L'homélie du dimanche (prochain)

13 août 2023

Assomption : Marie est-elle morte ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Assomption : Marie est-elle morte ?

Homélie pour la fête de l’Assomption / Année A
15/08/2023

Cf. également :
Le grand dragon rouge feu de l’Assomption
Assomption : entraîne-moi !
Marie et le drapeau européen
Quelle place a Marie dans votre vie ?
Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter
L’Assomption : Marie, bien en chair
Assomption : Ne vous faites pas voler votre espérance
Assomption : les sentinelles de l’invisible
L’Assomption de Marie, étoile de la mer
L’Assomption de Marie : une femme entre en Résistance
Marie, parfaite image de l’Église à venir
Marie en son Assomption : une femme qui assume !
Marie, notre sœur
Vendredi Saint : la déréliction de Marie

Marie est-elle morte ?
La question peut paraître saugrenue.

La main d’Eve, la pomme et le serpent, détail du diptyque d’Albrecht Dürer (1507). Peut-être ne vous l’êtes-vous jamais posée ? Cependant, le flou qui l’entoure révèle qu’un débat intéressant n’est toujours pas tranché dans l’Église catholique : quel est le lien entre la mort et le péché ? Le Catéchisme de l’Église catholique rappelle la position officielle (n° 1008), tirée d’une lecture immédiate de certains passages de l’Écriture :
La mort est conséquence du péché. Interprète authentique des affirmations de la Sainte Écriture (cf. Gn 2,17 ; 3,3 ; 3,19 ; Sg 1,13 ; Rm 5,12 ; 6,23) et de la Tradition, le Magistère de l’Église enseigne que la mort est entrée dans le monde à cause du péché de l’homme. Bien que l’homme possédât une nature mortelle, Dieu le destinait à ne pas mourir. La mort fut donc contraire aux desseins de Dieu Créateur, et elle entra dans le monde comme conséquence du péché (cf. Sg 2,23 24). “ La mort corporelle, à laquelle l’homme aurait été soustrait s’il n’avait pas péché ” (GS 18), est ainsi “ le dernier ennemi ” de l’homme à devoir être vaincu (cf. 1 Co 15,26).

Les fervents défenseurs de la piété mariale ont cru pouvoir tirer le fil de l’Immaculée Conception de Marie pour lui épargner la mort, avec ce raisonnement simple : si Marie n’a pas connu le péché, elle ne peut avoir connu la mort qui est la conséquence du péché. C’est un peu l’argumentation de Pie XII, le pape qui a proclamé le dogme de l’Assomption le 1er novembre 1950 :
« En vertu d’une loi générale, Dieu ne veut pas accorder aux justes le plein effet de la victoire sur la mort, sinon quand viendra la fin des temps. C’est pourquoi, les corps même des justes sont dissous après la mort, et ne seront réunis, chacun à sa propre âme glorieuse qu’à la fin des temps. Cependant, Dieu a voulu exempter de cette loi universelle la Bienheureuse Vierge Marie. Grâce à un privilège spécial, la Vierge Marie a vaincu le péché par son Immaculée Conception, et de ce fait, elle n’a pas été sujette à la loi de demeurer dans la corruption du tombeau, et elle ne dut pas non plus attendre jusqu’à la fin du monde la rédemption de son corps » (Constitution Apostolique Munificentissimus Deus).

Même si le Pape Pie XII n’évoque pas directement la « mort » de Marie, on peut comprendre de ce texte qu’elle a eu le privilège d’être exemptée de cette loi générale selon laquelle le plein effet de la victoire sur la mort ne s’accordera qu’à la fin des temps. Elle a eu la grâce d’être libérée de la loi de demeurer dans la corruption du tombeau et d’attendre jusqu’à la fin du monde la rédemption de son corps.

Pourtant, nombre de théologiens ont fait remarquer que la mort physique de tout être vivant fait intégralement partie de la condition de créature. Sinon, l’être créé serait une émanation divine, possédant comme Dieu la propriété d’être immortel, et non une création. Si création n’est pas émanation, Dieu ne peut créer de l’immortel ! Dieu ne peut créer que du non-Dieu, donc mortel. Parler d’une condition humaine non soumise à la mort relève d’une pensée mythique qui dans la Bible à toute sa valeur pour parler du sens des origines (Gn 1–15), mais ne dépeint aucune condition historique. C’est un irréel du passé que d’évoquer le sort humain en dehors du péché ou de la mort ! Notre finitude d’êtres vivants limités dans le temps par nature est ainsi la garantie de la transcendance du Dieu Tout-Autre.

Jean-Paul II développera cette position, quasiment inverse de celle de Pie XII. Citons le longuement (Audience générale du 25/06/1997), car c’est rare de voir deux papes se quereller post-mortem… Il commence par dédouaner Pie XII d’une quelconque volonté de nier la mort de Marie (ce qui n’est guère convaincant vu le passage cité plus haut) :

1. À propos de la fin de la vie terrestre de Marie, le Concile Vatican II a repris les termes de la définition de bulle du dogme de l’Assomption et déclare : « La Vierge immaculée, préservée de toute tache du péché originel, au cours de sa vie terrestre, a été prise dans la gloire céleste, corps et âme » (Lumen Gentium).
Avec cette formule, la Constitution dogmatique Lumen Gentium, à la suite de mon vénéré prédécesseur Pie XII, est muet sur la question de la mort de Marie. Pie XII n’a pas eu l’intention de nier le fait de la mort, mais simplement ne juge pas opportun de déclarer solennellement, comme une vérité digne d’être acceptée par tous les croyants, la mort de la Mère de Dieu. En fait, certains théologiens ont soutenu que la Vierge n’eut pas à mourir et passa directement de la vie terrestre à la gloire céleste. Cependant, cette opinion est inconnue jusqu’au XVII° siècle, alors qu’il existe une tradition commune qui voit dans la mort de Marie son entrée dans la gloire céleste.

