L'homélie du dimanche (prochain)

8 avril 2023

Le kintsugi pascal

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le kintsugi pascal

Homélie pour le Dimanche de Pâque / Année A
08/04/2023

Cf. également :

L’alliance entre les morceaux
La danse pascale du labyrinthe
Conjuguer Pâques au passif
Pâques : le Jour du Seigneur, le Seigneur des jours
Pâques : les 4 nuits
Pâques : Courir plus vite que Pierre
Comment annoncer l’espérance de Pâques ?
Trois raisons de fêter Pâques
Le courage pascal
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Faut-il shabbatiser le Dimanche ?
La Madeleine de Pâques
Pâques n’est décidément pas une fête sucrée
Incroyable !

Irréparable

L’irréparable
C’était la Une-choc du Parisien. Dans la nuit du 10 février dernier, l’humoriste Pierre Palmade venait de provoquer un accident gravissime, sous l’emprise de cocaïne et de drogues de synthèse. Sa voiture s’est déportée sans raison et a percuté de plein fouet un autre véhicule, dans lequel est venu s’encastrer un troisième. Bilan : un garçon de 6 ans dans le coma, des blessés fracturés de partout avec des séquelles à vie, et le bébé de 7 mois d’une conductrice enceinte est mort dans l’accident. Comment les victimes pourront-elles surmonter le drame de l’accident et de ses conséquences ? Comment Pierre Palmade va-t-il assumer sa terrible responsabilité qui va le hanter pour le reste de ses jours ?

Ce faits divers, qui est devenu un fait de société, nous oblige à nouveau à ce constat terrible : oui, il y a de l’irréversible dans nos vies. Il y a de l’irréparable. Il y a des seuils franchis qui changent tout, et on ne peut revenir en arrière.
Les irresponsables croient que tout peut toujours s’arranger, et que rien n’est grave en fait. Grosse erreur ! Lorsque l’irréparable survient, il est trop tard pour pleurer, pour jurer qu’on va se corriger. Personne ne redonnera à la conductrice enceinte son enfant sur le point de naître. Personne, même les chirurgiens les plus habiles, ne pourront réparer le corps des accidentés pour le remettre en état comme avant…

 

Le kintsugi
On raconte qu’un shogun (gouverneur) japonais du XIII° siècle cassa par mégarde un précieux vase de céramique auquel il tenait beaucoup. Il l’envoya en Chine aux meilleurs artisans du moment pour le faire réparer. Il lui revint, rafistolé façon puzzle, avec d’affreuses agrafes métalliques dénaturant sa beauté. Le shogun demanda alors à ses propres artisans de changer 

de stratégie : au lieu de vouloir restaurer le vase comme avant, il leur demanda d’en créer un nouveau en assemblant les morceaux avec des filets d’or et de laque, en se jouant des fêlures pour en faire de nouveaux motifs s’harmonisant à merveille avec l’œuvre initiale brisée. Le résultat fut magnifique ! À tel point que cet art japonais devint une fierté nationale, et un savoir-faire toujours pratiqué. On l’appela kintsugi. Ce mot vient du Japonais Kin (or) et Tsugi (jointure), et signifie donc littéralement : jointure à l’or. L’art du Kintsugi est appelé le Kintsukuroi, signifiant « raccommodage à l’or ». Il s’agit d’un processus de réparation long et extrêmement précis, se déroulant en de nombreuses étapes, sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. On dit même qu’il faut parfois un an pour réaliser le meilleur kintsugi…

Le kintsugi n’est pas de la restauration à l’identique. C’est une nouvelle création sublimant les fractures de l’ancienne. Ce n’est pas un bain de jouvence. C’est la transfiguration des brisures. Au lieu de nier les cassures en les cachant, en les dissimulant pour donner l’impression qu’elles n’existent plus, le kintsugi les met en évidence, les remplit d’or pour en faire des cicatrices glorieuses.

