L'homélie du dimanche (prochain)

7 mai 2025

2 ou 3 « fictions utiles » du conclave

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 9 h 30 min

2 ou 3 « fictions utiles » du conclave

 

Sensus fidei

2 ou 3 « fictions utiles » du conclave dans Communauté spirituelle conclavebrLe film « Conclave » (Oscar 2024 du meilleur film) avait déjà répandu sur les écrans un avant-goût de l’événement qui commencera ce Mercredi 7 mai 2025 à 16h30. François Bayrou a médiatisé davantage encore ce terme en désignant ainsi le groupe chargé de réformer la réforme des retraites. Tout le monde sait désormais que c’est l’impatience des fidèles italiens qui a engendré ce mot au XIII° siècle : ils en avaient assez d’attendre l’élection d’un nouveau pape, après 2 ans et 9 mois de débats houleux, et ont enfermé à clé (cum-claves en latin) les cardinaux dans une pièce, les menaçant de les affamer et de les assoiffer jusqu’à ce qu’ils se soient enfin décidés ! Intéressant : c’est la pression de l’opinion publique des fidèles – le sensus fidei fidelium, diraient les théologiens (le sens de la foi des fidèles) – qui a suscité cette institution désormais vénérable ! Comme quoi on gagne souvent à écouter le peuple lorsqu’il gronde…

 

D’autres caractéristiques du conclave peuvent nous faire réfléchir sur des réformes nécessaires.


1. Le pape est élu (pas nommé, ni ordonné)

On l’a oublié, mais la pratique la plus ancienne était en effet d’élire son évêque. Cette coutume repose sur la conviction que depuis Pentecôte, l’Esprit de discernement est répandu sur toute l’Église. Ainsi, dès le livre des Actes des Apôtres, c’est l’assemblée qui choisit, appelle les Sept (qui deviendront les diacres) et les présente à l’imposition des mains des apôtres : « Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge. […] Ces propos plurent à tout le monde, et l’on choisit : Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, un converti au judaïsme, originaire d’Antioche. On les présenta aux Apôtres, et après avoir prié, ils leur imposèrent les mains » (Ac 6,3-6). Juste avant, c’est l’assemblée également qui présente deux candidats pour remplacer Judas, et compléter ainsi le collège des Apôtres (pour « faire Douze ») : « On en présenta deux : Joseph appelé Barsabbas, puis surnommé Justus, et Matthias. […] On tira au sort entre eux, et le sort tomba sur Matthias, qui fut donc associé par suffrage aux onze Apôtres » (Ac 1,21–26).

Vox Populi Vox Dei
Dans les premiers siècles, chaque Église locale choisissait qui appeler comme diacre, prêtre ou évêque. Bien sûr il fallait que le clergé local soit d’accord, et pour élire un évêque il fallait que trois autres évêques au moins d’autres diocèses soient eux aussi d’accord et présents pour l’ordination. Mais c’est bien toute l’Église locale qui choisissait, appelait, élisait ses ministres. L’exemple le plus fameux est celui d’Ambroise de Milan : préfet de Milan en 374, il est appelé dans la cathédrale pour rétablir l’ordre suite aux troubles occasionnés par l’élection d’un nouvel évêque. Un enfant, en le voyant, s’écrie : ‘Ambroise évêque !’ Et le peuple, connaissant la réputation de sagesse d’Ambroise, entonne plus fort encore : ‘Ambroise évêque !’ De là l’expression : Vox populi, vox Dei… Bien que non baptisé (seulement catéchumène), Ambroise fut obligé d’accepter, et on lui conféra en accéléré tous les sacrements, du baptême à l’ordination épiscopale !

Il est à noter que les Églises catholiques de rite oriental ont gardé cette liberté de nommer elles-mêmes leurs évêques, liberté reconnue par Rome. Ainsi le 12 mai 2022, le Pape François a approuvé la nomination de trois évêques libanais élus par le synode de l’Église syro-catholique pour les diocèses d’Hassake-Nisibi (Syrie) et du Caire (Égypte), ainsi que pour la curie patriarcale [1].

 

Entendons-nous bien : le pape est élu. Personne ne le nomme. Il ne sera pas ordonné, car la plénitude du sacrement de l’ordre est déjà dans l’épiscopat. Être pape ne rajoute rien en termes sacramentels.

