L'homélie du dimanche (prochain)

28 mai 2023

Trinité : quelle sera votre porte d’entrée ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Trinité : quelle sera votre porte d’entrée ?

Homélie pour le Dimanche de la fête de la Trinité / Année A
04/06/2023

Cf. également :
La structure trinitaire de l’eucharistie
La Trinité est notre programme social

Trinité économique, Trinité immanente
Les trois vertus trinitaires
Vivre de la Trinité en nous
La Trinité, icône de notre humanité
L’Esprit, vérité graduelle
Trinité : Distinguer pour mieux unir
Trinité : ne faire qu’un à plusieurs
Les bonheurs de Sophie
Trinité : au commencement est la relation
La Trinité en actes : le geste de paix
La Trinité et nous

Sur les chemins noirs
Sur les chemins noirs
Le film sorti en mars 2023 adapte à l’écran le roman éponyme de Sylvain Tesson, sorti en 2016. On y suit la marche en travers de la France d’un homme qui a vu sa vie basculer, littéralement, après une chute d’un balcon d’immeuble lors d’une soirée parisienne trop arrosée… Fracassé de partout, le corps en miettes, il voit également voler en éclats son couple, son mode de vie de bobo parisien gâté, superficiel et léger… Plusieurs mois de marche seront pour lui comme un reset informatique : il cherche à se retrouver lui-même en se perdant sur des chemins qui n’existent plus sur les cartes, les fameux chemins noirs qui pourtant permettent de traverser la France dans toute la splendeur de ses paysages sauvages.

On retrouve dans son livre nombre des motivations de ceux qui prennent la route pour marcher, dans une sorte de pèlerinage sans transcendance.
Sylvain Tesson voulait :
- réparer son corps fracturé en miettes. La marche serait une guérison.
- fuir le progrès technique envahissant, et retrouver la belle France loin des artifices
- surmonter le deuil de sa mère qui visiblement l’obsédait depuis longtemps
- redevenir libre, quitte à provoquer le départ de sa compagne d’avant
- écrire, écrire, jour après jour, comme les Pères Blancs en Afrique tenaient leur diaire en notant soigneusement les évènements et ce que cela leur s’inspirait
- refaire à l’envers l’itinéraire de sa vie (les flash-backs sont omniprésents), comme si la réparation du corps nourrissait la réparation de l’esprit
- partager un bout de route avec sa sœur, un ami, des inconnus croisés sur les chemins noirs pendant quelques jours…
Jean Dujardin est comme d’habitude formidable dans ce film. Le rythme en est très lent, rempli des méditations métaphysiques et philosophiques de l’auteur, un brin intello donc malgré les paysages superbes traversés (du Mercantour à La Hague). Il en bave, littéralement (crise d’épilepsie en route !), mais il s’accroche…

Ils sont des milliers comme Sylvain Tesson à marcher sur des chemins intérieurs inconnus, tout en se dirigeant vers Saint-Jacques-de-Compostelle, ou Rome ou Jérusalem, ou tout simplement le long des côtes et des forêts. Ils sont les vivants témoins d’une aspiration spirituelle que la vie artificielle des villes et leur confort ne peut combler. Ces aventuriers des profondeurs intimes n’iront pas forcément chercher du côté des grandes religions ou institutions officielles. Mais ils sont mus par un dynamisme plus grand qu’eux-mêmes. Dieu serait peut-être un trop gros mot pour eux, alors que la dimension spirituelle leur est familière. Liturgie, rituels, Églises ou Évangile ne sont pas dans leur référentiel, mais la contemplation, l’émotion devant l’harmonie du monde et la communion avec lui font bien partie de leur démarche.

En cette fête de la Trinité, célébrer le Dieu Un en trois personnes peut nous inviter à distinguer différents portes d’entrée dans le mystère. Qui pourrait prétendre le posséder tout entier ? Il faut bien cheminer vers l’au-delà de tout. Et l’entrée est différente pour chacun, comme les 12 portes de la Jérusalem céleste.

 

1. Entrer en Dieu par l’intériorité
Trinité 3 portes d'entrée Esprit
C’est la voie de Sylvain Tesson sur les chemins noirs du Mercantour au Cotentin. C’est sans doute la vision privilégiée pour bon nombre de nos contemporains en Europe. Lassés de la transcendance des pouvoirs autoritaires non démocratiques, méfiants envers les récupérations de toutes sortes, ils cherchent une réconciliation intérieure, une unité personnelle, une harmonie avec l’univers. L’hypersensibilité écologique actuelle - qui se traduit chez les jeunes par une surprenante éco-anxiété presque pathologique - remet à l’honneur des thèmes qui ont bien des résonances avec le patrimoine monastique, mystique et patristique chrétien. Ainsi la communion avec la nature, la continuité du vivant, le respect de toute forme d’existence, l’intuition d’un ordre naturel à préserver, la redécouverte d’une sobriété presque franciscaine etc.

