L'homélie du dimanche (prochain)

23 mars 2025

Le 3° fils de la parabole

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le 3° fils de la parabole

 

Homélie pour le 4° Dimanche de Carême / Année C
30/03/25


Cf. également :

Une parabole contre le séparatisme
Souper avec les putains
Servir les prodigues
Réconciliation verticale pour réconciliation horizontale
Ressusciter, respirer, se nourrir…
Changer de regard sur ceux qui disent non
Fréquenter les infréquentables
La commensalité du Jeudi saint


Tu es le père

Le 3° fils de la parabole dans Communauté spirituelle darth_vader_-_i_am_your_father_star_war--i:1413857292081413851;x:1;w:520;m:1C’est sans doute la réplique-culte la plus célèbre de toute l’histoire du cinéma : « Je suis ton père ». Prononcée à travers le masque noir, d’un souffle rauque et quasi mécanique, cette phrase a résonné comme un coup de tonnerre dans l’immense saga de la guerre des étoiles (Star Wars).

La scène se déroule à la fin de L’Empire contre-attaque, deuxième épisode de la saga, réalisé par Irvin Kershner en 1980. Espérant trouver refuge sur la planète Bespin, la princesse Leia et ses compagnons sont pris en embuscade par les troupes impériales. Volant à leur secours, Luke Skywalker se retrouve soudain seul face au redoutable Dark Vador, dans les entrailles de la Cité des Nuages. Alors qu’il l’avait déjà affronté à bord de son X-Wing à la fin de l’épisode précédent, le Jedi en herbe dégaine pour la première fois son sabre laser face à son ennemi juré. Le duel est impitoyable, et les deux adversaires ne retiennent pas leurs attaques. Mais c’est à la fin de la confrontation, après lui avoir tranché la main, que Vador assène à Luke son coup le plus terrible en lui décochant non pas une estocade, mais une simple réplique, qui résonne encore 40 ans après dans les souvenirs de tous les spectateurs : « Je suis ton père. » Refusant cette sombre filiation, Luke se laisse tomber dans le vide…

Depuis, Dark Vador incarne à jamais le côté obscur de la paternité humaine.

C’est bien la figure du père négatif qui se dissimule derrière le masque de ce modèle essoufflé. Dark Vador hante les cauchemars de ceux qui ont été confrontés à une figure paternelle qui a mal tourné, du côté obscur de la Force…

 

Il y a quelque chose du conflit d’Œdipe revisité dans ce conflit opposant Luke Skywalker et son père Dark Vador. Luke (lucky = le chanceux) est littéralement « celui qui marche dans le ciel » (sky-walker) et son père est qualifié d’envahisseur, paternel invasif qui empêche son fils d’être lui-même (le nom original anglais est Darth Vader, et a été imaginé par Lucas comme une contraction de dark et death + invader = envahisseur sombre et mortel).

Oui, c’est bien la figure du père négatif qui se dissimule derrière le masque de ce modèle essoufflé…


Un père étouffant et un fils qui veut être libre : c’est une musique familière aux auditeurs de l’Évangile, particulièrement avec la parabole ultra connue de ce dimanche (Lc 15,1-32) dite du fils prodigue, ou mieux : des deux fils. Il ne s’agit pas comme Œdipe de tuer le père pour résoudre une rivalité amoureuse, mais de reconnaître qui est vraiment le Père de la parabole : « tu es le Père, celui qui fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux », selon le reproche que les pharisiens et les scribes font à Jésus.

 

De quoi les deux fils sont-ils le nom ?

D’innombrables commentaires de cette parabole ont bien explicité les deux attitudes qui nous guettent en tant qu’enfants de Dieu : la soumission ou la révolte, la frustration ou le gaspillage.

 fils dans Communauté spirituelle
- Frustré, le premier fils l’est à plus d’un titre : il n’avait jamais osé demander sa part d’héritage, et vivait chichement en attendant la mort du paternel. Imaginant sans doute un père ennemi du plaisir, il ne festoyait jamais avec ses amis. Même après avoir obtenu sa part d’héritage grâce à l’insolence de son cadet, lui n’a jamais rien dépensé. Le reproche qu’il fait au sujet des prostituées que son frère s’est payées montre qu’il aurait bien voulu  en faire autant… On reproche toujours aux autres ce qu’on aurait voulu faire soi-même ! Ni veau gras, ni escort girl : son existence de frustré était plutôt morne et terne, soumis aux ordres, cantonné aux contraintes de l’exploitation familiale. « Un bon fils de famille », disait-on au XIX° siècle.


