L'homélie du dimanche (prochain)

3 octobre 2021

Questions d’héritage

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Questions d’héritage

28° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
10/10/2021

Cf. également :
Comme une épée à deux tranchants
Chameau et trou d’aiguille
À quoi servent les riches ?
Plus on possède, moins on est libre
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?
Les sans-dents, pierre angulaire
Donne-moi la sagesse, assise près de toi
Les bonheurs de Sophie

Pastor et Sarkozy

La une du quotidien "Monaco Matin" le 24 juin 2014L’affaire avait fait grand bruit à l’époque. Le 6 mai 2014, la milliardaire monégasque Hélène Pastor avait été assassinée à Nice, sur ordre de son gendre Wojciech Janowski qui avait commandité ce meurtre à Pascal Dauriac, le coach sportif de Madame Pastor, pour 250 000 €. Motif du crime : capter l’héritage d’Hélène Pastor, soit environ 10 milliards d’euros pour chacun de ses 2 enfants…
Cette affaire nous rappelle que de tout temps, vouloir obtenir l’héritage parental avant le terme implique en réalité de tuer le donateur !

Obtenir l’héritage par avance est cependant devenu presque possible, par petites touches : don manuel, donation simple, donation-partage. Et en 2004, le président Sarkozy a fait voter une disposition pour exonérer d’impôts une donation d’un montant maximum de 20 100 € (porté à 31 865 € en 2005) tous les 15 ans. Les donations Sarkozy permettent ainsi aux enfants des familles riches (familles nombreuses notamment) de bénéficier de substantielles avances sur héritage avant la mort de leurs parents. Le but de ces mesures est très keynésien : recycler dans la consommation et l’investissement des jeunes générations l’argent des seniors qui dort en épargne improductive. Il devient alors très tentant de réclamer sa part d’héritage avant le décès de ses parents !

Les questions d’héritage ont depuis toujours déchiré les familles, suscitant jalousies, haines et violences entre les héritiers…

 

L’héritage n’est pas à prendre

Évidemment, l’homme riche de notre évangile (Mc 10,17–32) est bien loin de Pastor et de Sarkozy ! Mais il court lui aussi (v 17, chose rare dans l’Orient écrasé de chaleur) pour obtenir ce qu’il pense être son héritage : « que dois-je faire pour hériter la vie éternelle » (ou du moins être sûr de l’obtenir) ?

À l’époque, c’est très clair : parler d’héritage trop tôt, c’est vouloir faire mourir le père. Un héritage, ça se reçoit en temps voulu, avec gratitude, car c’est un cadeau et non un dû. C’est d’ailleurs pour cela que nous appelons Testament le recueil de textes dans lesquels nous reconnaissons l’héritage laissé par Jésus. Cet homme (Marc ne dit pas comme Matthieu qu’il est jeune, ni comme Luc que c’est un notable) a déjà de grands biens (v 22), mais il veut davantage.

Captation d’héritage avant terme : le désir de cet homme riche révèle que l’accumulation continuelle est le vrai moteur de sa vie. Certes il observe les commandements de la Torah (v 20) depuis sa jeunesse, mais la suite nous fait comprendre que c’est dans un souci d’accumuler les bonnes œuvres comme il a accumulé de grands biens. Mettre la main sur l’héritage est pour lui le couronnement de cette quête où l’avoir prime sur tout : avoir de grands biens, avoir la vie éternelle. À cette soif de possession, Jésus répond à rebrousse-poil : « vends », « donne », « suis-moi ». Accepte de te dessaisir de ce que tu possèdes – et qui te possède en réalité – pour découvrir que l’héritage n’est pas à prendre, ni à vendre en échange quelques actions méritantes. C’est comme si Jésus lui disait : ‘une seule chose te manque… c’est de savoir manquer !’ Ceux qui ont vendu leurs biens pour suivre Jésus manquent de sécurité, d’argent, de puissance, et c’est cela même le « trésor » qu’ils se constituent alors « dans le ciel » sans le savoir ni le calculer. Envisager d’acquérir la vie éternelle comme on achète des actions dans son PEA est une logique très ‘mondaine’. Ce n’est pas sans raison que Jésus a voulu ne rien posséder dans sa marche sur les chemins de Palestine. En recevant jour après jour, pendant trois ans, le gîte, le couvert, l’argent des mains de ceux qu’il rencontrait, il leur signifiait que le Royaume de Dieu est à recevoir gratuitement, et non à conquérir par la vertu ou la religiosité.

Un héritage ne se négocie pas, et nul ne peut mettre la main dessus avant le terme sans tuer le donateur. Ce n’est que « dans le ciel » que nous découvrirons l’héritage librement accordé par Dieu à chacun. Matthieu promet que les doux auront la terre en héritage (Mt 5,5), ceux qui seront assis à la droite du roi lors du Jugement recevront un royaume en héritage (Mt 25,34), et avec Marc Matthieu annonce que ceux qui auront tout quitté pour Jésus hériteront la vie éternelle dans le monde à venir (Mt 19,29).

D’ailleurs, quand un fils demande trop tôt sa part d’héritage, ça dégénère, comme dans la parabole du fils prodigue (Luc 15,11–32) : « mon fils était mort… », dit le père, constatant que revendiquer trop tôt l’héritage est suicidaire en fait.
De même dans la parabole des vignerons homicides (Mt 21,33–46) : ils tuent le fils pour avoir l’héritage – la vigne – à sa place.
Les apôtres fils de Zébédée veulent savoir à l’avance quels postes ministériels ils obtiendront en partage dans le ‘gouvernement Jésus’ (Mc 10,35–40). Celui-ci leur répond par une fin de non savoir : « Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé ».

