L'homélie du dimanche (prochain)

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25 septembre 2022

Savoir se rendre inutile

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Savoir se rendre inutile

 

Homélie pour le 27° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
02/10/2022

 

Cf. également :

Foi de moutarde !

Les deux serviteurs inutiles

L’ « effet papillon » de la foi

L’injustifiable silence de Dieu

Jesus as a servant leader

Manager en servant-leader

Servir les prodigues 

Restez en tenue de service

Agents de service

18/20, c’est normal ?
Savoir se rendre inutile dans Communauté spirituelle 41886342._SY475_
Au lycée, quand je ramenais tout fier à la maison mon carnet de notes avec 18/20 de moyenne, je m’attendais les premières années à des torrents de félicitations et de louange pour tout ce travail scolaire que j’avais décidément bien fait. Ma fierté enthousiaste était vite douchée ! Mon père parcourait les notes avec attention et sérieux, et le signait en disant : « c’est bien, ne te relâche pas ». Ma mère lisait les comme
ntaires élogieux des professeurs, et rajoutait le sien : « c’est normal ; tu n’as aucun mérite, c’est ton niveau ». Et mon père renchérissait : « tu verras plus tard que tu es loin d’être le meilleur ; tu n’as pas à te vanter d’obtenir les notes que tu dois obtenir parce que tu as les facilités pour cela ». Effectivement, les classes préparatoires ensuite m’ont ramené au réalisme du bon élève de province qui se retrouve parmi les cracks de tout le pays ! Impossible de fanfaronner lorsqu’on est au coude à coude avec les autres, les meilleurs.

3b7a00e90b66ea9f4823305cb1410008 David dans Communauté spirituelleSi vous n’avez pas eu un bon carnet de notes au Lycée, consolez-vous : il y a sûrement un autre domaine d’excellence où il est normal que vous produisiez de l’excellent. Chacun de nous est très bon dans un domaine ou un autre (manuel, intellectuel, artistique, relationnel etc.). Le psychologue Howard Gardner a même distingué neuf formes d’intelligence chez l’enfant (théorie des intelligences multiples) [1], ce qui implique qu’il peut toujours trouver un champ d’application où il sera au top : atteindre un haut niveau dans ce domaine n’a alors rien d’exceptionnel, c’est normal.

La parabole de Jésus ce dimanche sur le serviteur inutile (Lc 17,5-10) me renvoie à ces souvenirs scolaires : celui qui donne ce qu’il peut n’a aucune gloire en tirer. Serait-il orgueilleux que très vite d’autres – beaucoup plus forts – lui rabattraient son caquet !

« Nous sommes de simples (χρεος achreiosserviteurs ».

Comment traduire l’adjectif grec χρεος de la parabole ? Inutile est passé dans le langage courant pour désigner le serviteur qui reste modeste, ‘qui ne se la pète pas’ comme dit joliment le langage populaire. La liturgie traduit : « simple serviteur ». D’autres disent : serviteur quelconque, ordinaire, sans mérite particulier. L’adjectif ἀχρεῖος est difficile à traduire car il ne se trouve que 3 fois dans la Bible grecque : pour qualifier David dansant devant l’Arche, pour éliminer le serviteur stérile de la parabole des talents, et ici dans notre parabole des serviteurs qui ne font que leur devoir.


David, le roi indécent

La seule apparition du terme ἀχρεῖος dans l’Ancien Testament (LXX) est en 2S 6,21-22 : « David dit à Mikal : ‘Oui, je danserai devant le Seigneur. Je me déshonorerai encore plus que cela, et je serai abaissé (ἀχρεῖοςà mes propres yeux, mais auprès des servantes dont tu parles, auprès d’elles je serai honoré’ ».

L’épisode est célèbre : David entre à Jérusalem pour fêter la victoire sur les Philistins et il est persuadé que c’est le soutien de YHWH symbolisé par l’Arche d’Alliance qui lui a permis de triompher. Alors, sans aucune pudeur ni retenue, lui le jeune roi laisse éclater sa joie en dansant devant l’Arche portée en procession. Il est à moitié dépenaillé, si bien que la cour royale est choquée de voir le plus haut personnage de l’État se contorsionner à moitié nu devant le peuple. La réponse de David à ceux qui le raillent montre bien le contenu de son attitude ἀχρεῖος : il est sans malice, naturel, sans calcul, il est simple au sens étymologique c’est-à-dire sans-pli, sans repli ni pensées tordues.

Être ἀχρεῖος pour David signifie alors : ‘je sais bien que ce n’est pas moi qui ai remporté la victoire ; toute la gloire en revient à Dieu et je me réjouis d’être ainsi entouré d’amour bien au-delà de ma valeur personnelle, bien au-delà de mes actes valeureux ou non’.

David est simple et sa cour le trouve simplet. Il est humble et les petites gens se reconnaissent en lui. Il rend toute gloire à Dieu, car depuis Bethsabée il se sait adultère, violeur, assassin. Il fait tout ce qu’il peut en tant que roi pour protéger son peuple, en comptant sur Dieu plus que sur ses propres forces.

Du coup il danse ! Quoi de plus inutile que la danse ? Danser n’est pas nécessaire. C’est gratuit ; c’est par-dessus le marché, et d’ailleurs il n’y a pas de marché avec Dieu !


danse de David devant l'Arche

Nous sommes David lorsque nous nous réjouissons de ce que Dieu réalise à travers nous, ou sans nous. Voilà le serviteur inutile de la parabole : quelqu’un qui n’est pas attaché à ses œuvres, libre de toute suffisance, qui ne se laisse pas troubler par le bien qu’il accomplit car cela lui a été donné. Cela ne vient pas de lui. Il n’a aucune gloire à en tirer pour lui-même.

La danse de David ajoute un petit grain de folie et de gratuité à l’humilité du simple serviteur qu’il a conscience d’être.

C’est un indice pour nous : quand dans nos vies il y a de l’exubérance, de la joie, de l’élan artistique, de l’excès créatif, alors nous ne sommes pas loin du serviteur inutile de la parabole.


L’enfouisseur de talents

ob_c7914b920ae63d1d641718f4cd1e9439_a7a humilitéLe 2e emploi de l’adjectif ἀχρεῖος est plus douloureux. C’est l’exigence du maître de la parabole des talents qui se manifeste envers celui qui a enfoui en terre l’argent reçu :

« Quant à ce serviteur inutile (ἀχρεῖος), jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents ! » (Mt 25,30)

Ce serviteur-là est plus qu’inutile : il est stérile, contre-productif, voire dangereux. Alors que l’inflation rogne chaque année 5 % à 10 % du capital du maître, il le laisse dépérir. Pire que le livret A ! Avec de tels intendants on se retrouve vite sur la paille ! Ce bon-à-rien est alors dépouillé de tout et chassé au loin. Bigre ! C’est le même adjectif ἀχρεῖος dans les deux paraboles… : le serviteur bon-à-rien et le serviteur inutile sont qualifiés de même, mais n’ont pas le même traitement ! L’un est chassé ; l’autre est maintenu. C’est donc qu’il y a deux formes d’inutilité en réalité : celle qui ne travaille pas et a peur, et celle qui fait tout son devoir avec sérénité. Se savoir non-indispensable n’est pas un alibi pour la paresse ! Se déclarer inutile ne vaut qu’après une journée de labeur aux champs et de service à table. Sinon, c’est se défausser trop vite en refusant de s’impliquer.


Le serviteur inutile
Le 3e emploi de l’adjectif ἀχρεῖος, celui de notre parabole, se situe quelque part entre David et le bas de laine : il s’agit pas de ne rien faire, mais de faire de son mieux sans orgueil ni vanité. C’est bien connu : le cimetière est rempli de gens indispensables…
L’avertissement sera précieux pour les Douze : Jésus va les envoyer en mission deux par deux, et ils vont connaître eux aussi leur quart d’heure de gloire promis par Andi Warhol (« À l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale »). En guérissant les malades, en prêchant avec talent et autorité, en subjuguant les foules, les Douze vont très vite voir le succès leur monter à la tête ! Ils vont par exemple vouloir faire tomber « le feu de Dieu » sur leurs contradicteurs, pour être sûrs de les écraser devant tout le monde (Lc 9,54). Heureusement Jésus résistera à leur orgueil, et les ramènera à plus d’humilité : ‘ne prenez pas la grosse tête ; vous n’êtes pas plus grands que celui qui vous a envoyé. Réjouissez-vous parce que Dieu agit à travers vous, et ne cherchez pas en tirer profit ou prestige’.

Se considérer comme un serviteur inutile est source de sérénité. Je peux accomplir mon devoir avec cœur sans trop en attendre. Car ma valeur personnelle n’est pas dans ce que je fais : elle est dans le fait d’être moi, et aimé pour ce que je suis. Et cela suffit.

C’est la vieille leçon du jour du shabbat : ce jour-là, un juif ne travaille pas, ne produit rien, n’est utile à rien, et pourtant il existe encore, il vaut tout autant qu’hier ou demain. La non-activité du shabbat libère les juifs de l’obsession productiviste sans abolir le sens du devoir, au contraire. D’ailleurs le shabbat ce n’est pas ne rien faire ! C’est consacrer du temps à la famille, à la culture, à l’art, au repos, avec créativité et génie artistique. C’est danser devants l’Arche sans autre but que la danse elle-même…

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Marc Pernot, Pasteur de l’Église Protestante de Genève, commente [2] :

51crYiOaemS._SX322_BO1,204,203,200_ parabole« J’aime bien ce passage de l’Évangile selon Luc. L’idée que j’en tire est la joie d’avoir fait ce que l’on a pu, tel que ça vient, et de ne pas en tirer d’orgueil personnel de ne pas y chercher un statut. Il y a là comme un calme et une tranquillité qui me plaît […] Il me semble qu’alors l’action, si elle devient possible, trouve une motivation bien placée, pour elle-même, parfois pour la beauté du geste, parfois parce que c’est utile et juste, parfois parce que cela me correspond, comme un jaillissement. Et c’est alors une action juste, sincère, pure ».

