L'homélie du dimanche (prochain)

2 février 2025

Sur des charbons ardents

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Sur des charbons ardents

 

Homélie pour le 5° Dimanche du Temps ordinaire / Année C
09/02/25


Cf. également :

Quand le Christ nous choisit
La seconde pêche
Du hérisson à la sainteté, puis au management
Porte-voix embarqué
Dieu en XXL
La relation maître-disciple

Démêler le fil du pêcheur
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel

Les dignes et les indignes

 

1. Bateau ardent ou bateau mou ?

Rappelez-vous : devant la grille du lycée pour lire les résultats du Bac ; devant votre téléphone en attendant le résultat de l’intervention chirurgicale ; en faisant les cent pas dans le couloir de la maternité… Dans ces moments-là, vous étiez sur des charbons ardents, ne tenant plus en place d’impatience ou d’anxiété. Tout comme quelqu’un qui ne peut poser ses pieds sur des braises est obligé de danser sans cesse d’un pied sur l’autre. Comme le dit un proverbe biblique : « Peut-on marcher sur des charbons ardents sans se griller les pieds ? » (Pr 6,28).

 

Dans la première lecture (Is 6,1–8), les lèvres d’Isaïe sont touchées par un charbon ardent, et du coup il devient lui-même ardent à partir en mission : « Me voici, envoie-moi ! ». Il y a une impatience prophétique dans cet appel d’Isaïe, que Jésus va transmettre lui aussi aux pêcheurs du lac de Génésareth (Lc 5,1–11). Après la pêche exceptionnelle obtenue sur l’ordre de Jésus, au lieu de soigneusement stocker et saler le poisson pour le vendre ensuite, « laissant tout, ils le suivirent ». Il y a donc une urgence qui parcourt la vocation d’Isaïe et des Douze.

 

Sur des charbons ardents dans Communauté spirituelle depart-lof-grand-spiEn français, ardent désigne un voilier qui a tendance à remonter au vent, à lofer, c’est-à-dire à se rapprocher de l’axe du vent. À certaines allures – au près ou au près bon plein notamment – la plupart des voiliers vont avoir tendance à tourner vers le vent, c’est-à-dire que la barre va tirer du côté du vent. Le voilier est plus ou moins ardent en fonction de la force du vent. Plus le vent forcit, plus le bateau est ardent et se met à gîter. Cela nécessite de constamment jouer avec sa barre pour tenir son cap. Il faudra donc prodiguer plus d’effort pour maintenir le bateau sur sa route. À l’inverse, on dit d’un bateau qui s’éloigne de cet axe du vent que c’est un voilier « mou » : il aura tendance à abattre sans cesse. La métaphore vaut pour notre désir de suivre le Christ. Dans ma navigation vers Lui, suis-je ardent ou mou ?

Paul souhaite que nous soyons un peuple ardent, ardent à faire le bien : « Christ s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien » (Tite 2,14 ; lecture de la nuit de Noël).

 

Peut-être devrions-nous également être sur les charbons ardents pour supplier : « Envoie-moi ! »

Brûlons-nous encore d’impatience de suivre le Christ et d’être envoyés par lui ?

 

2. Les charbons ardents du pardon

Le sens premier du charbon ardent pour Isaïe est bien celui-là : être purifié de ses fautes pour pouvoir annoncer la parole de YHWH : « Ce charbon a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné ». Dans les Évangiles, le lien entre charbons ardents et pardon est un souvenir douloureux pour Pierre. Car c’est alors qu’il se chauffait auprès d’un tel foyer avec les gardes et les servantes dans la cour du Grand Prêtre qu’il va renier trois fois son ami par peur d’être arrêté lui aussi : « Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un braséro de charbons pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer » (Jn 18,18). Mais, lors de la seconde pêche miraculeuse sur le lac (la première étant celle de ce dimanche), Pierre en débarquant constate que Jésus a préparé un barbecue spécialement pour lui : « Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposés là, des charbons allumés avec du poisson posé dessus, et du pain » (Jn 21,9). Les charbons ardents de ce barbecue vont rappeler à Pierre son triple reniement. Et ils annoncent le triple pardon donné par Jésus : « M’aimes-tu ? Pais mes brebis ».

