Voyagez léger et court-vêtu !
Voyagez léger et court-vêtu !
Homélie pour le 14° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
03/07/2022
Cf. également :
Secouez la poussière de vos pieds
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
Je voyais Satan tomber comme l’éclair
Les 72
Briefer et débriefer à la manière du Christ
Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?
La politique bagage d’EasyJet
Il y a quelques mois, la compagnie aérienne low-cost EasyJet a revu sa politique bagages à la baisse. Désormais, seul un minuscule bagage de cabine est compris avec le billet d’avion : au maximum 45 x 36 x 20 cm (poignées ou roues comprises). Mesurez : ce sont les dimensions d’une mini valise, ou un sac à dos ordinaire, pas plus ! Du coup, comme le supplément pour un bagage en soute est presque aussi cher que le billet, beaucoup de voyageurs optimisent leurs affaires pour qu’elles tiennent dans le volume autorisé. En outre, ils découvrent qu’ils gagnent ainsi du temps, car l’enregistrement des bagages en soute et leur récupération à l’aéroport à l’arrivée sont très longs.
On voit depuis à Roissy Charles-de-Gaulle des foules de voyageurs avec pour seul équipement un sac à dos : pas seulement des jeunes routards habitués à crapahuter de par le monde avec juste le nécessaire dans le dos, mais également des seniors, des parents, qui se disent qu’après tout la famille, les amis ou l’hôtel là-bas auront largement tout ce qu’il faut.
En les voyant ainsi libérés de leurs habituelles valises pesantes et encombrantes, je pensais aux vers de la fable de La Fontaine décrivant la paysanne Perrette et son pot-au-lait marchant avec allégresse vers ses rêves de réussite (« veau, vache, cochon, couvée ») :
Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;
Ayant mis ce jour-là pour être plus agile
Petite jupe simple, et souliers plats.
Perrette a trébuché et tous ses rêves se sont renversés avec son pot-au-lait, mais elle avait raison de voyager légère et court-vêtue pour aller de l’avant !
L’évangile zéro bagage
Jésus n’avait pas lu La Fontaine, mais il était arrivé aux mêmes conclusions qu’EasyJet et Perrette : pour voyager mieux et loin, il ne faut pas emporter trop de bagages. L’évangile de ce dimanche (Lc 10, 1-12.17-20) le recommande fortement à ceux qui sont envoyés en mission : « Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin ».
Au fil des siècles, les Églises se sont alourdies et leurs bagages sont devenus si imposants qu’ils les immobilisent et les empêchent d’être agiles, mobiles, souples et réactives. Le patrimoine foncier de l’Église catholique en France est encore gigantesque, ses œuvres d’art inestimables, ses possessions complexes à gérer. Même ses œuvres de charité (écoles, hôpitaux, institutions, organismes de solidarité etc.) l’étouffent en faisant d’elle une machine administrative rigide et peu transparente. Saint Martin évangélisa la Gaule au IV° siècle avec un cheval et son manteau coupé en deux. Quelques siècles plus tard, l’Église croulait sous la richesse accumulée… Comment s’étonner dès lors, à la lumière de la parole de Jésus liant dépouillement et agilité missionnaire, que cette Église soit devenue si peu évangélisatrice ?
Si l’apôtre s’embarrasse de sac, de bourse ou de tunique de rechange, il marchera moins vite, moins loin, et surtout il ne comptera que sur ses seules ressources au lieu de compter sur la générosité de ceux vers qui il est envoyé.
Charles de Jésus : le voyageur sans bagages
Dimanche 15 mai dernier, le pape François a canonisé à Rome Charles de Foucauld pour sa présence et son témoignage au milieu des Touaregs. Sous-officier de l’armée coloniale, il avait appris très tôt que voyager au Maroc demandait de ne pas emporter grand-chose. Se faisant passer pour un rabbin afin de ne pas avoir d’ennuis, il a expérimenté, bien avant sa conversion, que se mélanger au peuple ordinaire d’un pays étranger demande beaucoup de discrétion, de simplicité, sans s’encombrer plus que nécessaire. Quand il reviendra, une fois ordonné prêtre, au Maghreb, il n’emportera matériellement rien avec lui de ce que son statut aurait pu lui octroyer. Sur le plateau de l’Assekrem au milieu du désert du Hoggar dans le Sahara, son ermitage de pierres sèches n’aura rien du confort occidental. Sa gandoura le rendra semblable aux nomades du désert. Même son capital social dû à sa noblesse, il le laissera en France, ne voulant plus se faire appeler que Charles de Jésus et non plus de Foucauld. Se dépouillant matériellement pour mieux rencontrer les Touaregs, Charles découvre alors qu’il lui faut encore se dévêtir spirituellement, culturellement, afin de devenir le frère universel qu’il souhaite être pour les Touaregs.
« Il faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la grâce de Dieu : c’est là qu’on se vide, qu’on chasse de soi tout ce qui n’est pas Dieu (…). C’est dans la solitude, dans cette vie seule avec Dieu seul (…) que Dieu se donne tout entier à celui qui se donne aussi tout entier à lui ».
« Il faut briser tout ce qui n’est pas moi », fait-il dire à Jésus.
Charles devra même abandonner la perspective de baptiser qui que ce soit, et se contenter d’être là, gratuitement, sans autre but que le témoignage fraternel. Le 7 septembre 1915, il écrit :
« Il y aura demain 10 ans que je dis la messe à Tamanrasset et pas un seul converti ! Il faut prier, travailler et patienter ».
