ennemi, quel qu’il soit, de laisser ouverte la porte à la réconciliation (après), de pratiquer l’amour des ennemis sans renoncer au combat pour la justice. Rappelons à tous sans nous lasser qu’aimer nos ennemis n’est pas approuver leurs injustices, leurs crimes. C’est croire que leur dignité d’enfant de Dieu n’est pas effacée mais salie par leurs actes. C’est vouloir réveiller en eux cette dignité en leur tendant l’autre joue, la joue intacte, comme un miroir, la joue non offensée pour qu’eux-mêmes retrouvent en eux l’image divine ensevelie sous les décombres du mal commis.

Les chrétiens ont ainsi déjà témoigné, en Afrique du Sud, au Rwanda, et même en Europe entre Allemands  et Français, que la réconciliation est toujours possible, à condition que vérité soit faite sur les exactions perpétrées.
Ce n’est peut-être pas possible pour les générations actuellement en guerre au vu des atrocités commises, mais elles doivent le préparer pour leurs enfants et petits-enfants.

 

4. Tenir à l’universalisme chrétien

Hérode n’est intéressé que par le Roi des juifs. Les mages cherchent celui à qui même les astres obéissent. Le premier veut rester maître de son territoire. Les seconds quittent leur pays pour chercher le vrai Dieu, le Dieu de tous. La tradition a raison de décrire la composition de cette ambassade comme universelle (selon la géographie de l’époque) : un Africain (Balthazar), un asiatique (Gaspard), un Européen (Melchior).

arton79465 justiceLe Messie nouveau-né fait éclater les prétentions nationalistes étroites. Il est le roi de l’univers, pas seulement de Judée. Autrement dit, les valeurs du christianisme évoquées plus haut sont universelles. Ni occidentales, ni africaines, ni asiatiques : pour tous les peuples, toutes les cultures, tous les régimes politiques. Ne pas instrumentaliser le Nom de Dieu s’impose à tous. Conjuguer amour et vérité, justice et paix est le devoir sacré de toute l’humanité, depuis l’ONU jusqu’au Liechtenstein. Aimer nos ennemis jusqu’à la réconciliation est le défi lancé aux Russes comme Nord-coréens, aux Chinois comme aux Européens. Ce ne sont pas des valeurs occidentales seulement. L’Épiphanie manifeste la dimension universelle du message du Christ, né au Proche-Orient, mûri en Europe, adopté par l’Afrique, promis à l’immense Asie.

Ne renonçons pas à notre universalisme sous prétexte du respect de chaque culture ! Car alors le relativisme ne serait pas loin. Et le relativisme ouvre la porte à toutes les injustices, car ce que vous trouvez mal ici sera déclaré bien ailleurs…

 

Finalement, l’Épiphanie est une fête très politique !

Elle appelle les chrétiens à jouer leur rôle en temps de guerre, à ne pas déserter le témoignage rendu aux quatre valeurs ci-dessus. Elle appelle tous les hommes de bonne volonté à s’examiner loyalement pour entrer en discussion avec l’ennemi. Le Messie adoré par les Mages n’est-il pas venu inaugurer un monde nouveau, où selon la prophétie de Michée : « de leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre » (Mi 4, 3) ? 

 

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[1]https://preghieraperlapace.santegidio.org/pageID/31533/langID/fr/text/4021/Emmanuel-Macron-au-Cri-de-la-Paix.html

[2]. La dénonciation la plus nette est celle du mercredi 23 novembre dernier. Lors de son audience hebdomadaire, le pape François a comparé le « martyre de l’agression » du pays par la Russie à la famine provoquée en Ukraine par Staline au début des années 1930, aussi appelée « génocide du Holodomor », qui a fait de 2 à 5 millions de victimes parmi les ukrainiens. L’Église orthodoxe russe est toujours restée muette sur ce crime…

 

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« La gloire du Seigneur s’est levée sur toi » (Is 60, 1-6)

 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

 

Psaume
(Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13)
R/ Toutes les nations, Seigneur, se prosterneront devant toi.
 (cf. Ps 71,11)

Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !

 

En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !

 

Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

 

Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

 

Deuxième lecture
« Il est maintenant révélé que les nations sont associées au même héritage, au partage de la même promesse » (Ep 3, 2-3a.5-6)

 

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.

 

Évangile
Nous sommes venus d’Orient adorer le roi (Mt 2, 1-12) Alléluia. Alléluia.
Nous avons vu son étoile à l’orient, et nous sommes venus adorer le Seigneur. Alléluia. (cf. Mt 2, 2)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Patrick BRAUD

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