Les discours souvent nébuleux des gourous en développement personnel et autres  techniques de bien-être reprennent sans le savoir des éléments de la spiritualité des Pères du désert, de la mystique rhénane, des béguines du Nord ou des grandes figures de l’aventure intérieure chrétienne (la nuit de la foi de Saint Jean de la Croix, le château de l’âme de Thérèse d’Avila, la petite voie de l’enfance de Thérèse de Lisieux, la sobriété heureuse de François d’Assise etc…).

Ces courant de quête intérieure ne signeraient pas forcément pour être appelés « spirituels ». Pourtant, c’est bien l’Esprit de Dieu qui suscite en eux inquiétude, soif d’absolu, désir d’unité et recherche d’harmonie. Car l’Esprit est l’unité des Trois, et la communion qu’il réalise entre le Père et le Fils est l’autre nom de l’harmonie dont ont soif les marcheurs sur les chemins noirs.

C’est le même Esprit qui affleure à la surface d’une émotion musicale, ou plus largement artistique. L’art a cette capacité de bouleverser les certitudes, de laisser transparaître l’infini, d’annoncer qu’il y a en l’homme et autour de lui de l’infiniment grand.

C’est l’Esprit encore qui est à l’œuvre dans la rationalité si pointue de nos technologies récentes. Les meilleurs physiciens vous le diront : les sciences du XXI° siècle réintroduisent de la liberté, de l’imprévisible, de l’étonnement et même de l’émerveillement devant le réel plus complexe que nos représentations, jouant à cache-cache avec nous comme Dieu avec Élie sur le mont Carmel.

Ajoutons que cette porte d’entrée en Dieu qu’est la spiritualité sous toutes ses formes a  l’immense mérite aujourd’hui d’être féminine. En effet, l’intériorité, la communion, le ‘care’, l’accueil au lieu de la prédation, tout cela relève d’une symbolique plutôt féminine. Et en hébreu, n’oublions jamais que l’Esprit est féminin : la « Ruah YHWH » – souffle divin – est répandue sur toute chair et informe la vie de Dieu en chacun.

Enfin, nul doute que l’évangélisation des immenses Inde et Chine devra mettre en avant cette porte d’entrée spirituelle : les sagesses millénaires de ces deux tiers de l’humanité sont comme des préparations évangéliques sur lesquelles planter, semer et récolter.

 

2. Entrer en Dieu par la fraternité
Trinité 3 portes d'entrée FilsCette porte d’entrée est plus familière aux générations de la deuxième moitié du siècle dernier. C’est celle des combats pour la justice sociale dans lesquels nous avons vu le Royaume de Dieu se rapprocher. C’est celle de la fraternité universelle, que la mondialisation libérale a trahie mais dont le rêve ne peut pas disparaître. C’est la voie royale de tous ceux que la figure historique du Christ éblouit par son audace, son humanité, son courage, sa vérité anthropologique. On espère toujours des prophètes pour notre temps, et les Évangiles n’ont rien perdu de cette force prophétique-là, capable de renverser les puissants de leur trône et d’élever les humbles. En Jésus de Nazareth, l’amour du prochain conduit à l’amour de Dieu et réciproquement.

La compassion sociale, les combats pour le logement, la santé, la dignité des plus pauvres etc. sont toujours portés à bout de bras par les innombrables associations chrétiennes. Même l’État-providence doit reconnaître que ce souci du vivre ensemble lui a en partie été légué par le christianisme, qui parle du sacrement du frère indissociable de celui de l’autel.

L’aspiration à la fraternité est universelle. Elle est le signe de notre vocation à nous retrouver tous en Christ : faire corps avec lui nous rend solidaires les uns des autres, et réciproquement.

Entrer en Dieu par la fraternité demeure le tapis rouge déroulé sous les pieds de ceux qui se battent pour l’homme, tout l’homme, tous les hommes.

 

3. Entrer en Dieu par la transcendance
Trinité 3 portes d'entrée PèreC’est la porte d’entrée traditionnelle des civilisations antiques. Fascinées par le soleil, la foudre ou la puissance vitale, les religions d’autrefois situaient les dieux au-dessus, dans un autre monde, plus grands que l’homme. Les monothéismes ont canalisé cette peur du sacré,  et le judaïsme a consacré Dieu comme le Tout-autre, l’ineffable, le plus grand que tout, celui dont on ne peut prononcer le nom : YHWH. L’islam a repris cette proclamation du Dieu unique, en l’appauvrissant quelque peu puisque l’Esprit de Dieu de la Genèse – la Ruah YHWH - n’est plus connue dans le Coran.

