Le kintsugi pascal
Le kintsugi pascal
Homélie pour le Dimanche de Pâque / Année A
08/04/2023
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Incroyable !
L’irréparable
C’était la Une-choc du Parisien. Dans la nuit du 10 février dernier, l’humoriste Pierre Palmade venait de provoquer un accident gravissime, sous l’emprise de cocaïne et de drogues de synthèse. Sa voiture s’est déportée sans raison et a percuté de plein fouet un autre véhicule, dans lequel est venu s’encastrer un troisième. Bilan : un garçon de 6 ans dans le coma, des blessés fracturés de partout avec des séquelles à vie, et le bébé de 7 mois d’une conductrice enceinte est mort dans l’accident. Comment les victimes pourront-elles surmonter le drame de l’accident et de ses conséquences ? Comment Pierre Palmade va-t-il assumer sa terrible responsabilité qui va le hanter pour le reste de ses jours ?
Ce faits divers, qui est devenu un fait de société, nous oblige à nouveau à ce constat terrible : oui, il y a de l’irréversible dans nos vies. Il y a de l’irréparable. Il y a des seuils franchis qui changent tout, et on ne peut revenir en arrière.
Les irresponsables croient que tout peut toujours s’arranger, et que rien n’est grave en fait. Grosse erreur ! Lorsque l’irréparable survient, il est trop tard pour pleurer, pour jurer qu’on va se corriger. Personne ne redonnera à la conductrice enceinte son enfant sur le point de naître. Personne, même les chirurgiens les plus habiles, ne pourront réparer le corps des accidentés pour le remettre en état comme avant…
Le kintsugi
On raconte qu’un shogun (gouverneur) japonais du XIII° siècle cassa par mégarde un précieux vase de céramique auquel il tenait beaucoup. Il l’envoya en Chine aux meilleurs artisans du moment pour le faire réparer. Il lui revint, rafistolé façon puzzle, avec d’affreuses agrafes métalliques dénaturant sa beauté. Le shogun demanda alors à ses propres artisans de changer
de stratégie : au lieu de vouloir restaurer le vase comme avant, il leur demanda d’en créer un nouveau en assemblant les morceaux avec des filets d’or et de laque, en se jouant des fêlures pour en faire de nouveaux motifs s’harmonisant à merveille avec l’œuvre initiale brisée. Le résultat fut magnifique ! À tel point que cet art japonais devint une fierté nationale, et un savoir-faire toujours pratiqué. On l’appela kintsugi. Ce mot vient du Japonais Kin (or) et Tsugi (jointure), et signifie donc littéralement : jointure à l’or. L’art du Kintsugi est appelé le Kintsukuroi, signifiant « raccommodage à l’or ». Il s’agit d’un processus de réparation long et extrêmement précis, se déroulant en de nombreuses étapes, sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. On dit même qu’il faut parfois un an pour réaliser le meilleur kintsugi…
Le kintsugi n’est pas de la restauration à l’identique. C’est une nouvelle création sublimant les fractures de l’ancienne. Ce n’est pas un bain de jouvence. C’est la transfiguration des brisures. Au lieu de nier les cassures en les cachant, en les dissimulant pour donner l’impression qu’elles n’existent plus, le kintsugi les met en évidence, les remplit d’or pour en faire des cicatrices glorieuses.
La philosophie du kintsugi n’est pas de nier l’irréparable, mais bien d’en faire autre chose, et finalement quelque chose de plus beau encore qu’avant l’accident.
Le kintsugi pascal
Vous avez déjà deviné le parallèle entre le kintsugi et notre fête de Pâques en ce dimanche ! La mort de Jésus sur le gibet est de l’ordre de l’irréparable, comme l’accident causé par Pierre Palmade ; de l’ordre de l’irréversible comme les brisures du vase du shogun.
Devant ce corps déchiré par les lanières plombées du fouet romain, Dieu ne va pas faire de la chirurgie esthétique pour gommer les traces du supplice.