 Assomption : Marie est-elle morte ? dans Communauté spirituelle dormitionPuis il développe un argument christologique massue : la Mère n’est pas supérieure au Fils. Or le Fils a connu le tombeau, et la mort, trois jours durant. La Mère ne peut être affranchie du passage que même son Fils a dû faire :

2. Est-il possible que Marie de Nazareth ait vécu dans sa chair le drame de la mort ? En réfléchissant sur le sort de Marie et de sa relation avec son divin Fils, il semble légitime de répondre par l’affirmative : puisque le Christ est mort, il serait difficile de prétendre le contraire pour la mère. C’est dans ce sens qu’ont réfléchi les Pères de l’Église, qui n’avaient aucun doute à ce sujet.

Jean-Paul II cite alors de nombreux Pères de l’Église favorables à l’hypothèse de la mort physique de Marie :

Il suffit de mentionner Saint Jacques de Saroug (+ 521), pour qui, lorsque pour Marie fut arrivé « le temps de parcourir le chemin de toutes les générations », c’est à dire le chemin de la mort, « le chœur des douze Apôtres » se rassembla pour enterrer « le corps virginal de la bienheureuse » (Discours sur la sépulture de la Sainte Mère de Dieu).
Saint Modeste de Jérusalem (+ 634), après une longue évocation de la Dormition « de la Sainte glorieuse Mère de Dieu », conclut sa louange en vantant l’intervention miraculeuse du Christ qui l’a « relevée de la tombe » afin de la prendre avec lui dans la gloire.
Saint Jean Damascène (+ 704) se demande pour sa part :
Comment se fait-il que celle, qui pour enfanter dépassa toutes les limites de la nature, se plie maintenant à ses lois et que son corps immaculé soit soumis à la mort ? (Et il répond:) Il est clair que la partie mortelle a été déposée pour revêtir l’immortalité, puisque même le maître de la nature n’a pas refusé l’expérience de la mort. En effet, il meurt selon la chair et par la mort détruit la mort, la corruption devient incorruptibilité et de la mort il donne la source de la résurrection (Saint Jean Damascène, Panégyrique sur la Dormition de la Mère de Dieu, 10).

Jean-Paul II reprend l’argument de la supériorité du Christ sur Marie pour en conclure que Marie ne peut avoir part pleinement à la Résurrection de son Fils sans d’abord mourir elle-même :

3. Il est vrai que la mort est présentée dans l’Apocalypse comme une punition pour le péché. Toutefois, le fait que l’Église proclame Marie libérée du péché originel par un privilège singulier divin ne conduit pas à la conclusion qu’elle a également reçu l’immortalité physique. La Mère n’est pas supérieure au Fils qui a assumé la mort en lui donnant un sens nouveau et en la transformant en instrument de salut. Impliquée dans l’œuvre de rédemption et associée à l’offrande du Christ, Marie a pu partager la souffrance et la mort en vue de la rédemption de l’humanité. À elle s’applique également ce que Sévère d’Antioche dit à propos du Christ : « Sans une mort préliminaire, comment la résurrection pourrait-elle avoir lieu ? ». Pour participer à la résurrection du Christ, Marie devait d’abord en partager la mort.

Sa mort est singulière, car transfigurée par l’amour l’unissant à son Fils, si bien que le terme « Dormition » évoque davantage une expérience spirituelle d’amour qu’une fin organique banale :

4. Le Nouveau Testament ne fournit aucune information sur les circonstances de la mort de Marie. Ce silence laisse supposer qu’il est arrivé naturellement, sans aucun détail particulièrement remarquable. Si ce n’était pas le cas, comment la nouvelle aurait-elle pu  être cachée de ses contemporains et de ne pas parvenir, d’une façon ou d’une autre, jusqu’à nous ? Quant à la cause de la mort de Marie, les opinions qui voudraient exclure des causes naturelles semblent sans fondement. Plus importante est la recherche de l’attitude spirituelle de la Vierge au moment de son départ de ce monde. À cet égard, saint François de Sales est d’avis que la mort de Marie a eu lieu à la suite d’un transport d’amour. Il parle de la mort dans l’amour, à cause de l’amour et par amour, allant même à dire que la Mère de Dieu est morte d’amour pour son fils (Saint François de Sales, Traité de l’Amour de Dieu, Lib. 7, c. XIII-XIV). Quel que soit le fait biologique ou organique qui causa, sur un plan physique, la fin de la vie du corps, on peut dire que le passage de cette vie à l’autre fut pour Marie une maturation de la grâce dans la gloire, si bien que jamais autant que dans ce cas, la mort ne put être considérée comme une Dormition.

La Dormition de la Vierge, par Fra Angelico | Miguel Hermoso Cuesta wikipedia

5. Chez certains Pères de l’Église, nous trouvons la description de Jésus qui vient lui- même prendre sa mère au moment de la mort pour son introduction dans la gloire céleste. Ils présentent ainsi la mort de Marie comme un événement de l’amour qui l’a amenée à rejoindre son divin Fils pour partager sa vie immortelle. À la fin de son existence terrestre, elle a connu, comme Paul et plus que lui, le désir d’être libérée et d’être avec le Christ pour toujours (cf. Ph 1,23). L’expérience de la mort a enrichi la personne de la Vierge à travers le sort commun des hommes, elle est en mesure d’exercer plus efficacement sa maternité spirituelle envers ceux qui atteignent l’heure suprême de la vie.