Parce que l’être est premier, parce qu’en Dieu il est inconditionnel, l’action peut en découler, libre de tout attachement. Cette action-là n’est pas remplie de l’angoisse de se prouver aux autres ou à soi-même, elle coule, tranquille et gratuite, de la source où je suis assuré dans l’être.

Non pas faire pour être, mais être et donc faire (ou ne pas faire) de manière égale.

Marc Pernot apprécie alors le serviteur à sa juste valeur :

« Son travail peut sembler bien peu de chose, rien de spectaculaire, et pourtant, revenant d’avoir accompli ces soins, il lui est donné de nourrir et servir Dieu lui-même avant de se servir soi-même. Je trouve cela beau, un peu comme David dansant devant l’arche. Ce n’est pas un sacrifice de soi-même, c’est même tout le contraire, c’est un amour du meilleur, dans le monde, pour le monde et en soi-même, pour soi-même. Sans oublier de manger après. C’est peut-être sa propre créativité qu’il a nourrie en nourrissant Dieu et en servant Dieu ? Avec la force aussi qu’il n’a pas oublié de prendre ensuite (bien sûr), ce serviteur a fait un travail sur l’être se concentrant là-dessus en mettant de côté le paraître. C’est peut-être cela la façon d’être mise ici en relief par Jésus. Le serviteur n’a certes pas été inutile puisqu’il a fait ce qu’il devait. Mais sa façon d’être est à la face du monde comme un manifeste de cette tranquillité de celui qui s’attache à faire ce qu’il peut en mettant la priorité sur ce qui est bien dans la profondeur de l’être.

Et ce serviteur se met alors à parler au pluriel, semblant rejoindre ainsi d’autres serviteurs de la profondeur. Ou rejoindre Dieu lui-même, spécialiste de cet humble travail en profondeur ? »


L’adjectif hébreu

4e5e95c8b7f0acb7f93fc7fc8c438cf6 serviteurQuel serait l’équivalent hébreu de l’adjectif grec ἀχρεῖος ? On le trouve dans la version hébraïque du passage concernant David : שָׁפָל (sha.phal)littéralement celui qui est en bas. En français, on dirait ‘humble’. David, tout roi prestigieux qu’il était, dansait humblement devant l’Arche, se sachant tout petit devant le Très-Haut. Les usages de ce terme abondent dans l’Ancien Testament pour encourager les petits qui comptent sur Dieu :

« YHWH élève les humbles שָׁפָל, les affligés parviennent au salut » (Jb 5,11).

« Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble שָׁפָל ; de loin, il reconnaît l’orgueilleux » (Ps 138,6).

« L’orgueil d’un homme l’humiliera, l’esprit humble שָׁפָל obtiendra la gloire » (Pr 29,23).

« Car ainsi parle Celui qui est plus haut que tout, lui dont la demeure est éternelle et dont le nom est saint : J’habite une haute et sainte demeure, mais je suis avec qui est broyé, humilié שָׁפָל dans son esprit, pour ranimer l’esprit des humiliés שָׁפָל, pour ranimer le cœur de ceux qu’on a broyés » (Is 57,15).

Le royaume de David lui-même doit rester humble et modeste, sinon il s’éloignera de l’alliance :

« YHWH a pris quelqu’un de souche royale et a conclu une alliance avec lui ; il lui a fait prêter serment, après avoir enlevé les puissants du pays, pour que le royaume reste modeste שָׁפָל, sans s’élever, qu’il garde son alliance et qu’elle subsiste » (Ez 17,13-14).

L’Égypte également après l’orgueil des pharaons sera ramenée à plus de modestie afin de ne plus être le tyran qui asservit ses voisins :

« Je changerai la destinée des Égyptiens ; je les ferai revenir au pays de Patros, leur pays d’origine. Ils formeront un royaume modeste שָׁפָל. Il sera plus modeste שָׁפָל que les autres royaumes ; il ne s’élèvera plus au-dessus des nations. Je l’amoindrirai pour qu’il ne domine plus les nations » (Ez 29,14-15).

Comme quoi les royaumes, les régimes politiques eux aussi peuvent être de simples serviteurs, pour peu qu’ils mettent leur orgueil ultra-nationaliste de côté… Toute allusion à l’actualité de la guerre dans le monde serait bien sûr voulue.

Finalement, on devine dans l’adjectif hébreu שָׁפָל l’attitude de Marie coopérant de tout son cœur à l’œuvre de Dieu en elle, en sachant en sachant que tout vient de lui : « Je suis la servante du Seigneur », « Il a jeté les yeux sur son humble servante » (Luc, 1,38.48) …
Marie ne revendique rien pour elle, elle attribue tout à Dieu, ce qui la rend libre pour participer corps et âme au salut qui la traverse.

Puissions-nous dire ensemble : « nous sommes de simples serviteurs ».
Puissions-nous apprendre à nous rendre inutiles !

_____________________


[1]
 Intelligence linguistique, logico-mathématique, spatiale, intra-personnelle, interpersonnelle, corporelle-kinesthésique, musicale, naturaliste, existentielle (ou spirituelle).


[2]
https://jecherchedieu.ch/question/comment-vous-interpretez-et-vivez-cette-parabole-de-jesus-sur-le-serviteur-inutile-ou-quelconque/

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)

 

Lecture du livre du prophète Habacuc

Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent.
Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.
Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

 

PSAUME
(Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !
 (cf. Ps 94, 8a.7d)

 

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

 

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

 

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

 

DEUXIÈME LECTURE
« N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

 

ÉVANGILE
« Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10) Alléluia. Alléluia.
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée. Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.
Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Patrick BRAUD

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18 septembre 2022

Professer sa foi

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Professer sa foi

 

Homélie pour le 26° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
25/09/2022

 

Cf. également :

Qui est votre Lazare ?

Le pauvre Lazare à nos portes

La bande des vautrés n’existera plus

Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?

Chameau et trou d’aiguille

À quoi servent les riches ?

Plus on possède, moins on est libre

 

La profession de foi

Professer sa foi dans Communauté spirituelle I-Moyenne-33576-image-de-communion-solennelle-garcon-j-ai-renouvele-les-promesses-de-mon-bapteme-blanc-sur-fond-bleu.netL’expression est devenue un peu péjorative, car on pense immédiatement aux enveloppes électorales qui polluent nos boîtes aux lettres à chaque échéance avec des papiers de mauvaise qualité sur lesquels les candidats promettent la main sur le cœur qu’ils feront tout pour notre bonheur. « Comptez sur moi, je suis fidèle à mes convictions », essaient-ils de nous persuader… Mais nous avons eu tant de revirements politiques, tant de changements de cap sous prétexte de pragmatisme que ces belles paroles nous paraissent suspectes.

Pour les plus anciens, la Profession de foi les ramène à leur ‘communion solennelle’ : procession en aube blanche, cierge allumé à la main, avec l’énorme repas de famille qui s’ensuit, et les cadeaux tant attendus des parrains, marraines et parents.

Image désuète, car la profession de foi ne concerne plus que 5% à 10% des enfants français maximum, la plupart en Enseignement catholique. Et encore, on ne parle pas de la Confirmation, qui a tout simplement disparu du paysage !

Désintérêt électoral, abandon populaire : la profession de foi n’a pas la cote ! Raison de plus pour retrouver son importance grâce à la deuxième lecture de ce dimanche (1Tim 6,11-16).

Toi, homme de Dieu, recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur. Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle ! C’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession de foi devant de nombreux témoins.

Il y est question de deux professions de foi : celle de Timothée et celle du Christ. Examinons en quoi elles peuvent (elles doivent) devenir les nôtres.

 

La profession de foi de Timothée

Paul fait explicitement allusion à un moment donné de la vie de Timothée où celui-ci a  proclamé sa foi en public :

Combats le bon combat de la foi, saisis la vie éternelle, à laquelle tu as été appelé, et pour laquelle tu as professé (μαρτύρων = martureo) une belle confession en présence d’un grand nombre de témoins (1Tim 6,12).

Cela se voit au temps du verbe employé par Paul : c’est l’aoriste actif, le passé simple en grec, qui désigne un moment précis, dans des circonstances bien particulières. Lesquelles ? Le texte ne le dit pas. Plusieurs hypothèses ont été avancées.

 

 foi dans Communauté spirituelle– Paul ferait référence au martyr de Timothée, ou du moins à sa comparution devant un tribunal romain devant lequel il n’a pas renié Jésus mais a proclamé sa foi en lui. Le verbe μαρτύρων (martureo) employé par Paul semble nous mettre sur cette piste. Les martyrs chrétiens sont ceux qui témoignent publiquement de leur adhésion au Christ, quelles que soient les conséquences mortelles pour eux ou leurs proches. Rappelons la différence fondamentale entre martyrs et djihadistes ou kamikazes : les premiers préfèrent mourir plutôt que de renier leur foi, les seconds veulent faire mourir pour imposer leur foi aux autres. Rien à voir ! Timothée a peut-être été obligé de proclamer devant les autorités romaines ou juives sa foi au Christ : il a eu ce courage, et en cela il a été martyr, au sens premier du verbe martureo : témoigner devant tous, proclamer publiquement.

