L'homélie du dimanche (prochain)

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28 novembre 2021

Rendez droits ses sentiers

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Rendez droits ses sentiers

Homélie du 2° Dimanche de l’Avent  / Année C
05/12/2021

Cf. également :

Réinterpréter Jean-Baptiste
Devenir des précurseurs
Crier dans le désert
Le Verbe et la voix
Justice et Paix s’embrassent

Les sentiers de notre paysage intime

Rendez droits ses sentiers dans Communauté spirituelleUn ami qui vient juste de prendre sa retraite me confiait être un peu perdu sans les repères habituels du travail, des trajets, des agendas bien remplis, des réunions, des rendez-vous etc. Du coup, il s’est inscrit à une retraite spirituelle qui s’intitule : « Retraitez votre vie » (animée par Fondacio). J’ai trouvé que l’idée était bonne ! Prendre le temps de relire sa vie pour en aborder les dernières étapes avec intelligence ; discerner les appels nouveaux ou anciens qui pourraient orienter ce temps de la retraite dans le droit fil de qui nous sommes vraiment… S’arrêter pour embrasser d’un seul coup d’œil le paysage de son parcours de vie peut aider à y repérer des lignes de force qui s’y dessinent, véritables sentiers à prolonger, à stopper, à réduire ou à multiplier.

Origène commentait ainsi l’Évangile de ce 2e dimanche de l’Avent :

Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers (cf. Is 40,3). Quel chemin allons-nous préparer pour le Seigneur ? Un chemin matériel ? Mais la Parole de Dieu suit-elle un pareil chemin? Ou faut-il préparer au Seigneur une route intérieure, et ménager dans notre cœur des sentiers droits et unis ? Tel est le chemin par lequel est entré le Verbe de Dieu qui s’installe dans le cœur humain, capable de l’accueillir. […]

Chemin Tortueux...Pour amener tous les gens simples à reconnaître la grandeur du cœur humain, j’apporterai quelques exemples familiers. Toutes les villes que nous avons traversées, nous les gardons dans notre esprit: leurs caractéristiques, la situation des places, des remparts et des édifices demeurent dans notre cœur. Le chemin que nous avons parcouru, nous le conservons dessiné et inscrit dans notre mémoire; la mer où nous avons navigué, nous la contenons dans notre pensée silencieuse. Je le répète, il n’est pas petit le cœur qui peut embrasser tant de choses! Et s’il n’est pas petit pour embrasser tant de choses, on peut bien y préparer le chemin du Seigneur et rendre droit son sentier, pour que puisse y marcher celui qui est la Parole et la Sagesse. Préparez le chemin du Seigneur par une conduite honorable, par des œuvres excellentes; aplanissez le sentier afin que le Verbe de Dieu marche en vous sans rencontrer d’obstacle et vous donne la connaissance de ses mystères et de son avènement, lui à qui appartiennent la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. (Homélies sur saint Luc. 21. SC 87, 292-299)

Voilà donc une interprétation familière du cri de Jean-Baptiste : « rendez droits ses sentiers ! » Puisque la venue – l’Avent – du Seigneur est avant tout en moi, il me revient de préparer cette venue en l’accueillant au plus intime d’abord. C’est vrai qu’il y a tant de collines d’orgueil à abaisser, de reniements tortueux à détordre, de louvoiements à simplifier, d’hésitations à balayer ! « Heureux les cœurs purs ! » dira Jésus plus tard. Pour l’instant, son cousin Jean-Baptiste clame au bord du Jourdain : « heureux les cœurs droits ! » Il reprend en cela les conseils de sagesse qui émaillent le Premier Testament, où les tortueux sont opposés aux cœurs droits :
« Sois bon pour qui est bon, Seigneur, pour l’homme au cœur droit. » (Ps 125,4)
« Une lumière est semée pour le juste, et pour le cœur droit, une joie » (Ps 97,11)
« Sois bon pour qui est bon, Seigneur, pour l’homme au cœur droit. Mais ceux qui se détournent en des voies tortueuses, que le Seigneur les rejette avec les méchants ! » (Ps 125, 4 5)
« Car le Seigneur a horreur des gens tortueux ; il ne s’attache qu’aux cœurs droits » (Pr 3,32)

 

Les cœurs droits

Sur le plan personnel, on voit facilement ce que être tortueux signifie : être infidèle, manœuvrer, utiliser les autres pour son intérêt, changer de convictions au gré des modes et de nos intérêts… Entrer en Avent implique alors pour chacun de repérer les plis et les replis de notre cœur qui nous empêchent d’être simple (au sens étymologique du terme : simplex = sans plis, en latin) et droit devant Dieu et devant les autres. Bien sûr l’orgueil figure en bonne position des collines à abaisser. Il y a tant de façons d’être orgueilleux ! De la vanité de celui qui se croit irremplaçable jusqu’à la fausse humilité de celui qui ne veut pas s’engager, notre imagination déborde pour nous servir au lieu de servir ! Rendre droits les sentiers du Seigneur en nous implique de nous arrêter, pour suivre la trace que laissent nos actions derrière nous, et ainsi prendre conscience des méandres où nous différons ce qui doit être fait, des deltas où nous nous perdons nous-mêmes.