La prise au sérieux du fonctionnement du Conclave demande d’étudier les modalités possibles de la participation du peuple chrétien d’un diocèse à la désignation et à la réception (sinon à son élection) de son évêque.

 

2. Le pape est élu par l’Église locale de Rome

Par une fiction historique utile pour maintenir la fidélité à la tradition la plus ancienne, chaque cardinal se voit attribuer par le pape une paroisse de la ville ou du diocèse de Rome. Par exemple, le cardinal français Jean-Marc Aveline (Marseille) est nommé curé de la paroisse romaine de Sainte–Marie-des-Monts, à Rome, le 27 août 2022. Le 30 septembre 2023, le cardinal François-Xavier Bustillo (Ajaccio) est devenu curé de la paroisse Santa Maria Immacolata di Lourdes a Boccea dans le quartier Aurelio à Rome.

À travers ces curés romains fictifs, c’est bien l’Église locale qui élit son évêque. 

Carte de Rome églises
C’est donc en élisant l’évêque de Rome qu’on en fait un pape, et non l’inverse !

Les conséquences pour l’œcuménisme sont capitales. La primauté de l’évêque de Rome n’est pas au-dessus des autres évêques, mais au service de l’intégrité de la foi et de la communion entre toutes les Églises locales. « Serviteur des serviteurs », comme aimait signer Paul VI.

 

Pourquoi est-ce à l’Église de Rome que revient cette primauté ? Pourquoi pas Jérusalem, ou Antioche ?

- pour l’Occident, trois raisons font de l’Église de Rome la prima sedes (le siège épiscopal ayant reçu la primauté) :

* Elle est le siège apostolique par excellence, puisque fondée par Pierre et Paul

* Elle n’a jamais erré dans la foi, et s’est gardé des hérésies (tradition intacte).

* Rome représente le passage aux païens, décision historique de Pierre et Paul de quitter Jérusalem. 

- l’Orient, lui, demeurait plutôt sur la trace de cette seule tradition ancienne : Rome est la prima sedes parce qu’elle représente l’orbis, le monde des peuples qui est en même temps l’espace de l’Église. D’où la revendication pour que Constantinople elle aussi (parce que capitale de l’Empire et « nouvelle Rome ») entre dans les mêmes droits que Rome. Moscou revendiquera ensuite d’être devenue la nouvelle Constantinople…

 

Reste que le pape n’est pas l’évêque d’Abidjan, ni de Pékin.

Depuis Vatican II, les Églises locales ne peuvent plus être pensées comme des réalités partielles ou subordonnées, car c’est « en elles et à partir d’elles qu’existe l’Église catholique une et unique » (Lumen Gentium n° 23, repris par Christus Dominus n°11).

Le principe de primauté (vivre la dimension personnelle de la communion universelle dans l’Église) doit s’articuler avec celui de subsidiarité (autonomie laissée à chaque Église pour ce qui est en sa compétence et son pouvoir).

 

3. L’évêque de Rome est pape, donc patriarche d’Occident

Les catholiques l’ont oublié : l’organisation de l’Église pendant les 6 premiers siècles tournait autour de 5 patriarcats, formant une communion ecclésiale qu’on appelait la pentarchie : Jérusalem, Rome, Antioche, Alexandrie, Constantinople. Rome a toujours eu une primauté d’honneur au service de l’unité. tumblr_piydonC6N41v6a8gho1_1280 conclave dans Communauté spirituelleMais chaque patriarcat avait une relative autonomie et indépendance dans beaucoup de domaines (disciplinaire, liturgique, sacramentel, social etc). Les patriarcats peuvent en effet avoir des disciplines et des pratiques différentes, sans nuire à l’unité. Le code de droit canonique des Églises orientales catholiques reconnaît par exemple l’ordination d’hommes mariés et la liberté de choisir ses ministres. Leurs évêques sont choisis par des synodes locaux : Rome en est informée et leur accorde la reconnaissance. C’est ce qu’exprime, en quelques mots, le Code de droit canonique de 1983 : « Le Pontife suprême nomme librement les évêques ou il confirme ceux qui ont été légitimement élus ».


