L'homélie du dimanche (prochain)

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26 janvier 2025

Syméon l’anti-bernique

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Syméon l’anti-bernique

 

Homélie pour la fête de la Présentation du Seigneur au Temple / Année C
02/02/25


Cf. également :

Chandeleur : les relevailles de Marie

Chandeleur et Vie Religieuse : vos Vœux nous Intéressent

Quand le corps tombe en ruines 

 

1. Nunc dimittis

Syméon l’anti-bernique dans Communauté spirituelle Nunc-Dimittis-Musique-de-la-Collection-DubenUn journaliste raconte que Jean-Marie Le Pen – bête de scène à son époque – était un jour invité à une émission politique, style l’Heure de vérité ou autre. À la fin, l’intervieweur lui pose la question : ‘Que diriez-vous si un jour c’était votre fille et non vous-même qui était élue Présidente de la République ?’ Le vieux lion au verbe acéré répondit : « Nunc dimittis ». Silence embarrassé du journaliste, qui attendait dans son oreillette l’explication de ces mots inconnus, car sa culture latine devait être aussi faible que sa culture biblique…
Rassurez-vous : je ne partage ni les idées ni la stratégie de feu Jean-Marie Le Pen, mais avouez que sa réplique avait du panache ! « Nunc dimittis » : c’est bien sûr le début en latin du cantique de Syméon de notre Évangile de la Présentation (Lc 2,22-40), que les moines et moniales chantent tous les soirs à l’office de Complies :

« Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. 

(Nunc dimittis servum tuum, Domine, secundum verbum tuum in pace).

Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »

 

La version sécularisée cet hymne peut convenir à beaucoup de situations : ici au vieux leader qui cède la place à sa fille, là aux champions sportifs qui comme Nadal ou Federer savent raccrocher leur raquette au sommet de leur gloire, ou encore lorsqu’un chef d’entreprise familiale sait vendre son bébé à temps et s’en détacher, ou lorsque comme Syméon l’on pressent que le but d’une vie est désormais atteint. Cet art de l’effacement de soi une fois l’objectif réalisé fait évidemment penser à l’attitude de Jean-Baptiste qui au Jourdain s’efface derrière la valeur montante qu’est son cousin  : « Il faut qu’il croisse et que je diminue » (Jn 3,30). Dans les deux cas, toucher à la plénitude est source de détachement et de dépossession. Au lieu de se cramponner à un poste de pouvoir comme font les politiques une fois élus – jusqu’à atteindre des âges déraisonnables – Syméon et Jean-Baptiste laissent la course se poursuivre sans eux. Ils ont fait leur part du travail. Ils peuvent décrocher en paix.

 

Âge des dirigeants en févirer 2024

Âge des dirigeants en février 2024

 bernique dans Communauté spirituelleAvec les années, comment ne pas se sentir concerné tôt ou tard par ce courageux lâcher-prise ? Que ce soit pour laisser ses enfants continuer leur trajectoire sans vous, pour remettre à d’autres la responsabilité de ce que vous avez bâti, pour susciter des vocations nouvelles au lieu d’être l’indéboulonnable, l’indispensable, vous ferez tôt ou tard cette expérience : il est temps pour moi de partir en vous transmettant les clés. Ne pas consentir à cet effacement, c’est préférer la reconnaissance sociale à l’efficacité, c’est instrumentaliser les responsabilités pour sa propre gloire au lieu de servir, c’est compromettre l’avenir de ceux qui viendront après…

 

C’est si commun ! Ces gens me font penser aux « chapeaux chinois » (les berniques), ces coquillages que nous récoltions enfants sur les rochers des plages de Bretagne : il fallait un bon couteau et pas mal de patience et de force pour les détacher de leur rocher auquel ils étaient collés de toute la puissance de leur muscle-ventouse. « Comme une bernique à son rocher » est devenue une expression populaire désignant l’attitude des personnes-sangsues qui restent scotchées à leurs galons, à leur poste en entreprise ou association, voire à leur partenaire, tant et si bien qu’on n’arrive jamais à les décoller !

 

Syméon est l’anti-bernique par excellence !

Célébrer la Présentation au Temple ce dimanche nous invite à puiser en nous cette liberté spirituelle : savoir discerner quand c’est le moment de raccrocher et comment le faire avec panache. Sacré enjeu !

 

2. J’ai achevé ma course

b24af3b58b4686b1e9731305b4df4caa suicideJe me souviens de ma grand-mère, à plus de 80 ans (dans les années 60, on était un vieillard à ces âges-là !), Veuve depuis longtemps, elle me confiait tristement : ‘Le bon Dieu m’a oublié. Je connais plus de monde là-haut qu’ici-bas. J’ai terminé mon tour de piste maintenant et je ne sais pas ce que je fais encore là. Je prie Dieu chaque jour de venir me chercher’. Ce discours me faisait pleurer à chaque fois dans ses bras, mais instinctivement je ne cherchais pas à la contredire, ni à la dissuader de prier pour partir. Car au fond, une fois qu’on a accompli 99 % du programme initial, il ne reste plus grand-chose. Je trouvais qu’elle n’avait pas tort finalement de se languir en trouvant le temps bien long. Et pour les croyants, la perspective d’aller rejoindre la famille des aimés de l’au-delà vaut mieux que la longue et solitaire attente au bout du couloir…

 

Avec de tels raisonnements, je ne suis pas loin du plaidoyer pour le suicide assisté ! Vient un moment où quelqu’un peut discerner qu’il est temps pour lui de partir. Syméon nous pousse à y réfléchir : désirer mourir non pas pour éviter la souffrance, la douleur insupportable - car ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans le texte de Luc - mais mourir… de plénitude ! Quand on se dit à soi-même : ‘J’ai fait l’essentiel. Maintenant, tout le reste n’est plus que prolongations’, c’est qu’on a vraiment envie de rentrer aux vestiaires…

N’allez pas trop vite crier au scandale ! Souvenez-vous que Paul lui-même confiait ressentir cette envie de mourir à l’approche du martyre de Rome vers lequel il voyageait, inexorablement : « Moi, en effet, je suis déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » (2Tm 4,6-7). Et : « Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire » (Ph 1,23-24).

« J’ai achevé ma course » : c’est ce que cherchait à me dire ma grand-mère. C’est ce que cherchent à nous dire – pour qu’on les respecte dans cette volonté – les milliers de gens qui ont recours chaque année à cette procédure là où elle a été légalisée sous strictes conditions (Suisse, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Canada, Espagne, Australie, Autriche, quelques états des USA etc.).