Que retenir pour nous de cette controverse ? Le concile Vatican II nous met sur la voie en parlant de Marie à l’intérieur du texte sur l’Église (Lumen Gentium), et non dans un texte à part. Car Marie et l’Église sont indissociables : Marie est la figure de l’Église à venir. Il ne lui arrive rien d’autre que ce que l’Église est appelée à recevoir. En ce sens, Marie est l’anticipation eschatologique de ce que nous sommes tous appelés à devenir : pleinement ressuscités, « corps et âme », avec Christ, par lui et en lui. Le « corps » dont nous parlons ici a connu la mort. Mais dans la nouvelle Création où tous ressusciteront, Dieu saura redonner à chacun un autre corps, un « corps glorieux », un « corps spirituel », qui sera notre interface avec ce monde nouveau, comme notre chair présente est l’interface de notre relation avec le monde actuel (Cf. le « moi-peau » de Didier Anzieu, 1974).

Ce qui est certain, c’est que Marie est ressuscitée. Le dogme de l’Assomption proclame qu’elle est dans la gloire avec son corps et son âme. On ne le dit d’aucun autre disciple du Christ. Même les saints « se sont endormis dans l’attente de la résurrection », comme dit la liturgie (Prière eucharistique n° 2). On pourrait poétiquement dire de Marie qu’elle n’a pas été enterrée mais « encièlée » corps et âme…

Que l’Assomption de Marie nourrisse notre espérance d’être nous-même « encièlé » à la fin des temps, dans la communion de tous les saints [1] !

 


[1]. Le fait que Pie XII ait proclamé le dogme de l’Assomption le jour de la fête de la Toussaint 1950 signifie clairement qu’il ne faut jamais séparer Marie et l’Église. Marie anticipe ce qui sera réalisé en plénitude dans la communion de tous les saints. Elle est bien « notre espérance » (spes nostra) d’une humanité totalement ressuscitée, comme nous le chantons dans le Salve Regina.

 

 

MESSE DU JOUR

PREMIÈRE LECTURE
« Une Femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous les pieds » (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire.
Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. Alors j’entendis dans le ciel une voix forte, qui proclamait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! »

PSAUME
(Ps 44, (45), 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16)
R/ Debout, à la droite du Seigneur,se tient la reine, toute parée d’or.(cf. Ps 44, 10b)

Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté.

Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
Alors, les plus riches du peuple,
chargés de présents, quêteront ton sourire.

Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,
vêtue d’étoffes d’or ;
on la conduit, toute parée, vers le roi.

Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ;
on les conduit parmi les chants de fête :
elles entrent au palais du roi.

DEUXIÈME LECTURE
« En premier, le Christ ; ensuite, ceux qui lui appartiennent » (1 Co 15, 20-27a)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort, caril a tout mis sous ses pieds.

ÉVANGILE
« Le Puissant fit pour moi des merveilles : il élève les humbles » (Lc 1, 39-56)
Alléluia. Alléluia. Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. » Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
Patrick BRAUD

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6 août 2023

Passage obligé

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Passage obligé

Homélie pour le 19° Dimanche du Temps Ordinaire / Année A
13/08/2023

Cf. également :
Péripatéticiens avec le Christ
Le doux zéphyr du mont Horeb
Le dedans vous attend dehors
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Justice et Paix s’embrassent
Le festin obligé

Un seul commandement
Dans les siècles passés, les Églises chrétiennes – qu’elles soient catholiques, protestantes ou orthodoxes)   ont tellement corseté leurs fidèles dans des filets d’obligations innombrables qu’on a du mal aujourd’hui en France à imaginer le manque de liberté des chrétiens autrefois. Ils devaient observer des listes invraisemblables d’interdits cultuels, vestimentaires, alimentaires, sexuels, sociaux, financiers etc. Voilà ce qui arrive quand on s’éloigne de l’Écriture, ou quand on en fait une lecture partielle, tronquée, littérale, partiale, intéressée…

Pourtant, Jésus avait ouvert la voie à une simplification royale de toutes les obligations juives de son époque. Elles étaient si nombreuses que les croyants, emberlificotée dans les 613 commandements et autres prescriptions, ne s’y retrouvaient plus ! Aussi, quand on lui demande lequel de ces commandements est le plus important à respecter, Jésus réduit drastiquement le nombre : de 613 à … un seul (Mt 22,36-38) !
Il n’y a finalement en christianisme qu’une seule obligation : « tu aimeras », qui se décline en 3 amours équivalents [1] : Dieu / le prochain / toi-même.

Dans les Évangiles, lorsque le Christ adresse un impératif, c’est un appel – voire un ordre - et non une contrainte : viens, suis-moi, vent, lève-toi, passe derrière moi etc.
Pourtant, dans le texte de la tempête apaisée de ce dimanche (Mt 14,22-33), Jésus utilise - et c’est la seule fois chez Mathieu - le verbe obliger (en grec : ἀναγκάζω = anagkazo) :
Aussitôt Jésus obligea (anagkazo) les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules » (Mt 14,22)

 

