L'homélie du dimanche (prochain)

11 avril 2021

Toucher, manger, bref : témoigner

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Toucher, manger, bref : témoigner

Homélie du 3° Dimanche de Pâques / Année B
18/04/2021

Cf. également :

Le courage pascal
Le premier cri de l’Église
Bon foin ne suffit pas
Lier Pâques et paix
La paix soit avec vous

Toucher, manger, bref : témoigner dans Communauté spirituelleCela fait plus d’un an que nous n’étreignons plus que nos très proches (pour ceux qui en ont). Un an sans embrasser les collègues le matin, sans serrer la main en signe de bienvenue ou d’accord. Un an sans contact entre épidermes autres que ceux de la maisonnée. Un an sans tomber dans les bras de l’autre pour consoler ou être consolé. Cela fait plus d’un an que nous prenons soin de ne pas toucher ni être touché….

Rubens Vivre sans contact est le destin d’une carte bancaire, pas d’un être humain. Quand Luc raconte la venue du Ressuscité au milieu des disciples, il insiste sur le côté réaliste de cette présence, que le toucher permet de confirmer expérimentalement : « Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai » (cf. Lc 24, 35-48).

S’adressant à des Grecs – connus pour leur sens de l’esthétisme – Luc leur épargne le détail des traces horribles de la crucifixion sur les mains ou les pieds que Jean considère comme des preuves de l’identité entre le crucifié et le ressuscité. Mais ce n’est que pour mieux renforcer le réalisme de la chair. Car les histoires grecques étaient pleines d’esprit et d’entités immatérielles, et le danger était grand de confondre le Ressuscité avec un de ces esprits sans chair ni os. Alors il faut toucher pour s’en convaincre. Jean le dira avec force : « ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons » (1 Jn 1,1).

Comment fêter Pâques si je n’ai pas touché de près le corps du Ressuscité ?
Comment cela est-il possible aujourd’hui ? Évidemment, l’expérience des disciples est unique, non reproductible, depuis l’Ascension du Christ, c’est-à-dire sa disparition aux yeux de l’histoire. Son corps personnel n’est plus là, et nul ne sait où Dieu l’a mis ! Dire qu’il est « assis à la droite de Dieu » est la moins mauvaise image que nous avons trouvée, mais une nous ignorons ce qu’elle signifie en fait…

La réponse à la question est bien connue : puisqu’il nous est impossible de toucher le corps personnel du Ressuscité aujourd’hui, nous pouvons néanmoins toucher son corps ecclésial, à travers les plus pauvres notamment, et son corps sacramentel dans l’eucharistie. La liturgie dominicale nous laisse deux signes qui l’évoquent : le baiser de paix, la communion au pain et au vin (réduite trop souvent à la manducation d’une petite hostie).

Encore faut-il s’expliquer sur ce que veut dire toucher le Ressuscité au travers de « ces petits qui sont les frères du Christ », ou en communiant à la messe. Le danger est grand de spiritualiser ce que Luc voulait garder comme une réalité concrète, en bon médecin des corps qu’il était. Ou de réduire à une idée abstraite (exemple : la solidarité) ce qui est de l’ordre du toucher physique. La foi pascale n’est pas une démarche intellectuelle (comme la gnose franc-maçonne) ou spiritualiste (comme la croyance en l’immortalité de l’âme). Elle est avant toute une rencontre interpersonnelle avec quelqu’un qui a été « relevé d’entre les morts ». Et cette rencontre passe par le corps, le toucher, le contact.

Quand Pascal est touché par le Christ, il en est physiquement submergé : « joie, joie, pleurs de joie » griffonne-t-il à la hâte pour ne pas perdre le ressenti qui a inondé tout son être. Quand Claudel se convertit derrière un pilier de Notre-Dame de Paris, c’est en écoutant intensément chanter les Vêpres de Noël, qui ont produit sur lui une sensation physique inégalée. Quand le persécuteur juif Saul est renversé par le Ressuscité, il en porte les traces sur son visage avec des « écailles » – conséquences de son éblouissement – qui lui voilent le regard, jusqu’à ce que le baptême fasse tomber ces barrières à la foi.

La résurrection est donc à toucher, à palper, à tâter, selon le verbe employé par Luc (Ψηλαφήσατέ = pselaphao). On apprend aux jeunes femmes à palper leur poitrine pour y détecter des ganglions ou grosseurs anormales qui annonceraient un cancer du sein. Le gynécologue peut pratiquer un toucher vaginal au moment de l’accouchement pour surveiller la dilatation du col de l’utérus. Le gastro-entérologue pratique le toucher rectal pour détecter des hémorroïdes, un cancer de la prostate ou d’autres lésions internes. Loin d’être honteux, ces touchers  médicaux nous redisent qu’il est impossible de soigner sans aller au contact intime du corps humain, sans fausse pudeur (mais toujours avec un infini respect).

Si guérir un corps demande d’aller le toucher aussi intimement, on comprend que constater la résurrection demande un contact tout aussi précis ! Et symétriquement, on devine que toucher le corps du Ressuscité soit source de guérison pour celui qui se laisse approcher…

phase-terminale-personne manger dans Communauté spirituelleSi vous avez déjà veillé quelqu’un au seuil de sa mort, vous savez l’importance des regards de ces instants, des caresses de la main ou du visage, de la présence physique au-delà des mots, des baisers tendrement déposés sur une joue inerte. Le personnel des soins palliatifs vous le dira : quand on ne peut plus guérir, on peut toujours toucher, et par ce seul contact garder quelqu’un en humanité jusqu’au bout. Si être touché avec amour et respect nous maintient humain, alors combien plus être touché par le Ressuscité nous maintiendra vivants !