La grandeur de la Création, de l’esprit humain, les merveilles de l’infiniment grand comme de l’infiniment petit sont encore en Occident des voies d’initiation au divin. L’homme passe l’homme, disait Pascal : l’humanisme occidental n’en finit pas de s’émerveille de la grandeur de l’esprit humain. Et les scientifiques pointant leurs télescopes vers l’origine de l’univers  où explorant les interactions quantiques en ressortent troublés, interrogatifs : d’où vient la grandeur de ce qui nous entoure ?

Transcendance, altérité, différence : tous ceux qui sont sensibles à ces dimensions du vivant, du réel, ne sont pas loin de découvrir le Dieu-Père de la Bible, irréductible à toute projection humaine, si grand et pourtant si proche…

 

Trois accès à la déité
Ces 3 portes d’entrée conduisent, par des chemins différents, à expérimenter peu à peu la vie de Dieu, la vie en Dieu. Ce que les orthodoxes appellent la divinisation, selon la belle définition de Pierre : « de la sorte nous sont accordés les dons promis, si précieux et si grands, pour que, par eux, vous deveniez participants de la nature divine » (2P 1,4).

Au XIV° siècle, Maître Eckhart a proposé d’appeler déité ce fonds commun aux 3 personnes de la Trinité. La déité est la nature divine, faite de communion, d’amour, de relation, qui unit le Père et le Fils dans le baiser commun de l’Esprit [1]. La déité est la présence de Dieu en nous, qui nous permet de participer à la vie divine et de devenir un avec lui.

On peut risquer alors une schématisation d’ensemble des 3 accès à la déité évoqués plus haut :

Trinité 3 portes d'entrée

Bien sûr, il faudrait également explorer les interactions entre ces 3 chemins, car celui qui avance sur une de ces voies se rapproche nécessairement des deux autres. L’Esprit nous révèle le Père qui nous dévoile le Fils. Le Fils n’est rien sans son Père, et l’Esprit est commun aux deux etc.

Il nous suffit pour ce dimanche de méditer sur notre propre perception de la Trinité : à quelle dimension parmi les 3 suis-je le plus sensible ? Comment m’ouvrir aux deux autres ?
Et pour mes proches, ceux dont je suis responsable : quelle porte leur ouvrir ? Comment me mettre au service de leur chemin à eux vers Dieu, qui n’est pas le mien ?

 


[1]. En islam, la notion de déité est exprimée à travers le concept de tawhid, qui se traduit littéralement par « unicité » ou « unité ». Tawhid est considéré comme le fondement de la foi islamique, et il affirme que Dieu est un et unique, sans aucun associé ni égal. Ainsi, bien que le concept de déité ne soit pas explicitement utilisé en islam, le concept de tawhid exprime une notion similaire d’une réalité divine unique et absolue, qui est au-dessus de tout ce qui existe et qui est la source de toute création.

 


LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Le Seigneur, le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux » (Ex 34, 4b-6.8-9)

Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, Moïse se leva de bon matin, et il gravit la montagne du Sinaï comme le Seigneur le lui avait ordonné. Il emportait les deux tables de pierre. Le Seigneur descendit dans la nuée et vint se placer là, auprès de Moïse. Il proclama son nom qui est : LE SEIGNEUR. Il passa devant Moïse et proclama : « LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. » Aussitôt Moïse s’inclina jusqu’à terre et se prosterna. Il dit : « S’il est vrai, mon Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux, daigne marcher au milieu de nous. Oui, c’est un peuple à la nuque raide ; mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous ton héritage. »

CANTIQUE
(Dn 3, 52, 53, 54, 55, 56)
R/ À toi, louange et gloire éternellement ! (Dn 3, 52)

Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères : R/
Béni soit le nom très saint de ta gloire : R/
Béni sois-tu dans ton saint temple de gloire : R/

Béni sois-tu sur le trône de ton règne : R/
Béni sois-tu, toi qui sondes les abîmes : R/
Toi qui sièges au-dessus des Kéroubim : R/
Béni sois-tu au firmament, dans le ciel, R/

DEUXIÈME LECTURE
« La grâce de Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit » (2 Co 13, 11-13)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, soyez dans la joie, cherchez la perfection, encouragez-vous, soyez d’accord entre vous, vivez en paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous. Saluez-vous les uns les autres par un baiser de paix. Tous les fidèles vous saluent.
Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous.