 

StatsSuicideAssisteSuisse Syméon

 

Précisons tout de suite que Syméon ne cherche pas à mourir, mais se déclare prêt à accueillir la mort maintenant qu’il a vu le Messie. On ne peut donc pas tordre le texte de son cantique pour le transformer en plaidoyer pour le suicide assisté ! Surtout que la plupart des demandes ont pour but d’éliminer la souffrance, alors que Syméon est au contraire dans la plénitude de la joie maintenant que sa mission est accomplie. 

Reste que l’envie de mourir n’est pas illégitime pour Syméon ou Paul, une fois l’essentiel de leur mission achevé. C’est ce qu’exprime l’expression populaire (imaginée par Goethe semble-t-il) : « Voir Naples et mourir » (en italien : ‘Vedi Napoli e poi muori’ ; littéralement : ‘Vois Naples et puis meurs’). Elle est couramment employée par les Napolitains, si imprégnés de la beauté envoûtante de leur ville qu’ils estiment allégoriquement qu’après une telle émotion, la vie n’a plus de sens. Du haut de ses 2700 ans d’existence, la ville mérite bien un tel engouement par l’unique diversité, la concentration et la richesse de son patrimoine historique, architectural, culturel, artistique, musical, gastronomique, sociologique, balnéaire et la douceur de son climat.

Il y a quelques moments comme celui-là devant la baie de Naples où l’on peut dire : « Maintenant, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix… »

 

Les bonnes âmes charitables vont protester en multipliant les lotos et les ateliers de gymnastique douce dans les EHPAD pour enthousiasmer les résidents languissants… Mais rien n’y fait. Certains deviennent imperméables aux promesses d’un mieux-être à leur âge : « Ma vie est derrière moi ». Et qui pourrait les convaincre du contraire ? Bien sûr, il y a toujours, jusqu’au bout, de vrais moments de joie, d’amitié et de fraternité à partager. Ceux qui visitent régulièrement les personnes âgées solitaires, à domicile ou en institution, le savent pourtant bien : quelques éclairs d’amitié ou de plaisir partagé ne lavent pas la grisaille quotidienne qui se dépose jour après jour, jusqu’à tout recouvrir. Alors, on attend la fin, et on en vient à la souhaiter.

 

L’opposition de l’Église catholique au suicide assisté est bien connue : la vie est sacrée, nul n’a le droit d’en disposer, même pour soi-même (« Tu ne tueras pas »), seule la fin dite ‘naturelle’ est légitime (Catéchisme de l’Église catholique, nos 2280–2283). Et l’Église catholique est très vigilante – à raison – sur les dérives possibles d’une légalisation du suicide assisté, notamment pour les personnes vulnérables (âgées, handicapées). Le catéchisme reconnaît quand même la « proportionnalité des soins » et le refus de « l’acharnement thérapeutique ».« On ne veut pas ainsi donner la mort ; on accepte de ne pas pouvoir l’empêcher » (n. 2278). Évoquant la question de la souffrance, le Catéchisme assure que « l’usage des analgésiques pour alléger les souffrances du moribond, même au risque d’abréger ses jours, peut être moralement conforme à la dignité humaine si la mort n’est pas voulue, ni comme fin ni comme moyen, mais seulement prévue et tolérée comme inévitable » (n. 2279). La doctrine catholique assure par ailleurs que « les soins palliatifs constituent une forme privilégiée de la charité désintéressée ». À ce titre, ils sont « encouragés ». 

Mais la position sur le suicide assisté est sans nuance : « la coopération volontaire au suicide est contraire à la loi morale »…

En contrepoint, on a déjà étudié les récits de suicide dans la Bible (cf. Quand le corps tombe en ruines), où les rédacteurs ne prennent pas position pour ou contre, ce qui laisse la question ouverte.

 

En France, la dissolution malheureuse de juin 2024 a reporté le débat en cours préparant un vote d’une loi sur la fin de vie. Dans une interview du 10/03/2024 à La Croix &  Libération, Emmanuel Macron précisait les conditions d’accès prévues pour l’aide à mourir :

642695439d9f8_080-hl-mgruss-1915845- E.M. : Cet accompagnement sera réservé aux personnes majeures, comme la Convention citoyenne l’avait recommandé. Deuxième condition : les personnes devront être capables d’un discernement plein et entier, ce qui signifie que l’on exclut de cette aide à mourir les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer. Ensuite, il faut avoir une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme. Enfin, le quatrième critère est celui de souffrances – physiques ou psychologiques, les deux vont souvent ensemble – réfractaires, c’est-à-dire que l’on ne peut pas soulager. Si tous ces critères sont réunis, s’ouvre alors la possibilité pour la personne de demander à pouvoir être aidée afin de mourir. Ensuite, il revient à une équipe médicale de décider, collégialement et en transparence, quelle suite elle donne à cette demande.

 

- La Croix & Libération : Vous excluez le terme de suicide assisté, mais si l’équipe médicale accède à la demande, ce sera bien au patient d’effectuer le geste final, le geste létal ?

 

- E.M. : Je vais vous lire ce qui est écrit dans le projet de loi. « L’administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même ou, lorsque celle-ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsque aucune contrainte d’ordre technique n’y fait obstacle, soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne ».

 

Que vous soyez ou non d’accord avec la possibilité du suicide assisté, il faut vous y préparer, comme phénomène de société. C’est la responsabilité des chrétiens que de réfléchir aux questions que cela pose, et d’accompagner – sans condamner, même s’il faut poser des repères – ceux qui voudraient s’y engager.

Sommes-nous prêts ?

 

« J’ai achevé ma course » : viendra un moment où nous pourrons faire nôtre cette plénitude qui nous libère du devoir d’être là.

« Nunc dimittis » : plusieurs fois dans notre existence, nous aurons l’occasion de nous détacher, de laisser les autres aller plus loin sans nous.

Allons-nous nous accrocher, telle la bernique sur son rocher, où allons-nous avec pleine confiance consentir à nous effacer ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez » (Ml 3, 1-4)

Lecture du livre du prophète Malachie
Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient – dit le Seigneur de l’univers. Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs. Il s’installera pour fondre et purifier : il purifiera les fils de Lévi, il les affinera comme l’or et l’argent ; ainsi pourront-ils, aux yeux du Seigneur, présenter l’offrande en toute justice. Alors, l’offrande de Juda et de Jérusalem sera bien accueillie du Seigneur, comme il en fut aux jours anciens, dans les années d’autrefois. Parole du Seigneur.

Psaume
(Ps 23 (24), 7, 8, 9, 10)

R/ C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ; c’est lui, le roi de gloire. (Ps 23, 10bc)

Portes, levez vos frontons,
élevez-vous, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !

Qui est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur, le fort, le vaillant,
le Seigneur, le vaillant des combats.

Portes, levez vos frontons,
levez-les, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !

Qui donc est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ;
c’est lui, le roi de gloire.

Deuxième lecture
« Il lui fallait se rendre en tout semblable à ses frères » (He 2, 14-18)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Puisque les enfants des hommes ont en commun le sang et la chair, Jésus a partagé, lui aussi, pareille condition : ainsi, par sa mort, il a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable,     et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves.     Car ceux qu’il prend en charge, ce ne sont pas les anges, c’est la descendance d’Abraham.     Il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu, afin d’enlever les péchés du peuple.     Et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion, il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve.

Parole du Seigneur.

Évangile
« Mes yeux ont vu ton salut » (Lc 2, 22-40)
Alléluia. Alléluia. Lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. Alléluia. (Lc 2, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.

Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »
Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »
Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de 84 ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Patrick BRAUD

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19 janvier 2025

Pleurer de joie

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Pleurer de joie

 

Homélie pour le 3° Dimanche du Temps ordinaire / Année C
26/01/25


Cf. également :

Fixer les yeux sur le Christ
Faire corps
Saules pleureurs
L’Aujourd’hui de Dieu dans nos vies
L’événement sera notre maître intérieur
Accomplir, pas abolir

 

1. La dernière fois, c’était quand ?

Pleurer de joie dans Communauté spirituelleSeptembre dernier : je découvre la ville de Split, station balnéaire le long de la côte bulgare de la mer Noire. Détour obligé par le petit musée local, sans intérêt à vrai dire. Tout en passant rapidement devant les maigres tableaux disséminés çà et là, je perçois les lourdes vibrations d’un violoncelle descendant du troisième étage. Il n’est pas seul : un violon lui tient tête parfois, alors qu’un piano se déchaîne en toile de fond. Curieux, je monte jusqu’à une grande salle où seuls trois jeunes instrumentistes répètent une œuvre  inconnue qui m’ensorcelle aussitôt. Sans les déranger, je m’assois et les écoute, les contemple, dans leur répétition difficile. Deux heures après, ils jouent l’ensemble de ce que je saurai ensuite être le Trio opus 4 de Vladigerov, compositeur bulgare contemporain. L’œuvre est âpre, rugueuse, violente, parsemée d’éclairs et d’éclaircies, à mi-chemin entre Mahler et Chostakovitch. Fasciné, je me surprends à essuyer de mes paupières des larmes qui n’étaient pas invitées… Ce trio était si beau, si intense que j’en pleurais de joie sans le savoir depuis de longues minutes ! Je suis redescendu de cette « générale » bouleversé, dans un état de désordre intérieur, les yeux lavés par cette rosée musicale incontrôlée. J’avais rencontré une musique qui me disait qui je suis, et cette coïncidence de soi à soi s’opérait dans des larmes éblouies…

 

Et vous, c’était quand la dernière fois que vous avez pleuré de joie ?

Si vous avez du mal à vous le raconter, inquiétez-vous…

C’est peut-être aussi simple que l’émotion heureuse d’un bon ami – fort gaillard barbu de  près de 2m de haut – voyant son fils tenir sa petite-fille juste née dans ses bras. Il a craqué, me disait-il, avec le doux plaisir du sportif recevant sa médaille d’or.

C’est peut-être une lecture, un paysage, votre conjoint contre vous …

C’était quand la dernière fois que vous avez pleuré de joie ?

 

2. Aimer la Torah à en pleurer

 charisme dans Communauté spirituelleDans notre première lecture (Ne 8,2–10), les juifs de retour d’exil à Babylone vivent une expérience semblable dans le Temple de Jérusalem. Le scribe et grand prêtre Esdras y avaient retrouvé un exemplaire de la Torah, miraculeusement rescapé des flammes et de la destruction des Perses. Il en fait une lecture publique (avec traduction car c’était en hébreu, qu’ils ne parlaient plus depuis leur départ, et explication car le texte n’est rien sans l’interprétation). La réaction du peuple est bouleversante : « Ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi ».

Esdras, habitué aux larmes des exilés faites de tristesse et de douleur, croit que c’est une manifestation de détresse devant ce qu’ils ont manqué depuis tant d’années hors d’Israël. Peut-être se trompe-t-il : le peuple fond de bonheur en touchant de près à nouveau le trésor de sa foi. Il prend conscience de la beauté, la grandeur de ce qui est lu pour lui, et il en pleure de joie ! Il ne prend pas le deuil : au contraire, il se réjouit de sa renaissance ! Aussi met-il en pratique ce qu’Esdras lui demande avant même qu’il le demande : « Ne prenez pas le deuil, mangez et buvez, partagez, ne vous affligez pas, car la joie du Seigneur est votre rempart ».

 

Avez-vous jamais pleuré en écoutant ou en lisant la Bible ? 

Pleuré au point de laisser réellement couler ces perles d’abandon que sont les larmes du peuple écoutant Esdras ?

Vous avez sans doute pleuré devant un paysage à couper le souffle, ou quand une musique vous perce le cœur, ou devant l’être aimé qui vous comble de bonheur… Mais avez-vous souvenir d’une telle émotion à la lecture d’un passage biblique, à l’audition d’une homélie sur des lectures du dimanche, à l’écho qu’une parole de Dieu a suscité en vous ? Si non, priez instamment pour que ce don des larmes vous soit fait avant de mourir ! Celui qui est imperméable à la parole biblique au point de la laisser ruisseler sur lui comme sur les plumes d’un canard sans jamais en être inondé peut-il vraiment en vivre ? Comment un saule pourrait-il s’épanouir s’il n’était plus pleureur grâce à ses racines puisant l’eau du fleuve ?

 

3. Le don de larmes

9782220095011-475x500-1 joieLes siècles précédents faisaient l’éloge de cette capacité à laisser couler ses larmes au lieu de les réprimer ou de les assécher. Les Pères de l’Église, et plus encore les mystiques et les auteurs spirituels du Moyen Âge parlaient de ces larmes comme d’un don de Dieu. Un de ces charismes dont Paul fait la liste dans notre deuxième lecture (1Co 12,12–30). Car c’est l’Esprit Saint lui-même qui vient pleurer en nous lorsque nous nous abandonnons à la contrition, à la tristesse ou à la joie. On peut d’ailleurs légitimement reprocher aux évangélistes d’avoir pudiquement écarté les larmes de joie de leurs écrits. On y voit Marie de Béthanie pleurer en essuyant les pieds de Jésus de ses larmes, ou bien Jésus lui-même pleurer devant Lazare au tombeau, devant Jérusalem, à Gethsémani, mais pas de joie. Les évangélistes se boucheraient-ils le nez devant cette heureuse faiblesse qui fait penser à la danse de David devant l’Arche d’Alliance et la réprobation que cette danse débridée suscita parmi les dignitaires d’Israël ? (2S 6) « Cela ne se fait pas… »

Pourtant, imagine-t-on un Jésus qui n’ait jamais pleuré de joie ? Impossible ! C’est donc la pudeur mal placée de ses apôtres et disciples qui l’ont passé sous silence – comme son rire –  trop suspect au regard de la culture ambiante.

