L'homélie du dimanche (prochain)

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28 septembre 2025

Lire Habacuc après le JT

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Lire Habacuc après le JT

Homélie pour le 27° dimanche du Temps ordinaire / Année C
05/10/25

Cf. également :
Savoir se rendre inutile
Foi de moutarde !
Les deux serviteurs inutiles
L’ « effet papillon » de la foi
L’injustifiable silence de Dieu
Jesus as a servant leader
Manager en servant-leader
Servir les prodigues 
Restez en tenue de service
Agents de service
Témoin, à la barre !
Le témoin venu d’ailleurs
Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous

Lire Habacuc après le JT dans Communauté spirituelle tablette-tactile-journal-france-2
Violence à Gaza, en Ukraine, au Congo.
Violences entre Inde et Pakistan, Thaïlande et Cambodge.
Violence contre les ouïghours, les kurdes, les arméniens, les juifs, les tibétains et autres minorités opprimées.
Violence djihadiste, communiste, économique.
Violence jusque dans nos villes et villages infestés par le narcotrafic et ses règlements de comptes à balles réelles.
À lire Habacuc ce dimanche (Ha 1,2-3; 2,2-4), on croirait qu’il est notre contemporain, et qu’il vient de regarder le journal télévisé avec nous :
« Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. »

5e7ecfb_upload-1-wpbwwyiut53k-media-d-appel-dark espérance dans Communauté spirituelleIl n’y a rien de nouveau sous le soleil. L’humanité se déchire sous nos yeux comme il y a 2700 ans sous les yeux d’Habacuc : les empires prédateurs piétinent, dominent, exploitent, annexent ; les injustices gangrènent nos démocraties comme les iniquités corrompaient le royaume de Juda. Les optimistes pratiquent le déni et refusent de voir la guerre se rapprocher, un peu comme les doux pacifistes à tout prix des années 30 : « on ne s’en tire pas si mal ». Les pessimistes se désespèrent et baissent les bras : « la force l’emporte partout sur le droit, les grandes puissances s’autorisent tout ».

Habacuc n’est ni optimiste ni pessimiste : il regarde la réalité en face. Il voit les Babyloniens approcher de Jérusalem avec des armées trop nombreuses pour leur résister. Il avertit lucidement que la catastrophe est imminente. Chez ceux qui ne veulent pas l’envisager, et qui le traitent de prophète de malheur, Habacuc veut provoquer une prise de conscience. Chez ceux qui capitulent déjà avant la bataille, il veut soulever une espérance : la fidélité de Dieu
« tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends là : elle viendra certainement, sans retard ». À tous, Habacuc lance un appel à vivre dans la foi–confiance–fidélité à YHWH. Car « le juste vivra par sa foi/fidélité ».

Comment tirer parti de cet appel prophétique pour ne pas devenir fous après le JT de 20 heures ?

1. Être lucide sur le mal qui vient
On l’a dit : Habacuc était conscient que les armées chaldéennes (Babylone) allaient bientôt submerger le petit royaume de Juda, qui restait encore relativement prospère et libre après la chute du royaume d’Israël au nord. Les notables de Juda festoyaient, s’en mettaient plein les poches et faisaient comme si tout cela allait durer. Rappelez-vous les années folles de l’entre-deux-guerres en France : on dansait, on buvait, on s’enrichissait, et on priait les politiques de ne pas nous ennuyer avec les bruits de bottes outre-Rhin d’un petit moustachu grand-guignolesque. On ne voulait tellement plus voir la guerre approcher à nouveau – après celles de Napoléon de 1803 à 1815, celle de 1870, celle de 1914–18 – qu’il fallait la conjurer à tout prix, « quoiqu’il en coûte ». Alors on applaudit Daladier de retour de Munich avec son bout de papier signé par Hitler. Mais cela nous a coûté le déshonneur et la guerre, la débâcle de 39 et des millions de morts en Europe. Les pacifistes refusaient de se réarmer. Les communistes pactisaient avec les fascistes (de 1939 à 1941) pour ne pas se salir les mains dans une guerre capitaliste etc.

Habacuc est lucide : le mal existe en l’homme, en tout homme, de tout temps, pour toujours. Il n’a pas peur, comme Jacob se battant avec l’ange ou Job accusant YHWH, d’interpeller son Dieu en lui demandant pourquoi il ne fait rien devant tant de violence : « Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? »
En effet, comment ne pas douter de Dieu devant la fumée des fours crématoires du III° Reich, ou devant les pyramides de crânes empilés par milliers par Pol Pot et ses khmers rouges de sang ?
« Où est-il ton Dieu ? » (Ps 41,4) : chaque jour nous pouvons entendre ce reproche devant le spectacle de l’Ukraine dévastée ou de Gaza affamée…

HabacucCommençons d’abord par faire comme Habacuc : appeler mal ce qui est mal, et crier notre incompréhension. Car la prière – même de révolte – est au moins un dialogue. Le pire serait de ne plus lui parler, par résignation ou reniement. Job lui aussi se plaint, et ose formuler ses reproches à YHWH devant l’injustice. Jacob se roule dans la poussière pendant la nuit avec cet inconnu qui va le blesser puis le bénir à l’aube. Le nom d’Habacuc y fait peut-être allusion, car il signifie en hébreu « étreinte » : il nous faut nous battre avec Dieu au sujet de cette énigme du mal qui dévaste l’homme, car cette étreinte, ce combat deviendra la source de notre bénédiction si nous nous y engageons au point d’être blessé au plus intime, et – comme Jacob – de boiter à jamais, c’est-à-dire de devoir compter sur un autre pour tenir debout et marcher.

Appeler mal ce qui est mal : les 5 déclarations de malheur du prophète au chapitre 2 de son livre ne mâchent pas leurs mots : « C’est la honte de ta maison que tu as décidée ; en éliminant de nombreux peuples, c’est ta propre vie qui échoue. Oui, du mur une pierre va crier, et de la charpente, une poutre lui répondra » (Ha 2,10–11).

Aller dire cela à Poutine demande un certain courage…

Cette lucidité devant le mal qui vient vaut également pour nos violences intérieures : la montée de l’antisémitisme en France, du narcotrafic et de ses milliers de consommateurs en quête de paradis artificiels, et même de la violence gratuite où certains prennent un malin plaisir à tabasser, violer, torturer ou tuer sans raison apparente.

La gauche française – encore très rousseauiste – minimise cette question du mal en s’obligeant à croire qu’elle n’est qu’une conséquence sociale de la pauvreté, de l’exclusion, de l’injustice. Symétriquement, la droite exacerbe ce penchant au mal en stigmatisant la moindre dérive et en en faisant le prétexte à une répression accrue.
Les premiers ne croient pas au péché originel ; les seconds ne croient pas à la rédemption.

Juifs et chrétiens se tiennent sur la ligne de crête, étroite : là où le péché abonde, la grâce peut surabonder (cf. Rm 5,20).
D’ailleurs, c’est la réponse qu’entend Habacuc : non pas une explication de la violence, mais l’espérance d’un salut au-delà de la violence. Non pas une théorie politique sur le Droit international ou la prolifération des armes nucléaires, mais une vision où même la déportation n’empêchera pas le peuple de revenir à Jérusalem (après l’exil à Babylone).
Qui plus est, ce salut n’est pas que pour les seuls juifs : il est universel, et comblera toutes les nations « comme les eaux recouvrent la mer » (Ha 2,14).
Cette vision grandiose ne supprime pas la violence actuelle, mais donne un sens, une direction, une espérance à tous ceux qui souffrent. Comme l’écrivait Etty Hillesum au milieu du camp de déportation de Westerbok : « Nous avons le droit de souffrir, mais non de succomber à la souffrance ».

2. Traverser l’épreuve en s’appuyant sur la foi/fidélité
Destruction de Jerusalem
La vision d’Habacuc est gravée sur des tablettes. Pourtant, la catastrophe arrive : Nabuchodonosor prend Jérusalem, la pille, détruit son Temple, déporte le roi et d’immenses cohortes de prisonniers réduits en esclavage à Babylone. Plus de terre, plus de Temple, plus de roi : cette fois-ci, c’est fichu. Pourtant, pendant les 50 ans d’exil, la vision écrite sur les tablettes (pour ne pas s’évaporer avec la douleur de l’exil) va nourrir la résistance spirituelle des déportés. La Torah devient leur terre, le Messie annoncé sera leur roi, leur famille remplace le Temple. Ainsi dépouillé de ses illusions royales, de la graisse des sacrifices d’animaux, de la prétention d’enfermer YHWH dans des frontières, le petit reste d’Israël pourra entamer une purification de sa foi après l’exil, que Jésus de Nazareth portera à son incandescence.

