L'homélie du dimanche (prochain)

1 novembre 2020

Elles étaient dix

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Elles étaient dix

Homélie pour le 32° Dimanche du temps ordinaire / Année A
08/11/2020

Cf. également :
Éloge de la responsabilité individuelle
L’anti terreur nocturne
Les fous, les sages, et les simples
Donne-moi la sagesse, assise près de toi
Les bonheurs de Sophie

Ils étaient dix, d’Agatha Christie.Un roman policier d’Agatha Christie a récemment changé de titre, pour mieux coller à la culture ambiante. « Les dix petits nègres » sont devenus « Ils étaient dix », pour éviter toute connotation raciste. Notre parabole des dix vierges pourrait malicieusement être rebaptisée : « Elles étaient dix » en hommage à l’auteure à succès ! Car un groupe de dix jeunes filles – vierges de surcroît – pouvait être frappé du même ostracisme que nos dix petits nègres. Dans le roman policier, ils étaient éliminés un par un jusqu’à ce qu’on découvre le meurtrier. Dans la parabole, cinq sont admises et cinq sont éliminées des noces lors de la venue de l’époux.

Regardons de plus près ce groupe étrange que Jésus invente pour nous faire réfléchir et nous interroger.

 

Le miniane impossible

Un groupe de dix dans une pièce, avec l’huile de la prière brûlant dans leurs lampes : on pense inévitablement à un miniane, ce nombre minimum de dix hommes nécessaires pour réciter les prières du Kaddish, de la Bénédiction ou du shabbat. En effet, la tradition juive a très tôt fixé ce seuil minimal en deçà duquel la prière communautaire n’est pas valide. Les chiffres sont toujours symboliques dans la Bible.

Faire miniane

Pourquoi dix ?

Parce que Dieu a créé l’être humain en forme communautaire, et non pour qu’il soit seul.
Parce que les dix frères de Joseph ont réussi en l’implorant à le faire changer d’avis sur leur sort (Gn 42).
Parce que dix est le nombre des explorateurs envoyés par Josué qui ont failli faire basculer l’opinion du peuple en leur décrivant le pays de Canaan comme impossible à conquérir (Nb 27,14). C’est donc que la réunion de dix hommes est puissante pour faire changer d’avis le peuple ou Dieu lui-même !
Puisque les dix frères de Joseph et les dix espions firent changer le cours des événements, la tradition en déduisit qu’une réunion de prière devait avoir au minimum dix hommes afin de pouvoir faire changer les choses.
De plus, c’était la conviction des sages que partout où dix juifs sont assemblés, que ce soit pour le culte ou pour l’étude de la Loi, la Shekinah (Présence divine) «  habite  » parmi eux.
Et dix configure le groupe aux dix paroles, véritable code de l’Alliance que Moïse a gravé dans la pierre au mont Sinaï.

Dans les Évangiles, on ne voit que trois tels groupes de dix, mais transgressant tous les normes religieuses habituelles.
1. Le premier miniane formellement constitué est celui des dix lépreux croisés par Jésus en
Lc 17,11-19. Il leur promet la purification de leur peau s’ils vont se montrer aux prêtres du Temple de Jérusalem. Purification qui s’accomplit en chemin. Seul un sur dix – un samaritain – revient rendre grâce au Christ qui s’en étonne : où sont les neuf autres ?
Ce miniane lépreux est doublement hétérodoxe, car composée de gens impurs rituellement (la lèpre) et religieusement (il y a au moins un schismatique dans le lot, le samaritain, ce qui est interdit pour un miniane).
Mais l’intercession de ces dix lépreux a été suffisamment puissante pour leur obtenir la guérison de la part de Jésus.
Comment ne pas y voir l’annonce de l’Église, communauté de pécheurs et de mal-croyants, dont l’intercession est cependant suffisamment puissante pour communiquer au monde le salut du Christ ? Évidemment, un tel détournement de l’assemblée synagogale sera insupportable pour ceux qui étaient obsédés par leur identité spécifique. Mais le miniane des dix lépreux résonne comme la promesse d’une Église affranchissant les hommes des barrières rituelles ou religieuses.

