En descendant de la montagne…
En descendant de la montagne…
Homélie pour le 2° Dimanche de Carême / Année A
05/03/2023
Cf. également :
Abraham, comme un caillou dans l’eau
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
Bénir en tout temps en tout lieu
Tous les matins du monde
Face à l’immense écran de cinéma du Grand Rex à Paris qui enveloppait toute la salle, tous restèrent jusqu’à la dernière ligne du long générique final, hypnotisés par la plainte de la viole de gambe qui n’avait cessé de les bouleverser tout au long du film. Écouter et voir Tous les matins du monde en THX dans cette bulle sonore exceptionnelle fut une expérience musicale et visuelle des plus rares. Nous étions pétrifiés, paralysés, incapables de rompre le charme, déchirés de devoir quitter ce pur moment de beauté. Pourtant il fallut, au bout d’un long silence, les lumières allumées, lever les sièges et s’en aller un à un, à regret. Dehors le boulevard Poissonnière était gris, le grondement du métro Bonne Nouvelle n’était que fracas, les vêtements de la foule étaient quelconques, le flux du quotidien recouvrait peu à peu ce que la splendeur de la viole de gambe avait découvert…
C’est quelque chose de cet ordre-là que nous éprouvons tous « en descendant de la montagne », comme l’écrit l’Évangile du dimanche de la Transfiguration (Mt 17,1-9).
Ceux qui se sont enlacés desserrent leur étreinte ; ceux qui étaient éblouis clignent des yeux et se réajustent à la lumière ambiante ; ceux qui étaient transportés ailleurs sur une haute montagne grâce à leur lecture, leur musique, leur passion, leur jouissance du moment doivent redescendre et affronter l’étuve du métro, la banalité des conversations quotidiennes, la grisaille de l’ordinaire. Pas étonnant que les Chartreux choisissent le silence et la solitude, pour demeurer sur la ligne de crête ! Pas étonnant que les junkies se piquent encore et encore, conscients de se détruire : mais l’extase là-haut est si forte qu’ils ne veulent pas redescendre…
Je me souviens d’une semaine sur la montagne, littéralement : celle de l’Assekrem, dans le désert du Hoggar, en Algérie. J’avais passé une semaine de solitude dans un petit ermitage de rochers brûlants, avec pour seule rencontre la messe du matin célébrée par un petit frère de Charles de Foucauld dans la chapelle de cailloux que l’ermite avait construite. Redescendre sur Tamanrasset fut un crève-cœur : plus jamais je ne pourrais vivre à ces altitudes du cœur, pensais-je en pleurant de voir les pics du Hoggar s’éloigner…
En descendant de la montagne du Thabor où il a été ébloui, saisi de la beauté divine, Jésus a peut-être pleuré intérieurement de devoir quitter cette communion si intense pour une Passion qui s’annonçait si dégradante. En descendant de la montagne, Pierre Jacques et Jean ont dû eux aussi être immensément tristes de ne pas demeurer là-haut, à contempler, à s’immerger dans la Transfiguration de Jésus. Alors Jésus leur livre la clé pour ce qui va suivre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ».
De fait, entre Transfiguration et Résurrection, les épisodes à venir ne seront pas très beaux. Lâchetés, reniements, délations, faux procès, peine de mort (la pire possible)… Ce moment sur la montagne ressemble à un avertissement : dernière station avant le désert, faites le plein si vous voulez tenir bon et aller jusqu’au bout !
Affronter le mal
Quand Jésus descend de la montagne, on pense bien sûr à Moïse descendant du Sinaï (Dt 9), son visage rayonnant de la gloire divine au point de devoir se voiler la face pour ne pas éblouir le peuple ! À peine descendu, il est confronté à l’adultère du Veau d’or : en l’absence de Moïse, le peuple est capable de se prostituer devant l’argent, les idoles, la volonté de puissance.
Jésus, descendant du Thabor, rencontre la foule et combat le mal à l’œuvre (Lc 9,37 ; Mt 8,1). Il s’affronte à un esprit démoniaque qui est en train de détruire un enfant. En Mc 9,9 et Mt 17,9, il annonce plonger résolument dans l’océan pestilentiel de sa Passion, qu’il accepte pleinement à partir de ce moment de la Transfiguration. Et Jean, qui pourtant faisait partie du petit groupe du Thabor, ne raconte pas l’épisode mais parle de la gloire divine sur Jésus juste après l’image du grain de blé en terre (Jn 12,24), car pour Jean également la gloire et la croix sont indissociables.
Quand Moïse et Jésus descendent de la montagne, c’est donc pour affronter le mal sous toutes ses formes, la mort étant l’ultime combat à mener.
N’espérons pas passer à côté de ce changement radical de perspective : de la beauté de nos extases à la laideur de nos péchés, du sommet de l’éblouissement à la bassesse des lâchetés ordinaires, de la transfiguration à la défiguration, du Thabor au Golgotha…
Nos transfigurations nous sont données pour faire le plein avant nos Passions : le plein d’espérance, de force, le courage, de beauté, de communion intense, avant le doute, la laideur, la faiblesse, la peur, la nuit de la foi.