Le festin obligé
Passage obligé dans Communauté spirituelle noces
Pour mieux comprendre, examinons l’autre emploi de la contrainte par Jésus.
Il n’y a que deux occurrences du verbe obliger dans le Nouveau Testament. Le second usage du verbe obliger se trouve chez Luc, dans la parabole des invités au festin de la noce (Lc 14,7-14) : « Le maître dit au serviteur : Va dans les chemins et le long des haies, et ceux que tu trouveras, contrains-les (anagkazo) d’entrer, afin que ma maison soit remplie » (Lc 14,23). Ce maître oblige tous ceux qui sont rencontrés à remplir la salle des noces. Le terme obliger est fort. Un peu comme un père oblige son enfant à goûter tel plat, tel sport inconnu pour lui faire découvrir ce qu’il ne découvrirait jamais autrement. Il y a des circonstances dans une vie ou Dieu – heureusement ! – nous oblige à recevoir de Lui. C’est la grâce d’un éblouissement spirituel, une rencontre bouleversante, une révélation décisive… Cette invitation est gratuite. C’est-à-dire qu’elle ne dépend pas de ce que nous avons fait. D’ailleurs le roi prend soin de préciser qu’il souhaite voir les bons comme les mauvais entrer dans la salle des noces. Les mauvais eux aussi vont se régaler et se réjouir aux noces divines ! Décidément, la foi chrétienne n’est pas d’abord une morale. Être chrétien c’est accepter d’être invité gracieusement à entrer dans la communion au Fils unique de Dieu qui nous unit à son Père (ce qui fait de l’éthique une réponse, et non un préalable).

Notre misère nous aveugle parfois au point de ne pas vouloir être invité, ni festoyer. Les coachs appellent cela « le syndrome de l’imposteur » : je crois que c’est trop beau pour moi, que je ne le vaux vraiment pas, et qu’on a du se tromper en m’invitant. Il faut alors me laisser contraindre par l’invitation divine ! Et me dire que malgré tous mes péchés – mes nombreux péchés - je peux être aimé gratuitement, sans conditions.

Au bord du lac, Jésus oblige ses disciples à embarquer.
On devine bien qu’ils n’ont aucune envie de prendre la mer, et que Jésus les force, les contraint – peut-être manu militari ! - à embarquer contre leur volonté.
Attardons-nous sur cette obligation étrange singulière : pourquoi et pour quoi ? à cause de quelles réticences ? et dans quel but ?

 

La triple peur des disciples, et la nôtre

- la peur du mauvais temps
Tempete-en-mer_full_image barque dans Communauté spirituelle
Première cause évidente qui fait renâcler les disciples : la météo marine du soir. Les Douze étaient de piètres marins. Rien à voir avec les fiers capitaines de chalutiers qui allaient pêcher la morue à Terre-Neuve pendant des campagnes pouvant durer plusieurs mois ! Pierre et ses associés de la petite entreprise familiale de pêche avaient une ou deux barques, avec quelques rames et sans doute un mât de fortune mal gréé, supportant à peine  une voile de beau temps. Dès que le vent dépassait 4 à 5 Beaufort, les pseudos marins qui évoluaient à la journée sur la flaque d’eau du lac de Tibériade paniquaient, rangeaient la voile avant que le souffle la démâte. Ils ramaient pour rejoindre au plus vite le rivage du lac dont ils ne s’éloignaient jamais qu’à quelques encablures, 5 à 6 milles nautiques au maximum. Toujours à une heure ou deux de navigation de la côte.

Piètres marins, ils observaient néanmoins le ciel, et savaient voir les orages à venir. « Quand vient le soir, vous dites : ‘Voici le beau temps, car le ciel est rouge.’ Et le matin, vous dites : ‘Aujourd’hui, il fera mauvais, car le ciel est d’un rouge menaçant.’ Ainsi l’aspect du ciel, vous savez en juger… » (Mt 16,2-3) De bons experts de la météo marine à 24 heures en somme. Et là, ils sont inquiets. Visiblement, ils prévoient un gros grain pour la nuit, et la traversée que leur demande Jésus va les plonger inévitablement au cœur de l’orage. Il faudrait être fou pour prendre autant de risques en embarquant avec une météo pareille !

C’est bien l’une de nos peurs, qui revient souvent : nous nous faisons tout un film à l’avance des difficultés que nous allons rencontrer, et cela nous décourage. Parce que nous avons dans le passé souffert des conditions semblables, nous pensons logiquement que cela se reproduira. Nous avons du mal à croire que demain est peut-être différent d’hier, qu’il peut y avoir du neuf, que nous ne sommes pas condamnés à répéter ce qui est déjà arrivé…

- la peur d’une longue traversée nocturne
Tibériade
Alors que Jésus les force à embarquer, les disciples savent bien que ce n’est pas pour une petite balade en mer. La traversée risque de durer, à cause des conditions de navigation difficiles. Ces moussaillons de cabotinage n’auraient pas eu peur d’une petite bourrasque d’une demi-heure sur une navigation de deux ou trois heures. Mais là, c’est autre chose : la traversée du lac d’une extrémité à l’autre est d’environ 20 km. Si l’on considère que « l’endroit désert à l’écart » (Mt 14,13.24) où Jésus a multiplié les pains juste avant est proche de Bethsaïde, la traversée sur l’autre rive vers Génésareth (Mt 14,34) représente une dizaine de kilomètres, soit 5 à 6 milles nautiques. Par beau temps, c’est l’affaire d’une ou deux heures. Mais si les vents sont contraires et les vagues fortes (Mt 14,24), on fait presque du sur place à la rame, et la traversée peut durer toute la nuit… De quoi angoisser nos marins d’eau douce !

La nuit sur une mer déchaînée est une perspective effrayante, à juste titre, car l’obscurité redouble le danger (il n’y a pas de phare ni de balises ni de bouées éclairées à l’époque sur le lac !)
Une longue traversée, de nuit : voilà une perspective qui nous effraie également ! Comment durer dans l’épreuve, ballotté par les vagues, face au vent ? Et en plus, c’est de nuit, comme l’écrivait Saint Jean de la Croix. Notre nuit à nous peut être celle du doute, de l’absence de toute émotion religieuse, de l’isolement amical ou spirituel, de la persécution pension etc. Mère Teresa a écrit dans son testament spirituel que cette nuit de la foi a duré des décennies pour elle !

