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22 janvier 2023

La fierté illucide

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La fierté illucide

 

Homélie pour le 4° Dimanche du temps ordinaire / Année A 

29/01/2023

 

Cf. également :

Défendre la veuve et l’orphelin

Le petit reste d’Israël, ou l’art d’être minoritaires
Le bonheur illucide
Agents de service
Le maillon faible
Éthique de conviction, éthique de responsabilité

Toussaint : le bonheur illucide


Une vie sans éclat ?

La fierté illucide dans Communauté spirituelle femme-en-ehpad-en-fauteuil-roulantÀ 88 ans, elle s’est éteinte en quelques jours sans déranger personne. Depuis plus de 20 ans en EHPAD et toute sa vie en institution, Jeanine était de ces personnes apparemment inutiles et un peu là par erreur, sans aucune famille pour l’entourer. Mais de son fauteuil roulant qu’elle ne quittait plus, elle trouvait la vie pourtant belle, souriait quand on lui adressait la parole, riait de bon cœur sur une blague, ou essayait de fredonner une chanson des années 60 avec la chorale de la résidence. Simple et douce comme la pluie, elle s’accrochait à son pèlerinage annuel à Lourdes avec l’Hospitalité pour faire provision d’espérance pour 12 mois. Elle a rien accompli aux yeux de la société : ni travail, ni couple, ni enfant, 88 ans de dépendance totale, à charge. Au moment de ses obsèques, nous n’étions que trois autour de son cercueil, avec le sentiment étrange que c’était quelqu’un de grand qui nous réunissait. Le psaume de la célébration exprimait à merveille l’humilité de son existence :

« Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; 

Je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. 

Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; 

Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. 

Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais » (Ps 131)

Voilà de quoi comprendre ce que dit Paul dans notre deuxième lecture :
« Aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu. […] Ainsi, comme il est écrit : Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur » (1Co 1,29‑31) [1]. Il répète sa conviction mot à mot en 2Co 10,17, signe que cela doit être important pour lui.


À contre-courant de notre époque !

 fierté dans Communauté spirituelleDans un entretien d’embauche, on vous posera la question : ‘de quoi êtes-vous fiers dans votre parcours professionnel ?’ Si vous répondez en citant 1Co 1,29‑31, vous n’aurez pas le job !

Dans les techniques de développement personnel, on vous intimera de retrouver la fierté en vous-même, on vous coachera pour cela : vos réussites, vos défis surmontés, vos qualités intrinsèques etc. Si vous dites : la fierté est une non-question pour moi à cause de ma foi, vous ferez jeter du stage, de la formation ou du séminaire !

Et si vous n’est pas fier de l’équipe de France pour son très beau parcours pendant la coupe du monde de football, on vous prendra pour un traître à la patrie…

Alors, que veut dire : mettre sa fierté dans le Seigneur ?


Fier de quoi ?

De quoi peut-on être légitimement fier dans la vie ?

Meilleur ouvrier de France logo médailleDe nos qualités (santé, intelligence, force, énergie) ? Elles nous ont été données, sans mérite aucun. Si les gènes nous ont favorisés, pourquoi nous en vanter ? C’est même légèrement méprisant pour ceux qui, comme Jeanine, sont totalement dépourvus de ces qualités innées…

De nos talents, de notre travail pour les développer ? Mais le serviteur inutile de la parabole percute de plein fouet ces satisfactions apparemment légitimes : « De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ » (Lc 17, 10).

On peut encore être fier de sa famille, de son pays, de ses collègues de travail. Attention cependant : cela peut devenir malsain si on essentialise ! Exemple : ‘je suis fier d’être français’ peut sous-entendre que les autres nationalités n’ont pas vraiment de quoi être fières, pas autant… Telle l’étincelle entre deux silex, la violence surgit très rapidement des rapprochements de ces fiertés nationales… Car être fier de quelque chose va facilement avec le symétrique : se sentir supérieur, reprocher aux autres leur origine, leur marqueur social etc.

Déjà, au temps des Juges, YHWH savait bien que la tentation serait forte pour Israël de se glorifier de ses victoires militaires. Alors de temps en temps il lui inflige des défaites, histoire de lui rappeler que ce n’est pas lui qui mène le bal : « Le Seigneur dit à Gédéon : Le peuple qui est avec toi est trop nombreux pour que je livre Madiane entre ses mains. Israël pourrait s’en glorifier et dire : ‘C’est ma main qui m’a sauvé’ » (Jg 7,2).