Le français nous y aide : se laisser toucher signifie accepter à la fois le contact physique et l’émotion qu’il produit en nous. Accueillir nos émotions est souvent un défi pour nos éducations volontaristes. Accepté d’être ému, c’est laisser la tristesse me mener à l’essentiel, la joie me transfigurer, la peur m’avertir, la colère me mobiliser, la reconnaissance me fortifier, la gratitude m’ouvrir à la beauté du monde… Les amants savent bien que se laisser enlacer au corps de l’autre demande de faire tomber ses barrières, ses blocages, pour s’abandonner à cette communion qui selon le Cantique des cantiques est « forte comme la mort » (Ct 8, 6). Ce qui indique au passage la dimension pascale de la communion des corps lorsqu’elle est vécue dans cet esprit.

Toucher et se laisser toucher est donc une condition d’accès à Pâques.

Mosaïque représentant le repas du Ressuscité mangeant du poisson grillé (Sant'Apollinare in Classe, Ravenne, Italie)Luc en ajoute une autre : manger. « Avez-vous ici quelque chose à manger ? Ils lui présentèrent une part de poisson grillé qu’il prit et mangea devant eux ».
Ce repas n’a pas de connotation eucharistique ici comme ce fut le cas pour les disciples d’Emmaüs juste avant dans l’Évangile. C’est simplement une preuve qu’on n’a pas affaire à un fantôme. Manger, c’est s’incorporer le monde et y être incorporé. Voir quelqu’un manger est un signe indubitable que nous partageons avec lui la même humanité. D’ailleurs, les personnes âgées qui veulent mourir se laissent dépérir, ne s’alimentent plus ou presque. J’ai connu une dame de 86 ans en EHPAD que je visitais régulièrement. Depuis le premier confinement en mars 2020, son moral baissait à vue d’œil : enfermée dans une chambre de 9 m², elle ne voyait plus sa famille, mais seulement les aides-soignantes pour le plateau-repas, et la télévision qui marchait à fond tout le temps… Pire qu’en prison ! Les infirmières – vigilantes – nous disaient : elle est victime du ‘syndrome de glissement’, terme pudique  pour évoquer médicalement l’envie de mourir, de se suicider en ne mangeant plus. De fait, elle est décédée en décembre 2020, seule dans sa chambre, ne pesant plus qu’une quarantaine de kilos, elle qui était plutôt forte auparavant.

Manger, c’est attester de son envie de vivre ! Manger, c’est faire partie du même monde. Dans l’entre-deux Pâques-Ascension, le Ressuscité mange pour montrer aux disciples la réalité de la vie nouvelle qui coule désormais en lui.

Toucher, être touché, manger : de manière intéressante, Luc en fait les ingrédients du témoignage chrétien. « De cela vous serez les témoins ». Pour pouvoir témoigner, il faut d’abord toucher et se laisser toucher, et manger avec…

Notre témoignage n’a alors rien d’abstrait. Si je peux raconter avec abondance de détails ce qui m’est arrivé, en quoi le Christ a bouleversé ma vie, comment son message m’a touché, sa présence m’a subjugué, son amour m’a dilaté, alors témoigner me sera aussi naturel que respirer. Le témoignage chrétien est très physique : il se nourrit de nos rencontres, de nos émotions, de nos contacts. Il montre les traces que l’Évangile a imprimé sur nos mains et nos pieds, c’est-à-dire tout ce qu’il a changé dans la chair la plus concrète de notre façon de vivre, de travailler, d’aimer, de gagner de l’argent et de le dépenser etc.…

Pour se convertir au Christ, les non-chrétiens demanderont légitimement de pouvoir toucher, palper, tâter les preuves de sa résurrection.
Notre témoignage est d’abord celui du Christ de Pâques : « voyez ce qui m’est arrivé, touchez de près mes blessures guéries, laissez-moi m’asseoir à votre table et parlons de ce qui nous fait vivre… »

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts » (Ac 3, 13-15.17-19)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, devant le peuple, Pierre prit la parole : « Hommes d’Israël, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, alors que vous, vous l’aviez livré, vous l’aviez renié en présence de Pilate qui était décidé à le relâcher. Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts, nous en sommes témoins. D’ailleurs, frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs. Mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes : que le Christ, son Messie, souffrirait. Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés. »

 

PSAUME (4, 2, 4.7, 9)
R/ Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage ! ou : Alléluia ! (4, 7b)

Quand je crie, réponds-moi,
Dieu, ma justice !
Toi qui me libères dans la détresse,
pitié pour moi, écoute ma prière !

Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle,
le Seigneur entend quand je crie vers lui.
Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? »
Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage !

Dans la paix moi aussi,
je me couche et je dors,
car tu me donnes d’habiter, Seigneur,
seul, dans la confiance.

DEUXIÈME LECTURE
« C’est lui qui obtient le pardon de nos péchés et de ceux du monde entier » (1 Jn 2, 1-5a)

Lecture de la première lettre de saint Jean

Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous évitiez le péché. Mais si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste. C’est lui qui, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés, non seulement des nôtres, mais encore de ceux du monde entier. Voici comment nous savons que nous le connaissons : si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : « Je le connais », et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : la vérité n’est pas en lui. Mais en celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection.

 

ÉVANGILE
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour » (Lc 24, 35-48)
Alléluia. Alléluia.Seigneur Jésus, ouvre-nous les Écritures ! Que notre cœur devienne brûlant tandis que tu nous parles. Alléluia. (cf. Lc 24, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. Comme ils en parlaient encore,  lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! » Saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit. Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. » Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds. Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement. Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent une part de poisson grillé qu’il prit et mangea devant eux. Puis il leur déclara : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : “Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.” » Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. À vous d’en être les témoins. »
Patrick Braud

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