foto-david-samoa-reducida-1024x682 Avent dans Communauté spirituelleOn dit d’un rugbyman qu’il redresse sa course lorsque, ballon en main, il revient vers la marche en avant au lieu de glisser sur le côté à cause de la défense adverse. En redressant sa course, il fixe le défenseur en face et décale ses coéquipiers à qui il peut alors faire une passe en toute sécurité. L’Avent est chaque moment où nous prenons conscience qu’il nous faut redresser notre course pour continuer à aller de l’avant. Cela peut prendre la forme d’une décision importante : un bien à acheter, à donner ou à vendre, un changement d’entreprise, une alliance ou une séparation… Ou bien un nouveau souffle à trouver pour persévérer sans s’épuiser. Ou un bilan honnête pour dire stop ou encore etc. L’important est de retrouver en nous cette capacité de droiture : oui, je veux mettre ma vie en accord avec ce que je crois, sans détours ni calculs. Oui, je désire simplifier mon existence, la rendre simple (sans plis), quitter la confusion, les mélanges douteux, les ‘en même temps’  qui excusent tout. Oui, j’aspire à une vie droite, le cœur en paix avec moi-même et avec Dieu, sans détours ni mensonges. Cultiver ce désir en nous permet d’accueillir le règne de Dieu mieux que la crèche de Noël n’accueillera le santon de l’enfant Jésus !

 

L’anti-Machiavel

41XBfsaT-3L._SX331_BO1,204,203,200_ droitureSur le plan collectif, avoir le cœur droit se comprend facilement par son contraire : être tortueux, voire machiavélique. Nicholas Machiavel (XVI° siècle) a en effet si bien théorisé l’attitude du Prince qui veut conquérir puis garder le pouvoir ! Avec réalisme et cynisme, il fait l’éloge du calcul intéressé, de la tromperie, du reniement des promesses, des manœuvres en tous genres afin de conserver le pouvoir :

« Combien il serait louable chez un prince de tenir sa parole et de vivre avec droiture et non avec ruse, chacun le comprend : toutefois, on voit par expérience, de nos jours, que tels princes ont fait de grandes choses qui de leur parole ont tenu peu compte, et qui ont su par ruse manœuvrer la cervelle des gens ; et à la fin ils ont dominé ceux qui se sont fondés sur la loyauté. […]

Un souverain prudent, par conséquent, ne peut ni ne doit observer sa foi (sa promesse) quand une telle observance tournerait contre lui et que sont éteintes les raisons qui le firent promettre. (…) Et jamais un prince n’a manqué de motifs légitimes pour colorer son manque de foi (son reniement de sa promesse). De cela l’on pourrait donner une infinité d’exemples modernes, et montrer combien de paix, combien de promesses ont été rendues caduques et vaines par l’infidélité des princes : et celui qui a su mieux user (de l’habileté) du renard est arrivé à meilleure fin ». (Le Prince, ch. XVIII)

Seul le résultat compte : pour le Prince de Machiavel, la fin justifie les moyens.

« On doit bien comprendre qu’un prince, et surtout un prince nouveau […] est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent ; il faut que, tant qu’il le peut, il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal. […]

Au surplus, dans les actions des hommes et surtout des princes, qui ne peuvent être scrutées devant un tribunal, ce que l’on considère c’est le résultat. Que le prince songe donc uniquement à conserver sa vie et son État; s’il y réussit, tous les moyens qu’il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde; le commun vulgaire est toujours séduit par l’apparence et par l’événement; et le vulgaire ne fait-il pas le monde ? » (ch. XVIII).

51hH5v5-5EL._SX312_BO1,204,203,200_ Jean BaptisteEn France, Mitterrand est sans doute le personnage le plus machiavélique d’après-guerre : capable de passer de la francisque à la Résistance, de la rhétorique socialiste au Traité de Maastricht, du meilleur allié des communistes à leur plus grand fossoyeur etc. Évidemment, De Gaulle apparaîtra en contrepoint comme un politique au cœur droit : privilégiant l’éthique de conviction pour dire non à Pétain, puis formant un gouvernement d’union nationale, enclenchant les décolonisations, abandonnant le pouvoir après le désaveu d’un référendum perdu. Entre De Gaulle et Mitterrand, les élections présidentielles de 2022 vont faire briller les mille feux de la séduction, des promesses de façade, des grandes déclarations la main sur le cœur, des (im)postures savamment construites. Mais on peut espérer qu’il y aura également des hommes et des femmes au cœur droit, qui proposeront en vérité de redresser les sentiers de l’action publique. Dans les équipes des candidats, il y a des gens sincères et convaincus qui cherchent à servir le bien commun plus qu’eux-mêmes. C’est d’ailleurs l’honneur de l’Église (des Églises) que de contribuer à fournir de tels acteurs politiques, émergeant souvent des mouvements de jeunesse (scouts et guides, JOC, JIC, MEJ, AEP etc.). Jacques Delors par exemple fut en son temps une figure de ces politiques au cœur droit, d’inspiration catholique, serviteurs du bien commun. Il y en a bien d’autres aujourd’hui ! À nous de les soutenir, à eux de se manifester : nous ne pouvons pas déserter la vie politique sous prétexte qu’elle serait machiavélique par essence ! Au contraire, redresser les sentiers du Seigneur dans l’action politique reste une des missions les plus nobles et les plus nécessaires des baptisés. Car préparer la venue du Seigneur en soi sans transformer les structures et systèmes collectifs pour les autres relèverait de l’hypocrisie égoïste ! Que serait un Avent purement individuel ? Que vaudrait un Noël purement privé ? Privatiser la religion est une tentation occidentale meurtrière. Réduire la foi à une thérapie de bien-être personnel nous rend complices des grandes injustices, des accumulations d’inégalités, des grandes pauvretés défigurant le royaume de Dieu au milieu de nous.