Paul tranche la question : « Qui donc t’a mis à part ? Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1Co 4,7) Pour lui c’est clair : nos œuvres ne nous sauvent pas, mais la grâce seule. Pourquoi alors être fier de ce qu’on l’on a accompli ? « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des actes : personne ne peut en tirer orgueil » (Ep 2,8-9).


Fier de qui ?

Peut-être notre fierté est-elle à mettre dans des personnes et non dans des choses ?

photographe-famille-grenoble-08 illucideC’est vrai qu’être fier de ses enfants, c’est plus noble. Et cela paraît juste : on y est bien pour quelque chose, non ? Mais la dérive possessive n’est pas loin… L’enfant ne vous appartient pas, et il devra tracer son propre chemin sans dépendre du jugement – même élogieux – que vous portez ou non sur lui.

Un professeur a envie d’être fier de ses élèves. Est-ce vraiment leur rendre service ? Si cela se traduit par trop d’exigence ou au contraire trop d’aveuglement, mieux vaudrait laisser cette envie de côté.

L’ultime personne dont nous souhaitons être fier est… nous-même ! Être fier de soi, c’est dans un premier temps s’accepter soi-même avec lucidité et réalisme, et se réassurer dans l’existence. Bravo ! : Tu as réussi à t’arrêter de fumer ; tu es aligné sur tes valeurs ; tu es respecté et estimé… tu peux être fier de toi !

Pas faux ; mais on voit poindre derrière ces satisfecit le pharisien debout au Temple énumérant en lui-même tout ce qui le rend impeccable (Lc 18,9-14).

De la fierté à l’orgueil il n’y a qu’un pas, que nous franchissons souvent sans nous en rendre compte : « Et voilà que vous mettez votre fierté dans vos vantardises. Toute fierté de ce genre est mauvaise ! » (Jc 4,16).

Tiens ! L’orgueil est la plupart du temps illucide ! Si les orgueilleux se rendaient compte combien ils sont bouffis d’eux-mêmes, ils auraient honte.

Sans le savoir, on devient orgueilleux et seuls nos proches voient le changement : nous sommes aveuglés par la recherche de nos fiertés. Cela nous rend durs et intransigeants à l’égard de ceux qui n’y arrivent pas comme nous. Cela nous empêche de comprendre les personnes comme Jeanine qui n’ont rien à mettre en avant.

Si l’orgueil est illucide (en négatif), on pressent que la fierté devrait l’être également (en positif).  Car se priver de toute fierté risque de vous faire basculer dans la dévaluation de soi. Il doit bien y avoir une façon de se réjouir d’être soi sans verser dans l’orgueil… !

« Celui qui veut se glorifier, qui se glorifie dans le Seigneur ». Et si la fierté illucide de Paul nous indiquait la voie : ni auto-dévaluation, ni orgueil, dans le Seigneur.

Qu’est-ce à dire ?


La fierté illucide

Icoon_kleur_2 PaulOn a déjà cité le psaume 131 qui nous invite à une égale confiance en Dieu, sans l’angoissante recherche de nos qualités : « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse… »

On pourrait citer aussi le psaume 139 : « Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis : étonnantes sont tes œuvres, toute mon âme le sait » (Ps 139,14). Pas de triomphalisme dans cet acte de reconnaissance : seulement la joie d’être en Dieu et Dieu en nous, ce qui nous confère une dignité merveilleuse, qui vient de Dieu et y conduit.

Et bien sûr, Marie est la première en chemin sur cette route d’une fierté illucide : « mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon sauveur. Il s’est penché sur son humble servante, toutes les générations me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles… » (Lc 1,46-55). Aucun repli sur soi dans son Magnificat : la fierté de Marie n’est pas en elle-même, mais dans l’action de Dieu en elle, dans la présence de Dieu en son sein.

Est illucide une fierté qui comme celle de Marie ne s’appartient pas, n’a pas conscience d’elle-même, et rapporte tout à Dieu en y collaborant de tout son être.

On est loin des fiertés (prides) agressives revendiquées par des minorités inquiètes de leur identité. La fierté de Paul ou de Marie ne se conquiert pas à la force du poignet, elle se reçoit ; elle ne s’étale pas pour s’imposer, elle est cachée en Dieu (Col 3,3), selon les paroles d’un autre psaume : « Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose à l’ombre du Puissant, je dis au Seigneur : ‘Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr !’ (Ps 91,1) ou encore : « Garde-moi comme la prunelle de l’œil ; à l’ombre de tes ailes, cache-moi » (Ps 17,8).