La philosophie du kintsugi n’est pas de nier l’irréparable, mais bien d’en faire autre chose, et finalement quelque chose de plus beau encore qu’avant l’accident.


Le kintsugi pascal
Vous avez déjà deviné le parallèle entre le kintsugi et notre fête de Pâques en ce dimanche ! La mort de Jésus sur le gibet est de l’ordre de l’irréparable, comme l’accident causé par Pierre Palmade ; de l’ordre de l’irréversible comme les brisures du vase du shogun.

Le kintsugi pascal dans Communauté spirituelle grunewaldDevant ce corps déchiré par les lanières plombées du fouet romain, Dieu ne va pas faire de la chirurgie esthétique pour gommer les traces du supplice.
Devant ces poignets et ces pieds transpercés par les soldats, Dieu ne va pas reboucher les trous pour donner l’illusion qu’il ne s’est rien passé.
Devant ce côté transpercé par une lance, jusqu’à atteindre la plèvre et le cœur, Dieu ne va pas refermer les côtes et les chairs pour reconstituer le Jésus d’avant la Passion.

Non : la résurrection n’est pas une restauration à l’identique. C’est une nouvelle création, où Dieu fait couler dans nos brisures de délicats filets d’or pour nous relever plus beaux encore. C’est un patient travail divin – trois jours durant – pour que le crucifié devienne vivant autrement, avec un autre rapport au temps et l’espace, libre et glorieux dans ses blessures.

À Thomas, le Ressuscité fera toucher ses plaies pour lui montrer que c’est bien lui. Il boira et mangera avec ses amis à Emmaüs et au bord du lac de Tibériade, et nul espace clos ne pourra le retenir. Seule différence avec le kintsugi japonais, il s’absentera de l’histoire à l’Ascension pour basculer dans un monde nouveau où il nous prépare une place. Le kintsugi, lui, conserve l’objet magnifié à portée de main. C’est comme si la résurrection enlevait le vase recréé des mains du shogun après quelques semaines pour le mettre en sûreté ailleurs, avec la promesse d’aller le contempler un jour…

Dieu ne restaure pas, il ressuscite.
Dieu ne répare pas, il crée de nouveau.
La résurrection de Jésus brise toutes nos représentations de la vie au-delà de la mort.

 

Kintsugi pascal

Nos cicatrices sont en or
Voilà pourquoi Pierre Palmade pourra peut-être ne pas être anéanti par sa faute, qui est grande.
Voilà pourquoi les victimes de l’accident pourront peut-être faire de ce drame un nouveau départ. Cet accident terrible est une fracture de plus dans la vie de tous. Elle brise l’apparente réussite du parcours de l’humoriste jusque-là. Mais, comme pour chacun de nous, le Père de Jésus est capable par un patient travail de kintsugi de couler de l’or dans nos fêlures, pour dessiner d’autres motifs avec les lignes brisées de nos itinéraires…

Que serions-nous sans nos blessures ?
Croyons que Dieu les cicatrise avec génie pour faire surgir des œuvres d’art là où nous nous ne voyons que des morceaux éparpillés…

Mais au fait, quelles sont vos brisures ?
Et qu’en avez-vous fait ?

 

 

 

MESSE DU JOUR DE PÂQUES

PREMIERE LECTURE
« Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts » (Ac 10, 34a.37-43)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, quand Pierre arriva à Césarée chez un centurion de l’armée romaine, il prit la parole et dit : « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage : Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »

PSAUME
(Ps 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23)
R/ Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! (Ps 117, 24)

Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !

Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !
Non, je ne mourrai pas, je vivrai,
pour annoncer les actions du Seigneur.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.

DEUXIÈME LECTURE
« Recherchez les réalités d’en haut, là où est le Christ » (Col 3, 1-4)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire.

