La portée animalière du sacrifice du Christ
La portée animalière du sacrifice du Christ
Homélie pour le 2° Dimanche du temps ordinaire / Année A
15/01/2023
Cf. également :
Alors Clarice, les agneaux se sont tus ?
Halte au massacre des nouveau-nés !
Jean-Baptiste désigne aujourd’hui Jésus comme l’Agneau de Dieu (Jn 1,29-34). Par un contresens effarant dont l’Histoire a le secret, des générations de chrétiens se sont crues obligées – et aujourd’hui encore – de manger un bon gigot d’agneau en hommage au sacrifice du Christ pour fêter Pâques ! Les statistiques officielles du Ministère de l’Agriculture évoquent environ 450 000 agneaux abattus pour la seule semaine pascale, plus de 4 millions sur l’année ! Cette frénésie meurtrière – qui fait penser à celle d’Hérode – envers les nouveau-nés des chèvres est d’autant plus inacceptable qu’elle est cruelle. L’association L214 a diffusé des vidéos insoutenables, filmées en caméra cachée, dans des abattoirs : on y voit des agneaux tremblant de peur, entassés les uns sur les autres, se débattant dans leurs excréments, malades, agonisants, achevés en plusieurs fois par des ouvriers écœurés obligés de s’endurcir devant ce spectacle de torture et de mort au quotidien… Comment un tel massacre pourrait-il se réclamer du Christ ? Comment une viande ainsi obtenue peut-elle honorer dans nos assiettes la vie promise par le Christ, elle qui provient d’une mort atroce ? Et encore, à la cruauté du massacre en abattoir il faut ajouter le sadisme de faire naître des petits pour les séparer de leur mère après 3 mois, les entasser dans des camions ou des wagons à bestiaux, les maltraiter sans eau ni nourriture, leur couper la queue ou les castrer sans analgésiques etc. Bien sûr, c’est la même chose pour les veaux : les enfants qui verraient leur supplice en abattoir refuseraient de toucher à leur viande dans l’assiette ensuite !
Les musulmans avec leurs moutons ne font pas mieux que les chrétiens avec leurs agneaux. Pour la fête de l’Aïd, ce sont des dizaines de milliers de moutons qui sont égorgés dans des conditions particulièrement cruelles, puisque la coutume halal veut que l’animal soit conscient, égorgé vivant par un couteau aiguisé qui laisse le sang se vider de la bête agonisante… Quelle est cette soi-disant pureté rituelle qui inflige à un animal une telle souffrance inutile ?
Plutôt que de faire feu sur la corrida, les députés feraient mieux de se pencher sur les conditions de l’abattage industriel en France ! Un tiers des abattoirs ne respecte pas les normes européennes en la matière… L’enjeu est autrement plus important pour le respect de la vie animale.
S’habituer à tuer les nouveau-nés des bêtes prépare les hommes à éliminer leurs propres nouveau-nés sans aucune objection de leur conscience, au contraire… Par quel obscurcissement de la raison en est-on venu à massacrer la vie à peine éclose au nom de Dieu, ou au nom du goût ? !
Du sacrifice humain à l’offrande de soi
Le mouvement historique de l’éveil spirituel humain va pourtant en sens inverse, quand on l’observe sur le temps long. L’humanité a commencé par croire que les dieux exigeraient du sang humain pour leur être favorables, ou pour se nourrir, ou pour rétablir l’ordre du monde. Les marches ruisselantes de sang des pyramides cultuelles des Olmèques, des Aztèques, des Incas racontent les milliers de sacrifices humains que les dieux exigeaient régulièrement pour soi-disant maintenir l’harmonie du cosmos, l’abondance des récoltes, la victoire sur les ennemis. Alors on décapitait, on éviscérait, on arrachait le cœur palpitant avec allégresse dans un culte sanglant, qui avait en outre l’immense avantage d’étendre le règne de la terreur…
Ces mentalités archaïques existent encore dans la Bible : même Abraham est tenté par le sacrifice humain, et croit comme les autres qu’immoler son fils sur l’autel plaira au nouveau Dieu qu’il commence à découvrir. La substitution Isaac-bélier (ou Ismaël-mouton selon la version coranique inventée par Mohamed pour arabiser le récit) était donc déjà un immense progrès : le peuple juif disait au monde entier que les sacrifices humains ne peuvent honorer Dieu. « Tu ne tueras pas » s’adresse d’abord à ces sacrificateurs barbares qui croient qu’éliminer une vie humaine peut glorifier Dieu !
Hélas, cette folie n’a pas disparu tout de suite, ni entièrement, de la Bible. Même le grand prêtre y cède lorsqu’il avoue un calcul sordide de tous les âges : « il vaut mieux qu’un seul homme meure plutôt que tout le peuple » (Jn 11,50)… Sacrifions l’innocent pour sauver les coupables !