Sa prière d’abandon, reprise chaque jour par les Petites Sœurs et Petit Frères de Jésus se réclamant de lui, exprime ce désir d’union qui fait passer par-dessus bord tout ce qui alourdit, ralentit ou empêche le mouvement d’amour envers l’autre :
« Mon Père,
Je m’abandonne à toi,
fais de moi ce qu’il te plaira.
Quoi que tu fasses de moi,
je te remercie.
Je suis prêt à tout, j’accepte tout.
Pourvu que ta volonté
se fasse en moi, en toutes tes créatures,
je ne désire rien d’autre, mon Dieu.
Je remets mon âme entre tes mains.
Je te la donne, mon Dieu,
avec tout l’amour de mon cœur,
parce que je t’aime,
et que ce m’est un besoin d’amour
de me donner,
de me remettre entre tes mains, sans mesure,
avec une infinie confiance,
car tu es mon Père ».
Le dépouillement ultime serait pour lui le martyre, qu’il désire de façon sincère et non morbide, pour aller au bout du don de lui-même à son Dieu et à ce pays qu’il aime :
« Vivre comme si je devais mourir aujourd’hui martyr. À toute minute, vivre aujourd’hui comme devant mourir ce soir martyr ».
« Pense que tu dois mourir martyr, dépouillé de tout, étendu à terre, nu, méconnaissable, couvert de sang et de blessures, violemment et douloureusement tué… et désire que ce soit aujourd’hui ».
« Pense souvent à cette mort, pour s’y préparer et juger les choses à leur vraie valeur ».
Son assassinat exaucera ce vœu : le 1er décembre 1916, un brigand rebelle sénoussiste lui tire dessus, plus ou moins accidentellement, devant la porte du fortin de Tamanrasset où il s’était réfugié.
Le seul bagage que Charles n’a finalement pas laissé de côté est son bagage intellectuel. Les Touaregs n’ayant pas de culture de l’écrit, il travaille avec acharnement à transcrire cette langue, en rédigeant une grammaire, et des dictionnaires français-touareg et touareg-français. Car devenir frère, c’est promouvoir la langue, la culture, la sagesse, le génie de l’autre. Ne rien emporter pour la route de la mission implique par contre de faire fructifier ses talents d’intelligence, d’écoute, de compréhension au service de l’autre. Cyrille et Méthode ont fait ainsi en inventant un alphabet pour transcrire les langues slaves. Mattéo Ricci l’a fait en traduisant la liturgie en chinois. Les Pères Blancs l’on fait avec les langues et les cultures d’Afrique de l’Ouest etc.
Reste que ne rien emporter pour la route est la marque de l’apôtre authentique. François d’Assise s’est dépouillé de la richesse paternelle jusqu’à se réfugier nu dans les bras de son évêque. Mère Teresa a quitté le confort de son école pour enfants riches de Calcutta, avec pour seul équipement un sceau et un sari.
Les missionnaires les plus féconds voyagent légers et court-vêtus !
Alléger notre train de vie
‘Je ne suis pas missionnaire’, objecterez-vous peut-être. Pas faux, pas tout à fait exact non plus. Car tout baptisé est envoyé auprès de sa famille, ses amis, ses voisins, ses collègues, son quartier, ses cercles associatifs.
Quel sera votre témoignage si vous êtes trop installé dans la vie ?
Quelle liberté aurez-vous pour répondre à un appel si mille contraintes vous obligent déjà ?
Quelle souplesse d’esprit aurez-vous si la gestion de ce que vous possédez vous accapare et formate votre façon de penser ? On dit à juste titre que le plus souvent, nous ne possédons pas des biens, mais que nos biens nous possèdent…
À force d’accumuler, de calculer, de vouloir tout maîtriser, il n’y a plus de place pour l’évènement, l’imprévu, le différent. En allant ‘léger et court-vêtu’ sur les chemins de Palestine, Jésus a pu devenir le frère universel accessible à tous. En demandant à ses apôtres la même sobriété de possession et de mode de vie, le Christ initie son Église à la vraie disponibilité du cœur, celle qui ne s’encombre pas d’imposants bagages en soute, afin de se laisser conduire avec souplesse là où l’Esprit l’emmène.
Puissions-nous écouter cet appel du Christ à simplifier notre train de vie, pour mieux témoigner de l’Évangile à ceux qui ne le connaissent pas !
Parmi mes bagages, lesquels sont devenus trop lourds ?
Quelles possessions sont trop encombrantes ?
Comment voyager léger et court-vêtu vers ceux qui attendent une espérance ?
Lectures de la messe
Première lecture
« Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve » (Is 66, 10-14c)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez !
Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire. Car le Seigneur le déclare : « Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. » Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ; et vos os revivront comme l’herbe reverdit. Le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs.
Psaume
(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur ! (cf. Ps 65, 1)
Acclamez Dieu, toute la terre ;
fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »
Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom
Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.
Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
Il règne à jamais par sa puissance.
Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu :
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ;
Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !
Deuxième lecture
« Je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus » (Ga 6, 14-18)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates
Frères, pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis, c’est d’être une création nouvelle. Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie et pour l’Israël de Dieu, paix et miséricorde. Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter, car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus. Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen.
Évangile
« Votre paix ira reposer sur lui » (Lc 10, 1-12.17-20)
Alléluia. Alléluia. Que dans vos cœurs, règne la paix du Christ ; que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse. Alléluia. (Col 3, 15a.16a)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, parmi les disciples, le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’ S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : ‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ » Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.’ Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. »
Les 72 disciples revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »
Patrick BRAUD