Apprendre à durer dans l’adversité, apprendre à se passer de tout repère visible en gardant le cap intérieur : la deuxième peur des disciples nous invite à conjurer l’usure du temps, en suivant fidèlement notre boussole intérieure en pleine nuit, en plein tumulte…

- la peur de l’absence
Cette dangereuse navigation nocturne n’aurait pas effrayé les disciples si Jésus était resté avec eux ! Mais là, de façon incompréhensible pour eux, il s’absente. Il les oblige à partir sans lui. Il les expose au risque de la tempête sans être avec eux dans la barque.
Les Douze se sentent abandonnés en voyant Jésus gravir la montagne sans eux, comme les fils d’Israël se sont crus abandonnés de Dieu lorsqu’ils ont vu que Moïse gravissait la montagne du Sinaï… (Ex 32,1)

71JopNzT1LL passageNous aussi, nous en voulons au Christ lorsqu’il nous envoie au casse-pipe sans être à nos côtés pour nous protéger !
Où était-il à Auschwitz lorsqu’on gazait ses frères juifs ?
Où est-il aujourd’hui alors que sa barque-Église est ballottée par les scandales, les abus, les infidélités en tous genres, et par l’opposition ouverte des puissants qui la persécutent ?
Où est-il alors que moi-même je perds pied au milieu de mes épreuves ?

Ce n’est que plus tard que les disciples comprendront : Jésus avait besoin de se ressourcer, à l’écart, sur la montagne, afin de recevoir de son Père la force d’affronter le mal pour marcher sur l’eau et vaincre la tempête. S’il s’absentait, c’était pour faire le plein de puissance, lui que la multiplication des pains avait littéralement « vidé » auparavant, le laissant épuisé, ayant besoin de se recueillir, seul.

« Courage, moi je suis, ne craignez pas » (Mt 14,27) : la formule par laquelle Jésus calme la peur des disciples est celle par laquelle Dieu se désigne lui-même dans l’Ancien Testament. Il dit exactement Egô eimi, « moi je suis » – or cette formule n’est autre que le Nom divin révélé à Moïse au buisson ardent (Ex 3,14). Jésus ne fait qu’un avec son Père ; c’est pourquoi il doit régulièrement ‘réactiver’ cette communion lorsqu’elle a été mise à contribution.

D’où l’importance de ces moments de re-cueillement, de ré-collection, où nous aussi nous faisons le plein d’amour paternel avant d’aller affronter le mal…

Reste que l’angoisse de l’absence – et l’absence de l’être aimé par-dessus tout – nous paralyse à l’avance.
Heureusement que Dieu nous oblige à marcher sur cette troisième peur !

 

Pour quoi le Christ nous oblige-t-il à embarquer ?
Ces 3 peurs auraient clouer sur place les Douze. Alors Jésus les oblige, les contraint, les force malgré eux à prendre le risque de la traversée. Quel est l’enjeu ? Pourquoi en venir à cette extrémité ?

Vue sur le lac de TibériadeC’est que le but fixé par Jésus est énorme : « passer sur l’autre rive » (Mt 14,22). Et là, notre battement de cœur s’accélère : l’autre rive, c’est bien sûr l’au-delà de la mort… Qui voudrait aller voir de l’autre côté ?
Et si ce n’est pas la mort physique, « l’autre rive » peut être encore l’au-delà d’une séparation, d’une maladie, d’un exil, d’une épreuve redoutable etc.
Nous avons tant de passages obligés dans nos parcours de vie !

« La croix est le passage obligé, mais il n’est pas un but, c’est un passage : le but c’est la gloire, comme nous le montre Pâques » [2].
De Bethsaïde à Génésareth, d’une rive à l’autre du lac, la barque-Église n’en finit pas de nous conduire là où nous n’aurions jamais pensé aller. Pierre se l’entendre dire par le Ressuscité : « Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21,18).
Et Pierre ira d’une rive à l’autre, de Bethsaïde à Génésareth, puis de Jérusalem à Rome, des coutumes juives à l’universel romain… Sa traversée nocturne fut celle des oppositions, des dénonciations, de la prison, puis du martyre.

Si nous gardons les yeux fixés sur le but à atteindre, notre course prendra sens et nous l’endurerons jusqu’au bout. Si nous ne perdons pas de vue l’éclat intermittent du phare dans la nuit, même la pire des tempêtes ne pourra nous faire sombrer ni revenir en arrière.

 


[1]. au sens mathématique du terme : chaque amour implique les 2 autres et est impliqué par eux.

[2]. Audience générale du pape François, 12 avril 2017.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur » (1 R 19, 9a.11-13a)

Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, lorsque le prophète Élie fut arrivé à l’Horeb, la montagne de Dieu, il entra dans une caverne et y passa la nuit. Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car il va passer. » À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère. Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne.

PSAUME
(Ps 84 (85), 9ab-10, 11-12, 13-14)
R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps 84, 8)

J’écoute : Que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin.

DEUXIÈME LECTURE
« Pour les Juifs, mes frères, je souhaiterais être anathème » (Rm 9, 1-5)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, c’est la vérité que je dis dans le Christ, je ne mens pas, ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint : j’ai dans le cœur une grande tristesse, une douleur incessante. Moi-même, pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais être anathème, séparé du Christ : ils sont en effet Israélites, ils ont l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen.