Habacuc exprime cette conviction avec force : « le juste vivra par sa foi/fidélité ». La confiance en Dieu permet de tenir bon dans l’épreuve, de la traverser. Et même si la fumée des crématoires semble l’éparpiller à tout vent, cette espérance ne décevra pas. Ce peuple reviendra sur sa terre. Même si l’injustice et la violence semblent triompher, nous avons « comme une ancre dans les cieux » (He 6,19) : « l’espérance ne déçoit pas » (Rm 5,5). « Si elle paraît tarder, attends là : elle viendra certainement, sans retard » (Ha 2,3). Le retard apparent n’est qu’à nos horloges humaines, car le temps de Dieu n’est pas celui des hommes : « pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour » (2P 3,8).

Nous ne verrons peut-être par cet accomplissement, mais nos petits-enfants le verront, ou leurs petits-enfants. C’est une forme de réalisme que de constater que les tyrans finissent toujours par disparaître, que le mal n’a jamais le dernier mot. Même le KGB et ses 400 000 fonctionnaires a été dissous. Et si la mort nous emporte avant d’avoir vu cet accomplissement, tel Moïse mourant avant d’arriver en Terre promise, nous croyons que le royaume de Dieu nous établira réellement dans une communion de justice de paix, d’amour et de vérité.

Alors, tenons bon dans l’épreuve en nous appuyant sur notre foi.
Le mot hébreu אֱמוּנָה (e.mu.nah) - d’où est tirée notre acclamation « Amen ! » – signifie rocher : c’est la confiance que nous mettons dans la parole qui nous est transmise, dans la promesse qui nous anime, que nous considérons aussi solides qu’un rocher sur lequel on bâtit. Compter sur YHWH plus que sur nos propres forces est ce qui nous permet de résister spirituellement à l’épreuve du mal.

Une vie bouleversée : journal : 1941-1943. Lettres de WesterborkJe ne me lasserai pas de citer Etty Hillesum pour illustrer la force incroyable que procure cette confiance. Jeune juive dans le ghetto d’Amsterdam, et bientôt déportée volontaire dans le camp de Westerbok, elle témoigne dans son journal d’une intériorité confiante grandissante, qui produit une sérénité incroyable, même au milieu de l’horreur.

« La semaine prochaine, il est probable que tous les juifs hollandais subiront l’examen médical.
De minute en minute, de plus en plus de souhaits, de désirs, de liens affectifs se détachent de moi ; je suis prête à tout accepter, tout lieu de la terre où il plaira à Dieu de m’envoyer,
prête aussi à témoigner à travers toutes les situations et jusqu’à la mort, de la beauté et du sens de cette vie : si elle est devenue ce qu’elle est, ce n’est pas le fait de Dieu mais, le nôtre. Nous avons reçu en partage toutes les possibilités d’épanouissement, mais n’avons pas encore appris à exploiter ces possibilités. On dirait qu’à chaque instant des fardeaux de plus en plus nombreux tombent de mes épaules, que toutes les frontières séparant aujourd’hui hommes et peuples s’effacent devant moi, on dirait parfois que la vie m’est devenue transparente, et le cœur humain aussi ; je vois, je vois et je comprends sans cesse plus de choses, je sens une paix intérieure grandissante et j’ai une confiance en Dieu dont l’approfondissement rapide, au début, m’effrayait presque, mais qui fait de plus en plus partie de moi-même. [1] »


Si la joie d’Etty a pu fleurir au milieu de la violence nazie jusqu’à sa mort, pourquoi ne pourrait-elle pas chanter en nous malgré la violence de ce monde ?

 Habacuc

Foi et fidélité s’embrassent…

Le deuxième sens du mot אֱמוּנָה (e.mu.nah) est : fidélité. La foi insiste sur le don gratuit de Dieu. La fidélité exprime la réponse en actes de l’homme. Les chrétiens insistent à juste titre sur le salut gratuit par la foi, avant les œuvres :
« Dans cet Évangile se révèle la justice donnée par Dieu, celle qui vient de la foi et conduit à la foi, comme il est écrit : Celui qui est juste par la foi, vivra » (Rm 1,17).
« Il est d’ailleurs clair que par la Loi personne ne devient juste devant Dieu, car, comme le dit l’Écriture, celui qui est juste par la foi, vivra » (Ga 3,11).
« Celui qui est juste à mes yeux par la foi vivra ; mais s’il abandonne, je ne trouve plus mon bonheur en lui » (He 10,38).
« En effet, si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé » (Rm 10,9).
Les juifs – eux – insistent non sans raison sur la réponse éthique de l’homme, à travers les 613 commandements très concrets qu’ils doivent observer chaque jour.
À nouveau le vieux débat entre orthodoxie (la foi seule) et orthopraxie (pas de foi sans œuvres). Substantiellement les deux significations ne sont pas contradictoires, mais plutôt complémentaires : la fidélité n’est-elle pas l’aspect pratique de la foi ?

Reste que la fidélité du juste nourrit sa résistance spirituelle. Il suffit de relire « Une journée d’Ivan Denissovitch » de Soljenitsyne pour réaliser combien la fidélité d’Ivan à son rituel d’un repas civilisé (nappe improvisée, couverts, manger lentement, en levant la tête entre les bouchées etc.) l’a sauvé de la déchéance ambiante du camp de déportation.

N’espérons donc pas tenir debout dans la violence du monde sans une certaine fidélité à l’Alliance avec Dieu. Sinon, nous nous transformerons à l’image des bourreaux, qui gagneront deux fois.

Ainsi donc, ce soir, après le JT de 20 heures et ses horreurs, relisez le prophète Habacuc : 3 petits chapitres, et puis c’est tout.
Mais vous dormirez mieux, car vous resterez éveillés à l’espérance qui respire en vous.

 ________________________________________________________

[1]. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Journal (1941-1943).




 
LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)
 
Lecture du livre du prophète Habacuc
Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent.
Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.
Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

 
PSAUME
(Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !
 (cf. Ps 94, 8a.7d)
 
Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

 
Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

 
Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

 
DEUXIÈME LECTURE
« N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)
 
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée
Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.
 
ÉVANGILE
« Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10) Alléluia. Alléluia.
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée. Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)

 
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.
Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »

Patrick Braud

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21 septembre 2025

Lazare à toutes les sauces

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Lazare à toutes les sauces

Homélie pour le 26° dimanche du Temps ordinaire / Année C
28/09/25

Cf. également :
Au moins les miettes ! 
Professer sa foi
Qui est votre Lazare ?
Le pauvre Lazare à nos portes
La bande des vautrés n’existera plus
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?
Chameau et trou d’aiguille
À quoi servent les riches ?
Plus on possède, moins on est libre

Les interprétations de notre célébrissime parabole de ce dimanche (Lc 16,19-31) sont quasi infinies : appel au partage, développement du Tiers-Monde, accès à la vie éternelle, existence de l’enfer, statut des richesses, condition des pauvres etc.
Examinons 5 ou 6 pistes de lecture qui viennent enrichir ce panorama déjà si foisonnant [1].

1. Faire peur aux riches
On le constate chaque semaine avec Donald Trump : les riches sont arrogants, ils tordent le bras des plus faibles pour imposer leurs conditions ; ils se muent en prédateurs, jamais rassasiés. Notre parabole dénonce cette arrogance qui, non contente de ne pas aider le pauvre, ne supporte pas sa vue et ne se laisse pas même attendrir par les blessures de Lazare. Les chiens eux-mêmes plaident contre le riche, car ils sont plus doux que lui envers le pauvre. Le riche est plus bienveillant envers ses chiens qu’il nourrit qu’envers Lazare !  Et d’ailleurs Lazare a été plus généreux envers les chiens que le riche lui-même, puisqu’il les a nourris de sa chair. Même dans l’au-delà, l’arrogance du riche ne diminue pas, puisqu’il attend encore que ce soit Lazare qui vienne le servir et rafraîchir sa langue !

Lazare à toutes les sauces dans Communauté spirituelleDans les premiers siècles, les Pères de l’Église ont essayé d’avertir les riches du danger que présentent pour eux-mêmes leurs comportements inhumains. Puisqu’ils ne cherchent  que leur intérêt, on va parler à leur égo plus qu’à leur cœur : « si vous persévérez à ne pas donner aux pauvres, vous finirez en enfer ! »
Effrayer les riches est une stratégie relativement efficace. La Bible ne dit-elle pas que « la crainte est le commencement de la sagesse » ? (Pr 9,10 ; Ps 111,10)
Si le riche ne donne rien à Lazare à cause de son aveuglement, qu’au moins il donne par peur des flammes éternelles !