OU AU CHOIX

DEUXIÈME LECTURE
« Purifiez-vous des vieux ferments, et vous serez une Pâque nouvelle » (1 Co 5, 6b-8)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ? Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté. Car notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ.
Ainsi, célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments, non pas avec ceux de la perversité et du vice, mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité.

SÉQUENCE
À la Victime pascale, chrétiens, offrez le sacrifice de louange.
L’Agneau a racheté les brebis ; le Christ innocent a réconcilié l’homme pécheur avec le Père.
La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne.
« Dis-nous, Marie Madeleine, qu’as-tu vu en chemin ? »
« J’ai vu le sépulcre du Christ vivant, j’ai vu la gloire du Ressuscité.
J’ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements.
Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! Il vous précédera en Galilée. »
Nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts.
Roi victorieux, prends-nous tous en pitié ! Amen. 

ÉVANGILE
« Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jn 20, 1-9)
Alléluia. Alléluia. Notre Pâque immolée, c’est le Christ ! Célébrons la Fête dans le Seigneur ! Alléluia. (cf. 1 Co 5, 7b-8a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , ,

7 avril 2023

Un Vendredi saint avec Paul Claudel

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Un Vendredi saint avec Paul Claudel

Homélie pour le Vendredi Saint / Année A
07/04/2023

Cf. également :

Le Vendredi Saint du Serviteur souffrant
Le grand silence du Samedi Saint
Vendredi saint : les soldats, libres d’obéir
Vendredi Saint : la Passion musicale
Comme un agneau conduit à l’abattoir
Vendredi Saint : paroles de crucifié
Vendredi Saint : La vilaine mort du Christ
Vendredi Saint : les morts oubliés
Vendredi Saint : la déréliction de Marie
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
La Passion du Christ selon Mel Gibson

Un Vendredi saint avec Paul Claudel dans Communauté spirituelle il_794xN.4401318137_4hy7Paul Claudel (1868-1955) a longuement médité la Passion du Christ et l’énigme de la souffrance.
Il en est venu à un déplacement de perspective que seul le Vendredi Saint peut opérer : le Christ n’est pas venu expliquer la question de la souffrance, mais l’emplir de sa présence…

« À cette question terrible, la plus ancienne de l’humanité à la quelle Job a donné sa forme quasi officielle et liturgique, Jésus répond.
Le Fils de Dieu n’est pas venu pour détruire la souffrance, mais pour souffrir avec nous.
Il n’est pas venu pour détruire la croix, mais pour s’étendre dessus.
De tous les privilèges spécifiques de l’humanité, c’est celui-là qu’il a choisi pour lui-même, c’est du côté de la mort qu’il nous a appris qu’il était le chemin de la sortie et la possibilité de la transformation. L’interrogatoire était si énorme que le Verbe seul pouvait le remplir en fournissant
non pas une explication, mais une présence, c’est-à-dire remplacer par sa présence le besoin même d’explication ».

Claudel a écrit un long poème sur le Chemin de Croix de ce Vendredi [1]. Il y voit une révélation sur l’homme, « créature si ouverte et si profonde », plus encore que le sépulcre creusé dans le rocher…
En voici la finale, qui peut nous accompagner dans le silence du tombeau, jusqu’à dimanche matin…

Treizième Station
Ici la Passion prend fin et la Compassion continue.
Le Christ n’est plus sur la Croix, il est avec Marie qui l’a reçu.
Comme elle l’accepta, promis, elle le reçoit, consommé.
Le Christ qui a souffert aux yeux de tous de nouveau au sein de sa Mère est caché.
L’Église entre ses bras à jamais prend charge de son bien-aimé.
Ce qui est de Dieu, et ce qui est de la Mère, et ce que l’homme a fait,
Tout cela sous son manteau est avec elle à jamais.
Elle l’a pris, elle voit, elle touche, elle prie, elle pleure, elle admire.
Elle est le suaire et l’onguent, elle est la sépulture et la myrrhe.
Elle est le prêtre et l’autel et le vase et le Cénacle.
Ici finit la Croix et commence le Tabernacle.