Nous est-il demandé d’être martyr nous aussi comme Timothée ? Vous me direz qu’heureusement on n’en est pas là en France. C’est vrai que la liberté religieuse garantie par la République nous protège en ce sens. Pour autant, nous n’en sommes pas quittes avec le martyre. Car il existe bien d’autres formes de martyres que la prison ou le goulag. Le martyre éthique par exemple nous demande d’assumer avec courage, publiquement, des positions éthiques au nom de notre attachement au Christ. Même si elles sont à contre-courant de l’opinion majoritaire. Même si elles nous valent à cause de cela l’opprobre, l’insulte, le mépris si facilement accordée aux fachos, aux gauchos, aux intolérants que nous sommes alors accusés d’être.

Le martyre idéologique est une autre forme de témoignage : à cause du Christ, nous osons penser différemment, nous osons contester des référentiels admis par tous, nous argumentons pour d’autres manières de penser le monde et l’humanité.

En entreprise par exemple, prendre position pour les plus petits au nom du Christ peut nous conduire à l’ostracisation, voire au rejet. En société, parler de Création et pas seulement de nature, dénoncer l’idolâtrie du marché, défendre la vie humaine dès le début et jusqu’à la fin, critiquer tous les ‘ismes’ qui s’érigent en pensée ultime sont des hérésies aux yeux de nos contemporains et peuvent nous valoir leur farouche opposition, voire leur haine.

Chacun de nous est appelé à devenir martyr comme Timothée : prendre publiquement position pour le Christ, quoi qu’il en coûte.

 

– Paul emploie également le mot ὁμολογία (homologia) [1] pour désigner la profession de foi de Timothée.

Combats le bon combat de la foi, saisis la vie éternelle, à laquelle tu as été appelé, et pour laquelle tu as fait une belle confession (homologia) en présence d’un grand nombre de témoins (1Tim 6,12).

En grec, ce terme signifie : une parole conforme, une parole pareille à une première, cohérente avec elle. Il s’agit là de la proclamation publique de Timothée, cohérente avec celle de toute l’Église. Certains exégètes ont pensé à l’ordination de Timothée. Lorsque Paul lui a imposé les mains, il a sûrement au préalable proclamé devant l’assemblée son ‘orthodoxie’, sa ‘pensée droite’ s’accordant à celle des Apôtres. L’appel de Paul concernerait donc ici particulièrement les ministres ordonnés de l’Église, ces « hommes de Dieu » (1Tim 6,11)  mis à part pour servir la communion ecclésiale.

Appel d’une urgence contemporaine absolue, si on veut bien voir les dégâts provoqués par les clergés de tous bords lorsqu’ils agissent en contradiction avec la proclamation publique de leur ordination ! Qu’on pense aux centaines d’autochtones canadiens pour le génocide culturel desquels le Pape François a demandé pardon lors de son dernier voyage au Canada. Qu’on pense bien sûr aux milliers de victimes d’abus en tout genre par des prêtres en tous pays. Sans tomber dans l’obsession pathologique de la repentance, force est de constater que plus on a de responsabilités dans l’Église, plus il faut écouter l’exhortation de Paul à Timothée afin de ne pas trahir en secret ce qu’on a proclamé en public.

Ordonné ou pas, l’avertissement vaut finalement pour chacun de nous : fais corps avec l’Église, sois cohérent, mets tes actes en accord avec tes paroles !

 

– Une troisième hypothèse, plus vraisemblable encore que les deux autres, serait que Paul fait allusion à la profession de foi baptismale de Timothée. En effet, baptisé adulte, Timothée a dû comme tous les autres confesser la foi de l’Église devant l’assemblée avant de recevoir le sacrement.

Celebration-de-la-Vigile-pascale martyrCertains pensent pouvoir se passer d’un tel acte public pour être chrétien. Ainsi Saint Augustin nous raconte l’histoire d’un certain Victorinus, rhéteur à Rome, qui se disait chrétien en privé, mais ne se joignait jamais à l’assemblée du dimanche (Confessions, Livre VIII, II, 3-4). Il raillait ouvertement ce qu’il considérait comme une hypocrisie : « Alors ce sont les murs qui font les chrétiens ? » aimait-il à répéter en riant. Pourtant, à force de lire et de ruminer l’Écriture tout seul, il désira bientôt rejoindre l’assemblée locale pour dire le Credo avec elle :

« En plongeant plus profondément dans ses lectures, il y puisa de la fermeté, il craignit d’être désavoué du Christ devant ses saints anges, s’il craignait de le confesser devant les hommes (Mt 10,33), et reconnaissant qu’il serait coupable d’un grand crime s’il rougissait des sacrés mystères de l’humilité de ton Verbe, […] et tout à coup, il surprit son ami Simplicianus par ces mots: ’Allons à l’église; je veux être chrétien !’ Et lui, ne se sentant pas de joie, l’y conduisit à l’instant. Aussitôt qu’il eut reçu les premières instructions sur les mystères, il donna son nom pour être régénéré dans le baptême, à l’étonnement de Rome, à la joie de l’Église. […]

Puis, quand l’heure fut venue de faire la profession de foi, qui consiste en certaines paroles retenues de mémoire, et que récitent ordinairement d’un lieu plus élevé, en présence des fidèles de Rome, ceux qui demandent l’accès de ta grâce ; les prêtres, ajouta Simplicianus, offrirent à Victorinus de réciter en particulier, comme c’était l’usage de le proposer aux personnes qu’une solennité publique pouvait intimider ; mais lui aima mieux professer son salut en présence de la multitude sainte. 

[…] Il prononça le symbole de vérité avec une admirable foi, et tous auraient voulu l’enlever dans leur cœur ; et tous l’y portaient dans les bras de leur joie et de leur amour ».

Que vient faire l’Église dans le salut ? Pourquoi est-il vital de s’agréger à la communauté des croyants ? Cette question rejoint celles que nous entendons souvent autour de nous : je suis croyant, mais à quoi sert l’Église ? Pourquoi serait-elle nécessaire pour croire, prier, et être sauvé ?

Ce récit d’Augustin montre plusieurs choses [2] :

- l’expérience individuelle de la foi peut prétendre se passer de l’appartenance à l’Église dans un premier temps. Or, si l’on considère la foi sous l’angle de l’expérience individuelle seulement, nous dit Saint Augustin, on la condamne à l’isolement. C’est donc qu’on ne peut séparer ce  qui est dit dans le Credo de ceux qui disent ensemble le Credo. Tous les « Je » qui disent ensemble « Je crois » forment un « Nous »: l’Esprit-Saint forme ce « Nous » des chrétiens qui constitue alors l’Église, dans la conjonction de la personne (« Je ») et de la communauté (« Nous »). C’est pour cela que le texte du Credo est fort justement appelé un Symbole (syn-balein en grec = acte de réunir ensemble des éléments séparés) : le fait de le réciter ensemble permet symboliquement à l’assemblée de se reconnaître d’Église.

- Victorinus, si savant et connaissant tous les philosophes, reconnaît avoir besoin du langage de l’Église pour dire sa foi personnelle. Nous sommes parlés avant que de parler nous-mêmes, dirions-nous aujourd’hui… Victorinus articula la formule de vérité avec assurance ; c’est dire que l’Église nous engendre à la foi tout autant que notre profession de foi constitue l’Église.

- la proclamation de foi publique devient proclamation du salut. Victorinus préféra proclamer hautement son salut devant la multitude sainte, plutôt que dans la sacristie. Il s’agit de ne pas rougir devant les hommes de « l’opprobre de la Croix ». « Car la foi du cœur obtient la justice, et la confession des lèvres le salut » (Rm 10,10).

 

Professer sa foi comme Timothée, c’est donc revenir à la source de notre baptême, faire Église avec d’autres pour témoigner du Christ et proclamer ainsi publiquement notre attachement à Jésus de Nazareth, son message, sa personne.

Nul doute que l’importance de cette profession de foi baptismale a largement influencé Mohammed et la tradition musulmane : il suffit en effet de proclamer à haute voix la Chahada (« Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mohamed est son prophète ») pour devenir musulman. Tout le baptême chrétien a été comme ‘cristallisé’ par les musulmans en cet élément fondamental : témoigner du Dieu unique à haute voix devant tous. Notons cependant la différence : la Chahada énonce la foi en un Dieu unique comme un constat objectif (« il n’y a pas d’autre dieu que Dieu ») alors que le Credo chrétien manifeste un attachement subjectif, personnel : « je crois », « nous croyons ». La première se veut une vérité s’imposant à tous ; la seconde est le résultat d’une expérience relationnelle qui invite l’autre à vivre la sienne propre.

Notons d’ailleurs au passage que la profession de foi juive marie les deux aspects : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique » (Dt 6,4). En effet, elle est en même temps dialogale (Écoute, Israël) et objective (le Seigneur notre Dieu est l’Unique).

 

La profession de foi de Jésus-Christ

Jésus devant PilateC’est sur la question de la vérité de foi que Paul rebondit en comparant la profession de foi de Timothée à celle du Christ devant Pilate :

Je te recommande, devant Dieu qui donne la vie à toutes choses, et devant Jésus-Christ, qui fit une belle confession (homologia) devant Ponce Pilate (1Tim 6,13), de garder le commandement…

En quoi consiste-t-elle ? Paul ne le dit pas. Mais il a écouté les Apôtres et lu les Évangiles. Il sait que Jean met la question de la vérité au cœur de la comparution de Jésus devant Pilate : « qu’est-ce que la vérité ? » (Jn 18,38) À la question de Pilate, Jésus se tait. Car Pilate cherchait une doctrine, une vérité objective, alors que Jésus propose une relation personnelle, une adhésion de confiance, une amitié vitale : « Je suis la vérité, le chemin et la vie » (Jn 14,6). Jésus devant Pilate témoigne que la vérité n’est pas un objet à croire ou à imposer. C’est une personne, avec qui entrer en communion. Professer sa foi comme Jésus-Christ devant Pilate signifie alors quitter le terrain meurtrier des idéologies érigées en système. Et proclamer que seule la relation vivante est source de salut.