ÉVANGILE
« Ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux » (Mt 14, 22-33)
Alléluia. Alléluia. J’espère le Seigneur, et j’attends sa parole. Alléluia. (cf. Ps 129, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire.
Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Patrick BRAUD

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5 août 2023

L’icône de la Transfiguration

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 13 h 00 min

L’icône de la Transfiguration

Homélie pour le dimanche de la Fête de la Transfiguration du seigneur / Année A
06/08/2023

Cf. également :
À l’écart, transfiguré
Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor
Compagnons d’éblouissement
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
La vraie beauté d’un être humain
Figurez-vous la figure des figures
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Dieu est un trou noir

Theophane le Grec Icone de la transfigurationLa Transfiguration fait partie de ces quelques récits évangéliques (Nativité, Épiphanie, Baptême, Transfiguration, Passion, Résurrection) qui reviennent tous les ans dans la liturgie, à la différence des autres qui ne sont lus que tous les trois ans.
C’est le signe de l’importance exceptionnelle que l’Église lui accorde. Nous lui avons déjà consacré 9 homélies !
Une fois n’est pas coutume, méditons sur le sens de ce dimanche de fête avec l’icône officielle de la Transfiguration.
Cette icône est attribuée à Théophane le Grec, iconographe byzantin - fin du XIV° début du XV° siècle -. Parmi ses icônes les plus célèbres, notons la Vierge de la Déisis de l’église de l’Annonciation au Kremlin de Moscou et celle de la Transfiguration. Il travailla entre autres à Constantinople et à Moscou et développa l’École de peinture d’icônes de Novgorod. Il fut le maître de l’iconographe russe Andrei Roublev (1365-1430) connu pour son icône de la Trinité.

Le plan général de l’icône
On distingue nettement 3 étages horizontaux (rectangles verts sur l’image) :

Theophane le Grec Icone de la transfiguration 2– Le premier étage, en haut, comprend 3 personnages : Élie à gauche, Jésus au centre, Moïse à droite (reconnaissable aux tables de la Loi qu’il a en main). On est là visiblement au ciel, dans la gloire de Dieu marquée par la couleur or, les auréoles de sainteté, et la blancheur éclatante des vêtements de Jésus.
Élie et Moïse ne sont pas nécessaires à l’icône, mais sont en quelque sorte en surimpression de la scène, pour lui donner un autre sens encore : l’accomplissement de la Loi et des Prophètes.

 

– L’étage intermédiaire dépeint 3 montagnes : l’une, centrale, sous les pieds de Jésus, est de couleur terreuse et descend jusqu’en bas. C’est le mont de de la Transfiguration (le Thabor ou l’Hermon, selon les traditions). Les 2 autres montagnes sont de couleur ocre, sous les pieds d’Élie (le mont Horeb) et de Moïse (le mont Sinaï), afin de marquer qu’elles appartiennent à d’autres scènes que celle du Thabor.
Cet étage fait la jonction entre les 2 mondes. Comme dans une bande dessinée, dans l’anfractuosité de la montagne d’Élie, on voit Jésus qui emmène ses 3 disciples en haut de la montagne centrale ; et dans l’anfractuosité de la montagne de Moïse, on voit Jésus redescendre toujours en guidant ses 3 disciples.
L’ensemble du récit de la Transfiguration est ainsi reconstitué : il faut gravir le Mont Thabor, puis en redescendre, sans s’arrêter au milieu !

Au milieu de cet étage intermédiaire il y a des ouvertures, des failles dans le rocher de la montagne sur laquelle est Jésus, et de ces 2 fissures jaillissent 2 arbres verts et feuillus : la Transfiguration est l’annonce d’un monde nouveau, d’une nouvelle Création qui concerne tout l’univers, où les rochers stériles fleurissent ! C’est le même procédé qu’utilise Matthieu dans son récit de la résurrection de Jésus en mentionnant que les rochers se fendirent et que la terre trembla.

 

– L’étage du bas est celui des 3 disciples ; il est le miroir en quelque sorte de l’étage du haut avec ses 3 personnages célestes, autour de l’axe de symétrie que constitue l’étage intermédiaires des 3 montagnes.
Pierre est à gauche, qui se protège le regard de sa main gauche pour ne pas être aveuglé par la lumière émanant du Christ. Avec lui, l’Église garde les yeux fixés sur le Christ éblouissant de beauté.
Jean est au centre, retourné vers nous, méditant la scène en se tenant le visage avec son menton. Avec lui, l’Église reste contemplative et stupéfaite.
Jacques est à droite, il semble fuir, le dos tourné lui aussi. Avec lui, l’Église revient à l’action après la contemplation, encore irradiée de la proximité d’avec le Transfiguré.

 

Le Christ en gloire
Au centre de l’étage supérieur, le Christ est éblouissant de lumière. Le blanc domine, symbole de vie, de pureté, de lumière, avec des filets d’or, symbole de sainteté. Son corps ainsi transfiguré est inscrit dans une mandorle ovale (en rouge), iconographie omniprésente sur nos façades d’églises romanes. La mandorle est sans doute une symbolique très féminine évoquant par sa forme vulvaire une nouvelle naissance, ici l’avènement ultime de Jésus en tant que Fils de l’homme à la fin des temps, suscitant une nouvelle Création. La Transfiguration est l’anticipation de cet accomplissement de l’histoire humaine.
Cette mandorle de gloire est elle-même circonscrite à l’intérieur d’un carré (pointillés rouges) dont seules les diagonales blanches sont peintes, formant comme une étoile à 6 branches, l’étoile de David.
La forme carrée symbolise l’universel, en référence aux 4 points cardinaux qui la constituent : c’est le monde entier qui va bénéficier du débordement de gloire émanant du Fils de Dieu. Ce symbolisme est renforcé par l’alignement des 2 diagonales (pointillés bleus) avec le regard de Pierre en bas à gauche et celui de Jacques en bas à droite : la gloire du Transfiguré atteint déjà les disciples malgré leur lenteur à croire, et s’étendra à tout l’univers.

