Les Sept, ou la liberté d’innover
Les Sept, ou la liberté d’innover
Homélie pour le 5° Dimanche de Pâques / Année A
07/05/2023
Cf. également :
Gestion de crise
Que connaissons-nous vraiment les uns des autres ?
Le but est déjà dans le chemin
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Quand Dieu appelle
Va te faire voir chez les Grecs !
Le chemin synodal allemand
Depuis trois ans, les paroisses catholiques allemandes sont en effervescence. La démarche synodale initiée par le pape François pour l’Église universelle rencontre ici un engouement impressionnant. Mais la participation massive des laïcs, et notamment des femmes, avait abouti dans un premier temps à une liste de réformes ecclésiales qui a effrayé le Vatican ! Les assemblées synodales allemandes demandaient plus de démocratie dans l’Église, la révision de l’obligation du célibat sacerdotal, la possibilité d’ordonner des femmes au diaconat, de les habiliter à prêcher, voire baptiser, marier ou même confesser ; sans oublier l’accueil des divorcés remariés, des personnes LGBT etc. Devant la stupeur romaine, les évêques allemands ont réussi à limiter le vote final à des demandes plus consensuelles, où figuraient cependant toujours le diaconat féminin, l’ordination d’hommes mariés, un autre exercice du pouvoir et de la prise de décision dans les diocèses etc.
On pourrait s’en étonner et penser que l’Église allemande est trop influencée par l’air du temps ou par sa consœur protestante. On peut aussi faire remarquer que certaines de ces demandes rejoignent en réalité la Tradition la plus ancienne. Car dans le Nouveau Testament comme dans les six premiers siècles environ [1], il y avait des diaconesses, on ordonnait des hommes mariés, il y avait même des évêques de père en fils (Grégoire de Naziance) … Les historiens orthodoxes feront remarquer d’ailleurs que c’est l’Église latine qui a innové – unilatéralement – en cessant d’ordonner des hommes mariés alors que l’Orient a perpétué cette tradition des origines. Ou que la centralisation romaine est également une invention tardive liée à l’Empire, au détriment de la collégialité chère aux chrétiens orientaux (les patriarcats) et de la synodalité chère ensuite aux protestants (qui décident en synodes réguliers).
Bref, l’innovation n’est pas là où l’on pense !
Du coup, les biblistes eux-mêmes en rajoutent une couche avec notre première lecture de ce dimanche (Ac 6,1-7), racontant l’appel et l’élection des Sept.
Un Messie ne devrait pas dire ça
En effet, cette élection des Sept qu’on appellera ensuite des diacres (serviteurs) est totalement incongrue par rapport aux Évangiles. Du moins si on se limite à la seule règle qui voudrait qu’on ne refait dans l’Église que ce que Jésus (ou à la limite un super apôtre comme Paul) a explicitement fait où demandé de refaire à sa suite, tel qu’il l’a accompli.
Jésus n’a appelé que des hommes, les Douze ? Donc, à jamais, l’Église n’appellera que des hommes.
Jésus a déclaré le mariage indissoluble ? Donc, à jamais, les divorcés remariés seront hors communion.
Paul exigeait que les femmes se taisent et se couvrent la tête dans les assemblées ? Donc elles n’auront pas le droit de faire de lectures, de servir à l’autel (l’acolytat et le lectorat ont longtemps été réservés aux hommes), et les mantilles fleuriront comme des champignons en sous-bois sur les bancs de la paroisse le dimanche…
Pourtant, Jésus a lavé les pieds de ses disciples et explicitement commandé de le refaire à sa suite, et aucune Église n’en a fait un sacrement réitérable.
Pourtant le nouveau Testament et les Pères de l’Église mentionnent le rôle des diaconesses dans les premiers siècles.
Pourtant les orthodoxes accordent un second mariage (sous conditions), alors qu’ils ne permettent pas le mariage après veuvage comme les catholiques. Etc.…
Le Christ avait prévenu ses disciples : « vous ferez des œuvres plus grandes que moi » (Jn 14,12). Car figer la vie ecclésiale à ce que Jésus de Nazareth pratiquait à son époque est une forme de monophysisme ecclésial – pour le dire avec les gros mots des théologiens – c’est-à-dire une absolutisation des pratiques humaines de Jésus en croyant que toutes sont divines. Tout dans les coutumes de l’Église serait immédiatement de nature divine et non pas humaine (monophysisme = une seule nature).