 
Quatorzième Station
Le tombeau où le Christ qui est mort ayant souffert est mis,
le trou à la hâte descellé pour qu’il dorme sa nuit,
avant que le transpercé ressuscite et monte au Père,
ce n’est pas seulement ce sépulcre neuf, c’est ma chair,
c’est l’homme, ta créature, qui est plus profond que la terre !
 
Maintenant que son cœur est ouvert et maintenant que ses mains sont percées,
il n’est plus de croix avec nous où son corps ne soit adapté.
Il n’est plus de péché en nous où la plaie ne corresponde.
Viens donc de l’autel où tu es caché, vers nous, Sauveur du monde !
Seigneur, que ta créature est ouverte et qu’elle est profonde !

_______________________________________

[1]. Téléchargeable ici : https://www.rts.ch/espace-2/programmes/emission-speciale/3901702.html/BINARY/Le%20texte%20du%20″Chemin%20de%20croix »%20(pdf)

LECTURES

Première lecture
« C’est à cause de nos fautes qu’il a été broyé » (Is 52, 13 – 53, 12)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme. Il étonnera de même une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que, jamais, on ne leur avait dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler.
Qui aurait cru ce que nous avons entendu ? Le bras puissant du Seigneur, à qui s’est-il révélé ? Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous.
Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. Arrêté, puis jugé, il a été supprimé. Qui donc s’est inquiété de son sort ? Il a été retranché de la terre des vivants, frappé à mort pour les révoltes de son peuple. On a placé sa tombe avec les méchants, son tombeau avec les riches ; et pourtant il n’avait pas commis de violence, on ne trouvait pas de tromperie dans sa bouche. Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira.
Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs.

Psaume
(30 (31), 2ab.6, 12, 13-14ad, 15-16, 17.25)
R/ Ô Père, en tes mains je remets mon esprit.
 (cf. Lc 23, 46)

En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ;
garde-moi d’être humilié pour toujours.
En tes mains je remets mon esprit ;
tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité.

Je suis la risée de mes adversaires
et même de mes voisins ;
je fais peur à mes amis,
s’ils me voient dans la rue, ils me fuient.

On m’ignore comme un mort oublié,
comme une chose qu’on jette.
J’entends les calomnies de la foule :
ils s’accordent pour m’ôter la vie.

Moi, je suis sûr de toi, Seigneur,
je dis : « Tu es mon Dieu ! »
Mes jours sont dans ta main : délivre-moi
des mains hostiles qui s’acharnent.

Sur ton serviteur, que s’illumine ta face ;
sauve-moi par ton amour.
Soyez forts, prenez courage,
vous tous qui espérez le Seigneur !

Deuxième lecture
Il apprit l’obéissance et il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel (He 4, 14-16 ; 5, 7-9)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours. Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

Évangile
Passion de notre Seigneur Jésus Christ (Jn 18, 1 – 19, 42)
Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur.
 Pour nous, le Christ est devenu obéissant, jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom. Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. (cf. Ph 2, 8-9)

La Passion de notre Seigneur Jésus Christ selon saint Jean
Indications pour la lecture dialoguée : les sigles désignant les divers interlocuteurs sont les suivants :
X = Jésus ; L = Lecteur ; D = Disciples et amis ; F = Foule ; A = Autres personnages.