Combien de croyants – de toutes religions ! – sont-ils aujourd’hui comme cet aîné pas vraiment né à son désir, obéissant et frustré, pratiquant mais malheureux, attendant la mort pour être enfin récompensé ? 

Ce n’est pas ces enfants-là que Dieu désire. Ils confondent piété religieuse et servitude volontaire, obéissance et frustration, fidélité et puritanisme…

 

19e553cc9d8382b8e53ac3d377370542 parabole- Gaspilleur, le cadet l’est à l’excès. Il a d’abord très symboliquement tué son père, en lui demandant sa part d’héritage. Car de qui hériter sinon d’un mort ? Comme s’il vidait d’un coup le réservoir familial des années à venir. Puis il a tout dépensé, jouissant au maximum des plaisirs de la chair, enivré par ses excès. Il se croyait enfin libre, débarrassé de son père et de son ombre portée. La chute n’en fut que plus dure. L’apprentissage de la difficile liberté lui apporte des lendemains de gueule de bois. Ouvrier agricole, moins bien considéré et nourri que les porcs, ces animaux impurs. Son retour à la maison est bassement intéressé, avec des motivations très matérielles : avoir du pain au moins, comme les ouvriers du domaine paternel, et ne pas mourir de faim.


Combien de croyants – de toutes religions ! – sont-ils aujourd’hui comme ce cadet révolté, gaspillant leur richesse à courir après une jouissance immédiate (pouvoir, argent, drogue, sexe…) et s’étourdissant dans les vanités de ce monde ? Ils ont pour dieu leur intérêt, veulent être libres alors qu’ils s’aliènent dans le gaspillage et l’éphémère. 

Ce n’est pas ces enfants-là que Dieu désire. Ils confondent liberté et individualisme, plaisir et désir, indépendance et rupture.

 

1648306166440563-0 prodigue- La rupture ou la soumission ; le révolté ou l’esclave. Il est bien à plaindre ce pauvre père qui ne trouve en face de lui qu’un fuyard et un domestique quand il voudrait des fils !

La pointe de la parabole n’est pas dans la critique de l’aîné faussement fidèle ni dans l’éloge du cadet follement prodigue. Elle est dans la révélation de la manière dont le maître du domaine est vraiment père des deux. Il ne répudie pas le frustré en colère : « toi mon enfant, tu es toujours avec moi, et ce qui est à moi est à toi ». Et il ne rejette pas l’insolent revenu par nécessité ; au contraire, « il fait bon accueil au pécheur et mange avec lui ». D’où l’idée qu’un tel père mérite mieux que des enfants frustrés ou révoltés, soumis ou rebelles, esclaves ou prodigues ! 

N’y aurait-il pas une autre manière d’être enfant de Dieu, une troisième voie pour devenir libre sans être seul, enfant sans être dominé ?

 

Jésus, le 3° fils

41Kqz6w7zPL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ VadorIl y a bien un fils caché dans ce récit de Luc ! À aucun moment ce fils caché n’est évoqué par le texte, si ce n’est par le seul fait de raconter cette parabole. Autrement dit, le locuteur est peut-être le message principal. « Medium is message » (« le message c’est le messager »), comme dirait Mc Luhan. Car celui qui raconte cette histoire incarne justement une autre façon d’être enfant, une troisième voie entre rébellion et servitude. C’est cette voie du milieu – comme diraient les bouddhistes – que Jésus nous propose de suivre avec lui et en lui, pour entrer dans la filiation nouvelle que Dieu nous offre.

 

- Au prodigue, Jésus emprunte plusieurs libertés, dangereuses et difficiles certes puisqu’elles ont conduit le 2° fils à sa perte, mais émancipatrices et fécondes depuis qu’elles ont été assumées en Jésus le Fils unique. 

Comme le prodigue, Jésus quitte la maison paternelle et ose s’aventurer en terre étrangère : « de condition divine, Jésus ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est vidé de lui-même… » (Ph 2,6–11). La kénose du Christ est l’audace divine pour aller vers ceux qui ne sont pas Dieu. 