 

Sur-des-charbons-ardents ardent dans Communauté spirituellePourquoi ce lien entre charbons ardents et rémission des péchés ? Sans doute à cause du phénomène de sublimation (passage d’un état physique à un autre) qu’ils permettent. Isaïe voit le Temple rempli de fumée : ce sont les grains d’encens qui en tombant sur les charbons rougeoyants se transforment instantanément en volutes d’encens parfumées. « Le grand prêtre prendra alors un brûle-parfum rempli de charbons ardents qui étaient sur l’autel, devant le Seigneur, puis il prendra deux pleines poignées de poudre d’encens aromatique et portera le tout au-delà du rideau » (Lv 16,12).

Ézéchiel prendra la même image pour évoquer la mission purificatrice du Fils de l’homme : « Le Seigneur dit à l’homme vêtu de lin : “Entre par les espaces du cercle sous le Kéroub ; prends à pleines mains des charbons ardents par les espaces entre les Kéroubim, et répands-les sur la ville” » (Ez 10,2).

Et les charbons incandescents vont purifier l’offrande de toutes ses impuretés : « Mets la marmite vide sur les charbons pour qu’elle chauffe ; que le bronze rougisse, que les impuretés fondent à l’intérieur et que la rouille soit consumée ! » (Ez 24,11).

Freud a transposé ce phénomène de sublimation aux pulsions psychiques qui nous animent : certaines activités humaines – comme par exemple la création littéraire, artistique ou intellectuelle – tirent leur force de la conversion de désirs primaires vers un but socialement plus élevé. Le célibat peut ainsi devenir une énergie de transformation qui conduit à mobiliser l’être tout entier au service de buts plus hauts (service des pauvres, ascèse spirituelle etc.). La conversion du charbon en chaleur et des grains d’encens en vapeur évoque cette symbolique où l’on atteint au sublime par le passage d’un état à un autre.

 

Dans les pays nordiques, on utilise des pierres chaudes selon le même principe pour le sauna familial. Il suffit de verser une bonne louche d’eau sur les pierres chauffées pour que le sauna s’emplisse de vapeur, purifiant le corps de ses toxines.

Une pierre chaude était ainsi conservée dans tous les anciens foyers orientaux comme moyen d’appliquer de la chaleur à des fins domestiques. Pour faire des gâteaux (« cuit sur les pierres chaudes », 1R 19,6), ou pour rôtir de la chair, la pierre était d’abord chauffée au feu, et la pâte humide ou la chair étalée sur elle. Pour faire bouillir le lait, la pierre chaude y était plongée lorsqu’elle était contenue dans la peau de cuir qui servait à la fois de chaudron et de broc. En bref, la pierre chauffée était un moyen primitif d’appliquer le feu partout où le feu était nécessaire.

 

processus-cuisson-du-poisson-dorado-gril-du-poisson-grille-au-citron-bbq-bonne-nourriture-generative-ai_136403-19548 charbonsLa parole trop humaine d’Isaïe est ainsi « sublimée » pour devenir la parole de YHWH.

Ses lèvres n’en sont pas brûlées pour autant au contact du charbon : c’est sa bouche qui désormais peut exhaler l’encens de la Parole divine alors qu’elle n’était que langage grossier auparavant.

Ce même phénomène de sublimation est à l’œuvre dans le barbecue de Jésus sur la plage : les braises incandescentes vont transformer le poisson cru immangeable en chair grillée  devenue nourriture. Le pardon du Christ a ce pouvoir de faire de nous des êtres comestibles et nourrissants, nous qui étions bruts et gluants… 

Le pardon de YHWH a le pouvoir de sublimer notre péché pour que notre vie devienne un parfum agréable à tous ; il transforme notre parole grossière en annonce prophétique fidèle.

Raison de plus pour désirer recevoir ce pardon et le mettre en œuvre !

 

3. Des charbons ardents sur la tête

Par curiosité, faisons un petit détour par un autre usage des charbons ardents, mentionné par Paul en Rm 12,20 (citant Pr 25,22) : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire : en agissant ainsi, tu entasseras sur sa tête des charbons ardents ».

maxresdefault IsaïeDonner à manger et à boire, on voit bien ce que c’est ; mais que viennent faire ces boulets rouges sur la tête de mon ennemi ? C’est qu’autrefois, on n’avait pas de briquet ni d’allumage piézo-électrique ! Pour allumer un feu à la maison, il fallait d’abord en chercher chez les voisins : on frappait à leur porte, avec un vase d’argile sur la tête pour récolter les charbons ardents qu’ils voudraient bien nous donner, et les rapporter à la maison sans se brûler. Paul appelle ainsi à ne pas attendre que notre ennemi nous demande du feu, mais à lui donner au préalable, sans condition. L’amour des ennemis est ici on ne peut plus concret. Lui donner de quoi manger et boire, de quoi se chauffer et cuisiner. 