Devant ces poignets et ces pieds transpercés par les soldats, Dieu ne va pas reboucher les trous pour donner l’illusion qu’il ne s’est rien passé.
Devant ce côté transpercé par une lance, jusqu’à atteindre la plèvre et le cœur, Dieu ne va pas refermer les côtes et les chairs pour reconstituer le Jésus d’avant la Passion.
Non : la résurrection n’est pas une restauration à l’identique. C’est une nouvelle création, où Dieu fait couler dans nos brisures de délicats filets d’or pour nous relever plus beaux encore. C’est un patient travail divin – trois jours durant – pour que le crucifié devienne vivant autrement, avec un autre rapport au temps et l’espace, libre et glorieux dans ses blessures.
À Thomas, le Ressuscité fera toucher ses plaies pour lui montrer que c’est bien lui. Il boira et mangera avec ses amis à Emmaüs et au bord du lac de Tibériade, et nul espace clos ne pourra le retenir. Seule différence avec le kintsugi japonais, il s’absentera de l’histoire à l’Ascension pour basculer dans un monde nouveau où il nous prépare une place. Le kintsugi, lui, conserve l’objet magnifié à portée de main. C’est comme si la résurrection enlevait le vase recréé des mains du shogun après quelques semaines pour le mettre en sûreté ailleurs, avec la promesse d’aller le contempler un jour…
Dieu ne restaure pas, il ressuscite.
Dieu ne répare pas, il crée de nouveau.
La résurrection de Jésus brise toutes nos représentations de la vie au-delà de la mort.
Voilà pourquoi Pierre Palmade pourra peut-être ne pas être anéanti par sa faute, qui est grande.
Voilà pourquoi les victimes de l’accident pourront peut-être faire de ce drame un nouveau départ. Cet accident terrible est une fracture de plus dans la vie de tous. Elle brise l’apparente réussite du parcours de l’humoriste jusque-là. Mais, comme pour chacun de nous, le Père de Jésus est capable par un patient travail de kintsugi de couler de l’or dans nos fêlures, pour dessiner d’autres motifs avec les lignes brisées de nos itinéraires…
Que serions-nous sans nos blessures ?
Croyons que Dieu les cicatrise avec génie pour faire surgir des œuvres d’art là où nous nous ne voyons que des morceaux éparpillés…
Mais au fait, quelles sont vos brisures ?
Et qu’en avez-vous fait ?
MESSE DU JOUR DE PÂQUES
PREMIERE LECTURE
« Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts » (Ac 10, 34a.37-43)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, quand Pierre arriva à Césarée chez un centurion de l’armée romaine, il prit la parole et dit : « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage : Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »
PSAUME
(Ps 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23)
R/ Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! (Ps 117, 24)
Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !
Non, je ne mourrai pas, je vivrai,
pour annoncer les actions du Seigneur.
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.
DEUXIÈME LECTURE
« Recherchez les réalités d’en haut, là où est le Christ » (Col 3, 1-4)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire.
OU AU CHOIX
DEUXIÈME LECTURE
« Purifiez-vous des vieux ferments, et vous serez une Pâque nouvelle » (1 Co 5, 6b-8)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ? Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté. Car notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ.
Ainsi, célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments, non pas avec ceux de la perversité et du vice, mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité.
SÉQUENCE
À la Victime pascale, chrétiens, offrez le sacrifice de louange.
L’Agneau a racheté les brebis ; le Christ innocent a réconcilié l’homme pécheur avec le Père.
La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne.
« Dis-nous, Marie Madeleine, qu’as-tu vu en chemin ? »
« J’ai vu le sépulcre du Christ vivant, j’ai vu la gloire du Ressuscité.
J’ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements.
Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! Il vous précédera en Galilée. »
Nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts.
Roi victorieux, prends-nous tous en pitié ! Amen.
ÉVANGILE
« Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jn 20, 1-9)
Alléluia. Alléluia. Notre Pâque immolée, c’est le Christ ! Célébrons la Fête dans le Seigneur ! Alléluia. (cf. 1 Co 5, 7b-8a)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.
Patrick BRAUD