Une étoile à la mer
Une étoile à la mer
Homélie pour la fête du Saint Sacrement Corps et Sang du Christ / Année C
22/06/25
Cf. également :
Le réel voilé sous le pain et le vin
Comme une ancre jetée dans les cieux
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie
L’Alliance dans le sang
Bénir en tout temps en tout lieu
Communier, est-ce bien moral ?
Fêtons le Saint Sacrement avec Chrysostome
Comme une ancre jetée dans les cieux
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
Écoutez cette histoire, comme une parabole.
Un jour, je marchais sur une plage déserte, au coucher du soleil. Peu à peu, je commence à distinguer la silhouette d’un autre homme dans le lointain. Quand il fut plus près, je remarquais que l’homme ne cessait de se pencher pour ramasser quelque chose qu’il rejetait aussitôt à l’eau. Maintes et maintes fois, inlassablement, il lançait des choses à tour de bras dans l’océan. En m’approchant encore d’avantage, je me rendis compte que l’homme ramassait en fait des étoiles de mer, que la marée avait rejetées sur la plage, et une par une il les relançait dans l’eau. Intrigué, j’aborde l’homme et je lui dis :
– « Bonsoir mon ami. Je me demandais ce que vous étiez en train de faire ».
– « Je rejette les étoiles de mer dans l’océan. C’est marée basse, voyez-vous, et toutes ces étoiles de mer ont échoué sur la plage. Si je ne le rejette pas à la mer, elles vont mourir du manque d’oxygène ».
– « Je comprends, mais il doit y avoir des milliers d’étoiles de mer sur cette plage ! Vous ne pourrez pas toutes les sauver. Il y en a tout simplement trop. Et vous ne vous rendez pas compte que le même phénomène se produit probablement à l’instant même sur des centaines de plages tout au long de la côte. Vous ne voyez pas que vous ne pouvez rien y changer ? »
L’homme sourit, se pencha et ramassa une autre étoile de mer. En la rejetant à la mer, il répondit :
– « Pour celle-là, ça change tout ».
En ce dimanche de la Fête-Dieu, de la fête du Corps et du Sang du Christ, des milliers d’enfants dans nos paroisses font leur première communion Cette histoire d’étoile de mer peut s’entendre à plusieurs niveaux.
Pour les éducateurs que nous sommes – personnel ou enseignants en école catholique, catéchistes en paroisse – c’est une grande espérance. Même si vous avez parfois l’impression que votre travail d’éducation est une goutte d’eau dans la mer, il suffit d’un seul enfant que vous aurez aidé à se construire, humainement ou spirituellement, pour qu’une vie entière de labeur éducatif soit justifiée. Beaucoup d’enfants resteront peut-être échoués sur la plage, mais ceux que vous aurez mis à l’eau témoigneront pour vous.
Pour vous, les parents, cette histoire vous invite à semer sans compter. Les étoiles de mer, ce sont peut-être tous ces gestes que vous avez faits et refaits par amour inlassablement sur vos enfants en vous demandant parfois si cela sert à quelque chose. Eh bien, il suffit d’une parole qui fasse son chemin dans le cœur de votre fils, il suffit d’un geste d’affection, de pardon ou de confiance qui s’imprime dans la mémoire de votre fille et ils en seront changés pour toute leur vie !
Pour nous tous en Église, cette parabole d’étoiles de mer nous appelle à ne pas laisser ces enfants s’asphyxier. À leur donner le souffle de l’Esprit comme une réserve d’oxygène pour s’aventurer dans l’océan et aller au large, au lieu de vivoter et de se dessécher à marée basse. La mer pour l’étoile, c’est son milieu nutritif. C’est là où elle se nourrit, où elle puise de quoi grandir, de quoi rejoindre le large. L’eucharistie est la nourriture qui va permettre à ces enfants de première communion de nager loin, loin dans les eaux de leur baptême.
Communier aujourd’hui, communier demain, communier dans les jours de détresse comme dans les jours d’allégresse : cette première communion leur ouvre un chemin où ils pourront toujours ouvrir la main pour recevoir de quoi continuer leur route. Une étoile de mer sans la mer se dessèche et meurt. Un baptisé sans l’eucharistie vécue en Église se dessèche et sa vie intérieure meurt peu à peu. « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement », dit Jésus, en parlant de lui-même. Il est la vraie nourriture, il est la vraie boisson comme le dit saint Jean.
Tant il est vrai que se nourrir d’amour vaut mieux que toutes les autres nourritures.
Mais au fait, de quoi nourrissez-vous votre enfant ?
On fait de plus en plus attention – et on a raison – à ce qu’il y a dans l’assiette familiale. Pas trop sucré pour éviter l’obésité, un peu bio pour respecter la planète, un peu de qualité pour éduquer le goût, en circuit court pour manger local.