L. En ce temps-là, après le repas, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron ; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec ses disciples. Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, lui aussi, car Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. Judas, avec un détachement de soldats ainsi que des gardes envoyés par les grands prêtres et les pharisiens, arrive à cet endroit. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils lui répondirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Il leur dit : X « C’est moi, je le suis. » L. Judas, qui le livrait, se tenait avec eux. Quand Jésus leur répondit : « C’est moi, je le suis », ils reculèrent, et ils tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils dirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Jésus répondit : X « Je vous l’ai dit : c’est moi, je le suis. Si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. » L. Ainsi s’accomplissait la parole qu’il avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. » Or Simon-Pierre avait une épée ; il la tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malcus. Jésus dit à Pierre : X « Remets ton épée au fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, vais-je refuser de la boire ? » L. Alors la troupe, le commandant et les gardes juifs se saisirent de Jésus et le ligotèrent. Ils l’emmenèrent d’abord chez Hanne, beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là. Caïphe était celui qui avait donné aux Juifs ce conseil : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple. » Or Simon-Pierre, ainsi qu’un autre disciple, suivait Jésus. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans le palais du grand prêtre. Pierre se tenait près de la porte, dehors. Alors l’autre disciple – celui qui était connu du grand prêtre – sortit, dit un mot à la servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre. Cette jeune servante dit alors à Pierre : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un des disciples de cet homme ? » L. Il répondit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un feu de braise pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer. Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui répondit : X « Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu ? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont entendu. Eux savent ce que j’ai dit. » L. À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : A. « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! » L. Jésus lui répliqua : X « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » L. Hanne l’envoya, toujours ligoté, au grand prêtre Caïphe. Simon-Pierre était donc en train de se chauffer. On lui dit : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un de ses disciples ? » L. Pierre le nia et dit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, insista : A. « Est-ce que moi, je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? » L. Encore une fois, Pierre le nia. Et aussitôt un coq chanta. Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire. C’était le matin. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal. Pilate sortit donc à leur rencontre et demanda : A. « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » L. Ils lui répondirent : F. « S’il n’était pas un malfaiteur, nous ne t’aurions pas livré cet homme. » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le suivant votre loi. » L. Les Juifs lui dirent : F. « Nous n’avons pas le droit de mettre quelqu’un à mort. » L. Ainsi s’accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir. Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : A. « Es-tu le roi des Juifs ? » L. Jésus lui demanda : X « Dis-tu cela de toi-même, Ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » L. Pilate répondit : A. « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » L. Jésus déclara : X « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » L. Pilate lui dit : A. « Alors, tu es roi ? » L. Jésus répondit : X « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » L. Pilate lui dit : A. « Qu’est-ce que la vérité ? » L. Ayant dit cela, il sortit de nouveau à la rencontre des Juifs, et il leur déclara : A. « Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais, chez vous, c’est la coutume que je vous relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ? » L. Alors ils répliquèrent en criant : F. « Pas lui ! Mais Barabbas ! » L. Or ce Barabbas était un bandit. Alors Pilate fit saisir Jésus pour qu’il soit flagellé. Les soldats tressèrent avec des épines une couronne qu’ils lui posèrent sur la tête ; puis ils le revêtirent d’un manteau pourpre. Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : F. « Salut à toi, roi des Juifs ! » L. Et ils le giflaient. Pilate, de nouveau, sortit dehors et leur dit : A. « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Jésus donc sortit dehors, portant la couronne d’épines et le manteau pourpre. Et Pilate leur déclara : A. « Voici l’homme. » L. Quand ils le virent, les grands prêtres et les gardes se mirent à crier : F. « Crucifie-le! Crucifie-le! » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Ils lui répondirent : F. « Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » L. Quand Pilate entendit ces paroles, il redoubla de crainte. Il rentra dans le Prétoire, et dit à Jésus : A. « D’où es-tu? » L. Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors : A. « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » L. Jésus répondit : X « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un péché plus grand. » L. Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher ; mais des Juifs se mirent à crier : F. « Si tu le relâches, tu n’es pas un ami de l’empereur. Quiconque se fait roi s’oppose à l’empereur. » L. En entendant ces paroles, Pilate amena Jésus au-dehors; il le fit asseoir sur une estrade au lieu dit le Dallage – en hébreu : Gabbatha. C’était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure, environ midi. Pilate dit aux Juifs : A. « Voici votre roi. » L. Alors ils crièrent : F. « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! » L. Pilate leur dit : A. « Vais-je crucifier votre roi ? » L. Les grands prêtres répondirent : F. « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. » L. Alors, il leur livra Jésus pour qu’il soit crucifié. Ils se saisirent de Jésus. Et lui-même, portant sa croix, sortit en direction du lieu dit Le Crâne (ou Calvaire), qui se dit en hébreu Golgotha. C’est là qu’ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. » Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, parce que l’endroit où l’on avait crucifié Jésus était proche de la ville, et que c’était écrit en hébreu, en latin et en grec. Alors les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : F. « N’écris pas : “Roi des Juifs” ; mais : “Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs.” » L. Pilate répondit : A. « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. » L. Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : A. « Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura. » L. Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture : Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats. Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : X « Femme, voici ton fils. » L. Puis il dit au disciple : X « Voici ta mère. » L. Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : X « J’ai soif. » L. Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : X « Tout est accompli. » L. Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. (Ici on fléchit le genou, et on s’arrête un instant.) Comme c’était le jour de la Préparation (c’est-à-dire le vendredi), il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé. Un autre passage de l’Écriture dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. À cause de la Préparation de la Pâque juive, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , ,