Les charbons ardents qui purifient les lèvres d’Isaïe pour sa mission deviennent ainsi la promesse d’une réconciliation possible avec l’ennemi du moment, à l’initiative du prophète.

 

4. À prendre avec des pincettes

Terminons avec un détail amusant et signifiant à la fois : les pincettes de l’ange !

« L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche ».

Alors que le Fils de l’homme prend les braises à pleines mains (Ez 10,2), le séraphin est obligé de prendre le feu de Dieu avec des pincettes…

 mission« Avec des pincettes » : en français, depuis l’hygiénisme du XIX° siècle surtout, on emploie cette expression pour désigner des personnes pas très propres, ou dangereuses à approcher. Car on utilisait des pincettes pour déplacer des choses sales sans les toucher, par souci d’hygiène. Par extension, on dit aujourd’hui d’une information qu’elle est à prendre avec des pincettes, car on n’est pas sûr de sa qualité (les fake news pullulent !). Par hyperbole, on dira d’un colérique qu’il n’est pas à prendre avec des pincettes, c’est-à-dire que même avec mille précautions, on n’en tirera rien de bon si on s’approche de lui !

 

Sur l’autel du Temple, le charbon ardent du pardon est à prendre avec des pincettes. Ce n’est pas parce que le feu purificateur du pardon serait sale ou dangereux, bien sûr. C’est tout simplement parce qu’il est brûlant : le pardon ne se manipule pas avec légèreté, sans précaution. Il demande du doigté, une forme de pédagogie et d’approche pour pouvoir toucher les lèvres de l’impur. Sinon, il vous brûlera avant que vous puissiez en toucher celui à qui vous offrez ce pardon. 

C’est tout un savoir-faire que d’aller saisir la braise de la réconciliation avec la pince pour la déposer sur autrui… Rien de plus délicat que l’art de transmettre le pardon qui vient de Dieu !

Entre Israël et Gaza, entre l’Ukraine et la Russie, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, entre les frères ennemis du Congo et du Rwanda etc., le pardon est à prendre avec des pincettes, ce qui exige diplomatie, négociations, précautions, marques de respect mutuel, acceptation de la durée… Ce qui ne dispense pas du commandement d’amour des ennemis, mais lui ouvre un chemin patient et exigeant.

 

Charbons ardents, barbecue, pincettes : que la parole de Dieu ce dimanche nous brûle au plus intime jusqu’à nous écrier avec Isaïe : « Me voici, envoie-moi ! »

Qu’attendons pour aller au charbon ?….

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Me voici : envoie-moi ! » (Is 6, 1-2a.3-8)

Lecture du livre du prophète Isaïe
L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils se criaient l’un à l’autre : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire. » Les pivots des portes se mirent à trembler à la voix de celui qui criait, et le Temple se remplissait de fumée. Je dis alors : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! » L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche et dit : « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. » J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ? » Et j’ai répondu : « Me voici : envoie-moi ! »

Psaume
(Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 4-5, 7c-8)
R/ Je te chante, Seigneur, en présence des anges.
(cf. Ps 137, 1c)

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

Tous les rois de la terre te rendent grâce
quand ils entendent les paroles de ta bouche.
Ils chantent les chemins du Seigneur :
« Qu’elle est grande, la gloire du Seigneur ! »

Ta droite me rend vainqueur.
Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.

Deuxième lecture
« Voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez » (1 Co 15, 1-11)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Évangile, vous l’avez reçu ; c’est en lui que vous tenez bon, c’est par lui que vous serez sauvés si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé ; autrement, c’est pour rien que vous êtes devenus croyants. Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, il est apparu à Pierre, puis aux Douze ; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois – la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont endormis dans la mort –, ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis. Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu. Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi.
Bref, qu’il s’agisse de moi ou des autres, voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez.

Évangile
« Laissant tout, ils le suivirent » (Lc 5, 1-11)
Alléluia. Alléluia.
« Venez à ma suite, dit le Seigneur, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Alléluia. (Mt 4, 19)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient. à cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

Patrick BRAUD

 

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