Heureusement, les chrétiens par la suite ont rompu ce silence : ils ne se sont pas privés de pleurer de joie ! Ils pleuraient bien sûr des larmes de tristesse devant le péché lors de leur conversion, de douleur et d’affection devant la détresse des autres, de souffrance  physique et morale etc. Ils pleuraient de joie également.

Guillaume de Saint Thierry (XII° siècle), Hugues de Balma (XIII°), Denys le Chartreux (XV°) etc. : tout le Moyen Âge est irrigué par ce don des larmes, « ravissement », « nouveau baptême », « ablution intérieure », « suavité spirituelle », « torrent de délices », « béatitude de la Présence » … Dans cette opération, les larmes jaillissent pour manifester la joie spirituelle donnée par Dieu.

Comment oublier le bout de papier cousu dans la doublure du manteau de Blaise Pascal afin de garder la trace de son éblouissement intérieur lors de sa conversion : « Père juste, je t’ai connu ! Joie ! Joie ! Joie ! Pleurs de joie ! ».

« L’âme est émue de pleurs de joie. L’esprit conçoit une joie ineffable qui ne peut plus être cachée et qu’aucun mot ne peut exprimer… Il n’est pas dit ‘Heureux le peuple qui dit sa joie’, mais qui la connaît – cette joie qui peut être connue ne peut se dire. Elle est ressentie mais elle est bien au-delà de tout sentiment. La conscience de celui qui la ressent ne suffit pas à la contempler, comment pourrait-elle jamais l’exprimer. Je verrai ta face dans l’allégresse (Jb 33, 26) ».

Grégoire le Grand, Moralia 23, 10

 

Augustin, dont les Confessions sont toutes ruisselantes de larmes, s’interroge : « pourquoi les larmes sont-elles douces aux affligés ? » Et il se souvient que sa conversion si tardive s’est accompagnée de pleurs nombreux et durables :

« À ces hymnes, à ces cantiques célestes, quel torrent de pleurs faisaient jaillir de mon âme violemment remuée les suaves accents de ton Église ! Ils coulaient dans mon oreille, et versaient ta vérité dans mon cœur ; ils soulevaient en moi les plus vifs élans d’amour ; et mes larmes roulaient, larmes délicieuses !

Confessions, Augustin, IX, VI, 14.

Ces larmes de joie annoncent la présence de Dieu. Elles surviennent quand quelque chose dans notre vie apparaît plus grand que nous-même et se voit touché par une transcendance, quand quelque chose de plus grand vient transfigurer l’instant.

 

Il y a au moins quatre situations positives qui peuvent engendrer en nous des larmes de joie :

mouchoirs-ceremonie-laique-800x532 pleurer- Les larmes d’affection

L’amour est l’émotion qui nous fait le plus vibrer. Il est très facile d’éprouver ce sentiment dans lequel tout à coup un mot, un geste, un câlin ou un moment partagé nous excite suffisamment pour nous faire pleurer.

Il en va de même avec la tendresse. Par exemple, quand nous tenons un bébé dans nos bras ou quand notre animal fait quelque chose qui nous semble mignon, une larme de joie peut très facilement s’échapper…

 

- Le frisson du triomphe, les larmes du dépassement

Gagner un match, réussir un examen, décrocher un emploi après un entretien… Des larmes de joie peuvent également surgir dans ces situations où, après un certain temps d’efforts, de rêves et de sacrifices, nous réalisons quelque chose. Le dépassement de soi trouble intensément.

 

- L’inspiration et la beauté

Un lever de soleil en mer… Les vues aériennes d’un cadre naturel d’une beauté à couper le souffle… Voir notre œuvre picturale préférée face à face… Profiter d’une pièce de théâtre qui nous émeut profondément… Aller à un concert du groupe que nous aimons tant… Les larmes de joie se nourrissent également de l’esthétique, du naturel et du culturel.

 

- Le rire partagé

Il y a peu de plaisirs plus satisfaisants que de pleurer de rire avec les gens que l’on aime. Rire à en pleurer, jusqu’à ce que notre ventre nous fasse mal… Pourquoi s’en priver ? C’est un plaisir authentique qui mêle émotions positives et humour : un bonheur authentique.

 

Les larmes sont bien à recevoir comme un cadeau, un don gratuit, non mérité.

Elles sont un cadeau parce qu’elles signifient la présence de quelqu’un. Je pense que l’on ne pleure pas quand on est vraiment seul. Si l’on pleure et qu’on est seul, c’est qu’on pleure devant quelqu’un. Ce quelqu’un peut être Dieu, ce peut être aussi celui auquel on pense et qui s’est absenté ou qui est mort, mais qui est présent sous forme d’absence, si je puis dire. Celui qui est absolument déserté par ses proches ne pleure pas. Nous en avons tous fait l’expérience, quand nous sommes en présence d’une personne de confiance, nous nous mettons à pleurer. Un ami arrive, on se lâche et on se met à pleurer. Les larmes sont donc le signe d’une présence, c’est pourquoi elles sont un cadeau.

 

4. Ouvrir les vannes

Au fond, sait-on jamais pourquoi on pleure ? Il y a bien des larmes qui sont sans raison, des larmes qui, en somme, nous échappent. N’est-ce pas celles-ci, justement, qui ont le plus de sens ? Dans la tradition chrétienne, ces larmes permettent la révélation de ce qu’est l’homme, en vérité, devant Dieu. Elles ne viennent pas de nous : elles nous sont données, gratuitement, par pure grâce.

C’est un exutoire de la peine intérieure, antidote à toutes les sécheresses. Les larmes, « sang des blessures de notre âme » selon Grégoire de Nysse, sont aussi l’eau d’un baptême renouvelé, qui purifie, lave des péchés, lorsqu’elles signent une contrition profonde. Et au bout du chemin, sous la plume du moine Macaire-Syméon, ce sont « des perles précieuses que le flot de ces bienheureuses larmes ».


Le fluide vital que sont les larmes n’est pas seulement un signe de déploration et de lâcher-prise, mais aussi la manifestation d’un réveil de la sensibilité, d’une rupture dans l’anesthésie du cœur.

La langue française a d’ailleurs mille manières de le suggérer avec des expressions comme « pleurer à chaudes larmes », « pleurer comme un enfant », « des larmes dans la voix », « avoir les larmes au bord des yeux », « n’avoir plus d’yeux que pour pleurer », « rire à en pleurer », ou encore cette interjection populaire : « Pleure, ça te fera du bien ».