Le Christ transfiguré est circonscrit dans un cercle parfait, symbole d’infini et de plénitude (en pointillé bleu). Élie et Moïse sont à la frontière de ce cercle, déjà associés à la sainteté du Christ sans lui porter ombrage.
À l’intérieur de ce cercle, un dégradé de couleurs du bleu à l’or en passant par le blanc semble suggérer un mouvement au sein de cette sphère de gloire, irradiant vers les Prophètes à gauche et la Loi à droite. Elle les touche de son aura, afin de de les accomplir.
Curieusement, un deuxième cercle est également présent, à l’intérieur du premier. Plus difficile à interpréter, il évoque peut-être la double nature du Christ, son humanité (petit cercle) étant totalement assumée et transfigurée en sa divinité (grand cercle).

 

Élie et Moïse
Leur auréole (bien présente quoique se confondant presque avec le fond doré de l’étage supérieur) indique qu’ils sont associés à la gloire du Christ, même si leurs vêtements d’un beau drapé bicolore transparent les différencient des vêtements blancs lumineux du Christ, le seul Saint, de l’unique sainteté de Dieu.
Les vignettes bleues pâles au-dessus rappellent leur rencontre avec un ange de YHWH leur révélant leur mission. Ainsi Élie montre le Christ de sa main droite, dans une attitude semblable à celle de Jean-Baptiste le Précurseur. N’est-ce pas Élie qui a reconnu YHWH non dans l’orage, la foudre ou le tonnerre, mais dans l’humble souffle de vent qu’il perçoit, caché au creux du rocher de l’Horeb ? L’humilité du Fils de l’homme en gloire n’en est que plus saisissante, et sera confirmée par la Passion ensuite. Quant à Moïse, il tient les tables de la Loi en main, et les apporte au Christ.
Élie et Moïse sont tous deux légèrement inclinés devant le Fils de l’homme, chacun sur sa montagne. L’ensemble fait penser aux chérubins de l’Arche d’Alliance, qui veillaient de chaque côté du coffre-fort renfermant les rouleaux de l’Écriture… que Jésus tient justement en main !

 

Les 3 disciples
L’artiste a lui-même tracé 3 lignes bleues partant du Christ transfiguré vers les 3 disciples. Les regards de Pierre et de Jacques forment – on l’a vu – un X suivant les diagonales du carré de gloire du Transfiguré. En outre, si l’on prolonge la ligne bleue de Pierre et celle de Jacques, elles se croisent toutes deux exactement sur la main gauche de Jésus tenant les rouleaux de la Loi et des Prophètes ! La mission des apôtres sera donc de voyager aux quatre coins du monde pour annoncer l’Alliance nouvelle, où tous deviennent prophètes par l’Esprit du Christ, et où la seule Loi se résume au double commandement de l’amour…
Jean quant à lui est plus contemplatif : la ligne bleue de son regard ne remonte pas aux rouleaux de la Torah, mais à la main droite du Christ bénissant de façon trinitaire (3 doigts pour la Trinité, les 2 autres doigts unis pour sa double nature humaine et divine), et plus haut encore la même ligne touche au visage du Christ. N’est-il pas « celui que Jésus aimait », capable d’entrer dans l’intimité de son ami ? La place si particulière attribuée à Jean dans les Églises orthodoxes est ainsi finement soulignée dans la composition de l’icône.

Signalons enfin qu’aucun des 3 disciples n’a d’auréole, contrairement aux 3 personnages du haut : ils ne sont qu’en chemin, pas encore totalement sanctifiés. Leur propre transfiguration leur demandera eux aussi de passer par la croix.
Dernier détail troublant : quand on prolonge (traits blancs) le bras droit de Pierre, celui de Jean, et le contour du corps de Jacques, ces 3 lignes se croisent exactement… aux pieds de Moïse ! Hasard ? Ou bien évocation du lien unissant la mission des apôtres à celle de Moïse ?

 

La divinisation
La gloire du Christ transfiguré irradie les 3 disciples.
Chaque personnage est touché par un rayon de la Lumière, chacun reçoit une part de la Gloire divine. Dieu nous fait don de Lui-même. Les rayons que le Christ communique aux prophètes et aux apôtres sur le Thabor, c’est la Grâce, le don de Dieu qui nous fait vivre et nous sanctifie. Nous recevons cette grâce, le Don de l’Esprit Saint, pour devenir peu à peu « participants de la nature divine » (2P 1,4).

 