Comme le prodigue, le Verbe venu habiter chez nous a festoyé, que ce soit aux noces de Cana ou aux banquets donnés en son honneur, à tel point qu’on l’a traité de glouton et d’ivrogne (Mt 11,19) ! 

Comme le prodigue, il semble dilapider l’héritage paternel en se compromettant avec les pécheurs et les impurs, gaspillant la Parole de Dieu avec eux.

Comme le prodigue, il a fréquenté les prostituées, les adultères, dépensé de l’argent avec elles (comme par exemple pour l’onction à Béthanie en Jn 12,1-11, ce que Judas lui reprochera avec force).

Mais contrairement au prodigue, ce n’est pas pour se perdre avec eux dans des beuveries ou des coucheries, mais c’était pour les sauver, en venant les prendre là où ils en étaient pour les conduire plus loin, plus haut : « Le fils de l’homme est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10).

 

- À l’aîné trop sage de la parabole, Jésus emprunte plusieurs attitudes de l’enfant proche de son Père. 

These-Antithese-Synthese-Dialektik-768x508Il sait que le lien de communion entre eux est indestructible : « Le Père et moi, nous sommes UN » (Jn 10,30). 

Et donc que l’héritage lui est non seulement promis, mais déjà donné : « Le Père aime le Fils et il a tout remis dans sa main » (Jn 3,35) ; « Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu… » (Jn 13,3). 

Cette part d’héritage, c’est l’Esprit qui le guide et le garde en communion avec son Père, quoi qu’il arrive, jusqu’à la croix. Il nous partage cet héritage en nous donnant l’Esprit, ce qui représente la synthèse des deux fils [1], l’un gardant précieusement l’héritage, l’autre le ‘dilapidant’ avec les pécheurs : « Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » (Jn 16,15).

 

Le dépassement des contradictions engendrées par les excès des deux fils s’opère en la personne de Jésus : quand il quitte le Père, c’est en communion avec lui ; quand il est « identifié au péché », c’est pour nous en libérer (2Co 5,21 : « il a été fait péché pour nous ») ; quand il revient vers son Père, c’est en nous prenant sous son bras ; quand il festoie avec le veau gras, c’est pour nous inviter au festin eucharistique…

 

Enfants de Dieu, nous le sommes de par notre baptême. 

Devenons réellement cet enfant que nous sommes en Christ, empruntant aux deux fils de la parabole le meilleur de leur obéissance et de leur révolte, assumant les transgressions nécessaires à notre libre communion avec le Père…

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[1]. Hegel parlerait de Aufhebung, synthèse plus haute incluant le meilleur des deux fils en surmontant leurs contradictions.

 

LECTURES DE LA MESSE


1ère lecture : L’arrivée du peuple de Dieu en Terre Promise et la célébration de la Pâque (Jos 5, 9a.10-12)


Lecture du livre de Josué
En ces jours-là, le Seigneur dit à Josué :
« Aujourd’hui, j’ai enlevé de vous le déshonneur de l’Égypte. »
Les fils d’Israël campèrent à Guilgal et célébrèrent la Pâque le quatorzième jour du mois, vers le soir, dans la plaine de Jéricho. Le lendemain de la Pâque, en ce jour même, ils mangèrent les produits de cette terre : des pains sans levain et des épis grillés. À partir de ce jour, la manne cessa de tomber, puisqu’ils mangeaient des produits de la terre. Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël, qui mangèrent cette année-là ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan.


Psaume : Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (cf. Ps 33, 9a)


Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

 

Magnifiez avec moi le Seigneur,
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond :
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

 

Qui regarde vers lui resplendira,
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend :
il le sauve de toutes ses angoisses.

 

2ème lecture : « Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ » (2 Co 5, 17-21)


Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. Tout cela vient de Dieu : il nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné le ministère de la réconciliation. Car c’est bien Dieu qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui : il n’a pas tenu compte des fautes, et il a déposé en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu.

 

Évangile : « Ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie » (Lc 15, 1-3.11-32)

Acclamation :
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus.
Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. (Lc 15, 18)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Alors Jésus leur dit cette parabole : « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : ‘Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’ Et le père leur partagea ses biens. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre. Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. Alors il rentra en lui-même et se dit : ‘Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’ Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : ‘Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.’ Mais le père dit à ses serviteurs : ‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.’ Et ils commencèrent à festoyer. Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait. Celui-ci répondit : ‘Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.’ Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : ‘Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !’ Le père répondit : ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! »
Patrick BRAUD

 

 

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