 

Jésus devant Pilate témoigne… que la vérité est ailleurs ! Pilate veut lui faire préciser en quoi consiste le royaume prêché, et s’il est vraiment le Roi des juifs que les foules acclament. En répondant à côté : « mon royaume n’est pas de ce monde » (Jn 18,36), Jésus témoigne de l’altérité absolue de Dieu, qui ne se laisse enfermer dans aucun de nos concepts : royaume, grandeur, puissance etc. Témoigner que Dieu est toujours au-delà, indicible, irréductible à nos approches, plus grand que nos concepts : voilà également une belle profession de foi à laquelle notre baptême nous appelle, comme Jésus devant Pilate !

La vérité est ailleurs ; elle est relationnelle et non objective ; elle ne peut servir d’alibi à nos intérêts car nous engage à suivre le Christ dans sa Passion.

 

Notre profession de foi

Charles de Foucauld priait pour mourir martyr au milieu des Touaregs qu’il aimait tant. Prions nous-mêmes pour vivre martyrs au milieu de nos proches : en témoignant publiquement pour le Christ, en nous engageant à sa suite, en cherchant à mettre nos actes en cohérence avec cette belle proclamation de foi qui fut celle de Timothée, et d’abord de Jésus.


____________________________________________________

[1]. Il y a 6 occurrences du terme dans le NT. Outre les 2 usages dans notre lecture :
2Co 9,13 : « les fidèles glorifient Dieu de votre obéissance dans la profession (homologia) de l’Evangile de Christ ».
He 3,1 : « Ainsi donc, frères saints, vous qui avez en partage une vocation céleste, considérez Jésus, l’apôtre et le grand prêtre de notre confession de foi (homologia) ».
He 4.14 : « En Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi  (homologia) » (He 4,14).
He 10.23 : « Retenons fermement la profession (homologia) de notre espérance, car celui qui a fait la promesse est fidèle.

[2]. Cf. OCVIRK D., La foi et le Credo, Cerf, Coll. Cogitatio Fidei n°131, Paris, 1985, pp. 161-168.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

1ère LECTURE 

« La bande des vautrés n’existera plus » (Am 6, 1a.4-7)


Lecture du livre du prophète Amos

Ainsi parle le Seigneur de l’univers : Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion, et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie. Couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres de l’étable ; ils improvisent au son de la harpe, ils inventent, comme David, des instruments de musique ; ils boivent le vin à même les amphores, ils se frottent avec des parfums de luxe, mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ! C’est pourquoi maintenant ils vont être déportés, ils seront les premiers des déportés ; et la bande des vautrés n’existera plus.

 

PSAUME 

Ps 145 (146), 6c.7, 8.9a, 9bc-10

R/ Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur ! ou : Alléluia ! (Ps 145, 1b)

 

Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.

 

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.

 

Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

 

2ÈME LECTURE 

« Garde le commandement jusqu’à la Manifestation du Seigneur » (1 Tm 6, 11-16)


Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Toi, homme de Dieu, recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur. Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle ! C’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession de foi devant de nombreux témoins.

Et maintenant, en présence de Dieu qui donne vie à tous les êtres, et en présence du Christ Jésus qui a témoigné devant Ponce Pilate par une belle affirmation, voici ce que je t’ordonne : garde le commandement du Seigneur, en demeurant sans tache, irréprochable jusqu’à la Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ. Celui qui le fera paraître aux temps fixés, c’est Dieu, Souverain unique et bienheureux, Roi des rois et Seigneur des seigneurs, lui seul possède l’immortalité, habite une lumière inaccessible ; aucun homme ne l’a jamais vu, et nul ne peut le voir. À lui, honneur et puissance éternelle. Amen.

 

ÉVANGILE 

« Tu as reçu le bonheur, et Lazare, le malheur. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance » (Lc 16, 19-31)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
Jésus Christ s’est fait pauvre, lui qui était riche, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. Alléluia. (cf. 2 Co 8, 9)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus disait aux pharisiens : « Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux. Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères. Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra. Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui. Alors il cria : ‘Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. – Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.’ Le riche répliqua : ‘Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !’ Abraham lui dit : ‘Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! – Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.’ Abraham répondit : ‘S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.’ »
Patrick BRAUD

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11 septembre 2022

Mi-Abbé Pierre, mi-Mélenchon : Amos !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Mi-Abbé Pierre, mi-Mélenchon : Amos !

Homélie pour le 25° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
18/09/2022

Cf. également :

Trompez l’Argent trompeur !
Peut-on faire l’économie de sa religion ?
Éthique de conviction, éthique de responsabilité
Prier pour la France ?
La 12° ânesse
Épiphanie : l’économie du don

L’invasion russe en Ukraine ne cesse de provoquer des remous sur toute la planète. En Europe, l’inflation frôle un taux à deux chiffres ; les peuples se préparent à un hiver sans gaz russe ; les dettes nationales s’envolent à nouveau pour soutenir le pouvoir d’achat et se procurer de l’énergie ailleurs. En Afrique, la pénurie de céréales ukrainiennes peut engendrer une famine en Égypte, au Maroc, et priver d’engrais azotés des millions de cultivateurs. La Chine se sent pousser des ailes pour faire avec Taïwan ce que Poutine a fait avec le Donbass. L’Inde en profite pour devenir plus ultranationaliste que jamais. Et chaque semaine apporte son lot de crimes de guerre, de tortures, d’exactions contre des civils, d’exodes de populations ukrainiennes par milliers.

Mi-Abbé Pierre, mi-Mélenchon : Amos ! dans Communauté spirituelle 412Z6MJ6AJL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_« Rien de nouveau sous le soleil », dirait la Bible (Qo 1,9). À lire l’Ancien Testament, on parcourt les mêmes agressions violentes des empires conquérant des territoires par la force injuste ; les mêmes inégalités prolifèrent entre les nantis et les petites gens ; la même inhumanité est à l’œuvre envers des rivaux étrangers, des opposants intérieurs, des minorités ethniques etc.
Akkad, Sumer, Babylone, Memphis ou Rome n’étaient pas plus tendres que Moscou ou Pékin. La corruption y était aussi grande, les injustices et les inégalités y sévissaient de même.

Mais, en Israël, il y avait les prophètes !

Ces voix courageuse s’élevaient, au prix de leur liberté et de leur vie, pour dénoncer les exactions des puissants, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. La première lecture de ce dimanche nous fait entendre la protestation véhémente d’Amos (Am 8,4-7), qu’il faudrait faire tonner avec fracas dans nos églises au lieu de la lire gentiment à mi-voix au micro… :

« Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! » Le Seigneur le jure par la Fierté de Jacob : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits ».


Crier fort pour tous ceux qu’on écrase

Voilà donc la première mission des prophètes (dont nous sommes depuis notre baptême !) : élever la voix pour dénoncer publiquement ce qui offense Dieu dans le sort fait aux pauvres.
Imaginez que vous vouliez honorer le Christ en l’embrassant et que pour cela vous lui montiez sur les pieds avec de gros souliers ferrés : « eh bien – tonne saint Augustin – le Christ criera plus fort pour ses pieds qu’on écrase que pour sa tête qu’on honore ! »

Au VIII° siècle avant J.-C., le royaume du Nord en Israël était florissant. Il semblait puissant et riche. Seulement, en marge des nantis, il y avait tout une frange de la population qui était exploitée, appauvrie, opprimée par les classes dirigeantes. Oui, il y avait des gens qui devaient se vendre pour une paire de sandales (Am 2,6), qui n’avaient pas de quoi se couvrir la nuit (2,8), qui étaient réduits en esclavage pour n’avoir pas pu payer leurs dettes (8,6), qui étaient victime de magouilles et autres malversations dans le commerce (8,5), les tribunaux (2,7 ; 5,12) etc.

L’anéantissement des petits (8,4) ne doit pas, ne peut pas être accepté passivement. Amos élève la voix, et vocifère à la mesure inverse du silence imposé par les forts à leurs victimes. Il proclame que ces comportements sont des ruptures d’Alliance. Il avertit que tout cela va conduire à la ruine du royaume si rien ne change.

Il y a des accents « amosiens » dans le cri d’appel au secours de l’Abbé Pierre sur les ondes de RTL en plein hiver 1954 : « Mes amis, au secours ! Cette nuit un bébé est mort de froid dans la rue… » Il y a quelques accents « amosiens » dans le bruit et la fureur que Mélenchon voulait répandre pour dénoncer les inégalités en France (ce qui ne valide en rien ses propositions de solutions !)…


La dés-Alliance économique et sociale

Ces deux figures – bien différentes – de la contestation sociale sont dans le droit fil prophétique de l’Ancien Testament. Leur critique est cependant très ‘horizontale’, très sécularisée, alors que celle d’Amos est foncièrement religieuse. Pour Amos, maltraiter les pauvres est une blessure de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Truquer les balances et les procès, c’est rendre caduques les belles processions au Temple avec leur sacrifices d’animaux par centaines. Exploiter les indigents, c’est annuler la somptueuse liturgie pleine d’encens qui ravit les juifs pieux. S’habituer au malheur des pauvres, c’est briser les Tables de la Loi une seconde fois.