Mais l’énergie interne des larmes est également une énergie profondément jubilatoire :  

« Pascal ne profère pas la foi au début de sa conversion : il la pleure. 

Seules les larmes possèdent cette intelligence du cœur pour témoigner de l’extase mystique. Elles n’expliquent rien parce qu’elles ne savent rien. Nous ne comprenons pas pourquoi nous pleurons, car nous pleurons quand, précisément, nous cessons de comprendre. Le sens de la vraie larme est de nous surprendre au-delà de nos logiques » [1].


« Bienheureux ceux qui pleurent … »

Pour quoi, pour qui, coulent vos larmes ?

Acceptez-vous d’entendre l’appel du Christ à laisser jaillir de vous de vraies larmes de compassion, de pénitence ou de joie ? 

Consentez-vous à cette « hémorragie lumineuse de l’âme » (JL Charvet), à cette « rosée de l’être » où nous renaissons à l’amour véritable ? 

 

Nous pleurons parfois sans presque nous en rendre compte, au-delà de nos simples sensations. L’âme est comblée d’une si immense tendresse, qu’elle voudrait fondre non de douleur, mais en larmes de joie. Elle s’en trouve baignée sans avoir rien senti, sans savoir quand elle a pleuré, ni comment. Si les larmes sont pour certains les premiers mots de l’enfance, elles ne font pourtant jamais de l’homme qui pleure un enfant : elles le rendent pareil à un enfant. Le langage d’une âme vraiment atteinte fait l’économie de tout discours comme de toute apparition. Car on ne parle pas plus des larmes que du sommeil d’un enfant. Tout juste de son imprécise joie.

 

Pleurer est l’une des expériences les plus bouleversantes qu’il nous soit donné de vivre.

Là, nous lâchons prise, enfin. 

Là, nous consentons à nous-mêmes, vraiment. 

 

Les hypocrites ne savent pas pleurer, sinon des larmes de crocodile. Les orgueilleux se sont entourés de carapaces pour ne pas se laisser atteindre : leur cuirasse fait ricocher les flèches qui pourraient fendre leur invulnérabilité. Or pleurer, c’est justement accepter d’être vulnérable, d’être touché par le malheur ou le bonheur d’autrui, d’établir un lien d’empathie avec l’autre, avec le monde, avec soi-même, avec Dieu.

 

Il y a tant de barrages qui enclosent notre énergie vitale, tant de digues qui peinent à contenir les grandes marées de nos émotions mieux que les moulins à vent hollandais régulent les niveaux d’eau dans les polders immergés !

Celui qui ne pleure jamais est-il vraiment humain ? 

On devine que la dureté du cœur peut empêcher de pleurer. 

On pressent que la sécheresse des yeux peut venir des boucliers et des cuirasses dont quelqu’un a été obligé de se barder dans son histoire pour ne pas trop souffrir. 

Mais Dieu que les larmes font du bien lorsqu’elles coulent par amour ! 

Comme les vannes d’un barrage qu’on libère et dont les eaux deviennent source d’énergie…
Cette énergie est bien celle de l’Esprit Saint : laisser enfin couler hors de soi ce que l’on s’épuisait à accumuler et à contenir sans rien dire, sans rien exprimer…

 

Entre silence et langage coulent nos larmes… 

Elles traversent le corps de l’homme en prière, et plusieurs parmi vous pourraient témoigner de ces instants de grâce où la prière nous fait littéralement fondre en larmes. C’est un bouleversement de tout notre être, qui peut devenir une étape de la vie spirituelle. 

Larmes de joie ou de compassion, elles nous revêtent d’une grâce purificatrice.
Pendant des siècles, des chrétiens ont recherché, désiré, imploré ce don de larmes aujourd’hui un peu oublié. De sainte Monique à sainte Catherine de Sienne, des Pères du Désert des premiers siècles aux effusions de l’Esprit aujourd’hui, c’est la même promesse des Béatitudes qui s’accomplit : « heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » (Mt 5,5)

C’est un chemin de sainteté.

Refuser de pleurer, ce serait devenir dur comme la pierre, avoir le cœur sec comme un désert (et même le désert contient des sources cachées…). 

Ce serait finalement se haïr soi-même, puisqu’il serait alors impossible de consentir à sa faiblesse.

 

Ce charisme dont Paul serait fier, cette communion du peuple écoutant la Torah dans les larmes, apprenons à les désirer, à les laisser irriguer à nouveau les zones desséchées de nous-même.

Lorsque ce don des larmes nous prend par surprise, lorsqu’il nous déstabilise, réjouissons-nous et laissons faire l’Esprit en nous ! Sans pudeur ni fausse honte : David avait-il honte de danser à demi-nu devant l’Arche d’Alliance ?

Ouvrons les vannes au don des larmes, surtout lorsqu’elles sont de joie…


_______________________________

[1]. Jean-Louis CHARVET, L’éloquence des larmes, DDB, 2000, p. 85.

 

LECTURES DE LA MESSE

1ère lecture : « Tout le peuple écoutait la lecture de la Loi » (Ne 8, 2-4a.5-6.8-10)

Lecture du livre de Néhémie
En ces jours-là, le prêtre Esdras apporta le livre de la Loi en présence de l’assemblée, composée des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre. C’était le premier jour du septième mois. Esdras, tourné vers la place de la porte des Eaux, fit la lecture dans le livre, depuis le lever du jour jusqu’à midi, en présence des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre : tout le peuple écoutait la lecture de la Loi. Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois, construite tout exprès. Esdras ouvrit le livre ; tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée. Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout. Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand, et tout le peuple, levant les mains, répondit : « Amen ! Amen ! » Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, le visage contre terre. Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu, puis les Lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre.
Néhémie le gouverneur, Esdras qui était prêtre et scribe, et les Lévites qui donnaient les explications, dirent à tout le peuple : « Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu ! Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! » Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi. Esdras leur dit encore : « Allez, mangez des viandes savoureuses, buvez des boissons aromatisées, et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt. Car ce jour est consacré à notre Dieu ! Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! »

Psaume : Ps 18 (19), 8, 9, 10, 15
R/ Tes paroles, Seigneur, sont esprit et elles sont vie. (cf. Jn 6, 63c)

La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.

Les préceptes du Seigneur sont droits,
ils réjouissent le cœur ;
le commandement du Seigneur est limpide,
il clarifie le regard.

La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes
et vraiment équitables.

Accueille les paroles de ma bouche,
le murmure de mon cœur ;
qu’ils parviennent devant toi,
Seigneur, mon rocher, mon défenseur !