Évidemment, aujourd’hui, dans un monde matérialiste où la question de la vie éternelle disparaît, enfouie sous les écrans, les crypto-monnaies et les fortunes enivrantes, cette menace éternelle peine à convaincre. Mais au Moyen Âge, elle est encore très impressionnante. Faire peur aux riches pour qu’ils partagent est un objectif majeur des prédicateurs et maîtres spirituels. En témoigne par exemple au XI° siècle Bruno de Segni :
« C’est pourquoi le Seigneur dit : ‘Malheur à vous les riches qui avez votre consolation’  (Lc 6,24), et : ‘Heureux les pauvres, car le royaume des cieux est à eux’ (Lc 6,20 et Mt 5,3). Les richesses mènent donc à la misère, et la pauvreté à la béatitude. Le ciel est ouvert aux pauvres ; l’enfer l’est pour les riches. Pour les riches, du moins, qui font un mauvais usage de leurs richesses » (Commentaria in Lucam, PL 165, col. 422).

Ne remisons pas trop vite aux vitrines des musées cette arme évangélique : en vieillissant, bien des riches commencent à s’interroger sur leur avenir, et on a vu dans l’Histoire des puissants changer du tout au tout suite à une prise de conscience de leur possible damnation éternelle… ! Il faudrait d’abord pour cela réhabiliter la perspective de l’enfer comme une possibilité réelle, ce qui heurte de plein fouet l’irresponsabilité contemporaine (« on ira tous au paradis »)…

2. Légitimer l’ordre social
De l’avertissement salutaire lancé aux riches, les commentateurs de la parabole sont très vite passés à la résignation prêchée aux pauvres. Ils s’appuient souvent sur Proverbes 22,2 pour demander à chacun de rester là où le sort les a placés : « Un riche et un pauvre se rencontrent : l’un comme l’autre, le Seigneur les a faits ».

ce60535b8bf9b6a150f862720157fb3b interprétation dans Communauté spirituelleD’après eux, Lazare doit supporter sa pauvreté sans se révolter, avec patience, en comptant sur la générosité du riche pour alléger ses souffrances. Et le riche ne doit pas cesser d’être riche, mais seulement laisser tomber quelques miettes de sa fortune.
Que les pauvres restent pauvres, car plus tard ils seront riches, et en attendant ils font le salut des riches en recevant leurs aumônes.
Que les riches restent riches, mais en partageant un peu pour éviter de se retrouver à la place du pauvre dans la vie éternelle.
Que les pauvres supportent leur condition comme une épreuve envoyée par Dieu, sans se plaindre ou se révolter, sans même chercher à en sortir. Au contraire, ils devraient se réjouir de leur sort, comme l’affirme Jérôme, régulièrement cité sous le nom de Jean Chrysostome au XIIIe siècle : « Si nous sommes souffrants, si nous sommes pauvres, réjouissons-nous : nous recevons nos maux en cette vie afin de recevoir des biens plus tard ». Thomas d’Aquin, dans sa Catena aurea, cite une phrase semblable du même auteur : « Lors donc que la violence de la maladie nous accable, que la pensée de Lazare nous fasse supporter avec joie les maux de cette vie ».
Thomas d’Aquin cite d’ailleurs deux fois la même phrase – tantôt attribuée à Ambroise de Milan, tantôt à Jean Chrysostome – au début et à la fin de son commentaire : « Toute pauvreté n’est pas sainte […], c’est la sainteté qui rend la pauvreté digne d’honneurs ».

Albert le Grand s’inscrit dans la même perspective : après avoir indiqué que Lazare a été l’instrument de la condamnation du riche, il cite à son tour Proverbes 22,2 et indique que le pauvre est fait pour la patience, tandis que le riche l’est pour la miséricorde. Et de conclure : « Et donc le pauvre est envoyé pour que s’exercent les mérites du riche, et le riche pour la miséricorde envers le pauvre ».
Augustin demande aux riches de ne pas changer leurs habitudes, de manger les mets délicats ou précieux et de donner aux pauvres ceux qui sont superflus ou grossiers car « ce sont les restes qui appartiennent aux pauvres, et non les délices ». Albert le Grand reprend cette citation augustinienne, qu’il commente ainsi : « En effet, si [Lazare] avait demandé des mets délicieux, ce n’est pas sans raison qu’ils lui auraient été refusés, car les délices ne conviennent pas aux pauvres ».
Hugues de Saint-Cher, dans le début de son commentaire, distingue entre avoir des richesses, ce qui est permis, et les aimer, ce qui est réprouvé. Bonaventure note aussi que « cet homme est dit riche, non seulement à cause de la possession des richesses, mais aussi parce qu’il les aimait ». Nicolas de Gorran reprend la même idée en ajoutant que « ce n’est pas la possession mais l’amour des richesses qui est réprouvé ». Thomas d’Aquin cite deux fois Ambroise affirmant que « toute richesse n’est pas nécessairement criminelle ».

On va même jusqu’à penser que pauvreté et richesse sont toutes deux relatives : c’est en se comparant qu’on sait où on se trouve.
« Mais celui-là [le riche] ne commettrait pas un si grand péché, s’il ne le voyait pas. Et celui-ci [Lazare] ne souffrirait pas autant, s’il n’apercevait ces délices. Chacun est, pour l’autre, la cause du mal : celui- là provoque un mal temporel, celui-ci pour l’éternité » (Bruno de Segni).

Ne sourions pas trop vite devant cette ligne d’interprétation très naïve. Elle revient en force, dans les milieux protestants anglo-saxons – les évangéliques notamment – où la réussite et la richesse sont perçues comme des bénédictions divines (comme dans l’Ancien Testament avant les prophètes comme Amos), et la pauvreté comme un châtiment, la conséquence du péché ou des erreurs du pauvre qui n’a qu’à s’en prendre qu’à lui-même…

Légitimer l’ordre social existant en tordant l’Évangile en ce sens est une instrumentalisation meurtrière des Écritures. Les Églises l’ont suffisamment pratiquée hélas dans les siècles passés pour ne pas retomber dans cette ornière !
Lazare n’est pas là pour assurer le salut du riche par quelques miettes qui ne changeront rien au scandale des inégalités et de la misère !

 

La synagogue, "aveugle"

La synagogue, « aveugle

3. Disqualifier les Juifs

Dans un climat très polémique entre la synagogue et l’Église, Augustin avait forgé un cadre interprétatif simple et clair dans lequel l’homme riche désignait les juifs et Lazare les Gentils ; c’est ce schéma qui domine l’exégèse allégorique au XII° siècle.

Un commentaire développe :
« Le riche qui portait de la pourpre et du lin et festoyait tous les jours de façon fastueuse désignerait le peuple juif qui avait extérieurement le souci de la vie et qui utilisait les délices de la Loi qu’il avait reçue pour son faste et non pour son utilité. Lazare couvert d’ulcères désignerait le peuple des Gentils qui, en confessant ses péchés s’est tourné vers Dieu et a rejeté au-dehors le poison qui se cachait en lui, comme s’il avait fendu sa peau. Et il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche mais personne ne lui en donnait car ce peuple superbe refusait d’admettre un Gentil à la connaissance de la Loi, car il conservait la science de la Loi pour sa fierté et non pour la charité, comme s’il se gonflait des trésors reçus. Et les paroles qui tombaient de sa science étaient comme des miettes qui tombaient de la table. Mais au contraire, les chiens lèchent les ulcères du pauvre car les prédicateurs, par leur parole, éloignent du péché comme si, en touchant les plaies, ils redonnaient la santé de la même façon que le chien soigne les plaies en les léchant. C’est donc à juste titre que le nom Lazare est interprété comme “aidé”, car ils aident à sa guérison, ceux qui soignent ses plaies en les corrigeant par la parole. »

Une autre glose complète le récit en expliquant que ce « peuple infidèle » est particulièrement puni par sa langue car il a conservé les mots de la Loi dans sa bouche sans les mettre en pratique. Quant aux cinq frères du riche, ils désignent « le peuple juif déjà en grande partie damné » (sic) qui demeure sur terre entièrement soumis à ses cinq sens ou à une intelligence charnelle des livres de Moïse. Ce refus de l’interprétation spirituelle des Écritures explique que le peuple juif refuserait de croire même un homme revenu de la mort, Jésus ressuscité.