ÉVANGILE
« Dieu a envoyé son Fils, pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 16-18)
Alléluia. Alléluia. Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit : au Dieu qui est, qui était et qui vient ! Alléluia. (cf. Ap 1, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
Patrick BRAUD

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21 mai 2023

Le délai entre Pâques et Pentecôte

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le délai entre Pâques et Pentecôte

Homélie pour le Dimanche de Pentecôte / Année A
28/05/2023

Cf. également :
La séquence de Pentecôte
Pentecôte : un universel si particulier !
Le déconfinement de Pentecôte
Les langues de Pentecôte
Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel
La sobre ivresse de l’Esprit
Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre

Il faut du temps…
Le délai entre Pâques et Pentecôte dans Communauté spirituelle Cloud-to-ground
Quand j’étais enfant, mon père m’apprenait à compter les secondes entre l’éclair de la foudre et le grondement du tonnerre qui venait après. Il me donnait mon premier cours de physique : « tu vois, il faut du temps pour que le bruit de l’éclair parvienne jusqu’à nous. Tu divises le nombre de secondes que tu as comptées par 3, et tu as le nombre de kilomètres qui nous séparent de l’endroit où la foudre est tombée ».
J’étais fasciné par ce temps de latence entre l’éclair et le tonnerre, secondes de silence suspendues dans l’espace, pendant lesquelles on craignait être beaucoup trop près…

Depuis, j’ai appris que même la lumière met du temps à nous parvenir, comme l’atteste la découverte de Mathusalem – la bien nommée – la plus vieille étoile de l’univers (13,6 milliards d’années) située à 6000 années-lumière de la Terre. Elle pourrait donc être morte alors que nous la voyons briller dans le télescope spatial !
Il faut du temps pour que la nouvelle de la mort ou la vie d’une étoile nous parvienne !

Vous voyez une zébrure dans le ciel, et il faut du temps pour entendre le tonnerre.
Vous voyez une étoile scintiller, mais il faut du temps pour savoir si elle est vivante ou morte.
Il en est ainsi de bien des choses !
Vous vous mariez, et il faut bien plusieurs dizaines d’années avant de goûter la vraie qualité, la solidité, la fécondité de votre amour.
Vous plantez une semence, et il faut des saisons avant qu’elle fleurisse.
Vous recevez le baptême, et il vous faut des années avant de réaliser ce que cela signifie vraiment.
Vous entendez le même passage biblique chaque année, et un jour enfin il vous parle.
Vous faites cent fois le même geste au travail, en famille, et sans raison il vous apparaît soudain sous un autre jour.
Continuez vous-même la liste…

50_temoignages_annonce1 Esprit dans Communauté spirituelleIl y a souvent un délai, un écart, entre un événement et la plénitude de ce que cet événement nous apporte. La résurrection de Jésus n’échappe pas à cette règle empirique. Les apôtres ont été témoins de cet événement unique, inimaginable. Sous le choc, ils se sont confinés au Cénacle. Le temps de digérer l’énorme nouvelle et de commencer à intégrer cette donnée improbable. Après « un certain temps » – comme aurait plaisanté Fernand Raynaud autrefois – ils osent pointer le bout de leur nez dehors, encore convalescents de l’heureux traumatisme pascal. Symboliquement, Luc fixe ce délai à 50 jours pour ainsi passer de Pâques à Pentecôte, en situant le grondement du tonnerre de l’Esprit Saint 50 jours après la lumière fulgurante de Pâques :
« Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble… » (Ac 2,1).
Évidemment, on ne parle pas ici de secondes, mais de l’accomplissement de la promesse du Christ d’envoyer l’Esprit ; on parle de la plénitude de la Résurrection du Christ qui est l’effusion de l’Esprit sur tous et chacun.

Parcourons quelques interprétations symboliques de ces 50 jours par lesquelles il nous faut toujours passer aujourd’hui.

 

1. Il faut du temps pour récolter
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Les hébreux n’ont pas inventé la fête de Pentecôte. Ils l’ont empruntée aux cananéens qui étaient là avant eux dans le pays. C’est une fête agricole comme il y en a tant, célébrant le renouveau de la vie grâce aux premières récoltes qui arrivent. On l’appelait à cause de cela la « fête des prémices », car devait apporter les premières gerbes de céréales aux divinités païennes pour les remercier de l’abondance qui revient. Israël a gardé cette coutume, en la transposant sur YHWH et non plus Baal. Le sens est le même : il faut du temps entre les semailles et la moisson. La récolte demande d’être patient, d’anticiper le bon moment pour enfouir les graines et ensuite d’attendre le délai qu’imposera la nature pour cueillir et récolter.