2ème lecture : « Vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps » (1 Co 12, 12-30)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, prenons une comparaison : notre corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit. Le corps humain se compose non pas d’un seul, mais de plusieurs membres.
Le pied aurait beau dire : « Je ne suis pas la main, donc je ne fais pas partie du corps », il fait cependant partie du corps. L’oreille aurait beau dire : « Je ne suis pas l’œil, donc je ne fais pas partie du corps », elle fait cependant partie du corps. Si, dans le corps, il n’y avait que les yeux, comment pourrait-on entendre ? S’il n’y avait que les oreilles, comment pourrait-on sentir les odeurs ? Mais, dans le corps, Dieu a disposé les différents membres comme il l’a voulu. S’il n’y avait en tout qu’un seul membre, comment cela ferait-il un corps ? En fait, il y a plusieurs membres, et un seul corps. L’œil ne peut pas dire à la main : « Je n’ai pas besoin de toi » ; la tête ne peut pas dire aux pieds : « Je n’ai pas besoin de vous ». Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont indispensables. Et celles qui passent pour moins honorables, ce sont elles que nous traitons avec plus d’honneur ; celles qui sont moins décentes, nous les traitons plus décemment ; pour celles qui sont décentes, ce n’est pas nécessaire. Mais en organisant le corps, Dieu a accordé plus d’honneur à ce qui en est dépourvu. Il a voulu ainsi qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres. Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie.
Or, vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps.
Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l’Église, il y a premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement ceux qui ont charge d’enseigner ; ensuite, il y a les miracles, puis les dons de guérison, d’assistance, de gouvernement, le don de parler diverses langues mystérieuses. Tout le monde évidemment n’est pas apôtre, tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ; tout le monde n’a pas à faire des miracles, à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter.

Evangile : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture » (Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Le Seigneur m’a envoyé, porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération. Alléluia. (Lc 4, 18cd)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus. En ce temps-là, lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge. Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre »
Patrick BRAUD

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17 janvier 2025

IVG : les 50 ans de la loi Veil

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 9 h 32 min

IVG : les 50 ans de la loi Veil

 
Le 17/01/205, nous commémorions les 50 ans du vote de la loi Veil dépénalisant l’avortement en France.

Les buts étaient clairs : éviter les avortements clandestins, dangereux et traumatisants, accompagner les « situations de détresse » où des femmes ne voyaient pas d’autre issue.

Rappelons qu’à l’époque, le délai légal était de 10 semaines. Il est passé à 12 semaines, puis 14 semaines actuellement : le seuil entre le statut d’amas de cellules et celui d’être humain potentiel semble difficile à fixer rationnellement, puisqu’il évolue dans le temps, et en Europe également (le délai est de 24 semaines aux Pays Bas !).

Quels sont les effets un demi-siècle après ?

Environ 250 000 avortements en 2023, contre 210 000 en 1990.


IVG nombre

Source: Statista

Le nombre de naissances diminue parallèlement (dénatalité démographique), ce qui fait exploser le taux d’IVG : en 2023, 1 grossesse sur 4 est interrompue volontairement… (le taux est passé de 0,26 IVG / naissance à 0,35)


IVG taux naissances

Source: Statista


Comment peut-on se réjouir de cette dérive ?

Où est passée la promesse d’une contraception efficace limitant le recours à l’IVG ?

Où sont les mesures (politique familiale, crèches, salaires etc.) qui aideraient les familles qui le veulent à accueillir des enfants ?

Il n’est pas inutile de relire quelques extraits du discours de Simone VEIL, qui aurait sans doute du mal à sabrer le champagne pour ces tristes statistiques… :


Extraits du discours de Simone Veil (26 novembre 1974) 

devant l’Assemblée Nationale

pour présenter le projet de loi sur l’avortement


IVG Repères« Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans que la société paraisse l’encourager ?

C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame.

C’est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme.

 

Enfin, le troisième absent, n’est-ce pas cette promesse de vie que porte en elle la femme ? Je me refuse à entrer dans les discussions scientifiques et philosophiques dont les auditions de la commission ont montré qu’elles posaient un problème insoluble. Plus personne ne conteste maintenant que, sur un plan strictement médical, l’embryon porte en lui définitivement toutes les virtualités de l’être humain qu’il deviendra. Mais il n’est encore qu’un devenir, qui aura, à surmonter bien des aléas avant de venir à terme, un fragile chaînon de la transmission de la vie.

 

Remettre la décision à la femme, n’est-ce pas contradictoire avec l’objectif de dissuasion, le second des deux que s’assigne ce projet ?

Ce n’est pas un paradoxe que de soutenir qu’une femme sur laquelle pèse l’entière responsabilité de son geste hésitera davan­tage à l’accomplir que celle qui aurait le sentiment que la décision a été prise à sa place par d’autres.

Le Gouvernement a choisi une solution marquant clairement la responsabilité de la femme parce qu’elle est plus dissuasive au fond qu’une autorisation émanant d’un tiers qui ne serait ou ne deviendrait vite qu’un faux-semblant.

Ce qu’il faut, c’est que cette responsabilité, la femme ne l’exerce pas dans la solitude ou dans l’angoisse.

Tout en évitant d’instituer une procédure qui puisse la détourner d’y avoir recours, le projet prévoit donc diverses consulta­tions qui doivent la conduire à mesurer toute la gravité de la décision qu’elle se propose, de prendre.

 

Cette tâche de dissuasion et de conseil revient au corps médical de façon privilégiée et je sais pouvoir compter sur l’expé­rience et le sens de l’humain des médecins pour qu’ils s’efforcent d’établir au cours de ce colloque singulier le dialogue confiant et attentif que les femmes recherchent, parfois même inconsciemment.

 

Les deux  entretiens qu’elle aura eus, ainsi que le délai de réflexion de huit jours qui lui sera imposé, ont paru indispensables pour faire prendre conscience  à la femme de ce qu’il ne s’agit pas d’un acte normal ou banal, mais d’une décision grave qui ne peut être prise sans en avoir pesé les conséquences et qu’il convient d’éviter à tout prix. Ce n’est qu’après cette prise de conscience, et dans le cas où la femme n’aurait pas renoncé à sa décision, que l’interruption de grossesse pourrait avoir lieu.

 

Contrairement à ce qui est dit ici ou là, le projet n’interdit pas de donner des -informations sur la loi et sur l’avortement ; il interdit l’incitation à l’avortement par quelque moyen que ce soit car cette incitation reste inadmissible.