Faire de Lazare une machine de guerre idéologique contre les juifs, il fallait y penser !
Ne sourions pas trop vite de cette interprétation aux relents antisémites. On voit cet antisémitisme rejaillir partout, dans le monde musulman comme dans les sphères d’extrême gauche, pour disqualifier le peuple de la Torah : Israël se gaverait des richesses de la Palestine sans voir la famine de Gaza ou la colonisation de Cisjordanie, sans laisser quelques miettes aux Palestiniens privés de tout… C’est là encore tordre l’Évangile pour légitimer une idéologie « antisioniste » visant la disparition pure et simple d’Israël.

4. Les savants et les simples
savants-enluminure-miniature-medievale-psaultier-saint-louis-manuscrit-moyen-age-672x372 LazareNotre parabole vise d’abord les pharisiens, « eux qui aimaient l’argent et tournaient Jésus en dérision » (Lc 16,18). Eux sont riches de leur connaissance de la Torah, des traditions inventées par les Anciens ; eux savent lire et écrire, débattre et commenter. Au Moyen Âge, plusieurs courants mystiques se sont emparés de cette remise en cause des « savants » pour vanter la foi des gens ordinaires. Les mystiques ont mis l’expérience spirituelle personnelle au-dessus de la science théologique : des chrétiens ordinaires vivaient la simplicité fraternelle évangélique, et étaient méprisés ou délaissés par les docteurs scolastiques de la Sorbonne ou de Rome, qui n’accordaient aucun crédit aux prières et supplications de ce petit peuple chrétien écrasé par la domination cléricale. La révolte de la Réforme du XVI° siècle est déjà contenue en germe dans les écrits mystiques du XI° siècle.

Hildegarde de Bingen par exemple a laissé une série de sermons sur les Évangiles. Sur la péricope qui nous occupe, elle propose deux sermons entièrement allégoriques. Le second assimile l’homme riche à la volupté, tandis que Lazare est l’image de l’homme pécheur que les chiens contribuent à rapprocher de Dieu en effaçant en lui l’amour de la chair. Le premier sermon est en revanche plus révélateur d’une utilisation de la parabole contre la culture scolastique. En effet, le riche y est présenté comme l’image des hommes « sages et prudents » et des « sages orgueilleux » (elati sapientes), par opposition aux « ignorants et aux simples » (idiotae et simplices) qui ont choisi l’humilité et la pauvreté en esprit. Hildegarde glose ainsi les propos d’Abraham : « entre nous, qui avons suivi l’humilité dans notre science, et vous qui avez mis votre science au service de votre orgueil, un grand chaos a été élevé […] ». Il est frappant de constater qu’Hildegarde reprend exactement les images et le vocabulaire utilisés habituellement pour désigner le peuple juif et qu’elle les applique ici aux savants. Ce faisant, elle déplace la polémique des juifs vers les maîtres des nouvelles écoles urbaines, confirmant ainsi son hostilité à la scolastique naissante et son appartenance au groupe des auteurs monastiques qui se méfient de l’essor des écoles savantes.

40b7efb_1658492014161-beguine1 parabole

Les béguines

5. Les hommes et les femmes
Cet éloge des simplices et idiotae qui souhaiteraient accéder à la sagesse et à la prudence mais qui, enfermés dans leurs sens, en sont réduits à attendre les explications des savants prélats pourrait aussi viser les femmes que le discours clérical rapproche des cinq sens et qui sont tenues à l’écart des écoles.
Rien ne l’indique explicitement, mais il est difficile de penser qu’une telle description ne tende pas vers une association de Lazare aux béguines qui renouvellent la vie évangélique au nord de l’Europe à partir du XI° jusqu’au XIV° siècle, et aux moniales qui persévèrent dans l’éducation du peuple chrétien, malgré les interdictions qui pèsent sur elles (enseignement, direction spirituelle, autonomie de gouvernement, de finances etc.).

Lazare pourrait bien être une figure des femmes laissées à l’écart de la table cléricale où festoient les princes de l’Église : écartées de l’ordination, de la prédication, suspectes d’impureté mensuelle, incarnant la tentation de la chair, mineures dans le Droit et dans les mœurs…
Lazare, féministe ? Pourquoi pas ?

6. La conversion de Jésus
Rajoutons une dernière interprétation, quelque peu iconoclaste : il se pourrait bien que Jésus parle d’expérience en inventant cette parabole ! Car il a lui-même vécu la conversion demandée au riche de cette histoire.
7163xKXsGIL._SL1500_ richesse C’est le mot « miettes » (ψιχον, ψξ = psichion, psix) employé dans la parabole qui peut nous mettre la puce à l’oreille : « Lazare aurait bien voulu se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères » (Lc 16,21).
Où est-il question de miettes ailleurs dans les Évangiles ? Il n’y a que 2 autres occurrences de ce mot : dans l’épisode de la cananéenne rapportés par Mc 7,24-30 et Mt 15,21-28. La cananéenne mendie elle aussi les miettes du festin promis par Jésus : « Elle reprit : “Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.” » (Mt 15,27). Alors que Jésus, conscient de sa supériorité juive, était au début légèrement méprisant envers cette étrangère – une femme qui plus est – lui opposant son silence puis sa condescendance : « Il répondit : “Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens.” » (Mt 15,26).

Jésus est juif jusqu’au bout des ongles. Alors il fait un peu de camping touristique, ou du moins alors qu’il prend du repos le long de la côte libanaise (Tyr et Sidon), il semble camper dans un complexe de supériorité si courant chez les rabbins juifs. « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël ». Autrement dit : les étrangers, ce n’est pas mon problème. Isaïe a dû se retourner dans sa tombe ! Heureusement, la ténacité de cette libanaise qui lui réclame des miettes va ébranler l’autosuffisance juive qui n’a pas épargné même Jésus : « les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître ». Là, Jésus stupéfait est obligé de reconnaître que cette femme a raison : les étrangers sont bien invités au festin, et pas que pour des miettes ! C’est sans doute un déclic dans la conscience de Jésus. À partir de la rencontre de cette étrangère, il défendra jusqu’au bout l’universalité de sa mission. Il annoncera le salut pour tous. L’écriteau INRI, rédigé en latin, grec et araméen témoignera de son désir de « rassembler dans l’unité des enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52), étrangers et juifs enfin réunis.

La conscience historique de Jésus de Nazareth était dans son humanité soumise aux mêmes lois psychologiques que la nôtre : il lui a fallu du temps pour réaliser qui il était, et quelle était sa mission. La rencontre avec cette libanaise constitue un tournant dans la conscience de Jésus : grâce à elle, à cause d’elle, il découvre stupéfait qu’en effet les étrangers ont droit eux aussi à la nourriture qu’il dispense aux juifs. Parce que cette femme a insisté, argumenté, parce qu’elle n’a pas lâché prise par amour pour sa fille, elle a provoqué en Jésus une prise de conscience de l’universalité de sa mission. Avant, il croyait n’être envoyé qu’aux « brebis perdues de la maison d’Israël ». Après, il reconnaît la foi de cette cananéenne et saura désormais que tous les peuples attendent de participer au repas messianique à sa table.
Les miettes données par Jésus à la cananéenne rejoignent ainsi les miettes que le riche aurait dû accorder à Lazare…

Si même Jésus de Nazareth a été obligé d’écouter la cananéenne pour se convertir à l’universalité de sa mission, combien plus devrions-nous nous convertir, en écoutant les Lazare gisant à notre porte et à celle de notre Église… !

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[1]. Je m’inspire ici quasi intégralement de l’étude précise et documentée d’Emmanuel Blanc : La parabole de Lazare et du mauvais riche entre recherches herméneutiques et appropriations du texte biblique (XIIe-XIIIe siècles), 2021 : cf.  https://amu.hal.science/hal-03552151/document

LECTURES DE LA MESSE
 
1ère LECTURE
« La bande des vautrés n’existera plus » (Am 6, 1a.4-7)

Lecture du livre du prophète Amos

Ainsi parle le Seigneur de l’univers : Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion, et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie. Couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres de l’étable ; ils improvisent au son de la harpe, ils inventent, comme David, des instruments de musique ; ils boivent le vin à même les amphores, ils se frottent avec des parfums de luxe, mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ! C’est pourquoi maintenant ils vont être déportés, ils seront les premiers des déportés ; et la bande des vautrés n’existera plus.
 