Aplanir les collines (de l’orgueil, de la domination) en nous et autour de nous, rendre droits les sentiers de l’action personnelle et collective : l’appel de Jean-Baptiste ce dimanche fait de l’Avent un chemin de conversion.
Noël ne peut être fêté en un cœur tortueux.
Christ naît dans les cœurs droits.

LECTURES DE LA MESSE

1ère lecture : « Préparez le chemin du Seigneur » (Is 40, 1-5.9-11)

Lecture du livre d’Isaïe

« Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu. Parlez au cœur de Jérusalem et proclamez que son service est accompli, que son crime est pardonné, et qu’elle a reçu de la main du Seigneur double punition pour toutes ses fautes. »
Une voix proclame : « Préparez à travers le désert le chemin du Seigneur. Tracez dans les terres arides une route aplanie pour notre Dieu. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées, les passages tortueux deviendront droits, et les escarpements seront changés en plaine. Alors la gloire du Seigneur se révélera et tous en même temps verront que la bouche du Seigneur a parlé. »
Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda :« Voici votre Dieu. » Voici le Seigneur Dieu : il vient avec puissance et son bras est victorieux. Le fruit de sa victoire l’accompagne et ses trophées le précèdent. Comme un berger, il conduit son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, et il prend soin des brebis qui allaitent leurs petits.

Psaume : 84, 9ab.10, 11-12, 13-14
R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut.

J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin.

 

2ème lecture : « Nous attendons les cieux nouveaux et la terre nouvelle » (2P 3, 8-14)

Lecture de la deuxième lettre de saint Pierre Apôtre

Frères bien-aimés, il y a une chose que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour. Le Seigneur n’est pas en retard pour tenir sa promesse, comme le pensent certaines personnes ; c’est pour vous qu’il patiente : car il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre ; mais il veut que tous aient le temps de se convertir. Pourtant, le jour du Seigneur viendra comme un voleur. Alors les cieux disparaîtront avec fracas, les éléments en feu seront détruits, la terre, avec tout ce qu’on y a fait, sera brûlée. Ainsi, puisque tout cela est en voie de destruction, vous voyez quels hommes vous devez être, quelle sainteté de vie, quel respect de Dieu vous devez avoir, vous qui attendez avec tant d’impatience la venue du jour de Dieu (ce jour où les cieux embrasés seront détruits, où les éléments en feu se désagrégeront). Car ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice. Dans l’attente de ce jour, frères bien-aimés, faites donc tout pour que le Christ vous trouve nets et irréprochables, dans la paix.

 

Évangile : Jean Baptiste annonce la venue du Seigneur (Mc 1, 1-8)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez la route : tout homme verra le salut de Dieu. Alléluia. (Cf. Lc 3, 4.6)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le Fils de Dieu.
Il était écrit dans le livre du prophète Isaïe : Voici que j’envoie mon messager devant toi, pour préparer la route. À travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. Et Jean le Baptiste parut dans le désert. Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés.
Toute la Judée, tout Jérusalem, venait à lui. Tous se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en reconnaissant leurs péchés. Jean était vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins, et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il proclamait : « Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de me courber à ses pieds pour défaire la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés dans l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. »
Patrick Braud 

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21 novembre 2021

Le droit et la justice, signes Avent-coureurs

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 32 min

Le droit et la justice, signes Avent-coureurs

Homélie du 1° Dimanche de l’Avent  / Année C
28/11/2021

Cf. également :

Dans l’événement, l’avènement
L’événement sera notre maître intérieur
Se laisser façonner
L’Apocalypse, version écolo, façon Greta
Quand le cœur s’alourdit
Laissez le présent ad-venir
Encore un Avent…
L’absence réelle
Le syndrome du hamster
La limaille et l’aimant

Cap de Bonne-Espérance

Le Cap des Tempêtes

Un pirate fameux répliquait à Alexandre le Grand :  » Parce que j’opère avec un petit navire, on m’appelle brigand ; toi, parce que tu opères avec une grande flotte, Empereur !  »
Qu’est-ce qui permet de faire la différence entre le pirate et l’empereur ? Comment distinguer entre une troupe de brigands et un État ? une extorsion et un impôt ? un kidnapping et une arrestation ? Naviguer de l’un à l’autre, c’est franchir ce qu’un juriste appelle le Cap des Tempêtes, qui fait passer de la force au droit, de l’arbitraire à la justice, comme le cap de Bonne-Espérance fait symboliquement passer d’un hémisphère à l’autre.

La première lecture de notre entrée en Avent (Jr 33, 14-16) fait du franchissement de ce Cap des Tempêtes le critère de la venue du Seigneur au milieu de son peuple : « En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un Germe de justice, et il exercera dans le pays le droit et la justice. En ces jours-là, Juda sera sauvé, Jérusalem habitera en sécurité, et voici comment on la nommera : « Le-Seigneur-est-notre-justice » ».