 

… Il nous a paru nécessaire de souligner la gravité d’un acte qui doit rester exceptionnel …

 

Ce qu’il faut aussi, c’est-bien marquer la différence entre la contraception qui, lorsque les femmes ne désirent pas un enfant, doit être encouragée par tous les moyens et dont le remboursement par la sécurité sociale vient d’être décidé, et l’avortement que la société tolère mais qu’elle ne saurait ni prendre en charge ni encourager. »

 

Retrouvez l’intégralité du discours ici :
https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/simone-veil-26-novembre-1974

IVG : les 50 ans de la loi Veil dans Communauté spirituelle

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12 janvier 2025

Cana : servir la joie d’un autre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Cana : servir la joie d’un autre

 

Homélie pour la 2° Dimanche du Temps ordinaire / Année C
19/01/25


Cf. également :

La pureté ne sert à rien
Notre angoisse de Cana
Intercéder comme Marie
La hiérarchie des charismes
Jésus que leur joie demeure
Le mariage et l’enfant : recevoir de se recevoir
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?

 

1. Un traiteur pas comme les autres

Cana : servir la joie d’un autre dans Communauté spirituelle carte-resto1985 : Franck Chaigneau, père jésuite et cadre informatique dans une grande entreprise, distribue des repas aux sans domicile fixe d’Antony (92160), dans la grande banlieue parisienne. Pour les aider à trouver un travail simple et valorisant, il crée une association de bénévoles : La Table de Cana, dont la mission est de former des personnes éloignées de l’emploi aux métiers de la restauration. La Table de Cana est aujourd’hui implantée dans une dizaine de villes, et forme le premier réseau de traiteurs-restaurateurs d’insertion en France, avec 370 salariés dont 270 en contrat d’insertion, une centaine de bénévoles et un chiffre d’affaires de 11 M€ en année normale (hors Covid-19). Les personnes en situation de précarité y sont formées à une dizaine de métiers : commis de cuisine, serveur, plongeur, chauffeur-livreur, préparateur de commandes, assistant commercial, aide en pâtisserie ou en chocolaterie…  À l’issue de deux années de formation, le taux de réussite est de 65 %, et les salariés en insertion sont employables quasi-immédiatement. 

 

Jean n’a sûrement pas imaginé une telle fécondité sociale pour son récit des noces de Cana (Jn 2,1-11) ! Pourtant, la filiation est belle : réinsérer par le travail des gens en déshérence, sans logement ni profession, c’est bien faire en sorte que le vin ne manque pas pour les invités sans le sou. Mieux encore, c’est en se mettant au service de la joie des autres – qu’est-ce qu’un traiteur sinon cela ? – que ces exclus de la société vont peu à peu trouver leur place au festin commun…

 

Voilà qui nous invite à nous focaliser sur les serviteurs du mariage de Cana. On peut tour à tour s’identifier aux différents personnages du récit : Jésus intervenant pour que la joie coule à flots ; Marie  attentive aux failles du banquet ; les disciples invités de raccroc et témoins ébahis ; et finalement nos discrets serviteurs qui font confiance à Marie et exécutent l’étrange manipulation prescrite par Jésus.

Ces serviteurs, comme à La Table de Cana, sont le dernier maillon, indispensable, pour que la joie des mariés ne s’évanouisse pas à la fin du repas. 

Grâce à eux, la fête sera complète, jusqu’au bout de la nuit. 

Grâce à eux, Jésus se manifeste (Jean emploie le verbe φανέρωσεν = se manifester, qui a donné épiphanie) à ses disciples, « et ils crurent en lui »

Grâce à eux, la médiation de Marie est couronnée de succès.

Ils sont les serviteurs de la joie d’un autre.

 

2. Le miracle des mains vides

Ces domestiques ont bien vu que c’est de l’eau qu’ils ont versée dans les jarres (600 litres environ !). Et lorsqu’ils puisent dans les jarres pour servir à table les invités de la noce, ils voient bien que c’est du vin, et qu’ils n’y sont absolument pour rien ! Comme l’écrit Saint Ambroise de Milan : « Tu donnes la saveur du vin aux amphores remplies d’eau : le serviteur puisait, conscient qu’il ne les avait pas remplies ».

Les-Mains-vides Cana dans Communauté spirituelleIls sont conscients qu’ils ne savent pas d’où vient la joie qu’ils communiquent aux convives. La seule chose qu’ils sachent, c’est qu’elle ne vient pas d’eux.

Lacan disait avec un humour un peu grinçant que « l’amour consiste à donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Il avait à moitié raison : l’amour consiste bien à donner ce que nous n’avons pas, mais recevons de Dieu pour le donner à d’autres. C’est ce que la tradition chrétienne appelle « le miracle des mains vides » : pour donner à l’autre un cadeau vraiment divin, il faut que j’accepte d’avoir les mains vides. Sinon, je lui donnerai de ce qui m’appartient, je donnerai de ma richesse, mais je ne donnerai pas de Dieu.

Donner de mes biens, de mon temps, de mon intelligence ne suffit pas, et reste encore une aide trop humaine. Alors que donner ce que je n’ai pas, qui vient de Dieu et va à l’autre en me traversant, donner ainsi est plus grand que de faire l’aumône !

 

C’est la vocation du peuple de l’Alliance que les serviteurs de Cana accomplissent au plus haut point. Rappelez-vous les paroles du peuple s’engageant à respecter l’Alliance du Sinaï et à la mettre en pratique : « Tout ce que YHWH a dit, nous le ferons » (Ex 24,3). Ce sont les mêmes termes qu’emploie Marie pour demander aux domestiques de servir l’Alliance nouvelle : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». De même qu’Israël a pour vocation de servir la joie des nations en témoignant du Dieu unique au milieu d’elles, de même l’Église, personnifiée dans les serviteurs de Cana, a pour mission de servir la joie de l’humanité invitée au banquet des noces de l’Agneau.

 

Sainte Thérèse de Lisieux écrivait ainsi dans son acte d’offrande :

« Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. Je veux donc me revêtir de votre propre Justice, et recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-même » (9 Juin 1895, fête de la Trinité).

Comme la plupart des mystiques, avec son souhait d’arriver devant le Père avec des mains vides, Thérèse se situe hors du modèle économique de l’échange, loin du point de vue du ‘mérite’. Elle est imprégnée d’un amour gratuit, qu’on appelait au XVII° siècle le « pur amour », comme est gratuit l’amour de Dieu lui-même. Elle ne cherche pas à accumuler ses mérites, mais les oublie en Dieu. Ses mains restent vides car elle reçoit tout de Dieu, pour le donner aux autres.

 

Le franciscain Éloi Leclerc a merveilleusement décrit l’esprit de pauvreté intérieure qui animait François d’Assise dans ce domaine. Au moment où il est contesté, puis évincé par l’Ordre qu’il a pourtant fondé, il découvre que le but de sa vie n’était pas de fonder quelque chose ou de ne pas fonder, mais de se fonder lui-même sur l’amour gratuit de Dieu :

- Dieu, fit observer frère Léon, réclame notre effort et notre fidélité.