Le nombre 50 est ainsi devenu symbolique d’une durée d’accomplissement. Par exemple, la Bible fixe la retraite des lévites … à 50 ans !
« À cinquante ans, le lévite se retirera du service actif, il ne servira plus » (Nb 8,25).
Et ses adversaires doutent que Jésus soit un prophète mature, car il n’a pas encore atteint cet âge de plénitude :
« Les Juifs lui dirent alors : ‘Toi qui n’as pas encore cinquante ans, tu as vu Abraham !’ » (Jn 8,57)

Ainsi en est-il de nos propres semailles : le délai de 50 jours nous apprend à être patients, envers nous-mêmes et envers les autres. Nous ne pouvons récolter immédiatement les fruits de ce que nous avons semé. Que ce soit au travail, en famille, dans la vie associative, la sagesse est de voir à long terme, de ne pas calculer trop court, de miser sur le temps avant de juger ou de récolter.

 

2. Il faut du temps pour intérioriser ce qui m’arrive
 Pentecôte
Tout en gardant le sens agricole de la fête, les hébreux lui ont associé un événement historique majeur : le don de la Loi à Moïse sur la montagne du Sinaï pendant l’Exode (Ex 19,16-25) La sortie d’Égypte était l’éclair déchirant leur servitude ; la théophanie sur la montagne fumante sera le tonnerre qui en délivre toute la signification, grâce à la Torah qui fait passer le peuple de la servitude de Pharaon au service de YHWH. D’ailleurs, le nombre 50 garde la trace de cette plénitude : c’est 5×10, soit le nombre de livres de la Torah (Gn, Ex, Nb, Lv, Dt) multiplié par le nombre de commandements inscrits sur les tables de la Loi. La Pentecôte juive fête donc la plénitude donnée par la Torah.

La Pentecôte chrétienne reprendra ce symbolisme, en allant jusqu’au bout de l’accomplissement : c’est l’Esprit de la Torah et non sa lettre qui fait vivre.
Il a fallu des années au désert pour que les fugitifs apprennent à avoir faim d’autre chose que les marmites de viande égyptiennes. Il a fallu des siècles pour que les juifs apprennent avec les prophètes que la Loi de Dieu n’est pas extérieure à l’homme. C’est dans le cœur de chacun que réside la véritable règle de conduite, et non dans des interdits extérieurs. L’Esprit de Pentecôte est celui qui fait passer la loi de l’extérieur à l’intérieur : intérioriser la Loi, c’est se laisser conduire par l’Esprit du Christ.

Shavouot prémicesNous mettons plus de 50 jours hélas à réaliser que notre foi chrétienne n’est pas un catalogue de permis et de défendus, qu’elle n’est même pas d’abord une morale, mais l’abandon confiant à l’inspiration qui nous vient de Dieu et que nous appelons fort justement l’Esprit de Dieu.

Ceux qui réduisent la religion à un marchandage pour obtenir ce qu’ils souhaitent (santé, succès, amour etc.) observent peut-être les commandements écrits sur les tables de pierre, mais ils ne les ont pas gravés dans leurs cœurs.
Ceux qui veulent imposer leurs croyances par la force ne savent pas vouloir ce que Dieu veut.
Ceux qui confondent foi et morale idolâtrent le texte, au lieu d’en retrouver le souffle.
Par contre, ceux qui font confiance à l’Esprit comme à leur ami le plus intime découvrent au contraire que Dieu n’est pas à l’extérieur, et qu’il ne se laisse enfermer par aucune loi, aucune liturgie, aucune autorité, aucune morale.
L’Esprit souffle où il veut : être chrétien, c’est le laisser devenir notre respiration la plus personnelle, c’est intérioriser ce qui nous anime.

 

3. Il faut du temps pour devenir libre
Une troisième signification de la Pentecôte tient dans sa manière de compter les semaines. Car la Bible dit : « À partir du lendemain du sabbat, jour où vous aurez apporté votre gerbe avec le geste d’élévation, vous compterez 7 semaines entières. Le lendemain du 7° sabbat, ce qui fera 50 jours, vous présenterez au Seigneur une nouvelle offrande » (Lv 23, 15-16).
C’est pourquoi les juifs appellent cette fête « shavouot » [1] (les semaines en hébreu), et la cinquantaine (πεντήκοντα = pentekonta en grec), ce qui a donné « pentecôte ».
L’allusion au Jubilé est très claire : de même que tous les 50 ans Israël devaient normalement libérer les esclaves, remettre les dettes à zéro, répartir à nouveau les terres à cultiver pour éviter d’injustes  accumulations de richesses (cf. Lv 25, la première loi antitrust en quelque sorte !), de même à Pentecôte le 50°jour Israël fête sa libération d’Égypte enfin complète.