Les tables brisèesLe non-respect des droits économiques et sociaux des humbles a pour Amos une portée spirituelle : l’idolâtrie de valeurs trop humaines, et une portée religieuse : la rupture de l’Alliance entre YHWH et son peuple. La fidélité rituelle d’Israël cache mal à ses yeux une infidélité éthique. Le rite devient hypocrite et vain lorsqu’il ne s’incarne pas dans une éthique cohérente. Le patriarche Kirill devrait relire Amos avant de célébrer les fastes de la divine liturgie devant Poutine et ses sbires…

« Vous crachez à la face de YHWH si vous méprisez les pauvres gens », ose reprocher Amos aux pratiquants de son époque.
Le même reproche est à crier aujourd’hui encore aux oreilles des chrétiens, des juifs ou des musulmans qui pratiquent en même temps leur liturgie, ses rites et ses croyances, et la violence armée, la déportation des populations, l’annexion par la force, l’enrichissement sans vergogne aux dépens des humbles…

La pratique de la justice sociale est donc un élément constitutif de la foi en YHWH. Est-elle ignorée ou rejetée, c’est la connaissance du Seigneur elle-même qui est amputée ou compromise. « Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile qui est la mission de l’Église pour la rédemption de l’humanité et sa libération de toute situation oppressive ».[1]

D’ailleurs, tôt ou tard, des comportements économiques et sociaux injustes conduisent à l’idolâtrie pure et simple, comme le constate amèrement Amos :

« Ils écrasent la tête des faibles dans la poussière, aux humbles ils ferment la route.
Le fils et le père vont vers la même fille et profanent ainsi mon saint nom.
Auprès des autels, ils se couchent sur les vêtements qu’ils ont pris en gage. Dans la maison de leur Dieu, ils boivent le vin de ceux qu’ils ont frappés d’amende » (Am 2,7-8).
La prostitution sacrée n’est jamais bien loin de l’idolâtrie religieuse au cœur des cultes de fertilité si présents en Canaan…
L’injuste devient vite idolâtre, et réciproquement…


La dé-Création économique et sociale

Amos va plus loin encore. Il présente les crimes contre la justice – qu’ils soient commis par des juifs ou des non-juifs – comme des péchés (pešā‘îm en hébreu, cf. Am 2,6; 3,14; 5,12) contre Dieu créateur.

art_img_8562 alliance dans Communauté spirituelle

En effet, en instaurant le désordre dans le règne de sa Création, les auteurs des exactions énumérées en Am 5,7.10-12 et de celles dénoncées dans les autres oracles du livre (Am 2,6-8; 3,9-10;4,1;6,4-6;8,4-6) s’opposent à Dieu ou entrent en sédition contre Celui qui s’attelle constamment à maintenir un ordre juste et harmonieux dans l’univers. En conséquence, toute situation d’injustice devient indubitablement une atteinte au projet créateur parce qu’elle instaure la confusion au sein de la création. En définitive, Amos révèle que les injustices sont des actes de « dé-Création » : elles font retourner la société au chaos.

Israël a accepté la Torah comme règle de son Alliance avec YHWH. Les autres nations ne sont pas dépourvues pour autant de leurs propres lois d’alliance. C’est ce que la Bible appelle les lois noachiques [2] : après le Déluge, Dieu a fait alliance avec Noé pour que le monde ne soit plus livré au chaos, et cette alliance noachique englobe tous les peuples. Un œil moderne verrait là une des sources des Droits de l’Homme actuels : un minimum à respecter pour être humain, quelle que soit sa nationalité, son ethnie, sa religion. La faiblesse des Droits de l’Homme est de n’être fondée que sur la nature humaine (que certains soupçonnent d’y être très – trop ? – occidentale). La force de l’alliance noachique est d’être fondée en Dieu, ce qui garantit son universalité et son inviolabilité.

Sans le savoir ou non, les Chinois qui déportent les Ouïgours ou les Tibétains violent l’Alliance originelle, et contribuent à décréer le monde. Sans le savoir ou non, les Russes qui veulent éradiquer l’identité ukrainienne à tout prix sont complices des forces obscures qui défont l’univers. Et c’est vrai également des Américains qui napalmaient le Vietnam, des Français qui colonisaient par la force, des musulmans qui soumettaient des royaumes par le sabre et développaient la traite des esclaves dans toute l’Afrique dès le VII° siècle etc.

Voici ce qu’Amos reproche aux non-juifs :

- Il proteste contre l’inhumanité brutale de l’armée syrienne : « … (les Syriens) ont foulé Galaad avec des herses de fer » (1,2).
Quelles armées en conquête ne sont pas brutales ?…

– Il proteste contre la déportation des civils, réfugiés livrés à eux-mêmes sans défense. À la suite d’une attaque sur Juda et Israël, une population en fuite cherche un asile en Philistie. Mais les Philistins les repoussent dans les bras des Édomites (v.6). De la même manière, la Phénicie, qui voit d’un mauvais œil l’arrivée massive des étrangers à ses frontières, n’hésite pas, au nom de la sauvegarde de ses intérêts, à trahir le traité de fraternité qui la lie à Israël (1R 5,26, 9,14). Les conséquences sont désastreuses : toute une population de réfugiés, qui a été abandonnée à Édom, devient rapidement une marchandise sur le marché international.
C’est presque un reportage sur les charniers et les massacres des civils en Syrie, en Ukraine, au Yémen, au Mali…

– Le prophète dénonce aussi les actes de cruauté sauvages que les Ammonites perpétuent alors qu’ils cherchent à étendre leur territoire. Ainsi, ils ont éventré les femmes enceintes du Galaad afin d’agrandir leur territoire (v. 13).
Rien de nouveau sous le soleil…

– Il dénonce la colère jamais assouvie, violente et impitoyable. Ainsi « (les Édomites) ont poursuivi leur frère (Israël) avec l’épée en étouffant leur compassion » (v. 11).
Quels soldats aujourd’hui font preuve de compassion envers leurs ennemis ?

– Finalement, Amos s’oppose à la haine qui cherche à effacer jusqu’à la toute dernière trace de son ennemi: « (les Moabites) ont brûlé, calciné, les ossements du roi d’Édom » (2,1). Ainsi, Moab prive le roi d’Édom des honneurs de funérailles décentes que l’on doit même à ses ennemis (1R 2,31; 2R 9,34). Dans l’Ancien Testament, brûler un corps était un fait extrêmement rare (1S 31,12) et essentiellement un signe du jugement de Dieu. Cela démontre à quel point l’identité de l’homme était liée au corps. Or Moab récupérait les corps abandonnés sur le champ de bataille dans un but industriel (faire de la chaux). Ainsi, les considérations économiques dépassent même les honneurs dus à la mémoire d’un homme. Les nazis n’ont rien inventé…

Nos pratiques économiques injustes, notre mépris social des petits – et on ajouterait aujourd’hui : nos habitudes anti-écologiques – sont des actes de dé-Création.
Ce ne sont pas seulement des offenses faites à la nature, et c’est déjà trop.
Ce ne sont pas seulement des violences insupportables faites aux petits, et c’est déjà moralement injustifiable.
C’est – dans le même mouvement – une rupture de l’Alliance créatrice qui unit l’humanité à Dieu.
C’est une blessure qui défigure notre ressemblance avec Dieu.
C’est une offense à nous-même et à Dieu qui rend hypocrite et vaine toute forme de religiosité qui s’accommoderait de ces pratiques inhumaines.


La postérité d’Amos

Il n’y a pas que Mélenchon et l’Abbé Pierre pour prendre le relais d’Amos ! Les Pères de l’Église ont eu des accents prophétiques incroyables !

Pour notre époque, il est intéressant par exemple de relever les 3 citations de notre première lecture opérées dans le Catéchisme de l’Église Catholique (1992) :

Famine rouge : la guerre de Staline en Ukraine– la 1° citation s’applique directement aux marchands de la faim qui cherchent à exploiter le conflit ukrainien à leur avantage, avec pénuries et famines à la clé comme Staline en 1932-33 provoquant 4 millions de morts en Ukraine  :

L’acceptation par la société humaine de famines meurtrières sans s’efforcer d’y porter remède est une scandaleuse injustice et une faute grave. Les trafiquants, dont les pratiques usurières et mercantiles provoquent la faim et la mort de leurs frères en humanité, commettent indirectement un homicide. Celui-ci leur est imputable (cf. Am 8,4-10). (CEC n° 2269)

– la 2° citation d’Amos vise les spéculateurs, les fraudeurs et les optimisations fiscales de tout poil qui exploitent les failles des législations protégeant les droits de chacun :

Toute manière de prendre et de détenir injustement le bien d’autrui, même si elle ne contredit pas les dispositions de la loi civile, est contraire au septième commandement. Ainsi, retenir délibérément des biens prêtés ou des objets perdus ; frauder dans le commerce (cf. Dt 25,13-16) ; payer d’injustes salaires (cf. Dt 24,14-15 JC 5,4) ; hausser les prix en spéculant sur l’ignorance ou la détresse d’autrui (cf. Am 8,4 6). (CEC n° 2409)

– la 3° citation invite à faire une démarche spirituelle – et pas seulement ‘horizontale’ – en reconnaissant la présence du Christ dans les pauvres :

Dès l’Ancien Testament, toutes sortes de mesures juridiques (année de rémission, interdiction du prêt à intérêt et de la conservation d’un gage, obligation de la dîme, paiement quotidien du journalier, droit de grappillage et de glanage) répondent à l’exhortation du Deutéronome :  » Certes les pauvres ne disparaîtront point de ce pays ; aussi je te donne ce commandement : tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays  » (Dt 15,11). Jésus fait sienne cette parole :  » Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous : mais moi, vous ne m’aurez pas toujours  » (Jn 12,8). Par là il ne rend pas caduque la véhémence des oracles anciens :  » Parce qu’ils vendent le juste à prix d’argent et le pauvre pour une paire de sandales …  » (Am 8,6), mais il nous invite à reconnaître sa présence dans les pauvres qui sont ses frères (cf. Mt 25,40) (CEC n° 2449).

