L'homélie du dimanche (prochain)

29 janvier 2023

Faim de justice

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Faim de justice

 

Homélie pour le 5° Dimanche du temps ordinaire / Année A 

05/02/2023 


Cf. également :

L’Église et la modernité: sel de la terre ou lumière du monde ?

Sainteté éthique, sainteté confessante

Mesdames-Messieurs les candidats, avez-vous lu Isaïe ?

On n’est pas dans le monde des Bisounours !

Lumière des nations


Si tu dénoues les liens de servitude…

‘Dis-moi ce que tu chantes, je te dirai quelle est ta foi’. Michel Scouarnec a fait un livre [1] sur ce lien entre les chants de nos assemblées et leurs priorités spirituelles. Notre première lecture de ce dimanche (Is 58,7-10) est à ce titre bien connue d’une génération de pratiquants aux tempes grisonnantes : celle des années 80, où l’on croyait encore à la transformation du monde par l’action politique. Faire se rapprocher le Royaume de Dieu en réformant le système économique était alors une puissante motivation – notamment des militants comme on les appelait – de l’Action Catholique. Ainsi on chantait fièrement Mannick et Akepsimas réinterprétant Isaïe à la lumière des combats de l’époque :

Si tu dénoues les liens de servitude

Si tu libères ton frère enchaîné

La nuit de ton chemin sera lumière de midi (bis)

Alors, de tes mains, pourra naître une source,

La source qui fait vivre la terre de demain (bis).

Parcourez nos assemblées aujourd’hui : la note intimiste y est devenue prédominante, avec l’omniprésence des chants du Renouveau privilégiant la relation individuelle à Dieu. Le (très beau) chant « Ô ô  prends mon âme » est par exemple le symptôme le plus évident d’un repli sur l’intime, d’un glissement individualiste où la déception engendrée par les combats collectifs provoque la redécouverte d’une spiritualité tout intérieure :

Oh ! prends mon âme, prends-la Seigneur, 

Et que ta flamme brûle en mon cœur. 

Que tout mon être vibre pour toi, 

Sois seul mon Maître, ô divin Roi.

Pourtant, chanter Isaïe 58 avait de la gueule !

Et cela pourrait revenir, car le XXI° siècle ramène le collectif au-devant de la scène : guerres, régimes inhumains, épidémies mondiales, péril écologique, combat féministe etc.

Attardons-nous ce dimanche sur la lignée prophétique incarnée par Isaïe, que l’on peut résumer en une déclaration lapidaire : le combat pour la justice sociale vaut mieux que le jeûne et toutes les coutumes religieuses !


La contestation prophétique du jeûne

Faim de justice dans Communauté spirituelle sadhus-ascetes-asanas-1080x604Les écolos ou naturopathes actuels remettent le détox à la mode, sans savoir ce qu’il charrie de représentations archaïques. Le jeûne est une pratique ascétique qui dans toutes les religions est supposée procurer un état de conscience plus aiguë, une purification intérieure, quelquefois jusqu’à la transe. Les chamanes des pays de l’Est, les sâdhus de l’Inde, les marabouts d’Afrique ou les sorciers des Amériques pratiquent depuis des millénaires cette technique censée apporter santé du corps ou communication avec les esprits. Pour une part, la Loi de Moïse a recueilli avec prudence la contribution de sagesse véhiculée par le jeûne lorsqu’il est orienté vers Dieu, tout en dénonçant le jeûne dédié aux idoles ou au culte du soi narcissique. La Loi n’oblige les juifs à ne jeûner que deux fois par an : le Jour de Yom Kippour et l’anniversaire de la destruction du Temple par les Babyloniens en 586 av. J.-C. Certains pharisiens zélés pratiquaient cependant le jeûne deux fois par semaine : le jeudi et le lundi, car selon les rabbins Moïse est monté chercher les tables de la Loi le quatrième jour de la semaine et il est revenu le premier jour de la semaine suivante. Les cas de jeûne de deux jours par semaine étaient pourtant rares et cela fait croire au pharisien de la parabole de Lc 18,9-14 qu’il était extraordinaire dans ses actes.

La virtuosité ascétique dans le jeûne n’est donc guère encouragée par la Torah ! C’est le courant sacerdotal qui a le plus développé cette pratique : par souci de pureté légale et rituelle, par recherche de prière, d’illumination, de lutte contre les tentations etc.