Figer la vie ecclésiale est également le symptôme d’un déficit pneumatologique – autre gros mot de théologiens comme Congar – qui traduit un manque de foi et de confiance dans l’action de l’Esprit Saint conduisant l’Église.
Car nous ne sommes pas que l’Église de Jésus-Christ ; nous sommes également l’Église de l’Esprit Saint, et cet Esprit « renouvelle sans cesse la face de la terre », « en faisant toutes choses nouvelles », dans l’Église comme en dehors d’elle.
Si Jésus avait voulu figer un groupe religieux dans des pratiques indépassables, il n’aurait pas dû dire : « vous ferez des œuvres plus grandes que moi ».
Si innover était un péché grave comme en islam, il aurait fallu arracher les Actes des Apôtres du Nouveau Testament, car ce sont en fait les actes de l’Esprit conduisant l’Église sur des chemins inédits : l’ouverture aux païens, la dispense de circoncision et de cacherout pour eux, des ministères nouveaux pour nourrir et servir le nouveau Peuple de Dieu, des discernements éthiques auxquels Jésus n’avait pas réfléchi ni préparé etc.
Les Sept, ou la liberté d’innover
Le meilleur exemple de cette liberté d’innover que confère l’Esprit à l’Église est sans doute notre épisode des Sept. Jésus n’avait pas prévu, ni voulu, ni annoncé ce que nous appelons aujourd’hui le diaconat permanent. C’est l’assemblée de Jérusalem tout entière – inspirée – qui va décider d’imposer les mains à sept hommes appelés pour servir les veuves à table, afin qu’il n’y ait pas d’inégalité entre les pauvres de la communauté naissante. Sept est le chiffre de la Création, alors que Douze était celui des tribus d’Israël : appeler 7 diacres est donc d’emblée situé dans une dynamique de création, d’innovation pour tous les peuples (et pas seulement Israël).
Ce qui déclenche cette innovation sensationnelle est le besoin de l’assemblée : on ne peut laisser des pauvres (veuves) de côté, on ne peut diviser le corps du Christ en pratiquant l’inégalité en son sein, on ne peut freiner l’expansion de la Parole de Dieu en obligeant les apôtres à servir à table au lieu d’annoncer le Christ ressuscité aux foules.
La question n’est alors même pas : qu’aurait fait Jésus à notre place ? L’imitation de Jésus-Christ, malgré de belles lettres de noblesse, frise elle aussi le monophysisme. Il ne s’agit pas de singer l’action du Christ, mais d’être fidèle à l’Esprit qui le conduisait et qui nous inspire aujourd’hui.
Ne pas croire assez en l’action de l’Esprit Saint mène à figer toute la vie de l’Église dans l’état où on l’a connue. Les intégristes ne sont pas loin de cette hérésie, eux qui veulent une Tradition immobile, au lieu de discerner les signes des temps, c’est-à-dire de se laisser conduire par l’Esprit qui « souffle où il veut ». Les musulmans sont déjà tombés dans ce fixisme historique qui interdit toute interprétation (ijtihad) du Coran sous prétexte que ce serait les mots mêmes de Dieu (quelle folie !).
Heureusement, l’assemblée de Jérusalem croit en l’Esprit Saint, fermement. Par le débat, le jeûne, la prière, elle se laisse conduire à inventer ce nouveau ministère inédit, promis à un bel avenir. Ministère diaconal qui lui-même ne sera pas figé dans sa formulation initiale du seul service des tables. On suit en effet tout suite après la prédication du diacre Étienne, premier martyr, devant le tribunal juif (Ac 7). C’est donc qu’il n’était pas cantonné au réfectoire ! Et la catéchèse du diacre Philippe persuadant l’eunuque éthiopien dans son char que Jésus est bien le Serviteur souffrant annoncé par Isaïe (Ac 8) nous montre que les Sept ont activement participé à l’évangélisation de tous les peuples. Philippe est d’ailleurs le premier à aller proclamer l’évangile aux Samaritains, avant les apôtres !
Le ministère diaconal a donc tout de suite évolué, là encore pour répondre aux besoins de l’Église, sous l’action de l’Esprit qui accompagne l’ouverture aux nations païennes et les questions inédites que cette ouverture soulève.