Jubilee ShavouotLa Pentecôte est jubilaire ! La jubilation des apôtres (« ils sont pleins de vins doux ») le 50° jour à Jérusalem exprime cette liberté nouvelle accordée par l’Esprit : tous les peuples sont invités, l’inspiration accomplit la Loi, le baptême unit toutes les différences, les interdits (alimentaires, sexuels, rituels etc.) se révèlent n’être que les ombres portées de la vie spirituelle en Christ.

Nous aussi, nous mettons du temps à devenir vraiment libres…
Enserrés dans notre éducation familiale, la culture de notre pays, de notre milieu social, dans les aveuglements de notre époque, nous cherchons des sauveurs, des leaders, des modèles, des gourous. L’Esprit de Pentecôte nous délie de ces esclavages de pensée, comme il nous a déliés de l’esclavage en Égypte. Il annule nos dettes grâce au pardon, comme s’il était un Jubilé permanent. Il répartit ses dons entre tous mieux que les terres redistribuées l’année du Jubilé.

À nous de laisser l’Esprit de Pentecôte nous enivrer de sa liberté. Car la sobre ivresse de l’Esprit est de celles qui nous ouvrent les yeux sur la réalité du monde, et sur la vraie dignité de tout être humain.

 

4. Il faut du temps pour ressusciter
resurrection-tombeau-vide-1024x683 TorahFinalement, avec ses 50 jours symboliques entre Pâques et Pentecôte, Luc nous invite à laisser le renouveau pascal nous transformer en profondeur, ce qui demande du temps, de la patience, un savant mélange de désir et de laisser-faire l’Esprit en nous.

Nous ne savons pas ce que « ressusciter » veut dire.
Nous commençons juste en goûter quelques accords lorsque l’Alléluia pascal nous bouleverse.
Il nous faut des années de joies et de déceptions, de foi et de doute, de malheurs et d’extases pour que vivre en Christ devienne notre identité la plus vraie.

Apprivoisons les délais qui nous sont imposés.
Apprenons à ressusciter jour après jour.
Si nous laissons l’Esprit nous conduire sur ce chemin, comment notre mort pourrait-elle l’empêcher de continuer ?

 

____________________________________________

[1]. « Tu célébreras la fête des Semaines (shabuwa‘), des premiers fruits, de la moisson des blés, et aussi la fête de la Récolte, en fin de l’année. » (Ex 34,22)
« Le jour des Prémices, quand vous apporterez au Seigneur la nouvelle offrande de céréales pour la fête des Semaines (shabuwa‘), vous tiendrez une assemblée sainte et vous n’accomplirez aucun travail, aucun labeur. » (Nb 28,26)
« Tu compteras sept semaines (shabuwa‘) : dès que la faucille commence à couper les épis, tu commenceras à compter les sept semaines (shabuwa‘). Puis tu célébreras la fête des Semaines (shabuwa‘) en l’honneur du Seigneur ton Dieu, avec l’offrande volontaire que fera ta main ; ton offrande sera à la mesure de la bénédiction du Seigneur ton Dieu. » (Dt 16,9-10)

MESSE DU JOUR

PREMIÈRE LECTURE
« Tous furent remplis de l’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues » (Ac 2, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

PSAUME
(Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !ou : Alléluia ! (cf. Ps 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
la terre s’emplit de tes biens.

Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.

DEUXIÈME LECTURE
« C’est dans un unique Esprit que nous tous avons été baptisés pour former un seul corps » (1 Co 12, 3b-7.12-13)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint. Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien.
Prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

SÉQUENCE
Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut de ciel un rayon de ta lumière. Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs. Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur. Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort. Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles. Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti. Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé. Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé. À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés. Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.

ÉVANGILE
« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie : recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 19-23)
Alléluia. Alléluia. Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
C’était après la mort de Jésus ; le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Patrick BRAUD

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18 mai 2023

Je viens vers toi…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Je viens vers toi…

Homélie pour le 7° Dimanche de Pâques / Année A
21/05/2023

Cf. également :
Le confinement du Cénacle
Ordinaire ou mortelle, la persécution
Dieu est un trou noir
Le dialogue intérieur

Le voilà, il arrive !
Je viens vers toi… dans Communauté spirituelle 399px-Voilier_sous_spi_%281%29
Je suis debout au bord de la plage.
Un voilier passe dans la brise du matin,
Et part vers l’océan.
Il est la beauté, il est la vie.

Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.
Quelqu’un à mon côté dit :
« Il est parti ! »
Parti vers où ?
Parti de mon regard, c’est tout !
Son mât est toujours aussi haut,
Sa coque a toujours la force
De porter sa charge humaine.
Sa disparition totale est en moi, pas en lui.
Et juste au moment où quelqu’un près de moi dit :
« Il est parti ! »,
Il y en a d’autres qui le voyant poindre à l’horizon
Et venir vers eux s’exclament avec joie :
« Le voilà ! »
C’est ça la mort !
Il y a des vivants sur les deux rives.