Amos a toujours inspiré la Doctrine sociale de l’Église.
À titre d’exemple encore, voici un extrait du message des évêques du Congo Brazzaville en 2018 sur la situation économique de leur pays [3]. Ils commencent par citer intégralement notre lecture d’Amos 8,4–7 en la destinant aux créanciers du Congo :

« À tous les créanciers de la République du Congo, nous adressons ce cri du prophète Amos… »

Ils développent ensuite :

Le Congo bénéficie d’une nouvelle extension de sa dette à l'égard de la France. journaldebrazza.com

« À cause de la corruption, de la concussion et du vol, aujourd’hui notre pays est incapable de payer les salaires des travailleurs, les pensions des retraités, les bourses des étudiants qui sont abandonnés à leur triste sort au pays comme à l’étranger. Nos hôpitaux sont délabrés ou ferment, les malades refoulés, la mortalité ne cesse d’augmenter, les cas de suicide se multiplient, tandis dans que nos écoles l’opération du gouvernement sur les tables-bancs n’a pas eu les effets attendus. Dans les familles, même le repas unique qui était devenu la règle apparaît de plus en plus comme un privilège, parce que le prix des denrées alimentaires ne cesse d’augmenter, en dehors de celui de la bière qui ne fait que baisser. Au chômage des jeunes qui était déjà endémique s’ajoute aujourd’hui celui de tous ceux qui perdent leur emploi à cause de la récession.
Cette situation sociale dramatique interpelle notre conscience de Pasteurs, d’autant que certains citoyens exhibent leur richesse, acquise « miraculeusement » en un temps record, tandis que la majorité des congolais croupit dans la misère. Des scandales de corruption de concussion ont été révélés, mais la justice de notre pays peine à les élucider. »

Ne croyons pas qu’Amos soit une vocation à part ! Car l’onction d’huile de notre baptême fait de chacun un prophète en Christ.

Comment pouvons-nous, chacun et ensemble, reprendre avec courage l’avertissement d’Amos : « Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles… » ?

 

 


[1]. Justitia in mundo, Déclaration du Synode des Évêques, 30/11/1971.

[2]. Le Talmud de Babylone les résume ainsi : Ne pas adorer les idoles / Ne pas maudire Dieu / Ne pas commettre de meurtre / Ne pas commettre d’adultère, de bestialité ou d’immoralité sexuelle / Ne pas voler / Ne pas manger de chair arrachée à un animal vivant / Créer des cours de justice.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Contre ceux qui « achètent le faible pour un peu d’argent » (Am 8, 4-7)

Lecture du livre du prophète Amos
Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! » Le Seigneur le jure par la Fierté de Jacob : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits.

PSAUME
(Ps 112 (113), 1-2, 5-6, 7-8)
R/ Louez le nom du Seigneur : de la poussière il relève le faible. ou : Alléluia !
(Ps 112, 1b.7a)

Louez, serviteurs du Seigneur,
louez le nom du Seigneur !
Béni soit le nom du Seigneur,
maintenant et pour les siècles des siècles !

Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ?
Lui, il siège là-haut.
Mais il abaisse son regard
vers le ciel et vers la terre.

De la poussière il relève le faible,
il retire le pauvre de la cendre
pour qu’il siège parmi les princes,
parmi les princes de son peuple.

DEUXIÈME LECTURE
« J’encourage à faire des prières pour tous les hommes à Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 1-8)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre à Timothée
Bien-aimé, j’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. Cette prière est bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, car il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. En effet, il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous. Aux temps fixés, il a rendu ce témoignage, pour lequel j’ai reçu la charge de messager et d’apôtre – je dis vrai, je ne mens pas – moi qui enseigne aux nations la foi et la vérité. Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en élevant les mains, saintement, sans colère ni dispute.

ÉVANGILE
« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent » (Lc 16, 1-13)
Alléluia. Alléluia.
Jésus Christ s’est fait pauvre, lui qui était riche, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. Alléluia. (cf. 2 Co 8, 9)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le convoqua et lui dit : ‘Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.’ Le gérant se dit en lui-même : ‘Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.’ Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : ‘Combien dois-tu à mon maître ?’ Il répondit : ‘Cent barils d’huile.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.’ Puis il demanda à un autre : ‘Et toi, combien dois-tu ?’ Il répondit : ‘Cent sacs de blé.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu, écris 80’.
Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande. Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ? Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »
Patrick BRAUD

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4 septembre 2022

Le Grand Bleu intérieur

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le Grand Bleu intérieur

Homélie pour le 24° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
11/09/2022

Cf. également :

S’accoutumer à Dieu
Avez-vous la nuque raide ?
La brebis et la drachme
La parabole du petit-beurre perdu
Mercredi des Cendres : notre Psaume 50

La CMV

La crise du milieu de vie« Jusqu’ici, j’avais l’impression de gravir une montée à fond de train. Mais quand je suis arrivé soudain au sommet, j’ai découvert un panneau Stop, en face, au bout de la pente, de l’autre côté. Je me suis retourné et j’ai regardé le chemin parcouru. Qu’ai-je bâti dans le fond ? J’ai repoussé certains engagements pour profiter de la vie, et me voilà, comme un c…, seul, du fric en poche, sans autre horizon que la mort. – Moi, j’ai sacrifié ma vie conjugale, familiale, spirituelle, pour mon boulot. Or, ce que j’ai bâti professionnellement ne me comble pas… »
« J’étais assailli de questions : où va ma vie ? Me suis-je trompé dans mes choix ? À quoi bon tout ça ? Qu’est-ce que j’ai fait de mon existence ? Ne devrais-je pas changer de femme, de travail, de maison ? Ne suis-je pas prisonnier de mon mariage, de mon emploi ? Pourquoi est-ce que je me fatigue tant ? Ai-je vraiment accompli quelque chose d’important ? Est-ce que je vaux quelque chose ? Qu’est-ce que cela me donne de croire, de prier ? Pourquoi Dieu ne répond-Il pas à ma détresse ? Qu’est-ce qui me fait vivre ?…
J’étais comme au milieu d’un examen. La moitié du temps s’est écoulée. Dans deux heures, il faut rendre la copie, on n’est pas forcément très content de soi et on se demande si on peut encore changer de sujet ! »

Ce genre de témoignage pullule sur la Toile. C’est la fameuse « crise de milieu de vie », (ou crise de la quarantaine) affectueusement baptisée CMV par les psychologues, qu’on observe souvent chez les hommes (mais pas seulement !) entre 40 et 50 ans environ. Pendant la première moitié de leur vie, ils ont foncé pour se construire un avenir. Ils se sont noyés dans l’action pour obtenir un statut social standard : bosser des années d’études pour un diplôme, trouver un CDI et amorcer une carrière, s’endetter pour acheter une maison, établir son couple, gérer l’arrivée des enfants, le tout saupoudré d’un nuage de reconnaissance sociale grâce à des amis, des loisirs, une vie associative voire ecclésiale etc. Ils ont trimé dur pour en arriver là, et puis tout d’un coup, parvenus au sommet de la côte, ils mettent pied à terre et regarde à la fois derrière eux en se disant : ‘ce n’était donc que cela ?’ et devant eux en s’interrogeant : ‘et maintenant ? quels objectifs pour la suite ?’ D’autant plus qu’au mitan de la vie, la suite, c’est inévitablement la mort qui se profile à l’horizon. Même si c’est encore loin, elle commence à s’imposer dans le paysage. La mort des parents qui peut subvenir dans cette période est une brutale piqûre de rappel.

Le Démon de midiLe malaise, l’angoisse ou la dépression qui s’installent alors se nourrissent de tous les doutes remettant en cause l’œuvre à moitié accomplie : ‘était-ce vraiment moi tout cela ? N’ai-je fait que suivre les rails sur lesquels on me fait rouler depuis mon enfance ? Pourquoi mon couple me laisse-t-il insatisfait ?… Avant je voulais la sécurité, le boulot, la maison, la famille comme tout le monde, la reconnaissance des autres. Maintenant je découvre en moi d’autres besoins, d’autres aspirations, d’autres désirs : découvrir ce qu’il y a en moi et pas seulement à l’extérieur, honorer des aspects de ma personnalité que j’ai refoulés jusqu’à présent, sortir des rails, partir à la recherche de mon identité profonde…’

Dans le couple, cela se manifeste pour beaucoup par une remise en cause des valeurs conjugales de fidélité, de confiance, de tendresse ; par une disparition ou un affaiblissement du projet commun (on pense au divorce) ; un éparpillement dans de nouvelles aventures (le besoin de se prouver sa capacité de séduire) ; une envie de sortir du rôle dans lequel on est enfermé (la recherche d’intimité) ; une fuite de la réalité dans le rêve d’autres possibles (on joue à l’adolescent).

Celui qui vit cette tempête intérieure se met à tout chambouler autour de lui : beaucoup trompent leur compagne pour une plus jeune (c’est le fameux « démon de midi »), certains changent radicalement de métier, d’autres déménagent brusquement, ou plaquent tout. Des gens se convertissent à telle ou telle religion, alors qu’ils étaient indifférents ; un mariage, un décès, une lecture, une rencontre les auront bouleversés, et ils voient soudain en pleine lumière tout ce qu’il leur manquait auparavant sur le plan spirituel…

Le Grand Bleu intérieur dans Communauté spirituelle parab_perdu_monnaieImpossible de ne pas penser à eux en écoutant la parabole de la drachme perdue de l’Évangile de ce dimanche (Lc 15,1-32) :

« Si une femme a dix pièces d’argent et qu’elle en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Quand elle l’a retrouvée, elle rassemble ses amies et ses voisines pour leur dire : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !’ »

Certes, Jésus ne l’a pas inventée spécifiquement pour nous aider à traverser la CMV ! Il l’utilise pour illustrer sa volonté de sauver les pécheurs, car il est venu « pour chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 9,10).