Au passage, notons que l’intuition par exemple des Pères Blancs inventant le ministère de catéchiste en Afrique noire relève d’une inspiration semblable : puisque le diaconat permanent n’était pas encore rétabli, parce que les besoins des communautés éparpillées dans la brousse l’exigeaient, les Pères Blancs ont institué des hommes mariés responsables et évangélisateurs de ces communautés locales, en lien avec eux, mais de façon totalement nouvelle.
L’histoire ne manque pas de tels exemples où l’Esprit fait surgir de nouvelles figures de vie ecclésiale pour annoncer l’Évangile dans des cultures, des peuples, des régions différentes, chacune selon son génie. On peut citer pêle-mêle les ordres monastiques, les béguines, le renouveau franciscain, les réveils charismatiques, l’Action catholique, les communautés de base en Amérique latine, et bien sûr les conciles, événements spirituels où les évêques unis à leur peuple se mettent à l’écoute de ce que « l’Esprit dit aux Églises », selon la belle expression de l’Apocalypse.
Les Sept n’existaient pas dans la pratique ni même dans la tête de Jésus marchant dans la poussière de Palestine. Il aura fallu Pentecôte et le concile de Jérusalem (Ac 15) pour que les baptisés juifs osent abandonner la circoncision et la cacherout, alors que Jésus avait formellement demandé de ne pas changer un iota de la loi qui obligeait à ce ritualisme. Heureusement que l’Esprit nous a appris à désobéir à la lettre de la Loi juive ! Sinon nous serions encore sous le joug du shabbat, de la circoncision, des interdits alimentaires, des innombrables règles de pureté à respecter, des rituels invraisemblables à observer scrupuleusement etc…
Jésus ne pouvait prêcher cela, mais il nous en a donné l’élan : « vous ferez des œuvres plus grandes que moi ».
Pourquoi ? Parce que « l’Esprit vous conduira vers la vérité tout entière » (Jn 16,13).
Que l’Esprit, qui a présidé à l’innovation diaconale, nous inspire aujourd’hui de vraies réponses aux besoins de notre temps !
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[1]. Outre les douze apôtres (sauf peut-être Jean) qui étaient mariés, on peut citer Timothée, un certain évêque appelé Syntyche qui était marié (Ph 4,3), l’évêque d’Alexandrie Héraclas au III° siècle, Paphnuce évêque en Égypte, Irénée de Lyon (130-202) fils d’évêque, Grégoire de Nysse (335-394) et Basile de Césarée (329-379) fils de Basile l’Ancien, évêque de Césarée en Cappadoce, Grégoire de Naziance père (l’Ancien) et fils (le Théologien) évêques de Naziance aux III°-IV° siècle etc. D’ailleurs, les canons apostoliques, qui datent du IV° siècle, autorisent les évêques à se marier, à condition que leur épouse soit d’accord et qu’elle soit choisie parmi les vierges de l’Église.
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Ils choisirent sept hommes remplis d’Esprit Saint » (Ac 6, 1-7)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées dans le service quotidien. Les Douze convoquèrent alors l’ensemble des disciples et leur dirent : « Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge. En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole. » Ces propos plurent à tout le monde, et l’on choisit : Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, un converti au judaïsme, originaire d’Antioche. On les présenta aux Apôtres, et après avoir prié, ils leur imposèrent les mains. La parole de Dieu était féconde, le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem, et une grande foule de prêtres juifs parvenaient à l’obéissance de la foi.
PSAUME
(Ps 32 (33), 1-2, 4-5, 18-19)
R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous, comme notre espoir est en toi !ou : Alléluia ! (Ps 32, 22)
Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes !
Hommes droits, à vous la louange !
Rendez grâce au Seigneur sur la cithare,
jouez pour lui sur la harpe à dix cordes.
Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.
Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.
DEUXIÈME LECTURE
« Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal » (1 P 2, 4-9)
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, approchez-vous du Seigneur Jésus : il est la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ. En effet, il y a ceci dans l’Écriture : Je vais poser en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie, précieuse ; celui qui met en elle sa foi ne saurait connaître la honte. Ainsi donc, honneur à vous les croyants, mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche. Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole, et c’est bien ce qui devait leur arriver. Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière.
ÉVANGILE
« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 1-12)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie, dit le Seigneur. Personne ne va vers le Père sans passer par moi. Alléluia. (Jn 14, 6)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ? Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. Pour aller où je vais, vous savez le chemin. » Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. » Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. » Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres. Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père »
Patrick BRAUD