PSAUME
Ps 145 (146), 6c.7, 8.9a, 9bc-10
R/ Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur ! ou : Alléluia ! (Ps 145, 1b)
 
Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.

 
Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.

 
Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

 
2ÈME LECTURE
« Garde le commandement jusqu’à la Manifestation du Seigneur » (1 Tm 6, 11-16)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Toi, homme de Dieu, recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur. Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle ! C’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession de foi devant de nombreux témoins.
Et maintenant, en présence de Dieu qui donne vie à tous les êtres, et en présence du Christ Jésus qui a témoigné devant Ponce Pilate par une belle affirmation, voici ce que je t’ordonne : garde le commandement du Seigneur, en demeurant sans tache, irréprochable jusqu’à la Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ. Celui qui le fera paraître aux temps fixés, c’est Dieu, Souverain unique et bienheureux, Roi des rois et Seigneur des seigneurs, lui seul possède l’immortalité, habite une lumière inaccessible ; aucun homme ne l’a jamais vu, et nul ne peut le voir. À lui, honneur et puissance éternelle. Amen.
 
ÉVANGILE
« Tu as reçu le bonheur, et Lazare, le malheur. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance » (Lc 16, 19-31)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Jésus Christ s’est fait pauvre, lui qui était riche, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. Alléluia. (cf. 2 Co 8, 9)

 
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus disait aux pharisiens : « Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux. Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères. Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra. Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui. Alors il cria : ‘Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. – Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.’ Le riche répliqua : ‘Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !’ Abraham lui dit : ‘Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! – Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.’ Abraham répondit : ‘S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.’ »
Patrick BRAUD

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14 septembre 2025

Adorateurs de Mammon ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Adorateurs de Mammon ?

 

Homélie pour le 25° dimanche du Temps ordinaire / Année C
21/09/25

Cf. également :
Mi-Abbé Pierre, mi-Mélenchon : Amos !
Trompez l’Argent trompeur !
Peut-on faire l’économie de sa religion ?
Éthique de conviction, éthique de responsabilité
Prier pour la France ?
La 12° ânesse
Épiphanie : l’économie du don
La bourse et la vie

1. Le Familistère de Guise

Si un jour vous passez par la Thiérache – je sais, ce ne sera pas par hasard… – faites un crochet par la commune de Guise. Là, prévoyez une demi-journée pour visiter l’étonnant « Palais social » imaginé et construit par l’inventeur du célèbre poêle Godin, dont la fonte émaillée a trôné dans nos cuisines françaises pendant près d’un siècle. Le Familistère de Guise est l’une des rares réalisations abouties de l’utopie socialiste à la française, du socialisme de Fourier et Proudhon (honnis par Marx et Engels !).


Adorateurs de Mammon ? dans Communauté spirituelle 250px-BlauerOfenGodinH1aJean-Baptiste André Godin (1817-1888) était un ingénieur de talent. Il breveta son invention qui améliorait le chauffage domestique, et il rencontra dès le début un succès fulgurant. Il construisit à Guise une usine de production où travaillaient 1500 ouvriers à son apogée (+ 300 à Laken en Belgique). S’il avait été semblable à tant de patrons d’industrie du XIX° siècle, Godin se serait enrichi, aurait capitalisé pour lui et sa famille. Au contraire, par humanisme – dénué de toute connotation religieuse -, il a cherché toute sa vie à sortir les ouvriers de la misère, et à assurer leur avenir. Pour cela, il a d’abord mis en place l’association des salariés au capital de la société Godin. Puis l’intéressement aux bénéfices. Tout cela bien avant les lois sociales sur la participation et l’intéressement du Général De Gaulle ! Il voulait aller encore plus loin. Conscient qu’il ne pouvait pas rendre riches ses 1800 ouvriers, il a imaginé leur donner accès à ce qu’il appelait « les équivalents de la richesse ». Il écrivait en 1884 :

« Il faut bien se persuader que l’amélioration du sort des classes laborieuses n’aura rien de réel tant qu’il ne leur sera pas accordé les équivalents de la richesse ou, si l’on veut, des avantages analogues à ceux que la fortune s’accorde.

Or, pour donner à la pauvreté les équivalents de la richesse, il faut l’union, la coopération des familles : il faut réunir, au profit d’une collectivité d’habitants, les avantages qu’on ne peut créer isolément pour chacun. Nous ne pouvons donner un château à chaque famille. Il faut donc, pour une équitable répartition du bien-être, créer l’habitation sociale, le palais des travailleurs dans lequel chaque individu trouvera les avantages de la richesse, réunis au profit de la collectivité » [1].


 argent dans Communauté spirituelleGrâce au musée désormais établi dans le « Palais social » de Guise, vous pourrez avoir une vue d’ensemble des équipements mis à disposition des 1000 familles habitant les pavillons de ce Familistère. Les ouvriers qui choisissaient l’association au capital pouvaient ainsi jouir d’un l’appartement moderne, à lumière traversante et eau potable (avec poêle Godin bien sûr !), d’une école gratuite, d’un théâtre pour des représentations assurées par les ouvriers, d’une piscine à fond relevable (pour apprendre à nager) dans l’eau chaude venant de l’usine, d’une coopérative alimentaire, d’une buanderie commune, de caisses de secours en cas d’accident, de maladie ou d’invalidité etc.

De 1858 à 1968, le Familistère de Guise fut un laboratoire social assez extraordinaire !

Godin, anticlérical notoire, n’aurait rien renié des conseils de Jésus dans notre Évangile (Lc 16,1-13) : « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête ». « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’argent ». Godin fut un témoin de la fécondité sociale de ce détachement vis-à-vis des richesses : il est possible de réussir brillamment dans l’industrie et de ne pas être esclave de la soif de l’argent.

Après la mort de Godin, l’usine de Guise déclina lentement, par manque de brevets innovants et à cause de l’évolution du chauffage domestique. La société des cheminées Philippe a repris l’usine, et le Familistère n’est plus qu’un lieu de mémoire.

Reste que le constat du Christ est toujours actuel : « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’argent ».


2. Pourquoi tant d’hostilité de Jésus envers Mammon ?

La traduction liturgique emploie le mot argent pour une compréhension plus facile ; mais le texte grec parle de Mammon : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon ». La symétrie est ainsi frappante : on se trouve devant deux divinités, deux personnages opposés en tout (là encore, le « en même temps » est impossible !).

Deux choses sont étonnantes :

– Jésus personnifie la richesse

– Jésus appelle Mammon la richesse ainsi personnifiée


Commençons par l’étymologie. Mammon (en grec : μαμμωνς = mammōnas) désigne ordinairement les richesses en général (Mt 6,24 ; Lc 16,9.11.13).

 idolâtrieLe mot mammon vient probablement de l’araméen מָמוֹנָא (mamônā’), qui signifie richesse, biens, argent. Il est apparenté à l’hébreu מָמוֹן (mamôn), au sens de ce en quoi on place sa confiance. Selon certains linguistes, mammon dériverait de la racine ‘āmn (אָמַן), qui a donné le mot amen et signifie « se confier, croire, avoir foi ». Paradoxe intéressant : Mammon serait « ce en quoi l’on place sa foi », une contrefaçon de la foi en Dieu. Jésus voit en Mammon quelqu’un à qui on dit Amen, en plaçant sa confiance en lui, en se soumettant à sa loi. Mammon devient le rival de Dieu lorsque la soif de s’enrichir et l’amour de l’argent prennent toute la place dans le cœur de quelqu’un ou d’une collectivité.


Tout se passe alors comme si des fils invisibles manipulaient les acteurs économiques, les transformant en marionnettes de Mammon. Jésus personnifie l’argent comme jamais personne avant lui. Car on n’a retrouvé aucune trace d’un culte idolâtrique à Mammon comme on l’a fait pour Baal, Astarté ou Moloch. Pas de temple, pas de liturgie organisée, pas de mythologie autour de Mammon dans l’Antiquité.

Comment comprendre que Jésus ait ainsi forcé le trait pour personnaliser l’Argent ?