Le couple « droit (mishpat en hébreu) et justice (sedaqah en hébreu) » est un véritable leitmotiv du Premier Testament : pas moins de 35 occurrences, qui toutes en font le critère essentiel d’un règne selon le cœur de Dieu, dont David est la figure par excellence : « David régna sur tout Israël, faisant droit et justice à tout son peuple » (1 Ch 18,14 ; 2S 8,15).
Accomplir le droit et la justice peut également devenir la bouée de sauvetage du méchant qui se convertit et retrouve ainsi la vie perdue : « le méchant, s’il se détourne de tous les péchés qu’il a commis, s’il observe tous mes décrets, s’il pratique le droit et la justice, c’est certain, il vivra, il ne mourra pas. [...] Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. […] Si je dis au méchant : ‘C’est certain, tu mourras’, et qu’il se détourne de son péché pour pratiquer le droit et la justice, [...] si le méchant se détourne de sa méchanceté, pratique le droit et la justice, et en vit, […] Ainsi parle le Seigneur Dieu : C’en est trop, princes d’Israël ! Loin de vous la violence et la dévastation ; pratiquez le droit et la justice ; cessez vos exactions contre mon peuple – oracle du Seigneur Dieu ! » (Ez 18, 21.27 ; 33, 14.19 ; 45, 9).
la justice et le droit
C’est le meilleur des sacrifices, plus encore que les bœufs et les taureaux égorgés au Temple : « Accomplir le droit et la justice plaît au Seigneur plus que le sacrifice » (Pr 21,3).
C’est la bague de fiançailles de Dieu à son peuple : « Je ferai de toi mon épouse pour toujours, je ferai de toi mon épouse dans le droit et la justice, dans la fidélité et la tendresse » (Os 2, 21)
Les psaumes chantent le droit et la justice comme les piliers de tout règne authentique, que ce soit celui de David et ses successeurs ou le règne de Dieu lui-même : « Justice et droit sont l’appui de ton trône. Amour et Vérité précèdent ta face » (Ps 89,15 ; 97,2).
Ce couple Droit-Justice a pour fonction première d’empêcher les puissants de dominer les petits, les forts d’opprimer les faibles : « Si tu vois, dans le pays, l’oppression du pauvre, le droit et la justice violés, ne t’étonne pas de tels agissements ; car un grand personnage est couvert par un plus grand, et ceux-là le sont par de plus grands encore » (Qo 5,7).

Préparer et anticiper la venue du Fils de l’homme, comme nous y invite l’Évangile ce premier dimanche de l’Avent (Lc 21,25–36), oblige donc à nous intéresser à la manière dont le droit et la justice sont pratiqués – ou non – dans notre société.

Mais pourquoi faut-il qu’il y ait les deux ?

 

Le droit sans la justice devient vite la tyrannie des forts

Le droit et la justice, signes Avent-coureurs dans Communauté spirituelleGrâce à la pièce de théâtre d’Anouilh, tout le monde ou presque a entendu parler d’Antigone. Héroïne grecque imaginée par Sophocle il y a 2400 ans, Antigone ose braver l’édit royal qui interdisait d’enterrer dignement son frère condamné à mort en tant que traître et comploteur. Antigone défie la loi au nom d’un concept supérieur : la justice divine, aux yeux de laquelle refuser les rites funéraires est un acte impie et scélérat. Créon - le roi de Thèbes - questionne Antigone : « Ainsi, tu as osé violer les lois ? »  Antigone lui répond : « C’est que Zeus ne les a point faites, ni la Justice qui siège auprès des Dieux souterrains. Et je n’ai pas cru que tes édits pussent l’emporter sur les lois non écrites et immuables des Dieux, puisque tu n’es qu’un mortel. Ce n’est point d’aujourd’hui, ni d’hier, qu’elles sont immuables ; mais elles sont éternellement puissantes, et nul ne sait depuis combien de temps elles sont nées. Je n’ai pas dû, par crainte des ordres d’un seul homme, mériter d’être châtiée par les Dieux. » Antigone refuse le droit royal au nom d’un droit divin. Certaines lois divines non-écrites et éternelles sont inviolables, comme le droit pour un mort d’être enterré décemment. En revanche, Créon soutient que les lois humaines ne peuvent être enfreintes pour des histoires de conviction personnelle, ainsi, selon lui, Antigone fustige la justice de sa cité en ignorant la loi. Elle est alors condamnée à mort. Dans cet affrontement, les deux protagonistes sont chacun dans leur bon droit. Antigone est dans son droit puisqu’elle agit au nom de la justice divine qu’aucune loi ne peut contrarier. Créon est dans son droit également puisque, étant garant de la stabilité de Thèbes, il doit faire respecter la justice de sa cité.  

Le problème est très actuel ! Beaucoup de manifestations dénoncent des lois injustes, imposées par un pouvoir oppressif ou une pensée unique ayant l’apparence de la légitimité institutionnelle (le Parlement, le Sénat, la loi, l’État) mais pas morale (le juste, le bien). Ainsi les lois sur l’esclavage ont régi pendant des siècles des pratiques aujourd’hui qualifiées d’injustes. Mais à l’époque, les pouvoirs des marchands d’esclaves, musulmans  ou chrétiens, avait la légalité et donc la force de la loi avec eux. Refuser l’esclavage, le dénoncer, le combattre, c’était se mettre hors-la-loi.

Le droit sans la justice n’est donc que la légitimation des intérêts des puissants.

Suffit-il de se conformer à la loi pour être juste ?

Un exemple biblique parmi d’autres : David et Bethsabée. Le grand roi David est en même temps chef des armées, et a donc le droit et le pouvoir d’envoyer ses troupes où il veut. Nommer le général Uri – l’époux de la belle Bethsabée – au front est légal et conforme au droit. Mais pas à la justice, car c’est l’envoyer à la mort pour ensuite recueillir sa veuve éplorée dans le lit royal… Il faudra l’intervention habile du prophète Nathan pour que David s’aperçoive de son triple crime (viol, adultère, assassinat) avant de se répandre en cendres pour implorer le pardon.

Oui : le droit sans la justice est aussi meurtrier que David envers Uri !