 

Faire ou suivre ?

Questions d’héritage dans Communauté spirituelle 1124228013À qui veut déjà hériter, Jésus enjoint de vendre et de donner. À qui veut faire, Jésus demande de suivre. Suivre le Christ est bien autre chose que faire des bonnes actions. Faire relève de ce que les théologiens appellent l’orthopraxie (agir droit). Le judaïsme et l’islam sont des orthopraxies : la seule chose importante est de faire ce que la Loi ou le Prophète commande. À la limite, peu importe ce que vous croyez. Il suffit de respecter le shabbat et la cacherout. Il suffit de réciter la Chahada, comme on énonce que la Terre est ronde ou qu’elle tourne autour du soleil : « il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah, et Mahomet est son prophète ». Nulle profession de foi là-dedans : il n’y a pas de sujet, pas de « je » comme dans le Credo chrétien (« je crois »), mais une récitation impersonnelle, une énonciation qui se veut objective.

Est musulman celui qui observe les cinq piliers de l’islam.
Est juif celui qui observe la Torah et la met en pratique.
Est chrétien par contre celui qui met sa foi en Jésus et le suit avec confiance.
Le christianisme est une orthodoxie (pensée droite) où croire sauve et non pas faire.
Là où le judaïsme et l’islam énumèrent la liste des choses à faire ou ne pas faire, les Évangiles (pas forcement les Églises, hélas !) invitent seulement à suivre Jésus, à chercher avec lui le Royaume de Dieu, « et tout le reste vous sera donné par-dessus le marché » (Mt 6,33). Car la vie éternelle ne relève pas de l’ordre marchand.

L’homme riche de Mc 10 ne veut pas quitter cet ordre marchand, même si cela le rend tout triste (v 22). Il veut posséder la vie éternelle comme il possède ses terres et sa fortune. Or la vie ne se possède pas, elle se reçoit. Suivre Jésus sur sa route, de Capharnaüm à Jérusalem, est bien plus important que d’accumuler des bons points en cochant toutes les cases des listes de bonnes actions.

 

Qui veut un peu d’éternité ?

Un mot sur l’objet du désir de cet homme riche : la vie éternelle.
L'éternité, c'est long... surtout vers la fin. WOODY ALLEN - Graine d'Eden citation
Le bon mot de Woody Allen est célèbre : ‘l’éternité, c’est long… surtout vers la fin !’.
Qui d’entre vous aujourd’hui court vraiment après ce but ? La plupart des Européens religieux ne veulent pas entendre parler de paradis (ni d’enfer), mais utilisent la religion comme un remède pour mieux vivre ici-bas : santé, richesse amour, harmonie… Bien peu de gens s’interrogent sur l’au-delà. Seul le présent les intéresse. Parler de vie éternelle leur paraît fumeux, sauf quand elle commence tout de suite (ce qui d’ailleurs est bien le cas, mais le présent n’engloutit pas pour autant l’espérance chrétienne en un au-delà de cette vie !).

Qui se pose vraiment la question de son avenir en Dieu, au-delà de sa propre mort ? Pourquoi l’éternité suscite-t-elle si peu d’intérêt, alors que – si elle existe – elle devrait être le souci majeur de l’existence ? Tout se passe comme si, pour la majorité, la religion se réduisait à une technique de développement personnel : aller mieux et bien vivre les quelques décennies que chacun a devant lui.

Où est passée l’inquiétude du « ciel » qui a engendré les grandes figures de notre histoire et fait courir le riche malgré l’écrasante chaleur de Palestine ? Qui se soucie de son après au point de modifier son avant en conséquence ? Même les djihadistes dans leur folle logique meurtrière pour gagner leur paradis supposé sont plus rationnels…

Car c’est folie que réduire notre horizon à ces quelques années de passage sur terre…

Lectures de la messe

Première lecture
« À côté de la sagesse, j’ai tenu pour rien la richesse » (Sg 7, 7-11)

Lecture du livre de la Sagesse

J’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres ; à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse ; je ne l’ai pas comparée à la pierre la plus précieuse ; tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable, et, en face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue. Plus que la santé et la beauté, je l’ai aimée ; je l’ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas. Tous les biens me sont venus avec elle et, par ses mains, une richesse incalculable.

Psaume
(Ps 89 (90), 12-13, 14-15, 16-17)
R/ Rassasie-nous de ton amour, Seigneur : nous serons dans la joie.
(cf. Ps 89, 14)

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
que nos cœurs pénètrent la sagesse.
Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ?
Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

Rassasie-nous de ton amour au matin,
que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Rends-nous en joies tes jours de châtiment
et les années où nous connaissions le malheur.

Fais connaître ton œuvre à tes serviteurs et ta splendeur à leurs fils.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains ; oui, consolide l’ouvrage de nos mains.

Deuxième lecture
« La parole de Dieu juge des intentions et des pensées du cœur » (He 4, 12-13)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes.

Évangile
« Vends ce que tu as et suis-moi » (Mc 10, 17-30) Alléluia. Alléluia.

Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. » L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit: « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Jésus les regarde et dit: « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. » Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »
Patrick Braud

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