Comprendre les structures du peche avec jean-paul ii - Jean-Marie Keroas On peut proposer une interprétation à partir du phénomène que Jean-Paul II a appelé « les structures de péché ». Ce pape avait bien vu dans sa Pologne natale et les pays communistes autour que le mensonge devenait un système, la corruption une habitude, la compromission une pratique répandue partout. Dans une telle société, les acteurs sont comme englués dans une culture ambiante où les valeurs sont inversées, et ils sont amenés à commettre injustices, vols, exactions en tous genres par conformisme au système en place, sans y voir de malice. Il s’opère ainsi comme une cristallisation de nombreux péchés personnels qui prennent vie, et font émerger une forme quasi autonome cherchant à dominer les acteurs pour se reproduire. Une structure de péché est une « somme de facteurs négatifs » qui s’auto-entretiennent :


« La somme des facteurs négatifs qui agissent à l’opposé d’une vraie conscience du bien commun universel et du devoir de le promouvoir, donne l’impression de créer, chez les personnes et dans les institutions, un obstacle très difficile à surmonter à première vue. »

(Sollicitudo rei socialis n° 36, 1987)

 

« L’homme reçoit de Dieu sa dignité essentielle et, avec elle, la capacité de transcender toute organisation de la société dans le sens de la vérité et du bien. Toutefois, il est aussi conditionné par la structure sociale dans laquelle il vit, par l’éducation reçue et par son milieu. Ces éléments peuvent faciliter ou entraver sa vie selon la vérité. Les décisions grâce auxquelles se constitue un milieu humain peuvent créer des structures de péché spécifiques qui entravent le plein épanouissement de ceux qu’elles oppriment de différentes manières. Démanteler de telles structures et les remplacer par des formes plus authentiques de convivialité constitue une tâche qui requiert courage et patience. »

(Centesimus annus n° 38, 1991)


MammonLa puissance de l’argent correspond bien à ce phénomène. Dans une société matérialiste tournée vers la richesse, ceux qui servent Mammon croient être libres, mais sont esclaves  des injonctions inconscientes auxquelles ils sont soumis : acheter, accumuler, consommer, « toujours plus », « quoiqu’il en coûte »…


La tradition chrétienne prolongera cette personnification opérée par Jésus : Mammon téléguide tellement les pensées et les actes de ses adorateurs qu’ils en deviennent possédés par Lui, au sens spirituel du terme. Les Pères de l’Église feront de Mammon une figure diabolique, une idole. Dans l’imaginaire chrétien médiéval (Dante, Milton) Mammon devient le démon de l’avarice, représenté comme une entité infernale.


Rival de Dieu (Mammon/Amen) et entité dominant l’économie (structures de péché), Mammon cherche à nous asservir. Nous croyons posséder des richesses. Mais ce sont elles qui nous possèdent ! Et il n’est pas besoin d’être riche pour leur être soumis…

Alors, comment se servir de l’argent sans être asservi par lui ?


3. Choisir la pauvreté volontaire

« Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon ».

L’Église s’est souvent fourvoyée elle aussi, se laissant corrompre par la richesse, le patrimoine, la puissance, le népotisme, les trafics en tout genre (cf. les indulgences au XVI° siècle). Régulièrement, des hommes et des femmes se levèrent pour contester cette complicité des clercs avec les puissances d’argent. Dès Constantin, les ermites égyptiens sont partis au désert pour dénoncer l’embourgeoisement des évêchés trop bien nourris. Puis Basile en Orient et Benoît en Occident ont inventé l’extraordinaire forme monastique, et les monastères ont choisi une vie fraternelle, simple et féconde (« ora et labora ») qui a transformé l’Europe. Quand les couvents se sont trop enrichis, des réformés comme les Trappistes ou les Carmes rappelèrent l’exigence du retour à l’Évangile de pauvreté volontaire. Les ordres mendiants de François et Dominique ont fait résonner l’exigence d’une vie détachée de la soif de possession…


À chaque époque a surgi – comme un couple de rappel – une contestation radicale par quelques-uns de l’amour de l’argent, afin de redire à tous que l’Argent est un maître diabolique (alors que c’est un serviteur utile).

Aujourd’hui, beaucoup dans les jeunes générations n’ont plus comme objectif de « faire carrière », d’avoir une Rolex à 30 ans, de doubler son salaire tous les 5 ans ou d’entasser les actions boursières à haut rendement. Ils cherchent certaine simplicité de vie, une réelle utilité sociale dans leur métier, avec authenticité et sincérité, dans le respect de la planète…


Il nous faut régulièrement faire et refaire l’expérience d’un certain dénuement, si nous voulons échapper à l’emprise de Mammon. Comme une cure de détox spirituel. Se transformer en pèlerin intérieur en quelque sorte, qui mendie nourriture et hospitalité auprès d’inconnus.

L’écrivain Charles White, ayant expérimenté physiquement ce genre de « marche mendiante » sur les chemins, racontait au journal la Croix du 20/07/2025 :

bonzelaos Mammon
« Vivre avec peu fait un bien fou. Le dénuement procure une joie très profonde. On fait l’expérience de la sobriété féconde. Ça n’est pas rien à une époque où l’on est submergé de biens. C’est aussi une école de la confiance, où l’on apprend à vivre l’Évangile au pied de la lettre, notamment cette invitation à ne s’inquiéter de rien. « Ne vous inquiétez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez ou de ce que vous boirez, ni, pour votre corps, de ce dont vous serez vêtus », disait le Christ. On se rend compte que les choses arrivent quand on ne les cherche plus. C’est aussi faire l’expérience que la joie vient toujours des autres. Cela m’a réconcilié avec l‘humanité. Quand nous arrivons chez les gens les mains vides, nous réveillons chez eux ce qu’il y a de plus beau : leur générosité et leur bonté. Marcher permet aussi de se souvenir qu’on a un corps : on sue, on a mal, on a des ampoules. Cela fait un bien fou et nous rappelle cette grande vérité du christianisme, à savoir que les choses les plus hautement spirituelles se donnent souvent dans le plus corporel, le plus charnel. On fait aussi l’expérience de la fraternité dans la différence. Il faut aimer son frère qui a tout le temps faim, qui marche lentement, son compagnon de route que l’on n’a pas choisi. […]

Ensuite, on revient dans sa vie et on retombe vite dans ses travers. Il faut alors essayer de cultiver les fruits. Cela peut conduire à un travail de conversion sur la sobriété comme j’essaie de le faire, ou l’on peut changer de métier, changer de vie. Je n’ai pas de conseils à donner, mais cette expérience laisse dans le cœur un sillage, une traînée, une empreinte semblable au passage du Christ dans la vie : furtif, pas spectaculaire, mais qui reste à vie. »


Comment pourrions-nous entamer une marche mendiante – intérieurement ou réellement – qui nous ferait comprendre ce à quoi le Christ nous invite en nous disant : « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et Mammon » ?

________________________________

[1]. Déposition de Monsieur Godin auprès de la commission extraparlementaire au Ministère de l’Intérieur, Études sociales n° 5, 1884, Librairie du Familistère de Guise.

 

LECTURES DE LA MESSE


PREMIÈRE LECTURE
Contre ceux qui « achètent le faible pour un peu d’argent » (Am 8, 4-7)

 

Lecture du livre du prophète Amos
Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! » Le Seigneur le jure par la Fierté de Jacob : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits.

 

PSAUME
(Ps 112 (113), 1-2, 5-6, 7-8)
R/ Louez le nom du Seigneur : de la poussière il relève le faible. ou : Alléluia !
(Ps 112, 1b.7a)

 

Louez, serviteurs du Seigneur,
louez le nom du Seigneur !
Béni soit le nom du Seigneur,
maintenant et pour les siècles des siècles !

 

Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ?
Lui, il siège là-haut.
Mais il abaisse son regard
vers le ciel et vers la terre.

 

De la poussière il relève le faible,
il retire le pauvre de la cendre
pour qu’il siège parmi les princes,
parmi les princes de son peuple.

 

DEUXIÈME LECTURE
« J’encourage à faire des prières pour tous les hommes à Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 1-8)

 

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre à Timothée
Bien-aimé, j’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. Cette prière est bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, car il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. En effet, il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous. Aux temps fixés, il a rendu ce témoignage, pour lequel j’ai reçu la charge de messager et d’apôtre – je dis vrai, je ne mens pas – moi qui enseigne aux nations la foi et la vérité. Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en élevant les mains, saintement, sans colère ni dispute.

 

ÉVANGILE
« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent » (Lc 16, 1-13)
Alléluia. Alléluia.
Jésus Christ s’est fait pauvre, lui qui était riche, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. Alléluia. (cf. 2 Co 8, 9)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le convoqua et lui dit : ‘Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.’ Le gérant se dit en lui-même : ‘Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.’ Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : ‘Combien dois-tu à mon maître ?’ Il répondit : ‘Cent barils d’huile.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.’ Puis il demanda à un autre : ‘Et toi, combien dois-tu ?’ Il répondit : ‘Cent sacs de blé.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu, écris 80’.
Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande. Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ? Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »
Patrick BRAUD

 

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7 septembre 2025

Quelle croix ? Quelle gloire ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quelle croix ? Quelle gloire ?