2 avril 2023

Le casse-croûte du Jeudi saint

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le casse-croûte du Jeudi saint

Homélie pour le Jeudi Saint / Année A
06/04/2023

Cf. également :

Jeudi Saint : aimer jusqu’au « telos »
La portée animalière du sacrifice du Christ
Jeudi saint : les réticences de Pierre
« Laisse faire » : éloge du non-agir
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Jeudi Saint : pourquoi azyme ?
La commensalité du Jeudi saint
Le Jeudi saint de Pierre
Jeudi Saint / De la bouchée au baiser : la méprise de Judas
Jeudi Saint : la nappe-monde eucharistique
Je suis ce que je mange
La table du Jeudi saint
Le pain perdu du Jeudi Saint
De l’achat au don

Casse-croûte
Casse-croûte
Il fut un temps où le pain était croustillant. Le mordre à pleines dents le faisait craquer de partout, et on avait aux oreilles le bruit si caractéristique de la croûte qui se brise, ce qui double le plaisir. La croûte de la miche de pain était si dure, blonde et noire de cuisson, qu’il fallait la casser au préalable avec un outil spécial au XVIII° siècle pour que les vieillards édentés des hospices puissent quand même savourer la tendre mie à l’intérieur. D’où l’expression « casser la croûte », qui supposait alors connu le but : nourrir les édentés ! Puis l’expression s’est étendue au fait de nourrir son voisin à table, en prenant la miche de pain et on la fractionnant à la main pour la partager avec ses commensaux.

Le casse-croûte était né, qui charrie toujours avec lui un parfum de camaraderie, de partage, de bonne humeur d’être ensemble, ou de pause-travail bien méritée à plusieurs.

Pain rompu pour nourrir
Jésus ne connaissait pas notre bon pain français, mais le pain azyme utilisé lors du repas pascal est aussi croustillant ! Puisqu’il est sans levain, le pain azyme ressemble à une galette craquante, une biscotte géante. C’est le rôle du père de famille lors du repas pascal de prendre la matsa (galette de pain azyme), de la casser et la fracturer pour donner à chacun sa part de pain autour de la table.
MatsaOn n’est pas sûr que le dernier repas de Jésus ait suivi le rituel pascal (le seder Pessah), le rituel très codifié de la nuit pascale, mais on est sûr que Jésus a de multiples fois rompu le pain azyme pour ses disciples, en prononçant les bénédictions juives prévues pour accompagner ce geste.