Un jour de lumière pour des années de nuit
S’il en est une qui a connu cette séquence : un moment de transfiguration / des années d’obscurité, c’est bien Mère Teresa. Son Thabor à elle fut un voyage en train, de Calcutta à Darjeeling, le 10 septembre 1946 pour aller à une retraite de sa communauté. Pendant qu’elle essaye de dormir :
« soudain, j’entendis avec certitude la voix de Dieu. Le message était clair : je devais sortir du couvent et aider les pauvres en vivant avec eux. C’était un ordre, un devoir, une certitude. Je savais ce que je devais faire mais je ne savais comment ».
Mère Teresa parle de cette journée comme étant le « jour de l’inspiration », « l’appel dans l’appel ».
Un seul jour, et sa vie a basculé.
Mais quel chemin d’obscurité ensuite ! Elle fonde son ordre des Missionnaires de la Charité en 1948. Tout le monde la voit en sari bleu auprès des mourants de Calcutta, toujours le sourire aux lèvres, apparemment habitée. Pourtant, en elle-même, elle n’éprouve plus que vide et désolation. Après l’avoir effleuré de son aile dans la fulgurance de l’expérience à bord du train, la beauté divine la quittait, elle ne ressentait plus rien de l’amour de Dieu qui l’avait mise en mouvement :
« Seigneur mon Dieu, qui suis-je pour que Tu m’abandonnes ?… J’appelle, je m’accroche, je veux. Et il n’y a personne pour répondre. Personne à qui je puisse m’accrocher. Non, personne. Seule. L’obscurité est si sombre et je suis seule. Non désirée, abandonnée. La solitude du cœur qui désire l’amour est insupportable. Où est ma foi ? Même tout au fond, jusque là, il n’y a que le vide et l’obscurité. Mon Dieu, comme est douloureuse cette douleur inconnue. Elle me fait souffrir sans cesse… Amour, le mot n’évoque rien. On me dit que Dieu m’aime et pourtant l’obscurité, la froideur et le vide sont une réalité si grande que rien ne touche mon cœur ».
« J’éprouve que Dieu n´est pas Dieu, qu´Il n´existe pas vraiment. C´est en moi de terribles ténèbres. Comme si tout était mort, en moi, car tout est glacial », écrit-elle.
En 1958, elle avoue : « Tout le temps à sourire. Les Sœurs et les gens pensent que ma foi, mon espérance, mon amour me comblent en profondeur, et que l´intimité avec Dieu et l´union avec Sa volonté imprègnent mon cœur. Si seulement ils pouvaient savoir ».
« C’est seulement la foi aveugle qui me transporte, parce que, en vérité, tout est obscurité pour moi. »
Cette nuit de la foi fut terrible, et dura jusqu’à sa mort en 1997.
Quelques lueurs de Thabor pour des décennies de froideur, sans aucun signe pour être réconfortée.
N’espérons pas éviter ce genre de nuit lorsque nous descendons de nos montagnes familiales, intellectuelles, spirituelles, artistiques ou autres.
Lorsque votre Thabor s’éloignera, durcissez votre visage comme le Christ montant à Jérusalem : il suffit d’une seule illumination pour aller jusqu’au bout de la route, il ne faut qu’un moment de pur bonheur pour qu’il irrigue toute une existence…
Mais quelle est donc votre Transfiguration à vous ?
BONUS
Je me suis amusé à demander à ChatGPT (Intelligence artificielle qui rédige des textes automatiquement pour vous) d’écrire une homélie sur la Transfiguration de Jésus, et voilà le résultat (cohérent, pas transcendant, mais néanmoins solide !) :
Réponse de Chat GPT :
Chers frères et sœurs,
La Transfiguration de Jésus est un événement important dans la Bible, qui montre la gloire de Jésus et sa divinité. C’est l’un des moments les plus importants de la vie de Jésus, où il est transfiguré devant ses disciples, Pierre, Jacques et Jean, et où la voix de Dieu le Père est entendue.
La Transfiguration nous rappelle que Jésus est le Fils de Dieu, et que sa vie, sa mort et sa résurrection ont un sens divin. C’est un moment de révélation, où les disciples voient la gloire de Jésus et comprennent sa véritable nature.
Mais cette Transfiguration n’est pas seulement un événement passé. Elle est aussi un appel pour nous, pour que nous transfigurions notre propre vie en suivant Jésus et en vivant selon ses enseignements. Cela signifie vivre une vie de foi, d’amour et de service aux autres.
Enfin, la Transfiguration nous rappelle que notre vie terrestre n’est qu’un passage vers une vie éternelle avec Dieu. En suivant Jésus, nous pouvons être transfigurés et partager sa gloire éternelle.
Que Dieu nous bénisse tous, et qu’il nous guide sur le chemin de la Transfiguration. Amen.
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
Vocation d’Abraham, père du peuple de Dieu (Gn 12, 1-4a)
Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui.
PSAUME
(Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22)
R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous, comme notre espoir est en toi ! (Ps 32, 22)
Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.
Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.
Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !
DEUXIÈME LECTURE
Dieu nous appelle et nous éclaire (2 Tm 1, 8b-10)
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée
Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Car Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté : il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile.
ÉVANGILE
« Son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 1-9)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »
Patrick BRAUD