 Isaïe dans Communauté spirituelle La construction évangélique des 40 jours de jeûne au désert par Jésus est une construction théologique. Il s’agissait sans doute d’un séjour de Jésus au désert pour réfléchir à sa mission, et trouver dans la relation à son Père le courage de débuter sa vie publique dont il pressentait que la fin serait terrible. Au désert, Jésus figure le nouvel Exode du nouveau peuple de Dieu. Il est le nouveau Moïse qui se nourrit avant tout de la parole de Dieu. Mais on voit mal Jésus se lancer dans un exercice de jeûne absolu en plein soleil 40 jours durant : les hallucinations et l’altération de ses facultés auraient été trop graves… Quitte à décevoir les friands de prodiges, il n’y a pas eu non plus d’anges pour à la fin lui apporter du pain venu de nulle part… Le jeûne de Jésus au désert est ce que les évangélistes (sauf Jean) ont pu imaginer pour l’habiller des habits messianiques. Certes, il eut faim et soif dans le désert où il est resté une longue période, comme une retraite avant de se lancer dans l’action. Mais on ne voit plus Jésus jeûner dans les Évangiles à partir de là ! Plus encore : il interdit à ses disciples de jeûner, alors que les juifs pieux s’en glorifiaient. Matthieu, Marc et Luc en ont été tellement étonnés qu’ils ont pris la peine tous les trois de tenter d’expliquer pourquoi : « Comme les disciples de Jean le Baptiste et les pharisiens jeûnaient, on vient demander à Jésus : ‘Pourquoi, alors que les disciples de Jean et les disciples des pharisiens jeûnent, tes disciples ne jeûnent-ils pas ?Jésus leur dit : ‘Les invités de la noce pourraient-ils jeûner, pendant que l’Époux est avec eux ? Tant qu’ils ont l’Époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner » (Mc 2,18-19 ; cf. Mt 9,15 et Lc 5,34). Ils étaient en cela les dignes disciples de ce glouton, cet ivrogne de Jésus (Mt 11,19) qui ne respectait décidément pas beaucoup les coutumes religieuses des bien-pensants !

Après lui, on ne voit guère les disciples jeûner qu’une seule fois, dans le livre des Actes des apôtres, lorsqu’il faut choisir et ordonner des ministres pour annoncer l’Évangile, en l’occurrence Barnabé et Paul (Ac 13,2–3).

Décidément les fans de virtuosité ascétique seront très vite déçus par Jésus et son Église ! Le jeûne a bien été conservé par les chrétiens, mais avec sagesse et parcimonie : c’est loin d’être l’alpha et l’oméga de la sainteté chrétienne ! À l’inverse, le Coran a fait du jeûne du ramadan un de ses cinq piliers obligatoires, ce qui constitue en fait une régression vers une religion ritualiste.

Les prophètes d’Israël avaient préparé la voie à cette relativisation du jeûne. On vient de lire Isaïe 58 qui tonne contre les pratiquants brûlant de l’encens et jeûnant ostensiblement : « Ce n’est pas en jeûnant comme vous le faites aujourd’hui que vous ferez entendre là-haut votre voix. Est-ce là le jeûne qui me plaît, un jour où l’homme se rabaisse ? S’agit-il de courber la tête comme un roseau, de coucher sur le sac et la cendre ? Appelles-tu cela un jeûne, un jour agréable au Seigneur ? Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? » (Is 58,4-6)

Mother-Teresa-leproserie-inde-768x515 jeûneOn aurait pu également écouter Osée qui fustige les sacrifices, que ce soit les sacrifices d’animaux ou de nourriture : « Je veux la fidélité, non le sacrifice, la connaissance de Dieu plus que les holocaustes » (Os 6,6). Jésus citera librement ce passage en engueulant littéralement les pharisiens, ces obsessionnels du sacrifice : « Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9,13).

Amos sera le prophète de la justice sociale par excellence, avec des passages d’une violence inouïe contre ceux qui prolifèrent sur les inégalités et l’exploitation des pauvres.

Ainsi les prophètes ne cessent de faire référence au couple « droit et justice », qui revient comme un leitmotiv dans l’Ancien Testament (une trentaine de fois au moins) en contestation des pratiques rituelles envahissantes. Même les écrits de Sagesse s’en font l’écho : « Accomplir la justice et le droit plaît au Seigneur plus que le sacrifice » (Pr 21,3). « Justice et droit sont l’appui de ton trône. Amour et Vérité précèdent ta face » (Ps 89,15).

L’homme religieux se pare de pèlerinages, de messes, de médailles et de longues prières pour cacher à Dieu sa misère et éviter de s’exposer à lui en vérité. Les sacrifices d’animaux, les offrandes au Temple, les vêtements ostensiblement religieux, les cierges accumulés au pied des statues, Isaïe ainsi que Jésus les ont dénoncés comme une parodie de culte qui ne rend aucune gloire à Dieu.