Dans notre 2° lecture, Paul est donc le premier témoin d’une chaîne de transmission orale qui est formelle sur la fraction du pain :
« Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous » ».
Ce qui est au cœur de ce que nous appelons aujourd’hui l’eucharistie n’est donc pas le pain, mais le pain rompu [1]. Et qui dit ‘pain rompu’ dit ‘pain rompu pour’ : pour partager aux convives, pour le faire qu’un en Christ ajoutera Paul. À tel point que dans les premiers siècles on appelle fraction du pain et non eucharistie le rassemblement du dimanche matin qui singularise les chrétiens des juifs. Les Actes des Apôtres ont gardé la trace de la place centrale de ce geste dans la célébration :

« Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur » (Ac 2,46).
« Le premier jour de la semaine, nous étions rassemblés pour rompre le pain… » (Ac 20,7).
« Paul remonta, rompit le pain et mangea ; puis il conversa avec eux assez longtemps, jusqu’à l’aube ; ensuite il s’en alla » (Ac 20,11).
« Ayant dit cela, Paul a pris du pain, il a rendu grâce à Dieu devant tous, il l’a rompu, et il s’est mis à manger » (Ac 27,35).
Et la Didachè, texte chrétien du II° siècle, montre que l’usage était encore en vigueur : « chaque jour du Seigneur, réunissez-vous pour la fraction du pain… ».

Le terme eucharistie (action de grâces) a peu à peu remplacé la fraction du pain, à partir du III° siècle. Il semblait peut-être plus global, car désignant toute la célébration et pas seulement un moment de celle-ci.

Puis le mot messe a remplacé eucharistie, revenant au procédé métonymique où une partie de la célébration - en l’occurrence l’envoi final : ite missa est = maintenant vous êtes envoyés au monde - désigne la totalité.

C’est presque dommage d’avoir remplacé fraction du pain par eucharistie ou messe ! Imaginez que vous disiez un collègue : « le dimanche, je vais à la fraction du pain ». Sa curiosité serait piquée au vif ! Vous lui parleriez alors de ce pain qui est brisé pour nourrir tous les invités. Vous évoqueriez les brisures de la Passion du Christ, comment il a fait de sa vie une nourriture partagée à tous. Vous pourriez même vous confier : les grandes fractures de votre parcours personnel, le sens que vous leur avez donné. Vous lui témoigneriez de la joie qu’il y a à se partager aux autres, à devenir soi-même pain rompu pour ses proches.

Le casse-croûte du Jeudi saint dans Communauté spirituelle 78590504-isol%C3%A9-rompu-%C3%A0-la-place-de-la-matza-carr%C3%A9-shmura-sauv%C3%A9e-par-la-tradition-du-pessa-h-juifLa fraction du pain est l’histoire de notre suite du Christ, lorsque nous expérimentons qu’une vie rompue au service des autres fait la joie de ceux qui sont attablés ensemble.

Au Moyen Âge, on a remplacé l’unique hostie qui était fracturée pour l’assemblée par une multitude de petites hosties rondes prédécoupées. Du coup, le geste de la fraction du pain pendant lequel on doit chanter l’Agneau de Dieu aussi longtemps que nécessaire ne dure que 2 secondes. Et c’est bien dommage. Car qui peut croire en recevant une hostie ronde qu’elle provient d’un seul pain qui a été fracturé ? [2]

La fraction du pain est le signe de l’amour-agapè : l’amour-charité est essentiellement une proexistence, une brisure de soi, une multiplication infinie… « L’amour augmente lorsqu’il est partagé » disait St Augustin. Ce n’est pas le pain comme objet qui est apte à porter la présence du Christ, mais le pain partagé, car l’être même de Dieu est de se livrer, de se donner, de se perdre pour les autres, par amour… Ainsi transparaît l’Amour livré pour le salut du monde. La présence réelle, sacramentelle et agissante, passe par cette brisure.

Pain rompu pour unir
Paul ajoute une autre signification au pain rompu : il écrit aux corinthiens parce qu’ils sont divisés, chamailleurs, querelleurs. Leur Église locale divisée par la rivalité des egos : « j’entends dire que, parmi vous, il existe des divisions, et je crois que c’est assez vrai » (1Co 11,18).