2. Le deuxième miniane est celui du groupe des dix serviteurs (Lc 19,13) à qui le maître partant en voyage confie de l’argent à faire fructifier. Certains réussissent à le faire fructifier d’autres non. C’est la responsabilité individuelle de chaque membre de l’Église qui est figurée ici : mettre ses talents au service des autres et de Dieu, multiplier la richesse reçue. Le contexte est celui de l’attente du maître absent, comme pour les dix vierges. L’’Église / l’humanité est un peu ce miniane d’hommes d’affaires, chargés de gouverner le monde qui leur est confié en gérance.

les 10 vierges3. Le troisième – et le seul autre – miniane des Évangiles est celui de ce dimanche, inventé par Jésus (car il n’existe pas encore à son époque !) : dix jeunes filles, dix vierges, invitées à la noce d’un époux étrange. Elles étaient dix : le texte souligne assez qu’elles forment un groupe homogène, indépendant, chose assez rare pour des femmes juives du premier siècle. Elles ont la liberté apparemment de se déplacer ensemble sans hommes, dans la nuit. Elles ont visiblement la charge de la prière, symbolisée par l’huile de leurs lampes, en attendant l’arrivée de l’époux. Si l’on songe qu’Israël en hébreu est féminin, et qu’il est présenté comme la fiancée promise à son époux divin (lors du shabbat notamment), on se dit que Jésus a fait exprès de mettre en scène ce miniane impossible, pour provoquer ses auditeurs à l’élargissement de leurs pratiques. Non seulement les lépreux, les schismatiques peuvent faire Église, mais également les femmes ! Et ici des vierges, c’est-à-dire des non-pleinement-femmes, puisque seule la maternité à l’époque (et encore aujourd’hui !) consacre une femme juive dans sa vocation de servante de Dieu.

Intuition vraiment révolutionnaire de Jésus : les lépreux, les schismatiques, les hommes d’affaires, les femmes ne doivent pas être exclues du nouveau peuple de Dieu. Au contraire, ils et elles en sont les prototypes, à l’image des collabos et des putains qui précéderont les gens très religieux dans le Royaume des cieux.

 

Le béguinage, miniane féminin du Moyen Âge.

Elles étaient dix dans Communauté spirituelle site_0855_0020-750-0-20151104155240Utopique ? Inefficace ? Le rêve de Jésus s’est pourtant réalisé en Europe du Nord dans les siècles suivants, à travers la figure si originale des béguines [1]. Allez visiter Bruges, Gand, Courtrai, Anvers, Ypres, Lierre, Malines, Amsterdam etc. : la plupart des villes flamandes recèlent – caché au cœur des méandres de leurs canaux – un oasis de paix et de sérénité, leur béguinage. Depuis le XII° siècle en effet, des femmes du Nord – veuves ou célibataires choisissant de le rester – firent le choix de se regrouper pour vivre ensemble une vie de prière et de charité, en s’affranchissant de toute domination masculine. Ces béguines élisaient leur supérieure (la « grande dame ») et ainsi ne dépendaient ni de l’évêque, ni de l’abbé ni du curé. Elles travaillaient de leurs mains en ville pour être indépendantes financièrement. Il y avait ainsi dans chaque cité flamande un groupe de femmes, dont le nombre pouvait aller jusqu’à une centaine ou plus, témoignant d’une liberté sociale et d’une pratique spirituelle dont le miniane des dix vierges était comme l’annonce. La dernière béguine disparaît en 2013 à Courtrai (Belgique). Laïques dans le monde, vivant pourtant en communauté chacune dans sa maisonnette serrée contre celle de sa voisine, elles partageaient un idéal de vie simple, fraternelle (ou plutôt sororale), utile aux pauvres, priante. Évidemment, l’Église institutionnelle a vu d’un mauvais œil ces béguines trop libres, trop indépendantes des hommes, et les a souvent persécutées injustement. Elles ont cependant proliféré, influençant la mystique du Moyen Âge, la mystique rhénane de Maître Eckhart au XIV° siècle, la piété populaire qu’elles incarnaient mieux que les ordres religieux, l’utilité sociale des chrétiens par leur travail en hôpital et auprès des plus démunis [2]. On estimé à 5% la proportion de femmes qui au milieu du XVII° siècle avaient adopté le béguinat ! Il y a des béguines célèbres : sainte Marie d’Oignies (1176-1213), Mechthild de Magdebourg (1207-1283?), Hadewijch d’Anvers (1220-1260), sainte Christine de Stommeln (1242-1312), Marguerite Porete ou la Porrette (1250-1310, condamnée pour hérésie et brûlée vive en 1310 place de l’actuel Hôtel de ville à Paris pour avoir écrit « Le miroir des âmes simples »). « Le mouvement des béguines séduit parce qu’il propose aux femmes d’exister en n’étant ni épouse, ni moniale, affranchie de toute domination masculine », explique Régine Pernoud dans son livre « La Vierge et les saints au Moyen Âge » (1991).