Dans le Nouveau Testament, Pilate incarne le pouvoir de l’Empire : il est gouverneur pour faire respecter le droit romain. Il est dans son rôle lorsqu’il condamne à mort un excité de prophète qui soulève les foules en se proclamant Messie, dangereux concurrent local du seul César. Mais lui-même sent bien que ce n’est pas juste d’envoyer ce doux rêveur au supplice, même si c’est légal. Sa femme l’en avertit. Il se débat par avance avec son sentiment de culpabilité au point de s’en laver les mains : ‘je ne suis pas responsable du sang de cet innocent’… Hannah Arendt appelait cela la banalité du mal : lorsque le droit est pratiqué sans justice, on fabrique des milliers de fonctionnaires consciencieux, d’ingénieurs zélés, qui mettent en œuvre la ‘solution finale’ sans trop se poser de questions sur la moralité ultime de ce processus légal. Ce constat d’Hannah Arendt est bien plus effrayant que si ces criminels de guerres avaient été des psychopathes assoiffés de sang car, finalement, ces nazis n’étaient que des gens ordinaires et, au fond, nous aurions sans doute fait la même chose à leur place…

Il est facile de dénoncer les errements de nos prédécesseurs lorsqu’ils appliquaient le droit sans la justice ! Ouvrir les yeux sur nos lâchetés et complicités actuelles serait plus pertinent…

 

La justice sans le droit devient vite inefficace et désespérante

 Avent dans Communauté spirituelleSuzanne et les deux vieillards : l’épisode biblique du chapitre 13 du livre de Daniel a été peint de multiples fois ! C’est l’histoire d’une belle jeune femme convoitée par deux anciens, respectables à tous égards au point d’avoir été nommés juges sur Israël. Un jour qu’elle est seule dans son jardin pour se baigner, les deux vieillards se précipitent sur Suzanne et lui demandent de se donner à eux, sinon ils témoigneront qu’elle a couché avec un jeune homme (imaginaire), ce qui avant le mariage était puni de mort en ce temps-là. Suzanne n’est pas que belle, elle est également intègre : elle préfère s’exposer à une condamnation inique plutôt que de céder un viol dégradant. Les deux juges mettent leur menace à exécution. Voilà Suzanne accusée officiellement. Deux juges témoignent contre une jeune débauchée : on voit vite où penche la balance ! Heureusement, le jeune Daniel va réintroduire le droit dans cette procédure de justice expéditive. Avec intelligence, il sépare les deux juges pour les interroger chacun isolément devant la foule. « Sous quel arbre as-tu vu Suzanne coucher avec le jeune homme ? » « Sous un sycomore », dit le premier. « Sous un châtaigner », dit le second (car ils n’avaient pas eu le temps de se mettre d’accord sur leur version inventée). La foule comprend grâce à cet interrogatoire serré que les deux vieillards ont menti. Grâce à la procédure pénale mise en place par Daniel, l’imposture des juges mensongers est dévoilée, et on leur fait subir le sort qu’ils voulaient décréter pour Suzanne. Daniel a démasqué le cynisme juridique qui veut s’affranchir du droit…

On pourrait prendre un autre exemple biblique : l’institution du Jubilé (Lv 25). Tous les 50 ans, les textes législatifs prévoyaient qu’Israël devait remettre à zéro le compte des dettes, des héritages, des propriétés foncières du pays, afin d’éviter l’inexorable accumulation des inégalités au fil des générations. Voilà une traduction légale et institutionnelle de l’idéal de justice : sans cette régulation par le droit du Jubilé, l’aspiration à une certaine égalité des chances serait une utopie insignifiante et inopérante.

La justice sans le droit devient vite inefficace, car soumise au seul bon vouloir des juges, sans contre-pouvoir. Si l’être humain était par nature juste, le droit n’existerait probablement pas et l’institution juridique des rapports sociaux serait inutile. Mais nous ne sommes malheureusement pas nécessairement bons et les rapports humains sont souvent conflictuels : c’est pourquoi l’arbitrage du droit par les lois est nécessaire.

Les régimes de Pinochet ou de Franco ont bafoué le droit à chaque arrestation, et les procès n’étaient que des mascarades à la solde du pouvoir, car le droit de la défense n’était pas respecté (et encore moins les Droits de l’Homme !). Prenons un autre exemple : la COP 26 s’est terminée par un accord de principe pour limiter la hausse du réchauffement climatique à 1,5° (par rapport à l’ère préindustrielle). Voilà un objectif qui semble juste. Mais s’il n’y a pas des lois, des indicateurs, des sanctions et des arbitres pour concrètement avancer vers cet objectif, les puissants trouveront mille excuses pour ne pas être au rendez-vous et faire exception !

Dans l’Évangile, on se souvient de la parabole du juge inique (Lc 18, 1-8), dans laquelle Jésus met en scène un juge qui n’a que faire du droit des veuves. Ce n’est qu’à force de protestations et de réclamations qu’une pauvre veuve obtient enfin justice de ce magistrat à qui elle casse les oreilles, et qui se fichait ouvertement du droit des petits et des pauvres.

Notre justice respecte-t-elle le droit des parties en présence, et notamment des plus faibles ?