À quoi sert de jeûner pendant que mon voisin meurt de faim ?

Quelle hypocrisie de jeûner pour Dieu sans se battre pour le pauvre !


Le combat pour la justice

 justice
En 1971, le synode des évêques du monde entier réuni à Rome osait proclamer :

« Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile qui est la mission de l’Église pour la rédemption de l’humanité et sa libération de toute situation oppressive ».

Ce cri n’a rien perdu de son actualité, hélas !
L’Église orthodoxe de Russie sera-t-elle crédible après avoir béni les armes et les soldats de Poutine qui allaient envahir l’Ukraine ? Les popes ont beau se revêtir de magnifiques chasubles d’or et d’argent, faire brûler de l’encens jusqu’à saturer l’air de la cathédrale de Moscou, l’illuminer de milliers de cierges jaune-cire à l’ancienne, et chanter des chœurs sublimes ou les basses font frissonner, tout cet apparat liturgique est sans valeur dès qu’il cautionne les viols, les tortures, les exécutions, les déportations – voire le génocide – de tout un peuple qu’ils osaient appeler frère avant 2014… Le jeûne des starets russes n’y changera rien. Seul le combat pour la justice rétablira la dignité de l’agresseur et de l’agressé. Faire disparaître le joug de l’oppresseur, combler les désirs du malheureux : voilà ce que demande Isaïe, ce qui passe aujourd’hui par un combat de légitime défense, par le rétablissement du droit international, par le passage d’une justice d’un tribunal exceptionnel pour ne pas laisser impunis tous ces crimes de guerre.

Malheureusement, il n’y a pas que la Russie qui soit concernée par Isaïe 58 ! L’injustice subie par les femmes afghanes pleurant sous le joug des talibans ; l’angoisse des Arméniens du Haut-Karabakh à nouveau menacés d’exil et de massacre ; l’assujettissement des peuples du Sahel qui subissent un islam politique prenant bientôt la forme d’un califat infernal… Et, plus près de nous, les sans-abri par milliers dont nous désespérons, les victimes muettes des violences et du commerce de drogue dans nos cités et nos quartiers réputés difficiles, les salaires de misère à l’hôpital ou dans la restauration, le bâtiment etc.

Combattre pour la justice avec le Christ nous exposera comme lui à la vindicte des puissants. Aussi n’est-il pas inutile de réfléchir, de faire silence, de s’alimenter de la parole de Dieu avant, pendant et après l’action collective. Le jeûne peut y aider : il est légitime s’il nourrit le combat pour la justice au lieu de le détourner.

Reste qu’Isaïe nous empêchera toujours de jeûner en rond :

« Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? 

N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? 

Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : ‘Me voici.’ 

Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi » (Is 58, 6-10).

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[1]. Michel Scouarnec, Dis-moi ce que tu chantes, Cerf, 1981.

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Ta lumière jaillira comme l’aurore » (Is 58, 7-10)

 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Ainsi parle le Seigneur : Partage ton pain avec celui qui a faim, accueille chez toi les pauvres sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi.

 

PSAUME

(Ps 111(112), 4-5, 6-7, 8a.9)
R/ Lumière des cœurs droits, le juste s’est levé dans les ténèbres. ou : Alléluia ! (cf. Ps 111, 4)

 

Lumière des cœurs droits, il s’est levé dans les ténèbres,
homme de justice, de tendresse et de pitié.
L’homme de bien a pitié, il partage ;
il mène ses affaires avec droiture.

 

Cet homme jamais ne tombera ;
toujours on fera mémoire du juste.
Il ne craint pas l’annonce d’un malheur :
le cœur ferme, il s’appuie sur le Seigneur.

 

Son cœur est confiant, il ne craint pas.
À pleines mains, il donne au pauvre ;
à jamais se maintiendra sa justice,
sa puissance grandira, et sa gloire !

 

DEUXIÈME LECTURE
« Je suis venu vous annoncer le mystère du Christ crucifié » (1 Co 2, 1-5)

 

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

 Frères, quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage ou de la sagesse. Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié. Et c’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant, que je me suis présenté à vous. Mon langage, ma proclamation de l’Évangile, n’avaient rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.

 

ÉVANGILE

« Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 13-16)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis la lumière du monde, dit le Seigneur. Celui qui me suit aura la lumière de la vie. Alléluia. (cf. Jn 8, 12)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »
Patrick Braud

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