La fierté lucide est celle que nous donnons à nous-même. Paul connaît bien cette fierté des juifs ultra-pratiquants par exemple, qui se glorifient d’observer les 613 commandements de la Loi juive : « toi qui mets ta fierté dans la Loi, tu déshonores Dieu en transgressant la Loi » (Rm 2,23 ; Rm 2,17 ; Ga 6,13). Du coup il a choisi de se glorifier non pas de ses forces, mais de ses faiblesses, afin de montrer que c’est Dieu qu’il faut louer et non celui à travers qui il agit : « [Dieu] m’a déclaré : ‘Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse.’ C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure » (2Co 12,9). Sa seule fierté est dans la croix du Christ : « pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde » (Ga 6,14). D’ailleurs il ne s’appartient plus lui-même : « ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

Comment être fier de soi si soi est en Dieu, sinon justement en mettant sa fierté dans le Seigneur ?

Le verbe « se glorifier », « être fier de » (καυχάομαι, kauchaomai en grec) apparaît 38 fois dans le Nouveau Testament, dont 35 usages sous la seule plume de Paul ! On voit que c’est un de ses vieux démons avec lesquels il s’est battu jusqu’au bout. D’ailleurs, Paul reconnaît lui-même avoir une certaine tendance à l’autoritarisme : « Même si je suis un peu trop fier de l’autorité que le Seigneur nous a donnée sur vous pour construire et non pour démolir, je n’aurai pas à en rougir » (2Co 10,8). Il devait avoir un sale caractère et un ego surdimensionné ! À tel point que le doux Barnabé a failli se bagarrer physiquement avec lui et a préféré le planter là plutôt que de continuer à supporter son arrogance : « Leur désaccord s’aggrava tellement qu’on faillit en venir aux mains ; ils partirent chacun de leur côté. Et Barnabé, prenant Marc avec lui, s’embarqua pour l’île de Chypre » (Ac 15,39).

Peut-être est-ce une trace de la fameuse « écharde dans la chair » (2Co 12,7) qui justement empêchait Paul d’être trop fier, trop mal fier


Une non-question

Finalement, se poser la question : ‘de qui, de quoi être fier ?’ n’est pas pertinent aux yeux de la foi. La fierté est une non-question : elle n’a pas lieu d’être, puisque celui qui est caché en Dieu ne fait plus qu’un avec Lui, et ne le sait pas (sinon, il serait extérieur à Dieu). Celui qui voit la flamme n’est pas dans la flamme. De l’intérieur, celui qui est Dieu ne sait pas s’il est dans la lumière ou dans l’obscurité. Celui qui ne fait qu’un avec Dieu ne se pose pas la question de ses réussites ou de ses échecs, de ses forces de ses faiblesses, de ses qualités ou de ses défauts… S’il est fier, c’est comme dit Paul dans le Seigneur : uni à Lui, il se réjouit d’être en Dieu et que Dieu soit en lui.

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Ruminons donc avec insistance les mots du psaume 131, en pensant à ceux qui ont incarné à nos yeux cette douce humilité de qui s’abandonne à Dieu :

« Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; 

Je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. 

Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; 

Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. 

Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais » (Ps 131)  

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[1]. Libre citation de Jr 9,23-24 : « celui qui se vante, qu’il se vante plutôt de ceci : avoir de l’intelligence pour me connaître, moi, le Seigneur qui exerce sur la terre la fidélité, le droit et la justice ».

1ère lecture : « Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit » (So 2, 3 ; 3, 12-13)


Lecture du livre du prophète Sophonie

Cherchez le Seigneur, vous tous, les humbles du pays, qui accomplissez sa loi. Cherchez la justice, cherchez l’humilité : peut-être serez-vous à l’abri au jour de la colère du Seigneur. Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit ; il prendra pour abri le nom du Seigneur. Ce reste d’Israël ne commettra plus d’injustice ; ils ne diront plus de mensonge ; dans leur bouche, plus de langage trompeur. Mais ils pourront paître et se reposer, nul ne viendra les effrayer.

 

Psaume : Ps 145 (146), 7, 8, 9ab.10b
R/ Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! ou : Alléluia ! (Mt 5, 3)

Le Seigneur fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain,
le Seigneur délie les enchaînés.

 

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes.

 

Le Seigneur protège l’étranger,
il soutient la veuve et l’orphelin,
le Seigneur est ton Dieu pour toujours.

 

2ème lecture : « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi » (1 Co 1, 26-31)

 

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est ; ainsi aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu. C’est grâce à Dieu, en effet, que vous êtes dans le Christ Jésus, lui qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification, rédemption. Ainsi, comme il est écrit : Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur.

 

Evangile : « Heureux les pauvres de cœur » (Mt 5, 1-12a)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! 
Alléluia. (Mt 5, 12)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »
Patrick BRAUD

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