 

Le droit et la justice, signe Avent-coureurs de la venue du Fils de l’homme

Christ-et-le-bon-larron droitVoilà donc un couple d’inséparables : pas de droit sans justice, pas de justice sans droit. Le récit biblique d’égalité n’est rien sans les lois du Jubilé. Le pouvoir politique ou religieux devient inique s’il oublie qu’il y a une justice supérieure.
Jésus incarne en sa personne la réconciliation de ces deux principes souvent antagonistes.
Au larron à sa droite condamné par Pilate, Jésus promet une justice plus grande. Aux ouvriers de la 11° heure, il annonce un salaire plus grand que la somme contractuelle, sans léser les autres pour autant. Car la justice de Dieu est salvifique, là où celle des hommes se contentent de punir et de réprimer. Notre première lecture l’annonce : « En ces jours-là, Juda sera sauvé, Jérusalem habitera en sécurité ». Quand Dieu rend justice, c’est pour apporter grâce et salut, salut gracieux et grâce salutaire. La venue du Fils de l’homme à la fin des temps commence dès maintenant lorsque le pardon sauve le pécheur comme David, la coupable comme la femme adultère, le riche collaborateur comme Zachée, le criminel éperdu comme le larron en croix. Rendre justice, pour Dieu, c’est rétablir chacun dans sa dignité d’être humain, à son image et sa ressemblance, fut-il le pire des assassins ou la plus pauvre des veuves. « Je suis venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus »…

Notre droit français est-il conforme à cette justice-là ?
Notre justice française respecte-t-elle le droit des petits et des pauvres ?
Pratiquons-nous le droit et la justice dans nos responsabilités habituelles ?

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je ferai germer pour David un Germe de justice » (Jr 33, 14-16)

Lecture du livre du prophète Jérémie
Voici venir des jours – oracle du Seigneur – où j’accomplirai la parole de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et à la maison de Juda : En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un Germe de justice, et il exercera dans le pays le droit et la justice. En ces jours-là, Juda sera sauvé, Jérusalem habitera en sécurité, et voici comment on la nommera : « Le-Seigneur-est-notre-justice. »

PSAUME
(Ps 24 (25), 4-5ab, 8-9, 10.14)
R/ Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme, vers toi, mon Dieu. (Ps 24, 1b-2)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

Les voies du Seigneur sont amour et vérité
pour qui veille à son alliance et à ses lois.
Le secret du Seigneur est pour ceux qui le craignent ;
à ceux-là, il fait connaître son alliance.

DEUXIÈME LECTURE
« Que le Seigneur affermisse vos cœurs lors de la venue de notre Seigneur Jésus » (1 Th 3, 12 – 4, 2)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. Et qu’ainsi il affermisse vos cœurs, les rendant irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père, lors de la venue de notre Seigneur Jésus avec tous les saints. Amen.
Pour le reste, frères, vous avez appris de nous comment il faut vous conduire pour plaire à Dieu ; et c’est ainsi que vous vous conduisez déjà. Faites donc de nouveaux progrès, nous vous le demandons, oui, nous vous en prions dans le Seigneur Jésus. Vous savez bien quelles instructions nous vous avons données de la part du Seigneur Jésus.

ÉVANGILE
« Votre rédemption approche » (Lc 21, 25-28.34-36)
Alléluia. Alléluia.Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. Alléluia. (Ps 84, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
 En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire. Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »
Patrick BRAUD

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14 novembre 2021

Église-Monde-Royaume

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Église-Monde-Royaume

Homélie pour la Fête du Christ Roi  / Année B
21/11/2021

Cf. également :

Le préfet le plus célèbre
Christ-Roi : Reconnaître l’innocent
La violence a besoin du mensonge
Non-violence : la voie royale
Le Christ-Roi, Barbara et les dinosaures
Roi, à plus d’un titre
Divine surprise
D’Anubis à saint Michel
Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?
Roi, à plus d’un titre

Mon Royaume n’est pas de ce monde

Église-Monde-Royaume dans Communauté spirituelle 41lUJ4Cy5PL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_Un livre de la philosophe Chantal Delsol a eu un certain retentissement médiatique le mois dernier : « La fin la chrétienté » (Cerf, 2021). Elle y développait la thèse selon laquelle nos sociétés européennes seraient en train de changer de paradigme, en passant de la ‘chrétienté’ héritée de l’empereur Constantin et des 15 siècles suivants à un néo-paganisme en train de s’inventer sous nos yeux. Par chrétienté, elle désigne l’emprise d’une Église catholique (ou protestante) quasi toute-puissante qui régentait les lois, les mœurs, le travail, la famille, l’éducation :

« La chrétienté désigne une société dans laquelle l’anthropologie chrétienne, la morale chrétienne, habitaient nos coutumes, nos modes d’être, nos mentalités, et irriguaient nos lois. Ce n’est plus le cas. Nos lois et nos morales sont inspirées par toutes sortes d’autres visions du monde » [1].

C’est ce système de domination sociale – à bien distinguer de la foi chrétienne – qui finit de s’écrouler en Europe en ce siècle :

« Aujourd’hui, une histoire vieille de deux millénaires s’achève : la modernité, comme démarche de doute et d’incertitude, n’a pas eu raison du christianisme, mais elle a eu raison de la chrétienté ».

« C’est après la Seconde Guerre, essentiellement à partir des années 50-60 du XX° siècle, que les principes chrétiens s’effondrent les uns derrière les autres, qu’il s’agisse de la dignité intrinsèque de l’embryon, avec l’IVG, ou de la sacralité du mariage. Toutes les lois sociétales votées dans l’ensemble des pays occidentaux depuis la fin du XX° siècle, traduisent un changement radical de paradigme, la fin d’un modèle chrétien et son remplacement par autre chose, qu’il faudra définir. C’est véritablement une rupture d’époque, plus importante que celle qui vit le remplacement de la monarchie par la république. C’est l’aboutissement d’un long parcours qui commence au XVIII° siècle et visait à se défaire de la chrétienté comme détenteur d’un paradigme. Si l’on veut bien entendre par paradigme une architecture de principes, cohérents entre eux, qui gouvernent la morale et les mœurs d’une civilisation – alors la civilisation occidentale est en train, par la main de la démocratie post-moderne, de passer aujourd’hui d’un paradigme à l’autre ».