Autre exemple : les Églises africaines ont préféré ne pas ordonner de diacres permanents chez elles (car elles avaient déjà l’institution des catéchistes) après Vatican II, alors que les Église européennes en ordonnent autant que les prêtres désormais. Pourquoi ne pas retrouver cette liberté d’adapter la discipline selon les cultures (ordination d’hommes mariés, de diaconesses, synodalité, conciliarité etc.) ? Le synode sur l’Amazonie en 2019 avait demandé au Pape la liberté d’ordonner des hommes mariés pour l’Amazonie, mais François n’avait pas osé aller jusque-là…


Autre exemple encore : la bronca des Églises africaines devant la possibilité de bénir des couples homosexuels établie par le Pape François. Pourquoi imposer à toutes les Églises ce qui relève de l’inculturation dans une partie du monde ? Paul VI osait écrire en 1971 : « Face à des situations aussi variées, il nous est difficile de prononcer une parole unique, comme de proposer une solution qui ait valeur universelle. Telle n’est pas notre ambition, ni même notre mission. Il revient aux communautés chrétiennes d’analyser avec objectivité la situation propre de leur pays, de l’éclairer par la lumière des paroles inaltérables de l’Évangile, de puiser les principes de réflexion, des normes de jugement et des directives d’action dans l’enseignement social de l’Église tel qu’il s’est élaboré au cours de l’histoire … » (Octogesima adveniens n° 4).


Par la suite, même la centralisation romaine n’a pu supprimer totalement cette trace d’une vision « patriarcale » de l’Église. En témoigne encore la subsistance – même sous la forme de fictions honorifiques – de patriarcats catholiques fondés lors de l’expansion ultérieure : patriarcats de Venise, de Jérusalem, de Lisbonne, des Indes orientales, et même d’Aquitaine (dont le patriarche est l’archevêque de Bourges) !

 

enc_1995-05-25_hf_john-paul-ii_ut-unum-sintIl faudrait donc remettre en honneur et en vigueur le titre de Patriarche d’Occident pour l’évêque de Rome. 

Vue l’hypertrophie et l’universalité actuelle de ce Patriarcat d’Occident, ne faudrait-il pas d’ailleurs, pour qu’il soit crédible, créer d’autres patriarcats dans des aires culturelles et géographiques particulières (Asie, Afrique, Amérique…) ?

Alors la reconnaissance de l’autorité de Rome par les Orientaux ne signifierait pas la soumission de l’Église orthodoxe à cette autorité patriarcale du Pape, mais une communion différenciée, une reconnaissance mutuelle, avec la primauté romaine au service de l’unité. Au sein de la communion patriarcale retrouvée, et à son service, la primauté romaine subsistera, selon l’antique tradition commune à l’Orient et à l’Occident. Elle jouera notamment le rôle d’une instance de régulation (juridiction de cassation) en cas de conflits, et préservera l’intégrité et l’authenticité du dépôt de la foi. Cela implique de laisser les Églises Orientales en communion avec Rome nommer leurs évêques, réunir leur synode patriarcal propre, et juger en première instance, administrer la vie ordinaire. Car le Pape n’est pas le Patriarche d’Orient…

Le défi œcuménique, plus ou moins négligé par François, devrait être une des priorités du nouveau pape ! Jean-Paul II écrivait en 1995 : « Je prie l’Esprit Saint de nous donner sa lumière et d’éclairer tous les pasteurs et théologiens de nos Églises, afin que nous puissions chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère [de l’évêque de Rome] pourra réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres » (Ut Unum Sint n° 95).

 

En pratiquant une élection, de l’évêque de Rome, par les curés de Rome, le conclave manifeste la catholicité de l’Église : non pas une administration centralisée et pyramidale, mais une communion d’Églises locales, mariant la collégialité et la primauté, la subsidiarité et la reconnaissance mutuelle.

À nous tous d’en tirer les conclusions ecclésiales dans les décennies à venir…

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[1]. Mgr Joseph Abdel-Jalil Shamei, archevêque de Hassaké-Nisibi en Syrie, Mgr Elie Joseph Wardé, évêque pour l’Éparchie du Caire en Égypte et vicaire patriarcal pour le Soudan et le Soudan du Sud, et Mgr Jules Boutros, évêque de la Curie patriarcale.

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