Homélie pour la fête de la Croix glorieuse / Année C
14/09/25

Cf. également :
Que signifie : prendre sa croix ?
Les trois tentations du Christ en croix
Quels sont ces serpents de bronze ?
Prendre sa croix
Ne faisons pas mentir la croix du Christ !
De l’art du renoncement
C’est l’outrage et non pas la douleur
Prendre sa croix chaque jour
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
Rameaux, kénose et relèvement

1. Un oxymore très constantinien
« Lors de mon dernier dîner en ville, j’ai vu une jeune femme porter un magnifique collier avec une guillotine en pendentif. Elle m’a dit appartenir à la secte « de la guillotine radieuse », nouvelle religion très en vogue actuellement. Plus loin, un Américain arborait une magnifique chevalière avec une chaise électrique en or gravée dessus. Il était très fier d’être disciple de la communauté « de la chaise étincelante »… »
Cette scène mondaine imaginaire peut vous mettre sur la piste de l’étrangeté de la fête célébrée ce dimanche : la Croix glorieuse. Quel oxymore ! Car rien de plus honteux ni humiliant que cet infamant supplice de la crucifixion infligé par les Romains aux esclaves, aux humiliores (inférieurs) de l’empire ! La croix inspirait au début du christianisme autant d’horreur que la guillotine de la Terreur ou la chaise électrique d’Alcatraz récemment ! Paul le savait bien, lui qui grâce à sa citoyenneté romaine échappera à l’infamie de la croix pour la mort plus noble de la décapitation par l’épée. Jésus n’a pas eu ce privilège : « Il a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice » (He 12,1-4). La croix, dans cette interprétation des plus anciennes, est signe d’humiliation et non pas de souffrance physique. C’est en effet le supplice des classes les plus méprisées du monde romain, le supplice des esclaves, le supplice infamant qui prive tout juif le subissant des promesses faites à Israël, au point de devenir un « maudit de Dieu » dont le corps n’est même pas digne d’être enterré : « Quant à cette malédiction de la Loi, le Christ nous en a rachetés en devenant, pour nous, objet de malédiction, car il est écrit : Il est maudit, celui qui est pendu au bois du supplice » (Ga 3,13 ;cf. Dt 21,23).

Quelle croix ? Quelle gloire ? dans Communauté spirituelle 15Ce supplice des esclaves était connu et redouté dans l’empire romain : en 71 av. JC, 6000 esclaves révoltés avec Spartacus furent crucifiés par Crassus sur les 190 km entre Capoue et Rome. L’historien juif Flavius Josèphe rapporte que vers 88 av. J.-C., 800 pharisiens furent crucifiés au centre de Jérusalem sur ordre d’Alexandre Jannée ; il rapporte également les 2000 crucifiements ordonnés en 4 av. J.-C. par le légat romain Varus. Paul avait déjà vu ces condamnés misérables rayés de l’humanité.
Néron quant à lui fit crucifier plusieurs milliers de chrétiens de tous âges et, histoire d’apporter un peu de distraction, il faisait enduire leurs corps de résine, ce qui lui permettait de s’en servir comme flambeaux la nuit… Au tournant de l’ère chrétienne, on compte des milliers de crucifiés : 2 000 lors de la seule répression de la révolte de Simon, nous dit encore Flavius Josèphe.

L’avertissement du pouvoir romain était clair : ne faites pas comme les crucifiés, sinon vous finirez comme eux. Suspendre au bois de la croix n’était pas seulement éliminer le séditieux, mais aussi son message, son action sociale ou politique, sa doctrine. Ainsi ceux qui ne voulaient pas que le monde change avec Jésus ont voulu en finir avec lui, et la façon dont ils ont décidé de l’exécuter montre qu’ils voulaient faire comprendre que son message ne devait pas continuer. Avis aux disciples : s’ils s’obstinaient à suivre leur maître, ils seraient balayés comme lui, dans la disgrâce et le déshonneur.

 Constantin dans Communauté spirituelleTout change avec la conversion de l’empereur Constantin au christianisme (vers 312).
L’horreur des crucifix est cependant si présente que pendant des siècles encore, Jésus ne fut que rarement représenté sur une croix : c’était trop épouvantable. Un peu comme si on portait maintenant une guillotine avec une chaîne en or autour du cou… Le symbole des chrétiens dans les catacombes était plutôt le poisson (ictus) que la croix, le bon Berger ou l’agneau pascal

Il faut attendre le V° siècle pour voir des crucifix, et encore représentent-ils Jésus habillé « posé » sur une croix, serein et victorieux. Le Christ des mosaïques byzantines est le Pantocrator, le Tout-puissant, et les icônes du crucifié le montrent somptueusement vêtu, rayonnant de gloire, apaisé, déjà hors du monde.

Les textes racontant la découverte de la « vraie croix » fleurent bon la légende et la reconstruction a posteriori. Ces récits merveilleux sont écrits par des soutiens enthousiastes de l’empereur Constantin et de la nouvelle religion qu’il a favorisée. Ils se contredisent d’ailleurs en maints détails, mais peu importe car la visée hagiographique autorisait à l’époque quelques libertés avec ce que nous appellerions aujourd’hui la vérité historique, problématique complètement étrangère aux historiens des premiers siècles.

Quelques doutes planent sur la découverte de la Vraie Croix…
Croix reliquesCertes, l’impératrice Hélène a fait procéder à des fouilles archéologiques sur le lieu-même de la crucifixion lors de son pèlerinage en 326. A-t-elle réellement pu découvrir la Croix de Jésus ? Ou s’agissait-il d’une opération de propagande destinée à renforcer la nouvelle religion de l’empire ? À partir du quatrième siècle, le christianisme devient en effet une arme politique. Dans ce contexte, l’invention et la diffusion d’objets sacrés permet aux souverains successifs d’affirmer leur pouvoir, de renforcer leurs alliances et de souder la société. Il se pourrait donc que toute cette histoire ait été inventée, ce qui n’enlève rien à l’intérêt de son caractère légendaire [1].

Au cours des siècles, la Croix a été découpée en plusieurs parties et a fait l’objet de multiples prélèvements pour la confection de reliques. Le marché des objets saints s’étant considérablement développé au cours du Moyen-Âge, des faux ont commencé à circuler dont certains sont visibles encore aujourd’hui en Europe et dans le monde. À tel point que Calvin a pu ironiser sur la prolifération de ces soi-disant reliques de la vraie croix, car le volume total des fragments vénérés pourrait – disait-il – constituer une forêt ou un navire…

Tout commence en 312 – d’après l’historien Eusèbe de Césarée (265-339), évêque de Césarée en Palestine et proche de l’empereur – lorsque l’empereur Constantin veut éliminer son rival Maxence. Constantin aurait vu en rêve le Christ lui-même (qu’il ne connaissait pas auparavant) lui demander de mettre le Chrismechrisme, constitué de l’entrelacement des deux premières lettres de son nom, le chi (X) et le rho (R)  grecs, sur les étendards de son armée : « Par ce signe tu vaincras ». C’est alors la fameuse bataille du pont Milvius, où Maxence et ses troupes se noient dans le Tibre en fuyant devant Constantin. Celui-ci peut alors devenir le seul empereur d’Occident. Convaincu que c’est le Dieu des chrétiens qui lui a donné la victoire, il ordonne de ne plus persécuter cette nouvelle religion, et d’en favoriser même l’essor (édit de Milan en 313). Il se convertit, mais ne demandera le baptême que sur son lit de mort, pratique courante à l’époque où il n’y a pas de « seconde pénitence » après le baptême (notre confession actuelle). Sachant qu’il commettrait encore beaucoup de meurtres, de guerres et d’abus de pouvoir, Constantin préféra n’utiliser ce one shot qu’à la toute fin de sa vie…

La Vision de Constantin, 1520-1524, Jules Romain, (Rome, palais du Vatican, salle de Constantin)Voilà une première bizarrerie qui aujourd’hui devrait nous choquer : invoquer le Christ pour remporter une victoire militaire ! Le symbole qui aurait permis ce massacre pourrait-il venir de Jésus ? Cette conception archaïque et magique d’un Dieu faisant pencher le sort des batailles pour un camp ou l’autre a la vie dure. Israël se plaignait déjà de « YHWH qui ne sort plus avec nos armées » (Ps 44,10) ; et il se désolait que l’Arche d’Alliance ne lui évite pas des défaites catastrophiques (1S 4). D’ailleurs, en 1187, les Croisés croiront eux aussi qu’un morceau de la vraie Croix leur donnerait la victoire à chaque combat. Mais lors de la bataille de Hattin (près du lac de Tibériade), malgré la relique mise en avant des troupes, le roi Guy de Lusignan est fait prisonnier et des centaines de chevaliers massacrés. Le sultan Saladin s’empare du précieux bois, dont on perd la trace à partir de là. Puis il prend Jérusalem, et le rêve d’une monarchie franque légitimée par la Croix s’écroule à tout jamais…

Voilà donc un premier contresens constantinien à éviter en fêtant la Croix glorieuse : la gloire que procure la Croix n’est pas de ce monde. Elle n’est ni militaire, ni économique, ni même religieuse. Elle appartient à l’autre monde, celui où le Ressuscité est entré après sa mort ignominieuse : « Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice, et il siège à la droite du trône de Dieu » (He 12,2). Elle ne peut légitimer aucun empire, aucune royauté, aucun Président, aucune domination se réclamant de la foi chrétienne !