La Transfiguration par la croix
Tout cela pourrait paraître très céleste, très éthéré, dans un autre monde. Or, en prenant du recul, nous voyons nettement apparaître une croix (traits noirs) dans l’agencement global de l’icône. L’axe vertical est marqué bien sûr par la droiture du corps transfiguré, entre ciel et terre. L’axe horizontal est marqué par l’alignement des 3 visages d’Élie, Jésus et Moïse. La croix est toujours en filigrane de la Transfiguration. La gloire divine est celle du Serviteur souffrant.
Quelques jours plus tôt, Jésus a annoncé pour la première fois en termes très nets qu’il devait souffrir et mourir. Pierre a eu un sursaut scandalisé ; mais Jésus l’a sévèrement réprimandé, et il a ajouté que personne ne pouvait être son disciple à moins de renoncer à soi et de porter sa croix. Pendant la Transfiguration, Luc note que Moïse et Élie s’entretiennent du prochain départ de Jésus pour Jérusalem. Il n’est donc question que de la Passion.
Or, tous les détails de l’image évoquent les manifestations de Dieu dans l’Ancien Testament. La montagne est haute comme étaient hauts le Sinaï et l’Horeb. L’homme du Sinaï est là, c’est Moïse. L’homme de l’Horeb aussi est là, c’est Élie. Les vêtements de Jésus sont éblouissants de blancheur ; son visage resplendit comme le soleil ; une voix parle du sein de la nuée. Cette nuée est celle de l’Exode qui guidait les Hébreux dans le désert. Tout nous dit : c’est Dieu. C’est donc Dieu qui va souffrir et mourir. Personne ne pourra se tromper sur ce qu’est sa Gloire. Dans un autre contexte, la Transfiguration serait une manifestation de puissance et d’éclat. Dans le contexte de la Passion, c’est tout autre chose : les 3 disciples seront les 3 témoins de la faiblesse de Dieu au Jardin des Oliviers. Celui dont le visage est resplendissant comme le soleil sera un pauvre homme qui sue sang et eau. Entre cette Gloire et cette faiblesse, il n’y a pas opposition, mais indéchirable unité…

 

Allez ! Courez acheter cette icône de la Transfiguration pour quelques dizaines d’euros ! Placez-la dans votre coin prière, et contemplez-la, en la laissant vous parler au cœur.
Vous en sortirez éblouis, et peut-être même éblouissants…

 

Ci-dessous, une autre interprétation célèbre de la Transfiguration : le tableau de Raphaël (XVI° siècle)

 

LECTURES DE LA MESSE  PREMIÈRE LECTURE
« Son habit était blanc comme la neige » (Dn 7, 9-10.13-14

Lecture du livre du prophète Daniel
La nuit, au cours d’une vision, moi, Daniel, je regardais : des trônes furent disposés, et un Vieillard prit place ; son habit était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête, comme de la laine immaculée ; son trône était fait de flammes de feu, avec des roues de feu ardent. Un fleuve de feu coulait, qui jaillissait devant lui. Des milliers de milliers le servaient, des myriades de myriades se tenaient devant lui. Le tribunal prit place et l’on ouvrit des livres. Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.

PSAUME
(Ps 96, 1-2, 4-5, 6.9)
R/ Le Seigneur est roi, le Très-Haut sur toute la terre
 (Ps 96, 1a.9a) 

Le Seigneur est roi ! Exulte la terre !
Joie pour les îles sans nombre !
Ténèbre et nuée l’entourent,
justice et droit sont l’appui de son trône. 

Quand ses éclairs illuminèrent le monde,
la terre le vit et s’affola ;
les montagnes fondaient comme cire devant le Seigneur,
devant le Maître de toute la terre. 

Les cieux ont proclamé sa justice,
et tous les peuples ont vu sa gloire.
Tu es, Seigneur, le Très-Haut sur toute la terre,
tu domines de haut tous les dieux.

DEUXIÈME LECTURE
« Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue » (2 P 1, 16-19)

Lecture de la deuxième lettre de saint Pierre Apôtre
Bien-aimés, ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs.

ÉVANGILE
« Son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 1-9)
Alléluia. Alléluia. 
Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! Alléluia. (Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.
Patrick BRAUD

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2 août 2023

JMJ Lisbonne : quels jeunes français y vont ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 38 min

JMJ Lisbonne : quels jeunes français y vont ?
Les Journées Mondiales de la Jeunesse débutent aujourd’hui à Lisbonne.
Près de 40 000 jeunes français sont attendus pour l’évènement.
C’est à la fois très peu et beaucoup.
Très peu, car le Portugal est un pays proche, culturellement et géographiquement, facile d’accès, pas cher.
Beaucoup, car les autres délégations européennes ne sont pas plus brillantes.
Reste que c’est un petit groupe, à l’échelle de la France, qui y participe.
Pourra-t-il jouer le rôle de levain dans la pâte ?

Le quotidien La Croix, dans son numéro du 25 Mai, a analysé la composition sociologique de cette délégation.

JMJ 2023 Sondage La Croix

 JMJ 2023 Sondage La Croix

Une légère inquiétude peut naître à la lecture de ce sondage :
- la plupart sont issus de familles cathos très pratiquantes (80% à 92%)
- ils viennent presque tous (87%) des classes sociales les plus riches…
- beaucoup ont pensé à la vocation religieuse, trace d’une culture familiale très influente en la matière. On peut penser que le style de ces vocations religieuses serait plus proche de la Communauté St Martin que de l’ordre jésuite…
- et finalement très peu (18%) se sentent en plein accord avec le pape François (qualifié de ‘progressiste’).

Si ce profil reflète fidèlement la jeunesse dans nos églises, on constate que le repli identitaire et plutôt traditionnel guette nos paroisses, nos diocèses…
Il suffit par exemple de le comparer à la poussée évangéliste dans les jeunes de milieux défavorisés pour pressentir un grand écart en train de se creuser entre des communautés chrétiennes ultra-minoritaires, issues des milieux aisés et conservateurs, se constituant en contre-sociétés alternatives radicales, et le reste de la société française, « archipélisée » et loin de l’institution Église.

Heureusement, cette tendance est très française : les autres pays ou continents ont une autre vigueur évangélisatrice !

 

Pour mémoire, voici la carte des précédentes JMJ, avec le nombre total de participants :

Carte JMJ

Source : https://eglise.catholique.fr/jmj-journees-mondiales-jeunesse/jmj-2023-lisbonne/quest-ce-que-les-jmj/451197-histoire-jmj/

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