Staline affamant les ukrainiens par millions en 1932 (l’Holodomor), ou Poutine justifiant les milliers de morts, de viols, de tortures et les millions d’exilés au nom de la « Sainte Russie » sont sans le savoir dans cette logique sacrificielle archaïque : il vaut mieux que quelques ukrainiens meurent pour préserver la Sainte Russie… Les Aztèques arrachant le cœur de leurs victimes sacrificielles étaient hélas des petits joueurs à côté des monstres de ces deux derniers siècles !
Reste que le peuple juif a réussi progressivement à substituer l’animal à l’homme dans le sacrifice rituel. Mais sans réfréner son ardeur pour faire pression sur Dieu afin d’obtenir ses faveurs : la fumée des holocaustes a tellement envahi le Temple qu’elle a fini par incommoder les narines divines : « Que m’importe le nombre de vos sacrifices ? – dit le Seigneur. Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’y prends pas plaisir » (Is 1, 11).
Il faut saluer ici le travail des prophètes qui ont inlassablement œuvré à spiritualiser le sacrifice : ce n’est pas la multiplication des carcasses fumantes qui compte, mais la disposition du cœur qui se présente devant l’autel du Temple : « Le Seigneur aime-t-il les holocaustes et les sacrifices autant que l’obéissance à sa parole ? Oui, l’obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité vaut mieux que la graisse des béliers » (1 S 15, 22). « Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes, je ne les accueille pas ; vos sacrifices de bêtes grasses, je ne les regarde même pas. Éloignez de moi le tapage de vos cantiques ; que je n’entende pas la musique de vos harpes. Mais que le droit jaillisse comme une source ; la justice, comme un torrent qui ne tarit jamais ! » (Am 5, 22‑24)
Le prophète Jérémie semble même suggérer que les sacrifices d’animaux n’ont pas été voulus par Dieu, mais ne relèvent que d’une tradition purement humaine : « Je n’ai rien dit à vos pères, ni rien ordonné, à propos des holocaustes et des sacrifices, le jour où je les fis sortir du pays d’Égypte. Mais voici l’ordre que je leur ai donné : ‘Écoutez ma voix : je serai votre Dieu, et vous, vous serez mon peuple ; vous suivrez tous les chemins que je vous prescris, afin que vous soyez heureux’ » (Jr 7,22‑23).
Peu à peu s’est imposée l’idée que tuer les animaux étaient aussi peu agréable à Dieu que tuer des humains, et que le vrai sacrifice est de lui offrir un cœur humble et désireux d’aimer : « Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste. Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé » (Ps 51,18‑19).
À tel point que, même si les juifs bâtissaient un troisième Temple à Jérusalem, les rabbins disent tous que leur interprétation de la Torah n’obligerait plus à y sacrifier des bœufs, des moutons, des agneaux ou des colombes en offrande rituelle. Car le véritable sacrifice n’est pas d’offrir quelque chose d’extérieur à soi, mais bien de s’offrir soi-même : « En entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté » (He 10,4‑10).
Il est clair que par rapport à cette longue évolution de la conscience humaine, le retour au sacrifice du mouton par les musulmans à partir du VII° siècle est une régression historique difficilement supportable pour qui accorde du prix à la vie et veut échapper à l’archaïsme de l’échange païen troquant un animal contre une faveur divine… Et les animistes en Afrique noire continuent d’égorger des bœufs, des poulets etc. pour se concilier les bonnes grâces des ancêtres ou des esprits…
Le respect du bien-être animal et l’urgence écologique sont deux prises de conscience majeures du XXI° siècle (avec le féminisme en Occident), comme le furent l’abolition de l’esclavage au XVIII° siècle ou la décolonisation au XX° siècle. Les chrétiens s’en réjouissent, et y participent de tout cœur !
Par contre, l’Occident s’entête à faire du non-respect de la vie humaine à naître un droit individuel érigé en absolu, ce qui semble en contradiction totale avec le respect du vivant prôné pour l’animal ou l’écosystème… Incohérence flagrante qui sera jugée sévèrement par les générations futures.
La portée animalière de l’agneau de Dieu
Mais revenons à nos moutons, si l’on peut dire ! En désignant Jésus comme l’Agneau de Dieu, Jean-Baptiste le revêt d’un symbolisme universel : la douceur (sa laine, sa frimousse), son innocence (il n’est ni ne sera le prédateur de personne), son obéissance (il fait confiance à sa mère), son sens du collectif (le troupeau), sa promesse d’abondance (lait, laine, viande). Le contraste est alors saisissant avec l’Agneau immolé de l’Apocalypse : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange » (Ap 5,12). Si le Christ en croix est cet agneau immolé par la méchanceté humaine, comment continuer à mettre des agneaux à mort pour le plaisir de l’assiette ? Comment prétendre fêter l’Agneau de Dieu par un gigot pascal ?