Ce beau texte sur le franchissement de la ligne d’horizon est parfois choisi pour la célébration d’obsèques. Et c’est vrai qu’il évoque avec force la double émotion liée à la mort : l’émotion de ceux qui voient disparaître au loin la frêle silhouette de l’être aimé, l’émotion des autres qui sur la courbure du temps voient pointer le mât d’un nouveau compagnon…
Le départ d’un côté promet une arrivée de l’autre.
Les uns pleurent : tu t’en vas. Les autres se réjouissent : tu nous rejoins !
Le capitaine au large se retourne et dit au port : je pars sans retour. Puis il se poste en vigie sur la proue et crie à l’horizon : je viens vers toi !

 

Le Gethsémani johannique
On raconte que les derniers mots du président Mitterrand sur son lit de mort furent : « enfin je vais savoir ». L’énigme de la mort le fascinait depuis son jeune âge, et ce grand intellectuel cultivé avait hâte de trouver la réponse à sa question irrésolue.

JEZUS W OGRÓJCU

Jésus de Nazareth, lui, à la veille de sa mort, ne parle pas en intellectuel curieux de savoir, mais en enfant bien-aimé dont le désir est de ne faire qu’un avec la source de son existence : « je viens vers toi, Père très saint ». Le chapitre 17 de l’Évangile de Jean lu ce dimanche constitue l’équivalent de l’agonie à Gethsémani chez les trois autres évangiles. Car c’est un combat (agôn en grec) de demeurer fidèle au travers de la tentation de tout abandonner. L’ombre du supplice qui s’approche rend le danger effrayant. Jésus sait que son heure est venue, qu’on va le déshonorer en le traitant de criminel, d’impie, de rebelle, et que la double condamnation juive et romaine va l’humilier au point de le rayer officiellement des héritiers de la promesse faite aux descendants d’Abraham. « Maudit soit qui pend au gibet » : la vieille malédiction du Deutéronome (Dt 21,23 ; Ga 3,13) le terrorise. Ne pourrait-on pas faire autrement ? La puissance divine qui l’accompagne jusque-là ne peut-elle pas lui éviter ce naufrage ? Jésus est profondément troublé, note Jean, et s’interroge. Alors il a le réflexe de se tourner vers Celui qui est sa raison d’être. Et il réaffirme le mouvement qui est le cœur de son identité : « je viens vers toi ».
« Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. Père saint, garde-les unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes. [...] Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans le monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. » (Jn 17,11.13)

C’était déjà le mouvement de son incarnation, dès sa conception :
« En entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je viens, mon Dieu, pour faire ta volonté » (He 10,5-7)

Aller vers l’autre est ce qui constitue Jésus comme Fils de Dieu. Cette identité de mouvement qu’il détient par nature, de manière unique, il nous la communique gracieusement : nous sommes faits pour aller vers l’autre, dans l’amour. D’ailleurs, la Bible emploie souvent l’expression « aller vers » pour exprimer l’élan amoureux qui unit l’homme et la femme.
Ainsi Juda donnera un enfant à Tamar déguisée en prostituée :
« Il se dirigea vers elle, au bord du chemin, et dit : ‘Permets donc que j’aille avec toi‘. En effet, il n’avait pas reconnu sa bru. Elle répondit : ‘Que me donneras-tu pour aller avec moi ?’ » (Gn 38,16).
Et Jacob demande à son beau-père de pouvoir enfin s’unir à Léa :
« Jacob dit alors à Laban : ‘Donne-moi ma femme car les jours que je te devais sont accomplis et je viens à elle‘ » (Gn 29,21).
C’est cette même expression qui sert également à Dieu pour évoquer son élan d’amour envers Jérusalem, pauvre et délaissée des puissants de ce monde :
Dieu à Jérusalem : « Je venais à toi, et je t’ai vue : tu avais atteint l’âge des amours. J’étendis sur toi le pan de mon manteau et je couvris ta nudité. Je me suis engagé envers toi par serment, je suis entré en alliance avec toi – oracle du Seigneur Dieu – et tu as été à moi » (Ez 16,8).
Yahvé annonce aussi aux montagnes d’Israël qu’elles seront à nouveau couverte de récoltes, grâce au retour d’exil qu’il va bientôt accomplir pour le peuple déporté à Babylone :
« Oui, je viens vers vous, je me tourne vers vous : vous serez cultivées, vous serez ensemencées » (Ez 36,9).
Sans ce parallélisme, l’amour humain pourrait-il être sacrement de l’amour divin ?