- Oui, sans doute, répondit François. Mais la sainteté n’est pas l’accomplissement de soi, ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d’abord un vide que l’on se découvre et que l’on accepte, et que Dieu vient remplir dans la mesure où l’on s’ouvre à sa plénitude. Notre néant, vois-tu, s’il est accepté, peut devenir l’espace libre où Dieu peut encore créer.

(Éloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, Éditions franciscaines, 1984, p.114)

Celui qui ne laisse pas couler le flux de la grâce passant à travers lui vers les autres, celui qui comptabilise ses mérites au lieu d’oublier le bien qu’il a fait, celui-là sera bientôt seul, éloigné de Dieu, méprisant les autres.

 

Journal-d-un-cure-de-campagne joieBernanos a formidablement mis en scène ce miracle des mains vides dans le passage du « Journal d’un curé de campagne » où l’on voit le jeune abbé Donissan, en proie au doute et en pleine dépression spirituelle, apporter cependant le réconfort et la paix à la comtesse obsédée par la mort de sa fille :

Le prêtre est allé au château pour parler à la comtesse de sa fille, Chantal, dont la révolte est pour lui source d’angoisse. Par-delà l’apparence policée d’une grande dame chrétienne et résignée, le petit prêtre perce le secret d’une âme fermée à Dieu, révoltée depuis la mort de son premier enfant. Après un échange terrible sur le désespoir et l’enfer, la comtesse se rend, et jette, dans un geste fou, le médaillon et la mèche de son enfant qu’elle gardait, dans le feu où le prêtre essaie de les reprendre : « Prenez-vous Dieu pour un bourreau ? » lui dit-il. Et il ajoute : « Il veut que nous ayons pitié de nous-mêmes ».

Rentré chez lui, il trouve une lettre de la comtesse qui lui écrit :

« Le souvenir désespéré d’un petit enfant me tenait éloignée de tout, dans une solitude effrayante, et il me semble qu’un autre enfant m’a tiré de cette solitude. J’espère ne pas vous froisser en vous traitant ainsi d’enfant ? Vous l’êtes. Que le Bon Dieu vous garde tel, à jamais (…). Tout est bien. Je ne croyais pas la résignation possible. Et ce n’est pas la résignation qui est venue en effet. Elle n’est pas dans ma nature (…) Je ne suis pas résignée, je suis heureuse. Je ne désire rien ».

Puis, sur son journal intime, le prêtre note : « 6h30, Mme la Comtesse est morte cette nuit ».

L’abbé Donissan a donné à cette femme la paix que lui-même cherchait en vain. 

L’amour consiste à donner ce que l’on n’a pas…

Seul celui qui arrive les mains vides peut expérimenter l’absolue gratuité de l’amour divin.

 

3. Génitif objectif / génitif subjectif

Servir la joie d’un autre : telle est notre vocation, c’est-à-dire, comme pour La Table de Cana, apporter à d’autres de quoi festoyer et se réjouir.

La joie d'un autreServir la joie d’un autre : en français, ce génitif peut désigner aussi bien l’autre qui est le sujet de cette joie (génitif subjectif) que l’autre qui en est le destinataire (génitif objectif). Ainsi la crainte des ennemis peut signifier la crainte qu’ont les ennemis (génitif subjectif), ou la crainte qu’ils inspirent (génitif objectif).

Génitif subjectif : ce n’est pas notre joie que nous communiquons, c’est celle du Christ. C’est lui qui en est le sujet. Elle nous est donnée d’ailleurs. Elle vient du Royaume, d’un au-delà qui transcende nos productions et nos joies habituelles.

Génitif objectif : ce n’est pas une joie pour nous, mais pour d’autres. Elle leur appartient. Elle est pour ceux que nous aimons, que nous voulons chérir, et également pour ce que nous n’aimons pas assez, ou  qui nous font du mal.

Paradoxalement, c’est la dans la dépossession de ce que nous transmettons que nous trouvons notre propre joie. À la double condition qu’elle vienne d’un autre – le Christ – comme celle que transmet le curé de campagne de Bernanos, et qu’elle soit destinée à un autre, ce qui exclut toute appropriation, toute possession du serviteur de ce qu’il transmet.

L’amour consiste alors à recevoir d’un autre (Dieu) ce qui va réjouir les autres lorsque je leur communiquerai, sans que cela m’appartienne, sans que j’y sois pour quelque chose.

 

Insistons sur la docte ignorance qui est celle des serviteurs de Cana dans cette alchimie joyeuse : ils ne savent pas comment l’eau est changée en vin ; ils savent juste qu’ils n’en sont pas la cause ni l’origine, seulement le vecteur. Accepter de ne pas savoir comment s’opère le miracle des mains vides est la condition  pour y participer pleinement ! Ceux qui veulent maîtriser la transformation eau-vin termineront comme Midas empoisonné par son pouvoir égoïste.

 

Catalyseurs…

Les premiers repas servis à Antony par des extras peu reluisants ont prospéré d’eux-mêmes. Les serviteurs de Cana jouent le rôle d’un catalyseur en chimie : pour que deux substances entrent en interaction et qu’il se produise une réaction chimique, il faut souvent qu’un corps différent – un catalyseur – se mêle à eux pour amorcer la réaction et ensuite se retirer pour la laisser se poursuivre. Le catalyseur rend possible l’interaction sans en être le sujet ni l’objet.


Devenir un catalyseur de la joie de nos proches est une belle vocation, digne de Cana !

Comment pourrais-je la mettre en œuvre cette semaine… ? 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Comme la jeune mariée fait la joie de son mari » (Is 62, 1-5)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté, et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur dictera. Tu seras une couronne brillante dans la main du Seigneur, un diadème royal entre les doigts de ton Dieu. On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.

Psaume
(Ps 95 (96), 1-2a, 2b-3, 7-8a, 9a.10ac)
R/ Racontez à tous les peuples les merveilles du Seigneur !
 (Ps 95, 3)

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur, la gloire et la puissance,
rendez au Seigneur la gloire de son nom.

Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
Allez dire aux nations : Le Seigneur est roi !
Il gouverne les peuples avec droiture.

Deuxième lecture
« L’unique et même Esprit distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier » (1 Co 12, 4-11)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter. Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.

Évangile
« Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée » (Jn 2, 1-11)
Alléluia. Alléluia.
Dieu nous a appelés par l’Évangile à entrer en possession de la gloire de notre Seigneur Jésus Christ. Alléluia. (cf. 2 Th 2, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples. Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. » Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

Patrick BRAUD

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