Rien de très neuf en réalité…
Mais du coup, en bon pasteur de la communauté, Paul leur prescrit le seul remède radical qu’il connaisse : communier à la fraction du pain. Car paradoxalement, ce pain rompu est le symbole de notre unité. Il est cassé, fractionné, coupé en de multiples morceaux, mais ceux qui le mangent deviennent un seul corps.
C’est presque un traitement homéopathique : rompre le pain nous donne la force spirituelle de ne pas rompre nos liens fraternels.

wXRp1896993 croûte dans Communauté spirituelleOn a la même idée dans l’Ancien Testament lorsqu’Abraham coupe en deux des carcasses d’animaux pour sceller l’Alliance entre YHWH et lui, dans le fameux et mystérieux passage de « l’Alliance entre les morceaux » :
« Le Seigneur lui dit : ‘Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe.’ Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre |…] Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram |…] » (Gn 15,9-18). Paradoxalement, le partage des carcasses symbolise l’union avec YHWH. Dans l’Alliance, le peuple sera en vis-à-vis face à YHWH comme les morceaux d’animaux deux par deux. Le but de la fraction est déjà de ne plus faire qu’un à plusieurs, ce que la Nouvelle Alliance de la fraction du pain accomplira à l’extrême.

1-c39302f2b1 eucharistieSaint Augustin développera sans cesse ce thème du pain rompu pour l’unité des chrétiens :
« Pourquoi donc le corps est-il dans le pain ? Ici encore, ne disons rien de nous-mêmes, écoutons encore l’Apôtre qui, en parlant de ce sacrement, nous dit : Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps (1Co 10,17). Comprenez cela et soyez dans la joie : unité, vérité, piété, charité ! Un seul pain : qui est ce pain unique ? Un seul corps, nous qui sommes multitude. Rappelez-vous qu’on ne fait pas du pain avec un seul grain, mais avec beaucoup. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. Voilà ce que l’Apôtre dit du pain » (sermon 272).

Pain rompu pour nourrir,
pain rompu pour unir :
que la fraction du pain ce soir nous entraîne à nous-même devenir rompu pour les autres…

 

 

 

 

______________________________________

[1]. On retrouve l’expression « rompre le pain » dans le miracle du partage des pains (Mt 14, 19.20 ; 15, 36.37 ; Mc 6, 41.43 ; 8, 6.8. 19.20; Lc 9, 17; Jn 6, 11.12.13). b. Puis dans la dernière Cène (Mt 26, 26 ; Mc 14, 22 ; Lc 22, 19; 1 Co 11, 24). c. Et dans cinq autres circonstances : à Emmaüs (Lc 24, 30.35), à Jérusalem (Ac 2, 42.46), à Troas (Ac20, 7.11), sur le navire qui conduit Paul à Rome (Ac 27, 35), à Corinthe (1 Co 10, 16). Dans tous ces passages (au total 16), 14 fois celui qui rompt le pain est nommé : 12 fois c’est Jésus, et 2 fois c’est Paul. Par 2 fois le sujet est la communauté, l’Église locale dans son ensemble.

[2]. La Présentation Générale du Missel Romain (n° 283) demande d’ailleurs qu’on puisse distribuer au moins quelques morceaux du pain rompu à quelques fidèles, et estime « très souhaitable » (n° 564) que l’assemblée reçoive le Corps du Christ avec les hosties consacrées pendant la messe (plutôt qu’avec celles du tabernacle).

MESSE DU SOIR

PREMIÈRE LECTURE
Prescriptions concernant le repas pascal (Ex 12, 1-8.11-14)

Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là ; je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : Je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte.
Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez. »

PSAUME
(115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18)
R/ La coupe de bénédiction est communion au sang du Christ. (cf. 1 Co 10, 16)

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

DEUXIÈME LECTURE
« Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

ÉVANGILE
« Il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1-15)
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , ,
12