Et pourtant, il y a bien des manières de se perdre ! On peut tout perdre - et se perdre - au jeu. On peut dégrader son corps – et se dégrader – en se droguant, en buvant. On peut oublier qui l’on est en se noyant dans les méandres du pouvoir, de l’argent, du plaisir etc. La CMV est une autre façon de se perdre : le Christ ne l’a pas connue (trop jeune !) mais sa parabole s’adapte merveilleusement à cette période.

Laissons Jean Tauler, maître spirituel du XIV° siècle, figure de la mystique rhénane avec Maître Eckhart, nous guider sur ce chemin intérieur. Il a dû rencontrer et accompagner dans son ordre dominicain pas mal de frères souffrant de cette crise pour constater avec réalisme :

« L’homme peut faire ce qu’il veut, s’y prendre comme il veut, il n’atteint pas la paix véritable, il ne devient pas un homme du ciel, selon son être, avant d’avoir atteint la quarantaine. Auparavant, il est accaparé par toutes sortes de choses, ses penchants naturels l’entraînent de-ci, de-là ; et ce qui se passe en lui est bien souvent sous leur domination, alors qu’on s’imagine que c’est tout entier de Dieu. [...] L’homme doit attendre encore dix ans avant que l’Esprit Saint, le Consolateur, lui soit communiqué en vérité, et qu’il puisse enfin savourer la paix du consentement ».

 

Tout bouleverser pour la drachme perdue

La femme avait dix pièces d’argent. Dix, c’est le nombre de juifs (mâles !) minimum pour constituer une assemblée habilitée à célébrer le culte et réciter les prières : un miniane. Ici c’est une femme seule – et non des hommes – qui désire revenir à 10. On peut y voir le symbole d’Israël (le peuple est féminin en hébreu) s’apercevant qu’il lui manque le Messie pour être l’Israël de Dieu en plénitude. Alors cette femme retourne dans sa maison. Au lieu de se disperser à l’extérieur, elle revient en elle-même, dans l’intimité de sa demeure, pour chercher cette part de son trésor qu’elle a perdue.

ill_1854043_f875_theoreme_du_lampadaire CMV dans Communauté spirituelleVous connaissez sûrement ce sketch à la Devos :

Un promeneur marchant à la nuit tombée aperçoit un homme courbé qui semble chercher un objet perdu sous un lampadaire.
- Bonsoir, vous semblez chercher quelque chose ?
- En effet, j’ai perdu mes clefs.
Le promeneur, serviable, commence alors à chercher. Après quelque temps, il interroge à nouveau.
- Êtes-vous certain de l’avoir perdu à cet endroit ?
- Non, répond-il, mais au moins ici il y a de la lumière !

Ce sketch montre l’absurdité d’une quête qui cherche au-dehors ce qui est en dedans. Au lieu de fouiller sous les lampadaires, les enseignes lumineuses et les mirages de la consommation et du paraître, la femme revient à son fond le plus intime, chez elle.
Si vous faites ainsi passer votre centre de gravité « en-bas », comme le culbuto, alors rien ne pourra vous troubler, comme le culbuto qui revient à son centre après les oscillations extérieures. Cela demande de ne pas s’attacher à ses œuvres, de rester libre pour Dieu et pour soi-même. Mais cette plongée intérieure est un voyage en Dieu. Comme le Christ est en bas de l’arbre de Zachée, c’est dans le fond de l’âme que Dieu réside, nous enseigne, nous attend et nous unit à lui.

51DYVRZ82XL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_ crise« L’autre sorte de recherche est bien supérieure à celle-ci. Elle consiste en ce que l’homme rentre dans son propre fonds, au plus intime de lui-même, et y cherche le Seigneur, de la façon qu’il nous a lui-même indiqué, quand il dit : le royaume de Dieu est en vous. Celui qui veut trouver le royaume, c’est-à-dire Dieu avec toute sa richesse, dans sa propre essence et sa propre nature, doit le chercher là où il est, c’est-à-dire dans le fond le plus intime, où Dieu est plus près de l’âme et lui est beaucoup plus intimement présent qu’elle ne l’est à elle-même.

Ce fonds doit être cherché et trouvé. L’homme doit entrer dans cette maison, et en renonçant à tos ses sens, à tout ce qui est sensible, à toutes les images et formes particulières qui sont apportées et déposées en lui par les sens, à toutes les impressions bien déterminées qu’il ait jamais reçu de l’imagination, et à toutes les représentations sensibles, oui même dépasser les représentations rationnelles (…). Quand l’homme entre dans cette maison et cherche Dieu, il la bouleverse de fond en comble » (Tauler, Sermon 33).

Tauler commente :

« On s’engouffre dans cet abîme.
Et dans cet abîme est l’habitation propre de Dieu […].
Dieu ne quitte jamais ce fond. Il n’y a là ni passé ni futur.
Rien ne peut combler ce fond. Rien de créé ne peut le sonder ».

Revenir à notre fond intime s’apparente quelquefois à la plongée en apnée du film « Le Grand Bleu » ! On y laisse forcément des plumes. Quand on entame cette quête, impossible de croire, travailler, d’aimer comme avant… Les représentations de Dieu, de la réussite, du couple, qui jusqu’à présent suffisaient à nous motiver, s’écroulent sur elles-mêmes. Elles sonnent creux, paraissent vides et vaines. C’est ce que Tauler appelle le bouleversement : partir à la recherche de la drachme perdue suppose de bouleverser son existence, ses représentations, ses certitudes antérieures.

« Voici en quoi consiste le bouleversement de la maison et l’action par laquelle Dieu cherche l’homme. Toutes les représentations, toutes les formes, de quelques genres qu’elles soient, par lesquelles Dieu se présente à l’homme, lui sont totalement enlevées lorsque Dieu vient dans cette maison, dans ce fonds intérieur, et tout cela est renversé comme si on ne l’avait jamais possédé. De bouleversement en bouleversement, toutes les idées particulières, toutes les lumières, tout ce qui avait été manifesté et donné à l’homme, tout ce qui s’était antérieurement passé en lui, tout cela est complètement bouleversé dans cette recherche. En ce bouleversement, l’homme qui peut se laisser faire est élevé plus haut qu’on ne saurait dire au-dessus du degré où peuvent le conduire toutes les œuvres, les pratiques ou bonnes intentions qui aient jamais été imaginées et inventées ».

Tauler qualifie ce bouleversement d’heureux, alors que nous le ressentons sur le moment comme tragique. Et justement, c’est à cette inversion qu’il nous invite : regarder autrement le chamboule-tout qui se généralise sous nos yeux lorsque nous secouons la poussière et déplaçons les meubles pour trouver ce que nous avons perdu en cours de route dans la première partie de notre existence.

« Bienheureux bouleversement.
En ce bouleversement, l’homme qui peut se laisser faire est élevé plus haut qu’on ne saurait dire au-dessus du degré où peuvent le conduire toutes les œuvres, les pratiques ou les bonnes résolutions qui aient jamais été imaginées et inventées. Oui, ceux qui parviennent vraiment à cela deviennent de tous les hommes les plus dignes d’amour ».

Une drachme d'argentCelui qui sait persévérer dans ce bouleversement intérieur parviendra comme la femme à découvrir où était cachée la drachme, dont les deux faces gravées symbolisent l’image et la ressemblance d’avec Dieu. Car nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, et avec le temps ces deux dimensions de notre dignité humaine se ternissent, se perdent dans la poussière de notre volontarisme, sous les meubles de notre confort, ensevelies sous les trophées, peintures et autres décorations qui encombrent désormais notre intérieur, notre fond intime.

Comment pratiquer cette descente en nous, dans ce fond intime ? Ce n’est pas une introspection psychologique, et les techniques de développement personnel n’y peuvent rien ! Il ne s’agit pas de revivre des événements traumatiques du passé, ni d’explorer les déterminismes qui nous ont téléguidé jusqu’à présent (même si ce n’est pas inutile par ailleurs).

Il s’agit de découvrir Dieu au-delà de nos représentations :

« Toutes les représentations, toutes les formes, de quelques genres qu’elles soient, par lesquelles Dieu se présente à l’homme, lui sont totalement enlevées lorsque Dieu vient dans cette maison, dans ce fonds intérieur, et tout cela est renversé comme si on ne l’avait jamais possédé ».

Il s’agit de découvrir l’amour au-delà de nos sentiments :

« Vous ne savez pas ce qu’est l’amour. Vous pensez avoir l’amour quand vous éprouvez de grands sentiments, un goût profond et pleine jouissance de Dieu. Non, ce n’est pas du tout l’amour, ce n’est pas là sa manière. Mais voici ce qu’est l’amour. Quand dans la privation, le dépouillement et le délaissement, on a, au cœur, une ardeur et un tourment constant et continu, sans que pourtant l’on cesse de s’abandonner (à Dieu) ; quand il y a dans le tourment comme une fusion du cœur et, dans la flamme de la privation comme un dessèchement, toujours dans un égal abandon, voilà ce qu’est l’amour. Voilà ce que représente l’allumage de la lanterne ».

Face au sentiment de vide, d’angoisse ou de vanité qui peut nous étreindre, réjouissons-nous ! Car c’est l’invitation à déconstruire nos schémas de réussite antérieurs. C’est l’appel à plus d’intériorité, pour explorer ce fond intime où nous retrouverons la beauté de la divinité enfouie en nous.