Le miniane des dix vierges de notre parabole est donc promis à un grand avenir !

Bien sûr, la fin de la parabole lui est fatale : cinq peuvent rentrer dans la salle des noces car elles avaient fait provision d’huile, et cinq arrivent en retard et sont du coup interdites d’entrée. Les éléments bizarres de cette histoire sont nombreux : pourquoi le mystérieux époux arrive-t-il si tard dans la nuit ? Cela ne se fait pas de faire attendre ses invités si longtemps. Et où est la mariée ? Il est plus que bizarre que l’époux arrive seul à la salle des noces. Pourquoi est-il si dur d’ailleurs envers les imprévoyantes ? Même en retard, elles auraient pu entrer, se réjouir, au lieu de laisser des places vides au banquet. Autre détail troublant : quels sont les marchands ouverts la nuit pour aller y acheter de l’huile ?

Gardons toutes ces questions en mémoire pour un prochain commentaire de ce texte dans trois ans lorsqu’il reviendra dans le cycle liturgique… Elles nous redisent d’ores et déjà qu’une parabole vaut plus par ses dissemblances avec le réel que par ses emprunts au quotidien.

 

Parmi ces dissemblances, retenons la constitution de ce miniane féminin qui semblait impossible à l’époque : elles étaient dix, et l’huile de leurs lampes a tenu jusqu’à l’arrivée de l’époux. Il y a là largement de quoi revivifier l’intuition prophétique des béguines du Moyen Âge, en l’actualisant pour aujourd’hui !

 

 

[1]. Il s’agit peut-être d’un dérivé en -in(e) basé sur le moyen néerlandais *beggen  (non attesté)  « bavarder », « réciter, psalmodier des prières » ou « réciter des prières d’un ton monotone », restitué d’après le flamand beggelen (attesté) « bavarder à haute voix » (Wikipédia).

[2]. Au cours de l’histoire, des béguinages d’hommes ont suivi leur exemple  et on estime que 80 000 hommes, appelés béguards, y vivaient aux XVII° et XVIII° siècles. Les femmes montrent souvent la voie dans l’histoire de l’Eglise…

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« La Sagesse se laisse trouver par ceux qui la cherchent » (Sg 6, 12-16)

Lecture du livre de la Sagesse

La Sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas. Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l’aiment, elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. Elle devance leurs désirs en se faisant connaître la première. Celui qui la cherche dès l’aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte. Penser à elle est la perfection du discernement, et celui qui veille à cause d’elle sera bientôt délivré du souci. Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle ; au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ; dans chacune de leurs pensées, elle vient à leur rencontre.

 

PSAUME
(Ps 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 7-8)
R/ Mon âme a soif de toi,Seigneur, mon Dieu ! (cf. Ps 62, 2b)

Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

Dans la nuit, je me souviens de toi
et je reste des heures à te parler.
Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.

DEUXIÈME LECTURE
« Ceux qui sont endormis, Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui » (1 Th 4, 13-18)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens

Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ; il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres, qui n’ont pas d’espérance. Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis, Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui.
Car, sur la parole du Seigneur, nous vous déclarons ceci : nous les vivants, nous qui sommes encore là pour la venue du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis. Au signal donné par la voix de l’archange, et par la trompette divine, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous les vivants, nous qui sommes encore là, nous serons emportés sur les nuées du ciel, en même temps qu’eux, à la rencontre du Seigneur. Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur. Réconfortez-vous donc les uns les autres avec ce que je viens de dire.

ÉVANGILE
« Voici l’époux, sortez à sa rencontre » (Mt 25, 1-13)
Alléluia. Alléluia.Veillez, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y pensez pas que le Fils de l’homme viendra. Alléluia. (cf. Mt 24, 42a.44)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « Le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux. Cinq d’entre elles étaient insouciantes, et cinq étaient prévoyantes : les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile, tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, des flacons d’huile. Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. Au milieu de la nuit, il y eut un cri : ‘Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.’ Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et se mirent à préparer leur lampe. Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes : ‘Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.’ Les prévoyantes leur répondirent : ‘Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous, allez plutôt chez les marchands vous en acheter.’ Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée. Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent : ‘Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !’ Il leur répondit : ‘Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.’
 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »
Patrick BRAUD

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