Ce constat lucide vient d’être renforcé par un sondage qui lui aussi a fait grand bruit. Désormais, 51 % des Français se disent non-croyants (sondage réalisé par l’IFOP pour l’Association des Journalistes d’Information sur les Religions en septembre 2021), soit 7 points de plus qu’en 2004 et 2011 (44%). En 1947, les Français étaient 66% à croire en Dieu. Pour la première fois, notre pays est majoritairement non-chrétien. Ce que confirment d’ailleurs toutes les statistiques de l’Église catholique elle-même sur les sacrements. Ainsi on est passé de 92 % de baptisés en 1960 à moins de 30 % aujourd’hui. Et encore, à peine un quart des baptisés reçoivent la Confirmation, censée faire des chrétiens adultes. Quant au taux de catéchisation entre le CE2 et le CM2 (8-11 ans), il s’effondre, passant de 42% % en 1993 à 16 % en 2016 (et sans doute autour de 10 % actuellement !). Ce qui augure d’une pratique religieuse ultra minoritaire dans les décennies à venir. Avec humour, un internaute a même prolongé les régressions linéaires de ces courbes statistiques pour annoncer :

- le dernier baptême catholique le 20 août 2048,
- le dernier mariage catholique le 28 août 2031,
- la mort du dernier prêtre le 28 août 2044 [2] !!!!

Baptêmes 2000-2018

Baptêmes 2000-2018

Mariages 2000-2018

Mariages 2000-2018

Confirmations 2000-2018

Confirmations 2000-2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi donc le christianisme comme ‘système social total’ (‘chrétienté’) s’effondre en Europe. Notons qu’en Amérique, en Afrique ou même en Chine, il n’en va pas de même. Entre 2013 et 2018), le nombre de catholiques dans le monde est passé de 1,254 milliard à 1,329 milliard, soit une augmentation absolue de 75 millions de baptisés. L’évolution européenne n’est pas suivie ailleurs…

Reste qu’en France, l’Église n’a plus les moyens de régenter la société selon ses principes, ni même d’imposer ses principes éthiques ou anthropologiques. Et finalement c’est heureux ! Car cette emprise reposait sur une confusion non évangélique entre l’Église et le règne de Dieu. Or nous l’avons entendu dans l’Évangile (Jn 18, 33-37) de cette fête du Christ Roi : « mon Royaume n’est pas de ce monde ». C’est donc que nulle institution ecclésiale ne peut prétendre incarner absolument ce Royaume ici-bas.

« Que l’ère constantinienne, la “chrétienté” occidentale soient mises en cause, c’est un problème dramatique ; mais c’est une magnifique espérance, si ce dépérissement est la condition d’une nouvelle chrétienté. C’est tout le sous-sol du Concile Vatican II » [3].

 

Une dialectique ternaire

Pendant 3 siècles - les siècles des persécutions juives et romaines - ce 3e terme : Royaume de Dieu, était omniprésent dans l’esprit des baptisés, minoritaires et en danger permanent. Ils attendaient avec ferveur le retour immédiat du Christ. Ils savaient leurs communautés fragiles et provisoires. Ils étaient tendus vers l’horizon du Royaume que le martyre qu’on leur infligeait aller leur permettre de rejoindre. Puis vint l’empereur Constantin et son Édit de Milan (313). Devenue majoritaire et quasiment religion d’État en Occident, l’Église (puis les Églises) s’installe, et croit que sa mission est d’organiser le monde selon les lois de Dieu qu’elle détiendrait. Jusqu’au XVIII° siècle au moins, la perspective du Royaume s’efface au profit de la seule maîtrise de l’Église sur le monde, sous couvert du règne social du Christ. La seule trace du Royaume tel que l’évoque Jésus devant Pilate se rétrécit en une eschatologie très individuelle : le paradis à gagner, l’enfer à éviter, le purgatoire à  traverser. L’Église englobe le monde.

Évidemment, avec les Lumières et la révolution française, ce bel édifice se fissure de toutes parts. L’Église (les  Églises) n’est plus qu’une partie de la société et doit composer avec les autres parties dans le débat démocratique. De plus en plus minoritaire en Occident, elle est condamnée à se replier sur une identité de témoignage, avec le risque de devenir un peu folklorique. Ou bien à se constituer en contre-société alternative, contestant le nouvel ordre établi (cf. traditionalistes, charismatiques, communautés nouvelles, évangéliques radicaux etc.). L’Église est alors soit ‘digérée’ par le monde, soit en sécession pour constituer un contre-monde alternatif (mais ultra minoritaire).

Le concile Vatican II avait parlé d’ouverture au monde pour encourager les catholiques à sortir de leur forteresse assiégée. L’Action Catholique à ses débuts (dès 1924) chantait : « nous referons chrétiens nos frères » et rêvait d’un retour de la chrétienté d’autrefois. Tout cela est derrière nous (en France). Seule la réintroduction du 3° terme de la dialectique ternaire  Église-Monde-Royaume permettra aux chrétiens, même minoritaires, de jouer pleinement leur rôle sans disparaître, sans déserter, sans se radicaliser.

 

Que change l’ajout du Royaume ?

ChrétientéModernité

Si on en reste à un rapport binaire  Église-Monde, on poursuivra l’une des 3 stratégies suivantes :

– soit l’Église veut englober le monde et le réguler selon ses lois. C’était le projet de la chrétienté, qui a ‘réussi’ pendant 15 siècles environ.