L’instrumentalisation du Nom de Dieu a fait florès – hélas ! – dans les rangs des Églises se réclamant du Crucifié. Et ce n’est pas fini : Poutine s’invente une mission divine pour la restauration de la Sainte Russie orthodoxe ; Trump se croit l’élu de Dieu parce qu’une balle lui a effleuré l’oreille au lieu de le transpercer ; Netanyahou est persuadé que la force de Tsahal vient de YHWH. Et que dire des instrumentalisations musulmanes, hindoues ou autres, transformant leur religion en machine de guerre… ! ?

« Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi… » (Mt 20,26).

La Croix glorieuse est un oxymore, associant deux contraires, ce qui doit nous interdire d’interpréter la gloire de la Croix selon nos critères.

2. La légende dorée de la vraie Croix
La Légende dorée de Jacques Voragine (1266) raconte au chapitre 66 l’histoire de la découverte du bois de la croix de Jésus, dans une version encore plus rocambolesque (avec d’ailleurs quelques relents antisémites) [2].

Eglise Ste Hélène - Paris (18)L’impératrice Hélène  - nommée augusta par son fils Constantin, c’est dire son influence -, âgée de 80 ans, aurait ordonné des fouilles à Jérusalem pour retrouver le tombeau de Jésus, enseveli sous un forum romain et un temple de Vénus construits par l’empereur Hadrien. Macaire, évêque de Jérusalem, conduit les fouilles (qui dès lors sont « orientées »…). On finit par découvrir une décharge mortuaire avec les morceaux des morceaux de bois pouvant provenir de croix romaines. On isole trois  ensembles  pour correspondre aux trois Croix du Golgotha. Pour identifier celle de Jésus, la légende (Eusèbe de Césarée) voudrait qu’une femme qu’on croyait morte ait été guérie au contact du bois correspondant à la bonne croix. Selon un autre historien (Sozomène, vers 445), c’est lorsqu’un mort ressuscita au contact du bois qu’on a reconnu la vraie Croix. Ambroise de Milan raconte quant à lui en 395 que c’est l’écriteau INRI qui permit à Hélène de distinguer la croix de Jésus des deux autres. D’autres variantes existent encore sous les plumes de Rufin, Sulpice-Sévère, saint Paulin…, où il est également question des clous, du suaire, de la couronne, de la lance et autres outils de la passion. Bref, on aurait tout retrouvé exactement comme dans les Évangiles.

Eglise Ste Hélène - Paris (18)Le noyau historique fiable autour de la vraie Croix est en réalité assez mince : Hélène a sans doute ordonné des fouilles Jérusalem 300 ans après les faits, et est revenue à Rome avec des reliques légitimées par des évêques et historiens acquis à sa cause. Les siècles suivants ont amplifié les légendes autour de ces morceaux de bois. Et l’instrumentalisation royale a perduré au-delà de Constantin, jusqu’à la Sainte-Chapelle bâtie à Paris par saint Louis pour l’abriter.

On voit mal le Seigneur de l’univers prendre parti pour l’armée de Constantin contre Maxence, pour les croisés contre les sultans, ou pour l’empereur byzantin Héraclius massacrant les Perses pour récupérer les reliques de la croix volée à Jérusalem au VII° siècle !

Jésus est mort victime sur la croix, et non bourreau. Devenir bourreau au nom de la Croix est un contresens absolu !
Sur le bois de la croix, Jésus refuse le pouvoir, la domination, la victoire à la manière des hommes. La gloire de sa croix ne viendra pas de ses armées, mais de la résurrection octroyée par son Père.
Tant qu’elle reste constantinienne, la vénération de la croix est absurde, contradictoire, dangereuse, meurtrière : un oxymore. Quand elle adopte la non-violence et l’humiliation du crucifié, alors elle devient source de vie.
La gloire de la croix du Christ n’est pas de ce monde…

3. À nous de subvertir la malédiction en bénédiction
Le sens de la croix du Christ est de faire corps avec les humiliores de chaque époque. Sur le bois, Jésus va « chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10) en se faisant l’un d’entre eux.

La volonté du Christ c’est d’aller au bout de celle de son Père, « jusqu’à l’extrême » (Jn 13,1) : faire corps avec les damnés de la terre pour leur ouvrir un chemin de libération et de vie en Dieu.
96322722_m croixEn allant les rejoindre, il est assimilé à eux. Leur humiliation devient la sienne ; mais il l’assume « sans honte », alors que les puissants ont réussi – en dominant les humiliés – à leur faire intérioriser la honte d’être dominés. Il y a dans ce « sans honte » le début du retournement de la situation d’humiliation, comme on retourne un gant de l’intérieur.

Le Père Joseph Wrézinski l’a bien compris, qui a commencé à redonner un nom et une histoire au peuple du Quart-Monde pour qu’il retrouve la fierté d’être lui-même. Les grands libérateurs ont fait de même : Gandhi avec les colonisés indiens, Martin Luther King avec les ‘nègres’ américains des années 60, Mandela avec les townships souffrant de ségrégation et de misère etc.
Endurer sans honte l’humiliation de ceux qui en sont écrasés est déjà leur ouvrir la possibilité d’une dignité pleinement rétablie.

La gloire de la Croix est celle de celui qui a été maudit par la Loi (Dt 21,23). Impossible de l’assimiler à celle d’un empereur, d’un roi ou d’un dictateur se prétendant chrétien.
Impossible de l’utiliser pour écraser nos ennemis, pour tuer au nom de Dieu, ou imposer  notre religion par la force. Toutes ces trahisons historiques manipulent les symboles – dont la croix, – pour justifier leurs conquêtes.

« Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi ».

Vénérons donc la Croix, pas celle de Constantin ni celle des Croisés, mais celle qui a sauvé le bon larron.
Vénérons la Croix glorieuse, de cette gloire irréductible à toutes nos gloires trop humaines ; la gloire qui nous vient de la résurrection où YHWH a inversé la malédiction qui pesait sur les gueux de Palestine en bénédiction pour tous les peuples !



Lectures de la messe

Première lecture (Nb 21, 4b-9)
En ces jours-là, en chemin à travers le désert, le peuple perdit courage. Il récrimina contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avoir fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ? Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! » Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante, et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël. Le peuple vint vers Moïse et dit : « Nous avons péché, en récriminant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu’il éloigne de nous les serpents. » Moïse intercéda pour le peuple, et le Seigneur dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant, et dresse-le au sommet d’un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! » Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet du mât. Quand un homme était mordu par un serpent, et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie ! – Parole du Seigneur.

Psaume (Ps  77 (78), 3-4a.c, 34-35, 36-37, 38ab.39)
Nous avons entendu et nous savons ce que nos pères nous ont raconté ;
nous le redirons à l’âge qui vient, les titres de gloire du Seigneur.

Quand Dieu les frappait, ils le cherchaient, ils revenaient et se tournaient vers lui :
ils se souvenaient que Dieu est leur rocher, et le Dieu Très-Haut, leur rédempteur.

Mais de leur bouche ils le trompaient, de leur langue ils lui mentaient.
Leur cœur n’était pas constant envers lui ; ils n’étaient pas fidèles à son alliance.

Et lui, miséricordieux, au lieu de détruire, il pardonnait. Il se rappelait :
ils ne sont que chair, un souffle qui s’en va sans retour.

Deuxième lecture (Ph 2, 6-11)
Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.

Évangile (Jn 3, 13-17)
En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « Nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Patrick Braud


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