Faites-vous autant attention à ce dont vos enfants vont se nourrir, par la lecture, la vision, leur imaginaire, etc. ?
Dans quelle mer plongez-vous vos petites étoiles pour ne pas les laisser sur le sable ?
Toutes les enquêtes montent que les enfants en France, en moyenne, passent plus de temps devant la télé qu’en classe à l’école. Si vous ajoutez tous les écrans qui nourrissent l’imaginaire d’un enfant aujourd’hui, il y a de quoi réveiller votre vigilance de parents : Internet, jeux vidéo, téléphones portables, etc. Une étude publiée en 2023 avait mesuré les temps d’écran chez les enfants français. On y apprend que les enfants de 1 à 6 ans passent en moyenne 2h par jour devant un écran, 3h30 de 7 à 12 ans, et 5h10 de 13 à 19 ans !!!
Un ancien fait divers sordide, montre hélas que la nourriture virtuelle des enfants peut avoir une profonde influence sur eux. En 2008, un pré-adolescent – comme on dit – de 11 ans invite chez lui son ami de 12 ans, qui vient accompagné de sa petite sœur de 10 ans. Les parents étant absents, ils regardent un film pornographique sur un DVD. Une fois la séance terminée, les jeunes entreprennent de reproduire toutes les scènes du film avec la petite sœur. La petite fille était complètement sous l’emprise psychologique des deux garçons et n’a rien pu faire pour leur échapper. Les deux collégiens se filment avec leurs smartphones et diffusent de leurs ébats durant une semaine dans leur classe de sixième au collège. Rapidement, l’histoire et la vidéo font le tour de l’établissement de plusieurs centaines d’élèves issus de ce coin huppé des Yvelines. L’enquête sur l’environnement familial révélera que ce ne sont pas des enfants livrés à eux-mêmes. Ils évoluent comme tous les enfants de ce collège dans des milliers sociaux plutôt favorisés, ajoutent un gendarme. Les parents sont effondrés.
Vous voyez l’urgence de proposer à vos enfants d’autres nourritures que celles qu’ils vont trouver à marée basse, au risque de s’asphyxier. Nourriture artistique, littéraire, spirituelle et éducative, nous n’en manquons pas en fait ! Mais parfois, nous n’osons pas transmettre. Nous nous réfugions derrière de faux alibis : « Il choisira plus tard ». « Je ne veux rien lui imposer ». « Tout se vaut après tout… ». Ce pain-là conduit à la mort spirituelle. Alors que celui qui mange du paix eucharistique vivra, et il vivra éternellement nous promet le Christ. Et une promesse du Christ, c’est quelque chose ! C’est plus fort même que la promesse scoute, et même que la promesse du mariage ! Lui tient sa promesse. Il nous fait vivre, en se donnant en nourriture, dans sa Parole, dans son Corps qui est l’Église, dans son corps et son sang qui est l’eucharistie.
Petites étoiles de mer, vous les enfants de la première communion, même s’il vous arrive dans votre vie de suffoquer à marée basse, de vous asphyxier sur du mauvais sable, revenez à l’eucharistie. Souvenez-vous plus tard de votre première communion. La messe dans l’assemblée du dimanche, tout simplement, peut devenir votre océan et vous ouvrir une belle, une profonde, une indicible course au large.
Bonne navigation ! Et n’oubliez pas : se nourrir d’amour vaut mieux que toutes les autres nourritures…
Lectures de la messe
Première lecture
Melkisédek offre le pain et le vin (Gn 14, 18-20)
Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. Il bénit Abram en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a fait le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris.
Psaume
(Ps 109 (110), 1, 2, 3, 4)
R/ Tu es prêtre à jamais, selon l’ordre de Melkisédek. (cf. Ps 109, 4)
Oracle du Seigneur à mon seigneur :
« Siège à ma droite,
et je ferai de tes ennemis
le marchepied de ton trône. »
De Sion, le Seigneur te présente
le sceptre de ta force :
« Domine jusqu’au cœur de l’ennemi. »
Le jour où paraît ta puissance,
tu es prince, éblouissant de sainteté :
« Comme la rosée qui naît de l’aurore,
je t’ai engendré. »
Le Seigneur l’a juré
dans un serment irrévocable :
« Tu es prêtre à jamais
selon l’ordre du roi Melkisédek. »
Deuxième lecture
« Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.
Séquence
Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges ».
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.
* Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.
Évangile
« Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés » (Lc 9, 11b-17)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu, et guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent : « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. » Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répondirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. » Il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. » Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.
Patrick BRAUD
Mots-clés : communion, étoile, eucharistie