 

Se laisser chercher

La femme de la parabole peut donc représenter chacun de nous partant à la recherche de lui-même. Tauler nous avertit d’expérience : aussitôt que l’homme descend en son fond intérieur en bouleversant tout ce qu’il a construit jusque-là, Dieu fait de même ! Il se met lui-même en quête de l’homme éprouvant le manque, et bouleverse tout sur son passage pour aller le rejoindre en ce fond intime :

« Et puis, c’est Dieu qui le cherche : lui aussi met tout sens dessus dessous dans la maison, comme fait celui qui cherche ; il y jette ceci d’un côté, cela d’un autre, jusqu’à ce qu’il ait trouvé ce qu’il cherche : ainsi en arrivera-t-il à cet homme. Quand l’homme est entré dans cette maison et a cherché Dieu dans ce fonds le plus intime, Dieu vient aussi chercher l’homme et bouleverse la maison de fond en comble »

Il y a donc un « lieu » en l’homme (à entendre de manière métaphorique et non de manière substantielle) que Tauler appelle le fond de l’âme, qui est le lieu où Dieu se rend présent à nous et nous pouvons avoir à notre tour accès à lui. En pénétrant dans ce fonds, nous faisons l’expérience d’une intériorité mutuelle entre Dieu et nous.

Voilà une autre interprétation des bouleversements qui chamboulent notre trajectoire à certains moments : et s’ils étaient la trace du mouvement par lequel Dieu se met en quête de nous ? Cette tristesse permanente, cette sensation de vide, ce vertige devant d’autres choix possibles, cette angoisse devant la mort qui s’inscrit à l’horizon, tout cela ne serait-ce pas le signe que Dieu vient me bouleverser de fond en comble pour que je ne me perde pas ?

Maître Eckhart, s’inspirant de la fameuse phrase de l’Apocalypse : « voici que je me tiens à la porte et je frappe » (Ap 3,20), a cette très belle remarque :

« C’est un grand dommage pour l’homme de croire Dieu loin de lui. Que l’homme soit près ou loin, Dieu, lui, ne s’éloigne jamais. Il reste toujours dans le voisinage ; et, s’il ne peut demeurer en nous, il ne va jamais plus loin que l’autre côté de la porte ».

 drachmeLe remède du Docteur Tauler est alors simple, terriblement simple et paradoxal à la fois : il faut tranquillement laisser s’effondrer sur nous la tour de notre suffisance et de notre pharisaïsme et nous abandonner totalement à l’œuvre que, dans cette tourmente, Dieu opère en nous :

« Mon bien cher, laisse-toi couler, couler à pic jusqu’au fond, jusqu’à ton néant et laisse s’écrouler sur toi, avec tous ses étages, la tour (de ta cathédrale de suffisance et de pharisaïsme) ! Laisse-toi envahir par tous les diables de l’enfer ! Le ciel et la terre avec toutes leurs créatures, tout te sera prodigieusement utile ! Laisse-toi tranquillement couler à pic, tu auras alors en partage tout ce qu’il y a de meilleur ».

Dieu choisit juste le moment où nous nous sommes bien installés dans la maison de notre vie pour agir comme une femme qui sème le désordre afin de retrouver sa drachme ; au milieu de notre vie, précisément, nous y sommes bien installés, mais à force d’agir à l’extérieur nous avons perdu la drachme ; Dieu nous plonge alors dans une crise, dans le désordre, pour la retrouver en nous.

Se laisser bouleverser par Dieu est plus important que de remettre très vite les choses à leur place. Se laisser chercher par Dieu est plus sûr que de vouloir résoudre la crise par des exercices spirituels, psychologiques ou paramédicaux…

« Si, dans un absolu et aveugle abandon, tu laissais le Seigneur te chercher et bouleverser ta maison autant qu’il le voudrait et de la manière dont il le voudrait, la drachme serait trouvée d’une façon qui dépasse tout ce que l’homme peut imaginer ou comprendre. Si on se laissait bouleverser ainsi, cela nous mènerait bien plus loin que tous les projets, toutes les œuvres et tous les procédés particuliers que le monde entier peut réaliser extérieurement, sous des formes et dans des œuvres sensibles. Si tu étais un homme bien abandonné, tu ne serais jamais mieux qu’au temps où le Seigneur voudrait te chercher. Cela te suffirait, tu éprouverais la vraie paix. Qu’il te veuille dans l’aveuglement, l’obscurité, la froideur ; qu’il te veuille fervent ou qu’il te veuille pauvre, selon qu’il lui plaît, en toute manière, dans l’avoir ou la privation, quel que soit le moyen qu’il prenne pour te chercher, tu te laisserais trouver.
Comme ils sont heureux ceux qui se laissent chercher et trouver de telle sorte que le Seigneur les introduise en lui !
Puissions-nous tous suivre cette voie ! »

41-8Me890dL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_ Grün« On ne peut pénétrer dans le fond de l’âme par ses propres forces, ni par des efforts ascétiques, ni par l’accumulation de prières, insiste le Père Anselm Grün [1]. Ce n’est pas en faisant, mais en se laissant faire, que l’on peut entrer en contact avec son fond le plus intime ».

« Dans la crise du milieu de vie, il s’agit en somme d’une passation de pouvoir intérieure. Ce n’est plus moi qui dois me diriger, mais Dieu. Car c’est bien Dieu qui est dans la crise, et je ne dois pas Lui faire obstacle, afin qu’Il puisse accomplir son œuvre en moi ».

 

Conclusion

Résumons-nous.
Lorsqu’une crise de sens nous tombe dessus :
– réjouissons-nous, car c’est une invitation à gagner en profondeur et vérité.
– pour cela, commençons courageusement à descendre en notre fond intime, notre intériorité la plus personnelle et la plus spirituelle.
– pendant cette plongée en apnée, il nous faudra chambouler tout notre intérieur, le mettre sens dessus dessous, remettre en cause nos schémas antérieurs.
– plus important encore, laissons Dieu nous chercher. Cela relève davantage d’une passivité spirituelle que d’un volontarisme inquiet. Passivité active, car il s’agit d’ouvrir la porte à Dieu qui frappe, mais passivité d’abord car c’est en écoutant, en méditant, en discernant, en me laissant faire, que je serai conduit peu à peu à ma drachme perdue.

Heureux bouleversement que cette pagaille engendrée par la quête de Dieu en moi !
Heureux bouleversement que cette succession d’états d’âme par lesquelles Dieu me fait passer, pour lui-même chercher et trouver ma drachme perdue !
Soyons cette femme balayant tout son intérieur jusqu’à retrouver sa dignité entière.
Laissons Dieu être cette femme qui met notre intériorité sens dessus dessous pour nous redonner à nous-même en plénitude.

 


[1]. Anselm Grün, La crise du milieu de la vie, une approche spirituelle, Médiaspaul, 2005.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Le Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire » (Ex 32, 7-11.13-14)

Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, le Seigneur parla à Moïse : « Va, descends, car ton peuple s’est corrompu, lui que tu as fait monter du pays d’Égypte. Ils n’auront pas mis longtemps à s’écarter du chemin que je leur avais ordonné de suivre ! Ils se sont fait un veau en métal fondu et se sont prosternés devant lui. Ils lui ont offert des sacrifices en proclamant : ‘Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte.’ »
Le Seigneur dit encore à Moïse : « Je vois que ce peuple est un peuple à la nuque raide. Maintenant, laisse-moi faire ; ma colère va s’enflammer contre eux et je vais les exterminer ! Mais, de toi, je ferai une grande nation. » Moïse apaisa le visage du Seigneur son Dieu en disant : « Pourquoi, Seigneur, ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple, que tu as fait sortir du pays d’Égypte par ta grande force et ta main puissante ? Souviens-toi de tes serviteurs, Abraham, Isaac et Israël, à qui tu as juré par toi-même : ‘Je multiplierai votre descendance comme les étoiles du ciel ; je donnerai, comme je l’ai dit, tout ce pays à vos descendants, et il sera pour toujours leur héritage.’ » Le Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire à son peuple.

PSAUME
(Ps 50 (51), 3-4, 12-13, 17.19)
R/ Oui, je me lèverai, et j’irai vers mon Père.
 (Lc 15, 18)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.
Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ;
tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.

DEUXIÈME LECTURE
« Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs » (1 Tm 1, 12-17)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre à Timothée
Bien-aimé, je suis plein de gratitude envers celui qui me donne la force, le Christ Jésus notre Seigneur, car il m’a estimé digne de confiance lorsqu’il m’a chargé du ministère, moi qui étais autrefois blasphémateur, persécuteur, violent. Mais il m’a été fait miséricorde, car j’avais agi par ignorance, n’ayant pas encore la foi ; la grâce de notre Seigneur a été encore plus abondante, avec la foi, et avec l’amour qui est dans le Christ Jésus.
Voici une parole digne de foi, et qui mérite d’être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi, je suis le premier des pécheurs. Mais s’il m’a été fait miséricorde, c’est afin qu’en moi le premier, le Christ Jésus montre toute sa patience, pour donner un exemple à ceux qui devaient croire en lui, en vue de la vie éternelle. Au roi des siècles, au Dieu immortel, invisible et unique, honneur et gloire pour les siècles des siècles. Amen.

ÉVANGILE
« Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit » (Lc 15, 1-32)
Alléluia. Alléluia. 
Dans le Christ, Dieu réconciliait le monde avec lui : il a mis dans notre bouche la parole de la réconciliation. Alléluia. (cf. 2 Co 5, 19)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Alors Jésus leur dit cette parabole : « Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une, n’abandonne-t-il pas les 99 autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? Quand il l’a retrouvée, il la prend sur ses épaules, tout joyeux, et, de retour chez lui, il rassemble ses amis et ses voisins pour leur dire : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !’ Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion.
Ou encore, si une femme a dix pièces d’argent et qu’elle en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Quand elle l’a retrouvée, elle rassemble ses amies et ses voisines pour leur dire : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !’ Ainsi je vous le dis : Il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
Jésus dit encore : « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : ‘Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’ Et le père leur partagea ses biens. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre. Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. Alors il rentra en lui-même et se dit : ‘Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’ Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : ‘Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.’ Mais le père dit à ses serviteurs : ‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.’ Et ils commencèrent à festoyer.
Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait. Celui-ci répondit : ‘Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.’ Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : ‘Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !’ Le père répondit : ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! »
Patrick BRAUD

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