Aller vers l’autre est la clé de notre divinisation avec le Christ, par lui et en lui.
Jésus de Nazareth n’a pas cessé d’aller vers : vers les mendiants, les collabos, les prostituées, les criminels, les riches, les trop religieux comme les sans Dieu etc… Toujours en mouvement sur les chemins de Palestine, il laissa ce mouvement intérieur vers son Père se traduire à l’extérieur en initiatives surprenantes envers ses frères. Parce qu’il était tout entier tendu vers son Père, il n’avait de cesse d’entrer en communion avec tous ceux et celles qui avaient soif de devenir comme lui enfants de Dieu. Aussi sa dernière parole donnant sens à Gethsémani – et bientôt au Golgotha - sera : « et moi je viens vers toi, Père très saint… »

Je viens vers toi
Faisons nôtre ce combat intérieur de Jésus pour devenir fidèle au mouvement spirituel qui nous constitue fils et filles de Dieu.

banniere_nl_-texte_du_j._26_05 Gethsémani dans Communauté spirituelleJe viens vers toi, Père très saint.
De visage en visage,
tant de rencontres me rapprochent de toi !
Tant d’événements deviennent des étapes :
les plus heureux anticipent la réalisation de la promesse,
les plus douloureux me tournent vers ton Christ à Gethsémani,
les plus ordinaires bruissent comme le murmure des vagues à la marée montante.
 
Je viens vers toi en lisant ce qui m’émeut,
en écoutant la musique qui me bouleverse,
en m’émerveillant devant l’océan insondable ou les cités prodigieuses.
 
Je viens vers toi lorsque, avec Pierre, le chant d’un coq m’inonde de tristesse.
 
Je viens vers toi en scrutant l’Écriture pour y entendre une parole m’emmenant plus loin,
en participant comme je peux aux combats pour la justice autour de moi,
en pleurant avec ceux qui pleurent,
en visitant les desséchés de solitude…
 
Je viens vers toi dans la force de l’Esprit
lorsqu’il me déroute, m’emmène ailleurs,
gonfle mes voiles d’un élan inconnu.
 
Je viens vers toi avec le poids des ans,
lorsque mon corps m’alerte et m’alarme,
et que les générations au-dessus s’effacent l’une après l’autre.
 
Je viens vers toi quand je n’ai plus d’autre désir que celui d’être en toi,
quand les soucis d’argent, de carrière, de santé et même de famille
sont déposés en toi qui prends soin de chacun ;
quand je me tiens, silencieux et immobile, ancré dans ton intimité ;
quand changer d’activité revient à quitter Dieu pour Dieu.
 
Puisque ce mouvement n’a cessé de me faire grandir d’âge en âge,
la mort ne pourra l’interrompre.
Au moment de partir loin des choses familières, loin des êtres proches,
au bout du combat intérieur,
puissè-je dire – même dans les larmes – avec Jésus de Gethsémani :
je viens vers toi…

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière » (Ac 1, 12-14)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel, retournèrent à Jérusalem depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche, – la distance de marche ne dépasse pas ce qui est permis le jour du sabbat. À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement ; c’était Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques. Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères.

PSAUME
(Ps 26 (27), 1, 4, 7-8)
R/ J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. ou Alléluia ! (Ps 26, 13)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche :
habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie,
pour admirer le Seigneur dans sa beauté
et m’attacher à son temple.

Écoute, Seigneur, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

 

DEUXIÈME LECTURE
« Si l’on vous insulte pour le nom du Christ, heureux êtes-vous » (1 P 4, 13-16)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révélera. Si l’on vous insulte pour le nom du Christ, heureux êtes-vous, parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu, repose sur vous. Que personne d’entre vous, en effet, n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur, ou comme agitateur. Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas de honte, et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là.

ÉVANGILE
« Père, glorifie ton Fils » (Jn 17, 1b-11a)
Alléluia. Alléluia. Je ne vous laisserai pas orphelins, dit le Seigneur ; je reviens vers vous, et votre cœur se réjouira. Alléluia. (cf. Jn 14, 18 ; 16, 22)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie. Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair, il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire. Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe. J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi, car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données : ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé.
Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi. Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux. Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. »
Patrick BRAUD

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16 mai 2023

Ascension

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 23 h 16 min

Ascension

18/05/2023
Voir les années précédentes :

Ascension dans Communauté spirituelle ascension-byzantine-icon-9309

 

Ascension : sur la terre comme au ciel
Ascension : apprivoiser la disparition
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : les pleins pouvoirs
Désormais notre chair se trouve au ciel !
Jésus : l’homme qui monte
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : l’ascenseur christique
Une Ascension un peu taquine : le temps de l’autonomie
Les vases communicants de l’Ascension

Ton absence

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