– soit le monde prend sa revanche sur l’Église et cherche à se libérer de son emprise (exemple ; libéralisme), en la réduisant à une voix parmi d’autres dans le débat démocratique, guère plus. Minoritaire et marginalisée, l’Église risque alors de se durcir, de s’auto-exclure, ou de se dissoudre.

 

 

 

Affrontement

– soit les 2 parties se séparent, au point de constituer pour l’Église une contre-société de plus en plus contestatrice, allant jusqu’à rêver d’une opposition bloc contre bloc. C’est l’intransigeantisme catholique, dont le Pape Léon XII, pourtant grand initiateur de la Doctrine sociale de l’Église (Rerum novarum, 1891) rêvait encore malgré tout en 1902 : « C’est donc dans le giron du christianisme que cette société dévoyée doit rentrer, si son bien-être, son repos et son salut lui tiennent à cœur. […] Le christianisme […] n’entre pas dans la vie publique d’un peuple sans l’ordonner. […] S’il a transformé la société païenne […], il saura bien de même après les terribles secousses de l’incrédulité, remettre dans le véritable chemin et réinstaurer dans l’ordre les États modernes (Léon XIII, Encyclique « Parvenu à la 25e année », 1902). C’est l’erreur de l’Action Française (Maurras) et de ses successeurs actuels imaginant une reconquête du terrain perdu.

Introduire le 3e terme du Royaume de Dieu permet d’échapper à ces logiques meurtrières et conflictuelles. Car aucune réalisation, qu’elle soit sociale ou ecclésiale, ne peut prétendre incarner définitivement et pleinement le Royaume de Dieu : « ma royauté n’est pas de ce monde ». C’est donc qu’il y a hors de l’Église des graines de vérité (Jean-Paul II), des semences du Verbe (selon la belle expression des Pères de l’Église), des signes des temps (Vatican II) annonçant que le Royaume est déjà en train de prendre corps dans l’histoire, sous l’action de l’Esprit. Ce Royaume de Dieu est déjà là, mystérieusement, chaque fois que l’être humain progresse vers sa vocation divine ultime. Mais ce Royaume n’est pas encore totalement réalisé. Aucune légion (les ‘Légionnaires du Christ’ ont mal choisi leur nom…) ne peut instaurer ce règne ici-bas, comme le disait Jésus à Pilate ahuri de voir un roi sans armée, dés-armé : « si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici ».

Par la force de l’Esprit, le Royaume de Dieu est capable de transformer le monde et l’Histoire sans l’Église. Mais grâce à l’Église qui l’atteste et l’anticipe, ce même Royaume s’offre à tous en communiquant – dans la vie ecclésiale, dans les sacrements, dans l’élan missionnaire et fraternel -  la vie divine qui nous vient de ce Royaume de Dieu, comme par anticipation de ce qui doit arriver ultérieurement en plénitude.


On peut risquer un schéma systémique de cette circularité  Église-Monde-Royaume, où l’Église n’est pas le but mais le sacrement (Vatican II), le signe et le moyen, le catalyseur de la réaction Monde => Royaume :

Eglise Monde Royaume


Sommes-nous très loin du Christ Roi ? Est-ce trop abstrait ? En tout cas, nos représentations commandent souvent nos actions. L’Action Française voulait restaurer la royauté du Christ sur le pays. La société de « l’après chrétienté » voudrait aujourd’hui marginaliser l’Église et l’oublier pour mieux vivre son néo-paganisme. 

Ni l’un ni l’autre ! La proclamation du Christ devant Pilate nous oblige à lever les yeux vers un 3e terme qui nous attend au terme de l’Histoire, et qui pourtant la transforme déjà, notre Église étant témoin et acteur de cette transformation.

Relisons le document Gaudium et Spes de Vatican II, et notamment le chapitre 4 qui traite des relations entre l’Église, le monde et le Royaume :

« Ces valeurs de dignité, de communion fraternelle et de liberté, tous ces fruits de notre nature et de notre industrie, que nous aurons propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père « un Royaume éternel et universel: Royaume de vérité et de vie, Royaume de sainteté et de grâce, Royaume de justice, d’amour et de paix » (Préface du Christ Roi). Mystérieusement, le Royaume est déjà présent sur cette terre; il atteindra sa perfection quand le Seigneur reviendra » (GS 39,3).

 


[3]. Marie-Dominique Chenu, « La fin de l’ère constantinienne », in La parole de Dieu, II, L’Évangile dans le temps, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Cogitatio Fidei », 1964, p. 29.

Lectures de la messe

Première lecture
« Sa domination est une domination éternelle » (Dn 7, 13-14)

Lecture du livre du prophète Daniel

Moi, Daniel, je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.

Psaume
(Ps 92 (93), 1abc, 1d-2, 5)
R/ Le Seigneur est roi ; il s’est vêtu de magnificence.
(Ps 92, 1ab)

Le Seigneur est roi ;
il s’est vêtu de magnificence,
le Seigneur a revêtu sa force.

Et la terre tient bon, inébranlable ;
dès l’origine ton trône tient bon,
depuis toujours, tu es.

Tes volontés sont vraiment immuables :
la sainteté emplit ta maison,
Seigneur, pour la suite des temps.

Deuxième lecture
« Le prince des rois de la terre a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu » (Ap 1, 5-8)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

À vous, la grâce et la paix, de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre.
À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. Voici qu’il vient avec les nuées, tout œil le verra, ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ; et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. Oui ! Amen !
Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’univers.

Évangile
« C’est toi-même qui dis que je suis roi » (Jn 18, 33b-37) Alléluia. Alléluia.

Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Alléluia. (Mc 11, 9b-10a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Pilate appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
Patrick BRAUD

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