D’ailleurs, le terme grec mis par Jean sur les lèvres de Jean-Baptiste pour désigner l’agneau (ἀμνός = amnos) n’est pas celui que la liturgie juive emploie pour l’agneau du sacrifice rituel (πρόβατον = probaton). La liturgie au Temple sacrifiait matin et soir deux beaux agneaux à Dieu : « Voici ce que tu mettras sur l’autel : des agneaux de l’année, deux par jour, perpétuellement. Le premier agneau (πρόβατον), tu le mettras le matin ; et le second agneau (πρόβατον), au coucher du soleil. (…) Tel sera l’holocauste perpétuel que vous ferez d’âge en âge » (Ex 29,38‑42). Les chrétiens ont peut-être identifié trop vite ces deux sortes d’agneau. Il n’y a en effet que 2 occurrences du mot ἀμνός dans les Évangiles, et c’est dans la bouche de Jean qui parle de l’Agneau de Dieu (sens filial). Les deux autres usages sont déjà des relectures sacrificielles après coup. Ainsi les Actes des Apôtres attestent que les premières communautés chrétiennes ont relu Isaïe et son serviteur–agneau à la lumière de la déclaration de Jean-Baptiste. Le diacre Philippe explique à l’eunuque éthiopien dans son char la lecture d’Isaïe qui l’intrigue : « Le passage de l’Écriture qu’il lisait était celui-ci : Comme une brebis (πρόβατον), il fut conduit à l’abattoir ; comme un agneau (ἀμνός) muet devant le tondeur, il n’ouvre pas la bouche » (Ac 8,32 citant Is 53,7). Ce qui superpose clairement les deux interprétations : filiale (ἀμνός) et sacrificielle (πρόβατον).
Pour l’Exode, Moïse demande de sacrifier un agneau sans tache : « Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. » (Ex 12, 5). Pierre y verra la préfiguration du sacrifice du Christ : « Vous le savez : ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ » (1 P 1, 18‑19). Jean renforcera ce sens sacrificiel en mentionnant que, comme pour l’agneau pascal, « les soldats ne brisèrent pas les jambes à Jésus, [...] Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé » (Jn 19,33.36 citant Ex 12,46 et Ps 34, 21). Le sang qui jaillit de son côté ouvert rappelle le sang de l’agneau sur le linteau des maisons des hébreux, les protégeant de la mort des nouveau-nés etc.
Le mot agneau évoque donc irrésistiblement un sens sacrificiel : animal égorgé (sacrifice de communion) ou brûlé (holocauste). Quand on projette l’interprétation sacrificielle sur l’Agneau de Dieu de Jean-Baptiste, cela renforce encore davantage la portée animalière de ce sacrifice : trancher la gorge à des agneaux pour fêter le Christ serait l’immoler une deuxième fois ! Tuer le nouveau-né innocent, c’est annuler la dénonciation de la violence meurtrière que symbolise l’Agneau immolé toujours vivant de l’Apocalypse !
Si le vrai sacrifice est l’offrande de soi, uni au Christ, comment continuer les pratiques archaïques et finalement idolâtres des sacrifices d’animaux ?
Chaque fois qu’on vous servira une assiette d’un délicieux gigot aillé, d’une brochette rôtie ou d’une épaule juteuse, redites-vous la phrase de Jean-Baptiste : « voici l’Agneau de Dieu », et voyez alors si vous êtes capable de cautionner la violence qui a tué le Christ.…
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49, 3.5-6)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Le Seigneur m’a dit : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. » Maintenant le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force. Et il dit : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »
PSAUME
(Ps 39 (40), 2abc.4ab, 7-8a, 8b-9, 10cd.11cd)
R/ Me voici, Seigneur, je viens faire ta volonté. (cf. Ps 39, 8a.9a)
D’un grand espoir j’espérais le Seigneur :
il s’est penché vers moi
Dans ma bouche il a mis un chant nouveau,
une louange à notre Dieu.
Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice,
tu as ouvert mes oreilles ;
tu ne demandais ni holocauste ni victime,
alors j’ai dit : « Voici, je viens. »
Dans le livre, est écrit pour moi
ce que tu veux que je fasse.
Mon Dieu, voilà ce que j’aime :
ta loi me tient aux entrailles.
Vois, je ne retiens pas mes lèvres,
Seigneur, tu le sais.
J’ai dit ton amour et ta vérité
à la grande assemblée.
DEUXIÈME LECTURE
« À vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ » (1 Co 1, 1-3)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Paul, appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre du Christ Jésus, et Sosthène notre frère, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus et sont appelés à être saints avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre.
À vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ.
ÉVANGILE
« Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29-34)
Alléluia. Alléluia.« Le Verbe s’est fait chair, il a établi parmi nous sa demeure. À tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. » Alléluia. (cf. Jn 1, 14a.12a)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, voyant Jésus venir vers lui, Jean le Baptiste déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ; c’est de lui que j’ai dit : L’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas ; mais, si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il soit manifesté à Israël. » Alors Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.’ Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »
Patrick Braud